03/07/2012
Intemporel
Du haut du pont de pierre, je contemple l’écoulement de l’eau dans les deux jambes du barrage.
Quelle paix, malgré le bruit puissant de l’effusion de l’écume. On n’entend plus le frémissement de la brise dans les arbres. Seules les voitures qui passent sur le pont troublent le grondement monotone. L’écume blanche se festonne de jaune sable lorsqu’elle touche la surface inférieure du plan d’eau. Rien d’autre ne bouge. Seule la cime des peupliers ébauche un balancement. En amont l’eau est un miroir piqué de nénuphars. Quelques fleurs jaunes émergent du tapis vert qui rappelle les pierres plates des jardins japonais.
A droite, le jardin d’eau. Les arbres ont les pieds dans l’onde qui envahit le sol, voilant la réalité d’un reflet argenté ou noir selon l’exposition au soleil. Mystérieux ce paysage lacustre, si petit en réalité, mais qui s’ouvre sur les perspectives du fleuve Amazone.
Je traverse le pont et m’assieds sur le parapet opposé. Tout est différent. Un barrage de grosses pierres traverse le cours, laissant couler entre elles des rides ondulées qui s’épaississent et deviennent écume un peu plus bas. Au-dessus, l’eau frémit, se ride, s’ébroue gentiment, s’éclaire de reflets vivaces qui surgissent et s’évanouissent.
Qu’il est bon d’être là, inactif, sans pensée, en éveil cependant. Je ne donnerai ma place pour rien au monde. Enfermé dans la bulle de l’écoulement de l’eau, le temps s’est arrêté. C’est ce mouvement perpétuel, lent et continu qui ralentit l’horloge : agitation dans le micro, calme dans le macro !
Enfin, je descends jusqu’au plan d’eau supérieur. Je marche sur les eaux dans l’apesanteur de l’après-midi, dans cette absence de temps. L’eau est agitée de petites, toutes petites rides qui me donnent une image insolite du vieillissement : rien en bouge, rien ne change, mais à chaque instant passe le présent et se construit l’avenir.
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07/05/2012
Bois de Boulogne
C’était mardi, fête du travail. Quelle idée d’honorer le travail par un jour de repos ! Donc, couchés dans l’herbe, nous regardons tour à tour la cime des pins qui laisse filer les bulles de nuages sur l’écran et les barques et leurs passagers qui, lentement, glissent à hauteur des yeux.
L’eau, plane, lisse, reflète les arbres et un bout de la tour Eiffel. Ça caquette, ça vrombit, les paroles s’échappent des lèvres des groupes reposant près du lac. Et passent les joggeurs isolés derrière leurs lunettes noires et leurs casques à musique. Concentré, chacun à sa manière : rythmiquement, lourdement, au ralenti, en accéléré, les bras collés au corps, les mains fermées sur la poitrine, soufflant en cadence, peinant sans cadence, parfois même ne soufflant pas, asphyxiés. Les cyclistes, eux, passent en bandes, l’œil sur le prochain tournant, pérorant et pédalant. Parfois l’un d’eux s’arrête, sort son appareil, se concentre, puis rengaine, l’air satisfait.
Quelle après-midi heureuse ! Conversations, rires, cris même, tout ceci se fait dans la durée. Le temps s’étire, rajoute des minutes aux minutes, plus rien ne vient de la ville. Oubliés les rues, les voitures et le métro. Devant ce tableau lisse, glissent mes yeux et mes oreilles.
Le vide plein d’un après-midi campagnard aux portes de Paris.
07:13 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, société, 1er mai | Imprimer
14/04/2012
La cité universitaire, à Paris
Un après-midi à la cité universitaire est comme un air de jeunesse intemporel, une plongée dans un monde cosmopolite que le printemps fait sortir de ses chambres et se rependre sur les pelouses, se donnant à de nombreuses activités physiques comme le ballon, à la main ou au pied, mais aussi plus insolites, des batailles collectives à grands coups d’épée aux lames de caoutchouc, orchestrées par une arbitre autoritaire.
Drôle d’idée que de vouloir se promener dans un tel lieu ! Mais les maisons vues de la rue vous incitent à entrer. En premier lieu, la fondation Deutsch de la Meurthe, premier ensemble construit en 1923 dans le style anglais d’Oxford. On envie ceux qui y vivent, cela semble tellement décalé par rapport au logement habituel des étudiants à Paris, que l’on se demande comment ont fait les petits veinards qui ont réussi à se loger là. C’est un rendez-vous familial, bon enfant, où tous profitent du soleil, qui en maillot, exposé sur la pelouse, qui, les pieds nus, mais la tête couverte, qui, accompagnée d’un enfant endormi dans sa poussette. Oui, c’est bien l’Angleterre que l’on entrevoit là, telle qu’on l’imagine, parlant la langue de Shakespeare ou encore un vieux français très stylé. Mais ce n’est pas le cas.
Abandonnant ce morceau de la perfide Albion, vous arrivez devant un bâtiment qui semble allemand, mais c’est la maison du Canada. Il est pratique et la vie y semble agréable, mais on ne peut dire qu’il est beau. Cependant si vous faites le tour, l’autre façade est malgré tout bien équilibrée.
Plus loin la fondation Argentine, imposante, disposant d’un parterre qui lui donne un air de propriété privée dans une petite ville de province.
Puis après la maison internationale, centre de la cité, le long d’une avenue campagnarde, on croise le collège franco-britannique qui n’est pas aussi gentry que la fondation Deutsche de la Meurthe, mais qui est malgré tout imposante et d’un style plus moderne, mais bien britannique. La fondation des Etats-Unis compte 267 chambres et un grand salon décoré de fresques évoquant l’histoire des arts français à travers l’histoire.
Le Colegio de España est une institution rattachée au Gouvernement espagnol qui ouvrit ses portes en 1935. En mai 68, le collège fut occupé, ce qui permit au gouvernement de Franco de le fermer. Il ne fut rouvert qu’en1987. Il a une certaine classe en raison de ses quatre tours entourant le bâtiment qui lui donnent un air de majesté insolite.
La maison du Japon a été créée en 1927 et est entourée de très petits jardins à la japonaise, une butte avec un cerisier en fleur et quelques rochers et devant les baies une eau stagnante et un peu sale entourée de quelques arbustes taillés zen et de galets veillant sur ce paradis.
La maison des étudiants suédois est également assez remarquable, évoquant un manoir du XVIIIe siècle, auxquels certains éléments comme les fenêtres aux volets bleus placées à la mode suédoise donnent une touche « nordique ».
Certes, je n’ai pas nommé tous les bâtiments, mais on ne peut s’intéresser à tous, d’autant que certains ne sont en rien topiques.
Alors pour finir une petite promenade au-delà des maisons, sur le campus ouvert et herbeux aux vues sur l’église de Montrouge. Quel farniente empli de discussion, de sieste et de piquenique ! Belle journée en un lieu parisien décalé, mais sympathique.
08:10 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : photo, europe, nature | Imprimer
25/03/2012
De calvaire en calvaire (2ème partie)
Cette croix incite au départ, départ mystique vers la lumière, que même la fée électricité suit. Elle semble s’y noyer. Un panneau indique la direction, pour que personne ne se trompe. On y va, malgré les ronces, malgré l’éloignement et la hauteur. Quelle incitation au voyage ! Mais c’est un voyage particulier, on part très loin, en restant sur place. On frémit dans la lumière, on se laisse illuminer, on est ébloui, mais on avance, lentement, veillé par la croix réparatrice. On avance, on avance, et l’on sait où l’on va, enfin !
Le calvaire du prisonnier. La vierge enfermée derrière son grillage, lui-même cloué sur le bois de la croix. Elle se tient là, dans le bois évidé, les mains ouvertes, prisonnière de cette croix qui fut également pour elle un calvaire. Elle semble un jouet enfoui dans un morceau de bois mal équarri, tenu grâce aux fils de fer. C’est une image quasi enfantine, mais l’enfance n’est-elle pas la porte de l’innocence, comme ce ciel qui l’entoure et lui donne le vertige. On croirait qu’elle va tomber sur sa droite et l’on voit le nuage défiler de droite à gauche et emmener nos soucis loin de sa présence.
Une croix pattée, croix dont les bras sont étroits au niveau du centre et larges à la périphérie, sur lesquels rayonne la lumière divine qui, elle-même, est représentée par un globe cerclé. Ce n’est pas vraiment une croix celtique, mais plutôt une croix nimbée. Ses bras triangulaires se referment sur eux-mêmes et l’on passe de l’horizontalité croisée avec la verticalité, symbole de la transcendance, au cercle maternel, symbole de l’immanence. Elle paraît forte, bien assise sur sa colonne de pierre, mais a un curieux air étranger, teuton ou romain. Elle protège la prairie, symbole terrien de par sa solidité, mais aussi symbole de propriété marquant sa possession sur cette terre nourricière.
Quelle croix impressionnante ! C’est une croix de consécration, nommée croix de répétition ou croix allemande. Que fait-elle dans ce pays ? Elle s’impose dans un enclos fermé, environnée de branchages, dressant ses bras vers le ciel limpide, montrant sa force, défensive, solide comme le roc. Sa colonne l’adoucit, passant d’arêtes anguleuses à la rotondité simple, comme si cette force impressionnante naissait du cercle féminin qui s’érige vers le ciel. Quel beau symbole : de la complexité naît la simplicité !
Curieux mélange. Une croix inspirée de l’ordre du Temple (croix pattée) ou, peut-être une croix tréflée ou croix de Saint Maurice qui refusa de tuer les chrétiens d’une ville des Alpes et qui devint, avec sa légion, martyre. En voici le récit fait par Saint Eucher, évêque de Lyon de 435 à 449 : « Il y avait à cette époque une légion de soldats, de 6 500 hommes, qu'on appelait les Thébains (…) Comme bien d'autres soldats, ils reçurent l'ordre d'arrêter des chrétiens. Ils furent toutefois les seuls qui osèrent refuser d'obéir. Lorsque cela fut rapporté à Maximien, (…), il entra dans une terrible colère. Il donna l'ordre de passer au fil de l'épée un homme sur dix de la légion, afin d'inculquer aux autres le respect de ses ordres. Les survivants, contraints de poursuivre la persécution des chrétiens, persistèrent dans leur refus. Maximien entra dans une colère plus grande encore et fit à nouveau exécuter un homme sur dix. Ceux qui restaient devaient encore accomplir l'odieux travail de persécution. Mais les soldats s'encouragèrent mutuellement à demeurer inflexibles. Celui qui incitait le plus à rester fidèle à sa foi, c'était saint Maurice qui, d'après la tradition, commandait la légion. Secondé par deux officiers, Exupère et Candide, il encourageait chacun de ses exhortations. Maximien comprit que leur cœur resterait fermement attaché à la foi du Christ, il abandonna tout espoir de les faire changer d'avis. Il donna alors l'ordre de les exécuter tous. Ainsi furent-ils tous ensemble passés au fil de l'épée. Ils déposèrent les armes sans discussion ni résistance, se livrèrent aux persécuteurs et tendirent le cou aux bourreaux. »
Enfin, une croix des chouans qui marque la limite paroissiale et devenue, en raison de sa solitude éloignée de toute habitation,lieu de rendez-vous des royalistes. Elle constituait également un lieu de dévotion avec une tablette encastrée à hauteur des mains pour y déposer une offrande. Elle se dresse comme un gardien, à la croisée des chemins champêtres, monumentale dans son piédestal, croix pattée également, mais simple, sans fioriture, pure de tout désir : une vraie croix de Malte. Elle semble dire : « Entrez dans la paroisse, mais sous le regard de Dieu. Si vos pensées sont mauvaises, prenez garde ! » Et ce chemin bordé d’arbres est une montée vers le paradis qui se trouve derrière ce ciel d’azur, dans la froideur d’une neige persistant encore dans les creux.
06:42 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, poésie, nature, art, philosophie, spiritualité | Imprimer
19/03/2012
Promenade au parc Montsouris
C'était jeudi dernier. Il faisait un temps magnifique. Alors pourquoi pas un petit air de campagne :
Un lac, un étang ? Non, pas une mare non plus. Cette pièce d’eau est trouble, d’une couleur jaune-vert. Mais malgré cela, elle reluit de mille feux, au soleil ardent. Deux grands cygnes noirs voguent majestueusement sur les reflets d’argent, suivis de leurs rejetons. C’est la campagne à Paris, mais c’est tout de même Paris, lieu où la foule circule sans cesse : jeunes femmes à poussette, vieillards à canne, coureurs aux oreilles casqués d’écouteurs, jardiniers au balai sans usage, marcheurs innocents, sans caractéristiques autres que le sac à dos noir devenu indispensable à qui veut conserver son autonomie. Et tout cela parle, rit, grimace, s’esclaffe, s’ébroue, parce que c’est le premier jour d’un printemps précoce. Comment ne pas se dévêtir pour laisser chaque rayon envahir notre peau pâle, flétrie des mois d’hiver ?
Une petite brise se lève. Elle est la bienvenue. L’eau se froisse de mille zébrures géométriquement disposées, mouvantes, tantôt grises, tantôt argentées, tantôt emplies d’étoiles étincelantes. Et le visage détendu, tendu vers la chaleur, nous humons l’air frais comme un verre d’eau passant dans l’air.
Sur l’île, en face, un héron se brosse les plumes du corps avec le bec, dédaigneux, regardant lentement les passants, loin de leurs préoccupations. Fendant l’eau, ne laissant qu’une fine trainée imperceptible à sa surface, une carpe passe dignement, dans son monde vert, croisant les canards.
Et ça parle, ça jacasse, ça ne cesse de discourir, pour le plaisir d’utiliser son instrument vocal ou pour qu’il ne rouille pas.
Avançons, changeons de compartiment en passant au dessus de la voie du RER. On découvre une campagne anglaise, un jour d’automne, avec sa grande maison de briques aux fenêtres blanches que l’on voit si souvent dans le Kent. Les Français ont pris l’habitude anglaise de profiter de la prairie en dormant, lisant, discutant ou regardant sereinement la campagne.
Un arbre attire les regards, un géant mutilé, courbé vers la terre, mais encore solide et étendant ses membres d’acier aux postérieurs des passants qui viennent se tenir à l’ombre de son feuillage. Qu’il est aimable ce pin malgré ses souffrances. Il nous sourit et ouvre ses larges bras à qui a besoin de réconfort !
Une après-midi d’été, en chemise, trainant les pieds dans la poussière (déjà ?) des allées, encombrée d’hommes discoureurs et de femmes volubiles. Je me réfugie dans la montagne du parc, enfouie sous les arbres exubérants de diverses essences, qui font l’ombre seyante et le calme retrouvé. Un filet s’échappe entre les pierres et se perd entre les feuilles mortes pour finir dans un bassin sale. Oui, nous sommes bien en ville, où l’eau est produite par un robinet ou une pompe et fait semblant de ruisseler, prolixe, entre des cailloux fabriqués en ciment. Mais cela n’empêche pas notre plaisir immense, inoubliable, d’un jour de printemps… en hiver !
Un dernier regard sur ce tableau simple.
Mon Dieu… La continuité écologique n’est pas passée au parc Montsouris !
05:36 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, campagne, nature | Imprimer
11/03/2012
De calvaire en calvaire (1ère partie)
Un calvaire est un aide-mémoire dans la vie quotidienne campagnarde. Il est là pour dire stop, ne plus penser, se réfugier au-dedans de soi et s’ouvrir au bonheur de vivre, ce que l’on oublie un peu trop facilement. Ils sont nombreux, multiples, de toutes les formes ; mais tous nous disent : « Cesse de penser à tes affaires, profite de l’air, regarde les terres, chante comme les oiseaux. » Oui, cela peut paraître paradoxale, la croix est source de vie, elle puise ses racines dans la terre, elle étend ses bras sur le monde et redresse la tête vers le ciel, comme une offrande à la beauté de la vie. Elle est un pont entre la transcendance et l’immanence, avec l’homme à la croisée du vertical et de l’horizontal.
Les calvaires doivent être champêtres. Faut-il cependant qu’ils soient envahis de lierre au point d’être méconnaissables ? Jésus couché dans sa crèche, immolé dans les feuilles odorantes, abrité des regards, veillant sur les champs et les prés, revêtu de feuillage. Le ciel pur entoure sa majesté inconnue, simplement.
Plus modeste, une simple croix rappelle au poète ou au passant la présence de la divinité et sa discrétion : rien que deux bouts de bois croisés, un peu en biais, comme pour mettre en évidence la fatigue et la peine de celui qui n’est pas représenté. Elle a les pieds bien sur terre, enchâssés dans la pierre. Elle se dresse dignement, presque majestueusement, mais frêle dans la nuit qui tombe. C’est l’heure de l’angélus qui sonne au loin par-dessus les arbres et fait vibrer les oreilles et, en écho, les cœurs.
Elle rejoint les fils électriques dans leur verticalité et leur horizontalité. Modeste également, ayant perdu sa peinture, redécouvrant la pauvreté de l’air, elle possède cependant une image, mieux même, une petite pièce sculptée dont on n’aperçoit que les jambes, un peu rouillées, et dont le visage se cache au centre de la croix, penché sur l’humanité, empreinte de l’invisible. Quel contraste, la croix de bois et l’électricité : l’une à laquelle plus personne ne prend garde ; l’autre, devenu le dieu de la société de consommation.
Double croix, la pierre, puis le fer. Le ciel est gris, pesant, un ciel de vendredi saint ! Mais quelle élégance possède cette double croix, altière et légère, imposante et nue, forte et malingre. A l’image du crucifié, très petit, mais bien présent. Et pourtant ce n’est qu’un calvaire au bord d’un chemin, engourdi dans la pente, sortant juste sa croix si on l’aborde par derrière. Mais sa droiture est cinglante, son assise solide. Cette croix est chez elle, dans sa plénitude, les bras tendue vers le ciel, un ciel mitigé d’espérance ou de soucis.
Un christ sur son autel, dans une portion d’église, peut-être détruite pour laisser passer la route, voie impériale des locomotives à pneus. Entouré de ces arbres ébouriffés, hirsu-tes, il ne paye pas de mine, peinturluré de minium. Mais cette croix a de la grâce, un aspect romantique et bigot qui vous contraint à la regarder pour s’interroger : sur la croix, au soleil, chaque jour, Tu te donnes à moi, comme si j’étais seul en face de Toi.
Transfiguration, soulignée de plus par les faux rayons partant au carrefour des deux branches. Et autour, le calme, la sérénité d’une campagne sur laquelle passent juste deux nuages, avec lenteur, sans bruit. Une image idyllique sur un ciel d’azur. C’est l’abbaye à la terre, la sainteté naturelle, la respiration du monde face à l’absolu.
06:45 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, poésie, nature, art, philoxophie, spiritualité | Imprimer
03/03/2012
Mont Saint Michel
Quel jour curieux : brume et soleil, obscurité et lumière, caché et voilé, le noir et le blanc, le silence et les bruits ! En quelques instants tout change. Perdu ou sauvé, dans une inconsistante bataille entre le paradis et l’enfer, nous avançons dans le froid relatif à la rencontre du rocher, énorme bloc que l’on ne voit pas, qui nous submerge cependant de sa hauteur. Il apparaît tout à coup, et sa silhouette magique s’imprime sur nos rétines, inoubliable.
C’est un voyage entre terre, eau et air, aérien, léger comme le vol d’un oiseau et pourtant les pieds dans la boue, collante, ferme et glissante à la fois. Le regard ne sait plus ou s’accrocher. Les couleurs se fondent, se confondent, s’effondrent même là où la marée, qui commence à remonter, creuse le sable de longs sillons profonds. Votre corps se dilue entre ces trois éléments, vous vous sentez entraîné avec la montée des eaux, enrobé de grains de sable, et vous gardez les yeux ouverts sur ce trait incertain qui marque l’horizon, comme un noyé regarde une dernière fois le ciel avant de sombrer dans l’abîme. Tout est pâle, atone, ouaté et peu à peu votre cerveau lui-même ne réagit plus, vos yeux se voilent de ce blanc qui envahit tout. Le regard du fiancé le jour du mariage qui voit le monde à travers le voile immaculé de sa promise. Quelle éblouissante vision !
Mais il faut bien avancer, monter à la rencontre du vaisseau qui ouvre ses flancs aux touristes tout en restant impavide et serein. Entrée encombrée de chinois, jeunes, riant, se bousculant, heureux de voir cette merveille, même s’ils n’en saisissent pas forcément le sens. Nous découvrons même, le comble du tourisme chinois, une échoppe, tenue par une chinoise, bien sûr, qui vend le mariage chinois, façon française, au Mont Saint Michel. Comme ils ont l’air heureux ces chinois qui viennent en France vivre le rêve de leur vie dans cette petite île, entre ciel, mer et terre, et contempler leur ascension dans les yeux de l’autre !
Alors nous prenons par les remparts pour éviter l’agitation commerciale de la rue principale, seule, unique, pavée de cartes postales, de bonbons et de colifichets multiples, inqualifiables, luisants et colorés. Ecrasés par la masse énorme de l’abbaye qui sans cesse se rappelle au pèlerin, nous montons dans cet enchevêtrement de maisons, un peu comme les pèlerins de la cathédrale de Chartes qui progressent à genoux sur le dallage du labyrinthe.
Nous n’entrons pas dans le temple de pierre : trop de gens sortis d’eux-mêmes. Nous préférons en faire le tour par le dédale des ruelles et toujours, en levant les yeux, sentir la main de Saint Michel caresser nos rêveries enfantines.
Retour à l’horizontale et première vision du rocher en entier, altier et délicat, comme un veilleur au cœur des troubles humains.
05:12 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : culture, spiritualité, art, france | Imprimer
17/01/2012
Musée de la vie romantique (16 Rue Chaptal 75009 Paris)
On y entre par un ancien chemin qui se glisse maintenant entre les immeubles. C’est un peu le chemin d’une prison qui mène vers le paradis que l’on aperçoit au fond, dans une brume de soleil. On s’arrête quelques instant pour payer sa participation à l’entretien du musée et l’on est immergé dans un Paris ancien, celui du siècle dernier, voire d’il y a deux siècles : une charmante petite cour pavée, une petite maison de style restauration, aux volets verts d’eau, un jardin certes petit, mais empli de feuillages et de fleurs (plus trop en ce moment !).
On s’attarde bien sûr dans cette petite place des autres siècles, se réchauffant au soleil, sans regarder les immeubles environnants. Il y a encore du bois sous l’escalier de la porte d’entrée.
Quelle paix ! Les bruits de la ville arrivent estompés, les couleurs prennent des tons efféminés, quelques personnes se promènent en se tenant par le bras dans ce jardin de poche. Tout est ralenti, attentif à une lumière tamisée par les arbres. On s’installe quelques instants sur le banc et on laisse le rêve envahir son esprit. On se voit à cheval arrivant par l’allée, descendant sur le perron et pénétrant dans la maison pour se réchauffer. Alors on se dit qu’il est temps d’entrer. Quelle déception ! C’est bienun musée. Mais il évoque la vie romantique de Paris au XIXème siècle, cette époque où le tout Paris se voulait artiste : peintre, sculpteur, poète, musicien, danseuse et bien d’autres choses encore.
Cela n’a plus rien à voir avec l’intérieur habité d’une propriété presque de campagne. C’est un patchwork d’objets rassemblés là qui inspire le respect, mais intimide également par son aspect passé figé. On est plongé dans un monde étrange, un peu poussiéreux, avec de belles fioritures, de beaux cadres, mais persiennes closes. C’est une sorte d’intérieur de château bien que les pièces soient toutes petites, au décor endormi sur un passé révolu. On y admire de beaux meubles et surtout des tableaux évocateurs de cette période :
Georges Sand enfant, peinte par Aurore de Saxe ;
un enfant rêveur et fatigué (je ne sais plus qui il est et qui l’a peint) ;
Les litanies de la vierge, d’un classicisme à toute épreuve, mais de belle facture, peint par Auguste Legras.
On étouffe un peu dans cet univers clos, mais qui permet de revivre avec un réalisme parfait ce que nos arrières grands parents ont connu.
On visite la serre avec une très curieuse fontaine-grotte où pousse une verdure abondante, comme au menton d’un homme qui ne s’est pas rasé depuis quelques temps. Rococo du meilleur aloi !
Alors repris par la fièvre du parisien du XXIème siècle, vous laissez là votre imagination et une partie de votre cœur, pour revenir dans une rue où passent les camions, dans laquelle les personnes sont habillées comme vous et qui, eux aussi, sont pressés parce qu’il faut être pressé quand on vit dans un avenir indéfinissable.
07:05 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : peinture, musée, romantisme, architecture | Imprimer
29/12/2011
Je ne puis regarder une feuille d’arbre sans être écrasé par l’univers (Victor Hugo)
L’arbre, cathédrale naturelle, pont entre ciel et terre, les pieds dans l’humus et la tête dans l’azur, déployant ses bras et ses doigts vers l’avenir, empruntant son existence au passé de ses racines, le tronc rond, bossu, bien présent lorsque vous vous adossez, sentant le bois, parfois sec comme la poudre des allumettes, d’autres fois humide à la senteur plus chaleureuse.
En voici deux, à l’existence mêlée, comme devisant ensemble dans leur promenade terrestre, se tenant bien droits, majestueux de finesse et de force, les doigts de pied recroquevillés sur le sol, mais laissant entrevoir l’image inversée des racines déployées sous la terre aussi vivaces que leurs branches, branchages, radicelles et feuillages de plates et tendres pièces de verts multiples. Exposés au soleil, ils s’épanouissent là, comme des naufragés sur la mer verte, uniforme et rayée de ces coups de charrue encore visibles malgré le léger duvet de blé tendre qui les recouvre.
Autre pente, autre silhouette grandiose, barbue, enrobée de touffes de poils, dessinant la même voûte aux reflets roses, les manches recouverts de mitaines végétales jusqu’au milieu des doigts, laissant libre les extrémités pour écrire au vent leur histoire, montée vers l’azur, vers la lumière, vers l’espérance. A ses pieds, les traces tournantes de la herse comme un grand disque de vinyle laissant entendre sa mélopée engageante et flutée.
Et voici l’arbre torturé, aux doigts rongés comme ceux d’un lépreux, au poing tendu vers l’univers pour attester de la brutalité humaine, recouvert du duvet de l’année déjà bien florissant, mais fin et léger comme une toison d’adolescente. Il rit sous le soleil, les membres raidies, mais encore verts, se posant comme une borne de propriété au coin d’un champ.
Autre arbre torturé, mais cette fois-ci par la rapacité naturelle des autres espèces, sorte de cataclysme brutal, qui englobe de gouttes de cire lourde les doigts malhabiles sortant de ses moufles poilues. C’est peut-être un père Noël inventé par la création ou des fleurs de vert tendre poussant sur les tiges délicates d’une espèce disparue.
Ce n’est plus qu’un corps sans extrémité, comme un infirme ne pouvant ni marcher, ni parler aux autres végétaux. Il est juste recouvert de poils délirants, hirsutes, comme une barbe de trois jours sur un vieillard grabataire, le corps enfoui sous une couverture sale émergeant au dessus d’un lit douillet. Il finit sa vie comme un géant fauché par la voracité des hommes toujours en recherche de matériaux à brûler ou de poteaux à enfouir sous terre pour supporter les fils de fer barbelés de la honte d’être un morceau d’arbre qui a perdu sa liberté.
Enfin un arbre rassurant, semblable à une mariée dans sa robe de cérémonie dont on devine le corps encore vert, bien proportionné, attendrissant de courbes qui conduit le regard sur un ventre plein, léger, affiné, en attente de promesse. Il déploie ses artifices aux alentours, comme des effluves de romarin et de jasmin, ne portant qu’une seule bague, comme un nid d’amour sur l’annulaire qu’il montre à tous, par fierté.
L’arbre protecteur, étendant ses bras au dessus des châteaux, paisiblement, se laissant ausculter par les rayons d’une radiographie de ses membres permettant de contempler la magnificence de son squelette dont il ne manque pas un os, même parmi les plus petits. Légèrement penchée vers la demeure qu’il ombrage de loin, il veille avec assurance sur la vie de ses habitants sans que ceux-ci en prennent conscience.
Un arbre paon, aux plumes emmêlées, comme après un orage. Il tente de faire une roue, mais ses aigrettes mouillées par la pluie de la tornade font piètre mine devant un ciel rieur. Seul le haut de la roue porte un arbre miniature, comme un enfant d’arbre poussant sur un corps de sorcière. Il s’épanouit harmonieusement, semblant dire au reste des branches : « Voyez ma beauté structurée, mon indolence hautaine, la jeunesse de mes articulations, la souplesse de mes cheveux de roi. Vous ne pourrez monter si haut. Que vos regards convergent vers ma hauteur et se croisent en mille feux d’étincelles émerveillées ! »
Un arbre maternel, en pleine gestation, rond et plein d’avenir, s’épanouissant dans l’herbe grasse, dans l’enclos de haies souples, puisant au sol sa vigueur épanouissante, aux racines baignant dans des pots de bébé de couleurs jaune, vert, comme pour mieux se nourrir et s’enrober de bienfaisantes rondeurs qui, un jour, feront émerger d’autres branches, d’autres feuilles pour finir en forêt dodue et luxuriante.
Enfin, le justicier, dominant la campagne, affichant ses prétentions, développant sa rotondité, se suffisant à lui-même, sûr de son aspect solitaire et grandiose. Mais il possède en même temps une verve, une onctuosité, un embonpoint de bon aloi qui vous font dire : « Quel symbole de la nature charnelle, vivante, foisonnante et nourricière. Nous pourrions rester une vie sous son ombre et nous voudrions encore le contempler dans tout son achèvement de perfection naturelle. »
L’arbre ne possède-t-il pas comme l’homme ces ramifications de neurones et de synapses qui font de lui l’intelligence de la nature, le penseur naturel de la surface terrestre. Apprendre à parler arbre, à penser arbre, pour le plus grand bienfait d’une santé mentale absorbée de techniques et de finalités uniquement humaines !
07:02 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photo, poésie, nature, culture | Imprimer
19/12/2011
La ménagerie du jardin des Plantes
Cinq hectares et demi de dépaysement en plein Paris. L’équivalent de Deyrolle (voir le jeudi 15 décembre 2011), mais là les animaux sont réels, vivants, bien nourris, peut-être pas cependant heureux d’être là.
C’est un retour à nos premières amours, lorsque, fiancés, nous promenions nos espérances en contemplant la somnolence des pensionnaires à l’heure d’une sieste méritée. Même heure, même saison, même temps frileux. Rien n’a changé, sauf, probablement, les animaux. Mais est-ce vrai ? Le temps s’est arrêté sur une portion de Paris, sur ces presque 2000 animaux, à l’air, dans des abris, dans des cages ou des bâtiments.
Vous me direz : un vrai camp de concentration quoi ? Non, finalement, bon nombre d’entre eux a été sauvé par le fait même de la ménagerie, c’est du moins ce que prétend le dépliant remis à l’entrée où l’on nous dit que la mission du zoo est la conservation des espèces animales, la recherche et la sensibilisation du public à la préservation et de la biodiversité. Que de mots savants pour nous dire qu’ils tentent de les choyer malgré leur condition. Et ce désir de bien faire ne se limite pas aux 5,5 hectares de la ménagerie, il s’étend à l’ensemble de la ville grâce au parcours biodiversité en ville : 1500 espèces animales et autant d’espèces végétales qui rendent d’importants servies aux citadins, nous dit-on. Et de conclure : il est donc important de faire connaître cette nature afin de mieux l’aimer et d’agir pour la préserver.
Mais nous avons mieux à faire : se laisser aller dans ce jardin secret où la faune nous fait des clins d’œil, malgré sa lassitude. On entre par les vieux bâtiments dont l’un a été refait récemment et l’autre pense ses plaies sous la couche de crasse accumulée, sous les yeux d’un porc-épic plus grand que deux hommes (monument artistique à la manière moderne qui n’a, bien sûr, rien à voir avec la véritable création artistique). Au bout d’une allée, une petite maison de nains : la porte de la fée qui ouvre son royaume au peuple parisien. Achetez un billet et entrez, vous ne le regretterez pas !
Si vous prenez à gauche, vous ne tarderez pas à tomber sur des pois roses s’épanchant dans un jardin russe (selon la vision de la photo, en raison du bâtiment du fond) ou encore, en changeant l’angle de vue, dans un parc africain verdoyant dans lequel ces flamands (oui, roses) s’essayent à des équilibres reposants sans avoir l’air d’en souffrir. Ballet de grâce de ces pierres précieuses venant de contrées qui ne sont pas si lointaines que çà puisque nous en avons, en France, oui !
Le contraste est ensuite assez saisissant avec le bâtiment en face de cet espace privilégié. Ici les dimensions de la nature sont rétrécies. On concentre dans quelques centimètres des milliers de mètres cubes d’atmosphère africaine ou américaine. Et, parfois, on arrive à y voir une faune bizarre faite de carapaces somnolentes qui se confondent avec une flore fabriquée de toute pièce : arbre en ciment, paille artificielle, eau verte comme il se doit, le tout gardé à l’entrée par l’Homme qui mate sous son pied l’alligator déchaîné. Les petites filles n’en reviennent pas : des tortues petites nageant avec souplesse ou des monstres ne pouvant pratiquement plus bouger ! On y croise également quelques promeneurs cherchant des yeux sous les feuilles des objets insolites qui s’appellent espèces animales.
Ressortis, vous vous laissez guider par votre nonchalance, presque somnolence, à l’image des espèces qui vous entourent. Vous passez devant une immense cloche de fer (non pas des cloches à fromage qui sont en verre) dans laquelle vous surprenez un jaguar en chasse. Lui ne dort pas. Il se détend à une allure si vive que vous n’arrivez pas en saisir le mouvement.
Finalement, vous vous laissez aller à votre rêverie, en plein air, parmi les arbres, les allées, environné d’animaux indifférents à votre spleen. Vous passez devant les autruches, ballon de rugby sur échasses, devant les lamas dorés comme un soleil montagnard, devant des zébus ou autre espèce ruminante qui calment leur ennui en mâchant un peu de foin qui sent la liberté. Ces allées vous enivrent par leur vide majestueux, par l’espace qu’elles prennent par rapport aux clôtures dans lesquelles chaque espèce tente de trouver un motif de vivre. Progressivement, vous vous sentez vous-même environné de ces barrières et enviez ces carrés d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique où l’air est différent, moins anonyme.
Et vous vous dites : qu’il serait bon un jour de pouvoir se coucher dans cette petite maisonnette et ne plus penser, simplement vivre sans avoir à toujours, toujours faire et refaire cette gymnastique intérieure brassant des souvenirs désuets d’événements passés. Vous seriez là à contempler les humains qui passent sans réellement vous voir. Ils arriveraient par l’allée, petitement, en mangeant des marrons chauds, riant de certains congénères qui cachent leur honte derrière leurs pattes. Ils grandiraient jusqu’à avoir une réelle expression individuelle, comme une âme qui se dessine. Ils vous regarderaient selon leur humeur, indifférents, compatissants, dédaigneux, émerveillés. Puis ils continueraient leur promenade et vous les laisseriez partir, vous-même lassé par ces passages permanents, comme si le temps revenait sans cesse au point de départ : un être humain qui grandit pour ensuite se perdre dans les méandres des allées, jusqu’à une mort annoncée et inéluctable.
08:36 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, paris, nature | Imprimer
20/11/2011
Bruxelles
On y entre facilement en voiture, comme dans une ville de province lorsque l’on se faufile entre de petites maisons et des zones industrielles devenues le refuge de sociétés commerciales qui vendent de tout, c’est-à-dire pas grand chose. C’est la fin de l’après-midi, les lumières s’éveillent une à une, comme les bougies d’un sapin de Noël allumées par une seule personne. Progressivement ces bougies se mettent à danser. Vous tournez la tête jusqu’à ce qu’elles se calent dans votre vision et donnent à la ville sa nouvelle apparence, tantôt trop claire, aux abords de grands carrefours ou de lieux d’achat, tantôt obscure dans des rues désertes ou à proximité de parcs et même de forêts de poche. Si bien que vous vous retrouvez quasiment au centre de la capitale en ayant parcouru une petite ville de province encore engluée dans une ruralité attendrissante.
Vous parcourez les rues encombrées de maisons pressées les unes contre les autres. Vous imaginez être dans une bibliothèque dont les volumes sont emprisonnés entre des serre-livres, monumentaux, colossaux, à l’image du palais de justice qui domine la vieille ville du haut de sa grandeur juridique et morale. Vous vous attendez à voir sortir d’un interstice entre deux habitations un insecte géant, mangeur de papier, cherchant dans votre portefeuille quelques billets à se mettre sous la dent. Rien de tout cela n’arrive. Vous vous promenez comme tous les passants dans une obscurité diffuse, serrant votre col pour ne pas laisser le froid pénétrer le creux douillet d’une poitrine offerte.
Vous vous arrêtez devant les magasins colorés, aux devantures chargées de "brolles" (objets divers) de toutes sortes, mais qui éveillent en vous cette folie d’achat et de possession que vous portez dans vos gênes depuis votre petite enfance. Ce chocolatier est irrésistible ! Vous entrez et êtes surprise par la foule dont le seul objectif semble être le choix important du type de chocolat : noir comme l’encre, au goût amère, mais à la texture simple qui laisse un arrière goût patiné, à la manière du miel, mais moins écœurant ; éclairci, de la couleur des boiseries de nombreuses maisons Art Nouveau qui enjolivent la ville de volutes de bronze et d’arabesques délirantes, au goût plus difficile à définir parce que chargé d’autres effluves, de fruits ou de fleurs. Puis vous ressortez et vous asseyez sur un banc, face aux livres alignés comme des soldats de plomb pour déguster une de ces merveilles gustatives que seule Bruxelles offre à ses visiteurs. Ou encore, vous achetez une gaufre dans une camionnette jaune sale à l’intérieur de laquelle s’agite un charmant monsieur qui jongle avec ses pâtisseries pour les distribuer à tous ceux qui ont besoin d’un en-cas pour survivre en cette fin d’après-midi ou plutôt début de nuit noire et mystérieuse. Puis vous descendez la rue Royale jusqu’à l’église des Sablons pour vous glissez entre les voitures de la place et regardez la vie aller et venir entre les devantures luxuriantes tout en mangeant avec délicatesse cette gaufre appétissante et bienvenue. Là, vivante et repue, vous glissez vers ces tentations sublimes, résistant malgré tout aux charmes d’emplettes de rien, pour vous retrouver dans un magasin environnée d’objets inconnus tels que des peintures, des bijoux ou des tasses à café. Et vous vous fondez dans ce paysage pour mieux le goûter et en apprécier la nouveauté tentatrice.
Ressortant, encore rêveuse d’objets exaltants, vous vous transformez en songe, dans la froideur de l’automne et vous élevez au dessus des cheminées fumantes pour contempler de haut cette ville bizarre, encombrée de petites rues aux maisons biscornues dans lesquelles ont été taillés des emplacements pour de grands monuments, un peu lourds, presque germaniques, mais gardant cependant une certaine élégance, comme ces femmes oscillant entre une jeunesse encore vivante dans certaines attitudes et le début d’un empâtement du corps qu’elles cachent sous des vêtements moins moulants. Vous parcourez en rêve les parcs aux longs arbres déjà dévêtus dans lesquels se trouvent encore quelques promeneurs qui se hâtent vers la sortie. Vous vous arrêtez place Royale, environnée de cubes blancs ou jaunes, un peu étourdie par la valse des voitures tournant en rond autour du carré central, jusqu’au moment où vous en suivez une qui passe devant le palais royal, triste et morose, parce qu’éteint et sans vie. Vous faites le tour du jardin, longeant les ambassades gardées par des Securitas enfermés dans leurs guérites étroites. D’un coup d’aile, vous montez plus haut et vous laissez envahir d’une mélancolie doucereuse, indolente comme les habitants de cette ville, possédée par le charme de cette capitale qui se déguise en femme entre deux âges, le regard brillant, mais déjà couronnée de "croles" enneigées.
Et le soir, couchée dans votre lit, après vous être endormie très vite, vous revisitez ces rues, ces maisons, ces monuments, à la manière du passe-muraille, pour vous imprégner de cet art de vivre, encoconné et chaleureux, riche comme une chatte étendue au coin d’une cheminée fumante.
06:39 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, europe, poésie, humour | Imprimer
05/11/2011
Dernière promenade d’automne
C’est très probablement notre dernière promenade d’automne. Elle s’avère mélancolique et attendrie, puis se révèle enjouée et dépourvue de regrets voilés. Nous marchons dans la vallée étroite, sur un chemin aussi tortueux que le cours de la rivière que nous suivons, d’abord sur la chaussée carrossée, et, très vite, sur un sentier de gazon surplombant le serpent argenté qui lui-même coule entre les maisons basses, cherchant son chemin dans un dédale dû à l’exiguïté des lieux.
Les moulins se succèdent, silencieux en ce dimanche après-midi. Mais on les imagine aussi, grande bouche dévoreuse d’écume, recrachant des flots blancs et oxygénés qui par leur frénésie permet la mise en route de monstrueuses machines qui écrasent, dissèquent, coupent, aplatissent, divisent, transforment tout morceau de nature vivante et la met à disposition de l’homme, à ses pieds, pour qu’il en use, en abuse, la suborne et la jette, enfin lassé de leurs gémissements discrets.
Et plus haut, se découpant sur un ciel virginal, la ville, prisonnière de ses murailles, dominant la vallée comme une gardienne de l’éternité, contemplant cette nature modelée par ses habitants, qui reflète dans ses miroirs l’absence de soucis, l’heureuse et provisoire insouciance d’un après-midi de Toussaint, à la campagne.
Au détour d’un tournant, l’arbre éternel, envoûtant de ses grands doigts fragiles l’horizon, dessine un ovale parfait et majestueux, malgré une chevelure brouillonne, et vous convie dans la danse des insectes qui bourdonnent autour des silhouettes des passants.
Enfin la lente montée vers la muraille, entre les chênes rabougris et la rocaille coupante, qui coupe le souffle, mais allège le corps et lui donne l’apesanteur mystique des croisés à la vue de Jérusalem.
Alors vient l’envie de se jeter des murs vers l’horizon, planant lentement au dessus du moutonnement des arbres, dans un silence parfait, respirant les odeurs subtiles de la terre, des feuilles endolories, de la bouse de vache et du parfum des promeneuses qui ouvrent leur corps à la pâle chaleur d’un soleil qui commence à descendre derrière la colline. Volant entre ciel et terre, entrant dans les flocons cotonneux comme dans un bain d’eau froide et décapante, vous connaissez l’ivresse des jours sans fin non parce que le temps s’arrête, mais parce que votre esprit lui-même s’est arrêté, vide, éclairé par le scintillement permanent d’une absence de pensées aussi bénéfique que les crèmes adoucissantes dont les femmes s’oignent chaque matin pour aller, la tête en l’air et les pieds au sol, conquérir le monde en tant que beauté fatale.
Et pourtant la porte est étroite et Gide aurait sans doute fait de ce moment hors du temps un instant d’appréhension des principes qui font de la vérité humaine soit une évasion, soit un enfermement.
07:52 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, toussaint | Imprimer
23/10/2011
Expansion matinale
Vous avez sans doute un matin, alors que le ciel était encore noir, eu l’envie soudaine d’assister à l’expansion matinale de la lumière, irréalité vérifiable qui se reproduit chaque jour depuis la nuit des temps.
Ainsi vous vous levez en catimini, vous vous habillez et partez dans la campagne, frissonnant de froid, mais l’esprit clair et léger, pour assister à la naissance du jour, à l’expansion de la lumière, depuis le moment où la moindre lueur germe dans un coin de l’horizon, jusqu’à l’instant où le mystère disparaît, effacé par la vision brute d’un monde sans voile. Instant magique, pendant lequel les couleurs se transforment, pâteuses sous la brume, blanchies au regard et au toucher.
Et vous admirez ce mystère du vert qui est bleu, de la terre qui se fait chocolat, du ciel qui se teinte de rose à l’horizon, juste au dessus de la ligne bleu pastel flottant au delà des arbres bleu canard, au plus profond de la vue. Et toutes ces touches de teintes se fondent progressivement dans le bleu turquoise, presqu’aigue-marine, d’un ciel qui s’éclaircit avec rapidité, dévoilant sa limpidité comme une fiancé le fait devant celui qu’elle aime. Quelques trainées roses stagnent au dessus du contraste visuel du paysage encore non distinct, barres menues prédisant la venue du jour.
Alors vous contemplez la montée du disque magique, d’abord petite pointe de rose dans cette marée bleue, puis éclair vivant au travers des arbres pelotonnés sur la ligne lointaine de la naissance de la vie, puis soucoupe rouge envahissant la perspective, imprégnant l’œil d’une rosace furtive, comme si vous aviez chaussé une paire de lunettes roses dans une piscine bleu marine. Enfant émerveillé, vous vous laissez envahir d’une légèreté nouvelle, d’une aspiration fraiche, jusqu’au moment où le disque dépasse ces limbes rampantes pour s’élever au-delà, dans l’azur incommensurable de l’univers dévoilé et ouvert comme un livre devant vous.
Changement de couleurs, le ciel devient jaune au dessus du bleu pétrole, presque noir de la perspective. Les trainées roses blanchissent et reflètent la lumière au lieu de simplement la tamiser. Le miracle est accompli, ou presque. D’ici quelques minutes, le paysage sera dévoilé, défloré, et vous reprendrez le chemin de votre maison, aérien, courant en pensée dans l’univers des couleurs, cueillant de ci de là les touches irréelles de la beauté si simple et si pure d’un matin comme chaque jour, mais que vous avez contemplé et qui vous a transformé.
07:23 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, littérature | Imprimer
02/09/2011
Vacances 2 : Plage
Une vraie ruche, un bourdonnement permanent : voix basse des hommes, voix de femmes, piano, cris d’enfants aigus comme le marteau sur une enclume. Monde clos par la forme de la plage, comme une arène où les vagues font la corrida avec les baigneurs apeurés, pendant que chacun des spectateurs devise avec son voisin, couché, accoudé sur un bras, comme pour un diner romain, regardant un horizon lointain couronné d’une couche de nuages gris foncés, puis cendrés, puis blancs, puis le bleu du ciel, éblouissant.
Nonchalance pour certains, étendus comme des morts sur une serviette chaude, les bras en croix, béant au soleil, la poitrine se soulevant cependant en cadence, comme assoiffée d’air. Cogitation pour d’autres, allongés sur le dos, la tête sur leur sac, tenant un journal d’une main et un crayon de l’autre, et, parfois, écrivant le mot cherché et trouvé dans une tête vide, sur la grille à remplir. Par moments, dans une intense réflexion, quelques uns abaissent leur publication, contemplent les flots grisâtres, y puisant une inspiration nouvelle qui permet de noircir une case de plus sur un quadrillage en grande partie vierge.
Intermède : au large, passage d’un yacht blanc, filant à bonne allure, fier de sa vitesse, la flèche des superstructures inclinée vers l’arrière au dessus de la cabine du capitaine qui, elle-même, domine la salle des passagers aux fenêtres que l’on devine plutôt qu’on ne les voit. Le bateau s’évapore derrière le mur du fort, fantôme entraperçu et vite oublié devant l’étendue bleu, grise ou noire selon l’éloignement vers l’horizon.
Diverses sont les formes du corps humain. Enfants rachitiques courant dans le sable un seau à la main, s’essuyant le nez de l’autre. Jeune fille svelte marchant noblement, consciente de son effet, inconsciente du soleil qui darde sa beauté d’une couche de caramel. Vieillard ou presque, sur une chaise pliante, mi-assis, mi-couché, engoncé dans l’épanchement de sa chair luxuriante. Homme, la trentaine, les mains sur les hanches, haranguant sa smala serrée autour de serviettes jaunes, tous vêtus de maillots bleus et hérissés de cheveux d’or. Femme, la cinquantaine, allongée sur un bras fléchi, une jambe repliée, comme une Vénus de Milo fatiguée, mais encore capable de faire illusion.
Plus loin des groupes : joueurs aux raquettes de bois bariolées de couleurs dont on suit les mouvements sans voir la balle voler d’un bras replié, pour se détendre brutalement, au bras allongé, pour atteindre in extrémis l’éclair d’une balle invisible. Seul le son des échanges de coup permet de saisir la partie. Autre groupe : les pêcheurs de coquillages, peu importe lesquels, les fesses en l’air, les mains dans l’eau, draguant le sable boueux jusqu’à tomber sur un corps mort, plus ou moins large, plus ou moins lourd, ce qui permet de déceler s’il s’agit d’un caillou ou d’une coquille appartenant à un petit animal qui, une fois cuit, permettra aux heureux bénéficiaires de mastiquer longuement un appareil caoutchouteux en poussant des cris d’extase et en buvant un verre de vin blanc pour le faire passer.
Les mâts se balancent au gré des vagues, les feuillages scintillent sous une légère brise, les cabines immobiles alignent leur toit encadrant un numéro, des cyclistes passent sur la digue. C’est un jour d’été, calme, plat, reposant, d’ennui ouaté, de clignement des yeux pour s’opposer à la force de la lumière, de pieds enfouis dans le sable chaud que l’on essuie avant de remettre de vagues semelles et repartir, réjoui, soulé de vent et de soleil, heureux, mais ramolli et sans but. Quelle puissance évocatrice d’une civilisation que cette journée !
06:05 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vacances, mer, plage, société | Imprimer
31/08/2011
Vacances 1 : premier jour
Un coin de jardin où seul un arbre mort pointe ses branchages vers un ciel lourd de nuages, vision d’hiver qui introduit un décalage subtil entre la réalité et ce réveil dans une maison inconnue, mais accueillante. Je sortis du lit, impatient de m’éclaircir l’esprit et de humer un contexte nouveau. Après m’être fait une tasse de café, je m’installais dans le jardin, sous ce ciel nuageux, dans cette atmosphère lourde, ponctuée au loin de quelques grondements de tonnerre diffus.
En sortant je perçus cette odeur spécifique des bords de mer (comme l’odeur propre à chaque être humain lorsque l’on franchit le pas vers une certaine promiscuité), pas réellement des émanations d’iode, trop lourdes et capiteuses pour être appréciées par les gens de l’intérieur, mais plutôt une odeur de poussière-sable chaud-vignes folles-écume des flots. Elle revint à ma mémoire et m’ouvrit les perspectives d’un passé révolu, cris d’enfants, extase des rochers sous lesquels un malheureux crabe se réfugie « Il mord ? », disent-ils, en avançant la main sans jamais aller jusqu’au bout de leur geste. « Prenez-le, prenez-le ! » Alors vous vous lancez dans une entreprise difficile, prendre un crabe par le haut de sa coquille sans vous faire mordre par leurs pattes à pince très mobiles. « Oh, qu’il est beau, on l’emmène », vous disent-ils et vous devez le déposer dans le seau qu’ils ont rempli d’un peu d’eau avec une poigné de sable frais au fond pour lui faire un nid.
Assis dans le jardin, regardant les moutons courir dans le champ du ciel, rêvant sans bien savoir à quoi, simplement préoccupé de respirer cet air vivifiant et chargé de souvenirs, je vis deux tourterelles gris cendrés se poser à deux mètres de moi sur la pelouse, à un endroit où l’herbe manquait par l’usure des piétinements ou par absence de volonté. Elles étaient plus petites que les pigeons des villes, plus menues et fragiles, mais au caractère bien trempé, avançant fièrement et balançant leur cou à chaque pas comme pour approuver leur décision et montrer leur détermination. Dès qu’elles trouvaient une graine ou un petit caillou rond pour broyer celle-ci dans leur estomac, elles se penchaient avec élégance et les saisissaient d’un bec rapide comme une main hâtive s’empresse de saisir un objet convoité. « Comme il est curieux que ces oiseaux n’aient qu’une préoccupation : manger, manger encore, manger toujours ! », me dis-je, sachant que cette affirmation exagérée était quelque peu mensongère. « Ne sommes-nous finalement pas également dépendants de la nourriture, certes de façon moins prononcée, mais c’est un lent cheminement que celui de l’animal à l’homme, très certainement marqué par un certain détachement des besoins primaires du corps pour s’enquérir des questions de l’esprit. Oui, la spécificité de l’homme tient à ce détachement du nécessaire pour s’élever vers d’autres cieux ou d’autres préoccupations. » Et d’un battement d’ailes, les tourterelles prirent leur envol, brisant ces réflexions incongrues un premier matin dans l’île.
Une dernière impression : la tiédeur d’une brise, comme une caresse douce, remontant le long du corps pour s’évanouir plus loin, vous laissant une réaction agréable, mais indéfinissable, de sensations passées et de bonheur diffus. Cette manière de vous caresser lentement, comme une plume sur l’avant-bras, est spécifique à ce lieu. « Ah, ça y est, je suis revenu au pays ! », me dis-je, plongé à nouveau dans l’atmosphère doucereuse de ces journées d’été, où la chaleur crée un bocal de sensations diverses, lascives, ensommeillées et enfantines. C’était la même brise que celle des régates du quinze août, lorsque vers midi, quand la course bat son plein, le vent se calme en un instant et ne laisse plus traîner que quelques souffles pervers et désordonnés pour emporter de quelques mètres le voilier qui s’endort dans les vaguelettes et se laisse déporter par le courant. Alors, à bord, s’installe la torpeur de ces jours de soleil et peu à peu elle se propage par contamination à l’ensemble de l’équipage, jusqu’au moment où le capitaine s’écrie : « Le vent… Il revient, tenez-vous prêts ! »
06:24 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mer, méditation, rêverie | Imprimer
15/08/2011
En fin d’après-midi
En fin d’après-midi, sur une envie subite, prendre la voiture et partir vers l’inconnu, sans savoir où l’on veut aller, se perdre aux détours des routes, regarder le ciel et y voir le signe de tourner à gauche ou à droite. Quel bonheur que ce délassement facile qui nettoie l’esprit mieux qu’une visite impromptue ou l’obligation de se trouver quelque chose à faire.
Chercher ses clés et ses papiers, fermer la maison, jeter un œil aux bulles nuageuses et maussades, ouvrir la portière, s’asseoir et prendre la route du rêve et promener son indolence et laisser progressivement une douce torpeur vous envahir sans que l’on sache pourquoi. Oui, vous êtes déjà parti, sans en avoir été conscient, emporté par un faiseur de songes, à petite vitesse, l’œil élargi, attentif à tout ce qui pourrait retenir votre attention : un lapin dans le champ d’en face, la nouvelle automobile d’un voisin, le cri d’un faisan qui s’envole majestueusement devant vos roues, le passage d’une femme dans la rue, les bras chargés de fleurs. Et chacune de ces images évoque en vous d’autres images, floues, en lien ténu avec l’objet regardé, mais qui vous emplissent de bien-être. Peu à peu, vous sentez monter en vous la liberté des jours de vacances en un pays ignoré. Vous vous allégez et découvrez un espace intérieur vierge, indifférent au quotidien, mais très présent à un monde oublié, celui de la magie de l’étonnement d’un rien et d’une joie vierge de tout souci.
Alors, vous en faites part à celui ou celle qui vous accompagne, avec des mots très simples, sans littérature, et vous partagez ce moment capital : flotter dans l’espace éthéré et intemporel que procure l’habitacle de votre véhicule qui lui-même vous entraîne en des lieux devenus inconnus. C’est bien sûr quelqu’un que vous connaissez bien, sinon pourquoi partir avec lui dans ce voyage intemporel ? S’il s’agit de l’aimé(e), vous êtes comblé(e) doublement puisque ces instants resteront des jalons de fusion fondés sur un presque rien qui devient un trésor partagé.
Puis, vous prenez imperceptiblement le chemin du retour, par des voies détournées, vous rapprochant insensiblement du retour aux réalités, et vous rentrez rasséréné, léger, comme un fantôme dans une maison à laquelle il est attaché. Et le soir, dans votre lit, vous vous endormez, la fenêtre ouverte sur la réalité nouvelle d’un monde toujours à découvrir.
05:02 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer
26/07/2011
Nouvelle promenade campagnarde
Retour aux trous blancs déjà évoqués le 2 mai.
Hier, promenade dans la campagne, au gré des pas et des humeurs, sous un temps moutonneux. Après la vision d’un château, hélas trop refait pour attirer notre attention, nous nous engageâmes dans un petit chemin au fond d’un vallon. Et nous entrâmes dans un autre monde, celui des trous blancs, monde merveilleux, d’un autre âge, empli d’inattendu, comme un voyage chez Alice (celle du pays des merveilles).
Marcher en catimini sur une douce couche d’humus pour pénétrer dans ce pays inconnu. De part et d’autre, un bois aux arbres emplis de lianes et de mousse, comme mis en conserve et ouvert à notre approche. Déboucher sur un chemin creux récemment débroussaillé dont les arbres pleuraient de longues tiges de cigares qui permettraient de fumer jusqu’à la fin de ses jours. Silence, lumière atténuée, aucun chant d’oiseaux, une impression d’entrer dans un monde ancien, presque préhistorique, résurgence d’un temps sans voiture, où seule la force animale permettait ce type de travaux.
Un vieil arbre, enrobé de paillettes qui lui font une barbe crissant, semblait servir de nid à des vautours imaginaires. Perdu au milieu du chemin dénudé, il apparaissait comme un fantôme volontaire, pour rappeler l’écoulement du temps.
Poursuite vers le fond du vallon, là où repose au creux des bois une eau suintant de rigoles creusées dans la pente. La lumière créait un reflet d’argent à sa surface, comme une couche de glace en plein été, dans laquelle les feuilles et la réverbération des squelettes des arbustes figeait l’ensemble en une immobilité mystérieuse et poignante. Une invraisemblable nostalgie s’empara de nous, comme un creux dans le ventre. Le regard embué, nous contemplâmes la résurgence des eaux sous le coton du ciel.
Pour finir, une petite halte au bord d’une route où poussait une chapelle du siècle dernier. Elle n’était pas très belle extérieurement, mais entretenue avec soin, enrobée d’un jardin naturel d’arbustes taillés et d’allées minuscules, mais proprettes. Regard par les deux vitres de la porte d’entrée qui nous fit découvrir un palais spirituel, aux peintures un peu éteintes, mais encore vives, et une sainte vierge enrobée de lumière nous présentant l’enfant Jésus.
Quelle belle promenade, qui nous a apporté un soleil intérieur en un jour maussade !
05:18 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nature, dépaysement | Imprimer
14/07/2011
Jardin d’agronomie tropicale (bois de Vincennes)
Un parfait abandon.
Les simples bruits de la nature qui se superposent à ceux de la ville, en fond sonore indescriptible. Et là, dans une forêt qui reprend ses droits, surgissent des images coloniales : treillages aux dessins géométriques et compliqués, murs ajourés de briques en quinconce, portes de bois ouvrant sur des ruines, ruisseau boueux et, un peu partout, des bambous, les uns petits et verts tendres, les autres en sous-bois de pousses et d’adultes bleus-verts, colonisant certaines étendues d’eau, à profusion.
Beaucoup de pins également comme un jardin du midi ayant échoué en plein Paris, avec un ciel bleu, sans nuage, recouvrant ce coin d’Indochine perdu en terre française. Rien, pas un passant, pas une ombre parmi ces monuments qui sont tous, ou presque, des monuments dédiés aux Indochinois morts pour la France. Tout est plus ou moins à l’abandon, comme ce passé colonial dont on n’ose plus parler.
Et plus on reste dans ce décor passé, plus une incroyable mélancolie s’empare de vous. En effet, il y règne un parfait abandon, volontaire, nous dit la Mairie de Paris. Seules les allées de gravier sont encore entretenues. Autour la forêt prolifère, en désordre, lianes envahissant les pins et certains bâtiments, pousses d’acacia piquantes, lierres s’emparant des sculptures, boue s’entassant dans un ruisseau malodorant. Atmosphère de mélancolie coloniale, comme un film de Marguerite Duras, les personnages en moins.
On s’attend à voir surgir de ce décor passé un vietnamien au chapeau de paille pointu, courbé sur l’eau d’une rizière. Il ouvrirait la porte de bois et ferait signe d’entrer dans sa cabane en ruine. Sans parler, nous échangerions quelques amabilités gestuelles avant de nous quitter en joignant les mains et en s’inclinant devant l’autre.
Ce jardin a une histoire. Créé en 1899 pour accroître les productions agricoles des colonies, il fournissait en graines et boutures les exploitations des colonies et recherchait une acclimatation de ces plantes à notre climat. En 1907, une exposition coloniale reconstitue cinq villages habités : indochinois, malgaches, congolais, soudanais et touareg. Tout ceci est resté longtemps à l’abandon. En 2002, la ville de Paris envisage des travaux de restauration qui ont commencé avec le pavillon Indochine.
Mais le sortilège de ce jardin est bien son abandon voulu, revendiqué, fait de menues détresses, de démission de l’homme civilisé, pour ne laisser apparaître que le fait historique brut : bâtiments en ruine, délaissés, plantations de bambous proliférant et statues perdant des morceaux de pierre ou de ciment pour leur donner l’air pathétique et désuètes.
07:27 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, art, colonies | Imprimer
28/05/2011
Promenade en bicyclette dans Paris
Partir le nez au vent, sans même savoir où vous allez. Un tour de pédale et vous voici parti dans la magie d’une ballade au soleil avec un petit vent qui vous pousse lentement. Voie cycliste parmi les piétons, sereine jusqu’à leur rythme parce qu’ils tiennent la chaussée qui vous est pourtant réservée. Peu importe, il n’y a rien à faire qu’à le faire en prenant plaisir de tout, y compris les obstacles humains (hommes parlant ensemble, amoureux enlacés, vieilles femmes marchant à pas menus, enfants se précipitant sous les roues) ou techniques (feux rouges ; feux tout court, rarement ; feux follets très, très rares ; poubelles vertes ; barrières rouges et blanches de travaux ; voitures immobilisées sur la voie cycliste).
Je roule le nez en l’air, sauf lorsque je me trouve dans une rue bordée de platanes qui projettent dans vos yeux ouverts sur la vie leurs fruits entourés de poils qui forment des petits tas de coton ocre sale sur les trottoirs et qui viennent se planter dans votre regard pour le contraindre à ne rien voir. Et pourtant, vision de quelques boutiques qui défilent, colorées, emplies de marchandises étalées avec art. Parfois un vélo rapide, monté par un sportif « casqueté » et en short bleu, double vite, la tête baissée, évitant les piétons par de larges circonvolutions, freinant parfois debout sur les pédales dans un dérapage contrôlé et majestueux, laissant derrière lui le souffle de la vitesse.
Je double aussi des vélocipèdes désenchantés, pilotés par des dames aux jupes étroites pédalant les genoux serrés, les fesses encouragées par une large selle, noire de préférence, remuant leur changement de vitesse en permanence pour se donner l’illusion d’une utilisation optimum de leur engin. Elles avancent comme dans la vie, craintivement, mais avec hauteur, juchées sur leur appareil de fer comme les généraux en statue équestre. Ralentissement sévère à chaque carrefour ; accélération lente, mais certaine, sur le plat, en ligne droite, sans piétons ni obstacles. Puis retour à la normale lorsqu’un pigeon audacieux passe sous leur nez.
Parfois s’entend au passage la remarque désobligeante d’un piéton qui a, bien sûr, tous les droits puisqu’il marche sur ses pieds, fait extraordinaire, insolite, qui mérite un respect absolu sans aucun commentaire.
D’autre fois, moins souvent, une voiture tourne devant vous, vous coupant la route, contraignant à un coup de frein suivi de dix coups de pédales avant de reprendre le rythme idéal de la ballade idéale dans un Paris idéal.
Entrée dans le bois de Boulogne, où le soleil pénètre en mi-teinte, où les bruits des voitures se font plus sourds, où les couleurs s’estompent. Vous roulez sans attention, laissant guider votre regard par tous les petits mouvements qu’une forêt laisse filtrer dans un après-midi ordinaire : un oiseau qui s’enfuit à votre approche, le changement d’attitude d’un baigneur de soleil, un frissonnement du feuillage lors de la venue d’une brise légère, le passage d’un autre cycliste qui vous croise, sifflotant, en rêvant.
Et vous pédalez, vous pédalez avec un plaisir immense, vous sentant libre de toute contrainte, dégagé de tout souci, de toute ombre qui pourrait fêler cette communion avec la nature enchanteresse. Pour un peu, vous vous envoleriez comme Elliot, l’ami de E.T., surmontant le lac pour vous poser sur une des iles ou encore doublant l’ensemble de voitures agglomérées en bouchons, immobiles et agacées de voir cet engin les survoler sans peine.
Plus de pensées, plus de fatigue, le retour à l’enfance heureuse des vacances à la campagne.
06:56 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nature, environnement | Imprimer
15/05/2011
Buttes-Chaumont
La campagne, et presque la montagne, à Paris. Quel dépaysement ! Créé par Haussmann sur demande de Napoléon III, le jardin (un véritable parc) des Buttes-Chaumont a été aménagé en 1866-1867 par Alphand et Barillet, sur les hauteurs dénudées (monts chauves, d'où Chaumont), d’une centaine de mètres d'altitude, qui forment le promontoire le plus occidental des collines de Belleville, à l’emplacement de carrières de gypse.
Tout fonctionne comme en ascenseur :
Rez-de-chaussée au ras du lac, là où l’horizon est bouché de verdure en profusion, comme les fumées produites par la lave d’un volcan façonnent un écran sur la surface du cratère.
Entresol, sur la droite, là où s’écoule des hauteurs un ruisseau dans des rochers en béton, imitant de façon satisfaisante le naturel d’un coin de vallée, étroite et déchirée, dans lesquelles se glisse imperceptiblement un cours d’eau se manifestant par des pépiements gracieux pour le plaisir des yeux et des oreilles.
Premier étage, celui du petit pont suspendu qui permet de passer du sud-ouest au nord-est en enjambant l’eau plutôt jaune que verte ou même kaki et dont le fond laisse deviner un limon épais et collant. Il tangue un peu pour vous laisser apprécier cette traversée, comme un temps de pause en deux rêveries. L’eau peut contempler, le long des rives, sur une herbe accueillante comme les bras d’une femme imaginaire, quelques couples, généralement homme et femme, allongés, parfois même étroitement enlacés, qui donne l’illusion d’une nuit au bord de la plage d’Acapulco.
Deuxième et dernier étage, après l’enjambement, vers le simili temple, grec ou autre, qui domine les toits et dévoile un ciel de petits nuages blancs, se fondant parfois dans le bleu d’un azur vu d’avion. Au loin, Montmartre se profile comme une (petite) carte postale et vous contemplez Paris nord, si différent de Paris centre (ou ventre ?), mais dont le charme est plus dans l’humain que dans l’architecture. Tel un fakir suspendu sur son tapis volant, un étudiant, son sac à dos posé à côté de lui, lit en tailleur à hauteur des toits. Rien ne le distrait, ni le bruit d’une classe d’enfants qui passe, ni le silence subit, trou d’air dans le brouhaha de la circulation. Et tout autour de vous, des nuages de verdure, moutonnements subtils de vert foncé, clair, presque brun rouge ou encore argenté et frémissant du vent léger qui rafraichit.
Une jeune fille avance, vêtue d’une robe légère soulevée par ce même vent. Il gonfle le tissu et lui donne un air de bonhomme Michelin, sous la taille du moins, le haut restant à sa mesure, menu comme un oiseau aux ailes déployés lorsqu’elle lève les bras pour prendre une photo. Adonis, en marcel rouge, et Aphrodite, en marcel blanc, d’un tissu plus élégant, se font prendre en photo, appuyés mollement sur le parapet du temple. Trois grâces de trente cinq ans montent au temple, parlant fort, pour redescendre aussitôt, plus préoccupées de leur apparence, peut-on dire de leur beauté, que du paysage. Deux femmes d’âge mûr, assises de part et d’autre d’un banc, consultent deux plans de Paris semblables, échangeant leurs impressions par-dessus leurs sacs à dos les séparant. Si l’une se lève, l’autre tombe vraisemblablement, tellement elles sont assises aux bouts du bout du banc. Rassurez-vous, cela ne se produira pas.
Passage du pont, vu d’en bas et si haut, qui d’en haut mérite son nom de pont des suicidés ! Changement de décor : une prairie en pente, sorte d’alpage pour les parisiens étendus, panier repas à portée de main, certains et certaines en maillot de bain, s’épanchant au soleil, se retournant de temps à autre pour ne pas virer au rouge pâmoison. Nuage… Les silhouettes se revêtent, puis se dévêtent à la réapparition des rayons chauffants.
Alors vous vous dites qu’il est temps de repartir, sans toutefois que cette pensée ait un effet quelconque sur votre volonté et moins encore sur votre corps. Vous vous levez, faites quelques pas pour découvrir une vallée bordée d’un ruisseau et de quelques arbres de différentes essences auprès desquels les plaids et ceux qui les recouvrent font penser aux dimanches après-midi dans les faubourgs de Genève, là où la campagne et la montagne se confondent, à deux pas des immeubles envahissants.
Retour au rez-de-chaussée, passage sous le pont, si haut vu d’en bas, et découverte de grottes dont l’une se pare d’une cascade bruyante déversée par un « trou blanc » (voir Marcher sur un chemin de terre » du lundi, 02 Mai), comme un halo de lumière dans l’obscurité de la voute. L’eau coule, dévale, escalade les pierres, se joue de la lumière et de l’ombre, livrant une odeur sucrée et pourrissante qui donne à ce type de lieu un charme vieillissante, mais toujours rajeuni par le scintillement des gouttelettes dans les rayons d’argent d’une lumière rare, mais vive.
Fin du tour du lac, de l’étang, de la pièce d’eau, on ne sait pas bien. Là encore la pelouse et le spectacle d’étendues d’eau attirent l’amour ou tout au moins les couples aux balbutiements de l’art d’aimer, s’enlaçant sans vergogne au vue et au sus de tous, petits et grands.
Passage de la grille, tremblement du macadam au passage du feu vert, halètement des personnes âgées au passage du feu rouge. Quel bel après-midi à la campagne, presqu’à la montagne. Une éclaircie dans la vie parisienne, à l’image du petit clos entouré de grillage, plus vert et tendre que la pelouse presque jaunie qui l’entoure, à l’entrée du parc, où l’on s’attend à voir un âne brayant en écho aux pétarades des motos.
04:46 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : promenade, paris insolite, campagne | Imprimer
02/05/2011
Marcher sur un chemin de terre (promenade campagnarde)
Marcher sur un chemin de terre, quand encore la rosée mouille les chaussures et fait de chaque feuille une larme de fraicheur, et se laisser aller au rythme lent d’une marche sans but autre qu’une promenade, quel délice !
Déjà le soleil engage sa course folle à travers l’espace d’un ciel d’azur et ouvre de larges taches sur la verdoyance. Ebloui, l’on se laisse aller les yeux mi-clos, au long d’un chemin qui est plus qu’un sentier, mais moins qu’une allée. Entourés de frondaisons, rétrécis dans la pâleur lumineuse perçant celles-ci, nous marchons, devisant joyeusement sans y prendre garde.
Arrêt magique… A un détour du chemin, nous découvrons une sorte de halo éblouissant, sortant de l’ombre des feuillaisons, mystère vivant de la nature qui offre au contemplateur des visions de l’incommensurable beauté de la création.
Le mystère s’épaissit lorsque nous tombâmes sur un second trou blanc, à l’égal des trous noirs dont les astrophysiciens nous content les caractéristiques. Un trou noir est un corps qui empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper en raison d’un champ gravitationnel très intense. N’émettant pas de lumière, il est alors perçu noir. Ils ne sont décrits que par un très petit nombre de paramètres : la masse, la charge électrique et le moment cinétique. Ces trous ouvraient sur un autre monde, celui du rêve dans lequel la masse est sans consistance, la charge électrique déterminante et le moment cinétique spécifique. Ce moment entraîne l’espace et le temps dans son voisinage.
Ainsi la contemplation d’un trou blanc pourrait nous conduire à une sortie de notre univers mental pour nous induire à des comportements illogiques dans notre monde.
Forts de cette déduction, nous prîmes de multiples précautions à son abord : avancée lente à pas menus et écoute discrète, le regard tendu vers les bords du trou blanc avant de pouvoir avancer jusqu’au moment où l’épaisseur du trou s’évanouit pour laisser place à un paysage d’une autre atmosphère, comme sortie d’un chapeau incontrôlable. La vraie campagne contre une feuillaison enjôleuse et geôlière. Ouverture sur un paysage à l’horizon lointain, aux mouvements ondulés dont les recoupements couverts de chênes pleins et sereins d’un vert composé donnent à ce tableau une beauté diffuse, que l’on ne saurait définir.
La promenade continua, suspendue aux nouveaux trous blancs que nous pourrions rencontrer au hasard d’une courbe du chemin. En voici un nouveau, qui est encore plus mystérieux au premier abord, mais qui se révéla assez décevant.
Ainsi notre promenade nous conduisit aux confins d’un univers visible, là où se trouve une zone qui délimite la région d’où lumière et matière ne peuvent s’échapper, et que les astrophysiciens appellent « horizon des évènements ». Au-delà, seule l’imagination permet de naviguer à ses risques et périls. Nous n’en manquions pas et faillîmes ne plus revenir.
Les trous blancs sont des instants merveilleux à saisir chaque fois qu’ils se présentent. Hors du temps et de l’espace, l’esprit erre dans l’extase d’une compréhension innée qui ne vient pas de lui. Cette extase, qui n’est qu’un grand vide qui envahit l’être, laisse la place à la création ou l’exaltation de la beauté du monde et de son imprévisibilité.
Alors, dans cet instant magique, naît un sentiment de gratitude envers ce que Graf Dürckheim appelle le numineux, c’est-à-dire la manifestation d’une transcendance absolument autre qui nous empoigne et nous conduit à une autre vision du monde et de nous-mêmes, libre de toute contingence.
06:26 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : trou noir, méditation, numineux, compréhension du monde | Imprimer
21/04/2011
Plage des Vosges
Place des Vosges ou plutôt plage des Vosges, où nombreux sont les promeneurs qui s’installent couchés, retirant leurs espadrilles, ôtant le haut, pour les hommes du moins, certains abaissant même leur pantalon jusqu’à moitié du caleçon. Quelques femmes, jeunes de préférence, se dressent en soutien-gorge noir, comme s’il s’agissait d’un maillot. Farniente…
Les uns, en rond, parlent en gesticulant. Les autres, solitaires, laissent reposer leur tête sur un sac à main débordant de rouge à lèvres et autres crèmes. D’autres encore, assis ou plutôt soutenus par les bras tendus reposant sur le sol légèrement en arrière du buste, contemplent la foule, l’air tantôt intéressé, tantôt perdu dans leurs pensées.
Des mères de famille, poussant leur Maclaren d’une main, soutenant de l’autre un enfant qui vacille sur ses jambes torses, font deux ou trois tours de la pelouse avant de reprendre le chemin du macadam.
Certains, précautionneux, boivent à même une petite bouteille d’eau, la rebouchant ensuite, pour, très vite, à nouveau, la déboucher, boire une gorgée d’eau, puis la reboucher.
Un homme, torse nu, assis jambes écartés, téléphone d’un air conquérant, le coude sur le genou, l’autre bras tombant le long du corps comme une branche morte. Avance majestueux un homme grand, la tête haute, tenant sa veste sur son bras replié. Il passe au milieu des gisants comme un étranger, dédaigneux et solitaire.
Deux adolescentes, le jean déchiré, fument alternativement une seule et unique cigarette, se souriant, les yeux dans le vague, jusqu’à l’instant où l’une d’entre elles se brûle les doigts. Alors elles s’allongent, les seins hauts, comme des odalisques.
Plus loin, noyé dans la foule, un pseudo-sportif canari, vêtu d’un short et d’un maillot plus jaune que le citron, pose en bombant le torse, agitant des bras frêles avec beaucoup d’énergie. Ses cuisses blanchâtres méritent le soleil de l’après-midi. Seul son crâne est véritablement protégé par une casquette, jaune évidemment, comme une glace au citron débordant de son cornet.
Trois jeunes filles jouent aux cartes, discutant entre elles de leur jeu, poussant quelques jurons, les pieds nus, le verbe haut. Puis, lassées, deux d’entre elles s’étendent tête bêche, la dernière poursuivant une partie de carte en rêvant.
Et l’eau coule aux quatre fontaines, apportant un chant d’air frais, le flot ruisselant de la vasque principale par des gargouilles à tête de lion, pour en bas devenir perles étincelantes dans le bassin. Un pigeon, perché sur la margelle, boit, inclinant l’ensemble de son corps presque à la verticale vers le bas. Pas facile pourtant de boire ainsi.
Plus loin, la stature des hôtels de la place dresse en rouge et blanc, derrière les arbres taillés au carré, un décor immuable depuis plusieurs siècles, sans cependant paraître désuet. Les vieux glissent le long de leurs murs cachés sur les arcades, à la recherche de l’ombre. Seuls les conversations, les rires, la cataracte du flot des fontaines troublent un silence brouillardeux, fait d’un tremblement de l’air et du mouvement des voitures circulant autour de la place.
Seul horizon, les toits à forte pente, hauts comme des chapeaux, alignés comme à la parade, neuf par côté, contenant deux étages, le dernier habité ou non selon les maisons. Au-delà des cheminées, dominantes et variées, le ciel bleu, pur, troublant d’uniformité, avec un petit nuage passant d’est en ouest dans une pâleur diffuse.
06:44 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : visite historique, farniente | Imprimer
07/04/2011
Palais Royal
Brouhaha habituel des jardins publics : cris d’enfants, conversations d’adultes, raclement des pieds ferrés des chaises sur le sol, titillements sonores des jets d’eau du bassin qui se meuvent en corolles blanches de différentes hauteurs, foisonnement de couleurs et de sons qui donnent l’ambiance insolite de ce jardin enserré entre les galeries du palais édifié pour le cardinal de Richelieu, qui devint ensuite résidence royale puis lieu d’agitation révolutionnaire, pour, après un nouvel intermède royal, recevoir le Conseil d’Etat.
Passage le long des galeries, où un magasin de gants fait étalage de sa marchandise diversifiée, mains mortes pendant dans le vide ou mains dressées comme un sceptre héraldique.
Les promeneurs passent à pas lents, concentrés sur leurs chaussures, faisant crisser le gravier à chaque nouvelle enjambée. Ils errent sans but, avec pour seul plaisir un regard au soleil qui passe près des toits. Certains discutent entre eux, calmement, posément, comme un club d’intellectuels sur une question épineuse. Chacun passe à côté du bouquet fleuri éclairé par le soleil de printemps.
Assis en rond autour de la fontaine, les uns et les autres vaquent à leurs occupations. L’un, lunettes noires couvrantes, les pieds sur la margelle du bassin, téléphone d’un air entendu à un mystérieux correspondant. L’autre lit, dans la même position, un foulard autour du cou, lunettes noires également, la chevelure abondante obscurcissant son visage. En fait, je le découvre avec un temps de retard, c’est une femme. Je l’ai perçu à son geste, féminin malgré tout, bien qu’elle porte la tenue unisexe, blue-jean et tennis. Un autre encore, un homme, c’est certain, toujours dans la même pose, les pieds sur la margelle, jambes tendus, à moitié allongé sur sa chaise, les mains croisées sur le ventre, semble dormir. Il écoute de la musique, ouvrant parfois un œil, peut-être même les deux, les rayons du soleil luisant sur son crâne rasé. Quatre jeunes filles installent leurs chaises à proximité, en uniforme, collants noirs et tennis rouges, le haut leur laissant l’initiative de l’improvisé, chacune d’elles sirotant une boite d’aluminium contenant un jus de citron plus jaune que la normale.
Jeu de reflets de la fontaine dans le rayonnement du soleil, l’eau montant et descendant au gré d’un ordonnateur invisible, s’égrainant à mi-hauteur en mille perles étincelantes avant de retomber sous le poids de la pesanteur. Au pied de ces jets d’eau, la surface bleuissant du bassin se pare de mousse argentée piquetée d’éclaboussures semblant sortir de sa profondeur comme la lave à la surface d’un volcan laisse éclater des bulles de gaz dans lesquelles se noie le regard. Le reste du bassin, par le jeu de la bise et du soleil, est couvert de nénuphars virtuels, bleus clairs, presque gris, flottant sur l’eau et scintillant de légèreté. Le vent parfois projette quelques gouttelettes sur la margelle, jusqu’à couvrir le visage d’une très légère brume qui rafraichit les idées et ramène à la réalité.
Immuable, rien ne bouge autour du bassin, comme immobilisé dans une béatitude intemporelle. Si, cependant ! La femme unisexe s’est métamorphosée en une autre femme ou jeune fille, également unisexe, mais chaussée de boots montant aux lacets jaunes. Même attitude, même foulard enserrant le cou, juste les cheveux moins proliférants, mais lisant également un livre semblable posée sur ses cuisses allongées.
Lentement le soleil descend, rase une première cheminée, puis une deuxième, pour progressivement s’éteindre derrière le toit plat. Il est l’heure de quitter ce moment d’observation et de vagabondage de l’esprit. A regret, je me lève et pars, sans un regard sur le collier de perles du bassin.
06:28 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : promenade, jets d'eau, impression | Imprimer
27/03/2011
Marcher le long d'un cours d'eau
Marcher le long d’un cours d’eau,
Promener sa paresse au fil des pas
En regardant défiler l’herbe verte
Et se laisser aller à une douce somnolence,
A chaque seconde qui s’égraine.
Par endroit, la roche se présente nue
Comme coupée au couteau,
Mais environnée des guirlandes de buis
Qui poussent, sauvages,
A l’image des millénaires écoulés,
Et pourtant domestiquées
Par la proximité des prés.
Au fond de la vallée, un village.
Pas un bruit, pas une âme.
Seul le chuintement de l’eau sur les pierres
Donne vie à cet immobilisme.
Je m’arrête, observant l’eau,
Apprivoisé par la pâle chaleur
D’un soleil dispersé entre les branches
Et insaisissable dans sa totalité.
J’avance, l’œil aux aguets,
Porté par une brise tendre et acide,
Et traverse la rue principale
Enhardi par la chaleur du soleil.
L’église, plantée sur le carrefour,
Côtoie les pentes escarpées
Où paissent des fantômes de vaches.
Au retour j’aperçois une femme
Qui sort de chez elle, sans bruit,
Un tableau à la main,
Ou plutôt rabattu sur son buste
Comme pour le protéger.
Elle s’éloigne calmement,
D’un pas assuré, le regard perdu,
Montant le chemin herbu,
Vers un l’on ne sait où, fuyante.
Chemin du retour, au pas de la nostalgie,
Laissant aller le corps au rythme de l’écoulement
D’une eau sereine et apaisante,
Le soleil face à moi,
Provoquant de minuscules étincelles
Sur les flots tourbillonnant entre les pierres.
04:23 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : promenade, cours d'eau, quiétude | Imprimer
14/03/2011
Vivre en contemplation
Vivre en contemplation,
N’est-ce pas se contempler soi-même,
N’est-ce pas se regarder dans le miroir
De l’étang qui lui-même reflète l’éclat du soleil ?
J’examine mes sensations diverses,
Je les analyse selon les rencontres,
Celle d’un éclat reflété sur l’eau,
Celle d’un cri dans le silence du vent,
Celle d’un canard qui s’envole à mon approche.
Et de tout cela je me construis,
Je me reconstruis, brisé en mille morceaux,
Pour franchir le miroir des souvenirs
Jusqu’au silence bienfaisant de l’absence de pensée.
Au loin, derrière l’étang, dans les bois,
Des enfants jouent bruyamment.
J’entends leurs cris étouffés,
Des bribes de paroles et de rires,
Sans pouvoir discerner le lieu de leur présence.
Puis à nouveau, le silence,
Entrecoupé d’un tressaillement de moteur
Et prolongé par le frémissement de la bise.
Silence. L’eau même s’immobilise
Et se pare de petits scintillements
Qui constituent autant de reflets
Des pensées qui partent au fil de l’eau.
07:43 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : méditation, promenade, contemplation | Imprimer
08/03/2011
Promenade campagnarde
Laissant la voiture dans un chemin empierré auprès d’une ferme inhabitée, je poursuivis ma route à pied, contemplant la campagne ouverte, aux champs bleutés par un soleil d’hiver, envahie par des haies qui s’étiraient au loin jusqu’à l’abri du regard. Rien, ou presque rien, ne pouvait accrocher l’attention. L’horizon dentelé des bois se détachait sur la luminosité inhabituelle du ciel, comme une lame de glace à la surface de l’eau. J’avançais, affrontant un vent froid, mais la chaleur des rayons bruts du soleil agrémentait le temps d’un bienheureux soulagement. Prenant à droite, vers un chemin qui montait légèrement, tapissé de boutons d’or, mais clos d’une haie d’arbres plus ou moins morts, j’eus la surprise, après une cinquantaine de mètres, de découvrir une longue allée ensevelie sous les arbres dénudés qui s’effilochait dans la lumière à contre-jour en une descente progressive vers un jardin lointain dans lequel on devinait des tourelles, peut-être même des tours.
Cette allée était bordée de deux haies d’arbres aux multiples branches qui se terminaient comme des bras et des mains aux mille doigts s’entrelaçant dans la bise, éclairées par moments des éclats d’un soleil acide et tranchant. Lentement, comme dans une longue promenade au bord d’un fleuve, je descendis le parterre d’herbes et de fleurs, regardant un bouquet de jonquilles poussées dans une végétation desséchée. Arrivé au bout de l’allée, je m’installais au creux du chemin perpendiculaire, abrité du vent par le talus.
Dans cet abri, je ne ressens rien que le tiède et cotonneux éclat du soleil vers lequel je tends le visage. Sous la couche rouge de Chine de mes paupières, seules existent la chaleur de son disque et la fraicheur du petit vent d’hiver qui agite les branches mortes. Je suis assis sous la butte d’un ancien chemin creux, auprès de jeunes pousses du début de printemps et de quelques jonquilles qui se dressent fièrement. Pas un bruit, sinon celui de ce vent qui court sur la terre et fait bruisser les herbes hautes. Un calme profond s’étend et envahit progressivement l’être. Peu à peu, les idées s’arrêtent devant cette magnifique solitude, comme si j’avais passé les bras, puis le corps tout entier au travers de ce voile rouge pour, par un hasard extraordinaire, regarder, de loin, d’un œil indifférent, cette vie qui souffle et va et vient dans laquelle j’ai l’habitude d’errer. Dans la chaleur du corps et du cœur, je suis, seul, devant une nature immobile et je descends au plus profond de mon être, là où il n’y a nulle pensée, nul sentiment, mais seulement des sensations, des impressions, des titillements du corps qui résonnent en moi et me font vivre intensément. Rien n’est plus immortelle que cette minute.
Mais déjà je ressens dans mes jambes qui soutiennent le poids de mon corps à demi-couché sur la butte, d’indélicats picotements qui m’oblige à me lever et remuer une partie de l’être qui n’arrive pas à goûter les sensations de l’autre partie. Alors, boitant un peu parce qu’une jambe était ankylosée, je repris le chemin du retour, à regret, me retournant parfois pour encore m’emplir de ce chemin irréel comme une invitation vers un paradis qui n’est pas perdu, qui est là, sous nos yeux, mais que nous ne voyons pas, imaginant l’éden comme une île lointaine, inaccessible et intemporelle.
Un arbre, dans sa solitude herbeuse, me tends les bras, ouvert à l’air pur et à la beauté de l’instant.
07:21 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : promenade, campagne, photos, sensations | Imprimer
21/02/2011
Dimanche, la Seine
Dimanche. Je passe le long des quais, la Seine égraine sa lente procession vers le vide des mers, passage d’une vie à la dissolution de l’éternité.
Combien de passants comme moi noient leurs pensées dans ce lent cheminement des eaux, appuyés au dessus du parapet, le regard fixe. Hypnose de l’écoulement, on pourrait ne jamais se lasser de ces reflets mouvants d’une étonnante lenteur, valse des miroirs du néant.
La même hypnose que le feu, plus subtile peut-être, parce que plus lente. Le feu possède une magie plus diabolique et plus réelle, car sa contemplation est souvent accompagnée d’un repos du corps auprès d’une cheminée, dans une chaleur bienfaisante, un engourdissement sensible du corps et de l’esprit.
Je pensais alors aux trois éléments anciens, le feu, l’eau et l’air comme matériaux de construction du monde d’après Empédocle (auxquels il ajoute la terre). Les alchimistes prétendent qu’ils émettent des radiations imperceptibles qui sont au centre des forces du monde. Dans l'univers, qu’il voit comme une sphère, tout procède ainsi de l’assemblage et de la désagrégation de ces éléments mus par l'action de deux principes : l'amour et la haine. Alors que l'amour est la force qui réunit et combine ces quatre principes, la haine engendre quant à elle leur séparation. Tantôt l'amour réunit tout en un et tantôt la haine divise tout en deux, écrit Empédocle.
En dehors du feu et de l’eau, nous sommes, parfois, sensibles à l’hypnose de l’air : un jour d’été, le soleil éclate et l’air vibre de tremblements quasi imperceptibles, mais sensibles. Là aussi, un lent engourdissement nous saisit et nous envoûte.
Oui, quand l’été sera là…
06:49 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : impression, les quatre éléments, hypnose, mélancolie | Imprimer