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20/09/2015

Art et spiritualité

L’art est spirituel ou n’est pas.
Père Marie-Dominique Philippe

Deux jours d’exposition pendant lesquels je ne suis attentif qu’à une seule chose : transmettre le tremblement de l’être devant la vie et la création. Quelle exigence et combien cela est difficile !

Tout d’abord laisser parler l’autre. Se taire et regarder ce qui en lui est ému ou indifférent. S’il est ému, lui demander doucement ce qui l’émeut. Il ne sait pas, bien sûr, mais il se sait ému. Alors le guider dans cette quête de soi qu’est l’approche d’un tableau.

Le plus souvent, devant l’incompréhension des formes et des couleurs sans représentation d’une réalité connue, la personne est perdue. Elle vous dit : cela me rappelle telle chose ou telle autre chose. Elle fait l’effort de chercher à quoi ressemble ce qu’elle a sous les yeux. Elle voit une forme et cette forme évoque en elle tel souvenir ou telle image. Elle voit une couleur et cette couleur lui rappelle tel ou tel sentiment ou telle et telle émotion. C’est normal. L’adulte juge ce qu’il voit à travers ce qu’il connaît. L’enfant seul est innocent, car il ne peut se raccrocher à ce qu’il connaît. Il éprouve donc une émotion originale et nouvelle devant ce qu’il ne connaît pas. Il n’a pas encore appris à juger le monde par ce qu’il sait du monde. L’adulte ne regarde pas vraiment le monde. Il le regarde à travers sa vision propre. Vous vous êtes bien sûr promené dans une rue que vous connaissez parce que cela fait des années que vous y passez. Et un jour, vous découvrez un détail que vous n’aviez jamais vu. Ce détail transforme votre vision de cette rue. Elle vous paraît nouvelle, belle de surprises. Elle vous a étonné et cet étonnement vous a transformé. Première expérience : l’étonnement devant ce que l’on connaît et découverte d’une autre réalité derrière celle connue.

En réalité, la personne se raccroche à une réalité objective au lieu de se laisser aller à une subjectivité rafraichissante et sans souvenir. Deuxième expérience : sortir de la vision d’un monde objectif qui existe sans nous auquel l’esprit se raccroche en se croyant objectif. Le monde est ce que nous croyons qu’il est jusqu’au jour où on le découvre autre, mystérieux, cachant un invisible au-delà du visible. Là nous sommes touchés et ne savons que dire parce que nous éprouvons un sentiment autre que ceux auxquels nous sommes habitués. Un vide se crée en nous que nous ne pouvons nommer, mais qui nous fait du bien parce qu’il renouvelle notre sens de la vie. La vie est autre que ce que nous avons cru jusqu’à maintenant. Elle cache un mystère qu’il va falloir découvrir.

L’art déjà a fait la moitié de son travail : l’éveil à une autre réalité, apaisante et bouleversante. Mais qu’est-ce ? La recherche personnelle de ce qui nous touche dans la contemplation d’une œuvre d’art va nous permettre d’aller plus loin. L’œuvre nous questionne : écouter les questions, c’est l’objet des deux premières expériences. Il faut maintenant y répondre, c’est-à-dire se laisser guider par autre chose que notre intelligence objective et notre connaissance du monde habituel. Là, l’œuvre d’art abstrait amène la personne à s’interroger d’une autre manière que de tenter de reconnaître ce qu’il a l’habitude de voir. Ne pouvant retrouver ce qu’elle connaît, elle doit s’interroger autrement. Je ne vois rien de connu et pourtant cela m’émeut. Pourquoi ? La personne se décourage très vite. Elle ne sait pas pourquoi elle aime ou n’aime pas et ne trouvant pas de réponse, elle laisse tomber. Je ne sais pas, dit-elle. Il faut l’encourager à aller au-delà. Elle se pose alors des questions techniques : pourquoi cela est-il peint ainsi et pas autrement ? Pourquoi y a-t-il une symétrie entre telle et telle partie du tableau ? Pourquoi lorsque je regarde là je vois telle perspective et lorsque je regarde ici y en a-t-il une autre ? Oui, pourquoi ne pas encourager cette façon de se poser objectivement les raisons de son émerveillement ? C’est une troisième expérience : chercher dans la technique de la peinture ce qui est source d’émerveillement.

Mais très vite la personne se rend compte que cela ne suffit pas à expliquer son étonnement qui en fait se trouve au-delà de la technique. Je contemple le tableau et j’éprouve un vide en moi et ce vide est bon. Il me sort de moi-même. Je suis transformé, je ne sais pourquoi, mais combien est bonne cette émotion que les intellectuels appellent émotion esthétique. Peu importe comment elle est appelée. Elle me transforme et j’en suis bien. Quatrième expérience : c’est une expérience qui n’en est pas une ou plutôt qui est différente. Je n’apprends pas quelque chose. Je vis autre chose. Ce n’est pas un concept que je vais ensevelir dans mon cerveau. C’est un état d’être nouveau que j’éprouve et que j’aime et qui n’est pas lié à mon savoir. Il est subjectif et donc sans intérêt, pensent la plupart des gens. Eh bien non, il est objectif au-delà de l’objectivité construite par notre connaissance. Il est objectif parce qu’il me pose en tant qu’être différent de celui que je suis habituellement. Il est objectif parce qu’il me change et m’oblige à voir autrement, comme je n’ai jamais vu. C’est l’expérience du tout autre, ce que certains appellent le numineux, d’autres l’invisible ou le nuage d’inconnaissance ou encore l’expérience mystique. Peu importe comment on l’appelle. Cette expérience me renouvelle et m’offre une nouvelle vie, ne serait-ce que pour une minute, voire une seconde.

Voilà pourquoi j’aime accompagner chaque personne devant la découverte d’un tableau. En fait je n’explique rien, je le laisse découvrir en lui cet être inconnu qu’il va ensuite tenter de retrouver, d’apprivoiser pour progressivement se fondre en lui.

06/09/2015

Le nombre manquant (récit insolite 13)

         Trois heures du matin. Un coup de fil me réveilla. C’était Vincent.

– Ils ont recommencé, m’annonça-t-il.

– De quoi me parles-tu ?

– Les pirates. Ils sont à nouveau entrés dans notre base malgré toutes précautions prises.

– Comment le sais-tu ?

– A nouveau, le terme zéro est devenu orez. Dans tous les documents et pas seulement dans un des ordinateurs du réseau. Ce qui signifie qu’ils connaissent notre système de sauvegarde et qu’ils peuvent modifier nos fichiers sans aucune difficulté.

– Ce que je ne comprends pas, c’est le pourquoi de ce changement de nom. Es-tu sûr qu’il n’y a pas d’autres modifications ?

– Absolument sûr ! J’ai passé ma soirée à vérifier avec le comparateur. Je n’ai vu que cette différence.

– C’est peut-être un message que l’on cherche à nous faire passer.

– Peut-être. Mais il est bien incompréhensible. Cela peut aussi être l’œuvre d’un mauvais plaisant qui cherche à nous prouver son habileté. Enfin, et ce serait plus inquiétant, ce peut-être une affaire beaucoup plus sérieuse. Un espionnage qui laisse intentionnellement une trace pour voir nos réactions et anticiper. Ceci pourrait alors être l’œuvre soit d’un niveau étatique, soit du niveau d’une organisation inconnue qui cherche quelque chose, mais quoi ?

– Si c’est cela, nous sommes mal partis, constatai-je. Que comptes-tu faire ?

– Pour l’instant je ne sais. Mais nous devons en discuter, donc nous réunir très rapidement et nous poser la question de l’action à mener.

– Cela me semble logique. On se réunit aujourd’hui ?

– Oui, cet après-midi, à quatorze heures. Tu peux ?

– Oui, aucun problème. Alors, à cet après-midi.

Notre petit groupe se réunit après le déjeuner : analyse, hypothèses, recherche de solutions. Mais peu de choses en sortie. Il fallait en savoir plus sur les intentions de l’auteur du piratage et rien pour l’instant ne nous avait mis sur la voie.

– Tendons-leur un piège, dit tout à coup Mathias. S’ils tombent dedans nous saurons qui ils sont et ce qu’ils veulent.

– Excellente idée, mais quel piège et comment les attirer ? répliqua Vincent.

– La première des choses est de savoir ce qui les intéresse dans nos recherches, dit Claire. Est-ce l’aspect scientifique, la numérologie et la cosmologie ? Est-ce l’aspect métaphysique, les notions d’infini vues par les philosophes ? Est-ce l’aspect ésotérique, les confusions possibles entre le zéro, le néant, l’infini et le tout ? Pourquoi ne pas mettre dans un nos textes récents une allusion à une découverte fondamentale dont on ne mettra que quelques bribes qui attireront les pirates et nous révèleront leurs motivations.

– Qu’est-ce que vous proposez concrètement, demanda Vincent, toujours avec une pointe d’ironie vis-à-vis de l’intruse, comme il l’appelait lorsqu’elle était absente.

– Pourquoi tout d’abord ne pas tenter de savoir s’ils sont intéressés par l’argent, le pouvoir ou la renommée, dit Mathias, avant de savoir quel est le sujet de leur recherche.

– L’idée de Claire me semble excellente, dis-je. Que vaut-il mieux ? Rechercher le sujet ou le mobile. C’est à étudier. Il faut maintenant que chacun réfléchisse à la manière d’attirer nos faussaires. Coupons à nouveau notre base du réseau et mettons-nous au travail. Rendez-vous dans deux jours chacun avec une proposition acceptable. Nous choisirons ce qui nous semble le meilleur.

L’ensemble des participants acquiescèrent. Vincent fit cependant remarquer que mettre à l’abri la base de données donnerait une indication claire aux pirates. Nous savons que nous avons été piratés et nous nous posons la question de savoir ce que nous devons faire. Peut-être valait-il mieux faire comme si nous ne nous étions aperçus de rien et chercher la parade sans donner l’alerte.

– Je pense qu’il a raison, dit Mathias. Evitons de nous servir de la base et ne nous contactons pas pendant quelques jours en faisant semblant d’être très occupés à autre chose.

Sur ces recommandations, la séance fut levée.

03/09/2015

Le nombre manquant (récit insolite 12)

            J’avais toujours été intrigué par l’aspect mystérieux de certains chiffres qui peuvent se transformer en lettres. Ainsi en est-il du chiffre Un et de la lettre Aleph, première lettre de l’alphabet hébreu. Je n’avais jamais eu le temps de creuser cette révélation d’un mariage entre chiffre et lettre. Voyant Claire prête à s’intéresser à toute sorte de sujets, je la priais de centrer ses recherches sur ce mystère.

Deux jours plus tard, lors de notre réunion hebdomadaire, elle fit part de sa découverte. Elle avait lu un article écrit par Rav Yits'hak Jessurun, du Centre d'Etudes Juives Ohel Torah, et en avait tiré des éléments intéressants.

– Il explique que la lettre "Aleph" ne se prononce pas. C'est une lettre muette. Une lettre sans sonorité ou expression orale. L'existence de cette lettre provient uniquement de son silence, de ce qu'elle permet à d'autres lettres de suivre et de ce qu'elle permet aux voyelles (qui dans la langue hébraïque ne sont pas proprement des lettres) de s'associer à elle. Alors, pourquoi une lettre muette ? Pourquoi la langue hébraïque conserve-t-elle un signe qui, en fin de compte, est une "non-lettre" ? Certes, bien d'autres langues connaissent ce phénomène, comme la langue française qui possède un "H" muet et un "E" muet. Mais là cette lettre est intentionnellement muette. L’ "Aleph" est un caractère de silence qui précède les autres lettres, celles de la parole.

– Tout ceci est sans aucun doute très intéressant, mais je ne vois pas ce que cela peut nous apporter dans nos recherches, dit Vincent, toujours très pragmatique.

– Si justement. Dès l’instant où l’Aleph représente le silence, c’est-à-dire l’absence de parole, on pourrait penser que le chiffre qu’elle représente est le Zéro. Or il n’en est rien. Elle représente le nombre Un. Aleph comme E’had (=Un). E’had, c’est l’Un, l’Unique et l’Unicité. Ne trouvez-vous pas extraordinaire qu’un mot qui ne se prononce pas soit assimilé au Un, c’est-à-dire au Tout mystique, voire à Dieu, Un et insaisissable ? L’Aleph est l'âme de l'alphabet hébreu et c'est elle qui anime cette langue en insufflant l'immanence divine à toutes ses lettres et à tous ses mots !

– Tout ceci me semble très embrouillé, dit Mathias. J’avoue que pour l’instant, cela ne m’apporte que des maux de tête. Comment une seule lettre, même la première, peut-elle résumer la philosophie de l’existence du monde et unir le Un et le Néant ?

– Je n’ai pas parlé du néant. Je n’ai parlé que du silence dans le bruit des mots, du contraste existant entre le son et l’absence de son, et, in fine, du rapprochement des contraires. N’est-ce pas ce dont vous m’avez parlé lors de mon initiation à vos recherches ?

– Vos dernières explications m’ouvrent de nouveaux horizons, dis-je, même si elles restent encore très obscures. J’avoue avoir été dubitatif dans vos premières explications, mais je pense qu’effectivement il y a là quelque chose à creuser. Bravo, Claire, vous avez montré votre perspicacité. Vous méritez réellement de faire partie de notre groupe. Je pense que nous pouvons vous laisser encore un peu de temps pour poursuivre les recherches sur cette énigme de l’alliance du Rien du Tout et de l’abime infranchissable entre le Un et le Zéro.

– Avez-vous lu la nouvelle de Georg Luis Borgès, l’Aleph ? Cette nouvelle me semble intéressante. Elle illustre la possibilité pour un humain de saisir, à travers un point de l’univers, sa totalité. Ce point, c’est l’Aleph, une lettre qui ne se prononce pas (c’est moi qui tire cette conclusion), parce que l’écrivain ne peut décrire ce qu’il a vu : « Ce que virent mes yeux fut simultané, ce que je transcrirai, successif, car c’est ainsi qu’est le langage ». Et que vit-il : « L’Aleph est le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles. » En un regard, le Tout visible, la totalité du cosmos en un seul point.

– C’est effectivement une approche intéressante, mais j’avoue que pour l’instant je ne vois pas ce que nous pouvons en faire, dit Mathias.

– Avant de construire une vision d’ensemble, dit Claire, on construit des petits bouts de vérité qui constituent une première cohérence. Ce n’est qu’ensuite, que cette cohérence s’étend à plusieurs petits bouts, jusqu’au moment où tout cela fabrique un ensemble  ou plutôt des ensembles ayant une cohérence globale inattaquable. Contentons-nous de cette première approche, et gardons-la en réserve, nous verrons bien ce que nous en ferons.

Les échanges dûment enregistrés par Vincent, furent mis dans la base de données et Claire déclara qu’elle poursuivait se recherches. Elle avait raison, il faut être patient. Mais elle énerva un peu mes deux compères. Elle semblait si sûre d’elle.

30/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 11)

          A notre première réunion, je parlai de cette jeune femme. Elle s’appelait Claire Pertuis. Je racontai notre double rencontre, ses explications et la justesse de ses arguments. Ils écoutèrent, hochèrent la tête et me laissèrent carte blanche.

– Mais, testes-la, me dirent-ils.

Je décidai de commencer par le test concernant ses capacités à intégrer notre groupe. J’en parlai à Mathias, qui était, lui, en charge de trouver un réseau capable de prendre en compte nos données. Il me répondit qu’en effet, il n’avait pas avancé dans ce domaine, ne sachant à qui s’adresser.

Le lendemain, je rencontrai Claire. Sans lui parler librement de notre groupe, je lui fis part de nos recherches et de la difficulté que nous avions à créer une base de données multiples.

– Sachez que je n’y connais rien en ordinateurs. Oui, je sais utiliser la bureautique de base, Word, Power Point, voire, dans ses fonctions basiques, Excel. Mais c’est tout. Alors je ne vois pas comment je pourrais vous aider dans ce domaine.

– Nous ne vous demandons pas de créer le système. Simplement, de trouver le moyen de disposer d’une multitude d’ordinateurs en réseau que nous utiliserons pour cacher nos données.

– Je peux essayer, mais sans aucune garantie que je vais trouver. Laissez-moi deux jours, car je n’ai pour l’instant aucune idée.

Deux jours plus tard, Claire me téléphona.

– Je pense avoir trouvé ce que vous cherchez. Puis je vous voir ?

Je m’empressai de lui fixer un rendez-vous. Dès son arrivée, elle me fit part de ce qu’elle pensait être un bon plan.

– D’après ce que j’ai compris de vos explications, il faut pouvoir cacher vos données dans des ordinateurs dont les propriétaires ne savent pas ce qu’ils contiennent, qui constituent néanmoins un réseau accessible, mais privé, qui puisse vous servir d’hébergement anonyme. Je crois que j’ai trouvé.

Elle me raconta sa rencontre avec sa tante parisienne, une brave demoiselle de soixante-sept ans dont la passion était le macramé. Elle faisait partie d’un club de macramé et ses membres échangeaient leurs réalisations sur Internet. Grâce au neveu d’une des affiliées, qui était ingénieur informatique, ce club avait créé  un véritable réseau privé qui leur donnait une assurance de discrétion.

– Pourquoi ne pas utiliser ce réseau totalement anonyme pour planquer vos données de manière aléatoire dans les ordinateurs. Le club a une audience mondiale puisqu’il y a des abonnées de nombreux pays du monde. Votre hacker s’introduit dans le club par mon intermédiaire et vous profitez du réseau, ni vu, ni connu.

Il est vrai, me dis-je, que personne ne songerait à fouiller dans les ordinateurs de personnes âgées qui ne s’intéressent qu’au macramé. Rien que ce nom ferait fuir la plupart des gens.

– Le seul ennui, c’est que vais devoir faire comme si je me passionnais pour le macramé, dit-elle en riant.

Après en avoir parlé aux autres, je lui donnais le feu vert et la mis en contact avec Vincent. Le courant ne passait pas bien entre eux deux. Elle se méfiait de lui. Il s’introduisait dans les machines sans qu’on le sache et elle ne pouvait admettre que cela pouvait être fait pour une bonne cause. Lui, Vincent, avait du mal à admettre une femme dans notre groupe très fermé. Il pensait que toute femme ne peut s’empêcher de divulguer à n’importe qui ce qu’elle sait sans en mesurer les conséquences.

L’affaire fut, malgré tout, rondement menée. En deux semaines, Claire fut intégrée dans le club et put partager ses idées sur les points de macramé avec une multitude de vieilles dames en mal d’embrouille de cordages, tout cela avec la complicité de sa tante qui ne se doutait absolument pas des causes du revirement de sa nièce en ce qui concernait l’art des nœuds. Claire transmit à Vincent son adresse e-mail et celui prépara l’installation de notre base de données dans le réseau. En vieux briscard, il introduisit dans un premier temps de nombreuses données qui n’avaient rien à voir avec celles que nous voulions abriter. Chacun de nous avait pour consigne de modifier ces pages, de les utiliser à qui mieux mieux de façon à voir si le système se comportait sans problème. L’expérience dura un mois pendant lequel les faits et gestes de Claire furent suivis de près par Vincent. Rien ne put lui donner à penser qu’elle jouait un double jeu. Elle se comportait normalement, sans s’intéresser au réseau hormis les nouveaux nœuds qu’elle s’efforçait maladroitement d’inventer pour justifier sa présence au club.

Un mois plus tard, elle fut intégrée dans notre groupe et initiée à nos recherches. Elle ne fut pas étonnée par ce que nous lui avons révélé. Elle s’y attendait et cela correspondait à ce qu’elle souhaitait : percer le mystère du cosmos et de la vie. Quelle aventure !

28/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 10)

Mathias fut chargé de la recherche du réseau d’ordinateurs. Vincent mènerait ses investigations sur les pirates. Je poursuivrai seul nos recherches, étant l’ignorant du numérique.

Je passais l’après-midi dans la bibliothèque de Beaubourg. Elle contient de nombreux livres qui concernent à la fois l’ésotérisme, les religions, la cosmologie, l’astronomie et les modèles cosmologiques intégrant le Big Bang, l’expansion de l’univers, les multivers et bien d’autres spécificités du cosmos. Je recherchais un livre traitant de l’énergie noire qui représente à peu près 68% de la densité totale de l’univers, mais dont la nature est inconnue. Je tentais de revenir à ce à quoi le professeur Foiras nous avait initiés. Consultant le fichier des ouvrages, je sentis tout à coup sur mon bras une main ferme, mais patiente. Je levais les yeux et retrouvai la jeune femme que j’avais déjà vue une fois et que je pouvais éventuellement soupçonner d’avoir piraté notre base de données.

– Bonjour, Monsieur, me dit-elle d’une voix claire, vous cherchez quelque chose. Je peux peut-être vous aider.

Ce n’était qu’un constat. Il signifiait sans doute qu’elle s’y connaissait, mais en quoi, puisqu’elle ne savait pas quel était l’objet de nos recherches, en dehors de ce que je lui avais dit.

– Bonjour, Mademoiselle. Je poursuis mes recherches tranquillement et n’ai plus la célérité des jeunes. Je ne pourrai pas vous suivre si vous m’aider, alors à quoi servirait de vous dire ce que je cherche.

– Cela vous permettrait d’aboutir plus vite, donc de creuser plus votre sujet pour vous amener à une réflexion plus approfondie.

Le raisonnement était juste. Elle ne payait pas de mine, mais elle savait ce qu’elle voulait et semblait s’y connaître. Je n’osais cependant lui dévoiler l’objet de nos recherches, tout en me demandant si effectivement elle ne pourrait pas nous être d’une aide précieuse. Je décidais de faire un test. Je lui expliquais ce qui concernait l’énergie sombre (ou noire, c’est la même !) et ma recherche de livres traitant du sujet, dont en particulier l’accélération de l’expansion de l’univers.

– Je connais bien ce sujet. J’ai travaillé dessus au cours de ma thèse, bien que celle-ci ne portait pas strictement sur ce point. On trouve de nombreux livres en anglais, mais bien peu en français.

Ainsi elle était thésarde et semblait savoir de quoi elle parlait. Elle n’avait pourtant pas l’air d’être une matheuse : ni boutons sur le visage, ni vêtements godiches, ni lunettes d’écaille. Elle avait un visage calme, une peau légèrement rose, peu bronzée il est vrai, des pommettes saillantes, mais sans exagération, les yeux clairs, presque bleus clairs à l’exception d’une pointe bleu marine en approchant de la pupille. Comme son visage était penché vers moi, j’eus l’occasion de faire ce constat. Il me sembla de bon augure. Ses lèvres étaient assez minces, mais d’un dessin irrésistible. Sa coiffure auburn lui donnait un air insolite. Elle l’avait coupé court, mais suffisamment nuageuse pour ne pas faire masculin. Enfin, au-delà de ces apparences, elle semblait très à l’aise, presque culottée. De plus, elle avait le sourire aux lèvres, semblait avenante et impressionnait peu ceux qui pouvait parler avec elle. Avouons-le, je fus séduit, ce qui ne signifie pas que je tombais amoureux et qu’il y eut l’impulsion bien connue d’une personne âgée vers les êtres jeunes. Non, je voyais simplement une jeune femme ouverte, attentive et, ma foi, intéressante.

Je me levai et lui proposai d’aller à la cafétéria pour parler de nos préoccupations.

–Tout d’abord toutes mes félicitations pour votre parcours. Vous m’avez l’air bien armé pour la suite. Mais que voulez-vous faire ?

– C’est mon problème. En fait je ne sais pas exactement.

Apparemment, l’astronomie ne l’intéressait pas suffisamment pour qu’elle se consacre entièrement à cette discipline.

– Qu’est-ce qui vous intéresse réellement ?

– En fait, je ne suis pas directement intéressée par les sciences dures, malgré ma thèse. Je m’intéresse à ce qui peut sembler à certains des contes philosophiques. Ce qui m’intéresse, c’est un mélange de science et de philosophie, voire de spiritualité.

– C’est-à-dire ?

– Vous savez comme moi que la science est arrivée aux confins d’une compréhension autre que scientifique et même philosophique. Elle se pose la question de l’origine du cosmos et rejoint par-là la philosophie des Grecs et la théologie des Pères de l’Eglise et les réponses que donnent chacune des religions. La difficulté actuelle n’est plus de trouver au travers d’une discipline, mais de nouer des relations entre celles-ci de façon à éliminer contes, souhaits ou doctrines. C’est, je pense, une future discipline à part entière. Mais la plupart de savants, philosophes et théologiens récusent une telle approche. La vérité est pour eux dans leur seule discipline et ils ne veulent pas en démordre.

Tout à coup, je réalisai que ses centres d’intérêt étaient semblables aux nôtres et qu’elle était proche de notre vision. J’en fus enthousiasmé. Une recrue de choix ! Mais... Doucement. Il fallait la dédouaner de toute velléité de piratage et la tester sur son aptitude à intégrer notre groupe.

24/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 9)

Réunion de crise. Nous nous mîmes au travail. Mathias expliqua pour quelles raisons il était persuadé que nous avions eu une visite. Cela nous parut évident à tous. Mais il s’agissait d’abord d’interdire toute nouvelle pénétration ou de se déconnecter d’Internet, ce qui nous laissait sans possibilité de recherche. Il importait également de savoir qui pouvait chercher à nous pirater. C’était pour ces deux points l’affaire de Vincent, notre hacker. Se déconnecter n’était évidemment pas un problème. Interdire un nouveau piratage lui semblait à sa portée. Le dernier point était moins palpable. Il se mettrait à cette recherche dès qu’il aura réussi à trouver le moyen d’interdire toute intrusion.

Deux jours plus tard, Vincent nous téléphona :

– On peut se réunir. J’ai quelque chose à vous proposer qui devrait nous garantir contre les intrusions. Rendez-vous ce soir, à dix-huit heures chez Mathias.

Chacun de nous attendit avec impatience la fin d’après-midi, arriva en avance d’un quart d’heure, si bien qu’à dix-sept heures cinquante nous pûmes commencer la réunion.

– J’ai trouvé et cela me semble solide. J’ai réfléchi avant de trouver la solution. C’est en lisant le journal hier matin que j’ai résolu notre problème. Il y avait un article sur les postes radio à évasion de fréquence, en fait des postes radio à étalement de spectre par saut de fréquence. Certains pays, dont les Etats-Unis, se plaignaient de plages de fréquence insuffisantes pour l’ensemble de leurs systèmes de transmission. Lisant cela, je me suis dit qu’il devait être possible de fragmenter nos fichiers, de les introduire dans de nombreux ordinateurs et de concevoir un logiciel permettant, grâce à un système robot informatisé, muni de clés de chiffrement, de définir un ordre de récupération des documents. Ils pourraient alors être lus, voire modifier, puis le travail achevé, être à nouveau dispersés et renvoyés dans les ordinateurs utilisés en changeant bien sûr l’ordre dans lequel ils sont intégrés dans chacun de ceux-ci. Comprenez-vous le principe ?

– Cela me semble assez clair, dis-je, mais est-ce possible techniquement ?

– Avec un peu de travail cela semble possible. Il faut juste concevoir le logiciel permettant d’effectuer toutes ces manipulations en temps compressé.

– Il me semble que toutes les données doivent auparavant être cryptées, ce qui compliquerait sérieusement le travail des pirates, dit Mathias.

– C’est effectivement ce que j’ai prévu, ce qui demande un logiciel extrêmement rapide.

– En fait, c’est une sorte de SGBD un peu plus complexe, n’est-ce pas ? demanda Mathias qui avait quelques connaissances en informatique.

– Tout à fait, un système de gestion de base de données permettant l’accès permanent et rapide à nos données que personne ne peut lire car elles sont dispersées dans de nombreux disques durs.

– Combien de temps penses-tu qu’il te faut pour mettre ce système au point ?

– Je ne sais. Au moins une dizaine de jours, me semble-t-il.

– Et d’ici là que fait-on avec nos données ? 

– On n’y touche pas, on les déconnecte de la toile et on travaille sans filet, chacun rassemblant ses recherches dans son propre ordinateur qu’il ne connecte plus. Tous les deux jours, on se rassemble et on fait le bilan de nos recherches. Toi, Mathias, tu devrais pouvoir sans difficulté te charger de cette tâche.

– C’est parti ! s’exclama Mathias d’un air réjoui.

On avait trouvé une solution au premier problème. On avait une solution de principe pour le deuxième problème et dès que Vincent aurait mis au point son logiciel, nous nous attaquerions au troisième. Que demander de mieux !

Neuf jours plus tard, Vincent nous dévoila son système. Apparemment complexe, il était cependant simple à utiliser, trafiquant les données de manière caché aux utilisateurs. Mais il fallait encore trouver les ordinateurs qui cacheraient les fragments de données. Il convenait de disposer d’un minimum de confiance pour introduire nos fichiers, même cryptés dans des machines que nous ne contrôlions pas. Cela supposait également de créer un double impérissable de ces données, car un ordinateur lambda peut tomber en panne, être cassé, volé ou être l’objet de tout autre incident qui pouvait effacer ou détruire les fragments de données, rendant ainsi incohérente notre base.

23/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 8)

Je ne réalisais que plus tard, dans la journée, l’importance de l’information. Pourquoi s’introduire dans notre base de données ? Je me dis d’abord que tous pouvaient faire la même chose : chercher sur Internet les informations concernant les aspects philosophiques, scientifiques, ésotériques, des nombres et concepts liés à la numération. Alors pourquoi nous pirater ? Certes, tout est rassemblé, ce qui évite les recherches auxquelles nous avions déjà consacré beaucoup de temps. Mais est-ce une réelle motivation de piratage ? Sûrement pas. Il doit y avoir autre chose. Mais quoi ? 

Nous nous étions bien douté que ce nombre manquant détenait vraisemblablement un pouvoir important. Celui qui le découvrirait aurait sans doute accès à des capacités d’action jusqu’ici insoupçonnées. Pensez donc : créer un pont entre le connu et l’inconnu, ou plutôt avoir accès à l’inconnu, tous les inconnus, grâce à une nouvelle manière de compter. Tout homme détenant un tel secret ne pourrait que chercher à l’utiliser et ne pourrait le garder pour lui. Il deviendrait aussitôt la proie d’une telle concupiscence  qu’il devrait être protégé en permanence, donc enfermé au secret. Je comprenais que nous n’avions jamais réfléchi aux conséquences de nos travaux. Nous faisions cela de manière entièrement désintéressée, comme une sorte de hobby ou comme un défi à relever. Mes réflexions à ce propos étaient jusque-là assez embrouillées. La nuit suivante me permit de placer dans les différentes cases les éléments d’analyse. Cela me sauta aux yeux pendant mon jogging matinal, le lendemain. Comme quasiment tous les matins, je courais dans les rues de Paris, soit le long des quais, soit dans les jardins. J’en profitais pour réfléchir le plus sérieusement possible à mes préoccupations insolubles. Je courais, je regardais la vie s’écouler à la vue des passants et tout d’un coup me venait une idée en rapport avec mes réflexions. Elle était le souvent insolite et pas forcément très claire, ou plutôt, elle n’était pas immédiatement en rapport avec celles-ci. Mais très vite, j’entrevoyais des rapprochements insolites. A peine rentré, je consignais par écrit mes intuitions. Auparavant, il m’était souvent arrivé d’oublier ce que j’avais entrevu. C’était perdu pour toujours, bêtement, par négligence ou parce que j’étais pris par quelque chose de plus urgent. Ce jour-là, je n’eus nul besoin de noter. L’inquiétude me frappa instantanément : notre engagement avait des côtés dangereux et nous devions nous tenir sur nos gardes.

Je pensais d’abord à Vincent, le hacker. Comment l’avions-nous inclus dans nos travaux ? Etait-il quelqu’un de fiable ? Je ne savais quoi répondre à cette interrogation. Et même, Mathias ? Ah, oui, lui me semblait sans faille. Nous avions conçu ensemble ce projet et il avait autant, sinon plus, d’idées que moi. Il me sembla que c’était une preuve suffisante. Ma femme ? Non. Elle m’avait mis en garde elle-même de manière assurée. Je me demandais maintenant si elle n’avait pas raison. Il faudra que je lui en parle, mais doucement. Ne pas éveiller de crainte en elle ! Le professeur Foiras ? Nous ne lui avions rien dit de nos recherches. Nous l’avions juste interrogé sur ce qu’il avait avancé plusieurs fois concernant la matière noire et l’immensité de notre ignorance. Il s’en tenait à un simple constat, une évidence au regard de ces observations, et ne s’intéressait pas spécifiquement à l’accès à ces données inconnues. Non, nous ne connaissions personne à qui nous aurions pu mettre la puce à l’oreille, même involontairement. Peut-être Vincent. C’est tout. Il faudrait en avoir le cœur net.

Soudain, alors que j’amorçais mon retour vers notre appartement, je pensai à une femme qui m’avait abordé à la bibliothèque de Beaubourg. Elle avait vu les trois livres que j’étudiais et s’était intéressée à moi en prenant prétexte des titres de ces livres. J’étais dans ma période mystique, pensant trouver des éléments intéressants dans ces documents peu lus et encore moins étudiés. Il s’agissait du « Livre des secrets », de Bhagwan Shree Rajneesh, de « Le centre de l’être » de Karlfried Dürkheim et de « La voie de la perfection » de Bahrâm Elâhi. Cet éclectisme la surprenait. Nous avions parlé assez longuement de ces enseignements. Elle voulait savoir ce qui me motivait dans ces recherches. Je lui avais répondu que seules les interrogations que je me posais sur la vie, la mort, le monde me poussait à chercher des réponses. Elle devait avoir un peu moins de la quarantaine, elle était jolie, fine, peut-être un peu effacée ou, tout au moins, son apparence n’était pas sa préoccupation première. Elle semblait intelligente, posait des questions argumentées, ne perdant pas le fil de ses pensées. Nous avions échangé nos cartes avec nos adresses-mails respectives. Mais nous ne nous étions pas recontactés, remettant chaque jour à plus tard l’envoi d’un message nous permettant de poursuivre notre conversation. Oui, il est possible que disposant de mon adresse-mail elle ait pu entrer dans nos échanges avec mes deux autres compagnons. Mais comment ? N’étant pas informaticien et encore moins hacker, j’étais incapable de savoir si cela était possible. Encore un point à vérifier.

22/08/2015

Le nombre manquant (récit insolite 7)

Nous continuâmes bien évidemment à suivre les cours à la Sorbonne, mais nous étions ensorcelé par notre question : y a-t-il un nombre exprimant le tout, du zéro à l’infini en passant par le un et l’ensemble de la numérotation ? Mais rien ne venait. Nous tournions en rond. Et encore ! Nous restions plutôt sur place, immobilisés dans nos interrogations théoriques sans pouvoir en sortir. Une fois de plus Lydie me donna quelques signes d’impatience auquel je ne pris pas garde. 

Un matin, Mathias me téléphona d’un air catastrophé :

– Nous avons été piratés !

– Comment cela, piratés ?

– Oui, tu sais, toutes nos recherches, je les ai confiées à notre hacker. Elles ne tenaient plus sur mon ordinateur, pas assez de mémoire. Il a créé une base de données privée, en principe inaccessible, que seuls quelques initiés peuvent consulter et, encore moins, modifier. Eh bien, ce matin en consultant une fiche sur le Rien, je me suis rendu compte qu’elle avait été transformée. J’en avais gardé un exemplaire sur ma machine et il est différent de celui que j’ai consulté.

– Quelle différence ?

– Cela semble idiot, mais cela ne porte que sur quelques mots, par exemple, le mot ZERO a été retourné. Il est écrit OREZ. Et je peux t’assurer que je n’ai rien touché, ni le hacker qui est maintenant aussi pris par note recherche que nous le sommes.

– Y a-t-il d’autres changements ?

– Je ne sais, je t’ai téléphoné dès que je me suis rendu compte de cette intrusion, car il y en a eu une. Je suis formel. Pour l’instant notre hacker tente de remonter à l’origine et d’identifier l’auteur. Mais cela peut demander plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avec la possibilité de ne pas aboutir.

– Et comprends-tu la raison de cette inversion ?

– Je t’avoue que non. Pourquoi avoir fait cela ? C’est mettre en évidence le fait que l’on sait ce qu’il y a dans notre mémoire collective. Alors je ne vois pas l’intérêt de le dévoiler, si ce n’est de montrer que l’on s’intéresse à nos recherches. Pourquoi ? Va-t’en savoir.

– J’espère que notre hacker a modifié tous les codes et clés d’entrée ainsi que le cheminement des options possibles. Il faut à tout prix empêcher toute intrusion dans notre base de données.

– Oui, cela a été fait aussitôt. Mais on a déjà l’impression que ces nouveaux codes sont déjà percés et empruntés.

– Pourquoi ?

– C’est Vincent, notre hacker, qui me l’a dit. Il le sent, mais il ne sait pas encore comment.

– Dans ce cas, il faut tout simplement fermer notre base de données ou au moins la déconnecter de la toile, en attendant de trouver une solution.

– Oui, je pense que tu as raison. Je vais le dire à Vincent. Ou plutôt, non. Je te le passe.

– Oui, Vincent, je pense qu’il faut tout de suite déconnecter notre base de données du réseau. Nous avons rassemblé trop d’éléments qui pourraient intéresser des organisations qui chercheraient à les exploiter, qu’elles soient religieuse, sectaire, mafieuse, financière, voire même des Etats.

Celui-ci en convint et la base de données fut déconnectée en attendant que nous trouvions une solution pour empêcher toute intrusion, ce qui était le travail de Vincent, le hacker.

30/05/2015

O salutaris hostia

Un chant magnifique qui a l'avantage de pouvoir être chanté à une, deux trois ou quatre voix, en français et en latin :

O salutaris hostia.jpg

27/05/2015

Le paradis

Certains y croient, d’autres non. Mais personne ne sait ce que c’est.

Si ! C’est le lieu où les humains se retrouvent après leur mort, cela tous le savent,. Hormis cette indication commune, rien d’autre.

D’abord, qui se retrouve après la mort ? Est-ce moi Untel, entier, avec ma vie physique (soma), ma vie psychique (psyché) et ma vie spirituelle (pneuma) ? Mon corps sera-t-il le même ? Sera-t-il rajeuni, semblable à celui que j’ai connu ? La différence des sexes existe-t-elle au paradis ? Continuerai-je à penser comme je le fais actuellement ou flotterai-je dans un vide de pensées tel un bébé éprouvette ? L’âme qu’est-elle ? Est-ce une abstraction imaginée par certains pour les tromper ou est-ce l’immuable en moi-même ? Et l’Esprit, qu’est-il par rapport à l’âme ? Est-ce un don de Dieu ou un poids à traîner ?

Que de questions ! Elles ne portent pourtant que sur moi-même et non sur le paradis. Sortons donc de nous-mêmes et voyons ce que l’on appelle paradis.

Le paradis est un lieu de bonheur permanent où les âmes se retrouvent après la mort. Il semble que la plupart des hommes croient à cette définition. Tout au moins ceux qui croient au paradis. Ceux pour qui il n’y a rien au-delà de la mort n’ont bien sûr aucune vision à s’inventer. Tout y est noir, sans aucune éclaircie. Mais pour les autres, ceux qui croient, en quoi croient-ils lorsqu’ils pensent paradis ?

Cela est relativement simple pour les musulmans : c’est le lieu des délices du corps. Disons plutôt que la description du paradis est très semblable à ce que l’on peut imaginer, donc très physique. Trop sans doute pour le vrai musulman pour qui le paradis est le lieu de récompense : « Alors que les gens du Paradis seront en train de jouir des délices, une lumière brillera. Ils lèveront la tête et verront le Seigneur Tout Puissant les surplomber et dire : Le salut soit sur vous, Ô gens du Paradis. Ils délaisseront tous les délices dont ils jouiront aussi longtemps qu'ils regarderont le Seigneur. Une fois voilé d'eux, il leur restera Sa bénédiction et Sa lumière ». (Rapporté par Ibn Maja).

Le bouddhiste parle de nirvana qui est libération des passions et dissipation de la dualité. Le nirvana est un concept véritablement différent du paradis. Il est connaissance de soi après l’élimination de nos souffrances et de nos désirs. Lorsque l’éveil devient permanent, le nirvana est atteint. Ce n'est pas un lieu où l'on va après la mort. C'est un état d'esprit pacifique qui libère du karma, c’est-à-dire de l’enchaînement des vies successives.

Le christianisme parle plus de béatitude que de paradis. La béatitude est le bonheur de l’homme contemplant Dieu dans sa réalité. Mieux, la béatitude est Dieu même se donnant en possession. « L'homme et Dieu, le sujet et l'objet, se touchent, mais ne se confondent pas; le fini subsiste distinct, en présence de l'infini » (Ozanam, Essai sur la philosophie de Dante, 1838). L’homme jouit de la présence divine et cette réjouissance devient suffisante et éternelle.

Alors comment est-ce que moi, je vois, j’imagine, je conçois, je rêve au paradis ?

La méditation aide à entrer dans ce mystère. Tout d’abord sortir du moi psychique préoccupé par le visible et le physique. C’est un long apprentissage à recommencer chaque jour. Trouve-t-on quelque chose au-delà ? La paix psychique, oui. Cette paix psychique conduit à l’oubli de soi et à une communion avec l’univers. La lumière devient première et illumine l’âme. Qui a-t-il au-delà ? Je ne sais. Une barrière empêche ce passage. On la touche, bien qu’elle soit invisible, on la sent bien qu’elle ne soit pas matérielle. Elle est là, derrière vitre opaque qui ne laisse passer que la lumière. Mais combien on aspire à aller au-delà. Patience, il faut attendre. Alors la mort devient renaissance, l’invisible devient visible. La lumière expliquera tout. Nous serons aspirés. Le reste : nous le verrons le moment venu. Seule compte l’aspiration au mystère et le moment de son dévoilement. Alors soyons prêts !

 

25/04/2015

L'expérience

Au-delà des doctrines, des croyances, il y a l’expérience, c’est-à-dire le passage de ce que l’on sait à ce que l’on vit. Pour l’Occidental, la religion consiste à croire à ce que nous propose une église. Et c’est parce que nous y croyons que l’expérience mystique a lieu. Sans croyance, il ne se passe rien.

L’Orient propose une autre forme d’expérience : on ne peut trouver la rupture avec le monde matériel qu’en s’éloignant d’une croyance et en faisant l’expérience du non-être, ou plutôt, de la non référence à nous-même, c’est-à-dire à nos émotions, sentiments, pensées, doctrine et vision du monde. Il s’agit d’aller au-delà d’un résultat quelconque et de passer de l’état de recherche à un état de non-recherche. On peut également dire que l’on passe alors de l’apparence à la non-représentation de soi-même.

Cette rupture entre soi et notre représentation du monde est l’expérience. Je ne suis plus ce que j’étais pendant un court instant, et cet instant me donne la clé du tout, car je deviens le monde, hors de ma représentation de ce monde. La rupture n’est pas un changement de vision, un changement de doctrine, mais un passage entre un regard extérieur et une immersion totale.

Cela est à rapprocher du lâcher-prise dont parle Karlfried Graf Dürkheim inspiré par Maître Eckhart qui résume cette expérience : « Si un homme est vide de toutes choses, de toutes créatures, de lui-même et de Dieu, et si Dieu pouvait encore trouver place en lui pour agir, nous dirions : tant que cette place existe, cet homme n’est pas pauvre de la pauvreté la plus intime. »

Comprenne qui pourra !

24/04/2015

Le tantrisme, voie de transformation intérieure

Tantra veut dire technique. Le traité « Vugyana Bhairava Tantra » n’est pas une doctrine. Il se préoccupe de méthodes, de techniques, non de principes. (…) Ce traité est un traité scientifique. L’objet de la science n’est pas le pourquoi, mais le comment. La philosophie demande ‘pourquoi existons-nous ? » La science, elle, pose la question « comment ? » La théorie devient inutile. L’expérience, seule, compte.

Bhagwan Shree Rajneesh, Le livre des secrets, tome 1, Les éditions ATP, 1974, p.15

 

Expérimenter le sacré, et non parler du sacré. Ainsi l’approche de l’expérience mystique de l’Oriental est profondément différente de l’Occidental. La première est doctrinaire et s’adresse au mental. Il faut y croire, avoir la foi. La seconde est expérience, il faut tenter, faire des expériences jusqu’à trouver la voie. Il faut dépasser le magma de ce à quoi il faut croire pour atteindre la vraie vie, celle que l’on vit et non celle que l’on pense.

Si l’on regarde sur Internet ce qui est dit du tantrisme, on en a une interprétation occidentale. Elle est purement intellectuelle : les origines, l’étymologie du mot, la signification, la doctrine, les types de Tantrisme selon les régions, les points particuliers intéressant l’Occidental, en particulier le sexe. Inversement, Bhagwan Shree Rajneesh n’enseigne pas une doctrine, il enseigne des méthodes de méditation qui transforme votre compréhension de la vie sans vision intellectuelle du monde. Il nous dit « que vous soyez hindou, musulman, chrétien ou jaïn, cela ne fait aucune différence. La véritable personne, derrière la façade de l’hindou, du musulman ou du chrétien, est la même. Seuls les mots diffèrent ou les habits. L’homme, qu’il se rende à l’église, au temple ou à la mosquée, est le même. Seuls les visages diffèrent et ces visages sont faux : ce sont des masques. (…) Le tantrisme passe de l’intellectuel à l’existentiel. Il n’est pas une religion, mais une science. (…) La foi est inutile. Il suffit d’avoir le courage de faire l’expérience. »

La proposition du tantrisme : le mental est une matière subtile, on peut le transformer. Et si l’on transforme son mental, on transforme le monde car il apparaît autrement, sans lutte. Le but ultime du tantrisme : créer un état où le mental n’existe plus.

19/04/2015

Le stop

1. Au moment précis où tu as l’impulsion de faire quelque chose, arrête-toi.

2. Lorsqu’un désir arrive, considère-le, puis soudainement, abandonne-le.

3. Erre jusqu’à l’épuisement, puis laisse tomber sur le sol et dans cette chute, sois entier.

4. Suppose que tu es graduellement privé d’énergie et de connaissance. A l’instant de cet aboutissement, transcende.

5. La dévotion libère.

(Nirvana Tao, techniques de méditation,

de Daniel Odier, Robert Laffont, 1974)

 

L’exercice du stop est regardé comme sacré dans les écoles. Personne autre que le maître n’a le droit de l’ordre du stop. (…) Essayons de suivre ce qui se passe. Un homme est en train de s’assoir ou de marcher ou de travailler. Tout à coup il entend le signal. Aussitôt, le mouvement commencé est interrompu par ce « stop ». Son corps s’immobilise, se fige en plein passa d’une pose à l’autre, dans une position sur laquelle il ne s’arrête jamais dans la vie ordinaire. Se sentant dans cet état, dans cette pose insolite, l’homme, sans le vouloir, se regarde lui-même sous des angles nouveaux, s’observe d’une manière nouvelle ; il est en mesure de penser, de sentir d’une manière nouvelle, de se connaître lui-même d’une manière nouvelle. De cette façon, le cercle du vieil automatisme est brisé.

(Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu,

Stock, 1974)

 

Deux enseignements assez opposés, qui nous disent la même chose. Cela doit attirer notre attention :

Ne pas se laisser vivre, sortir du cercle de ses habitudes corporelles, émotionnelles, sentimentales, sociales, intellectuelles, spirituelles.

S’éveiller ! Au-delà du Moi, le Soi...

05/04/2015

Signification de la Pâque

30/03/2015

Au-delà de la descente en soi-même

Attention ! Cette descente en soi n’est pas une dissolution de l’être, mais au contraire sa découverte. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement  la fin des frontières que s’impose l’esprit.  

La peinture abstraite représente visuellement cette absence de forme et, derrière, de pensée. Rothko, par exemple, nous renvoie l’image qui se forme derrière la rétine en l’absence de pensée : un halo lumineux, source non pas du désir, mais de l’accomplissement ressenti. De même, la mécanique bien huilée de Bach permet l’entrée dans cet au-delà sans pensée : les notes s’enchaînent les unes aux autres dans une harmonie pure et vous conduisent dans cet instant de silence que seule la musique peut apporter, paradoxalement. 

On est parce que le On n’est plus. Et cette dénomination de On est bien vue, car ce "On" est tout l’humain et personne en particulier. L’être apparaît derrière la personne, il se dévoile hors de toute image, au-delà des contraires. Vous devenez sphère transparente, aux frontières poreuses. L’être entier devient Un et ce Un est le Tout. 

Marcher est Zen
S’assoir est aussi Zen
Que je parle, que je me taise
Que je me repose, que je me presse
Dans l’ordre de l’Être
Tout cela est l’Immuable.

Shodoka[1]

Mais tout cela se perd aussi vite que c’est venu. Accepte-le, sinon tu ne connaîtras jamais la vie !



[1]L’un des quatre textes essentiels du zen, écrit par Yoka Daishi au VIIe siècle en Chine, dans lequel il témoigne de son éveil.

 

29/03/2015

Unité et Zen

Le but essentiel du Zen est la renaissance de l’homme par l’expérience de l’Être… C’est l’expression d’une expérience intérieure, celle de l’être qui est notre nature essentielle. Cette expérience est l’effet, le contenu, la forme d’une certaine conscience, celle où, en l’homme, la vie devient consciente d’elle-même.

(Graf Dürkheim, Le Zen et nous, Le courrier du livre, 1976)

 

La nature habituelle de l’homme est la dualité, c’est-à-dire la connaissance de ce qui nous sépare : le monde et nous, le moi et le toi, l’intérieur et l’extérieur, l’esprit et la matière, la vie et la mort, l’avant et l’après, là et ailleurs. Je suis parce que tu n’es pas moi.

Mais dans le même temps, cette séparation est ce qui nous empêche d’être nous-même. Seul l’effort d’aller au-delà de ce moi qui divise le monde nous permet de connaître le Soi. Mais n’oublions pas : « même après avoir éprouvé l’unité au-delà des contraires, l’homme reste lié, sa vie durant au moi qui pense par opposés ».

Alors plonge en toi-même, fais cesser tes pensées, descend dans ce néant que tu perçois en toi et oublie-toi !

Tu percevras l’Unité.

22/02/2015

Cherchez en vous-même

– Si vous ne vous comprenez pas vous-même, comment pouvez-vous espérer comprendre l’univers ?

– Mais où chercher, où aller ?

– Cherchez en vous-même, c’est en vous seul que vous trouverez la vérité.

– J’ai cherché en moi et n’ai trouvé qu’ignorance.

– L’ignorance n’est pas dans vos pensées.

– C’est que vous vous êtes pensé jusqu’ici dans votre propre état d’ignorance ; retournez au point de départ et pensez-vous dans la sagesse, qui n’est en réalité qu’auto-compréhension. Retournez en arrière et vous retrouverez la lumière.  Ce retournement de la pensée est tout le yoga.

(Paul Brunton, L’Inde secrète, Payot, 1983, p.114)

 

Cette Inde secrète est un continent, un autre monde où rien ne se passe comme dans le nôtre. On y rencontre des escrocs, on y rencontre des saints, des non croyants, des magiciens et de véritables sages qui ont dépassé la vie présente et ont trouvé la réalisation. Ce livre est le carnet du voyage de Paul Brunton dans la pensée humaine tournée vers le Soi. Il entre dans cette communion intime avec soi-même, jusqu’à s’oublier lui-même.

C’est un libre magnifique, enrichissant, parce qu’il n’expose pas une doctrine, il raconte la recherche, les déconvenues, les découvertes spirituelles, tout cela de manière simple, mais tellement mystérieuse pour un occidental. Et toujours la même réponse : « Cherchez en vous-même… C’est en vous qu’il faut trouver le maître, je veux dire dans votre moi spirituel. Considérez son corps à lui comme il le considère lui-même : son corps n’est pas son vrai moi. » A chaque fois il lui semble que ces hommes qui cherchent, et parfois trouvent, refusent le dialogue. Enfermés dans leur mutisme, ils délivrent des paroles difficiles à comprendre et encore plus à suivre. Et toujours la même réponse : cherchez en vous-même

Les derniers chapitres parlent de sa rencontre avec le Maharichi ou Ramana Maharshi. Et c’est toujours la même réponse.

Et n’est-ce pas non plus la même réponse que l’on trouve dans l’évangile : cherchez et vous trouverez (Mat 7.7 et Luc 11,9).

Mais combien est étroite la porte !

17/01/2015

Proposer et être libre

L'ultime liberté est de rester inconnu. Alors plus rien ne nous rattache à ce monde. On est libre d'aller où l'on veut, quand l'on veut. Le monde s'ouvre devant nous et nous l'explorons sans idées préconçues. 

Cela suppose que nous ne cherchions pas à influencer les autres et que nous refusions de nous laisser influencer. Refuser la tyrannie du bavardage, de l'expression des sentiments. Refuser de nous laisser envahir par les encombrantes pensées des autres et de nous-même. Refuser même de vouloir pour l'autre et se donner pour maxime le respect de la liberté de l'autre. Mais inversement toujours tenter de lui montrer où se trouve la véritable liberté.

Ne jamais imposer, toujours proposer.

Le reste, son adhésion, appartient à sa liberté.

24/12/2014

Noël, de l'intérieur

 

LE PERE ENGENDRE LE FILS

PAR LA GRÂCE DE L’ESPRIT

EN L’HOMME DEVENU VIERGE.

Le Père, qu’est-il ? Personne ne le sait. Il est non pas au sens de l’existence, mais de l’essence. L’essence est ce qui fonde l’être de la chose, ce par quoi une chose est ce qu’elle est, ce qui fait qu'elle est ce qu'elle est. « L'essence coïncide avec ce qu'il y a de plus intime et de presque secret dans la nature de la chose, bref ce qu'il y a en elle d'essentiel » (É. Gilson : L'Être et l'essence).

Le Fils, nous l’appréhendons mieux. Mais qu’est-il totalement, nul ne le sait. Il est un point en nous où le Christ peut naître, une grotte (la crèche) qui est au fond de nous-même. Nous ne pouvons commencer à le percevoir qu’en devenant vierge de toutes choses. C’est un point douloureux et libérateur. Douloureux parce qu’une fois perçu l’homme le reperd et languit sans cesse de cette clairvoyance perdue. Libérateur, parce qu’il sait qu’en lui il y a plus que lui-même. Ce moment, la re-création, fait passer de la croyance à la connaissance. Je ne crois plus parce qu’on me dit de croire. Je sais parce que je l’ai éprouvé en moi, même si je le perds à tout instant.

L’Esprit, nous l’éprouvons sans le saisir et le comprendre. C’est le mouvement intérieur qui nous pousse à chercher. Impalpable, insaisissable, il est le vent qui sans cesse nous rappelle la promesse : le Père engendre le Fils en l’homme devenu vierge.

L’homme lui-même, nous ne le saisissons pas dans toute sa profondeur. Nous vivons à la surface de nous-même. Il faut devenir vierge pour pénétrer dans ce mystère unique : chaque homme contient le monde en lui, le vit et peut le sanctifier. Il devient dieu parce que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».

Alors, laissons nos pensées, pour nous laisser transformer.

05/12/2014

L'homme et la femme doivent assimiler la nature de l'autre

L’évangile de Thomas est un écrit mystérieux et passionnant, apocryphe parce que son authenticité n’est pas établie. Un très bon livre tente d’en faire une approche exhaustive et révélatrice de son intérêt (François de Borman, L’évangile de Thomas, le royaume intérieur, Editions Mols, 2013,317p.).

Trois logia abordent le problème de l’unification de l’homme et de la femme par l’assimilation de la nature de l’autre :

22. (…) Lorsque vous ferez de deux un, et que vous ferez le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas, et si vous faites du masculin et du féminin une seule chose, afin que le masculin ne soit plus male et le féminin ne soit plus femelle et que (…), alors vous entrerez dans le royaume.

106. Jésus dit : Lorsque vous ferez que les deux soient un, vous deviendrez fils de l’homme, et si vous dites : montagne écarte-toi ! elle s’écartera.

114. Simon Pierre leur dit : Que Mariam sorte de parmi nous, parce que les femmes ne sont pas dignes de la vie. Jésus dit : Voyez, moi je la guiderai pour la rendre mâle, afin qu’elle aussi devienne un souffle vivant semblable à vous les mâles. Car toute femme qui se rendra mâle entrera dans le royaume des cieux.

 

En fait, en chaque être existe les composantes du sexe opposé. Celles-ci n'ont pas à être acquises. Elles doivent simplement être libérées, épanouies, et non réprimées ou niées.

Ainsi, le mariage, après avoir dans un premier temps permis à l'homme d'assurer sa masculinité, à la femme sa féminité, doit permettre à l'homme d'intégrer sa féminité et à la femme sa masculinité.

En ce qui concerne cet aspect essentiel de l'amour, notre société hésite entre deux extrêmes. D'un côté la psychologie freudienne, une certaine permissivité, l'abandon des conventions morales, ont banalisé l'amour. L'image publicitaire persuade inconsciemment l'homme d'aujourd'hui qu'on s'accomplit dans la satisfaction des plaisirs sensuels. D'un autre côté, règne encore une certaine mentalité puritaine et castratrice où le sexe, c'est le péché. L'église elle-même ne voit bien souvent dans l'union des corps que le but biologique qui correspond au "croissez, multipliez-vous" de la genèse.

Dans le mariage, l'union des corps prépare, mûrit l'union des âmes et est l'image de l'union en esprit. En effet, au-delà du plaisir sensuel, elle mène à :

. l'état d'ouverture totale par le don passif de soi. L'union est pure lorsque l'être entier, corps et mental, se donne à l'autre dans l'oubli de soi-même.

. l'état de tension, puis de mort à soi-même par le don actif de soi. L'union est pure lorsque le désir transcendé fait sortir l'ego de lui-même.

L'amour est donc à la fois don de soi et oubli de soi à travers l'autre. Plus simplement, on peut dire que l'union des corps procède d'un double mouvement : un mouvement d'accueil de l'autre et un mouvement qui va vers l'autre. Ce double mouvement doit être vécu par chaque membre du couple.

Si cette union est vécue de manière spontanée, simple, heureuse, unifiée, elle implique l'abandon du mental. Elle permet de dépasser les pensées, les identifications à son petit personnage, tout en demeurant intensément conscient. Dans l'amour bien vécu, l'être humain dépasse l'image qu'il se fait de lui, qu'il cherche à donner aux autres. Il n'est plus untel, mais la vie. Il est pleinement, ici même, sans référence à un environnement temporel et spatial, au-delà de sa féminité ou de sa masculinité. Il est Vie, il donne et se donne à l'autre qui n'est plus autre, mais accomplissement de lui-même.

Ainsi, l'union des corps à travers le mariage et seulement à travers lui en raison de sa dimension intemporelle, peut être considérée en elle-même comme une voie vers la transcendance : pas seulement comme un accomplissement heureux, mais comme une voie de dépassement de la conscience humaine conditionnée, limitée, faite de désirs, de peurs, d'insatisfactions.

03/12/2014

Méditation

La caisse est là et je suis la caisse. Je suis l’extérieur de la caisse, mais je me trouve à l’intérieur. C’est noir. Il n’y a rien. Ce rien devient le tout, le tout de rien. Je ne suis qu’une membrane qui sépare l’extérieur et l’intérieur et qui vibre de ces fluctuations permanentes. Où suis-je ? Je ne sais : tantôt dehors, tantôt dedans.

La lumière est à l’extérieur. Et pourtant… Le noir devient lumière. Auparavant l’extérieur éclairait, peu, le dedans. Maintenant, l’intérieur éclaire le dehors. C’est une sorte de volcan qui s’échauffe. Le couvercle se soulève et laisse s’échapper ce bouillonnement  lent qui monte. Surtout ne rien faire. Le regarder impassible, le sentir monter en moi, sans chercher à le capter, à l’interpréter, à lui donner de la raison.

Chasse hors de toi les effluves de ta puanteur. Nettoie les recoins mal venus qui te laisse un goût de fer. Laisse-toi attirer par ce blanc et ces volutes qui montent du volcan. Rien d’autre n’est. Sens ce frémissement intérieur qui t’entraîne vers d’autres paysages où tu n’es plus rien et tu es tout. Le tout et le rien ensemble, l’infiniment grand et l’infiniment petit. La fine pellicule de ton moi devient transparente, s’affine, mais elle est encore là. Seule la mort la fera disparaître.

Allez, pars ! Va dans la fumée de ton absence et monte en toi qui descends en Lui.

02/10/2014

L'amour divin

L’amour humain est une impulsion qui vient d’en bas, de la matière et indirectement de l’énergie divine contenue en toutes choses. Cette énergie s’adresse à l’homme matériel. Elle peut le porter à se surpasser lui-même, puisqu’elle retourne à Dieu par l’homme. Mais cet amour est une énergie incontrôlable. Il transforme, mais nous n’en sommes pas maîtres. En revanche, l’amour spirituel envoyé par l’Esprit n’exclut personne. Il s’adresse à tous sans distinction d’affinité. L’homme empli de l’Esprit dilate son cœur  et y inclut le monde. Toute chose, toute personne, est en lui individuellement comme le plus bel objet, le plus bel être. Cet homme ne possède rien, et dispose de tout. Il déborde d’amour pour son ennemi et voudrait lui venir en aide, lui donner la joie débordante qui l’habite.

Devenu transparent, il est le monde et plus que le monde. Il apporte à chacun sa part de lumière.

28/09/2014

Mariage

Hors de toute foi, j’étais convaincu que l’enjeu de la vie commune consiste à se découvrir soi-même en découvrant l’autre, et à favoriser chez l’autre la même découverte.

Le royaume, Emmanuel Carrère, p.21

 

L'amour est un mystère et il naît par le mystère : mystère de la nature masculine pour la femme et mystère de la nature féminine pour l'homme.

Le mariage consacre l'accession au mystère, la découverte de l'autre.

Cette découverte passe par plusieurs étapes :

  • La découverte du corps de l'autre,
  • L’épanouissement de notre propre nature,
  • la compréhension profonde des natures féminine et masculine. 

Par la consécration du mariage, la découverte du corps de l’autre acquiert une signification sacrée. C'est en effet le corps de l'autre qui devient maintenant le corps de "l'homme" ou le corps de la "femme". C'est dans ce seul corps que je réaliserai le mystère masculin ou féminin. Je n'ai pas besoin de connaître d'autres corps puisque celui-ci, dans sa nudité et son innocence amoureuse, symbolise tous les corps d'homme ou de femme. Le corps d'autres hommes ou d'autres femmes n'est plus source de désir puisque le corps de mon mari ou de mon épouse renferme à lui seul le mystère masculin ou féminin. Il est à chaque nouvelle rencontre source de découverte, d'émerveillement, d'épanouissement parce qu'il est la seule porte ouvrant sur le mystère.

          C'est pour cette raison qu'il n'est pas bon de déflorer le mystère avant le mariage. Contrairement à ce que disent de nombreux psychologues qui n'ont aucune idée de la notion de mystère et qui ne voient dans l'union des corps que la satisfaction du désir, le corps de l'autre doit être rêvé, idéalisé avant d'être doucement, avec pudeur, avec émotion, découvert. Ce n'est qu'alors que chaque rencontre sera une ouverture sur le mystère, une découverte sans cesse renouvelée, une source d'épanouissement et non de plaisir égocentrique.

Nous marchons sur le même chemin, d'un commun accord, avec le même amour et avec la même vision du chemin menant vers le bonheur, mais pas de la même manière. Cette différence tient à la nature sexuée de l'être. L'homme et la femme n'ont pas les mêmes réactions, les mêmes comportements, les mêmes schémas de pensée. Même si leur vision intellectuelle, leur explication du monde est semblable, la manière de sentir le monde et de le vivre est différente.

        Ce qu'auparavant j'aurai difficilement supporté (vivre avec quelqu'un d'aussi différent de nature), est maintenant pour moi source de joie et d'enrichissement. Là encore agit le mystère de l'amour. Je découvre en l'autre une nouvelle façon d'appréhender le monde, une nouvelle vision du monde. De même que le corps de l'aimé(e) devient symbole de l'homme ou de la femme, de même sa manière d'être m'ouvre au monde des hommes ou des femmes. A travers lui ou elle, je comprends maintenant ce qui jusqu'à présent m'avait échappé.

          Parallèlement à cette ouverture de mon propre monde vers celui des êtres de sexe opposé à travers l'aimé(e), la présence de celui-ci ou de celle-ci me confirme dans ma propre nature et l'épanouit. Les différentes tendances de celle-ci s'unissent, se resserrent, pour converger. Devant lui ou elle, je me confirme dans mon propre rôle d'homme ou de femme, parce qu'il ou elle attend cela de moi, comme moi j'attends cela de lui ou d'elle.

          Cette découverte de la nature de l'autre et l'épanouissement de sa propre nature doivent peu à peu rendre conscient ce qui jusqu'à présent était inconscient : la différence profonde de nature entre l'homme et la femme, et leur complémentarité. C'est cette compréhension de la différence et de la complémentarité des natures qui va permettre de cheminer en harmonie. Sans cette compréhension, la différence agace et peut conduire aux frictions. L'homme macho raille la sentimentalité féminine parce qu'il est incapable de sentiments. La femme couveuse resserre sa protection à tous les aspects de la vis du mari, neutralisant son besoin d'agir et de penser.

          La compréhension de la nature de l'autre, la perception de sa complémentarité, nécessitent un effort d'ouverture, de dépassement de l'égocentrisme, ce qui en soit est source d'épanouissement.

27/09/2014

Culture

Dans un premier sens du terme, la culture est la mise en valeur d’une terre pour y faire pousser  de quoi nourrir les êtres. La culture a donc pour fin la nourriture et l’épanouissement du corps de l’homme. Ce fut un progrès considérable que ce passage de la cueillette à la culture. L’homme s’y enrichit non seulement matériellement, mais également conceptuellement. Il passe par un intermédiaire qui devient indispensable et qui mérite tous ses efforts, la terre, pour enrichir son environnement et le rendre plus apte à l’enrichir lui-même.

Progressivement le sens du mot s’est élargi à un environnement général favorable au développement d’une espèce. C’est ainsi que l’on parle de bouillon de culture pour désigner un milieu nutritif approprié au développement des microbes. Pour l’homme on parle également de la culture physique en tant que pratique d’exercices et de mouvements permettant d’assurer le développement harmonieux du corps.

Enfin, le terme culture en est venu à désigner un ensemble d’activités et de processus mentaux permettant à un ensemble humain de s’élever au-dessus de sa condition purement naturelle et de se distinguer d’autres groupes. Ainsi la culture s’acquiert et n’est pas de l’ordre du naturel. L’Unesco en donne une définition intéressante : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » (Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982).

Plus récemment on a distingué la culture individuelle de la culture collective. La première, dite culture générale, correspond à l’ensemble des connaissances qu’un être humain a sur le monde. Elle inclut des connaissances très diversifiées qui donne une valeur à chaque être d’une manière différente de l’avoir. Elle lui donne un surplus d’être au-delà des richesses matérielles. Certes, certains y voient  une conception élitiste de la culture qui s’oppose plus ou moins à la conception collective de la culture qui permet le vivre ensemble en harmonie et, in fine, de créer une civilisation propre qui se distingue des autres. Disons que la culture collective est un système de croyances, de valeurs, de coutumes et de comportements se transmettant de génération en génération et qui permet d’affronter les autres et de s’épanouir dans le monde. La civilisation englobe la culture et montre le résultat de celle-ci dans les réalisations matérielles et immatérielles qu’elle laisse en héritage.

Mais allons un peu plus loin. Comme l’explique Jean-Paul II (discours à l’Unesco à Paris, le 2 juin 1980), la culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient d’avantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’ « être ». La culture élève l’homme au-dessus de sa réalité naturelle pour lui faire découvrir sa réalité surnaturelle. La culture spiritualise la matière, la soumet aux forces spirituelles de l’homme et, dans le même temps, lui permet d’incarner matériellement sa spiritualité. Elle procède ainsi d’un double mouvement entre le naturel et le surnaturel dans lequel l’humain est à la fois acteur et spectateur.

Et pour revenir à la définition première de la culture, il s’agit d’un terreau qui facilite l’épanouissement de l’homme grâce à l’apport des générations passées et de la société spécifique dans laquelle il vit. Ce terreau collectif lui permet de participer lui-même à cet enrichissement de la société grâce à son enrichissement personnel. Ainsi culture générale d’un individu et culture collective ne s’oppose pas, contrairement à ce que prétendent certains sociologues, mais se complètent et s’enrichissent mutuellement.

09/08/2014

Au-delà du moi

Celui qui, regardant en lui-même n’y trouvera qu’obscurité, mécontentement, faiblesse et vanité ne doit pas traduire sa déception par un scepticisme amer. Qu’il regarde toujours plus moins, toujours plus profond en lui, jusqu’à ce qu’il perçoive à de faibles signes de souffle léger qui naît de la sérénité renaissante. Qu’il les recueille pieusement, ces signes, car ils prendront vie, grandiront et se changeront en hautes pensées qui franchiront le seuil de son esprit comme des missionnaires célestes annonciateurs d’une voix qui viendra plus tard, la voix d’un être caché, mystérieux qui habite au centre de son être et n’est autre chose que son moi originel.

(Paul Brunton, L’Inde secrète, Payot, 1983, p.308)

 

La recherche de ce Moi originel, appelé également Soi, au-delà du moi, est en Inde un besoin et une tradition. Tradition des hommes qui se dédie à cette recherche à un moment de leur vie ou toute leur vie. Besoin, intérieur et profond, qui taraude l’esprit et le corps et non simplement le cœur et l’intellect comme en Occident. Et quoi de plus simple et de plus naturel que de s’assoir et d’entrer en soi-même.

Alors commence la bataille : comment apaiser, dans un premier temps, la multitude de pensées diverses qui envahissent le cerveau. Oui, on s’en doute, elles empêchent la voix de se faire entendre. Mais comment les arrêter ? Chaque jour reprend à zéro son travail d’élagage. Toutes les pensées repoussent dans la journée. Les examiner chaque soir jusqu’à s’endormir en ayant évacué les impressions du jour. Chaque matin, les empêcher de revenir par la méditation.

Un jour vient où elles se taisent. Mais il reste toujours notre propre voix qui, ayant pris de la hauteur, domine notre univers intérieur et lui impose le silence. Elle parle et c’est toujours moi qui parle. Elle est coriace, elle ne cesse de s’imposer, d’autant plus qu’elle est fière d’avoir vaincu le bruit cosmique. Mais il peut vous arriver à certains moments de trouver le silence total, cette paix merveilleuse et enchanteresse qui donne à votre âme la dimension de l’univers. Vous vous êtes oublié vous-même et cet oubli devient évasion. Vous ne vous contemplez plus, détaché de vos propres actions comme auparavant. Non. Vous n’êtes plus ce moi qui toujours vous accompagne. Vous êtes libre, totalement. Vous n’avez même plus à secouer vos vêtements, votre propre corps ou même encore vos pensées. Tout cela est parti en fumée, envolé, et vous êtes libre. Le Soi est là, à portée de main, vous le savez, mais vous ne savez ni qui il est ni ce qu’il est. Mais qu’il est bon d’être englobé d’une telle nébuleuse qui vous accompagne un bout de chemin. Vous n’êtes plus Monsieur ou Madame Untel, vous êtes la vie.

02/08/2014

Message des hommes vrais au monde mutant, récit de Marlo Morgan (Albin Michel 1995)

La narratrice, car c’est une femme, une américaine, est invitée par des aborigènes à une réunion en temps qu’invitée d’honneur. Elle se pomponne, monte dans une jeep crasseuse conduite par un homme en short et T-shirt blanc crasseux. Après de nombreuses heures, elle se retrouve au milieu d’un peuple qui l’accueille, qui la purifie et qui lui dit : 

– Viens, on s’en va.
– Où allons-nous ?
– Faire une marche.
– Où, une marche ?
– A travers l’Australie.
– Magnifique ! Et ça prendra combien de temps ?
– Environ trois lunes.
– Vous voulez dire trois mois ?
– Oui, environ trois mois.

L’aborigène lui dit : « Tout va bien. Celui qui a besoin de savoir saura. (…) Tu as été mise à l’épreuve et tu as été accepté. C’est un honneur que je ne peux expliquer. Tu dois faire l’expérience. C’est la chose la plus importante que tu feras dans ta vie ici-bas. C’est pour cela que tu es venue au monde. L’unité divine est à l’œuvre. C’est ton message, je ne puis t’en dire davantage. » Elle suit la tribu, pieds nus, avec un sac en guise de robe, en se sentant captive et victime.

Tout de suite, elle est importunée par les épines qui se plantent dans ses pieds. « Apprends à supporter le mal. Fixe ton attention ailleurs. » Elle subit toutes sortes d’épreuves et constate des choses extraordinaires comme, par exemple, cet homme qui se casse une jambe et qui le lendemain, marche comme vous et moi. Elle perçoit une étrange collusion entre ces hommes et la nature dans une vision d’unité non pas intellectuelle, mais d’émotions, de sentiments et d’attitudes. C’est la différence entre le Vrai Peuple, comme ils s’appellent, et le monde des Mutants, c’est-à-dire le monde dit civilisé, un monde trop rempli d’occupations pour que leurs habitants puissent devenir des êtres. Etre Mutant est une attitude. Un Mutant, c’est quelqu’un qui a perdu ou qui a occulté une très ancienne mémoire et des vérités universelles. Ooota, le seul qui parle anglais, lui explique : « Pour nous, l’Unité divine perçoit les intentions et l’émotion des êtres vivants et s’intéresse moins à ce que nous faisons qu’aux raisons de nos actes. » Il poursuit : « D’après mon peuple, ce que les Mutants appellent Dieu, ils ont du mal à le définir parce qu’ils sont des drogués de la forme. Pour nous, l’Un n’a ni taille, ni forme, ni poids. L’Un est essence, créativité, pureté, amour, énergie illimitée et sans frein. » Elle comprend que la conscience créatrice est en toute chose. Elle est dans les rochers, les plantes, les animaux l’humanité. Selon les croyances tribales, d’Un divin a d’abord créé la femelle, puis le monde a été chanté et est né. L’Unité divine n’est pas une personne, c’est Dieu, puissance suprême, positive et aimante. Il a créé le monde par expansion de l’énergie. »

Elle apprend une autre conception de la vie et de la mort : « Vers cent vingt ou cent trente ans, quand un être humain éprouve le très grand désir de rejoindre l’éternité après avoir interrogé l’Unité divine pour savoir si cette aspiration est pour son plus grand bien, il demande une cérémonie, une célébration de la vie. (…) Après celle-ci, la personne qui veut partir s’assied dans le sable, bloque ses systèmes corporels et, en moins de deux minutes, c’est fini. Il n’y a ni chagrin, ni larmes. » Elle constate également une autre vision de la vieillesse : nos sociétés sont si riches en vieillards irresponsables, amnésiques, détraqués ou séniles, tandis qu’ici, dans la brousse, plus les gens prennent de l’âge, plus ils deviennent sages, plus ils sont estimés et assument un rôle important dans les discussions. Ils sont des exemples à suivre, les véritables piliers du groupe.

Le Vraie Peuple et fait d’attente et d’accueil des dons divins. On lui explique la différence entre les prières des Mutants et la forme de communication utilisée par les aborigènes : par la prière, le Mutant parle au monde spirituel tandis qu’eux font tout le contraire, ils écoutent. Après avoir fait le vide dans leur esprit, ils attendent de recevoir.

Ne poursuivons pas. C’est un livre surprenant, attachant, qui fait penser aux livres de Castaneda ou de James Redfield (la prophétie des Andes). On se pose néanmoins la question, comme pour les deux autres auteurs : où est la vérité ? Ce qu’ils racontent est-il vrai ? Et bien sûr, nous n’avons pas la réponse. Mais… C’est dérangeant…

01/08/2014

Une vague…

Vous êtes là, impuissant, quasiment mort, incapable d’une pensée suivie. Votre esprit erre dans des impasses enchevêtrées les unes dans les autres. Parfois vous vous reprenez : stop ! Mais vous ne faites qu’arrêter cette course sans fin pour qu’elle reprenne de plus belle. Vous vous promenez dans vos souvenirs, dans vos rêves, dans vos ambitions, dans vos déceptions, comme si vous exploriez un grenier immense sans buts, sans finalités définies. Quel maëlstrom !

Puis, en un instant la vague ! Vous ne l’avez pas sentie venir. Elle vous a surpris. Une ondulation qui vous a propulsé dans un autre paysage, plus serein. Vous avez bien perçu cette onde calme, énergique, comme un turbo qui vous fait sortir de vous-même. Vous respirez plus librement, vous regardez par la fenêtre et le jour se lève à peine.

Cette lueur balbutiante vous réjouit, enchante vos neurones, exalte vos papilles, dégage vos bronches. Le monde respire autour de vous et vous le contemplez. Il s’éveille, s’ouvre, s’épanouit, s’enchante de sa propre résurrection. Les objets prennent forme, vous ne percevez pas encore les couleurs, mais vous voyez le blanc sur le noir, la clarté sur l’ombre, la solidité sur l’éphémère. Cette onde bienfaisante n’est qu’un simple tremblement de votre sens intérieur, comme une porte qu’on ouvre doucement et qui laisse passer un filet d’air rafraichissant. Vous ne la sentez pas immédiatement, mais peu à peu elle vous fait glisser dans l’extase de l’ignorance de soi. Et plus vous vous oubliez, plus vous rencontrez le monde et sa magnificence. Vous devenez le monde, vous êtes ce moustique qui tourne autour de vous et que vous ne chassez pas, vous êtes la tourterelle qui réjouit vos oreilles, vous êtes l’arbre tordu qui se dresse vers l’aube. Quelle aération en vous. La transparence s’empare votre être. Mais… Où est-il ? Vous essayez de vous rattacher à vous-même, vous vous palpez, mais vos mains passent au travers de votre corps. Vous touchez la terre poussiéreuse, les feuillages caressants, l’étincelle de la dernière étoile. Vous aspirez à cet au-delà infini qui transforme le ciel en livre du rien et du tout. Et vous demeurez là, immobile, résonnant des bruits de l’éveil, devenu le monde.

Oui, le monde est en vous comme vous êtes en lui. Et cette découverte vous élève au loin, hors de vous et hors du monde.

29/07/2014

Une rencontre inattendue

Le train laisse à loisir le temps de remarquer les détails des êtres, tant leurs petits défauts que leurs avantageuses attitudes ou leur noblesse présumée. Ainsi ce matin, nombreuses étaient les femmes, jeunes ou moins jeunes à monter dans notre wagon à cette dernière gare avant Paris. L’une d’elle s’installa en face de moi, mais de l’autre côté de l’allée centrale. Rien ne la distinguait des autres : visage fatigué, les traits creusés, un nez prééminent, de grosses lunettes d’écaille, les cheveux froufroutants sur les épaules, un jean enserrant fortement des mollets bien faits apparemment, un pull autour de la taille, sans élégance. Elle s’ennuyait, bougeait imperceptiblement, regardant à droite, puis à gauche, puis derrière. Elle ne regardait rien, mais elle avait le plaisir de se remuer. Parfois elle pensait, le menton enserré entre ses doigts tendus, aux bagues étincelantes, et sa main ferme.

Il vint un moment où je la regardais tapotant sur son téléphone mobile et je remarquai alors l’extrême élégance de son avant-bras. Sortait de son corsage sans charme un bras de princesse, jeune, aux courbes rafraichissantes, un poignet aux attaches faisant un angle parfait avec l’avant-bras. Elle utilisait sa main avec rapidité et douceur, semblant effleurer les touches sans avoir besoin d’appuyer. Chaque doigt s’élevait et s’abaissait imperceptiblement et l’on ne voyait que des déplacements d’air, une sorte de film accéléré. Fasciné je la regardais faire, ne reconnaissant pas la femme entrevue auparavant, fade et défraîchie. C’était une divinité venue d’ailleurs qui ne se manifestait que par un bras sublime qui éclipsait toute autre considération. Plus qu’une main de velours, elle personnifiait la caresse par l’élégance de ses comportements, et le reste de son corps disparaissait devant la splendeur de ce bras vivant, léger, aimable et de cette main agile, souple, imprévisible et câline.

Le train freina brutalement, projetant les voyageurs contre ou hors de leur siège. La femme interrompit son texto et changea de position. Elle redevint celle aperçue riant grassement avec ses copines. Le charme était rompu. Je me frottai les yeux, je me mordis les lèvres. C’était fini. L’instant de grâce était passé. La pluie d’étoiles distribuée par un inconnu enjôleur avait poursuivi sa route, afin de terrasser d’autres rêveurs et leur donner à contempler l’invisible derrière le visible. Trois secondes d’enchantement, deux minutes d’extase, trois heures d’incrustation dans la mémoire, trois jours de bonheur gratuit, trois ans de contact avec l’inconnu qui me fit traverser le temps et l’espace et goûter l’éternité. Qui est-ce : moi, lui, soi, nous, le néant, l’unité ou le tout ? Le mystère demeure entier, mais je sais qu'il cache une réalité palpable.

27/07/2014

Onze minutes, roman de Paulo Coelho

Un très beau livre, mais qui traite d’un sujet scabreux, le sens de la sexualité. Qu’est-ce : besoin, plaisir véniel, violence à la manière du marquis de Sade, amour éros ou amour agapé ?

Le sujet est abordé à travers la vie de Maria, jeune brésilienne qui, à Rio de Janeiro, se voit proposer de devenir danseuse à Genève. Rêvant de gloire, elle se14-07-15 Onze minutes_Coelho.jpg retrouve prostituée. Parcours fréquent, mais ce qui compte ce n’est pas ce parcours sociale hélas assez habituel, mais le parcours quasi spirituel que va découvrir progressivement Maria. Elle s’interroge, elle ne se laisse pas faire, elle s’en sort.

Elle  apprend à dissocier l’âme du corps, à ne pas juger et elle s’interdit de tomber amoureuse. Elle pratique son métier en professionnelle avertie. Elle accumule de quoi rentrer au Brésil et acheter une ferme pour ses parents. Elle découvre différent types de clients, mais elle rêve d’un véritable amour et écrit : Le désir profond, le désir le plus réel, c’est celui de s’approcher de quelqu’un. A partir de là, les réactions s’expriment, l’homme et la femme entrent en jeu, mais l’attirance qui les a réuni est inexplicable. C’est le désir à l’état pur. Quand le désir est encore en cet état de pureté, l’homme et la femme se passionnent  pour l’existence, vivent chaque instant avec vénération, consciemment, attendant toujours le moment opportun pour célébrer la bénédiction prochaine.

Deux clients dont elle fait la connaissance sont très opposés. Mais ils sont tous les deux patients. Ils ne se précipitent pas.

Le premier lui enseigne la souffrance comme un stimulateur du plaisir. Pour la première fois, elle va au bout de sa sexualité et éprouve un plaisir qu’elle n’avait jamais goûté. Maria sentit qu’elle entrait dans un trou noir au plus profond de son âme, où la douleur et la peur se mêlaient au plaisir absolu, l’entraînant au-delà de toutes les limites qu’elle avait connues. (…) L’art du sexe est l’art de contrôler la perte de contrôle. Elle note dans son journal intime : La rencontre d’une femme avec elle-même est un jeu qui comporte des risques sérieux. Une danse divine. Quand nous nous rencontrons, nous sommes deux énergies divines, deux univers qui s’entrechoquent. S’il manque à cette rencontre la déférence nécessaire, un univers détruit l’autre.

Le second va lui apprendre tout autre chose : la puissance spirituelle de la sexualité transcendée. « J’ai rencontré un homme, et je suis éprise de lui. Je me suis permis de tomber amoureuse pour la simple raison que je n’attends rien… Il me suffit de l’aimer, d’être avec lui en pensée, et que ses pas, ses mots, sa tendresse donnent des couleurs à cette ville si belle. (…) Tout le monde sait aimer, c’est inné. Quelques-uns le pratiquent naturellement, mais la plupart doivent réapprendre, se rappeler comment on aime et tous sans exception doivent brûler dans le feu de leurs émotions passées, revivre des joies et des douleurs, des chutes et des rétablissements, jusqu’à ce qu’ils parviennent à distinguer le fil directeur qui existe derrière chaque rencontre. Alors les corps apprennent à parler le langage de l’âme : cela s’appelle le sexe, c’est cela que je peux donner à l’homme qui m’a rendu mon âme, même s’il ignore totalement à quel point il compte dans ma vie. C’est cela qu’il m’a demandé, et il l’aura ; je veux qu’il soit heureux. »

N’en disons pas plus. Maria finira par se réconcilier avec elle-même : Je savais que c’était le moment. Tout mon corps se relâcha, je n’étais plus moi-même - je n’entendais plus, ne voyais plus, ne sentais plus le goût de rien – je n’étais que sensation… Ce n’était pas onze minutes, mais une éternité, c’était comme si tous les deux nous sortions de nos corps et nous promenions, dans une joie, une compréhension et une amitié profondes, dans les jardins du paradis. J’étais femme et homme, il était homme et femme. Je ne sais combien de temps cela a duré, mais tout paraissait silencieux, en prière, comme si l’univers et la vie étaient devenus sacrés, sans nom, hors du temps.

25/07/2014

Hasard ou osmose

Lecture d’un livre impressionnant non pour sa littérature à qui se contente de raconter, mais pour les idées exprimées : Message des hommes vrais au monde mutant, de Mario Morgan, J’ai Lu ou Editions Albin Michel, 1995. Nous en reparlerons, mais pas tout de suite. Il faut le digérer.

Ici, j’étais dans une réalité d’hémisphère droit, peuplée de personnes qui n’utilisaient aucun de mes si importants concepts éducatifs et n’obéissaient pas à mes obligations civilisées. C’étaient des maîtres du cerveau droit, qui utilise la créativité, l’imagination, la connaissance intuitive et les concepts spirituels. Ils ne jugeaient pas nécessaire de s’exprimer verbalement : ils communiquaient par la pensée, la prière, la méditation, donnez à leur méthode le nom que vous voulez. Comme j’avais dû leur paraître ignorante. (…) Je demandai mentalement de l’aide : « JE peux apprendre, je ferai ce qu’il faut. Aidez-moi à trouver de l’eau. Je ne sais pas quoi faire, quoi chercher, quelle direction prendre. » (…) Une autre pensée vint alors : « Sois eau. Sois eau toi-même. Quand tu seras eau, tu trouveras de l’eau. » Je m’ouvris à l’intuition et, fermant les yeux, je m’efforçai de devenir eau. (…) Je crois vraiment que cette première gorgée d’eau tiède me rapprocha plus de notre créateur que toutes les communions à l’église…

Alors, comme j’aime expérimenter, je tentai une expérience. Je suis dans le midi, près du massif de l’Estérel. Tous les matins, je pars dans la montagne, courir et méditer (concentré) ou rêver (débridé). Je pensais à ce livre que j’avais lu la veille et je me dis : « Cherchons quelque chose qui ne se trouve pas vraiment facilement, mais qui, bien sûr, existe. » Et je pensai au thym. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas si facile à trouver sur ces étendues pierreuses sur lesquelles poussent plutôt les chênes lièges, l’Euphorbe, l’Osmonde royale, Cytise, Daphné garou, Salsepareille.

Je pensais : « Fais-toi thym. Fais-toi thym. » Je m’accrochais à la pierre éclatée au soleil, je descendis des canyons profonds, j’escaladais des escarpements, montais vers le ciel et descendais vers dans les vallons. Rien. Devenant thym, j’avais besoin d’humidité. Oui, il faut chercher dans les lieux où passe l’eau lorsqu’il pleut. Encore faut-il les trouver ! Je cherchais, je cherchais et ne trouvais rien. Je pris le chemin du retour. Sur ce chemin pierreux, je vis une rigole, pas vraiment un début de cours d’eau au flanc de la montagne. Je m’arrêtai, instinctivement. Il doit y en avoir ! Je descendis dans l’anfractuosité et ne trouvai rien. Toujours ces herbes assez ressemblantes, mais qui n’ont ni son odeur acidulée et aigre, ni ces petits bouquets de feuilles sur un rameau maigrichon qu’il faut égrainer pour nourrir votre plat de senteur délicieuse. Allons, pourquoi perdre du temps à tout ceci ! Et mes yeux tombent sur une petite pousse de thym rachitique et sans noblesse, mais si odorante. Un balai comme ceux des nettoyeurs de rue à Paris. Trois brins d’écorce sans consistance, mais si voluptueux dans ses effluves qu’on lui pardonne et même que l’on loue sa misère. Je cherchai autour et j’en trouvai quelques autres brins, à l’ombre de plus grandes plantes, poussant modestement, si peu visibles.

Oui, c’est vrai, je m’étais fait thym et j’avais trouvé inconsciemment. Quelle osmose ! Qu’en conclure : rien, c’est parce que l’on veut en tirer un concept qu’on dénature la vérité. Vivons et réjouissons-nous !

Deux jours plus tard je repassais au même endroit. J'y trouvai profusion de thym. Quel comique cet auteur. Qu'a-t-il été raconter !