02/05/2014
L’art contemporain, une manière de communiquer ou de se différencier
Dans un petit livre intitulé « André Masson », Hubert Juin (Le musée de poche, 1963) écrit : Tout se passe comme si l’homme contemporain, lassé par le prodigieux galop de l’art de peindre refusait dorénavant de mettre son cœur dans l’objet de sa contemplation. Ou, du moins, s’il met son cœur dans l’objet de sa contemplation, c’est en secret, au centre d’un domaine préservé et réservé : l’œuvre d’art ne lui est plus un moyen de communiquer, de retrouver les autres et le monde, mais au contraire de se séparer. Il ne contemple plus un tableau dans la chaleur de se trouver, par cela même, des semblables ; il le contemple pour s’enchanter de sa différence, de sa séparation. La peinture (…) lui devient occasion de fuir, permission de démissionner de l’œuvre commune (œuvre commune qui, elle, n’étant point œuvre d’art, devient l’extérieur même). Contemplant dans sa solitude, c’est plus de sa solitude que s’enchante le spectateur que de l’œuvre.
Notons d’abord que cette réflexion est quelque peu ambiguë. Hubert Juin parle-t-il du peintre ou du spectateur ? A la lecture de la dernière phrase, on constate qu’il évoque le public. L’art moderne (cela a été écrit en 1963) serait ainsi plus l’occasion, pour ceux qui entrent dans les galeries, d’être en retrait de la vie sociale que d’entrer en relation avec l’autre. L’art classique, entendez l’art qui reproduit la réalité, est un art de réjouissance en commun de la beauté de la nature, de l’homme et de la civilisation. Il ouvre à la convivialité ou, au moins, à la compréhension commune de cette réalité. L’art moderne, que chacun peut comprendre comme il l’entend, à sa manière, devient un art qui divise, qui individualise. Il n’exclut pas forcément, mais il ne rapproche pas par une entente commune d’un même thème. Le seul rapprochement qu’il procure est un rapprochement d’esthète, c’est-à-dire d’amateurs qui seuls peuvent comprendre la peinture actuelle. Les autres, ceux qui ignorent l’art moderne et contemporain, ne peuvent accéder à la sublimation de cette compréhension. L’art moderne fabrique donc une élite, fière de l’être qui s’enchante de sa différence, de sa séparation. Et cette élite se fabrique son propre langage, sa propre explication de l’œuvre. Elle communique non pour retrouver les autres, mais pour montrer qu’elle a une vision différente, qu’elle est seule à pouvoir interpréter l’œuvre et à l’apprécier.
Pour l’artiste lui-même, en est-il de même ?
J’ai la pudeur de penser que l’artiste, qu’il soit contemporain ou des siècles passés, ne pose pas la question de cette manière, du moins pour une majorité d’entre eux. Certes, un certain nombre d’artistes, autoproclamés ou reconnus puisqu’ils gagnent de l’argent, ont la même approche que leur public : l’art le montre différent, supérieur pourrait-on dire. L’artiste est un éclaireur qui offre à ses contemporains une nouvelle vision du monde que le public se doit d’accepter et de suivre. Ainsi la valeur de l’œuvre n’est plus dans l’œuvre, mais dans l’idée qu’elle représente : une vision particulière et unique. Cependant, n’en était-il pas de même pour l’artiste classique, même si celui-ci se doit d’entrer dans la vision commune et d’y exceller. L’artiste, pour s’affirmer, doit apporter malgré tout un style particulier, même dans l’art classique. Mais ce style ne concerne que sa peinture et non sa vision de la vie. En fait, moins l’art exprime la réalité, plus l’artiste cherche à imprimer sa vision du monde dans son œuvre. N’est-ce pas bizarre ?
Mais pour la plupart des artistes, l'art n'est pas dans l'idée de l'art et, au-delà, du monde, mais dans la joie physique et spirituelle de peindre. C'est une respiration qui lui permet d'exister, qui n'a rien à voir avec une philosophie, quelle qu'elle soit. Et même si cette joie ne transparaît pas tous les jours dans la vie d'artiste, elle illumine les jours et accomplit l'homme. C'est cela qui permet à l'artiste de continuer à exercer son art.
07:14 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, artiste, classique, moderne, contemporain, esthétisme, philosophie de l'art | Imprimer
16/04/2013
Maurice Estève, au salon du dessin 2013
Manifestation de renommée internationale, ce salon rassemble galeristes français et étrangers, experts, collectionneurs, amateurs ou simples spectateurs au palais de la Bourse à Paris. Le décor est soigné, les personnes présentes sont élégantes, les dessins fins et racés. La grande majorité vient des XVIII et XIXème siècles. Mais quelques stands sont dédiés au XXème.
Une fois encore, la galerie Applicat-Prazan se distingue. Son stand se situe à droite en entrant et se remarque immédiatement par la couleur inimitable des tableaux de Maurice Estève (1904-2001). Une féérie qui tranche avec les autres exposants. Comme pour la FIAC, son propriétaire, Franck Prazan, consacre son exposition à un seul artiste, un merveilleux coloriste, dont l’agencement des formes n’a d’autres buts que de mettre en valeur les ajustements de couleurs.
Estève a reçu la reconnaissance du monde entier à travers de nombreuses expositions. Son œuvre, très tôt dans son parcours, fût remarqué par ses aînés : Braque, Matisse, Delaunay ou Picasso.
Ses admirables dessins, ses non moins étonnantes aquarelles et ses savoureux papiers collés sont présentés dans la galerie Lejuge en lumière tamisée et, dans un souci de conservation, sont renouvelés tous les trois mois. » (source : http://www.ville-bourges.fr/site/culture--loisirs_musee-esteve)
Sur sa façon de travailler, Estève précise: «…Je ne me sers jamais d’esquisse, je peins directement sur la toile, sans dessin préalable. La couleur s’organise en même temps que les formes. Tout se cherche dans le format en chantier… Chaque œuvre est une suite de métamorphoses… En vérité une toile est pour moi une somme de reprises incessantes qui dure jusqu’à ce que je me trouve devant un organisme que je sens vivant. Seule ma sensibilité peut me dire si j’ai atteint ou non cette reconnaissance…
Une des choses qui me caractérise le plus est qu’il n’y a pas chez moi d’image préétablie, pas de forme que je souhaite obtenir à priori sur une toile. Au moment même où je peins, il s’opère un échange, une conversation s’établit entre moi et le tableau au fur et à mesure que celui-ci s’organise… N’ayant plus le spectacle de la nature sous les yeux, ni son souvenir, je me trouve en face de l’art, d’une réalité, d’un objet qui a grandi et qui est plus tyrannique encore qu’un sujet, mais en même temps plus souple, obstiné et ouvert.»
Estève n’a pas de style, ou plutôt il a son style, inimitable de formes entremêlées sans but apparent, composition d’objets disparates, ronds, carrés, allongés, entortillés les uns dans les autres. Il peint sur la toile ou le papier, à l’aquarelle, au fusain, à l’encre, aux crayons de couleurs, au crayon gras. Parfois il colle les morceaux pour réaliser de véritables fééries. Et de la couleur naît l’âme du tableau, vive, transcendante, des rouges sublimes, des bleus profonds ou voilés, des verts tendres et transparents.
Vous vous concentrez sur un tableau et vous vous sentez transformé, dans un état de soulagement qui vous fait oublier les lourdeurs de la vie. Le peintre de la liberté retrouvée : un coup d’œil et vous êtes mieux, libre et enchanté. N’est-ce pas un peintre unique ?
07:45 Publié dans 21. Impressions picturales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, dessin, papier collé, abstrait, moderne | Imprimer