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15/07/2014

Le Soufisme

Le Soufi, c’est l’homme de connaissance assumant pleinement  son humanité et ouvert à ce qui est au-delà de l’homme, celui qui connaît le but et à qui la connaissance du but donne la connaissance des moyens qui permettront à d’autres de s’avancer sur la voie qu’il a parcourue. (…)

Le Soufi est dans le monde sans être du monde.

Dans le monde : bien qu’enraciné dans une tradition millénaire, il appartient à son temps et le devance bien souvent. (…) Pour le Soufi, le service est prière. Mais il sert la vérité et non les espoirs pieux. (…)

Sans être du monde : parce qu’il a vécu l’expérience de la perception du réel, il vit en accord avec cette réalité dont notre sommeil intérieur et le jeu des apparences nous tiennent séparés, dont notre monde n’est qu'une modalité provisoire, une approximation relativement grossière.

Jean Néaumet, Le soufisme aujourd’hui, article tiré du livre Le Soufisme, la voie de l’Unité (« Doctrine » et « méthode »), L’Originel, 1980, p.7. 

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Le Soufisme est donc une école non pas de pensée, mais de vie. Il ne s’agit pas de croire, émotionnellement, intellectuellement, mais d’expérimenter l’éternité. C’est un apprentissage permanent de l’expérience cosmique. Le Sama (la danse)  permet d’exprimer la communion de l’être cosmique et se traduit par l’allégresse du corps et de l’esprit en mouvement.

« O jour, lève-toi, les atomes dansent,
Les âmes éperdues d’extase dansent,
La voûte céleste, à cause de cet être, danse. »
 

L’expérience mystique est liée à l’expérience de l’univers. La danse des atomes reflète la danse des âmes à la recherche de l’éternel.

« Le danseur qui célèbre le sama, tourne sur lui-même, il est point et cercle à la fois. Il est l’axe du monde. Par lui, la terre se relie au ciel et ils entrent en mouvement. »

(Michel Random, Mawlana le Soufisme et la danse, Sud éditions, 1980).

Alors dansons, chantons, mais que la danse et le chant soient intérieurs, que la jubilation envahisse notre corps et notre esprit et nous rendent transparents.

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C'est vrai, n'oublions pas ! Le 21 juillet...

 

 

 

08/07/2014

Au-delà du moi

Celui qui, regardant en lui-même n’y trouvera qu’obscurité, mécontentement, faiblesse et vanité ne doit pas traduire sa déception par un scepticisme amer. Qu’il regarde toujours plus moins, toujours plus profond en lui, jusqu’à ce qu’il perçoive à de faibles signes de souffle léger qui naît de la sérénité renaissante. Qu’il les recueille pieusement, ces signes, car ils prendront vie, grandiront et se changeront en hautes pensées qui franchiront le seuil de son esprit comme des missionnaires célestes annonciateurs d’une voix qui viendra plus tard, la voix d’un être caché, mystérieux qui habite au centre de son être et n’est autre chose que son moi originel.

(Paul Brunton, L’Inde secrète, Payot, 1983, p.308)

 

La recherche de ce Moi originel, appelé également Soi, au-delà du moi, est en Inde un besoin et une tradition. Tradition des hommes qui se dédient à cette recherche à un moment de leur vie ou durant toute leur vie. Besoin, intérieur et profond, qui taraude l’esprit et le corps et non simplement le cœur et l’intellect comme en Occident. Et quoi de plus simple et de plus naturel que de s’assoir et d’entrer en soi-même.

Alors commence la bataille : comment apaiser, dans un premier temps, la multitude de pensées diverses qui envahissent le cerveau. Oui, on s’en doute, elles empêchent la voix de se faire entendre. Mais comment les arrêter ? Chaque jour reprend à zéro son travail d’élagage. Toutes les pensées repoussent dans la journée. Les examiner chaque soir jusqu’à s’endormir en ayant évacué les impressions du jour. Chaque matin, les empêcher de revenir par la méditation.

Un jour vient où elles se taisent. Mais il reste toujours notre propre voix qui, ayant pris de la hauteur, domine notre univers intérieur et lui impose le silence. Elle parle et c’est toujours moi qui parle. Elle est coriace, elle ne cesse de s’imposer, d’autant plus qu’elle est fière d’avoir vaincu le bruit cosmique. Mais il peut vous arriver à certains moments de trouver le silence total, cette paix merveilleuse et enchanteresse qui donne à votre âme la dimension de l’univers. Vous vous êtes oublié vous-même et cet oubli devient évasion. Vous ne vous contemplez plus, détaché de vos propres actions comme auparavant. Non. Vous n’êtes plus ce moi qui toujours vous accompagne. Vous êtes libre, totalement. Vous n’avez même plus à secouer vos vêtements, votre propre corps ou même encore vos pensées. Tout cela est parti en fumée, envolé, et vous êtes libre. Le Soi est là, à portée de main, vous le savez, mais vous ne savez pas qui il est ou ce qu’il est. Mais qu’il est bon d’être englobé d’une telle nébuleuse qui vous accompagne un bout de chemin. Vous n’êtes plus Monsieur ou Madame Untel, vous êtes la vie.

01/06/2014

Un maître soufi, le sheikh al-‘Arabî ad-Darqâwî

« L’âme est une chose immense ; elle est le cosmos entier, puisqu’elle en est la copie. Tout ce qui est en lui, se retrouve en elle, et tout ce qui est en elle, est également en lui. De ce fait, celui qui la domine, le domine certainement, de même que celui qui est dominé par elle, est certainement dominé par le cosmos entier. »

Sheikh al-‘Arabî ad-Darqâwî

 

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Le Sheikh al-‘Arabî ad-Darqâwî vécut au Maroc et y mourut en 1823 à l’âge de 80 ans. Son enseignement peut se comparer à celui des vrais maîtres de tous les temps, par son contenu doctrinal autant que par sa spontanéité spirituelle. Il est essentiellement pratique et sa forme d’expression est simple et directe. Mais n’oublions pas qu’un maître soufi n’invente rien. S’il est une source spirituelle immédiate et originale, il ne fait que reprendre la tradition pour l’adapter au cas par cas. Il ne s’agit pas pour lui de préconiser un mode de vie, mais de recommander à chacun ce qui lui convient.

Maintenant écoutons bien : "l’âme est le cosmos entier.Tout ce qui est en lui, se retrouve en elle, et tout ce qui est en elle, est également en lui". Contempler les étoiles serait contempler son âme. Le monde invisible est en nous, à l’égal du monde visible extérieur que constitue le cosmos. Aussi le Sheikh ajoute : "De là je compris la parole prophétique : « Une heure de méditation est meilleure que soixante-dix ans de pratique religieuse. », étant donné que par une telle méditation, l’homme est transporté du monde créé au monde de la pureté, et l’on peut également dire, de la présence du créé à la présence du créateur".

La méditation permet de s’oublier soi-même et de s’ouvrir à la liberté du cosmos, au vide sidéral qui fait apparaître la présence de Dieu. N’est-il pas étonnant que la vision du satellite COBE montrant la naissance de l’univers soit considérer comme la vision du visage de Dieu ? Là où la première image de l’univers (ou dernière image de ce qui était avant le Big-Bang) apparaît, on entrevoit Dieu. Il en est de même dans l’âme : au-delà de nous-même, aux confins du connu et de l’inconnu, l’âme découvre la divinité.

Et le Sheikh de conclure : "Il est impossible qu’on voit notre Seigneur tout en voyant autre chose que Lui"

 

Un petit livre à lire et relire : Lettres d’un maître soufi, le Sheikh al-‘Arabî ad-Darqâwî, traduites de l’arabe par Titus Burckhardt, Edition Archè Milano, 1978.

25/05/2014

Leçon de vie

Chaque instant de la vie peut se transformer en leçon de vie. Mais la plupart du temps, l’on n’y prend pas garde. L’instant s’en va sans que l’on réalise ce qui s’est passé. Plus tard, bien plus tard, cet instant resurgit dans la mémoire et l’on découvre l’importance d’une expérience inédite.

Jérôme avait dans son écurie un cheval fougueux. Dès qu’il lui présentait un obstacle, sa monture ne pouvait s’empêcher de foncer comme un furieux pour le sauter maladroitement. Cela faisait un an qu’il tentait de le calmer. Certes, ce cheval prenait de belles allures, exprimait sa vivacité avec élégance, mais il suffisait d’un changement d’ambiance pour qu’il retrouve sa nervosité et perde pied. Pour lui apprendre à s’équilibrer aux abords des obstacles, il ne le fit sauter qu’au trot, d’abord avec trois barres par terre ce qui le contraignait à se rééquilibrer avant la détente du saut. Puis il lui fit sauter des doubles, de préférence oxer plus droit de façon à l’obliger aussi à l’équilibre dès la réception du premier obstacle. Le cheval développa une détente extraordinaire et sautait sans problème des obstacles importants avec facilité. Cependant, dès qu’il demandait les mêmes exercices au galop son défaut revenait très vite. Il chargeait commun un fou et enjambait l’obstacle en catastrophe. Comme il fallait à tout prix le sortir et le tester, il fut engagé en concours complet, dans une épreuve de niveau national (à l’époque 4ème série). Tout se passa à peu près bien, avec quelque frayeur sur certains obstacles, en particulier ceux présentant un contrebas important. L’un d’eux, une rivière surmontée d’un oxer, fut particulièrement pénible à franchir. Jérôme décida, l’épreuve étant terminée, de lui faire franchir à nouveau dans le calme l’obstacle. Mais ce fut le trou noir. Il ne se souvient que d’une image, le vol sans pesanteur avant de toucher le sol. Réveil dans l’ambulance qui se dirigeait vers l’hôpital au son des avertisseurs d’urgence.

Après un mois d’inactivité, le temps que son corps se remodèle et se réaffirme, il reprit le travail sur le même cheval. Non, il ne songea pas un instant à l’abandonner ou à le confier à quelqu’un d’autre. Il parla un jour avec un adjudant-chef en charge des jeunes chevaux de ses difficultés. Celui-ci lui confia qu’il valait mieux abandonner l’espoir de lui faire faire du complet en raison de ses problèmes de rééquilibrage aux abords des obstacles. Mais ce n’était pas pour autant qu’il fallait arrêter l’obstacle. Ce jour-là, alors qu’ils étaient seuls dans le manège, le vieux maître lui dit : « Je ne vois qu’une solution. S’il court vers l’obstacle, non seulement laisse-le courir, mais pousse le encore plus fort. S’il ne veut pas tomber, il sera obligé de se tasser. » Jérôme n’était pas très rassuré. Mais il n’avait plus rien à perdre. Le maître mit un bon droit d’un mètre quarante et lui dit : « Ne cherche pas à le retenir ou à l’équilibrer. Il doit trouver tout seul son équilibre et il va forcément se tasser sinon il tombera. Au contraire, pousse-le, plus il approche de l’obstacle. » Jérôme se dit qu’il n’avait plus rien à perdre. Soit les choses se passaient comme le maître l’avait dit, soit il devrait abandonner ce cheval. Prenant son courage à deux mains, après une volte au fond du manège, il se présenta sur la ligne du milieu, face à l’obstacle et à la sortie. Le cheval aussitôt accéléra et rien ne vint tenter de le ralentir. Au contraire, son cavalier le poussait vers l’obstacle, ce qui le contraint à raccourcir sa foulée, à s’équilibrer et, après trois ou quatre petites foulées à sauter. Le saut fut puissant et superbement maîtrisé. Jérôme n’en revenait pas. Certes, il ne contrôlait rien, mais tout se passait beaucoup mieux que lorsqu’il cherchait à lui faire reprendre un équilibre. Il recommença plusieurs fois, écoutant les conseils du maître. Ce fut éprouvant pour lui, car il lui fallait agir à l’inverse de ses habitudes, avec une certaine peur au ventre malgré tout.

Les deux compères se donnèrent rendez-vous chaque jour pour poursuivre cette découverte, améliorer la maîtrise de l’abord avec un obstacle, puis deux, puis trois, enchaînés avec des changements de direction. Le cheval fonçait toujours sur les obstacles, mais avait compris qu’il lui appartenait de se choisir son appel. Jérôme prit confiance en lui, et dès que le cheval accélérait vers l’obstacle il le poussait encore plus. Vint le moment où ils décidèrent de le sortir en saut d’obstacles. L’adjudant-chef dit à Jérôme : « Continue à faire ce que tu fais à l’entraînement. N’ai pas peur et tout se passera bien. » Ce ne fut pas un tour de rêve, mais ce fut tout de même un sans-faute rapide. Huit jours plus tard, il bouclait un nouveau sans faute sans difficulté. Un mois après Jérôme engagea son cheval dans un « choisissez vos points », épreuve de saut d’obstacle dans laquelle le tracé du parcours est laissé libre, chaque obstacle délivrant un certain nombre de points selon sa difficulté. Jérôme, maintenant assez confiant dans sa monture, décida de tenter un grand coup : sauter tous les obstacles les plus hauts et rapporter le plus de points possibles. Il gagna l’épreuve avec pas mal de points d’avance sur le second.

Ce jour-là, il comprit la leçon de vie : il y a une marge aussi importante entre la théorie et la pratique qu’entre la pratique et l’art. La théorie n’est que savoir sans connaissance. Elle ne conduit qu’à une certaine pédanterie parce que sans apprentissage de la réalité. Celle-ci est dure, exigeante et contraint celui qui en fait l’expérience à une certaine modestie. Mais le passage de la pratique à l’art est encore plus contraignant intérieurement. Perdre l’arrogance de la certitude pour se laisser guider par quelque chose qui nous dépasse et lui faire confiance. Ne plus se fier à sa connaissance, mais être prêt à recevoir une pleine confiance en soi tout en se sachant que cette maîtrise ne vient pas de soi. Oui, c’est l’Esprit qui nous sort de notre bien-être maladif et nous permet d’acquérir ce que nous ne pouvons atteindre par nous.

Alors, profitons de ces instants merveilleux ne dépendant pas de notre volonté. Ils nous donnent des ailes et le sourire en plus. Et ce qui s’est réalisé ce jour-là en équitation se réalise en toute chose, qu’elle que soit la discipline. Mais cela n’arrive que si l’on a été jusqu’au bout de ses possibilités de travail personnel.

17/03/2014

La meilleure part

Qui se diminue grandira ;
Qui se grandit diminuera

(Tao-tö King XLII)

 

Quiconque s'élèvera sera abaissé,
Et quiconque s'abaissera sera élevé.

(Mathieu, 23.12)


Les mêmes paroles à quelques 600 ans et plusieurs milliers de kilomètres d’intervalle… C’est réconfortant, non ? Deux civilisations totalement différentes nous disent la même chose, n’est-ce pas interpellant ?

Et aujourd’hui, qu’en pense-t-on ?

Tous nous souhaitons grandir, nous élever. Tous nous tentons de le faire. Certains réussissent, d’autres non !

Grandir, s’abaisser, est lié au pouvoir. S’élever, c’est rechercher le pouvoir temporel. S’abaisser, c’est ne rien chercher, mais accepter le pouvoir spirituel. Non pour soi, mais pour le bien commun.

Chacun a un pouvoir particulier, sa vocation intime qui lui permettra de se réaliser.

Le pouvoir spirituel, c’est apporter aux autres la capacité de s’accomplir en réalisant sa vocation intime. Quel beau pouvoir !

13/03/2014

Sutra du coeur

Le Sutra du cœur est le plus bref texte du corpus du Sutra de la Perfection de la sagesse. Il est récité quotidiennement  dans les monastères zen :

« Sariputra (l’un des principaux disciples du Bouddha), la forme est vide et le vide est forme. Et vides sont les sensations, les perceptions, l’imagination et la conscience. Là où se trouve le vide, il n’y a ni apparence, ni sensation, ni perception, ni imagination, ni conscience. (…)

Il se termine par cette recommandation :

« Et voici le mantra du cœur de la perfection de la sagesse : Aller, aller, aller au-delà, au-delà du par-delà, que l'éveil soit réalisé! ».

 

Ce texte est à rapprocher de la notion de vacuité chère à la pratique du Zen. Le vide n’est pas l’absence de plein. Le vide est la condition nécessaire pour que le plein existe. Le plein a besoin du vide pour exister et le vide a besoin du plein pour être. Qu’est-ce que le vide ? C’est la non existence. Peut-on dire que le vide est le néant, au sens qu’il n’y a rien. Il y a le vide qui emplit tout, qui enveloppe tout, qui donne forme à tout.

C’est en cela que le sculpteur doit faire autant attention au vide qui entoure sa statue qu’au plein qui la définit. Sa perception du vide agit sur la forme qu’il donne. bigbang-150x150.jpg

De même les astrophysiciens s’interrogent sur ce vide sidéral à l’origine (ou non) du Big Bang. Comment le vide peut-il engendrer la nature des choses ?

De même également les mathématiciens s’interrogent sur les rapports entre le zéro et l’infini, car le zéro est un nombre entier naturel bien qu’il soit dans le même temps un nombre à part : 0 n’est le successeur d’aucun nombre, alors que tout nombre différent de 0 est le successeur dun autre nombre.

Enfin, on peut aussi rapprocher cette expérience de l’expérience mystique de Saint Jean de la Croix : la foi est nuit, mais elle est le seul moyen de connaissance de Dieu.

La lumière existerait-elle s’il n’y avait pas l’obscurité du vide ? Elle ne serait pas visible, tout étant lumière. Le rapprochement des contraires est une des clés de la compréhension du monde.

06/03/2014

Le mercredi des Cendres

Dans le Carême, l'homme fait l'expérience intérieure de la purification du moi :

 

 

1° temps

 

pénitence que le moi s'impose

Le moi se coupe de ses attachements et réalise alors l'obscurité qui règne en lui. Il découvre l'intérieur de lui-même, n'ayant jusqu'alors vécu qu'à l'extérieur.

 

2° temps

 

purification du moi

Coupé de ses attachements, le moi se purifie peu à peu. La bulle de l'être se nettoie par nos efforts et devient transparente. C'est alors que par moments la lumière divine pénètre en nous.

 

3° temps

 

mort à nous-mêmes

Le moi s'est purifié. La bulle est propre, mais se noircit de nouveau à chaque instant. Il faut sans cesse la nettoyer.

 

4° temps

 

illumination

L'esprit devient miroir de la lumière divine. Le moi devenu transparent laisse Dieu agir à travers lui dans le monde et offre le monde à Dieu.

Les textes de la liturgie du Carême sont là justement pour montrer la difficulté de cette quête de Dieu dans laquelle les contraires se rejoignent :

"Qui s'abaisse sera élevé",

"Qui perd sa vie gagnera la vie éternelle".

12/01/2014

Au commencement...

Rien et Tout, en une première seconde

L’infini naît du fini
Qui lui-même est né du vide
Et ce vide contenait tout
Le vide était présence
Il donna l’existence
 Et passa de l’absence
A l’essence même des choses

Le vide transcende-t-il le plein
Ou le plein émane-t-il du vide

Aspire au vide pour être plein
Car le plein n’est que vide
Dans l’âme qui se cherche

© Loup Francart

21/12/2013

L'évolution spirituelle

Nous ne sommes pas tous au même niveau spirituel : il existe différents stades.

Le stade un, au bas de l’échelle, je l’appellerai « chaotique/antisocial ». Il concerne environ deux personnes sur dix, dont les gens du mensonge. Tous ceux-là ne connaissent aucun scrupule, aucune spiritualité non plus. Ils feignent d’aimer les autres alors que, dans leurs relations, ils se montrent toujours manipulateurs. Leur seule motivation est de servir leur intérêt personnel, ouvertement  ou de manière détournée.

Le stade deux est le stade « formel/institutionnel ». Ceux qui l’atteignent veulent avant tout que leur vie soit régie strictement par une organisation structurée. Ils sont très attachés aux formes que prend leur confession et n’arrivent pas à comprendre que Dieu vit au fond de nous.

Le stade « sceptique/individuel » est constitué de personnes impliquées dans la société. Ils se montrent curieux, inventifs, créatifs, en quête de la vérité.

Le stade « mystique/communautaire » est celui de gens ayant découvert une sorte de cohésion sous la surface des choses. Les mystiques tentent d’élucider les mystères, tout en sachant qu’un mystère en cache toujours un autre, et que plus ils en dissipent, plus ils en rencontrent.

(D’après Scott Peck, Plus loin sur le chemin le moins fréquenté, Robert Laffont, 1993, p.117)

  

Sans entrer dans des explications qui deviendraient trop importantes pour un blog, on se rend compte que nous sommes tous un peu des quatre types à différents moments de notre vie, voire à différents moments d’une journée. Tout ceci sans nous en rendre compte. Certes, le dernier stade est rare. Il vous frappe lors d’un signe que Dieu envoie de manière indirecte et qui vous coupe le souffle. En un instant, l’immensité des secrets du monde vous frappe et vous met à genoux. Vous n’êtes rien et pourtant vous êtes le tout, unique. Mais très vite vous retombez dans les stades inférieurs, le sceptique/individuel pour les intellectuels ou le formel/institutionnel pour les affectifs. Parfois même, sans en être conscient, vous rétrocédez au stade un sur vos défauts les plus encrés.

 Oui, le chemin est long et loin, mais combien passionnant dès l’instant où vous avez compris que votre vie n’est pas ce que vous faites, mais ce que vous êtes.

08/11/2013

Dépression et méditation

Un état dépressif a souvent pour origine le sentiment de ne pouvoir maîtriser sa vie. Il vient après un évènement qui remet en cause votre vie, vos projets, ce qui compte pour vous. Ce qui semble être un échec dans votre vie devient un enfer car vous ne pouvez vous en échapper. Ce sentiment devient si puissant qu’il finit par occuper en permanence les pensées et de ce fait crée une tension psychologique incontrôlable. Comment s’en sortir ? Conscient que ma souffrance était due au fait que j’étais incapable de m’empêcher de ruminer toujours les mêmes pensées, j’ai cherché à faire taire cette souffrance.

En dehors de la médecine, je constatais que malheureusement notre civilisation occidentale ne nous offre rien. Je ne trouvais rien dans notre religion qui m’offre les moyens de lutter efficacement, rien que des consolations inopérantes face à une vie subie, de bonnes paroles sur l’amour et la compassion. Je me tournais alors vers la civilisation orientale qui propose non pas des philosophies différentes, mais de véritables sciences expérimentales destinées à transformer la psychologie ordinaire de l’homme.

Je commençais à pratiquer la méditation chaque jour, tôt le matin, sans chercher autre chose que l’apaisement du mental. Méditant d’abord sur le monde extérieur, j’en vins peu à peu à pouvoir méditer sur moi-même et mes propres réactions face à l’événement qui avait détruit mon univers antérieur. Cette pratique de la méditation créa très vite un soulagement. M’ouvrant à nouveau au monde, je me libérais du ruminement permanent des mêmes pensées. Cependant, je constatais qu’elles revenaient progressivement au cours de la journée parce que l’effet de la méditation du matin s’atténuait.

C’est ainsi que j’en vins à comprendre la nécessité d’un contrôle permanent sur soi. La seule méditation est insuffisante si elle ne se prolonge pas au cours de la journée. Elle crée une libération de la pensée, mais cette libération implique pour se prolonger la nécessité d’une transformation de soi, c’est à dire non seulement de son mental, mais aussi de ses perceptions, de ses émotions, de ses sentiments. Peu à peu, je découvris que la compréhension des choses et des êtres ne vient pas seulement  de l’intelligence,  mais aussi du cœur et du corps.

04/10/2013

Introduction et danse chamane de l’Equateur, par Patricio Cadena Perez & Miguel Arcos

http://www.youtube.com/watch?v=wxiSJxwOzos&list=UUCXpMqfV5bos-JTzm1iONpg


Une longue litanie qui s’égrène sans fin et qui commence sur quatre notes en mineur, sorte de support à la mélodie principale qui monte comme un cri ou un gémissement. Oui, ce sont des pleurs qui exprime l’inquiétude de l’homme face à l’immensité du monde et l’incompréhension qu’il en a. Derrière la mélodie principale apparaît tout à coup une sorte de chant sourd, puis plus clair, comme un appel venant du plus profond de l’âme, une âme perturbée, égarée, noyée dans l’immensité du cosmos. Parfois un hoquet dans le souffle de l’instrument. Progressivement le chant se transforme en une demi-danse rythmée, accompagnée par la guitare qui devient diserte. Elle prend de la place, s’exprime à son tour, en contrepoint du chant qui devient ténu. Puis tout reprend sa place, chant et accompagnement.

Une atmosphère étrange que cette introduction qui est une véritable pièce en soi. Les anciens d'Equateur disaient : « Pour soigner ou participer à une cérémonie, il faut venir con corazon puro y mente en blanco » (avec un cœur pur et le mental blanc). Dépouillé du sens habituellement donné au monde, le chamane dresse son propre monde face à l’ordinaire et découvre l’envers qui existe en lui. Il devient chasseur, un être qui n’a plus d’histoire et qui devient inaccessible. « Un chasseur est intimement en rapport avec son monde et cependant il demeure inaccessible à ce monde même. Il est inaccessible parce qu’il ne déforme pas son monde en le pressant. Il le capte un tout petit peu, y reste aussi longtemps qu’il en a besoin, et alors s’en va rapidement en laissant à peine la trace de son passage. » (Don Juan, d’après Castaneda).

23/09/2013

Qui es-tu ?

Si vous posez à quelqu’un la question : « Qui es-tu ? » Il peut vous dire son nom, où et quand il est né, quels diplômes il a obtenu. Ces réponses ne touchent pas à son être essentiel.

Je peux approfondir et demander : « Quel est ton caractère ? » Il ne pourra probablement pas répondre. En effet, la plupart des gens ne connaissent pas leur caractère. Mais ceux qui le fréquentent en donneront aisément une description. S’il lui arrive d’entendre cette description, elle sera presque certainement déçue, car ce que les autres considèrent comme son caractère, ne correspond pas à sa personnalité la plus profonde.

Il faut donc aller encore plus loin, jusqu’à l’inconscient. L’aide d’un psychologue, voire d’un psychiatre, sera peut-être requise. Grâce à ce dernier, vous parviendrez peu à peu à une compréhension plus profonde de la structure de la personnalité, de ses aspects positifs ou négatifs et vous saisirez mieux comment tout cela est apparu et s’est développé au cours des ans. Mais cette connaissance n’épuise pas l’être profond.

Et si vous pénétrez plus profondément, jusqu’à un niveau que la psychologie des profondeurs ne peut atteindre et que vous posez la question : « Qui es-tu ? » Il vous sera répondu : « Je ne sais qui je suis. Mais je suis unique et autre ».

« Dieu m’est plus intérieur que ma propre intériorité », dit Saint Augustin.

19/09/2013

Votre histoire personnelle

« Je n’ai plus d’histoire personnelle. Lorsque j’ai eu la sensation qu’elle n’était plus nécessaire, je l’ai laissé tomber. », explique Don Juan Matus, le sorcier Yaqui de Carlos Castaneda.

Les Evangiles nous disent la même chose sous une autre forme : « Quitte ton père et ta mère », ce qui signifie quitte toutes tes attaches matérielles et surtout émotionnelles, sentimentales et même intellectuelles. Le Zen nous le dit également, mais différemment : « Calme ton esprit, soit présent à toi-même quoi qu’il arrive, fais le vide en toi, fais taire tes émotions ».

Mais sommes-nous capables de nous passer de notre histoire personnelle ? Certains nous diront : « Mais bien sûr, je serai heureux de ne plus penser à mes malheurs, de ne plus ruminer mes manques, mes défauts, mon impuissance à être. » Cependant, la plupart du temps, ils ne vivent que de leurs problèmes et ne peuvent s’intéresser suffisamment à autre chose pour ne plus y penser. D’autres penseront : « Mon histoire n’est pas brillante, mais j’y ai consacré suffisamment de temps pour ne pas la laisser tomber maintenant. » Et dans tous les cas, les autres ne vous adressent la parole que sur leur ou votre histoire personnelle : Qu’avez-vous fait ? Que pensez-vous de ? Alors si vous laissez tomber votre histoire personnelle, vous n’aurez plus de sujets de conversation ; vous deviendrez associable.

Tout ceci est vrai, mais votre histoire a-t-elle autant d'intérêt que vous semblez lui attacher ? Votre état civil, votre état familial, votre profession, votre rôle social ont-ils tant d’importance. N’êtes-vous pas autre chose derrière ces apparences successives ?  Fouillez dans votre vie les instants les plus heureux. Ne sont-ils pas ceux pendant lesquels vous vous êtes oubliés, pendant lesquels vous avez perdu de vue votre moi immédiat ? Ces instants d’extase vécus devant un coucher de soleil, une musique qui vous sort de vous-mêmes, un tableau dans lequel vous vous noyez, ne sont-ils pas préférables à toutes les joies de votre petit moi. C’est justement lorsque vous abandonnez votre histoire personnelle que vous découvrez la vraie vie.

Alors tentons de tout laisser tomber. Partez un jour sans rien avec vous, habillez-vous différemment et laissez-vous porter par la vie, seconde par seconde, minute par minute, heure par heure. Quelles vacances rafraîchissantes !

14/09/2013

La dépression

Un état dépressif a souvent pour origine le sentiment de ne pouvoir maîtriser sa vie. Ce n’est pas les malheurs qui nous accablent qui nous rendent dépressif, c’est le fait que ces malheurs nous prennent tout entier, nous interdisent toute autre pensée, nous centrent non sur ce que nous pouvons faire, mais sur ce que nous ne pouvons pas faire. Ce que le psychiatre Boris Cyrulnik appelle la résilience est la capacité à reprendre un développement  malgré l’adversité. Si l’on ne possède pas cette résilience, si l’on n’est pas capable de reprendre le dessus face au malheur, on déprime, on se réduit à l’état de victime, état dans lequel nous entraînent ceux qui nous veulent du bien.

Oui, un état dépressif a souvent pour origine le sentiment de ne pouvoir maîtriser sa vie. Ce sentiment devient si puissant qu’il finit par occuper en permanence les pensées et de ce fait crée une tension psychologique incontrôlable.

Conscient que la souffrance est due au fait que l’on est incapable de s’empêcher de ruminer toujours les mêmes pensées, il faut chercher à faire taire cette souffrance par nos propres moyens. C’est une résilience active et volontaire et non passive et due à un événement indépendant de notre volonté.

La médecine ne nous offre le plus souvent que des cachets antidépresseurs qui soignent les conséquences, mais ne retirent pas la cause. Notre religion en général ne nous permet pas de lutter efficacement. Certes, elle nous entoure de bonnes paroles et de fraternité. Mais là aussi, ce n’est qu’un traitement des conséquences et non de la cause. Il s’agit de changer notre psychologie habituelle, de faire des expériences intérieures qui vont nous permettre de dominer notre incapacité à penser par nous-mêmes. Ne plus être pensé au travers de nos émotions. Le jour où l’on commence à envisager ce changement volontaire en soi, on est sur le chemin de la résilience volontaire. On passe du savoir, à la connaissance par l’expérience. C’est dur, on tombe et on retombe, mais quel chemin si l’on persévère.

10/09/2013

Le changement (suite de l’article du 25 février 2013)

Le changement caractérise notre monde. Tout y change sans cesse, rien n’est jamais pareil, ni les êtres, ni la matière, ni l’univers lui-même. Et pourtant nous ne le percevons pas. Nous nous habituons à un monde immobile qui nous convient mieux car il ne nous demande pas d’effort.

Ce qui s’oppose à la perception du changement est bien l’habitude qui nous donne un sentiment de sécurité, voire de bien-être. Mais cette habitude apporte avec elle l’immobilisme. Pourquoi entreprendre ?

Acceptez le changement, il est source de rebondissement, de revitalisation, de renouvellement de soi. Acceptez la remise en cause de votre être, des buts que vous vous êtes fixés et renouvelez votre vie, modifiez ses orientations, donnez-vous de nouveaux buts. Quel bain purifiant !

Vivez plusieurs vies, donnez-vous la joie de la nouveauté, abandonnez vos positions installées, gardez simplement de quoi subvenir et abandonnez vos bagages.

Vous en serez plus unique, plus vous-même et vous découvrirez votre moi permanent (le Soi) derrière le moi fugace et malhabile auquel vous êtes habitué.

Et si vous n'êtes pas convaincu, allez voir ce film intitulé "La partition inachevée" : comment le changement intervient à n'importe quel moment !

 occasion,société,univers,psychologie,spiritualité

30/08/2013

Le Seigneur soit avec vous

« Le seigneur soit avec vous »

« Et avec votre esprit »

 

 Cette formule est une formule de salutation sacrée.

La première phrase s’adresse à la fois à Dieu et à l’assistance : à Dieu parce qu’elle lui demande  d’accorder à chacun des fidèles présents la grâce, à l’assistance parce qu’elle est l’expression de l’amour du célébrant qui, ayant découvert l’Esprit, a pour seul désir de le partager avec d’autres. Enfin, si l’on se place du point de vue du fidèle, s’il est disposé à accueillir le Seigneur, la formule est libératrice du moi. Le fidèle seul ne peut accomplir totalement sa transformation. L’aide du célébrant va permettre cette mutation par la seule force la foi.

La formule résume une grande partie du mystère de la messe et explique le caractère sacré du prêtre, intermédiaire, intercesseur entre Dieu et l’homme. Est prêtre, est sacré, celui qui vit en esprit. Dieu lui donne la grâce d’être l’intermédiaire entre lui et ceux qui n’ont pas encore la vie en esprit, soit parce qu’ils l’ont perdu, soit parce qu’ils ne l’ont pas encore connue. Tout homme qui vit en esprit reçoit une mission d’action temporelle dans ce monde. La prêtrise est une de ces missions. Pour que ce rôle qu’il a parmi les hommes soit conforme à la volonté de Dieu, il est nécessaire qu’il s’efforce en permanence de vivre en esprit. Ce don de Dieu, cette grâce, n’est possible qui si sa vie est tendue vers une constante purification.

La réponse des fidèles «  Et avec votre esprit », a aussi deux significations. La première est qu’il s’agit d’une nécessité pour que le sacrifice de la messe soit conforme à la volonté divine. La seconde est que le fidèle contribue à cette purification en demandant à Dieu d’accorder à son ministre la vie en esprit.

Ainsi, le sacrifice de la Messe doit procéder d’une action trinitaire où Dieu, le prêtre et le fidèle vivent un échange permanent et invisible. Le fidèle demande à Dieu la grâce pour le prêtre, le prêtre demande à Dieu la grâce pour le fidèle, Dieu accorde au fidèle sa grâce par l’intermédiaire du prêtre. Ceci s’accomplit par la grâce du Christ qui dispense l’amour du père dans la communion de l’Esprit Saint.

25/07/2013

Le kouan

Le kouan, c’est la contemplation d’un être sur le monde, en prenant de la hauteur, comme s’il regardait du haut d’une tour. C’est une vision nouvelle qui donne le pouvoir de passer du matériel au spirituel.

Ce dessin fait à l’encre de Chine met en évidence le contraste entre la verticalité du pont représentant le matériel et l’horizontalité de l’eau et de la terre. La lune crée le lien entre les deux.

11-04-03 Kouan.jpg

23/07/2013

Quatuor pour la fin du temps, Olivier Messiaen

 

http://www.youtube.com/watch?v=jXxmvsllhCg

 

"Lorsque j’étais prisonnier, et j’ai conçu et écrit ce quatuor pendant ma captivité à Görlitz en 1941, l’absence de nourritures me donnait des rêves colorés : je voyais l’arc-en-ciel en l’ange et d’étranges tournoiements de couleurs. Mais le choix de l’Ange qui annonce la fin du Temps, repose sur des raisons beaucoup plus graves.

Musicien, j’ai travaillé le rythme. Le rythme est par essence changement et division. Etudier le changement et la division, c’est étudier le Temps. Le Temps (mesuré, relatif, physiologique, psychologique) se divise de mille manières dont la plus immédiate pour est une perpétuelle conversion de l’avenir en passé. Dans l’éternité, ces choses n’existeront plus. Que de problèmes ! Ces problèmes, je les ai posés dans mon quatuor.

Au nom de l’apocalypse on a reproché à mon œuvre son calme et son dépouillement. Mes détracteurs oublient que l’apocalypse ne contient pas que des monstres et des cataclysmes : on y trouve aussi des silences et des adorations, de merveilleuses visions de paix." (Olivier Messiaen)

Ce quatuor contient huit mouvements : Liturgie de cristal ; Vocalise pour l'Ange qui annonce la fin du Temps ; Abîme des oiseaux ; Intermède ; Louange à l'éternité de Jésus ; Danse de la fureur pour les sept trompettes ; Fouillis d'arcs-en-ciel, pour l'Ange qui annonce la fin du Temps ; Louange à l'immortalité de Jésus.

Le rythme est le sujet du quatuor. Le Temps est dilaté, il s’écarte du rythme de la vie quotidienne, matérielle. Il prend ses aises, refuse la mesure rythmique, la périodicité, la mélodie ordinaire fondée sur des reprises. Messiaen va même jusqu’à écrire : « Une musique rythmique est une musique qui méprise la répétition, la carrure et les divisions égales, qui s’inspire en somme des mouvements de la nature, mouvement de durées libres et irrégulières ».

On est parfois choqué par la dureté du piano, l’aigu de la clarinette. Mais bien souvent on respire les sons authentiques de l’éternité, juché sur un savon qui se laisse glisser du bord du lavabo jusqu’au siphon où le temps s’arrête. Et par cet étranglement, on écoute fasciné, les sons d’un monde sans temporalité.

30/06/2013

La dernière traque

L’art de la guerre est l’utilisation du vide. Ne voir que le plein des armées conduit à l’affrontement avec ses risques d’échec ou au moins de blocage. La manœuvre consiste à utiliser le vide pour s’emparer du plein.  Celui-ci tombe comme un fruit mûr.

Le même constat est fait dans "Le rire de l’ogre", ce roman de Pierre Péju dans lequel Dodds dit : « Une sculpture, bien lourde, bien dure, c’est aussi à ça que ça sert : à révéler du vide. Tu vois l’espace entre les formes, c’est aussi une forme ».

De même encore, on ne se sent vivant que lorsqu’on se débarrasse de ses propres richesses. La difficulté de tout être vivant est de trouver cet équilibre entre la connaissance par l’expérience que donnent les années et l’amour ou la confiance qu’apporte une virginité à entretenir. Le noir et le blanc. Le blanc seul n’a pas de sens, il n’est que vide. Le noir seul est également vide. L’harmonie naît de cet équilibre entre le blanc et le noir, la marque d’une vie sous le regard de Dieu.

Selon les âges il appartient à l’homme de mettre l’accent sur un ou l’autre aspect. Il appartient à l’homme jeune de construire sa personnalité. Mais il lui faudra un jour ou l’autre la remettre en question sous peine de ne plus avancer. Il lui faudra se déconstruire pour poursuivre son enrichissement. Il devra abandonner certaines richesses physiques ou psychologiques (ses passions ?) pour progresser sur le chemin de la vie, et cela jusqu’à son dernier jour. Mais comment atteindre cette virginité d’esprit lorsque ces richesses sont grandes ? Plus l’on a reçu, plus il est difficile de ne pas s'enfler.

Méditer, c’est l’art de redécouvrir sa virginité, de redécouvrir le vide entre les pleins, c’est un art de guerrier. La dernière traque : celle de son propre fantôme fabriqué de toute pièce, qui n’est qu’apparence et fumée.

24/04/2013

Le beau et l'art abstrait

Dans son livre « Du spirituel dans l’art », Kandinsky proclamait que nous commençons à peine à être libérés de notre dépendance par rapport à la nature. Il écrivait : « La subordination de la composition à la forme géométrique n’est pas une idée nouvelle. La construction des fondements purement spirituels est une chose lente, et qui paraît au début aveugle et sans méthode. L’artiste doit éduquer non seulement son œil mais aussi son âme, de façon à pouvoir juger les couleurs d’après leur propre échelle, et à faire d’elles un facteur déterminant dans la création artistique. (…) La beauté de la forme et de la couleur n’est pas un but suffisant en soi. (…) »

Pour Kandinsky, l’expression finale abstraite de tout art est le nombre. Il signifie par là qu’une œuvre d’art est une construction cachée, au-delà d’un simple effet de décoration géométrique. Il écrit en 1912 que le siècle approche d’un temps de composition raisonnée et consciente, où le peintre sera fier de dire de son œuvre qu’elle est construite.

Un siècle plus tard, qu’en est-il ? Ce mystère de la construction de l’abstrait est-il toujours vrai ?

Non, probablement. Prenons l’exemple du tachisme, de l’action painting, de l’abstraction lyrique. C’est une peinture qui est en réaction par rapport au cubisme et à la géométrie en général. Le choc du spectateur qui lui fait dire c’est bien une œuvre d’art ne tient pas à la construction du tableau, mais à l’impression visuelle immédiate qui introduit un déclic dans son esprit.

Oui, sûrement. Cette construction quasi inconsciente est essentielle pour démarquer le peintre du décorateur, l’artisan de l’artiste. Elle n’est pas raisonnée. C’est par expérience, échecs et succès, que progressivement peintre découvre cette différence. Tout son art est dans cette construction qui produit des effets calculées, sans qu’il soit réellement capable d’en dire les causes et d’en tirer des principes de construction suffisamment élaborés pour promouvoir plus qu’une simple école. Parfois, ce n’est que lorsque le tableau est fini que l’artiste est déçu : il croyait faire œuvre d’art et n’a fait qu’un objet de décoration. Quelle déception ! Mais dans le même temps, quel apprentissage vers le beau !

09/04/2013

Silouans Song, composée par Arvo Pärt

ttp://www.youtube.com/watch?v=_hUEKapz9cE

 

 

Ce n’est pas de la musique religieuse, destinée à accompagner une cérémonie. Mais c’est certainement de la musique sacrée, au sens où elle vous transforme et devient preuve du numineux. Composée pour un orchestre à cordes en 1991, elle s’insinue en vous et contraint à l’écoute, au calme, à la méditation. C’est bien un chant qui naît dans la cathédrale intérieure de votre être. Il est ténu, presqu’inaudible parfois, envahissant à d’autres moments. Il va finir sans qu’on s’en aperçoive. Il se poursuit en écho et résonne en vous bien après s’être arrêté. Il vous laisse le silence, un vrai silence intérieur, comme celui de la neige qui tombe sans bruit dans la forêt.

Arvo Pärt est vraiment un grand compositeur dont l’inspiration profondément spirituelle conduit à une musique prophétique. Il s’inspire ici du Staretz Silouane, moine du Mont Athos. Mon âme languit après le Seigneur… Et toutes les nuits, Silouane cherchait celui-ci dans le silence de sa cellule.

25/03/2013

L’Inde secrète, de Paul Brunton (Payot, 1983)

Depuis 1937, date de la première édition française de ce livre, nombreux sont les auteurs indiens et étrangers, qui ont parlé de cette Inde mystérieuse qui est celle des yogis, fakirs et autres magiciens. En 1930, cette Inde secrète et sacrélittérature, spiritualité, Indouisme, sagesse était une découverte. Paul Brunton parcourut l’Inde, se frottant à toutes les couches de la société, rencontrant des saints hommes et saintes femmes de toute espèce, simulateurs et véritables maîtres. Ainsi du magicien venu d’Egypte qui lit dans les pensées ; de Meher Baba, le messie qui lui prédit la seconde guerre mondiale et qui, à la question : « Comment savez-vous que vous êtes un messie ? », répond sans hésiter : « Je le sais ! Je le sens ! », sans plus d’explication. Il découvre l’anachorète de l’Adyar, qui pratique le Yoga du contrôle du corps et lui apprend la position du lotus.

Au moment où il repart en Europe, dépité, sans avoir trouvé un véritable maître, il s’interroge : « Insensé, voilà donc le fruit de tant d’aspirations, de tant d’années perdues ! Tu vas suivre la voie banale, le chemin tracé, oublier tout ce que tu viens d’apprendre, noyer dans le tumulte des sens ce qu’il y avait de meilleur en toi ! (…) Es-tu sûr que nul parmi les hommes que tu as rencontrés n’était le maître que tu cherchais ? » Et il entend une voix en lui qui lui dit de retourner voir le Maharichi et son image surgit devant ses yeux. Il repartira donc à l’autre extrémité de l’Inde. Et celui-ci lui explique : « Posez-vous sans relâche cette question : Qui suis-je ? Analyser votre moi jusque dans ces replis les plus profonds. Tâchez de trouver où commence le moi-pensée. Allez au-delà, poursuivez vos méditations, tournez votre attention vers le monde intérieur. Un jour la roue de la pensée qui tourne sans cesse nous conduira en un point où l’intuition directe jaillira spontanément du fond de votre être. Suivez-la, cessez alors de vous penser et vous toucherez le but. »

Et Paul Brunton découvre cette vie spirituelle qu’il attendait tant :

L'ego s'imagine à tort qu'il existe deux Moi, l'un fonctionnant actuellement (l'individu) et l'autre, le Moi supérieur, le Moi divin, dont nous prendrons un jour conscience. C'est une erreur. Il n'y a qu'un Moi et il est pleinement conscient, actuellement et à jamais.
Pour lui n'existe ni passé, ni présent, ni avenir, car il est hors du temps.
Sans ce Pouvoir infini, Dieu, le vrai Moi, cet encens ne pourrait pas brûler, ce monde n'existerait pas. Le Soi est présent dans toutes les formes. Lui seul leur donne réalité.
C'est pourquoi l'être illuminé s'aperçoit qu'il est présent dans tous les autres, car il a trouvé l'Unité et a cessé de percevoir la multiplicité.
L'Univers existe au sein du Soi. C'est pourquoi il est réel, mais cette réalité lui vient du Soi. On dit toutefois qu'il est irréel à cause de ses transformations perpétuelles et de ses multiples formes ; on dit par contre que le Soi est réel parce qu'il est immuable.
Après la Réalisation ni le corps, ni le reste  n'apparaîtront différents du Soi.
Ishvara, Dieu, le Créateur, le Dieu personnel, est la dernière des formes irréelles à s'évanouir ; seul l'Absolu est réel.

"Au milieu de la caverne du cœur,
 en forme de Moi, en forme de Soi,
 unique et solitaire,
 tout droit de soi à soi
 le Brahman resplendit !
 Pénètre toi-même en ce dedans,
 ta pensée perçant jusqu'à sa source,
 ton esprit plongé en soi,
 souffle et sens au tréfonds recueillis,
 tout de toi en toi fixé,
 et là, simplement, sois!"

15/03/2013

Danse soufi sur l’ennéagramme

Retour aux soufis en passant par Gurdjieff, cet étrange personnage. C’est très probablement lui qui a inventé cet ennéagramme. Le livre d’Ouspensky « Fragments d’un enseignement inconnu » (Stock, 1974) en donne une explication p.404.

http://www.youtube.com/watch?v=Qid15QgzXSI


 

Mais on est vite perdu dans les commentaires d'Ouspensky qui mêlent la théorie des octaves musicales mettant en évidence la discontinuité des vibrations et la déviation des forces à celle des chocs additionnels. Pour Gurdjieff, l’ennéagramme est le symbole universel du mouvement perpétuel : « Pour être compris, il doit être pensé comme étant en mouvement, comme se mouvant. Un ennéagramme figé est un symbole mort ; le symbole vivant est en mouvement. »

D’où cette danse qui met en évidence la ronde des hommes dans le mouvement perpétuel et l’importance pour ceux-ci d’entrer en harmonie avec ce mouvement.

Arrêtons-nous simplement à la beauté et à l’harmonie de la danse des hommes sur le chemin de l'éternité.

01/03/2013

La perception du divin

Un jour, l’Homme prend conscience qu’il est devenu sensible à une certaine perception du Divin répandu partout. Interrogez-le. Quand cet état a-t-il commencé pour lui ? Il ne pourrait le dire. Tout ce qu’il sait, c’est qu’un esprit nouveau a traversé sa vie.

« Cela a débuté par une résonnance particulière, singulière, qui enflait chaque harmonie – par un rayonnement diffus qui auréolait chaque beauté…Sensations, sentiments, pensées, tous les éléments de la vie psychologique de prenaient l’un après l’autre. Chaque jour ils de venaient plus embaumés, plus colorés, plus pathétiques, par une Chose indéfinissable, - toujours la même Chose. Puis la Note, le Parfum, la Lumière vagues ont commencé à se préciser. Et alors je me suis mis à sentir, contre toute convention et toute vraisemblance, ce qu’il y avait d’ineffablement commun entre toutes ces choses. L’Unité se communiquait à moi, en me communiquant le don de la saisir. J’avais vraiment acquis un sens nouveau, - le sens d’une qualité ou d’une dimension nouvelle. Plus profond encore : une transformation s’était opérée pour moi dans la perception même de l’être. L’être désormais a commencé à m’attirer et à me griser. »

(Teilhard de Chardin, Le Milieu divin, Editions du Seuil, 1957, p.159)

 

C’est le commencement de la vie, une exaltation, une envolée, une évasion et un émerveillement. Cet état est semblable à l’amour. Sauf que cet attrait nouveau pour le monde n’est pas lié à la présence ou l’absence de l’être aimé(e). Il est universel et porte sur tout : les hommes et les femmes, les espèces animales et végétales, les paysages, l’obscurité et la lumière, l’immensité du cosmos. L’être s’agrandit, se dilate, tout en se dégonflant lui-même de toute velléité de richesse matérielle ou morale. Vous flottez dans l’azur tout en observant avec une acuité nouvelle un monde nouveau, illuminé, transfiguré par cette présence que vous ignoriez.

Malheureusement cela ne dure pas. Reviennent les jours mornes et silencieux. Quelle épreuve ! Vous perdez votre raison de vivre. Vous vous efforcez de la regagner. Vous y arrivez, vous échouez, vous êtes balloté entre un monde sans signification intérieure et un état où tout s’explique de manière claire. Ce n'est pas une compréhension intellectuelle. Ce n'est pas un raisonnement extérieur à vous-même. Cette expansion est perceptible instantanément, sans filtre, sans concepts. Elle vous unit. Il n’y a plus d’un côté les émotions, les sentiments, et de l’autre l’intellect ou encore le physique. Vous vous harmonisez et vous unifiez. Surtout ne pas conceptualiser cet état. Cela suffit à le désenchanter.

Allons, est-ce possible ? Oui, et cela est donné à tout homme. Merci à celui qui se cache derrière tout cela.

13/02/2013

Entrée en Carême, entrée en soi-même

 Le terme Carême signifie quarantaine. C'est le chiffre indiquant le temps d'une étape spirituelle, d'une transformation. Il y a ainsi les quarante ans d'exode, les quarante jours de méditation de Moïse sur la montagne, les quarante jours au désert de Jésus.
 C'est une période où l'homme entre en lui-même pour renaître à une vie nouvelle.
Cette renaissance, ou passage, ou Pâque, est nécessairement précédée par une période difficile où l'homme connaît des hauts et des bas, une nécessaire épreuve où il apprend peu à peu à abandonner sa volonté entre les mains de Dieu alors qu'il a besoin en même temps de sa volonté pour lutter contre lui-même.
 L'expérience du Carême, c'est la découverte de l'amour que Dieu nous porte et qui nous pousse à aller au-delà des apparences. C'est à la fois un effort et une délivrance joyeuse.

25/12/2012

Vivre la nativité

Dans sa sagesse, chaque année, l’Eglise nous offre de vivre  et de revivre l’expérience chrétienne.

Car c’est bien à une expérience qu’elle nous invite au-delà de la vision théologique. Chaque année, l’Eglise m’invite à la conversion dans le temps de l’Avent ; chaque année, l’Eglise m’invite à vivre la naissance du Christ en moi ; chaque année, l’Eglise m’invite à mourir à moi-même comme le Christ le fit lors de sa passion ; et chaque année, l’Eglise m’invite à participer à la gloire du Père dans la lumière de la Pâque. Chaque année de ma vie, je suis invité à approfondir ce cycle merveilleux de l’expérience chrétienne. Lié au cycle naturel des saisons, il se déroule en spirale, à l’égal de ma vie humaine, avec ses élans et ses chutes, avec sa puissance et ma pauvreté, avec la distance toujours vécue qu’il y a entre l’expérience de la vie divine en nous et l’expérience de notre pesanteur à la faire perdurer en nous.

La liturgie du temps de Noël nous convie à méditer les trois aspects du mystère de l’Incarnation. D’abord la naissance éternelle du Verbe qui reçoit éternellement la nature divine du Père. C’est à ce titre qu’est lu dans la messe du jour de Noël le prologue de l’évangile de Saint Jean : Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui, tout s’est fait...  Ensuite, la naissance temporelle du Verbe dans l’histoire des hommes : et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous... Enfin, la naissance spirituelle du Verbe en chacun de nous pour donner vie à l’Eglise, corps mystique du Christ : tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

24/12/2012

Musique religieuse chinoise

http://www.youtube.com/watch?v=zuvGyqCkwDM&NR=1&feature=endscreen

 

Où est-ce ? Peut-être en Chine. Pékin, Shanghai ? La cérémonie est probablement bouddhiste, reconstituée sur la scène d’un théâtre. C’est beau, c’est évidemment très médiatique ou théâtral, avec effets de sons, de lumières, de mouvements et bien sûr un présentateur à l’occidental. Mais derrière toutes ces apparences, il y a quelque chose qui dépasse la simple représentation : le mystère des traditions religieuses. Et derrière la tradition primordiale qui concerne le fond même de la religion (En qui croyons-nous et quel est notre Dieu ?) on trouve la musique, qui, comme la forme de la liturgie, permet d’accéder à l’au-delà des apparences. Et l’on s’étonne ! On pourrait se croire dans un monastère chrétien. C’est parfois assez proche du chant ambrosien ou du chant vieux romain, voire du chant grégorien. N’est-il pas étonnant que deux civilisations que rien ne rapproche, s’éveillent à l’invisible et à l’inaudible par les sons. La même expérience du « numineux », la même quête d’un monde absolument autre (R. Otto, Le sacré, Paris, 1929, p.22).

Voir en 52. Liturgie, la note du 29 décembre 2010, intitulée « Réflexions sur la musique sacrée ».

Cependant, même si les similitudes sont réelles, la forme et l’expression du chant sont fondamentalement différentes.

La forme est modale et pentatonique, ce qui signifie que la gamme sur une octave ne comprend que cinq notes et non sept comme notre gamme tempérée. Et cette gamme peut former des modes d’une étendue plus large que l'octave et comportant des fondamentales et dominantes très variées.

Voir en 42. Théorie de la musique, la note du 17 octobre 2011, intitulée « La musique extrême-orientale ».

On peut également noter que le chant lui-même est assez différent du chant occidental dans sa manière de le produire. Les modulations sont le plus souvent nasales, les sons sortent de la gorge en utilisent assez peu la caisse de résonance du conduit vocal.

 

Nous analyserons dans les jours qui viennent  toute cette musique d'Extrême-Orient. Pour l'instant emplissons-nous de ces chants qui réjouissent l'âme, malgré leur monotonie.

12/12/2012

Les deux cages

Ainsi s’intitule ce très bref récit, cette fable ou parabole, de Khalil Gibran, publié dans l’opuscule "Le fou" :

Dans le jardin de mon père, il y a deux cages. Dans l’une, il y a un lion que les esclaves de mon père avaient apporté du désert de Ninive ; dans l’autre, il y a un moineau silencieux.

Chaque jour, à l’aube, le moineau s’adresse ainsi au lion : "Bonjour, frère prisonnier !"

 

A quoi tient donc notre égalité entre les hommes ? Elle n’est due ni à notre corps, qui marque des différences importantes avec ceux de nos voisins, ni à notre intelligence, ni à nos dons multiples. Chaque homme est homme par les différences qu’il a par rapport aux autres hommes. Alors, où est l’égalité ?

Nous sommes tous prisonniers du monde dans lequel nous vivons et chacun fait de cette prison un royaume ou un enfer. Qu’êtes-vous, vous qui dormez dans votre cellule ou qui rugissez entre les barreaux ou encore qui rêvez à ces paysages du dehors, inaccessibles ? Vous êtes le lion, puissant et fier, mais prisonnier.

Et ce moineau, qu’a-t-il de plus ? Il est silencieux, c’est-à-dire qu’il ne parle pas pour ne rien dire. Chaque matin, il apporte sa goutte de rosée à la journée : « Bonjour, frère prisonnier ! » Il est conscient de ce qu’il vit, de cette prison imposée à lui-même. Mais il la dépasse par cette adresse à son frère. Et cette adresse est un rayon de soleil pour tous : que le jour soit bon malgré notre prison. Nous sommes frères devant la vie et nous serons frères devant la mort. Puis, plus de prison.

08/12/2012

Le démon et mademoiselle Prym, récit de Paulo Coelho

Le bien et le mal, éternels opposés, mais toujours tellement proches l’un de l’autre en un seul être humain, si bien que le problème permanent de l’homme, n’est pas de se comporter tantôt bien tantôt mal, mais de marcher sur la crête incertaine qui les sépare, sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre.

Quelle idiotie, me direz-vous. Certes, je ne parle pas du bien à la manière de saint François d’Assise ou du mal à la manière d’Hitler (sans doute parce quelittérature,spiritualité,religion,philosophie,bien et mal j’ai encore en souvenir le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt). Je parle des petits biens et des petits maux qui sont à notre portée. Ils sont si opposés et si proches en même temps. On croît faire le bien, mais le résultat ou les conséquences deviennent des maux, et inversement. De plus, la frontière n’est jamais visible. Elle se faufile comme une ficelle tombée par terre, tantôt à gauche vers le mal, tantôt à droite, vers le bien. Et elle bouge. Alors cette instabilité est décourageante. Comme l’équilibriste sur son fil, il faut regarder au loin, et ne jamais baisser les yeux, sinon le vertige vous prend et vous conduit d’un côté ou de l’autre.

C’est l’histoire de Mademoiselle Prym, Chantal, serveuse de bar dans un village perdu et paisible qui, en un jour, ne regarde plus au loin et se laisse entraîner à droite et à gauche selon les circonstances. L’étranger, arrivé la veille, lui montre des lingots d’or qu’il a cachés dans la terre. Pour la séduire, pense-t-elle. Je ne me laisse pas prendre par un piège aussi grossier. Mais… Elle pourrait apprendre à l’aimer. Et l’homme lui dit : « C’est exactement ce que je veux savoir. Si nous vivons au paradis ou en enfer. » Il poursuit : « J’ai découvert que si nous avons le malheur d’être tentés, nous finissons par succomber. Selon les circonstances, tous les êtres humains sont disposés à faire le mal. » Enfin, il propose son marché : « Si au bout de sept jours, quelqu’un dans le village est trouvé mort, cet argent reviendra aux habitants et j’en conclurai que nous sommes tous méchants. Si vous volez ce lingot d’or mais que le village résiste à la tentation, ou vice versa, je conclurai qu’il y a des bons et des méchants, ce qui me pose un sérieux problème, car cela signifie qu’il y a une lutte au plan spirituel et que l’un ou l’autre camp peut l’emporter. (…) Si, finalement, je quitte la ville avec les onze lingots d’or, ce sera la preuve  que tout ce en quoi j’ai voulu croire est un mensonge. Je mourrai avec la réponse que je ne voulais pas recevoir, car la vie me sera plus légère si j’ai raison – et si le monde est voué au mal. »

Et commence les tractations qui font l’objet du livre. Vers quoi Chantal, puis les habitants, vont-ils pencher ? Va-t-elle dire aux autres ce que l’étranger lui a dit ? Va-t-elle prendre au moins un lingot ? Les habitants vont-ils s’entendre pour tuer quelqu’un ?

C’est une fable que nous conte Paulo Coelho qui dévoile en même temps la nature humaine, ni ange, ni démon. Chantal explique : « Moi, je ne sais pas si Dieu est juste. En tout cas, Il n’a pas été très correct avec moi et ce qui a miné mon âme, c’est cette sensation d’impuissance. Je n’arrive pas à être bonne comme je le voudrais, ni méchante comme à mon avis je le devrais. »

04/12/2012

Le bonheur

Le bonheur, c’est la délivrance de son petit personnage. Non pas une évasion dans un obscur néant, mais l’absence de ces grains de matière qui obscurcissent notre vision. Le moi s’efface pour le soi, universel, hors de l’espace et du temps, lumière qui change le regard.

Certains parleront de la découverte de notre véritable nature, d’autres, de l'irruption du divin. Mais n’est-ce pas tout simplement la rencontre des deux ? Cette rencontre n’a lieu ni hors de soi, ni en soi. Ni hors de soi, sinon en quoi nous concernerait-elle personnellement ? Ni en soi, car le moi n’est plus concerné par cette rencontre.

Je pense souvent à l’eau qui chauffe, puis qui commence à bouillir. Elle devient vapeur, s’élève en volutes dans l’air, semble mourir pour renaître ensuite dans les pluies bienfaisantes. Le bonheur est un changement de nature, l’abandon des lunettes du moi. C’est alors que je suis véritablement présent, un avec la matière, avec l’autre qui devient moi.

Le bonheur est l’abolition de la distance entre le monde et moi par la transformation réciproque de l’un et de l’autre. C’est en cela que « le royaume des cieux n’est pas de ce monde », mais que « En vérité, je vous le dis, le royaume des cieux est au milieu de vous ». Quelle contradiction !