Vacances 2 : Plage (02/09/2011)

 

Une vraie ruche, un bourdonnement permanent : voix basse des hommes, voix de femmes, piano, cris d’enfants aigus comme le marteau sur une enclume. Monde clos par la forme de la plage, comme une arène où les vagues font la corrida avec les baigneurs apeurés, pendant que chacun des spectateurs devise avec son voisin, couché, accoudé sur un bras, comme pour un diner romain, regardant un horizon lointain couronné d’une couche de nuages gris foncés, puis cendrés, puis blancs, puis le bleu du ciel, éblouissant.

Nonchalance pour certains, étendus comme des morts sur une serviette chaude, les bras en croix, béant au soleil, la poitrine se soulevant cependant en cadence, comme assoiffée d’air. Cogitation pour d’autres, allongés sur le dos, la tête sur leur sac, tenant un journal d’une main et un crayon de l’autre, et, parfois, écrivant le mot cherché et trouvé dans une tête vide, sur la grille à remplir. Par moments, dans une intense réflexion, quelques uns abaissent leur publication, contemplent les flots grisâtres, y puisant une inspiration nouvelle qui permet de noircir une case de plus sur un quadrillage en grande partie vierge.

Intermède : au large, passage d’un yacht blanc, filant à bonne allure, fier de sa vitesse, la flèche des superstructures inclinée vers l’arrière au dessus de la cabine du capitaine qui, elle-même, domine la salle des passagers aux fenêtres que l’on devine plutôt qu’on ne les voit. Le bateau s’évapore derrière le mur du fort, fantôme entraperçu et vite oublié devant l’étendue bleu, grise ou noire selon l’éloignement vers l’horizon.

Diverses sont les formes du corps humain. Enfants rachitiques courant dans le sable un seau à la main, s’essuyant le nez de l’autre. Jeune fille svelte marchant noblement, consciente de son effet, inconsciente du soleil qui darde sa beauté d’une couche de caramel. Vieillard ou presque, sur une chaise pliante, mi-assis, mi-couché, engoncé dans l’épanchement de sa chair luxuriante. Homme, la trentaine, les mains sur les hanches, haranguant sa smala serrée autour de serviettes jaunes, tous vêtus de maillots bleus et hérissés de cheveux d’or. Femme, la cinquantaine, allongée sur un bras fléchi, une jambe repliée, comme une Vénus de Milo fatiguée, mais encore capable de faire illusion.

Plus loin des groupes : joueurs aux raquettes de bois bariolées de couleurs dont on suit les mouvements sans voir la balle voler d’un bras replié, pour se détendre brutalement, au bras allongé, pour atteindre in extrémis l’éclair d’une balle invisible. Seul le son des échanges de coup permet de saisir la partie. Autre groupe : les pêcheurs de coquillages, peu importe lesquels, les fesses en l’air, les mains dans l’eau, draguant le sable boueux jusqu’à tomber sur un corps mort, plus ou moins large, plus ou moins lourd, ce qui permet de déceler s’il s’agit d’un caillou ou d’une coquille appartenant à un petit animal qui, une fois cuit, permettra aux heureux bénéficiaires de mastiquer longuement un appareil caoutchouteux en poussant des cris d’extase et en buvant un verre de vin blanc pour le faire passer.

Les mâts se balancent au gré des vagues, les feuillages scintillent sous une légère brise, les cabines immobiles alignent leur toit encadrant un numéro, des cyclistes passent sur la digue. C’est un jour d’été, calme, plat, reposant, d’ennui ouaté, de clignement des yeux pour s’opposer à la force de la lumière, de pieds enfouis dans le sable chaud que l’on essuie avant de remettre de vagues semelles et repartir, réjoui, soulé de vent et de soleil, heureux, mais ramolli et sans but. Quelle puissance évocatrice d’une civilisation que cette journée !

 

 

06:05 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vacances, mer, plage, société |  Imprimer