La femme qui attendait, roman d’Andreï Makine (31/12/2012)
Une femme si intensément destinée au bonheur (ne serait-ce qu’à un bonheur purement physique, oui, à un banal bien-être charnel) et qui choisit, on dirait avec insouciance, la solitude, la fidélité envers un absent, le refus d’aimer…
Ainsi commence ce roman qui tourne autour du corps de la femme, une femme qui refuse de croire à la mort de son fiancé plus de trente ans plus tard. Et ce refus est parfois synonyme de mort. Il se traduit par le froid des paysages, les changements de temps, le bruit de la glace qui tombe des toits. Et d’autres fois, il devient pleine vie, au-delà des apparences, grâce au soleil d’un printemps qui met du temps à venir, à une fleur ramassée dans la campagne.
Et c’est bien à une retraite que nous convie l’auteur, retraite au-delà de la vie, dans cette après-vie, avec de vieilles personnes près de la mort : Elle dort dans une sorte de mort anticipée, au lieu du temps qu’elle a suspendu à l’âge de seize ans, marchant en somnambule parmi ces vieilles qui lui rappellent la guerre et le départ de son soldat… Elle vit un après-vie, les morts doivent voir ce qu’elle voit…
Peu à peu, il apprivoise cette femme, avec douceur, mais désir de son corps. Elle est belle malgré son âge. Elle semble pleine de désirs cachés. Il apprend ses rêves : J’ai attendu le train de Moscou… Cela m’arrive de temps en temps. Toujours presque le même rêve : la nuit, le quai, il descend, se dirige vers moi… Cette fois, c’était peut-être encore plus réel qu’avant. J’étais sûre qu’il viendrait. J’y suis allée, j’ai attendu. Tout cela est déraisonnable, je sais. Mais si je n’y étais pas allée, un lien se serait rompu… Et ce ne serait plus la peine d’attendre… Il apprend à la connaître doucement : Ses paupières battaient lentement, elle leva sur moi un regard, vague et attendri, qui ne me voyait pas, qui allait me voir après le passage des ombres qui étaient en train de traverser. Je devinais que durant cette cécité, je pouvais tout me permettre. Je pouvais lui prendre la main, je touchais déjà cette main, mes doigts remontaient sans peser sur son avant-bras. Nous étions assis côte à côte et la sensation d’avoir cette femme en ma possession était d’une force et d’une tendresse extrêmes.
Elle finit par se donner à lui, égarée, enfantine en amour, fière de sa condition féminine : Cette femme sûre disparut dès les premières étreintes. Elle ne savait pas qui elle était en amour. Grand corps féminin aux inexpériences adolescentes. Puis une véhémence musculeuse, combative, imposant sa cadence au plaisir. Et de nouveau, presque l’absence, la résignation d’une dormeuse, la tête renversée, les yeux clos, la lèvre fortement mordue. Un éloignement si complet, celui d’une morte, qu’à un moment, me détachant d’elle, je lui empoignais les épaules, la secouait, trompé par sa fixité. Elle entrouvrit les yeux, teintés de larmes, me sourit et ce sourire se mua, respectant notre jeu, en un rictus trouble de femme ivre. Son corps remua.
C’est un roman poétique, empli de la féérie des saisons de glace, des forêts immenses, des villages sans âme. Et progressivement se déroule l’histoire, dans laquelle l’imagination a autant d’importance que le réel vécu. Un rêve que l’auteur vit de manière très concrète, attaché à de petits riens qui sont autant de construction de la réalité. Il se prépare à repartir, sortir de cette après-vie qui semble la vie normale de ce village de vieilles femmes sur laquelle veille une femme plus jeune, encore désirable. Oui, c’est un beau roman !
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