Dernière promenade d’automne (05/11/2011)
C’est très probablement notre dernière promenade d’automne. Elle s’avère mélancolique et attendrie, puis se révèle enjouée et dépourvue de regrets voilés. Nous marchons dans la vallée étroite, sur un chemin aussi tortueux que le cours de la rivière que nous suivons, d’abord sur la chaussée carrossée, et, très vite, sur un sentier de gazon surplombant le serpent argenté qui lui-même coule entre les maisons basses, cherchant son chemin dans un dédale dû à l’exiguïté des lieux.
Les moulins se succèdent, silencieux en ce dimanche après-midi. Mais on les imagine aussi, grande bouche dévoreuse d’écume, recrachant des flots blancs et oxygénés qui par leur frénésie permet la mise en route de monstrueuses machines qui écrasent, dissèquent, coupent, aplatissent, divisent, transforment tout morceau de nature vivante et la met à disposition de l’homme, à ses pieds, pour qu’il en use, en abuse, la suborne et la jette, enfin lassé de leurs gémissements discrets.
Et plus haut, se découpant sur un ciel virginal, la ville, prisonnière de ses murailles, dominant la vallée comme une gardienne de l’éternité, contemplant cette nature modelée par ses habitants, qui reflète dans ses miroirs l’absence de soucis, l’heureuse et provisoire insouciance d’un après-midi de Toussaint, à la campagne.
Au détour d’un tournant, l’arbre éternel, envoûtant de ses grands doigts fragiles l’horizon, dessine un ovale parfait et majestueux, malgré une chevelure brouillonne, et vous convie dans la danse des insectes qui bourdonnent autour des silhouettes des passants.
Enfin la lente montée vers la muraille, entre les chênes rabougris et la rocaille coupante, qui coupe le souffle, mais allège le corps et lui donne l’apesanteur mystique des croisés à la vue de Jérusalem.
Alors vient l’envie de se jeter des murs vers l’horizon, planant lentement au dessus du moutonnement des arbres, dans un silence parfait, respirant les odeurs subtiles de la terre, des feuilles endolories, de la bouse de vache et du parfum des promeneuses qui ouvrent leur corps à la pâle chaleur d’un soleil qui commence à descendre derrière la colline. Volant entre ciel et terre, entrant dans les flocons cotonneux comme dans un bain d’eau froide et décapante, vous connaissez l’ivresse des jours sans fin non parce que le temps s’arrête, mais parce que votre esprit lui-même s’est arrêté, vide, éclairé par le scintillement permanent d’une absence de pensées aussi bénéfique que les crèmes adoucissantes dont les femmes s’oignent chaque matin pour aller, la tête en l’air et les pieds au sol, conquérir le monde en tant que beauté fatale.
Et pourtant la porte est étroite et Gide aurait sans doute fait de ce moment hors du temps un instant d’appréhension des principes qui font de la vérité humaine soit une évasion, soit un enfermement.
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