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31/05/2014

Equilibre

Vertu annoncée française, comme le cartésianisme
Souvent contredite par la réalité des faits
Elle soutient l’opinion et la conforte dans son arrogance.
Ne serait-ce pas de l’inertie dont parlent nos citoyens ?

Certes l’équilibre  des façades de nos châteaux altiers
Donnent un sens harmonieux aux apparences
La réalité n’est-elle pas toute autre, plus statique
Cet équilibre est fondé sur deux béquilles égales

Le véritable équilibre ne serait-il pas impression ?
Balance des sentiments, des émotions, des perceptions
L’équilibre de la terreur de l’égalité des cerveaux
Les poids seraient-ils la preuve de la même consistance ?

L’équilibre ne se trouve pas, il advient et s’impose !
Il est léger comme l’air au soleil, vapeur de bonheur
Un souffle et sa constance se brise, altérée
Il fuit la logique et le poids des mots recherchés

L’équilibre des pouvoirs contrebalance l’autorité
Est-ce une vertu française, un souhait non exprimé ?
Ici la vie est contraire à la parole, contradiction
Entre l’intégrité austère et l’amitié chaude

Aucune prédominance, pas de passe-droit
L’œil à l’horizon, la face non corrompue
Transpirant sous la bise de l’intégrité
Le citoyen ravive sa fureur révolutionnaire

Mais l’équilibre n’est-il pas harmonie ?
Comme deux sons emmêlés chers à l’oreille
Ils vont dans les chemins de la vie heureuse
Et se détendent sur l’herbe caressée de rires

Vraiment, quel avenir sans équilibre
De quel côté pencher : raison ou imagination ?
Le papillon noir s’élève dans l’azur
Il monte, vide, empli d’espoir, sans pensée

© Loup Francart

30/05/2014

Un dimanche après-midi après un déjeuner

Il vous arrive d’être invité à déjeuner un dimanche. L’épreuve n’est pas le déjeuner, mais les quelques heures qui le suivent. Instants d’indécision, de mal-être et d’ennui.

Vous rentrez chez vous, repu, trop, l’esprit lourd et brouillé, sans savoir pourquoi. Vous avez encore en tête le cercle des paroles échangées qui tournent autour de vous comme les hirondelles avant la pluie. Vous entendez le rire aigre d’une des convives, l’histoire égrillarde du maître de maison, la toux sèche d’une de vos voisines. Vous vous remémorez le goût du rôti saignant, mais pas trop, et de la salade qui l’accompagnait, verte et prolixe. Vous sentez encore les barreaux de la chaise de jardin qui vous entre dans le dos. Mais tout ceci s’efface dans une sorte de brouillard trouble comme un voile de gaze blanc faseillant sous le vent. Vous avez pris le volant sans l’allégresse habituelle et sans les images de détente d’un après-midi de farniente. Vous voici devant votre porte, ouvrant celle-ci après avoir cherché votre clef dans plusieurs poches. Vous entrez et… Qu’allez-vous faire ?

Rien. Non seulement vous n’avez envie de rien, mais rien ne vous attire. Et ce rien devient votre obsession. Rien de rien. Le jardin ? Il fait un peu chaud ! Et puis, quoi faire dans un jardin lorsqu’on a envie de rien ? Rien ! S’installer au salon pour lire un livre ? Mais lequel ? Depuis quelque temps, vous constatez une acédie pour la lecture. Chaque livre commencée ne signifie plus un bon moment d’oubli du monde, mais une lourdeur pénible qui vous fait fermer les paupières à la vitesse de l’éclair. Alors, vous ouvrez le piano, vous vous laissez aller à quelques accords, incertains, pauvres, qui vous cogne la tête et vous embrouillent les idées. A-t-on besoin de notes égrainées dans le désordre pour survivre à une après-midi de dimanche ? Votre double erre comme vous, avec le même manque d’entrain, assise sur le canapé, les yeux dans le vague, souriante, modeste, sans savoir quoi faire. Pour elle aussi, ce rien devient un tout, vide d’objet, vide de sensations, vide de sentiments. Si encore vos deux trous noirs se rejoignaient. Mais non, ce rien reste rien et non deux riens qui pourraient peut-être devenir quelque chose. Vous vous levez. Vous allez boire un verre d’eau à la cuisine pour vous sortir de ce marécage. Mais rien n’y fait. Vous ne ressentez rien. Quel ennui !

Alors vous prenez la décision qui s’impose. Vous montez tous les deux vers votre chambre, vous vous étendez sur votre lit en justifiant cela par la facilité de lecture d’une bande dessinée, seule littérature autorisée ces jours de tremblements du bonnet. Vous mettez quelque temps à trouver de quoi satisfaire votre impécuniosité. Ni à l’eau de rose, ni à l’action éperdue qui offre trop de contraste avec votre acédie. Vous trouvez Lefranc ou un autre héros tout aussi mobilisateur. Mais aujourd’hui cela ne marche pas. Rien n’y fait. Les aventures vous laissent de marbre, froid et lisse comme le dessus de la commode. Vous mélangez ce que vous lisez avec ce que vous avez entendu pendant le déjeuner. Tout cela s’embrouille dans votre tête qui pourtant ne veut pas encore se laisser aller complètement et s’endormir divinement. Vous reprenez le récit sans même savoir ce que vous avez déjà lu. Mais vos mains laissent tomber ce livre trop grand, trop encombrant. Vous vous tournez vers elle, vous la regardez, vous fermez les yeux involontairement, lui tendez la main pour une ultime caresse. Elle n’atteint pas son objectif et elle repose, inerte, sur le drap, rattrapée par le sommeil qui vous envahit.

Vingt minutes plus tard, vous émergez. Vous n’êtes pas éveillé comme chaque matin, en pleine forme à l’ouverture de paupières. Celles-ci ne vous ouvrent pas à la joie de vivre. Mais, progressivement, vous reprenez vos esprits, vous poussez quelques manettes, cherchez à entraîner les poulies de la compréhension. Cela met du temps. Peu à peu vous réalisez que ce dimanche vaut la peine d’être vécue. Vous vous levez, vous buvez un verre d’eau. L’éclair de la fraicheur dans votre bouche vous réveille complètement et vous êtes vif, prêt à entrer dans cette après-midi sacrée qui vous offre ce rien que vous allez transformer en création.

29/05/2014

violence et force

« La force oui, la violence non ! » proclame le cardinal Philippe Barbarin en parlant du film Cristeros qui raconte la révolte des catholiques mexicains dans les années 1926-1926 face à l’action du président maçonnique Calles.

Certes, la différenciation entre la force et la violence est difficile. Il n’y a pas une ligne de séparation bien nette puisqu’elle s’opère selon le contexte de la crise vécue. Alors examinons d’un peu plus près comment se différencie l’emploi de la force et l’usage de la violence.

Le terme force vient du bas-latin fortia, pluriel neutre de fortis, solide, énergique, vigoureux. Au sens ordinaire, il signifie puissance d'action d'un être, capacité de contraindre, énergie potentielle. Il a une acception physique : la force physique est une capacité d'action que l'on évalue objectivement en fonction des effets qu'elle produit ou qu'elle peut produire. Il a aussi un sens moral qui se manifeste par des capacités émancipatrices ou créatrices (détermination, autonomie, indépendance d'esprit...). La force, chez l'homme, n'est donc pas la violence, mais une qualité moralement neutre et dont, seul, l'usage violent peut donner lieu à la réprobation ou à la sanction.

Le mot violence provient du latin violentia qui signifie “ abus de la force ”, de vis, “ force ” ou “ violence ”. Mais il renvoie dans le même temps à violare “ violer ”, “ agir contre ”, “ enfreindre le respect dû à une personne ”. La notion grecque de démesure évoque l’ensemble de ces significations : la violence est hybris, c’est-à-dire abus de puissance, profanation de la nature, fruit de la démesure.

De cette analyse sémantique, on peut tirer deux conclusions :

  1. La force est une capacité d'agir, physique et morale. C'est une qualité que chacun possède à des degrés variables au même titre que la beauté ou l'intelligence. Elle se cultive et la civilisation grecque l'avait élevée au rang de vertu. Elle est nécessaire à la vie puisque pour vivre, il faut agir un tant soit peu.

  2. La violence est un excès d'emploi de la force et est atteinte à la personne. Mais qu'entendre par personne ? N'y a-t-il pas aussi violence contre les animaux et même la vie en général et n'y a-t-il pas violence lorsque les biens publics ou privés font l'objet de violence ? Alors disons que la violence est un exercice abusif des relations de dépendance des êtres entre eux ou avec l'environnement.

28/05/2014

rêve et réalité

Il se tenait droit. Son front couvert de poussière ruisselait de transpiration. Il marchait depuis des heures, perdu dans ces galeries souterraines. Il faisait chaud, trop chaud, et il avait du mal à respirer. Il haletait parfois et s’arrêtait, asphyxié. Ses chaussures lui faisaient mal aux pieds. Il se dit : « Je vis mes derniers instants. Je vais mourir enterré et personne ne saura ce que je suis devenu. Tous ignoreront où ma folie m’a conduit. Mais je ne regrette rien, ni ma peine, ni mon effroi. J’ai marché et je vais en finir avec la vie. Pourtant celle-ci avait bien commencé. J’ai connu la tendre douceur après l’effort, la virginale caresse des êtres de l’autre sexe, la détente de la boisson, l’indifférence des grands, la reconnaissance des sans culottes, le bourdonnement des mouches autour d’un pot de confiture, la lente décomposition de ce que j’avais construit. La face contre terre, j’ai crié mon désespoir et j’ai ri de mes regrets. Quelle absurdité ! Qui donc voudra et pourra me faire revenir sur cette terre acide et froide ? »

Elle dormait lorsqu’un rêve traversa son esprit. Elle le vit errant sous terre, les yeux fous. Eveillée, elle le regardait. Il ne sut qui elle était, mais il sentit cette sollicitude d’un être pour un autre être et il l’appela, dans le noir, à genoux, incapable de faire un pas de plus. Elle s’habilla, revêtit son kimono préféré, s’empara d’une lampe de poche et sortit. Elle se laissa guider jusqu’au puits, enjamba le rebord, mis les pieds dans le seau, fit basculer la corde au fond et se laissa descendre doucement. Peu à peu ses mains furent ensanglantées. Retenir son propre poids lui sembla surhumain. Elle tint bon néanmoins jusqu’au moment où elle toucha le fond du puits. Pas une goutte d’eau, mais un couloir qui s’enfonçait elle ne savait où. Elle attacha la corde au seau, certaine de pouvoir remonter à la force des poignets, alluma sa lampe et partit. « Il est là », se disait-elle pour se donner du courage. Elle le voyait, grand, altier, mais épuisé. Alors, rassemblant ses forces, elle continuait, avançant à petite pas, la soif à la gorge. Au tournant du boyau elle le vit, assis, le dos reposant sur la paroi, la tête entre les mains. Elle s’approcha doucement, murmurant des mots sans signification. Elle avança la main et la posa sur sa tête. « Viens, partons ! » En le soutenant, elle parcourut le chemin  inverse.  Ils arrivèrent au fond du puits. Le seau était là. Elle réalisa qu’elle ne pourrait le hisser à la force des poignets et il était trop faible pour l’aider. Elle cria longtemps, mais personne ne répondit. Elle tenta de se hisser elle-même pour aller chercher du secours, mais retomba deux fois de suite, malgré les lambeaux de sa robe dont elle avait entouré ses poignets. Alors elle s’assit, posa la tête de l'homme sur ses genoux et lui parla avec une douceur extrême : « Nous sommes arrivés au bout de la route. Je t’ai rêvé. Je t’ai cherché. Je t’ai trouvé. Je t’ai porté jusqu’ici. Nous allons vivre nos derniers instants et je suis heureuse de t’avoir connu. Oui l’absurde vaut la peine d’être vécu. Rien de ce qui nous arrive n’est vain. J’ai gagné en confiance. Je réalise que ton appel cette nuit m’a surprise. Je ne m’y suis pas opposée. J’ai suivi ma voie sans faiblir. Et mon cœur est joyeux, libre comme il ne l’a jamais été. J’appelle une dernière fois et nous mourrons la tête haute. » Elle appela plusieurs fois, jusqu’à épuisement.

Lydia jouait dans son jardin. Elle s’assit un moment après avoir couru. Elle entendit les appels, se redressa, cherchant d’où venait le son. Derrière la haie ! Elle se glissa sous les branches, déchira sa robe et poursuivit jusqu’au puits qui résonnait des cris de la jeune femme. Elle se dressa sur la pointe des pieds, se pencha avec précaution et appela : « Il y a quelqu’un ? ».  « Au secours », entendit-elle. « Nous arrivons », cria-t-elle. Rentrée chez elle, elle appela les pompiers et les entendit venir cinq minutes plus tard. Elle pleurait de joie lorsque les deux jeunes gens furent remontés. Ils étaient exténués, hagards et se tenaient par la main sans vouloir se lâcher. Ils se regardaient. Rien ne pourrait plus les séparer. Ils ne parlaient pas. Ils ne pensaient pas. Ils se touchaient et cela leur suffisaient.

Ce jour-là l'amour fit un pied de nez à la mort. Le rêve de la jeune femme était devenu réalité et la réalité devint rêve.

27/05/2014

L'arc de la nuit

De retour sur l’arc de la nuit
J’approfondis ton absence…

Un trou immense s’est ouvert
Sous les pieds de l’infortune…

Perdue la moitié consistante
Qui donne sa dimension
Au jour comme à l’obscurité…

Ici le noir remplace le vert
Le gris implique l’ombre
Courbant les branches
De lourdeur invisible…

Pourquoi chercher toujours
Au-delà de l’invisibilité
La lueur d’une autre
Quand déjà tu t’élances
Et romps avec l’habitude ?

Oui, le silence t’atteint
Et tu pars, vertueuse
Au long de la route,
Inaccessible et distante

Moi, vide et errant
Je reste sur la plaine
Et feuillette le livre
Des jours sans partage

© Loup Francart

26/05/2014

Deux boutons de nénuphar

Deux boutons de fleurs de nénuphar s’agitent dans une eau boueuse. N’est-ce pas un événement ordinaire, sans intérêt ? Pourtant ce matin, j’ai contemplé pendant une demi-heure deux boutons qui dansaient au milieu de la rivière, sans jamais me lasser ni penser à autre chose. Ils sautillaient tous les deux, très proches l’un de l’autre, comme deux êtres humains peuvent le faire s’ils sont attirés l’un vers l’autre. Et rien n’existait autour d’eux. C’était une danse amoureuse, le regard perdu, les bras ouverts, ils regardaient, se rapprochaient, se disaient deux mots avant de s’embrasser en petits baisers, traversés de tremblements discrets comme si, sous l’eau, une force extraordinaire irrésistiblement les amenaient au contact l’un de l’autre, infléchis par un courant discret, fluide, mais ferme, qui les empêchait de se séparer. En tremblant, ils s’embrassaient avec amour et s’étreignaient avant de se séparer sans cependant se quitter des yeux, pour finalement revenir l’un face à l’autre, se mettre à trembler et s’attoucher à nouveau comme aimantés. Et cela durait, durait, sans lassitude, au gré du courant invisible qui leur communiquait cette passion.

Sept heures du matin. La journée commençait sous un soleil radieux, un soleil dégagé de tout souci, dans un air pur et frais. Un instant d’éternité comme on en voit peu ou, peut-être, comme on en perçoit peu, car ces moments supposent un état d’esprit spécial, une fraicheur dans la tête rarissime. Gonflé à l’hélium, on se laisse dériver dans l’ouate claire sans ressentir autre chose qu’une évanescence qui pince le cœur et lui ouvre les portes de la prison quotidienne. J’étais venu pour regarder les carpes qui, habituellement à cette époque de l’année, frayent dans les nénuphars, s’ébattant lourdement, montrant leur dos puissants, éclaboussant la surface de leur ébats. Mais elles n’étaient pas là ou tout au moins je ne les voyais pas. Dans cette atmosphère figée d’un matin de printemps, seuls deux boutons de fleurs non encore ouvertes, frémissaient, se contemplaient, se caressaient avec passion comme deux amoureux transis. J’ai pensé pendant un moment que c’était deux carpes sous la surface qui s’ébattaient, mais cela durait, durait à tel point qu’il semblait impossible qu’elles ne se déplacent pas de quelques centimètres, rompant l’enchantement de cette danse insolite. J’étais hypnotisé en douceur, l’esprit uniquement préoccupé par cette rencontre surréaliste, un homme contemplant l’ébat de deux boutons de fleurs de nénuphars, sans autre préoccupation que cette irrésistible attirance du regard pour les frémissements enflammés qui se manifestait sous ses yeux.

Oui, ce fut un instant d’éternité, un aperçu du paradis, une bouffée d’invisible, très palpable. Je me demande parfois si le paradis n’est pas de ce monde, invisible en raison de nos préoccupations. Faire, faire, nous ne pensons qu’à cela, enfermés dans notre monde personnel, dans notre psychologie de pacotille, alors qu’à chaque instant l’Esprit nous met en contact avec l’invisible et nous offre gratuitement le meilleur de l’univers. Les ravis de ce monde ne seraient-ils pas les seuls sages ?

25/05/2014

Leçon de vie

Chaque instant de la vie peut se transformer en leçon de vie. Mais la plupart du temps, l’on n’y prend pas garde. L’instant s’en va sans que l’on réalise ce qui s’est passé. Plus tard, bien plus tard, cet instant resurgit dans la mémoire et l’on découvre l’importance d’une expérience inédite.

Jérôme avait dans son écurie un cheval fougueux. Dès qu’il lui présentait un obstacle, sa monture ne pouvait s’empêcher de foncer comme un furieux pour le sauter maladroitement. Cela faisait un an qu’il tentait de le calmer. Certes, ce cheval prenait de belles allures, exprimait sa vivacité avec élégance, mais il suffisait d’un changement d’ambiance pour qu’il retrouve sa nervosité et perde pied. Pour lui apprendre à s’équilibrer aux abords des obstacles, il ne le fit sauter qu’au trot, d’abord avec trois barres par terre ce qui le contraignait à se rééquilibrer avant la détente du saut. Puis il lui fit sauter des doubles, de préférence oxer plus droit de façon à l’obliger aussi à l’équilibre dès la réception du premier obstacle. Le cheval développa une détente extraordinaire et sautait sans problème des obstacles importants avec facilité. Cependant, dès qu’il demandait les mêmes exercices au galop son défaut revenait très vite. Il chargeait commun un fou et enjambait l’obstacle en catastrophe. Comme il fallait à tout prix le sortir et le tester, il fut engagé en concours complet, dans une épreuve de niveau national (à l’époque 4ème série). Tout se passa à peu près bien, avec quelque frayeur sur certains obstacles, en particulier ceux présentant un contrebas important. L’un d’eux, une rivière surmontée d’un oxer, fut particulièrement pénible à franchir. Jérôme décida, l’épreuve étant terminée, de lui faire franchir à nouveau dans le calme l’obstacle. Mais ce fut le trou noir. Il ne se souvient que d’une image, le vol sans pesanteur avant de toucher le sol. Réveil dans l’ambulance qui se dirigeait vers l’hôpital au son des avertisseurs d’urgence.

Après un mois d’inactivité, le temps que son corps se remodèle et se réaffirme, il reprit le travail sur le même cheval. Non, il ne songea pas un instant à l’abandonner ou à le confier à quelqu’un d’autre. Il parla un jour avec un adjudant-chef en charge des jeunes chevaux de ses difficultés. Celui-ci lui confia qu’il valait mieux abandonner l’espoir de lui faire faire du complet en raison de ses problèmes de rééquilibrage aux abords des obstacles. Mais ce n’était pas pour autant qu’il fallait arrêter l’obstacle. Ce jour-là, alors qu’ils étaient seuls dans le manège, le vieux maître lui dit : « Je ne vois qu’une solution. S’il court vers l’obstacle, non seulement laisse-le courir, mais pousse le encore plus fort. S’il ne veut pas tomber, il sera obligé de se tasser. » Jérôme n’était pas très rassuré. Mais il n’avait plus rien à perdre. Le maître mit un bon droit d’un mètre quarante et lui dit : « Ne cherche pas à le retenir ou à l’équilibrer. Il doit trouver tout seul son équilibre et il va forcément se tasser sinon il tombera. Au contraire, pousse-le, plus il approche de l’obstacle. » Jérôme se dit qu’il n’avait plus rien à perdre. Soit les choses se passaient comme le maître l’avait dit, soit il devrait abandonner ce cheval. Prenant son courage à deux mains, après une volte au fond du manège, il se présenta sur la ligne du milieu, face à l’obstacle et à la sortie. Le cheval aussitôt accéléra et rien ne vint tenter de le ralentir. Au contraire, son cavalier le poussait vers l’obstacle, ce qui le contraint à raccourcir sa foulée, à s’équilibrer et, après trois ou quatre petites foulées à sauter. Le saut fut puissant et superbement maîtrisé. Jérôme n’en revenait pas. Certes, il ne contrôlait rien, mais tout se passait beaucoup mieux que lorsqu’il cherchait à lui faire reprendre un équilibre. Il recommença plusieurs fois, écoutant les conseils du maître. Ce fut éprouvant pour lui, car il lui fallait agir à l’inverse de ses habitudes, avec une certaine peur au ventre malgré tout.

Les deux compères se donnèrent rendez-vous chaque jour pour poursuivre cette découverte, améliorer la maîtrise de l’abord avec un obstacle, puis deux, puis trois, enchaînés avec des changements de direction. Le cheval fonçait toujours sur les obstacles, mais avait compris qu’il lui appartenait de se choisir son appel. Jérôme prit confiance en lui, et dès que le cheval accélérait vers l’obstacle il le poussait encore plus. Vint le moment où ils décidèrent de le sortir en saut d’obstacles. L’adjudant-chef dit à Jérôme : « Continue à faire ce que tu fais à l’entraînement. N’ai pas peur et tout se passera bien. » Ce ne fut pas un tour de rêve, mais ce fut tout de même un sans-faute rapide. Huit jours plus tard, il bouclait un nouveau sans faute sans difficulté. Un mois après Jérôme engagea son cheval dans un « choisissez vos points », épreuve de saut d’obstacle dans laquelle le tracé du parcours est laissé libre, chaque obstacle délivrant un certain nombre de points selon sa difficulté. Jérôme, maintenant assez confiant dans sa monture, décida de tenter un grand coup : sauter tous les obstacles les plus hauts et rapporter le plus de points possibles. Il gagna l’épreuve avec pas mal de points d’avance sur le second.

Ce jour-là, il comprit la leçon de vie : il y a une marge aussi importante entre la théorie et la pratique qu’entre la pratique et l’art. La théorie n’est que savoir sans connaissance. Elle ne conduit qu’à une certaine pédanterie parce que sans apprentissage de la réalité. Celle-ci est dure, exigeante et contraint celui qui en fait l’expérience à une certaine modestie. Mais le passage de la pratique à l’art est encore plus contraignant intérieurement. Perdre l’arrogance de la certitude pour se laisser guider par quelque chose qui nous dépasse et lui faire confiance. Ne plus se fier à sa connaissance, mais être prêt à recevoir une pleine confiance en soi tout en se sachant que cette maîtrise ne vient pas de soi. Oui, c’est l’Esprit qui nous sort de notre bien-être maladif et nous permet d’acquérir ce que nous ne pouvons atteindre par nous.

Alors, profitons de ces instants merveilleux ne dépendant pas de notre volonté. Ils nous donnent des ailes et le sourire en plus. Et ce qui s’est réalisé ce jour-là en équitation se réalise en toute chose, qu’elle que soit la discipline. Mais cela n’arrive que si l’on a été jusqu’au bout de ses possibilités de travail personnel.

24/05/2014

Thèmes roumains, François Salque et Vincent Peirani

http://www.youtube.com/watch?v=7fX4XGoVgX4


 

Un pot-pourri de musique roumaine, une musique gaie et mélancolique à la fois, à l’image du pays, île de latinité dans un océan slave. Un mariage de langues, de culture, de religion et de musique. Quelle association que le violoncelle et l’accordéon, le sel et le poivre associés dans un plat à l’avant-goût sucré qui progressivement se révèle salé et fort.

Le cœur à fleur de peau vibre dans les premiers accents du thème, un déchirement dans un océan vibrant de souvenirs, qui progressivement devient une exaltation endiablée qui passe du passé au présent jusqu’à faire oublier tous les mauvais moments de la vie et faire remonter au fil des secondes ces instants de bonheur furtif dont on n’arrive plus à se souvenir. Et cela devient de véritables pirouettes sur des nuages chaleureux qui emportent dans d’autres cieux sans larmes, mais d’une mélancolie intense, comme un bonbon aux multiples goûts qui l’on suce les yeux fermés, sans savoir exactement de quoi il est fait.

Merci à ces deux musiciens dont l’association est une lumière qui donne une compréhension immédiate de l’âme de l’Europe centrale.

23/05/2014

Sous la pluie

Sous la pluie de notre déraison
Les regards abrités de tes paupières
Abordaient la venue des saisons
Du métal de leurs facettes altières


L’image vide,
Les mains à la pesanteur de l’âme
Je rêve parfois...

© Loup Francart

22/05/2014

Fuite

C’est bien une fuite vers l’infini qui pointe son doigt vers le spectateur. Ce grain de matière grandit dans le temps et le regard le pénètre, se concentre en son milieu et tourbillonne avec lui. Venu de la nuit des temps, il part vers la froideur des espaces lointains, auréolé de l'admiration du regard des hommes.

 

 © Loup Francart

21/05/2014

Le visage de Dieu, d’Igor et Grichka Bogdanov

Le livre d’Igor et Grichka Bogdanov, Le visage de Dieu, Grasset, 2010, a soulevé de nombreuses polémiques. Hors de cela, il a un avantage. Il met à la portée de tous les réflexions des plus grands savants actuels sur la naissance de l’univers : le Big Bang  et ce qui pouvait être avant celui-ci. Commentant les images de l’univers naissant transmises par le satellite COBE, George Smoot, prix Nobel de physique, s’exclame : « Pour les esprits religieux, c’est comme voir le visage de Dieu ! ». Cependant, aujourd’hui le mystère reste entier. Ce dont nous sommes certains, c’est que l’univers possède un code, les lois physiques, dont l’origine est au-delà de l’univers créé, au-delà du temps et de l’espace qui sont, avec la matière, nés avec l’univers. Paul Davies (The Mind of God, Simon et Schuster, 1992) dit que ces lois ont un caractère abstrait, intemporel, éternel. Il écrit : « J’appartiens au nombre de ces chercheurs qui ne souscrivent pas à une religion conventionnelle, mais refusent de croire que l’Univers est un accident fortuit. L’univers physique est agencé avec une ingéniosité telle que je ne puis accepter cette création comme un fait brut. Il doit y avoir, à mon sens, un niveau d’explication plus profond. Qu’on veuille le nommer « Dieu » est affaire de goût et de définition. »

Au-delà de l’histoire de ces recherches et des récentes découvertes de la cosmologie, Igor et Grichka Bogdanov tente, sans doute maladroitement, mais toute idée nouvelle est perçue comme maladroite, une explication de ce qui a donné naissance au Big Bang. Faisant suite à l’interrogation de George Smoot (Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi y a-t-il de l’Etre ?), ils posent la question de l’ADN cosmique, ce code de l’Univers au-delà du temps, de l’espace et de la matière.

« L’un des objectifs de la science consiste, pour l’essentiel, à réduire la complexité apparente des phénomènes, à leur donner une explication simple. Si vous ramassez une poignée de neige au creux de votre main, vous verrez très vite que chaque flocon est différent des autres. Certaine sont cristallisés en étoiles, d’autres en hexagones, d’autres encore en cercles parfaits couronnés de six petites pointes : tous uniques, les flocons peuvent être ramifiés d’une infinité de formes, ces myriades de combinaisons  vont se résoudre en une réalité très simple, commune à tous les flocons ; il suffit de les faire fondre dans votre mains pour réduite l’infini des figures géométriques à quelques gouttes d’eau ; un soupçon d’hydrogène et un souffle d’oxygène. »

Les auteurs répondent-ils à leur question du chapitre 21, le dernier : d’où vient le Big Bang ? Leur réponse : l’information. Malheureusement cette hypothèse, qui n’est certes pas idiote, est insuffisante pour être prise au sérieux et surtout insuffisamment réfléchie et expliquée, d’autant plus qu’ils ajoutent : « Y a-t-il encore quelque chose au-delà ? Si nous acceptons l’idée que l’Univers est un message secret, qui a composé ce message ? Sans doute l’absence de réponse est-elle écrite dans le message. »

Ont-ils ajouté leur toute petite pierre à la compréhension de notre origine ? Cette réponse semble bien insuffisante et même s'ils apportaient les preuves de leur affirmation, que signifie le terme information ? S’agit-il d’un contenant ou d’un contenu. L’information n’est qu’un terme vide qui ne dit rien du contenu. Ils ont transposé le fait que toute réalité est information pour dire qu’à l’origine de l’univers il y a l’information. Cela rappelle cette affirmation de Proudhon : « Dieu est la force universelle, pénétrée d'intelligence, qui produit par une information d'elle-même, les êtres de tous les règnes, depuis le fluide impondérable jusqu'à l'homme » (Pierre-Joseph Proudhon, Confessions d’un révolutionnaire, Garnier Frères, 1849). Oui, l’information certes, mais laquelle, que contient-t-elle et d’où vient-elle ? Comment aurait-elle pu se fabriquer toute seule ?

20/05/2014

La tourada à Lisbonne, le 14 mai

La tourada est la corrida pratiquée au Portugal, essentiellement à cheval, mais également à pied, sans mise à mort. Trois cavaleiros affrontent chacun un ou deux touros. Aujourd’hui, c’est la réouverture des arênes à Lisbonne  et cela promet.

A l’arrivée dans les arènes, ce sont les cris des anticorridas qui créent l’ambiance. Ils sont parqués entre des barrières de grillage et hurlent leur désaccord. Cela n’empêche nullement les acteurs et les spectateurs de poursuivre tranquillement leurs préparatifs : s’échauffer pour les uns, trouver sa place pour les afficionados.

Dans une abiance excitée, les cortesias commencent, c’est-à-dire les défilés des cavaliers, de leurs quadrilhas et des forcados. Tradition oblige, les cavaleiros sont mis en valeur. Ils défilent en montrant le meilleur d’eux-mêmes et de leur monture : petits galops sur place ou mieux, mais tous ne peuvent le faire, au passage. Les spectateurs applaudissent, criant, excités. Les cavaliers font le tour de l’arêne dans le sens des aiguilles d’une montre (c’est curieux comme la plupart des activités humaines dans une surface en cercle se passent de gauche vers la droite et non l’inverse !). Ils font face au public en permanence dans un galop en appuyé très exagéré qui n’a rien à voir avec l’appuyé des reprises de dressage. Ils mettent en évidence l’adresse de leur monture. Celles-ci sont calmes, habituées au spectacle et aux cris. Les cavaliers sont vêtus d'un habit du XVIIème siècle, étincellant. Ils portent beau et sourient à la foule, levant la main d’un geste de danseuse à la Française. Contraste avec les grupos de forcados, jeunes gens habillés en valets qui, en rang dans l’arêne, ne bougent pas. Ils sont tendus, presque blancs, ils tracent au sol des croix de leur pied droit. On sent cette angoisse des premiers instants quand bientôt tout doit se jouer, mais où rien ne se passe encore. Le défilé terminé, le silence se fait. Un trompetiste, à côté du président de la tourada, sonnent les joues gonflées et le teint rouge, le premier tercio. Le cavaleiro entre seul, vient saluer la présidence, fait quelques tours d’échauffement au galop à droite et à gauche, puis se place devant la porte de sortie du tauro. Il fait signe qu’il est prêt. La porte s’ouvre. C’est le silence après les applaudissements et les cris du public qui a salué son cavaleiro. Mais rien ne sa passe. Dans la plupart des cas le taureau hésite à sortir, il faut le pousser, l’exciter avec les capes. Il sort soudain, et voit sur sa droite les capes agitées par la quadrilha du cavaleiro. Il fonce dessus avec célérité jusqu’au péon qui fait quelques passes à la cape, mais qui n’ont rien à voir avec l’art des toreros espagnols. Il a l’air gauche, éloigne le plus possible la cape de son corps et esquive au plus loin les cornes gainés de cuir du taureau. Ces passes sont d’ailleurs considérées comme des à côtés de la tourada et non rien à voir avec la noblesse des passes du torero espagnol.

https://www.youtube.com/watch?v=y0NQZAuxmF0

Le cavaleiro commence alors son travail ou plutôt se livre à son art. Il débute par la Farpa en fatigant le taureau et en l’observant, puis en plantant sur son encolure une farpa, sorte de petite lance qui se détache du manche en libérant un drapeau qui contraint le taureau à le suivre dans ses évitements des cornes. Le cavaliero change alors de cheval et entame le Tercio des banderilles : quelques provocations, quelques tours où le taureau poursuit le cavalier, puis le défi du face à face entre le taureau et le cheval qui charge pour permettre au cavalier de planter ses banderilles. Celles-ci deviennent de plus en plus petites. C’est le moment le plus important de la tourada, une sorte de ballet entre trois volontés, le taureau déjà essouflé et fatigué par les farpas plantés sur son cou, le cheval et le cavalier qui esquivent les cornes au plus près soulevant les cris et applaudissements du public. Certains cavaleiros pratiquent l’art pour l’art, restant très distants vis-à-vis de ce qu’ils font. D’autres jouent avec le taureau, l’esquivent dans la ferveur des afficionados, encourageant le public à applaudir. Certains exagèrent même cette mise en scène, transformant leur prestation en manifestation virile et macho. Le juste milieu est pourtant une fois de plus ce qui émeut le plus : sérieux, équilibre, domination des émotions. Ce fut le cas avec Pablo Hermoso de Mendonza.

https://www.youtube.com/watch?v=xF01AQv4Fw0

Enfin, le troisième tercio est la pega, effectuée par les forcados, une équipe de jeunes gens qui vont arrêter la charge du taureau à mains nus et l’immobiliser. On les sent nerveux, l’angoisse monte sur leur visage, mais aucun ne montrera réellement sa peur dans cet affrontement où la démonstration de courage représente le but ultime, mais non dit, surtout de la part du premier forcado qui défie le taureau à l’autre bout de l’arêne, l’appelle, l’incite à le charger, l’invective jusqu’à ce que celui-ci se tourne vers lui et le charge d’une ultime poussée de fièvre aveugle. Le forcado ne doit pas bouger, il se retrouve à cheval sur la tête du taureau, entre les deux cornes gainées de cuir pour que les autres puissent arrêter celui-ci à mains nus. C’est un instant de silence étonnant après les clameurs entendues lors du tercio des banderilles. Chaque spectateur s’imagine à la place du forcado, attendant la charge, la forçant, se voyant déjà projeter en l’air d’un coup de tête. C’est un instant d’angoisse quand on entend les défits du forcado qui appelle le touro à le charger. Cela ne dure que très peu de temps, mais qu’il doit être long pour les forcados dont certains roulent entre les pattes du taureau et se font piétiner.

La fin du spectacle consiste à faire sortir le taureau hors de l’arène en l’entourant de vaches portant une cloche jusqu’à ce qu’il les suive. Etonnant dernière partie, car on est propulsé en Suisse un siècle en arrière, mais cela fait partie de la tourada.

Deux heures de communion avec la tradition portugaise, un bain d’émotion pure pour l’afficionado, de maîtrise du dressage pour le cavaleiro et de maîtrise de soi pour les forcados. Oui, c’est beau de grandeur ancestrale, d’élégance féminine et d’envolée macho.

19/05/2014

Automobile

C’est ma maison, nous crie
Le sans domicile fixe
Elle est encombrée de paquets
Elle regorge d’ardeur
Car c’est le seul lieu
Où plus rien ne l’atteint

C’est mon apparence
Dit le vantard aimable
Il la brique chaque jour
Pour mettre en évidence
Son indigence personnelle
Mais sa brillance s’efface vite

C’est mon cheval de course
Regarde ce moteur en V
Il ne traine pas des pieds
Oui, il court plus vite
Que son ombre enfumée
Et pourtant elle reste à ses côtés

C’est mon salon à vivre
Chante la dame emplumée
Elle reçoit deux à deux
Converse aimablement
Et part à la première alerte
D’une atteinte à son hospitalité

C’est l’accueil pour le sans patrie
Elle devient droit d’asile
Ile au milieu des terres
Refuge du contestataire
De la femme opprimée
De l’enfant sans parent

Pour les plus simples
Ceux qui n’ont pas de rêve
Qui n’ont pas l’âme d’un poète
Ce n’est qu’un moyen
De faire don d’ubiquité
Ou même de bilocation

Le permis est obligatoire
Pour laisser l’imagination
Concrétiser ses rêves
La réalité nous rattrape
Tournez la clé dans l’antivol
Et partez tous phares allumés

 © Loup Francart

18/05/2014

Monserrate, un palais à Sintra

Sintra, l’endroit le plus agréable d’Europe, d’après Lord Byron, une ville côtière, perdue dans la montagne, aux jardins exotiques et pourtant anglais, emplis de surprises, de grottes, d’escaliers. On s’y promène comme dans un rêve, hésitant entre monter ou descendre, toujours entre ciel et terre, baignant dans une atmosphère irréelle, volant au-dessus des platebandes et des lacs artificiels.

Le XIXème siècle est omniprésent, siècle du romantisme, de la passion, de l’exubérance, de la folie architecturale qui mélange les styles, les époques, les continents. Monserrate, un palais de style arabo-indien, digne des grandes heures des colonies anglaises, avec un parc éblouissant, création de la famille Cook.

Oui, difficile à lire, mais cela donne une idée de ce qu’est ce parc sublime, pleins de fausses ruines, d’arbres étonnants, de cascades ruisselantes, de pièces d’eau, de plantes exubérantes. On s’attend à voir au détour d’un chemin une élégante anglaise en robe longue et ombrelle, venir à votre rencontre pour vous conter une vie de voyages, de palais et d’hommes extraordinaires brassant des fortunes en se laissant vivre. 

 

 

  

portugal,palais,exotisme,romantisme

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17/05/2014

Tim Eitel, peintre allemand

https://www.youtube.com/watch?v=d3MKxh8BJug

De la réalité à une fiction plus forte que le réel ou de la photographie à la peinture. « Il travaille à partir de photographies prises dans la rue et ses toiles deviennent des fictions sobres et minutieuses qui représentent des personnages solitaires au milieu d’espaces sans noms, mais toujours ancrés dans une réalité contemporaine » (France Culture)

Autre réalité toujours anonyme : un bord de mer, mais est-ce sûr ? Un personnage, une jeune femme, très réelle, qui se noie dans ce paysage et semble errer depuis des jours. Son regard est attiré par l’eau qui reflète le ciel.

Là c’est l’ombre qui produit l’effet insolite de la toile. Une ombre qui envahit la moitié inférieur de la toile et presque toute la partie supérieure. Deux trous dans ces ombres, le green qui marque son territoire stable sur lequel les deux personnages se trouvent et le ciel, pur, presque blanc. Et ce contraste crée toute l’ambiance du tableau.

Ils s’échappent du monde et fuient en ramant  vers l’inconnu. Mais on ne sait de quoi il s’agit. Un mur ou une ouverture sur une autre dimension ?

C’est beau de suggestions latentes. Cette simplicité devient enchantement et transcende la réalité.

16/05/2014

Le fado

Profitons de ce voyage à Lisbonne pour nous imprégner de la culture portugaise. Et qu'y a-t-il de mieux que le fado pour cela!

https://www.youtube.com/watch?v=mpdUMVESHoU


 

Langueur et éclat, mélancolie et rugosité, harmonie et sanglots violents, tels est le fado, un chant obscur, donnant l’ivresse des contrastes, qui raconte le destin de chaque Portugais et, in fine, le destin de tout un peuple.

Son nom vient du latin fatum « destin » et le verbe fadar en portugais signifie prédestiner. Apparue entre les années 1820 et 1840, cette forme de chant était celle des marins qui partaient pour le Brésil. Ce n’est qu’entre les deux guerres mondiales qu’il se développe dans sa forme actuelle. C’est un chant entamé à la volée, improvisé, sincère, criant et criard, racontant les souffrances et les rancœurs du peuple. Il devient une forme de liberté et lutte contre l’Etat totalitaire. Puis il acquiert les galons de la notoriété et le fado devient une forme de chant caractéristique du Portugal, jouée et chantée par des artistes professionnels comme Amalia Rodrigues.

https://www.youtube.com/watch?v=uFgctURyGp4&list=RDqHBk5g_Ei38

 

 

« Silencio, que se vai cantar o fado ! » (Silence, on va chanter le fado !) Il commence par une introduction de guitare, puis s’élève la voix du chanteur ou de la chanteuse, et l’on est pris par cette voix rauque et pure dans les aigus, qui se balance entre le découragement, la tristesse et la rage, l’espoir.

Le fado c’est l’amour sauvage, la mélancolie farouche, la mort apprivoisée. 

15/05/2014

Monde(s)

Il y a deux mondes
L’un, extérieur, s’ouvre sans difficulté
Il apparaît à l’œil
Au sortir de la nuit
Et vous vous y agitez
Comme un poisson dans l’eau

L’autre, intérieur, se cache en vous
Vous ne le savez pas
Et le jour où vous prenez une longue-vue
Pour admirer votre moi
Vous trouvez un monde inconnu
Derrière une barrière franche

Comment l’avez-vous enjambée ?
Vous l’ignorez
Ce nouveau monde est là
En vous, ouvert lui aussi
Tel un puits sans fond
Vous tombez sans parachute
Vous errez dans votre propre moi
Sans connaissance du paysage

Et un ange s’empare de vous
Vous prend dans ses ailes
Ralenti votre chute
Vous aide à contempler
Ce vide immense et lumineux
Où vous respirez l’air chaud
Qui s’échappe du brûleur
Par petits à-coups

Vous vous élevez dans l’air
Surchauffé de bonheur
Jusqu’à vous diluer dans l’azur
Et oublier ce moi
Qui vous encombre
Dans l’autre monde

Désormais plus besoin des béquilles
Du savoir et de l’expérience
Tout vous est donné
Dans cette ascension
Qui commence par une chute

Le tout et le rien se rejoignent
En un équilibre miraculeux

Vous êtes libre
Sans vous soucier de liberté

© Loup Francart

14/05/2014

Certaines n’avaient jamais vu la mer, roman de Julie Otsuka

L’immigration des Japonais aux États-Unis commence à Hawaï en 1884 puis s’étend à la Californie. Cette population, essentiellement masculine, constitue la main-d’œuvre des domaines agricoles de la côte Ouest. Par leur travail et leur organisation14-05-09 Otsukae.jpg communautaire, les nouveaux immigrés acquièrent des terres4 et parviennent à une certaine prospérité qui ne tarde pas à inquiéter les fermiers blancs. Des ligues anti-japonaises se constituent rapidement pour s’opposer au « vol » des meilleures terres, à la « peaceful penetration in continental United States » pour le compte de l’empire japonais. Ainsi, le débarquement des « picture brides », de 1910 à 1921, femmes japonaises qui ne connaissent de leur futur mari que la photographie, est perçu par ces ligues comme une tactique de colonisation. L’immigrant apparaît comme un envahisseur dont le but est de faire main basse sur les possessions des Blancs. (Élise Prébin, « Mémoire des camps américains. L’exemple japonais », Ateliers [En ligne], 30 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2007, consulté le 08 mai 2014. URL : http://ateliers.revues.org/91 ; DOI : 10.4000/ateliers.91)

Julie Otsuka nous raconte l’aventure de ces jeunes femmes japonaises envoyées aux Etats-Unis pour se marier à un inconnu : Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. (…) Sur le bateau, nous nous interrogions souvent : nous plairaient-ils ? Les aimerions-nous ? Les reconnaîtrions-nous d’après leur portrait quand nous les verrions sur le quai ? (…) Sur le bateau chaque nuit nous nous pressions dans le lit les unes des autres et passions des heures à discuter du continent inconnu où nous nous rendions ? Les gens là-bas, disait-on, ne se nourrissaient que de viande et leur corps était couvert de poils. (…) Sur le bateau nous ne pouvions imaginer qu’en entendant l’appel de nos noms, depuis le quai, l’une d’entre nous se couvrirait les yeux en se détournant – je veux rentrer chez moi – mais que les autres baisseraient la tête, lisseraient leur kimono et franchiraient la passerelle pour débarquer dans le jour encore tiède. Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n’y a pas à s’inquiéter. Et nous aurions tort.

Le livre décrit certains moments de leur vie : la première nuit (Cette nuit-là, nos nouveaux maris nous ont prises à la hâte. Avec douceur et fermeté, sans dire un mot.), les blancs (Ne t’approche pas d’eux, nous a-t-on mises en garde. Et si tu y es obligée, sois prudente.), les naissances (Nous avons accouché sous un chêne, l’été, par quarante-cinq degrés. Nous avons accouché près d’un poêle à bois, dans la pièce unique de notre cabane par la plus froide nuit de l’année.), les enfants (Nous les déposions doucement dans les fossés, des sillons, dans des paniers d’osier sous les arbres.), les traitres (On parlait d’une liste. De gens enlevés au milieu de la nuit. Mais tout cela se passait ailleurs.), le dernier jour (Certains des nôtres sont partis en pleurant. Et certains en chantant. L’une avait la main plaquée sur la bouche parce qu’elle avait le fou rire. Certaines étaient ivres.) , les disparitions (Les japonais ont disparu de notre ville).

Chacune de ces situations étaient différentes selon le mari, la région, la fortune de chacune. Elles se tiennent les coudes, mais chacune fonde sa famille, jusqu’au jour où elles doivent partir. La guerre est là, contre le Japon. Tout est dit doucement, avec chasteté, sans arrière-pensée, comme détaché de la réalité qui n’est pas la hauteur de leur espérance.

Un beau livre de par son style d’écriture incantatoire et poétique. Un livre dont il ne faut pas attendre une histoire, mais des prises de vue tantôt sordides, tantôt drôles, tantôt heureuses. Il ne s’y passe rien, mais ce sont toutes les vies de japonaises qui passent devant nos yeux et partent, oubliées. Julie Osaka raconte à sa manière cet épisode qui n’est pas à la gloire des Américains.

13/05/2014

La boite à musique

« Entrez, entrez, Messieurs-Dames ! » Il entra sans savoir pourquoi. Il se promenait sur l’avenue Pratel lorsqu’il se heurta à une foule massée autour d’une porte d’immeuble. C’était un cube tout simple, une construction sans beauté ni même forme. Pourtant tous semblaient espérer entrer. Au-dessus de l’entrée il y avait une pancarte : « Participer au concert, devenez musicien. »  N’ayant rien à faire de cette après-midi ordinaire, il se laissa convaincre de faire la queue pour savoir ce qui pouvait se passer dans ce cube.

Enfin ! Il approchait de l’entrée. Un curieux appareil filtrait les prétendants. Certains étaient rejetés et ressortaient par une autre porte quelques mètres plus loin. Les autres étaient guidés vers un couloir étincelant et lisse qui s’étirait sans qu’on puisse en voir le bout. La personne devant lui arriva à hauteur de la machine. Il introduisit son doigt dans une petite ouverture, entra la tête dans une petite alcôve et appuya sur un bouton, Un tremblement perceptible le parcourut. Il était classé musical et entra dans le couloir. A son tour. Il fit de même. Il introduisit son doigt dans l’embrasure. Rien ne se passa. Il entra sa tête dans l’alcôve. Tout était noir. Le bruit des conversations s’estompa. Un silence impressionnant. Il appuya sur le bouton avec appréhension. Il sentit son doigt danser sans qu’il ne puisse rien  faire et des bruits étranges lui parvinrent. C’étaient des résonnances singulières, des harmoniques insolites, peu en accord avec ce qu’on appelle normalement musique. Il pensa à une plainte collective, mais dont on distinguait chaque son individuellement, de manière très claire, une vibration infime, mais pure, si pure qu’elle le libérait de toute pensée. Une lumière verte s’alluma progressivement dans l’alcôve, dévoilant une entrée pourvue de nombreux escaliers. « Suivant ! » Il avait passé l’épreuve et pouvait entrer dans le cube. Au tournant du couloir, une boutique distribuait des résonophones. Il le passa sur l’épaule comme ces sacs à dos à une seule bretelle et introduisit les deux embouts dans ses oreilles. Poursuivant son chemin, il pénétra dans le hall de l’immeuble. Quelle agitation. Des gens montaient et descendaient sans cesse des escaliers pourvue de paliers où ils s’entassaient avant de repartir vers le haut ou vers le bas. Des lumières assez vives apparaissaient, s’effaçaient, coulaient entre les escaliers, avec un rythme précis. Les patients (d’où tenaient-ils cette appellation ?) suivaient le rythme avec grâce, un sourire aux lèvres, concentrés. Parfois, certains se regroupaient sur plusieurs étages, formant une sorte de chapelet et leur sourire s’élargissait en une transe passagère. Puis chacun repartait vers le haut ou le bas, à droite, jamais à gauche. Si on les suivait du regard, on bouclait le tour du hall et on revenait au point de départ, mais pas forcément à la même hauteur. Tous avaient l’air de savoir parfaitement ce qu’ils avaient à faire. Ils n’hésitaient pas. Monter, à droite, descendre d’un étage, remonter de deux étages et redescendre sans pause ou encore en s’arrêtant sur un des nombreux paliers affectant chaque escalier.

Il se souvint d’un cours de sciences naturelles dans lequel des souris parcouraient des tubes transparents et pouvaient choisir leur destination. Elles étaient gratifiées de petits courants électriques si leur choix se portait sur la gauche. Alors elles tournaient, tournaient jusqu’à ce qu’elles meurent d’épuisement. Quelques générations plus tard (il avait fallu attendre plus d’une année pour le constater), ces souris ne pouvaient plus marcher droit devant elle. Les pattes de gauche avaient forcies, celles de droite s’étaient tassées. Le laborantin n’était jamais arrivé à reproduire le phénomène inverse et les souris préféraient mourir sur place plutôt que tourner à gauche.  Personne ne comprenait ce phénomène, une sorte d’aimantation pour la droite, repoussoir de toute velléité gauchère.

Il se laissa faire par le mouvement qui s’imprimait dans sa tête. Il montait, descendait, s’arrêtait sur tel palier, repartait, avançant vers la droite imperceptiblement. Peu à peu, il se sentit plus léger, plus en forme. Il commença à transpirer, mais très légèrement. Il devait accélérer parfois et d’autres fois ralentir, jusqu’à s’arrêter pendant de petites pauses. Puis il repartait, seul ou avec d’autres, vers un nouvel épisode. Il parcourut quasiment tous les étages, de haut en bas, de gauche à droite, jusqu’au retour au point de départ. Il était soulé, repu, rafraîchi, débarrassé de tout souci, le visage étincelant de bonheur, comme saisi d’une fièvre bienfaisante. Sans qu’il s’en rendit compte, il fut dirigé vers une salle plus petite, à l’éclairage réduit, munie de sièges confortables. Il s’assit, sans un regard pour ces voisins, ferma les yeux et s’endormit aussitôt. Mais était-ce réellement le sommeil, plutôt une sorte de rêverie éveillée qui le maintenait sans volonté. La séance commençait. Il vit d’abord comment s’opérait le choix des patients à l’entrée. Les lignes des empreintes digitales entraient en résonnance. Si cela ne se produisait pas, le passant était rejeté sans explication. Le résonophone ne laissait pas entendre de musique. Il permettait de créer la musique. Le patient ne l’entendait pas, mais il suivait les directives de la partition sans qu’il puisse s’y opposer. Il montait, descendait, s’arrêtait, accélérait, ralentissait, sans même avoir l’impression d’obéir à des ordres précis. Tout ce qu’il faisait lui procurait une grande sensation de liberté. Et il vit l’envers du décor, une petite pièce sans fenêtre où plusieurs techniciens étaient assis face à de nombreux cadrans et boutons qu’ils tournaient dans un sens ou dans l’autre selon des ordres précis. Un chef d’équipe tenait une sorte de baguette de sourcier et s’agitait en cadence en suivant un cahier ouvert devant lui. On montra certaines pages couvertes de signes : des lignes parallèles sur lesquelles se promenaient des ronds noirs ou blancs, généralement pourvus d’une queue dressée vers le haut ou le bas. Certaines se tenaient par la main, formant une sorte d’échelle horizontale qui pouvait se prolonger jusqu’à un rond sans queue qui marquait une pause. Il ne comprit pas grand-chose devant cette petite usine concentrée dans laquelle chacun semblait savoir exactement ce qu’il avait à faire. Parfois, un technicien levait les sourcils, comme sous l’effet d’une sorte de transe. D’autres fois, l’un d’eux se concentrait plus profondément, l’œil vif, le geste délié et entamait une sarabande endiablée. Les autres le regardaient, semblaient approuver, admiratifs de ces mouvements singuliers. Ils s’entendaient bien et donnaient un sentiment de sécurité et de puissance inhabituel.

Le noir se fit dans la salle et une étrange musique le contraint à se concentrer. Il ne put résister. Elle s’empara de lui à tel point qu’il ne savait plus où il se trouvait. Aucun repère visuel et les repères auditifs changeaient sans cesse. Son siège se mit à bouger. Il montait et descendait au rythme de la musique. Il fut pris de vertige. Il se laissa aller, enivré, goûtant cette détente involontaire jusqu’à la fin du morceau. Repu, il récupéra quelques instants. La lumière se fit dans la salle. Il fut invité à sortir. D’autres personnes attendaient leur tour. Il se retrouva dans la rue, encore mal remis de cette expérience étrange, mais somme toute agréable. Le ciel lui parut plus bleu, les rues plus propres, les gens plus souriants, le quotidien plus avenant. Il était passé dans la machine à laver les humains, inventée par les anges qui s’ennuyaient au paradis et qui faisaient de la musique pour se distraire.

12/05/2014

Frissons

Cela vous démange et tous les poils se hérissent au simple regard. Comment s'en débarrasser ? Avez-vous vu comment font les chevaux ? Ils émettent un tremblement si subtil et rapide que toute mouche posée ne peut que repartir. Alors ne posez vos yeux que subrepticement, en intervalles espacées, à votre guise. L'ivresse vous prendra. Dans quoi vous noyez-vous ?

© Loup Francart13-03-16 Frissons.jpg

11/05/2014

L'élégance

L’élégance est-elle synonyme de nostalgie ?

L’élégance trahit-elle un manque de confiance
Ou permet-elle de vivre dans l’ombre du recul ?

Elle est la grâce sans fioriture, froide et altière
Elle regarde le monde sans dédain caché
Mais elle rassemble une indifférence hautaine

Elle est la marque des hommes et des femmes
Qui respirent différemment, plus sûrs d’eux
Et qui vont dans la vie avec l’apparence
Du chat qui tombe d’une fenêtre ouverte

L’élégance, c’est ce geste de la main gantée
Qui dessine dans l’air des volutes parfumés
On sent d’instinct cette odeur sans faille
Fraîche, veloutée, sans faux pli ni faux col
Qui transforme l’être en encens inconnu

L’élégance se cache sous ce regard aiguisé
L’œil franc et solide de l’innocence retrouvée
Elle flotte sur la brume des impressions
Sans s’entacher d’attitudes et de poses
Elle se réfère à une vision lointaine
Et marche sans souci vers ses derniers jours

Certes, l’élégance a des échasses dorées
Elle se tient sans autre forme de procès
Raide et souple, vivante et lointaine
Elle ne soupçonne pas ce vide immense
Qui la différencie des habitudes sauvages
Elle ne cherche pas à communiquer son bien
Elle procède d’un tremblement léger, sans défaut

Et chacun, à voir cet aplomb de marbre
Cette démarche ailée coulant sur le trottoir
Ce sourire désarmant, sans arrière-pensée
Ce remuement du bras en souplesse naturelle
Cette mèche de cheveux jaillie du chapeau
Ce basculement des hanches nourri de certitude
Ressent encore au fond de l’être échaudé
Ce pincement subtil envers la féminité

Car l’élégance est féminine, ronde et avisée
Elle se targue de caresses non dites
Elle s’ouvre sans le dire aux autres
Elle va dans le monde les yeux ouverts
Marche sans faille jusqu’à l’ultime théâtre
Sans crainte et sans reproche, vivante et vraie
Avec l’assurance et l’ambivalence sereines
Du passant qui va et vient sans voir l’autre
Coulant son regard sur l’objet de ses rêves

Oui… L’élégance, c’est ferme et doux…

© Loup Francart

10/05/2014

Le mal noir, roman de Nina Berberova (Actes Sud, 1989)

Alia est jeune. Elle s'est installée pendant plus d’un mois dans la chambre d’Evguéni qui ne désirait qu’une chose, se rendre aux Etats-Unis. Si quelqu’un habite pendant un mois au moins avec quelqu’un d’autre, il peut poursuivre la location sans nouveau bail et sans augmentation de loyer. Alors elle n’hésite pas et s’installe chez Evguéni. Ils s’observent : Elle fumait pensive et silencieuse. Je la regardais. Tout son corps semblait allongé, comme si on l'avait tiré vers le haut. Elle avait des cheveux lisses et courts, des oreilles étroites, un visage ovale, un cou légèrement trop long. Son teint, blanc ou plutôt pâle, était d’une pureté, d’une netteté particulières, et tout entière elle paraissait limpide : ni ses yeux ni son sourire ne laissaient place à l’ambiguïté ni à l’énigme. Sans doute, cela venait de ses yeux noirs, de ce regard clair qu’elle posait sur les choses et, par moment, sur moi.

Et il part pour l’Amérique, sans un regard en arrière. Oui, il regrette Alia, mais rien ne le ferait rester.

Aux Etats-Unis, il trouve un emploi de secrétaire : Votre travail (…) consistera à taper à la machine ma correspondance, en deux langues, et à vous occuper de mes affaires. J’ai deux procès, l’un ici, l’autre en Europe. Ma femme vit en Suisse, je paie toutes mes notes. J’écris mes mémoires. Il faut trier mes archives, classer, ranger dans des dossiers… Ma fille qui vit avec moi refuse de m’aider.

Il fait connaissance avec Ludmila. Elle se livre peu à peu. Elle l’invite à monter chez elle. Ils parlent. Ils se revoient. Je pensai à elle, à cette féminité qu’elle n’avait jamais dévoilée, enfouie au plus profond de son âme, et qu’elle me montrait à présent. A quoi bon ? Qu’allais-je en faire ? Ils se voient chaque jour. Elle se transforme, s’épanouit : Vous savez, Evguéni Petrovitch, avec vous je ne suis plus la même. Personne ne me reconnaîtrait à présent. C’est parce que vous n’avez pas du tout peur de moi. Vous n’imaginez pas le bonheur que c'est de ne pas faire peur.

Et pourtant, elle aussi, il va la laisser partir. Elle lui demande de l’épouser : Epousez-moi, épousez-moi pour toujours. Ne voyez-vous pas que je suis bien avec vous ? Et vous savez pourquoi ? Parce que je change, je deviens authentique comme jamais je le fus, et drôle, surtout maintenant, en cet instant. Ne dites pas non. (…) Vous n’avez peur de personne, pas même de moi. Et vous êtes très heureux.

Une histoire banale, terriblement banale. Un homme qui ne sait pas ce qu’il veut. Deux femmes qui apprécient sa présence. Et pourtant, il part sans regret. Il part trouver la vraie vie. Il pense ne pas la vivre. Je vais vivre pour voir ce que ça donne. Puisque même les morts ressuscitent parfois, alors pourquoi pas moi, qui suis vivant ?

Ce petit livre d’une centaine de pages a un parfum subtil d’innocence, de bonheur caché, de rencontres malicieuses. Le parfum d’une vie banale, d’une vie dont le charme se résume à l’écoulement du temps. C'est vrai, Nina Berberova, pourtant née en 1901 à Saint Petersburg, est très actuelle dans sa manière d'écrire.

09/05/2014

Nocturne n°1 de Frédéric Chopin, interprété par Valentina Lisitsa

http://www.youtube.com/watch?v=c94nySKKoWE 



 

Quelle magnifique entrée du thème balancée par l’accompagnement de la main gauche qui rythme le sujet très libre de la main droite. En un instant nous sommes plongés dans un autre monde, un monde sans souffrance. Trois notes, très simples, une montée d’un ton et sa descente, vous font pénétrer dans le mystère de la création. Votre âme se dévoile, elle devient vivante en vous, elle vole autour de vous et vous entraîne vers les cieux enchantés de l’ignorance de soi-même. Vous n’êtes plus qu’une bulle d’oxygène, enivré d’air pur et vous criez d’aise, fermé au reste du monde.

Disons-le, Valentina Lisitsa vous caresse le fond de l’oreille, avec une douceur inimaginable, en un rythme parfait, avec une retenue légère de la mélodie sur son accompagnement de la basse qui met en évidence cette sensibilité inimitable du compositeur. Chopin est bien le roi des vrais romantiques, un romantisme à l’accent de sincérité et de vigueur qui vous plonge dans les affres d’une imagination débordante et qui vous lave entièrement le cerveau. Le rythme s’accélère, toujours aussi chatoyant, mettant en évidence la volonté ferme du compositeur d’une emprise sur vos sentiments, jusqu’à vous laisser pantelant avec un final qui revient à la paisible certitude du commencement.

08/05/2014

Site Loup Francart

Je viens d'ouvrir un site Internet consacré à la peinture, la poésie et la réflexion artistique.

Vous le trouverez à l'adresse suivante :

http://www.loup-francart.com/#login peinture,art cinétique,optique art,poésie,poème,écriture,art

Il contient les catégories :

* Actualités : exposition en cours ;

* Peintures 

* Numériques

* Poèmes

* Reflexart : réflexion sur l’art

* Biographie

* Contact

Alors, allez faire un tour sur le site !

07/05/2014

L'enfant rieur

Assis, à genoux ou encore debout
Ils attendent comme les lapins à leur terrier
Le dernier rayon de soleil de cette journée
Ignorants et béats ou bien proches d’être fous

Pourtant le jour fut actif, même endiablé
Tout fut fait pour te retourner
Le pivert te cassa la tête sans rien trouver
Tu poursuivis sans même nous regarder

Merci aux farfadets, aux lutins et aux gnomes
Ils choisissent leurs grands électeurs
Parmi la population de leurs grands hommes
Et que choisissent-ils : l’enfant rieur !

N’oublie pas, Marie, le bain bouillonnant
Pris au matin du troisième et dernier jour
Libérée de ton ombre, tu t’avançais en chantant
T’adressant au peuple en dernier recours :

Fraiche, jolie malgré tout, jeune encore
Je vous avertis du grand danger
Tous nous redeviendrons la terre foulée aux pieds
Alors pourquoi tant d’efforts ?

Merci à tous pour ce séjour amincissant
 La lame du rasoir a tranché
Plus ne sera comme avant.
Alors quel enfant rieur accepte de nous guider ?

 © Loup Francart

06/05/2014

Tom Christopher, peintre de New York

Le bruit en premier lieu, le mouvement en second lieu, la valse des éclairages et des publicités en troisième lieu. Une atmosphère, un cri du cœur et, parfois, un regard blasé. C’est New York, vu par Tom Christopher, un américain qui expose à Paris galerie Taménaga, 18 avenue Matignon.

Il peint parfois en noir et blanc, comme pour une vision double, un angle dans le passé, l’autre dans l’avenir. Les bruits en sont atténués, mais restent présents. L’agitation ne cesse pas, mais le spectateur prend du recul. C’est  comme le cinéma muet, vrai, mais avec lunettes psychologiques.

New York devient un terrain de jeu, un monde virtuel que l’on regarde en clignant des yeux : que de fièvre, d’inquiétude, de soucis emmagasinés  dans ces lignes et ces couleurs. Elles attendent le changement de couleurs, prêtes à bondir au-delà du passage pour piétons, emplies de fureur contenue. Cette trépidation vous prend à rebrousse-poil, la peau se hérisse jusqu’au passage au vert… Et vous poussez un soupir de soulagement.

Et toujours la fureur de vivre, l’élan vital, l’exaltation du mouvement. Il n’y a pas un instant de repos. Ce terme n’existe pas à New York. Les yeux doivent vous sortir de la tête. 

  

Et pourtant, c’est le même artiste qui peu auparavant peignait la ville avec l’âme du peintre sur chevalet en jeune homme bien ordonné dans sa tête. Que lui est-il arrivé ?

 

  cow and tom.jpg

 

Et encore quelques années plus tôt, il peignait bucoliquement dans une campagne loin de tout bruit.

Il a trouvé sa voie en faisant table rase. Voilà un homme qui explore toutes les solutions !

 

"Tom Christopher has become to American painting what Count Basie or Duke Ellington became to American popular music, not completely jazz but owning much to Charlie Parker and Charles Mingus."

(Dr. Louis Zona, Director and Chief Curator, The Butler Institute of American Art, Youngstown). Ohio

05/05/2014

Une femme

Elle se tut. Plus rien ne pouvait la faire parler. Elle le regardait, horrifiée. Pourquoi lui parlait-il de César, cet homme qui fit le tour du monde sur un canot pneumatique. Il était mort une nuit d’été, sur une plage, après avoir traversé le Pacifique. On ne le retrouva que quinze jours plus tard, quasiment momifié par le soleil ardent. Il s’était étouffé avec sa langue qui avait grossi par manque d’eau potable. Au bord de la mer !

Elle l’avait connu à San Francisco, plus exactement à Sausalito. Il jouait de la guitare sur la plage, seul, chantant parfois ou plutôt fredonnant, à la manière de Glenn Gould, pour se donner du sentiment. Il l’avait vu, s’était levé, était allé vers elle, l’avait regardé dans les yeux et avait déposé sur ses joues deux baisers tendres. Ils s’étaient assis, il avait repris sa guitare et joué une passacaille de Bach. Elle avait été conquise et était restée avec lui.

Cet homme, César, jouait sans cesse. Le jour, la nuit, il faisait entendre sa complainte et les larmes montaient aux yeux de ceux qui l’écoutaient. Il faisait surgir dans la tête des auditeurs des images captivantes d’îles lointaines, aux falaises inaccessibles, où chacun se trouvait seul face à lui-même, sans peur. Quel réconfort, se voir tel que l’on est sans avoir crainte de souvenirs pénibles. Etait-ce des souvenirs d’ailleurs ? Sûrement pas ! Plutôt une nostalgie d’un passé révolu, une ombre sur la réalité qui doublait le vrai souvenir. Cette musique transformait les pensées, donnait de l’intelligence à ceux qui n’avait pas fait d’étude, rendait beau les hommes et les femmes médiocrement chatoyants, accordait à chacun un plus indéfinissable qui le transformait.

Mais César, un jour, sans crier gare, s’arrêta de jouer. Il perdit la délicatesse de son toucher, l’arrangement des notes entre elles qui charmait ceux qui l’écoutait, ce pincement au cœur qu’il apportait à tout un chacun, gratuitement. Que s’était-il passé ? Il ne sut le dire. Il pleura longuement sur cette perte, mais rien n’y fit. Il partit même en pèlerinage, espérant une faveur du ciel. Mais celui-ci resta muet et inactif. Elle vécut difficilement ces moments de découragement. Elle tentait de l’accompagner, de le soutenir, lui racontant des histoires d’amour et de bonheur. Mais rien ne consolait le musicien de la perte de son talent. Un matin, il lui dit :

– Je vais partir loin d’ici. Dieu m’a abandonné. Je dois tenter de le retrouver, même si j’y perds ma vie.

Elle aurait bien voulu le retenir, mais rien n’y fit. Il acheta un canot pneumatique, fit quelques provisions et un soir, alors que la nuit commençait à tomber, il lui dit au revoir de deux baisers tendres sur les joues, fermant ainsi les instants de bonheur dans une boucle du temps, une bulle intègre qui ne s’ouvrirait plus.

Elle apprit par le journal télévisé qu’il avait traversé l’Atlantique à bord de son zodiac et avait essuyé une tempête. Elle avait regardé sa photo, celle d’un homme usé, presqu’hagard, mais encore jeune et vert. Elle avait pleuré, mais elle savait qu’il était inutile de vouloir renouer. Il cherchait Dieu et il ne le trouvait toujours pas.

Il erra longuement le long des côtes d’Afrique, descendant jusqu’au Cap en plusieurs mois de mer. La photo montrait un homme amaigri, les cheveux rares, mais le regard toujours aussi brûlant. Comment fit-il pour gagner l’Australie ? Personne ne le sait. Un jour, elle vit César, à moitié nu, la peau tannée et parcouru de crevasses, à côté de son canot à Peppermint Grove Beach au sud de Bunbury, entouré de personnes qui le regardaient d’un air admiratif. Bien qu’affaibli, il gardait sa fierté rude qui le distinguait des autres. Il dut cependant se reposer plusieurs mois avant de reprendre la mer pour la grande traversée. La télévision annonça son départ. On le vit monter dans son canot, donner des coups de rames et s’enfoncer dans la brume. On n’entendit plus parler de lui pendant plusieurs mois, jusqu’au jour où le petit écran montra son cadavre desséché, les yeux ouverts sur le monde, raide et beau d’insolite et de désespoir.

Elle pleura quelques jours cet amour qui l’avait entraîné à partager avec lui plusieurs années. Elle rêva de plages inaccessibles, de mers démontées. Elle entendit la nuit des cris d’épouvante, elle eut soif chaque soir avant d’aller dormir, ou, au moins, se reposer sur un lit de fortune. Elle entendit une voix qui lui criait : « Viens, viens, viens… » Elle rencontra celui qui avait connu César lors de son périple. Elle l’écouta, le regarda et sa décision fut prise. Le lendemain, elle acheta un canot pneumatique, dit adieu à quelques amis, regarda une dernière fois le Golden Gate Bridge, et rama sans un regard en arrière, la musique plein la tête, les yeux rougis et le cœur léger. On ne la revit plus. Aucune trace d’elle ne fut retrouvée. Qu’est-elle devenue ? A-t-elle trouvé ce que César cherchait ? Nul ne le sait. Une chapelle fut érigée sur un promontoire. Une plaque gravée annonçait : « Elle n’a cru qu’à Lui, en un homme ou en Dieu ? »

04/05/2014

Le peintre

Cet homme qui ne connaissait rien à la peinture, se dit un jour : « Comment créer un monde que l’on est seul à regarder et qui vous fait vivre dans le bonheur ? » Eusèbe avait beaucoup lu, il jouait de la musique sur un vieux piano, il s’essayait à la poésie, laissant les phrases chanter en lui avant de les transcrire sur des feuilles volantes. Mais tout ceci ne lui donnait pas un toit, un abri dans lequel se réfugier pour savourer la vie. Certes, il connaissait le monde. Il avait même voyagé non seulement en France, mais en Europe, en Afrique et en Amérique. Mais jamais il n’avait trouvé un monde à sa mesure dans lequel il glissait en douceur et laissait la vie s’écouler comme un fleuve.

Il fut entraîné un jour, par un ami, dans une exposition de peinture. Celui-ci lui expliqua que lorsqu’il allait à une exposition, il revêtait son plus beau costume, se parfumait, se peignait et entrait dans la salle d’exposition comme un jeune marié entre dans la chambre conjugale. « C’est une autre monde dans lequel j’entre en catimini. J’y respire à l’aise. J’y croise des gens différents, le regard clair, émerveillés de la richesse des couleurs, ensorcelés par la puissance des traits. Et tout ceci s’ordonne autour de moi. Je fabrique ma maison princière et j’y erre en toute liberté. » Eusèbe s’interrogea : « Quel bel exemple du bonheur. Environné de ce que l’on crée ou qu’un autre crée pour soi, la vie devient une patinoire sur laquelle on glisse jusqu’à la chute finale. On traverse les jours sans connaître les affres de la solitude. On reçoit plus qu’on ne donne, sauf si l’on est soi-même artiste. » Eusèbe décida de s’initier à la peinture. Mais il ne savait quel type de peinture choisir et comment s’initier.

Le lendemain, il choisit soigneusement le musée dans lequel il tenterait de faire connaissance avec la peinture. Un musée d’art classique ? Oui, il connaissait cette peinture sereine, ces paysages sublimes, ces visages expressifs. Mais cela ne le sortirait pas de son monde réel. Il serait un double dans la copie d’un monde connu. Il choisit de sortir des sentiers battus. Un art non figuratif, mais pas complètement abstrait à la manière des tachistes ou des informels. Un art qui s’ouvre sur des paysages irréels, à peine esquissés, que l’on invente en soi en les regardant. Un art d’intuition, un chemin que l’on ouvre et qui vous laisse partir seul sur la route de l’imagination. Cela devint un jour nouveau, qui allait lui dévoiler l’inénarrable : le cocon dans lequel il pourrait laisser sa vie s’écouler avec bonheur. Il revêtit non pas un costume et un pardessus, mais un pantalon chic et sport et un blouson de peau, doux et malléable. Il voulait être flexible, ne rien attendre de ce qu’il connaissait. S’il l’avait pu, il y serait parti nu. Mais la pudeur restait plus forte que l’envie de nouveauté.

Après avoir payé, devant un guichet translucide, à un personnage transparent, il avança vers l’entrée tendant son billet au préposé qui le déchira en deux et ne lui en rendit qu’une moitié. « Ça commence bien ! », se dit-il. Mais il voulait entrer dans un autre monde et peu importait ce qui se passait dans ce monde-là. Il avança et marcha le long des murs, regardant les toiles exposées, laissant son regard s’insinuer d’un tableau à l’autre.

Rien. Il ne se passait rien. Eusèbe avait décidé, avant même de franchir la porte du musée,  de se mettre devant un tableau et de le regarder jusqu’à ce qu’il entre dans celui-ci et le comprenne. Mais encore fallait-il trouver le tableau à contempler. Si son regard n’était pas attiré, son esprit le serait-il ? Vraisemblablement non. Il attendait d’être flashé, de sentir ses cheveux se dresser sur sa tête, d’être pris de tremblement sacré. Et rien de tout cela n’arrivait. Il errait dans le musée sans autre impression que celle de la chaleur qui y régnait. De guerre lasse, il s’assit devant un tableau où des objets enchevêtrés dansaient sans souci de plaire. Ce n’était pas encore du cubisme, ni même de l’abstrait, mais un mélange d’ordre et de désordre, de papiers à musique, de journaux sans titre, de guitares cassées et d’autres objets plus difficiles à identifier. Ombre et lumière, contraste et faux fuyant, il rassemblait les singularités de la peinture moderne, sans que rien cependant ne lui fasse impression. Mais Eusèbe était fidèle à ses promesses. Il avait dit qu’il resterait quatre heures devant un tableau ou au moins jusqu’à ce qu’il ait compris. Alors il resta, regardant le tableau, sans penser à rien de précis. En attente... puis en ouverture… puis en goûteur d’impressions et de sensations.

Il observait cette guitare dont le manche branlant ne pouvait plus résonner d’aucune note. Il examinait cette main qui courrait sur les cordes sans les toucher. Il contemplait le corps désarticulé du musicien et le vit se déhancher en rythme lent. Il scrutait cette invitation à la danse sans comprendre pourquoi elle émanait du tableau. Il devint ce guitariste dont il ne voyait pas le visage, mais dont le corps exprimait la tendresse et la force. Les notes résonnaient en lui, s’imprimaient dans ses sens. Chaque couleur prenait une signification musicale, émettait une mélodie, transperçait son appréhension, lui donnant une approche virtuelle et vivante d’une réalité inexistante. Il était la musique, il était la joie des résonnances, il n’était plus qu’un magicien qui pénétrait dans le cœur et l’âme des autres pour y jeter l’étincelle de la création.

Quelques instants plus tard, il se réveilla, se tâta, se regarda comme s’il flottait entre deux eaux. Il vit le tableau qui étincelait dans cette salle du musée et écrasait les autres. Depuis ce moment, quand il entre dans un musée, il ne cherche pas à apprécier tous les tableaux. Il porte un regard d’ensemble, puis passe devant chacun d’eux, jusqu’à ce qu’il trouve celui qui lui parle, qui le transforme, qui l’éblouit. Il en cherche les raisons et chacune de ces raisons l’éclairent sur l’art pictural. Cette impression simultanée de vide et de plein, de couleurs et d’absence de réalité, il l’entretient, la fait naître en lui, l’analyse jusqu’à ce qu’elle rayonne et le comble d’une joie sans mesure. Peu importe de quel type de peinture il s’agit. Le sujet peut être totalement abstrait ou figuratif, ancien, moderne ou contemporain. Ce qui compte, c’est ce sentiment d’évasion qui le transporte vers une compréhension globale du monde, instantanée, amoureuse et divine.

Le lendemain, Eusèbe pénétra chez un marchand de couleurs, acheta des tubes, un cadre sur lequel il pourrait tendre une toile, un pot de peinture blanche qui servirait d’apprêt. Il rentra chez lui, ferma les yeux et vit le tableau se dessiner, les formes s’imprimer devant sa rétine, s’emplir de couleurs. Il commença à peindre dans une joie et une liberté qu’il n’avait jamais connues. Désormais il pouvait, les jours difficiles, s’abriter dans sa maison colorée et partir loin des soucis du monde.

03/05/2014

L'âme

Si vous ouvrez le dictionnaire
L’âme serait un principe...
Celui-ci serait-il réel ou imaginaire ?
Est-ce un axiome qui participe ?

Alors pourquoi certains l’égarent ?
Ont-ils une poche secrète
Ou errent-ils, fumant leur cigare
En attente de révélations indiscrètes ?

D’autres la vendent au diable
Et courent le monde, nus
Leur ombre devient falsifiable
Ont-ils été ou ne sont-ils plus ?

Et toi, individu ou créature
Sens-tu en toi ce double aimable
Devenu ta réelle signature
Et qui te rend si fiable

L’âme, personne ne la touche
Aucun ne la voit des yeux
Mais si tu pars à la retouche
N’oublie pas ce double irrespectueux

Il est toi-même et mieux
Il t’encourage et prend son envol
Va avec lui sans crainte d’adieu
Il fait de toi un bénévole...

Sur terre comme au ciel
Où donc loge-t-on l’âme
Dans un corps immatériel
Ou dans le cœur d’une femme ?

Ne pleure plus, ô mon âme
Tu peux quitter la chair
Ne crains pas la césure de la lame
Abandonne ce triste partenaire !

© Loup Francart

02/05/2014

L’art contemporain, une manière de communiquer ou de se différencier

Dans un petit livre intitulé « André Masson », Hubert Juin (Le musée de poche, 1963) écrit : Tout se passe comme si l’homme contemporain, lassé par le prodigieux  galop de l’art de peindre refusait dorénavant de mettre son cœur dans l’objet de sa contemplation. Ou, du moins, s’il met son cœur dans l’objet de sa contemplation, c’est en secret, au centre d’un domaine préservé et réservé : l’œuvre d’art ne lui est plus un moyen de communiquer, de retrouver les autres et le monde, mais au contraire de se séparer. Il ne contemple plus un tableau dans la chaleur de se trouver, par cela même, des semblables ; il le contemple pour s’enchanter de sa différence, de sa séparation. La peinture (…) lui devient occasion de fuir, permission de démissionner de l’œuvre commune (œuvre commune qui, elle, n’étant point œuvre d’art, devient l’extérieur même). Contemplant dans sa solitude, c’est plus de sa solitude que s’enchante le spectateur que de l’œuvre.

Notons d’abord que cette réflexion est quelque peu ambiguë. Hubert Juin parle-t-il du peintre ou du spectateur ? A la lecture de la dernière phrase, on constate qu’il évoque le public. L’art moderne (cela a été écrit en 1963) serait ainsi plus l’occasion, pour ceux qui entrent dans les galeries, d’être en retrait de la vie sociale que d’entrer en relation avec l’autre. L’art classique, entendez l’art qui reproduit la réalité, est un art de réjouissance en commun de la beauté de la nature, de l’homme et de la civilisation. Il ouvre à la convivialité ou, au moins, à la compréhension commune de cette réalité. L’art moderne, que chacun peut comprendre comme il l’entend, à sa manière, devient un art qui divise, qui individualise. Il n’exclut pas forcément, mais il ne rapproche pas par une entente commune d’un même thème. Le seul rapprochement qu’il procure est un rapprochement d’esthète, c’est-à-dire d’amateurs qui seuls peuvent comprendre la peinture actuelle. Les autres, ceux qui ignorent l’art moderne et contemporain, ne peuvent accéder à la sublimation de cette compréhension. L’art moderne fabrique donc une élite, fière de l’être qui s’enchante de sa différence, de sa séparation. Et cette élite se fabrique son propre langage, sa propre explication de l’œuvre. Elle communique non pour retrouver les autres, mais pour montrer qu’elle a une vision différente, qu’elle est seule à pouvoir interpréter l’œuvre et à l’apprécier.

Pour l’artiste lui-même, en est-il de même ?

J’ai la pudeur de penser que l’artiste, qu’il soit contemporain ou des siècles passés, ne pose pas la question de cette manière, du moins pour une majorité d’entre eux. Certes, un certain nombre d’artistes, autoproclamés ou reconnus puisqu’ils gagnent de l’argent, ont la même approche que leur public : l’art le montre différent, supérieur pourrait-on dire. L’artiste est un éclaireur qui offre à ses contemporains une nouvelle vision du monde que le public se doit d’accepter et de suivre. Ainsi la valeur de l’œuvre n’est plus dans l’œuvre, mais dans l’idée qu’elle représente : une vision particulière et unique. Cependant, n’en était-il pas de même pour l’artiste classique, même si celui-ci se doit d’entrer dans la vision commune et d’y exceller. L’artiste, pour s’affirmer, doit apporter malgré tout un style particulier, même dans l’art classique. Mais ce style ne concerne que sa peinture et non sa vision de la vie. En fait, moins l’art exprime la réalité, plus l’artiste cherche à imprimer sa vision du monde dans son œuvre. N’est-ce pas bizarre ?

Mais pour la plupart des artistes, l'art n'est pas dans l'idée de l'art et, au-delà, du monde, mais dans la joie physique et spirituelle de peindre. C'est une respiration qui lui permet d'exister, qui n'a rien à voir avec une philosophie, quelle qu'elle soit. Et même si cette joie ne transparaît pas tous les jours dans la vie d'artiste, elle illumine les jours et accomplit l'homme. C'est cela qui permet à l'artiste de continuer à exercer son art.