29/06/2014
Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, roman de Haruki Murakami
Hajime est fils unique et ce fait lui donne un complexe d’infériorité. A l’école primaire, seule Shimamoto-san possède la même caractéristique, elle est également fille unique. Elle traîne légèrement la jambe gauche en raison d’une poliomyélite. Elle travaille bien. Très vite ils se sentent bien ensemble. C’était la première fois que chacun d’entre nous rencontrait un autre enfant unique. Nous nous mîmes donc à parler avec passion de ce que cela représentait. Nous avions l’un pour l’autre beaucoup à dire sur le sujet. Nous prîmes l'habitude de nous retrouver à la sortie de l’école pour rentrer ensemble. Avec Shimamoto-san, je ne me sentais pas nerveux comme en présence des autres filles. Ils aiment écouter des disques ensemble. Et un jour Hajime découvre une autre dimension dans sa vie : Elle enleva sa main du dossier du canapé et la posa sur ses genoux. Je regardai distraitement ses doigts suivre le tracé des carreaux de sa jupe. Ce mouvement semblait empreint d’un mystère, comme si un fil ténu et transparent sorti du bout de ses doigts tissait un temps encore à venir. J’entendais au loin Nat King Cole chanter « South of the border ». Je ne sentais que l’écho étrange de ces mots: “Sud de la frontière”. … Je rouvris les yeux : les mains de Shimamoto-san s’agitaient toujours sur sa jupe. Une sorte de doux picotement s’insinua tout au fond de mon corps.
Peu de temps après, à nouveau : Shimamoto-san était une fille précoce, sans aucun doute, et je suis sûr qu’elle était amoureuse de moi. Moi aussi, j’éprouvais une vive attirance pour elle, mais je ne savais que faire de ce sentiment. Comme elle, certainement. Une fois, une seule, elle me prit la main… Nos doigts restèrent entrelacés à peine dix secondes, mais cela me sembla durer une demi-heure. Et, quand elle relâcha son étreinte, je regrettai qu’elle ne l’ait pas prolongée davantage…. Il y a avait, rangé à l’intérieur de ces cinq doigts et de cette paume comme dans une mallette d’échantillons, tout ce que je voulais et tout ce que je devais savoir de la vie… Peut-être avions-nous tous deux conscience d’être encore fragmentaires ; nous commencions à peine à sentir les prémices d’une réalité nouvelle qui nous comblerait et ferait de nous des êtres achevés ? Nous nous tenions debout devant une porte donnant sur cette aventure nouvelle. Seuls tous les deux, dans une vague clarté, main dans la main pendant dix secondes à peine.
Mais Shimamoto-san déménage et la vie passe. Il connaît une autre fille Izumi, qui l’aime, avec laquelle il se sent bien. Mais il la trompe avec sa cousine. Il s’en veut, d’autant plus qu’Izumi perd toute sa joie de vivre et sombre dans la dépression. Il se marie, il aime sa femme, il aime ses deux filles, il a un travail qu’il apprécie. Il a tout pour être heureux. Mais un jour, il rencontre shimamoto-san dans la rue, la suit jusqu’à ce que quelqu’un l’interpelle et le menace.
Quelque temps plus tard, shimamoto-san entre dans un de ses bars (il tenait deux bars où jouaient des jazzmen). Il renoue leurs conversations comme 23 ans auparavant. Il est à nouveau amoureux. Ils vont au concert ensemble. Un concert magnifique. Cependant, j’avais beau fermer les yeux et essayer de me concentrer, je ne parvenais pas à m’immerger dans ce monde musical. Un fin rideau se dressait entre de concert et moi. Un rideau si fin qu’on ne pouvait même pas être sûr qu’il existe vraiment. Pourquoi ? Parce qu’il manque le cr, crr, crr provenant d’une rayure du disque qu’ils écoutaient quand ils avaient douze ans.
Shimamoto-san disparaît à nouveau. Il ne sait pourquoi. Sa vie devient un cauchemar : Pourtant, depuis que Shimamoto avait disparu, j’avais l’impression de vivre sur la lune, privé d’oxygène. Sans Shimamoto-san, je n’avais plus un seul lieu au monde où ouvrir mon cœur. Pendant mes nuits d’insomnie, allongé& sur mon lit, immobile, je pensais encore et encore à l’aéroport de Komatsu sous la neige. Ce serait bien si les souvenirs finissaient par s’user à force de les voir et de les revoir, me disais-je. Mais celui-là ne s’effaçait pas, loin de là.
Enfin, Hajime la voit apparaître dans un de ses bars. Elle est revenue. Il va alors connaître une nuit d’amour, une seule, merveilleuse et unique. Le lendemain matin, elle n’est plus là. Elle est repartie, il ne sait où, pour mourir, pour fuir, pour revenir en notre monde ? Et pendant longtemps il va conserver ce souvenir en lui comme une plaie atroce et bienfaisante. Mais la vie repart, avec Yukiko et les enfants : je devais aller dans leur chambre, soulever leurs couettes, poser la main sur leurs corps tièdes et ensommeillés. Il fallait que je leur dise qu’un jour nouveau avait commencé. C'était cela que je devais faire maintenant. Pourtant je n’arrivais pas à quitter cette table. Toutes mes forces s’étaient écoulées hors de moi, comme si quelqu’un était passé derrière mon dos sans que je le vois et avait enlevé un bouchon quelque part en moi, tout doucement. Les deux coudes sur la table, j’enfouis mon visage dans mes paumes.
Un magnifique roman, un Murakami plus vrai que nature, une merveilleuse histoire d’amour. Ils sont peu nombreux ces romanciers qui savent nous faire rêver par la seule magie de leur verbe.
07:12 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, livre, littérature, amour, vie, mort | Imprimer
22/06/2014
L’amour dure trois ans, de Frédéric Beigbeder (Gallimard, 1997)
Le premier chapitre résume tout le livre. Au début tout est beau, même vous. Le bonheur existe, et il est simple : c’est un visage. Vous vous mariez le plus vite possible. Pourquoi réfléchir quand on est heureux ? Penser rend triste ; c’est la vie qui doit l’emporter. La deuxième année, vous comprenez votre femme à demi-mot ; quelle joie de ne faire qu’un. La troisième année, vous ne parlez plus à votre femme. Vous êtes tombé amoureux d’une autre. Il n’y a qu’un seul point sur lequel vous ne vous étiez pas trompé ; effectivement, c’est la vie qui a le dernier mot.
Parler du mariage et de sa fin pendant deux cent pages est en soi une performance. Peut-être se lasse-t-on à la moitié du livre, mais il y a toujours de bons mots, quelques phrases assassines, alors on continue quitte à sauter quelques longueurs. C’est vrai, l’auteur écrit bien et nous fait partager son désarroi. Il a de la verve et cela lui sert pour ses conquêtes, mais la vie passe et qu’en reste-t-il ? Sa thèse : Personne ne vous prévient que l’amour dure trois ans. Le complot amoureux repose sur un secret bien gardé. On vous fait croire que c’est pour la vie alors que, chimiquement, l’amour disparait au bout de trois années. Je l’ai lu dans un magazine féminin… Le coup de foudre, ce sont les neurones du système limbique qui sont saturés en PEA. La tendresse, ce sont les endorphines (l’opium du couple).
Quelques bons mots : La case départ promet tellement. C’est comme si on s’était jusque-là retenu de respirer sous l’eau, en apnée juvénile. L’avenir est l’épaule nue d’une inconnue. La vie vous donne une seconde chance ; l’Histoire repasse les plats.
Ce qu’il y a de beau chez une femme, c’est qu’elle soit saine… Des dents aussi blanches que le blanc des yeux, une bouche fraîche comme un grand lit, des lèvres cerise dont chaque baiser est un bijou, une peau tendue comme un tam-tam, des clavicules fines comme des ailes de poulet, des jambes dorées comme le ciel de Toscane, un cul rebondi comme une joue de bébé et surtout, surtout PAS DE MAQUILLAGE.
Mais aussi de nombreuses inélégances pour faire moderne : Alors il s’est passé une chose terrible : j’ai commencé à garder mes chaussettes pour dormir. Il fallait réagir, sans quoi bientôt je me mettrais à boire ma propre urine. Est-ce utile ?
Bref, un livre, même un roman, mais malgré ses bons mots, qui ne casse trois pattes à un canard ! Un roman de plage ? Non, sans doute un peu mieux.
07:49 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, amour, femme, société | Imprimer
06/06/2014
Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, film de Felix Herngren
Allan Karlson a aujourd’hui cent ans. Tout est prêt pour fêter cet heureux événement. Mais il passe par la fenêtre et s’enfuit, les charentaises aux pieds. Il ne sait où aller, échoue à la gare routière et prend un billet pour une toute petite ville. Alors commence les aventures du vieux, insolites : des situations rocambolesques, des personnages truculents, des souvenirs impossibles dans le XXème siècle, jusqu’au jour de l’entrée dans la maison de retraite.
Allan avait un métier : artificier ou plutôt dynamiteur. Il fit ses premiers essais tout jeune. Après un certain nombre de péripéties, il en vint à conseiller Robert Oppenheimer sur la manière de provoquer l’explosion de l’uranium. Promu savant atomique, il conseille les grands de ce monde : Truman, Franco, Staline et d’autres. Ses aventures sont alors sans fin.
Mais est-ce un film si drôle que cela ? Aucun comique chez les personnages. Ils sont normaux, anormalement normaux dans leur genre, et pas désopilants. Chacun poursuit son idée sans en démordre. Seules les situations sont drôles. On rit bien sûr lors des accidents de voitures, des déconvenues du gang, des oublis du vieux. Mais au final tout ceci est trop déjanté pour constituer une véritable histoire qui tient la route. Ce sont des explosions de situations qui n’ont pas de suite dans les idées et instaurent des destructions successives du récit sans réelle connivence avec le spectateur.
07:36 Publié dans 13. Cinéma et théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, roman, comique, suède | Imprimer
14/05/2014
Certaines n’avaient jamais vu la mer, roman de Julie Otsuka
L’immigration des Japonais aux États-Unis commence à Hawaï en 1884 puis s’étend à la Californie. Cette population, essentiellement masculine, constitue la main-d’œuvre des domaines agricoles de la côte Ouest. Par leur travail et leur organisation communautaire, les nouveaux immigrés acquièrent des terres4 et parviennent à une certaine prospérité qui ne tarde pas à inquiéter les fermiers blancs. Des ligues anti-japonaises se constituent rapidement pour s’opposer au « vol » des meilleures terres, à la « peaceful penetration in continental United States » pour le compte de l’empire japonais. Ainsi, le débarquement des « picture brides », de 1910 à 1921, femmes japonaises qui ne connaissent de leur futur mari que la photographie, est perçu par ces ligues comme une tactique de colonisation. L’immigrant apparaît comme un envahisseur dont le but est de faire main basse sur les possessions des Blancs. (Élise Prébin, « Mémoire des camps américains. L’exemple japonais », Ateliers [En ligne], 30 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2007, consulté le 08 mai 2014. URL : http://ateliers.revues.org/91 ; DOI : 10.4000/ateliers.91)
Julie Otsuka nous raconte l’aventure de ces jeunes femmes japonaises envoyées aux Etats-Unis pour se marier à un inconnu : Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. (…) Sur le bateau, nous nous interrogions souvent : nous plairaient-ils ? Les aimerions-nous ? Les reconnaîtrions-nous d’après leur portrait quand nous les verrions sur le quai ? (…) Sur le bateau chaque nuit nous nous pressions dans le lit les unes des autres et passions des heures à discuter du continent inconnu où nous nous rendions ? Les gens là-bas, disait-on, ne se nourrissaient que de viande et leur corps était couvert de poils. (…) Sur le bateau nous ne pouvions imaginer qu’en entendant l’appel de nos noms, depuis le quai, l’une d’entre nous se couvrirait les yeux en se détournant – je veux rentrer chez moi – mais que les autres baisseraient la tête, lisseraient leur kimono et franchiraient la passerelle pour débarquer dans le jour encore tiède. Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n’y a pas à s’inquiéter. Et nous aurions tort.
Le livre décrit certains moments de leur vie : la première nuit (Cette nuit-là, nos nouveaux maris nous ont prises à la hâte. Avec douceur et fermeté, sans dire un mot.), les blancs (Ne t’approche pas d’eux, nous a-t-on mises en garde. Et si tu y es obligée, sois prudente.), les naissances (Nous avons accouché sous un chêne, l’été, par quarante-cinq degrés. Nous avons accouché près d’un poêle à bois, dans la pièce unique de notre cabane par la plus froide nuit de l’année.), les enfants (Nous les déposions doucement dans les fossés, des sillons, dans des paniers d’osier sous les arbres.), les traitres (On parlait d’une liste. De gens enlevés au milieu de la nuit. Mais tout cela se passait ailleurs.), le dernier jour (Certains des nôtres sont partis en pleurant. Et certains en chantant. L’une avait la main plaquée sur la bouche parce qu’elle avait le fou rire. Certaines étaient ivres.) , les disparitions (Les japonais ont disparu de notre ville).
Chacune de ces situations étaient différentes selon le mari, la région, la fortune de chacune. Elles se tiennent les coudes, mais chacune fonde sa famille, jusqu’au jour où elles doivent partir. La guerre est là, contre le Japon. Tout est dit doucement, avec chasteté, sans arrière-pensée, comme détaché de la réalité qui n’est pas la hauteur de leur espérance.
Un beau livre de par son style d’écriture incantatoire et poétique. Un livre dont il ne faut pas attendre une histoire, mais des prises de vue tantôt sordides, tantôt drôles, tantôt heureuses. Il ne s’y passe rien, mais ce sont toutes les vies de japonaises qui passent devant nos yeux et partent, oubliées. Julie Osaka raconte à sa manière cet épisode qui n’est pas à la gloire des Américains.
07:33 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, prix femina | Imprimer
10/05/2014
Le mal noir, roman de Nina Berberova (Actes Sud, 1989)
Alia est jeune. Elle s'est installée pendant plus d’un mois dans la chambre d’Evguéni qui ne désirait qu’une chose, se rendre aux Etats-Unis. Si quelqu’un habite pendant un mois au moins avec quelqu’un d’autre, il peut poursuivre la location sans nouveau bail et sans augmentation de loyer. Alors elle n’hésite pas et s’installe chez Evguéni. Ils s’observent : Elle fumait pensive et silencieuse. Je la regardais. Tout son corps semblait allongé, comme si on l'avait tiré vers le haut. Elle avait des cheveux lisses et courts, des oreilles étroites, un visage ovale, un cou légèrement trop long. Son teint, blanc ou plutôt pâle, était d’une pureté, d’une netteté particulières, et tout entière elle paraissait limpide : ni ses yeux ni son sourire ne laissaient place à l’ambiguïté ni à l’énigme. Sans doute, cela venait de ses yeux noirs, de ce regard clair qu’elle posait sur les choses et, par moment, sur moi.
Et il part pour l’Amérique, sans un regard en arrière. Oui, il regrette Alia, mais rien ne le ferait rester.
Aux Etats-Unis, il trouve un emploi de secrétaire : Votre travail (…) consistera à taper à la machine ma correspondance, en deux langues, et à vous occuper de mes affaires. J’ai deux procès, l’un ici, l’autre en Europe. Ma femme vit en Suisse, je paie toutes mes notes. J’écris mes mémoires. Il faut trier mes archives, classer, ranger dans des dossiers… Ma fille qui vit avec moi refuse de m’aider.
Il fait connaissance avec Ludmila. Elle se livre peu à peu. Elle l’invite à monter chez elle. Ils parlent. Ils se revoient. Je pensai à elle, à cette féminité qu’elle n’avait jamais dévoilée, enfouie au plus profond de son âme, et qu’elle me montrait à présent. A quoi bon ? Qu’allais-je en faire ? Ils se voient chaque jour. Elle se transforme, s’épanouit : Vous savez, Evguéni Petrovitch, avec vous je ne suis plus la même. Personne ne me reconnaîtrait à présent. C’est parce que vous n’avez pas du tout peur de moi. Vous n’imaginez pas le bonheur que c'est de ne pas faire peur.
Et pourtant, elle aussi, il va la laisser partir. Elle lui demande de l’épouser : Epousez-moi, épousez-moi pour toujours. Ne voyez-vous pas que je suis bien avec vous ? Et vous savez pourquoi ? Parce que je change, je deviens authentique comme jamais je le fus, et drôle, surtout maintenant, en cet instant. Ne dites pas non. (…) Vous n’avez peur de personne, pas même de moi. Et vous êtes très heureux.
Une histoire banale, terriblement banale. Un homme qui ne sait pas ce qu’il veut. Deux femmes qui apprécient sa présence. Et pourtant, il part sans regret. Il part trouver la vraie vie. Il pense ne pas la vivre. Je vais vivre pour voir ce que ça donne. Puisque même les morts ressuscitent parfois, alors pourquoi pas moi, qui suis vivant ?
Ce petit livre d’une centaine de pages a un parfum subtil d’innocence, de bonheur caché, de rencontres malicieuses. Le parfum d’une vie banale, d’une vie dont le charme se résume à l’écoulement du temps. C'est vrai, Nina Berberova, pourtant née en 1901 à Saint Petersburg, est très actuelle dans sa manière d'écrire.
07:27 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, livre, roman, départ, vie, société | Imprimer
23/03/2014
Le Mystère par excellence, d’Amélie Nothomb
Manuel est mon meilleur ami. C’est le meilleur des meilleurs amis. Nous nous sommes connus il y a dix ans, à la Faculté : nous avions dix-huit ans et nous avons vécu ce qu’il faut bien appeler le coup de foudre de l’amitié. Aussi, quand il m’annonça, il y a deux mois, qu’il venait d’éprouver son premier coup de foudre amoureux, cela me fit un choc.
– Elle s’appelle Hélène. Je l’aime, me dit-il avec ferveur.
Ainsi commence ce court récit, concentré de dialogues et de réparties à la manière, inimitable, d’Amélie Nothomb. Quel est ce mystère ? Celui de l’amour d’un homme envers une femme ? Quelle banalité. Tellement banal que la nouvelle s’enlise. On sait ce qui va se passer, on le devine et cela arrive, jusqu’à la fin : ils s’aiment et vivent heureux, envers et contre tout et surtout à la stupéfaction du narrateur. Ainsi finit cette très courte nouvelle : Manuel est toujours mon meilleur ami ; le meilleur des meilleurs amis. Et il a épousé Hélène. Il respire le bonheur. C’est à rien y comprendre, mais c’est comme ça. La seule chose que j’ai comprise dans cette étrange et banale histoire, c’est la phrase de Chardonne : « Le bonheur des autres fait pitié. »
Entre les deux, des échanges mi-figue, mi-raisin entre la belle (tout à fait ordinaire) et l’ami de l’amoureux, ce narrateur éberlué qui n’arrive pas à comprendre. Il va même jusqu’à tromper son ami pour voir jusqu’où elle ira. Et c’est d’une platitude !
Alors de quel mystère parle-t-on ? Certes le mystère de l’amour. Mais, au-delà, le mystère par excellence de l’engouement pour un auteur, quel qu’il soit. Cette nouvelle, en dehors du fait qu’elle a été écrite par Amélie Nothomb, est faite de clichés, de scènes sans rebondissement, de dialogues pauvres entre personnages sans consistance. Et cela fait un livre, petit certes en épaisseur, mais d’une triste qualité, à l’image de la secrétaire de direction dont il est question. Une seule phrase résume le livre : « Le bonheur des autres fait pitié. »
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03/03/2014
Je te reparlerai d’amour, roman de Pascal Jardin (Julliard, 1975)
Un livre sans commencement ni fin. Des pages magnifiques et d’autres sans intérêt. On glisse dessus comme dans un rêve, laissant de côté certains passages, relisant trois fois d’autres.
Pascal Jardin est le père d’Alexandre Jardin, un auteur dont plusieurs livres sont de petites merveilles : voir Le petit sauvage (voir le 7 janvier 2013) ; Fanfan, le 29 juin 2012 ; Bille en tête, le 22 février 2013 ; Les coloriés, le 6 janvier 2014 ; Chaque femme est un roman, le 1er mai 2013 ; Le Zubial, le 3 mai 2012. Il est le fils de Jean Jardin, personnage truculent qui lui inspira La guerre à neuf ans et Le nain jaune. Il fut scénariste, dialoguiste et écrivain. Il fut aussi le héros de nombreuses pages des livres de son fils, dont Le Zubial.
Le livre commence dans un bistrot, avec le souvenir de Clara, il finit un matin de juillet lors d’un retour de Clara. Les mêmes phrases : Faut-il donc être fou pour avoir tout misé sur une simple femme, une bête qui mord autant qu’elle caresse, avec une petite tête dure comme le fer où les idées des hommes n’entreront jamais, une bête, belle comme un dieu païen, et si vulnérable avec son ventre qui saigne toujours une fois par mois.
C’est un livre circulaire, avec des dérivations, des impasses et de longs cheminements comme ces descriptions splendides de personnages extraordinaires. Ainsi Clara, nue, et Julien le mari de Clara : Ils étaient des animaux. Il n’avait plus que des corps. Encastrés l’un dans l’autre, ils fonctionnaient avec la joie dite de la première fois, et qui, tout bien pesé, ne vient qu’après longtemps, quand on a tout exploré de l’autre, qu’on est rodé, usé, poli, frotté à l’autre. L’amour fort, le contraire des premiers bafouillages, l’anti-puberté, la femme avec des hanches, la femme qui sent la femme et l’homme comme un chien. Sur elle le poids de lui, le poids de sa vie. Ils se connaissaient, ils se reconnaissaient.
Mais tout ne tourne pas autour de Clara. D’autres femmes sont le prétexte de portraits tendres et virulents. Ainsi de Frédérique : Elle avait des cheveux roux et se faisait par coquetterie un regard de myope pour mieux paraître étonnée. Dans le mode le plus fabriqué, le spectacle, elle était restée une paysanne. Les coudes sur la table, elle tartinait son pain avec des gestes bibliques. Elle ne prenait sa douche qu’en mettant de l’eau partout. Toujours elle s’habillait trop vite, et sortait dans la rue à demi boutonnée. « Il faut que j’aille », disait-elle, désireuse et pressée de courir le monde. (…) Elle avait vingt-cinq ans. Les hommes lui courraient beaucoup après. Elle courrait assez peu. C’était un petit prince. Une enfance difficile lui avait appris à survivre. Jamais elle ne se plaignait, ni du temps, ni des dents, ni de rien.
Ou encore l’Oiseau : Le nez était fin et petit, et les narines ouvertes laissaient voir en leur base une veine minuscule dont le rouge foncé tranchait avec la peau blanche de noctambule. Les yeux étaient importants, fendus en amande, très mobiles, le front bombé et haut était particulièrement masqué par une coiffure bouclée. La bouche sensuelle, aux lèvres fortes, contenait un sourire sans cesse retenu sur des dents de loup assez peu régulières, mais fort enviables. Les pommettes hautes, le cou long et les épaules carrées évoquaient les Olympiades ou quelque dieu du stade. Les mains potelées, comme chez les enfants, s’ornaient sur les ongles d’un rouge très foncé et récemment posé. Les seins accrochés haut sur le buste possédaient des points admirablement dressées. La taille d’une minceur évidente était le contrepoint à des hanches superbes, un beau passage pour une naissance. Les cuisses étaient musclées, les jambes fines et longues s’appuyaient sur des pieds un peu grands pour l’ensemble. Ils avaient cependant un attrait profond. Cambrés, ils donnaient leur assise au personnage…
A la fin du livre, la phrase du début qui se poursuit ensuite : ... Et pourtant, ceux qui voient le soleil dans les yeux d’une maîtresse, et lisent leurs blessures sur les lèvres peintes en rouge, et la houle du large dans les hanches d’une femme, ceux-là voient bien plus loin que la plupart des autres.
Alors laissez vous tenter. Vous y trouverez des pages charmantes et vous sauterez celles qui vous ennuient.
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26/02/2014
Sauf les fleurs, de Nicolas Clément (Buchet-Chastel, Paris, 2013)
Dans nos besaces, il y a avait toujours une tartine en plus. (…) Nous ouvrions nos besaces, les chevaux se régalaient dans nos mains gantées de souffles chauds. Aujourd’hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J’écris notre histoire pour oublier que nous n’existons plus.
Ainsi commence le récit de Marthe, une petite fille, puis jeune fille, étonnante d’innocence et de maturité. Elle raconte le calvaire de sa famille : un père qui boit et qui bat sa femme et ses enfants. Une mère qui supporte tout pour les protéger, des enfants conscients, mais qui restent des enfants.
Le récit est frais, anodin, empli du présent plein de terreur et d’un avenir imaginaire et consolateur : Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens. Chaque chapitre égraine les ans. Ils se terminent par J’ai douze ans. J’ai seize ans… Elle découvre l’amour : Dans la chambre apprivoisée, ses mains me trouvent après m’avoir cherché caresses. J’oublie le filet percé qui me juge. Des paroles me poussent dans la bouche, que ne trompe plus mon vœu de silence. La douceur de ses hanches me suspend à la barre de ses yeux, puis je retombe ses jambes plus légères que le vide. A l’odeur de ses mots fous dans mes cheveux, je sais que Florent a souci du puzzle que je suis, tandis que s’estompe l’image clouée à l’envers de ma boite. Né d’un fil entre deux paysages, nous vivons d’une bouchée d’équilibre, notre envol, notre saut rattaché.
J’ai dix-huit ans… Le grec ancien lui tient lieu de refuge comme l’amour de Florent. J’ai hâte de ses yeux, je l’écoute respirer. Avant d’aller jouer, Florent m’appelle, nous nous fouillons, j’ai juste assez de place pour jouir. Sur le piano, il y a "Les plus belles chansons du temps passé", ouvert à la page huit. Il joue ma partition toute blanche et n’est lui chaque fois que j’écris, trois soupirs par seconde.
J’ai dix-neuf ans… L’année terrible où elle tue son père qui a tué sa mère. Tout ceci est conté d’une voix tranquille, comme détachée des évènements. Elle flotte dans un monde où rien ne marche et ne semble pas troublée. Papa visse le journal dans la bouche du mannequin. Le juge ordonne "Recommencez, plus lentement". Je recule. Je les vois attroupés, affairés à comprendre. Je m’approche du buffet. J’arme et je tire. Papa s’écroule. J’essuie mes jambes plaquées au sol. Un gendarme me ceinture. Nous n’avons plus rien à craindre. Je suis étrangement calme.
Une histoire terrible, contée du bout des lèvres par un mélange de franchise et de naïveté : Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m’interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j’étais. Je voulais un professeur pour me surprendre…. Je n’ai pas eu tout ce que je voulais, mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d’avant. Je tombe rond ; mon compte est bon.
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19/02/2014
Ce qu’il advint du sauvage blanc, roman de François Garde
« Au milieu du XIXème siècle, Narcisse Pelletier, un jeune matelot français, est abandonné sur une plage d’Australie. Dix-sept ans plus tard, un navire anglais le retrouve par hasard : il vit nu, tatoué, sait chasser et pêcher à la manière de la tribu qui l’a recueilli. Il a perdu l’usage de la langue française et oublié son nom. Que s’est-il passé pendant ces dix-sept années ? C’est l’énigme à laquelle se heurte Octave de Vallombrun, l’homme providentiel qui recueille à Sydney celui qu’on surnomme désormais le sauvage blanc. » (Résumé 4ème de couverture)
On ne le saura pas, malgré les efforts d’Octave. Narcisse disparaîtra sans qu’il ait dévoilé ce qu’il fit pendant ce séjour imposé en Australie. On le devine cependant, car un chapitre sur deux est consacré à ses premières impressions : solitude, désespoir, incompréhension. Un martien parachuté dans le monde des hommes qui souffre de la soif, de la faim et de l’indifférence des sauvages.
L’autre moitié du livre est consacrée au récit d’Octave, homme raffiné, très à cheval sur les convenances, mais modeste et dérouté par le silence de Narcisse. Il écrit à son protecteur, le président de la Société de Géographie, et lui conte ses difficultés. Il sera l’objet de la risée lorsqu’il présentera son sauvage à la société : moquerie, incrédulité, voyeurisme. Narcisse est invité à se présenter à l’impératrice. Il parle pour la première et dernière fois ; il chante même, une mélopée imprévisible faite de miaulements, répétitions saccadées de syllabes, claquement de langue, grognements syncopés, sifflements. Quelque chose de la rudesse de l’Australie, de la solitude de ses déserts, de l’ardeur du soleil sur une terre craquelée… L’impératrice lui donne une bague et lui accorde un emploi dans l’administration. Ne sachant où le mettre, on finit par l’envoyer à l’île de Ré : garde magasin au phare des Baleines.
Un jour Narcisse disparaît et personne ne le retrouve. Evaporé, il devient une légende. Octave meurt. Plus personne ne se souvient de ces deux personnages haut en couleur qui marquèrent l’opinion de façon contrastée : drame véridique ou récit de faussaire ?
L’écriture est bien celle de la bonne société du XIXème siècle, compassée, emplie de références à la vision sociale d’alors. Le récit en devient long. Il tarde à dire les choses. On s’ennuie parfois sur ces précautions oratoires qui enrobent le déroulement des faits. Le récit lui-même s’embrouille à la fin. Pourquoi cette disparition, qu’advient-il réellement de Narcisse ? On ne le saura pas et l’on reste sur sa faim qui commençait à s’atténuer en raison de la monotonie du récit.
07:09 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, aventure, géographie, société | Imprimer
03/02/2014
Un barrage contre le Pacifique, roman de Marguerite Duras
Il m’a fallu attendre la page 115 pour que s’éveille en moi un intérêt pour ce roman. Auparavant, je me demandais ce que chaque personnage faisait de sa vie et en quoi ce livre dépeignait une vision particulière du monde qui valait la peine d’être contée. Et tout à coup, les enfants : Il y avait beaucoup d’enfants dans la plaine. C’était une sorte de calamité. Il y en avait partout, perchés sur les arbres, sur les barrières, sur les buffles, qui rêvaient, ou accroupis au bord des marigots, qui pêchaient, ou vautrés dans la vase à la recherche des crabes nains des rizières. Dans la rivière aussi on en trouvait qui pataugeaient, jouaient ou nageaient. Et à la pointe des jonques qui descendaient vers la grande mer, vers les îles vertes du Pacifique, il y en avait aussi qui souriaient, ravis, enfermés jusqu’au cou dans de grands paniers d’osier, qui souriaient mieux que personne n’a jamais souri au monde. (…)
Dès le coucher du soleil les enfants disparaissaient à l’intérieur des paillotes où ils s’endormaient sur les planchers de lattes de bambous, après avoir mangé leur bol de riz. Et dès le jour ils envahissaient de nouveau la plaine, toujours suivis par les chiens errants qui les attendaient toute la nuit, blottis entre les pilotis des cases, dans la boue chaude et pestilentielle de la plaine. Il en était de ces enfants comme des pluies des fruits, des inondations. Ils arrivaient chaque année, par marée régulière, ou si l’on veut, par récolte ou par floraison. Chaque femme de la plaine, tant qu’elle était assez jeune pour être désirée par son mari, avait son enfant chaque année. A la saison sèche, lorsque les travaux des rizières se relâchaient, les hommes pensaient davantage à l’amour et les femmes étaient prises naturellement à cette saison-là. Et dans les mois suivants les ventres grossissaient. Cela continuait régulièrement, à un rythme végétal, comme si d’une longue et profonde respiration, chaque année, le ventre de chaque femme se gonflait d’un enfant, le rejetait, pour ensuite reprendre souffle d’un autre.
Et ce fut l’illumination. La magie de l’écriture pour l’écriture. L’histoire est simple, si simple qu’elle n’a que peu d’intérêt. Une vieille femme, deux enfants déjà grands, dans une concession qu’elle a achetée à des fonctionnaires véreux. Elle s’épuise à construire un barrage contre le Pacifique et contre la société qui la rejette parce que trop pauvre. Seules comptent les descriptions merveilleuses de ce monde absurde et les personnages plus ou moins atypiques qui côtoient de près ou de loin la famille. Ainsi les jambes de Carmen : Ce qui faisait que Carmen était Carmen, ce qui faisait sa personne irremplaçable c’était ses jambes. Carmen avait en effet des jambes d’une extraordinaire beauté. (…) Carme, passait le plus clair de ses journées à se déplacer dans le très long couloir de l’hôtel qui donnait à une extrémité sur la salle à manger, à l’autre sur une terrasse ouverte, et de chaque côté duquel s’alignait les chambres. Ce couloir, ce long tuyau nu éclairé seulement à ses extrémités, était naturellement destiné aux jambes nues de Carmen et ces jambes y profilaient toute la journée durant leur galbe magnifique. (…) On pouvait coucher avec Carmen rien que pour ce jambes-là, pour leur beauté, leur intelligente manière de s’articuler, de se plier, de se déplier, de se poser, de fonctionner. D’ailleurs on le faisait…
Le récit s’émaille de ces descriptions merveilleuses qui laissent un arrière-goût de perfection dans la mémoire du lecteur. L’histoire continue, mais peu importe, seules comptent ces illuminations dans lesquelles nous plonge Marguerite Duras, l’ensorceleuse. Allez ! Encore une description avant de vous laisser : La première fois que Suzanne se promena dans le haut quartier, ce fut donc un peu sur le conseil de Carmen. Elle n’avait pas imaginé que ce devait être un jour qui compterait dans sa vie que celui où, pour la première fois, seule à dix-sept ans, elle irait à la découverte d’une grande ville coloniale. (…) Suzanne s’appliquait à marcher avec naturel. Il était cinq heures. Il faisait encore chaud mais déjà la torpeur de l’après-midi était passée. Les rues, peu à peu, s’emplissaient de blancs reposés par la sieste et rafraîchis par la douche du soir. On la regardait. On se retournait, on souriait. Aucune jeune fille blanche de son âge ne marchait seule dans les rues du haut quartier. Celles qu’on rencontrait passaient en bande, en robe de sport. Certaines, une raquette de tennis sous le bras. Elles se retournaient. On se retournait. En se retournant on souriait. « D’où sort-elle cette malheureuse égarée sur nos trottoirs. » Même les femmes étaient rarement seules. Suzanne les croisaient. Les groupes étaient tous environnés du parfum des cigarettes américaines, des odeurs fraiches de l’argent…
Le livre se lit comme un rêve ou se parcourt comme une marche dans la brume d’un pays lointain si différent de ceux que l’on connaît. Les deux adolescents découvrent la vie, l’amour ; la mère se tasse dans son lit, pleure devant sa concession inutile et finit par mourir, harassée. Alors ils partent. La nuit était tout à fait venue. Les paysans étaient toujours là, attendant qu’ils s’en aillent pour s’en aller à leur tour. Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases.
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21/01/2014
L’amant de la Chine du Nord, de Marguerite Duras
Est-ce un roman, un récit, un film, un scénario ? On ne sait trop, tout au moins au début du livre. Mais la forme importe peu. Ce qui compte c’est l’ambiance créée par la forme. Ajoutons-y le style. Un style descriptif, neutre apparemment, qui permet de poser le décor :
C’est un livre.
C’est un film.
C’est la nuit.
(…)
La voix qui parle ici est celle, écrite, du livre.
Voix aveugle. Sans visage.
Très jeune.
Silencieuse.
Les personnages principaux n’ont pas de nom, ou presque. Ils sont désignés par il ou elle ou encore, pour cette dernière, l’enfant.
Devant nous quelqu’un marche. Ce n’est pas celle qui parle.
C’est une très jeune fille, ou une enfant peut-être. Ca a l’air de ça. Sa démarche est souple. Elle est pieds nus. Mince. Peut-être maigre. Les jambes… Oui… C’est ça… Une enfant. Déjà grande.
La jeune fille s’arrête. Elle écoute. On la voit qui écoute. (…) La jeune fille dans le film dans ce livre ici, on l’appellera l’enfant.
Puis, la rencontre. Un chinois, jeune, imposant, riche, mais simple et humain en même temps. Ils lient conversation. Il s’interroge, elle est si jeune. Elle monte dans son auto, une Léon Bollée :
Elle a envie de l’embrasser. Il le voit. Il lui sourit. Elle prend sa main, embrasse sa main.
(…) Le chinois ne pose pas la question, il dit : « l’amour, tu n’as jamais fait ». L’enfant ne répond pas. Elle cherche à répondre. Elle ne sait pas répondre à ça. Il a un mouvement cers elle. A son silence il voit qu’elle aurait quelque chose à dire. Quelque chose qu’elle ne saurait pas encore dire et elle ne connaît sans doute que l’interdit. Il dit : « Je te demande pardon ».
Elle arrive à sa pension. Le chauffeur sort sa valise et elle part sans se retourner. Quelques jours plus tard, sur le chemin de son lycée, elle retrouve l’auto du bac, très longue, très noire, tellement belle, tellement et chère aussi, tellement grande. (…) Il est là. (…) Elle pose sa main sur la vitre. Puis elle écarte sa main et elle pose sa bouche sur la vitre, embrasse là, laisse sa bouche rester là. Ses yeux sont fermés comme dans les films. C’est comme si l’amour avait été fait dans la rue, elle avait dit. Aussi fort. Le Chinois avait regardé. A son tour, il avait baissé les yeux. Mort du désir d’une enfant. Martyre.
L’enfant avait retraversé la rue. Sans se retourner, elle était repartie vers le lycée.
Et très vite elle devient sa maîtresse. Une maîtresse jeune, pleine d’inexpérience, ingénue, mais qui sait ce qu’elle veut et qui l’obtient. Le livre raconte cette passion jusqu’au départ de l’enfant pour la France. Une passion partagée, qui devient peu à peu torturée. Qui passe du rire aux larmes, mais toujours dans une dignité réelle, comme des personnages qui jouent leur rôle de loin, sans entrer complètement dedans.
Un livre à la Duras, merveilleux de sensibilité et de froideur conjuguées, une sorte de rêve éveillée, des voix off, des images, des sons, de la musique, bref un film écrit, qu’on ne peut voir que dans sa tête, mais avec vérité et intimité.
Oui, c’est un livre remarquable tant par la forme et le style que par le récit lui-même.
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16/01/2014
Quand reviennent les âmes errantes, drame de François Cheng
L'épopée se passe en Chine, au temps des royaumes combattants, dans la seconde moitié du troisième siècle avant notre ère. Trois personnages, une femme, Chun-niang, et deux hommes, Gao Jian-li, le joueur de zhou, et Jing Ko, le belliqueux, se rencontrent dans une auberge. Elle, une beauté discrète, secrète, touchant pour ainsi dire à l’essence, d’une telle simplicité que devant elle tombent tous les qualificatifs. (…) Pureté des lignes, noblesse du port, harmonie innée du mouvement et des gestes ? Foncièrement innocente, elle ne fait pas usage de ses atouts : son regard teinté de mélancolie trahit au contraire quelque expérience douloureuse. Tout son être invite l’homme à abandonner ses mesquins calculs, ses pénibles artifices. Quiconque prétend l’aimer ne saurait me faire qu’humblement et totalement.
Ils se lient d’amitié et d’amour chaste : Amitié vivifiante, comme entre plante et pluie. Singulier trio que nous formons, singulier, mais évident, mais inébranlable ! En son sein, amitié affichée et amour inavoué crée un équilibre lumineux, exaltant, que personne ne souhaite rompre.
Cette amitié insolite dure jusqu’au jour où elle doit partir pour la cour, sa beauté ayant été reconnue. Peu de temps après, Jing Ko est chargé par son souverain de mettre à mort le roi ennemi qui menace le royaume. Aussi le roi lui accorde pleinement l'autorisation de vivre à la cour avant son sacrifice. Il retrouve Chun-niang, l’aime d’amour jusqu’au moment où il doit partir dans le royaume ennemi. Il mourra. Chun-niang reporte son amour sur Gao Jian-li qui lui aussi mourra d’avoir cherché à tuer le roi ennemi. Chun-niang devient une vieille femme, mais elle conserve un cœur pur et échange avec les âmes de ses bienaimés : L’indicible, dont la part de mystère restera mystère, on ne peut l’approcher, Jian-li nous l’a appris, que par le chant. L’indicible, dans notre cas, c’est donc ce chant ininterrompu à trois voix. Trois voix à la fois distinctes et confondues, trois voix propres à chacun mais toutes trois à l’unisson. Chaque voix raisonne, de toute éternité, en écho aux deux autres. Voix de l’amitié, voix de l’amour, mamelles équilibrantes, nourrissantes, transformantes d’une unique passion. (…) Que s’élève le chant des âmes retrouvées :
Plus rien ne subsiste, à part le désir
Pur désir inaccompli
Mûr désir inassouvi…
Toi et toi, vous deux en un
En un vous deux, toi et toi
En un nous trois !
C’est bien un drame à la manière antique. Il déroute le lecteur occidental d’aujourd’hui. Il sent la poussière des jours passés où la vie était semblable à la mort. Un rien les séparait. Comment comprendre cette indifférence à la mort et cet acharnement à vivre malgré tout. La Chine est le pays du mystère et François Cheng nous en donne une définition vivante à travers ce récit. Au-delà de l’histoire, les âmes se rejoignent et continuent à s’aimer d’amitié et d’amour. C’est la vie qui se poursuit, avant ou après la mort. Peu importe. La pensée et les sentiments sont plus forts que l’existence.
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11/01/2014
La cuisinière d’Himmler, roman de Frantz-Olivier Giesbert
Une cuisinière centenaire nous raconte sa vie. Elle croit à l’amour, au rire à la vengeance. L’histoire la laisse maintenant de côté : Je suis bien contente que l’Histoire soit partie, elle a fait assez de dégâts comme ça. (…) Mons histoire n’est rien, enfin, pas grand-chose : un minuscule clapotis dans l’Histoire, cette fange où nous pataugeons tous et qui nous entraîne vers le fond, d’un siècle à l’autre. Elle décide d’écrire ses mémoires, un livre pour célébrer l’amour et pour prévenir l’humanité des dangers qu’elle court. Pour qu’elle ne revive jamais ce que j’ai vécu.
On lui laisse son récit. Il n’est pas bon de dévoiler ce qui fait le sel d’un livre, ici, les aventures drolatiques d’une femme qui a tout fait et bien aimé, donc ses rapports avec les hommes de sa vie ou non. Ce récit s’étage entre 2012 et les longues années de son existence. Elle raconte celle-ci à sa manière avec des petites phrases truculentes, parfois avec une emphase déclinante, souvent avec justesse et observation. Le jour de ma naissance, les trois personnages qui allaient ravager l’humanité étaient déjà de ce monde : Hitler avait dix-huit ans, Staline vingt-huit et Mao, treize. Elle naît en Arménie, entouré de l’amour de sa mère. Ma grand-mère sentait l’oignon de partout, des pieds, des aisselles ou de la bouche. Même si j’en mange beaucoup moins, c’est d’elle que j’ai hérité cette odeur sucrée qui me suit du matin au soir, jusque sous mes draps ; l’odeur de l’Arménie. Mais la « turquification » met fin à tout cela. Ses parents sont déportés, sa ferme est brûlée, et elle doit partir. Son épopée commence.
L’amour est le fil directeur de la vie de Rose. Elle se présente ainsi : Il y a des jours où j’ai envie d’embrasser n’importe quoi, les plantes comme les meubles, mais je m’en garde bien. Je ne voudrais pas qu’on me prenne pour une vieille folle, un épouvantail à enfants. A près de cent cinq ans, il ne me reste plus qu’un maigre filet de voix, cinq dents valides, une expression de hibou, et je ne sens pas la violette. Pourtant en matière de cuisine, je tiens encore la route : je suis même l’une des reines de Marseille, juste derrière l’autre Rose, une jeunesse de quatre-vingt-huit ans, qui fait des plats siciliens épatants, 25 rue Glandevès, non loin de l’Opéra.
Oui, je le reconnais maintenant, Frantz-Olivier Giesbert est un excellent écrivain. Ce livre est gai, léger, plein de délices, de jeu de mots, de faits picaresques. Sa manière est innocente. Il vous sort une petite phrase de rien, qui renverse les perspectives et remplace la sinistrose du siècle par un grand éclat de rire. Ainsi, violée par un mamelouk, elle constate : Quand je sortis des draps, je découvris qu’ils étaient pleins de sang, mais je savais ce que cela signifiait, ma grand-mère me l’avait expliqué, Fatima aussi, et je ne pus, malgré mon dégoût, réprimer une certaine fierté. Elle philosophe également, à sa manière : Quand on regarde tout le temps la télévision, c’est qu’on va mourir. Je ne sais s’il y a un lien de cause à effet, mais l’expérience m’a appris qu’elle était l’antichambre de la mort. Ou encore : S’ils ne sont pas forcément plus heureux là-haut, les morts sont moins fatigués que les vivants sur la terre. Ils n’ont pas à lutter. Ils ont le temps pour eux.
Et Rose conclut :
La vie s’est comme un livre qu’on aime, un récit, un roman, un ouvrage historique. On s’attache aux personnages, on se laisse porter par les événements. A la fin, qu’on l’écrive ou qu’on le dise, on n’a jamais envie de le terminer. C’est mon cas…
07:24 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, livre | Imprimer
06/01/2014
Les coloriés, roman d’Alexandre Jardin
Une civilisation fondée sur le jeu. Le sérieux est banni, de même que le passé et l’avenir. Le présent seul existe. Quel puissant motif d’intérêt pour l’ethnologue qu’est le conteur du roman, Hippolyte Le Play. Une culture de l’enfance, avec ses règles, ses tabous et ses interdits. Une organisation improvisée, fondée sur le plaisir et l’imagination d’où les adultes sont exclus. « Au départ, il s'est produit un événement fondamental : les garçons se sont battus entre bandes. Les filles ont eu peur et se sont réfugiées dans les arbres. Quand la puberté est arrivée, les garçons sont venus sous les arbres et se sont demandés comment faire descendre les filles des branches ! Tandis que les filles se demandaient comment faire grimper les garçons… C'est cela qui a donné naissance à une culture complète où l'amour est devenu le jeu préféré. »
Une adulenfant qui charme Hippolyte et qui l’entraîne dans une aventure salace, dans un premier temps en plein Paris, puis sur l’île de la Délivrance, celle dont les culottés (les adultes) sont bannis. Dafna découvre le monde des adultes avec une certaine aisance malgré une absence totale d’éducation et de conscience. Hippolyte découvre le monde des coloriés (ils se peignent des vêtements sur la peau) avec difficulté. Il ne peut s’empêcher de revenir à des raisonnements et des sentiments édulcorés d’adulte civilisé malgré toute sa bonne volonté. Inversement, la culture des enfants semble considérer la stabilité des caractères comme une pathologie, une infirmité réservée aux grandes personnes encroutées. Pour eux, vivre c’est changer sans cesse. Moi, je jubilais en secret d’assister à ses écarts qui me dédommageaient d’années trop strictes. Dans les grandes surfaces, dès qu’une musique l’envoutait, Dafna zigzaguait entre les ménagères en improvisant des ballets qui mêlaient claquettes, marelles frénétiques et entrechats. Jouir de bouger lui était nécessaire. Sa licence enfantine et débridée me grisait. Quand tant d’êtres se contentent d’exister, Dafna osait vivre !
Ce livre invite chacun de nous à réveiller sa part la plus authentique, à tourner le dos à cette société « raisonnable » qui aspire en permanence à la « cohérence ». Il nous renvoie à la place que nous laissons à nos désirs.
On s’amuse bien, la fable est comique et conduit à des quiproquos drolatiques. Mais on finit par se lasser de ces « on dirait qu’on serait », « jouer à être invisible » grâce à une couche de peinture blanche, etc. Ce n’est plus une guerre de civilisation, mais un combat contre la bêtise des adultes dans leurs partis pris serrés et celle des coloriés enfoncés dans leur rêverie excédée. Et l’auteur, près de rejoindre les culottés, exécute au dernier moment un plongeon : En prenant plaisir à nager vers la Délivrance, je laissai derrière moi un sillage de couleurs dans les eaux du Pacifique. Ma trace était une palette. L’amour vécu comme une récréation m’attendait. Protégé de l’Occident, j’allais oublier le triste scepticisme, le garrottage des émotions et l’esprit de gravité qui corrompt tout. Vivre ne serait plus l’art de cultiver un héritage, mais l’occasion unique de foncer vers soi, en échappant à la noyade du vieillissement.
(…) Il faisait très beau, un temps à zouaver sur une plage, à ne pas sérieuser avec cette fille inespérée. Après tout, la vie valait d’être vécue si l’on avait la maturité de la colorier. Je recommençais mon enfance, pour toujours.
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16/12/2013
Les Yeux Bleus Cheveux Noirs, de Marguerite Duras
Est-ce un roman ? On ne sait. C’est au moins un livre. Les personnages : un homme, une femme. Ils n’ont pas de nom, pas d’adresse, pas de métier, pas d’état civil, presque pas de personnalité. Ils dorment la plupart du temps. Ou ils parlent de leur sommeil. Cela se passe dans une chambre presque nue : un lit, des draps, des corps… Le rêve se mélange avec la réalité. Y en a-t-il même une ? On ne sait. Si. Ils pleurent. Ils ont cette faculté unique. Ils pleurent, elle… et lui… Et leurs larmes les rapprochent inexorablement, même s’ils se refusent l’un l’autre.
Il a laissé la porte ouverte. Elle dormait, il est part, il a traversé la ville, les plages, le port des yachts du côté des pierres.
Il revient au milieu de la nuit.
Elle est là, contre le mur, dressée, elle est loin de la lumière jaune, habillée pour partir. Elle pleure. Elle ne peut d’arrêter de pleurer. Elle dit : je vous ai cherché dans la ville.
Elle a eu peur. Elle a vu la mort. Elle ne veut plus venir dans la chambre.
Il va près d’elle, il attend. Il la laisse pleurer comme s’il n’était pas la cause des leurs.
Elle dit : Même de ces chagrins-là, de ces amours dont vous dites qu’ils vous tuent, vous ne savez rien. Elle dit : Savoir de vous, c’est ne rien savoir du tout. Même de vous, vous ne savez rien, même pas que vous avez sommeil ou que vous avez froid.
Il dit : C’est vrai, je ne sais rien.
Elle répète : Vous ne savez pas. Savoir comme vous, c’est sortir dans la ville et toujours croire qu’on va revenir. C’est faire des morts et oublier.
Il dit : C’est vrai pour les morts.
Il dit : Maintenant je supporte votre présence dans la chambre même quand vous criez. Ils restent là, à se taire, un long moment tandis que le jour vient, et, avec lui, le froid pénétrant. Ils se recouvrent des draps blancs.
Est-ce un roman érotique ? Non. Quelques phrases par-ci, par-là, pourraient le faire penser. Mais rien en fait ne permet de le dire. C’est le roman d’une quête inatteignable : celle de l’autre moitié de soi-même. Et il s’agit de les réconcilier. Comment ? Sans parole, presque sans geste, sans caresse, par des allées et venues hors de la chambre jusqu’au jour de la rencontre espérée, mais non avouée.
Ils sont deux acteurs d’un théâtre de l’oubli qui obéissent à un metteur en scène qui n’existe pas :
Un soir au bord de la scène, de la rivière, dirait l’acteur, elle dirait : il pourrait se produire comme un changement de l’équipe des acteurs (…)
Eux, ils viendraient jusqu’à elle, jusqu’à son corps couché dans les draps, comme il est maintenant, avec le visage caché sous la soie noire. Et elle, elle l’aurait perdu, elle ne le reconnaîtrait plus dans ces nouveaux acteurs et en serait désespérée. Elle dirait : Vous êtes très près d’une idée générale de l’homme, c’est pourquoi vous êtes inoubliable, c’est pourquoi vous me faites pleurer.
Ils se vouvoient. Ils s’allongent l’un contre l’autre, sans se toucher. Ils se parlent ou se taisaient. Ils sont recouverts du drap ou découverts de leurs rêves.
C’est beau, mais on ne sait pourquoi.
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08/12/2013
Monde sans oiseaux, roman de Karin Serres
« Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’ait, à plat ventre, dans tomber, et leurs cris étaient très variés. (…) On les appelait les oiseaux. Petite, j’ai demandé à ma mère de me raconter, mais elle a changé de sujet. Cette histoire d’oiseaux est-elle vraie ? »
Ainsi commence ce roman. Mais est-ce un roman ? On pense à un conte presque philosophique, à une fable, à un récit fantastique sans qu’il soit récit de science-fiction. Le quotidien banal cache un monde qui n’existe pas en dehors de l’imagination de l’auteur. C’est une sorte de civilisation perdue, pauvre, habitant près d’un lac qui monte parfois jusqu’à contraindre les maisons à se déplacer sur roulettes. Des cochons bleus génétiquement modifiés et fluorescents y nagent et se laissent débiter un jambon qui repoussera. Les cercueils des villageois sont envoyés par le fond et se laissent dévorés grâce aux trous qui y sont pratiqués.
Dans ce monde naît, vit et meurt « petite boite d’os », une jeune fille comme les autres, qui est parfois délaissée par ses parents qui parlent de Dieu en faisant le tour du lac. Son père est le pasteur de la communauté. Mais progressivement son corps change. Des seins lui poussent, des poils également. Elle découvre le sexe comme une fonction normale qui ne change rien à sa destinée. Mais le vieux Joseph qui l’emmenait pêcher dans le lac lui explique que l’amour est autre chose : « Je t’aime Petite Boite d’Os. Plus d’une génération nous sépare mais depuis que je t’ai aperçue, dans l’ombre de l’église, qui me regardait, j’ai compris que j’étais revenu pour toi. Tu m’es destinée, petite. N’ai pas peur, j’attendrai. Je suis à toi. » Elle ne comprend pas : « Pourquoi il ne prend pas, alors, couchée sous lui. S’il m’aime, comme il dit, pourquoi il ne me prend pas ? L’amour c’est dans le sexe que ça se passe, je connais. A l’école, les garçons nous donnaient des bonbons pour qu’on baisse nos culottes. » Un jour, après avoir enfilés une combinaison et fixés une bouteille d’oxygène sur leur dos, ils partent explorer le fond du lac. Au retour : « Soudain, sur la pointe de mes palmes, j’embrasse ses yeux trempés, l’un après l’autre. Je lèche, je bois, je lape ses paupières salées. Il tremble. Ma bouche redescend. Nos langues au goût de vase se cherchent, s’emmêlent. Nos corps de caoutchouc s’étreignent et couinent. On voudrait se frapper tellement ce qui nous prend est fulgurant. » Elle se marie avec Jeff. Elle a une amie qui attend un enfant comme elle. Elle le perd, mais recommence. Elle a un enfant dénommé Knut. Jeff lui donne un cochon Appelé Rosie, il tient sa tête en l’air, pattes avant repliées, et son poil rose phosphorescent se soulève et s’abaisse régulièrement. Contre elle, Knut, collé, sans le même sommeil animal partagé. Knut grandit, il a un accident, il perd ses jambes et finit sa vie comme un animal.
Le cœur de Petite Boite d’Os est pur, exempt d’arrière-pensée. Elle va dans la vie sans trop se poser de questions. « Pour mes quarante-huit ans, Jeff m’offre des palmes translucides avec lesquelles je nage pendant des heures dans le lac, au milieu des bancs de cochons fluorescents, c’est la seule chose qui peut me consoler. Pour mes quarante-neuf ans, un long foulard de soie bleu ciel, si doux et si chaud que je ne le quitte pas pendant des semaines. Magique, il soigne torticolis et maux de gorge. Pour mes cinquante ans, un harmonica dont je joue tout bas dès que je suis seule, comme si ma vie était un film de cow-boys. » Elle aime son homme qui meurt un jour en faisant son jardin. Elle poursuit sa lente marche vers la mort, se retrouve à l’hôpital. Elle rêve : « J’aimerais que le ponton soit en pente. J'aimerais que mon fauteuil avance, bascule dans l’eau opaque où il me projetterait aussi. Je coulerais, les yeux grands ouverts, à travers les nuages de vase. (…) Je coulerais à pic, mes bras s’écarteraient de mon corps, mes bras et mes jambes que je ne contrôle plus, le courant les soulèverait puis les rabattrait, mes cheveux danseraient autour de moi et je volerais. »
C’est un livre qui laisse un goût amer, mais plein de charme. Quelle étrange vision : réaliste, la vie de Petite Boite d’Os s’écoule comme n’importe quelle vie, mais parfois on est plongé dans un fantastique ahurissant qui fait virevolter les deux parties du cerveau. Suis-je à droite ou… à gauche ?
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30/11/2013
Le rire du grand blessé, roman de Cécile Coulon
Pays : Inconnu
Régime : Totalitaire
Ennemi Public : La littérature
Numéro : 1075
Particularité : Analphabète
Seuls circulent les livres officiels. Le choix n’existe plus. Le « Grand », à la tête du Service National, a mis au point les « Manifestations A Haut Risque », lectures publiques qui ont lieu dans les stades afin de rassembler un maximum de consommateurs. Peuvent alors s’y déchaîner les passions des citoyens dociles. Des Agents de sécurité – impérativement analphabètes – sont engagés pour veiller au déroulement du spectacle et maîtriser les débordements qui troublent l’ordre public. 1075, compétiteur exceptionnel, issu de nulle part et incapable de déchiffrer la moindre lettre, est parfait dans ce rôle. Il devient le meilleur numéro ; riche, craint et respecté. Jusqu’au jour où un molosse – monstre loué pour pallier les défaillances des Agents – le mord.
Le livre n’est pas long (116 pages). Peu de dialogue. L’histoire est quelque peu abracadabrantesque. On s’y accroche en pensant que le suspense ou simplement l’intérêt va surgir au fil des pages. Oui ! 1075 transgresse et, ayant découvert dans l’hôpital où il est soigné un professeur qui enseigne la lecture, il apprend à lire tout seul en cachant les textes dans des tuyaux de sa salle de bain. Il n’est découvert qu’à la fin du livre par Lucie Nox, celle qui inventa le Programme Nox. Lucie avait trouvé un moyen de gérer les sensations des hommes, alors que ses confrères s’étaient toujours arrêtés au contexte social.
Le livre n’a plus pour objet d’apprendre ou de renseigner et encore moins d’élever le lecteur. Non. Il est produit en usine, il est la parole du Grand. Il divertit sur ordre comme les jeux du cirque.
C’est un exercice de style, brillant, une sorte de conte philosophique. Mais ce scénario ne suffit pas à faire un vrai livre dans lequel on entre vierge et dont on sort chargé d’impressions, de sensations, de sentiments et d’une plus grande compréhension de l’être humain. Il est à l’image de l’histoire.
07:14 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, science fiction, totalitarisme, littérature | Imprimer
28/11/2013
Les micro-humains, roman de Bernard Werber
Le roman commence par un sauvetage. Elle, Emma 103 683, la minuscule humaine de 17 centimètres, vient de sauver une centaine d’hommes coincés sous la terre après un éboulement. Elle vérifie que ces êtres dix fois plus grands qu’elles respirent encore, puis elle annonce dans le micro de son casque : « Mission accomplie ». Surmontant la douleur de sa blessure, elle précise : « Ils n’ont pas l’air bien frais, mais ils sont vivants. Vous pouvez les sortir de la Terre. »
Ce ne sont pas les seuls êtres extraordinaires. Dans ce roman, la Terre a une conscience : "Ils m’appellent la Terre. Ils me voient comme une grande pierre sphérique. Ils oublient qui je suis vraiment. Ils n’imaginent même pas que je suis vivante, intelligente, consciente."
Ainsi commencent les deux premiers chapitres du roman. Les chapitres se suivent sans se ressembler. On y parle d’actualité, de faits divers, du président Stanislas Drouin qui, à l’Elysée, a donné son accord pour la création de ses micro-humains et a inventé le jeu d’échec à sept camps (échiquier en forme d’heptagone) représentant les sept branches de développement possible pour l’humanité : la voie du capitalisme, la voie des religieux, la voie des machines, la voie des fuyards de l’espace, la vois de l’allongement de la vie par le clonage, la voie de la féminisation, la voie du rapetissement des micro-humains. Sont également évoqués des humains géants qui vivaient dans l’Atlantide. Quetz-Al-Coatl, leur explorateur, découvre le Mexique et des humains beaucoup plus petits (notre humanité) dont la majorité n’aimait pas penser par elle-même et est embarrassée par la notion de liberté. « Jadis il y avait des géants sur Terre. Maintenant il y a des hommes. Demain il y aura des micro-humains… ». Autres insolites chapitres, ceux constitués par l’Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, d’Edmon Wells (un livre écrit préalablement par l'auteur).
Les micro-humains ou Emach sont ovipares et ils se reproduisent vite. Microland est leur capitale, sous verre. Mais les chinois volent trois mâles et créent leurs propres micro-humains. C’est désormais une guerre entre les Chinois et les Français. L’industrie chinoise est plus rapide, moins surveillée et elle envahit le marché. Les concepteurs des micro-humains sont débordés et perdent leur brevet. N’en dévoilons pas plus. Laissons au lecteur le plaisir de la découverte.
Le roman aborde de nombreux points intéressant l’humanité. Il s’attaque au problème de ce qu’est l’être humain à travers l’avenir des Emach : objet de consommation, animal, être humain, autre ? Quand un candidat au statut d’humain peut-il être admis ? La multitude des raisons pour et contre est impressionnante, bien étudiée et sans réponse. Par contre le rappel permanent des lois de Murphy finit par être lourd. Elles apparaissent sans véritable relation avec le récit et n’apportent pas grand-chose.
Il faut quand même que je lise le premier de la série !
07:15 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, werber, actualité | Imprimer
20/11/2013
L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, roman de Romain Puértolas
Il s’agit bien d’un fakir, un vrai, ou presque, comme on en rencontre en Inde : dissimulateur, affabulateur, magicien et un rien charmant de naïveté et d’humour. On fait sa connaissance par l’intermédiaire d’un chauffeur de taxi à la sortie de l’aéroport Charles de Gaulle : Il vit sur la banquette arrière de son véhicule un homme d’âge moyen, grand, sec et noueux comme un arbre, le visage mat et barré d’une gigantesque moustache. De petits trous, séquelles d’une acné virulente, parsemaient ses joues creuses. Il avait plusieurs anneaux dans les oreilles et sur les lèvres, comme s’il avait voulu refermer tout cela après usage à la manière d’une fermeture éclair. (…) Le costume en soie grise et brillante de l’homme, sa cravate rouge, qu’il n’avait pas pris la peine de nouer mais d’épingler, et sa chemise blanche, le tout horriblement froissé, témoignaient de nombreuses heures d’avion. Mais étrangement, il n’avait pas de bagage.
Il veut se rendre chez Ikea pour y acheter un lit à clous. Ajatashatru Lavash Patel (prononcez : J’attache ta charrue, la vache) était célèbre dans tout le Rajasthan pour avaler des sabres escamotables, manger des bris de verre en sucre sans calories, se planter des aiguilles truquées dans les bras et pour une ribambelle d’autres tours de passe-passe dont il était le seul, avec ses cousins, à connaître le secret, et auxquels il donnait volontiers le nom de pouvoirs magiques pour envoûter les foules. Aussi ne fait-il que semblant de payer le taxi avec un faux billet de cent euros imprimé d’un seul côté qu’il récupère aussitôt grâce à l’élastique invisible qui reliait son petit doigt au billet vert.
Ainsi commence les aventures ou plutôt l’extraordinaire voyage du fakir qui va parcourir une bonne partie de l’Europe dans des aventures rocambolesques et parfois douteuses de crédibilité. Il parcourt en un temps record la France (surtout Paris), la Grande Bretagne, l’Espagne, l’Italie, la Lybie et à nouveau la France. Il voyage dans des conditions inconfortables la plupart du temps, le plus souvent dans des armoires ou penderies. Il rencontre des immigrés soudanais, des compatriotes, des Gitans, une belle femme dénommée Marie (au restaurant d’Ikea) auprès de laquelle il s’arrange pour extorquer 20 €, une star qui l’invite dans sa suite et bien d’autres personnages encore tels Wiraj l’Africain.
Le style est gai, jeune, moqueur, sans jamais être vulgaire. Disons qu’il est glamour, à l’image d’une France décomplexée, mais de quoi ? On franchit de nombreuses frontières, toujours inquiétés par les douaniers et policiers. Tout se complique lorsque le fakir se met à écrire un roman et qu’il est payé par un éditeur. Il promène alors son attaché case plein de billets, s’en fait ravir quelques-uns, mais finit par en donner une bonne partie.
Le succès planétaire du livre d’Ajatashatru avait permis à Wiraj de retrouver la piste de l’indien exilé. Il lui avait écrit une lettre dans laquelle il le félicitait et le remerciait encore pour son geste. Avec cet argent, ils avaient construit une école dans son village et sorti plusieurs familles de la pauvreté et de la faim. Les mouches étaient restées. Il n’y avait rien à faire contre cela.
La fin du livre est à l’image de son contenu. Il épouse Marie et le rêve se poursuit. La voiture qui l’accompagnera de Montmartre au temple hindou, elle, est déjà prête. C’est une vieille Mercedes rouge ; légèrement cabossée à laquelle on a accroché une batterie neuve de casseroles Ikea que l’on entendra tinter jusqu’aux lointaines dunes étoilées du désert thartare (sic).
Un livre un peu fou, drôle, extravagant, plein d’imagination et de surprise. Mais on se lasse au bout d’un moment de ces situations et de ces plaisanteries. Il n’y a rien derrière, sauf quelques réflexions sur l’immigration, les pauvres et les riches, les astucieux et les benêts. Une morale de peccadille derrière des pirouettes bien exécutées. Alors on ferme le livre. On s’est bien amusé. Mais on a un peu mal au cœur.
07:37 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, inde, voyage, société | Imprimer
12/11/2013
La nostalgie heureuse, récit d’Amélie Nothomb
« Tout ce que l’on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon. (…) A aucun moment je n’ai décidé d’inventer. Cela s’est fait de soi-même. Il ne s’est jamais agi de glisse le faux dans le vrai, ni d’habiller le vrai des parures du faux. Ce que l’on a vécu laisse dans la poitrine une musique : c’est elle que l’on s’efforce d’entendre à travers le récit. Il s’agit d’écrire ce son avec les moyens du langage. Cela suppose des coupes et des approximations. On élague pour mettre à nu le trouble qui nous a gagnés. » (Prologue du récit)
S’agit-il de nostalgie ? Et celle-ci est-elle heureuse ? Rend-elle heureux le lecteur ?
Quant à moi, je suis sorti du livre déçu. Amélie retourne au Japon avec une équipe de télévision, en charge de trouver les impressions qu’elle a décrites dans ses livres, dont Stupeurs et tremblements, Métaphysique des tubes. C’est un compte-rendu de voyage écrit par une midinette en mal de souvenirs. Certes, quelques bons mots, quelques réflexions amusantes (et encore, assez peu). Mais l’on passe dans ce nouveau Japon, celui des brisures de la vie, sans y retrouver la magie de l’ancien, celui où s’agitait une petite fille, puis une jeune fille, avec le charme de la découverte du monde. On la sent d’ailleurs gênée de jouer son rôle d’écrivain à la recherche du temps perdu. Elle écrit mal ce qu’elle a bien écrit. L’inspiration n’est plus là. Le texte devient presque radotage.
Elle tente de retrouver la maison de son enfance et voit une femme étendre du linge dans son jardin. Je pense que, depuis l’âge de dix-sept ans, c’est moi qui m’occupe de la lessive. L’unique continuité de mon quotidien à part l’écriture, c’est le linge, au point que je me fâche si quelqu’un s’en charge à ma place. (…) La vérité m’apparaît grâce à cette inconnue : pour moi, être lingère, c’est prouver que je suis la fille de Nishio-san. Je contemple avec intensité cette femme qui pend des chemises mouillées. La caméra en conclut que c’est important et filme la femme.
Après sa visite à Nishion-san, sa nounou, elle pleure. Une joie de rescapée circule en moi. J’ai réussi l’épreuve. (…) Je mesure le miracle : Nishio-san et moi, nous nous sommes revues, je lui ai dit ce qui devait être dit, j’ai laissé circuler entre elle et moi un si terrible amour, et nous avons survécu.
Il lui arrive de se moquer d’elle-même : Pour reprendre la formulation génialement méchante de Balzac, à vingt ans, j’étais une jeune fille d’une beauté modérée. Cela ne s’est guère arrangé par la suite.
Elle retrouve Rinri, son ex-fiancé japonais raconté dans Ni d’Eve, ni d’Adam. Elle conclut cette retrouvaille par cette réflexion : En le retrouvant, j’ai aussi retrouvé un élément de ce qui fut mon quotidien avec lui : la gêne. (…) La gêne est un étrange défaut du centre de gravité : n’est capable de l’éprouver qu’une personne dont le noyau est demeuré flottant. Les êtres solidement centrés ne comprennent pas de quoi il s’agit. La gêne suppose une hypertrophie de la perception de l’autre, d’où la politesse des gens gênés, qui ne vivent qu’en fonction d’autrui. Le paradoxe de la gêne est qu’elle crée un malaise à partir de la déférence que l’autre inspire.
Elle finit sur une considération digne du pays du soleil levant : la grâce de ressentir le vide : A vingt ans, avec Rinri, j’ai vécu une belle histoire. Cette beauté implique que ce soit fini. C’est ainsi. (…) Ressentir le vide est à prendre au pied de la lettre, il n’y a pas à interpréter : il s’agit, à l’aide de ses cinq sens, de faire l’expérience de la vacuité. C’est extraordinaire. En Europe cela donnerait la veuve, la ténébreuse, l’inconsolée ; au Japon, je suis simplement la non-fiancée, la non-lumineuse, celle qui n’a pas besoin d’être consolée. Il n’y a pas d’accomplissement supérieur à celui-ci. (…) Une épiphanie de cet état espéré, où l’on est de plain-pied avec le présent absolu, l’extase perpétuelle, la joie exhaustive.
07:54 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, récit, japon, souvenir | Imprimer
17/10/2013
La formule de Dieu, roman de José Rodrigues dos Santos
Acheté dans une brocante, qui trainait sur une table… Un thriller qui traite de l’origine de l’univers, à la frontière de la science et de la théologie mystique… Il n’est pas vieux (il date de 2006), il est important (575 pages), il combine de manière fine les dernières découvertes de la science sur le Big bang et son origine avec la Bible, le bouddhisme, le Tao, le Zen et autres philosophies ou religions. Tout cela est enrobé, comme une tarte tatin, d’une couche de messages codés où la cryptographie a fort à faire et se trouve surmonté du fantôme d’Einstein à l’origine de l’énigme.
Quel galimatias me direz-vous. Eh bien non ! C’est, malgré une histoire qui ne sert que de couverture au vrai fond du livre, un trésor de construction et de connaissance. Le point de vue de tous les grands savants y passe, chacun apportant sa pierre. L’illumination des grands mystiques également : la Cabbale avec ses sephirot, la bhagavad gita, le ying et le yang.
C’est beaucoup mieux que Dan Brown ou même Umberto Ecco. Bravo à ce journaliste qui met en scène Tomas Noronha, professeur de cryptologie et de langues anciennes et Ariana Pakravan chargée d’identifier un manuscrit écrit par Einstein, qui donnerait une formule permettant de construire une bombe atomique avec des moyens très simples. En fait, ce manuscrit cacherait la formule de Dieu, c’est-à-dire de l’origine du monde. Tout se précipite dans un tourbillon incessant entre l’Iran et ses ayatollahs, les Etats-Unis, bien sûr avec la CIA, le Tibet, toit du monde, et la fin de la vie, interrogation aussi pressante que celle de son commencement. La boucle est bouclée, mais comment : Que la lumière soit (telle est la formule de Dieu) ! Qui a fait naître cette lumière ?
L’univers naît, vit, meurt, entre dans la non existence et renaît à nouveau dans un cycle infini, dans un éternel retour qu’ils appellent la nuit et le jour de Brahman. L’histoire hindoue de la création du monde est celle de l’acte par lequel Dieu devient le monde, lequel devient Dieu. (p.570)
A la fin du silence se trouve la réponse.
A la fin de nos jours se trouve la mort.
A la fin de notre vie, un nouveau commencement. (p.571)
La fin est décevante. Elle ne nous apprend rien. Mais que de chemins parcourus entre la première et la dernière page.
Qui a créé la lumière ?
07:25 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, thriller, religion, science, big bang, dieu, mystique | Imprimer
24/09/2013
La Déesse des petites victoires, roman de Yannick Grannec
Un livre étrange où l’on passe de la plus haute mathématique aux soins d’une vieille dame à l’humeur inégale. Les premières pages (au moins une bonne cinquantaine) laissent le lecteur dérouté. 1980, à Princeton : première rencontre entre Anna Roth, une jeune documentaliste et Adèle Gödel, femme du mathématicien Kurt Gödel, ami d’Einstein. La première est chargée de récupérer les archives que détient la seconde. Pour y arriver, elle devra devenir l’amie d’Adèle, petite femme coriace, au destin particulier : elle a veillé toute sa vie sur un des plus grands mathématiciens du siècle qui se comporte comme un enfant sans jugeote. Deuxième chapitre : Adèle, une jeune serveuse de bar, fait connaissance avec Kurt Gödel, un jeune homme au comportement bizarre qui réfléchit en marchant la nuit dans les rues de Vienne. Kurt et moi n’avions rien en commun, du moins si peu. J’avais sept ans de plus, je n’avais pas fait d’études ; il préparait son doctorat. (…) La promenade s’est achevée comme elle avait commencé, dans le très inconfortable silence où chacun cachait ses pensées. Même si je n’ai jamais été douée pour les mathématiques, je connais ce postulat : une toute petite inflexion de l’angle de départ fait une énorme différence à l’arrivée. Dans quelle dimension, quelle version de notre histoire, ne m’a-t-il pas raccompagnée ce soir-là ?
On ne comprend que plus loin que le livre s’organise entre la vraie vie d’Adèle et de Kurt (Vienne, fuite devant l’Allemagne nazie, installation aux Etats-Unis) et la vie d’Adèle devenue vieille, phagocytant la vie d’Anna, missionnée auprès d’elle pour obtenir le nachlass de Kurt (documents faisant figure d’héritage intellectuel recueillis de manière posthume). Un chapitre dans les années suivant la deuxième guerre mondiale, un chapitre dans les années 80.
Les mathématiciens sont comme des enfants qui empilent des briques de vérité les unes sur les autres pour construire le mur qui remplira le vide de l’espace. Ils se demandent si certaines sont vraiment solides, si elles ne vont pas s’écrouler ensemble. J’ai prouvé que sur une certaine partie du mur, certaines briques sont inaccessibles. On ne pourra donc jamais vérifier que tout le mur est solide. C’est ainsi que Kurt explique son travail sur le programme de Kilbert, liste de questions dont il a résolu une partie avec son théorème d’incomplétude prouvant que certaines résolutions étaient inaccessibles. Pour Kurt, les mathématiques sont la vraie beauté. Il s’interroge sur l’existence de l’infini. Il explique la théorie des ensembles à Adèle qui lui demandait si l’on invente les mathématiques ou si on les découvre. Et il ajoute : « Je cherche à établir la décidabilité de l’hypothèse du continu. (…) J’ai l’intuition, Adèle, que l’hypothèse du continu est fausse. Il nous manque des axiomes pour construire une définition correcte de l’infini. (…) Je dois savoir si cet infini que j’explore est une réalité ou une décision. Je veux témoigner de notre avancée dans un univers de plus en plus lisible. Je dois découvrir si Dieu a créé les nombres entiers et l’homme, et le reste. »
Mais Adèle est perdue devant ces réflexions : Je retournais à ma cuisine. Les larmes avaient monté malgré moi ; ils devaient me croire inquiète pour l’avenir de l’humanité, en réalité, je m’apitoyais sur mon sort. J’étais une enfant dans un monde d’adultes. (…) Je ne serais jamais d’ici ; je serais toujours une exilée au milieu de tous ces génies. J’atteignais l’âge où les hommes seraient plus charmés par ma cuisine que par mes jambes : l’âge de la résignation.
Kurt finit par mourir. Est-il décédé de malnutrition comme ils l’ont dit ? Non, plutôt d’un accident du travail : il interrogeait l’incertitude ; il était mort rongé par le doute. La vie n’est pas une science exacte ; tout y est fluctuant, indémontrable. Il ne pouvait la vérifier paramètre par paramètre. Il ne pouvait pas axiomiser l’existence. Qu’avait-il cherché qui n’était pas dans son cœur, son ventre ou son sexe ? Il avait décidé de ne pas s’impliquer ; de se placer en dehors du monde pour le comprendre. Il y a des systèmes dont on ne peut s’exclure. Albert (Einstein) le savait, lui. S’exclure de la vie, c’est mourir.
Oui, un livre qui passe des plus hautes réflexions sur l’univers aux plus ordinaires sentiments d’une vieille femme qui s’accroche à son destin. Et pourtant : Je n’existais pas pour eux. Je n’ai jamais existé.
07:27 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, mathématique, science, incertitude | Imprimer
13/09/2013
L’ultime secret, roman de Bernard Werber
Qu’est-ce qui nous pousse à agir ? Quelle est votre motivation principale dans la vie ?
Samuel Fincher, neuropsychiatre, vient de gagner sa partie d’échec contre Deep Blue IV. Il est champion du monde, devant l’ordinateur le plus puissant ; mais il meurt le soir même dans les bras de sa petite amie. Ses traits présentent tous les signes de l’extase absolue… Mort d’amour. Isidore Karzenberg, journaliste, prétend qu’il a été assassiné. Avec Lucrèce, une jeune pigiste, ils vont le prouver.
Ils font le tour de tout ce qui peut motiver un être humain : peur, sécurité, faim, plaisir. Les sept péchés capitaux y passent, même s’ils n’ont qu’un lointain rapport avec la motivation. A ceux-ci s’ajoutent le devoir, la colère, la sexualité et bien d’autres au fil de leur découverte. On vit leur aventure. Mais dans un récit parallèle, on vit le passé du docteur Fincher, sa rencontre avec un homme paralysé, Jean-Louis Martin, qui ne voit que d’un œil et n’entend que d’une oreille et qui refuse de mourir. Ils deviendront amis. Jean-Louis Martin se fait opérer par le docteur et doter d’un ordinateur qui lui permet de pensécrire : il inscrit sa pensée directement sur l’écran de l’ordinateur.
L’intrigue laisse du suspens, le thème est intéressant (un cerveau humain, aidé d’un ordinateur, accède à « l’ultime secret »), quelques réflexions de fond, scientifiques ou psychologiques, renforcent l’attractivité du livre. Celui-ci répond à la question : « Qu’est-ce qui nous motive ? La cessation de la douleur, la cessation de la peur, la satisfaction des besoins primaires de survie, la satisfaction des besoins secondaires de confort, le devoir, la colère, la sexualité, les stupéfiants, la passion personnelle, la religion, l’aventure, la promesse de l’ultime secret, l’expérience de l’ultime secret. »
Et la fin du livre ouvre à la sagesse, au rêve, voire au spirituel :
Tout à l’heure, j’ai ressenti une impression étrange, une onde pure volupté qui me transcendait. Juste après, comme le contrecoup de cette onde, j’ai été traversé d’une autre sensation. Une sensation de grande plénitude, suivie d’un vertige comme si je pouvais englober par ma pensée l’infini de l’univers. Comme si, arrivé à un nouveau point d’observation, je m’apercevais que j’avais une conscience fausse de la dimension des choses. (…) On pourrait appeler cette nouvelle motivation : l’élargissement de la conscience. Elle est peut-être plus puissante que toutes les autres motivations. C’est pour cela que nous avons réussi. C’est une notion au-delà des mots, elle est difficile à expliquer.
07:04 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, psychologie, science, cerveau, ordinateur, penser | Imprimer
09/09/2013
L’apparition, roman de Didier van Cauwelaert
Résumé venant de la quatrième de couverture :
Le 12 décembre 1531, l'image de la Vierge Marie apparaît devant témoins sur la tunique de Juan Diego, un Indien aztèque. Quatre siècles plus tard, des scientifiques découvrent, dans les yeux de cette Vierge, le reflet des témoins de l'apparition. Embarrassé par les querelles d'intérêts qui se déclenchent autour de la canonisation de Juan Diego, le Vatican charge Nathalie Krentz, ophtalmologue qui ne croit en rien, d'aller réfuter le miracle. Impliquée malgré elle dans les combats secrets que se livrent scientifiques, politiques et princes de l'Eglise, poursuivie par l'esprit de Juan Diego qui, retenu sur Terre par les prières qu'on lui adresse, ne rêve que d'oubli, Nathalie finira par trouver ce qu'elle n'espérait plus : un sens à sa vie...
J’ai vainement attendu un événement qui fasse démarrer l’intrigue : rien. On reste sur sa faim jusqu’à la fin. On ferme le livre : qu’a-t-il voulu dire ?
Sans parler de message, ni même de toile de fond, on se demande, en dehors du simple constat des faits, ce que ce livre contient. Du scepticisme, celui de Nathalie, de l’arrogance et de la concupiscence, toujours elle, de la fausse ou vraie tromperie venant de l’indien que l’on veut faire saint, de la politique de la part du cardinal Fabiani. Bref, beaucoup de tempéraments, mais peu de vrais sentiments. Un monde de mystification qui n’est pas la réalité, un roman si peu vraisemblable humainement qu’il en devient difficilement crédible littérairement.
Quant à dire que Nathalie trouve un sens à sa vie, je m’interroge et me demande de quel sens il s’agit.
07:48 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littéature, roman, religion, psychologie, croyance | Imprimer
28/08/2013
La quatrième main, roman de John Irving
Elle n’existe pas cette quatrième main, mais elle ressent ce qu’elle devrait toucher au point que l’ombre du désir devient réel.
La troisième main fut perdue sans que le chirurgien sache pourquoi. Devenue bleue, elle fut jetée.
La deuxième main fut mangée par un lion au cours d’une interview dans un cirque indien.
Dieu soit loué, le micro était dans l’autre main, celle qui sert à tout dorénavant.
Mais les mains des femmes préfèrent caresser la main manquante comme en hommage au martyre vécu par le journaliste Patrick Wallingford, dit Pat, l’ami des dames. Elles veulent un enfant de lui. Pourquoi ? Allez savoir.
La main d’Otto était grosse, celle de sa femme, Mrs Clausen, Doris de son prénom, caresse sans vergogne le corps de Pat et finit pas le séduire. Il se fait renvoyer, difficilement, et va désormais commencer la vraie vie :
Lorsque Wallingford, nu lui aussi, sortit de la salle de bain, Mrs Clausen avait déjà éteint la télévision et elle l’attendait dans le grand lit. Il éteignit la lampe et se glissa auprès d’elle. Dans les bras l’un de l’autre, ils écoutèrent le vent : il soufflait fort, en rafales, mais ils cessèrent bientôt de l’entendre ?
– Donne-moi ta main, dit Doris.
Il savait de laquelle elle parlait.
Il prit d’abord sa nuque au creux de son bras ; de sa main droite, il s’accrocha à l’un de ses seins. Elle se mit à serrer son moignon entre ses cuisses, où il sentit les doigts perdus de sa quatrième main la caresser.
S’il faisait bon dans leur hôtel, au dehors, la bise annonçait l’hiver qui arrivait ; mais ils n’entendaient plus que leur souffle rauque – oublieux comme tous les amants du vent qui tourbillonnait, et soufflait sans fin dans la nuit âpre et indifférente du Wisconsin.
Ainsi se termine ce roman fou qui, comme le précédent, laisse un goût curieux dans une bouche anesthésiée. On ne sait si on aime ou s’il faut le jeter avant la fin. On saute de nombreux passages, on les relit quelques pages plus tard, mais sans que cela apporte quelque chose. Quand on ferme le livre, on se sent soulagé. Et pourtant, peu de temps après, on le rouvre pour y chercher ce qu’on n’a pas trouvé : le goût amer des sentiments cachés.
07:58 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, etats-unis, journalisme | Imprimer
23/08/2013
Le flûtiste invisible, roman de Philippe Labro
Un roman qui n’en est pas un, puisqu’il est constitué de trois nouvelles, et qui mentionne en liminaire : « Tout est déterminé par des forces sur lesquelles nous n’exerçons aucun contrôle. Ceci vaut pour l’insecte autant que pour l’étoile. Les êtres humains, les légumes, la poussière cosmique – nous dansons tous au son d’une musique mystérieuse jouée à distance par un flûtiste invisible (Albert Einstein) ». Et l’auteur ajoute : Comme Schindler, je crois qu’il n’y a qu’une seule chose dont nous devrions être certains : la sensation qu’autour de nous, avant ou après, en dedans ou en dehors, il y a un élément inconnu sur lequel n’avons aucune prise, aucun contrôle, mais dont nous pouvons imaginer qu’il en exerce un sur nous. C’est l’élément inconnu qui m’intéresse.
Seule la première nouvelle m’a paru digne d’intérêt. Pourquoi ? Elle semblait vécue, alors que les deux suivantes m’ont paru plus compassées. Elle se dénomme « Bye bye Blacbkbird ». Blackbird est une jeune américaine qui voyage sur un transatlantique et que rencontre un jeune garçon qui se rend aux Etats-Unis pour étudier. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une rencontre, mais le fruit d’un pari fait avec ses camarades : Qui serait assez culotté pour aller faire un compliment à cette jeune femme si belle, là-bas, à la table de gauche ? Ses cheveux étaient d’un jaune éclatant, comme des fleurs de tournesol, un jaune qui aurait pu virer à l’orange. Elle lui donne rendez-vous le soir même, mais n’y vient pas. Le troisième soir, elle ouvre en pyjama sa porte. Ils parlent. Elle lui demande : « qu’attendez-vous de moi, au juste ? ». Devant son absence de mobile, elle éclate de rire : « Seriez-vous trop bien élevé ? Vous ne voyez pas qu’il se voit votre désir ? Vous croyez qu’un homme peut dissimuler son envie d’une femme ? Vous avez faim d’amour, c’est cela, pourquoi ne pas le dire ? » Elle avait une capacité unique et déconcertante à passer de l’ironie à la langueur, de l’intime à la distance. Elle met le disque de la chanson Bye bye Blackbird et lui dit à la fin : « On ne choisit rien. Et rien n’est impossible, sauf de refuser la mort. Et tout est possible, mais rien n’est important. Tout est fatal. » Lorsqu’il va partir, elle lui demande de l’embrasser. Je pouvais sentir son corps sous la soie, touchant le mien sans bouger : « Eh bien, dites-moi, quelle vigueur dans le pantalon ! Mais dans quel émoi êtes-vous tombé ? ».
Il en devient fou, ne pensant qu’à elle, la cherchant partout et elle, se dérobant, l’évitant jusqu’à l’arrivée à New-York. Là, contrairement à toute attente, elle se donne à lui subrepticement. Puis, immédiatement après : « Rhabillez-vous. Allez, vous avez eu ce que vous vouliez ». Je l’ai regardé. Elle avait une expression voilée, hantée, une cernure mauve avait creusé sa peau sous chacune de ses paupières. On ne pouvait lire aucune satisfaction nu aucun plaisir sur ce visage auquel, en vérité, je ne comprenais rien. Quelque chose de mortel est passée dans ses yeux.
En épilogue, l’auteur philosophe : « Tout est mouvement, écrit Balzac, la pensée est mouvement. La nature est établie sur le mouvement. Balzac continue et se dévoile enfin. Il ose, enfin !, (sic) écrire les quatre lettres DIEU : « Dieu est le mouvement, peut-être. Voilà pourquoi le mouvement est inexplicable comme lui et, comme lui, profond, sans bornes, incompréhensible, tangible. »
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20/08/2013
Le monde selon Garp, roman de John Irving
Le livre était lourd et volumineux (650 pages d’une écriture serrée), ce qui n’est pas encourageant pour en commencer la lecture. De plus, la quatrième de couverture était peu engageante, contrairement à ce qu’a voulu l’éditeur. Elle évoquait le féminisme, la violence des hommes, la peur des femmes, cette opposition des sexes qui fit pendant un temps les premières pages des médias d’outre-manche. Bref, les clichés d’une Amérique éternelle peuplée de machos texans. Et je continuais à le penser au bout d’une cinquantaine de pages, malgré quelques bons mots : Jenny avait l’impression que ses études n’étaient rien d’autre qu’une façon polie de gagner du temps, comme si elle avait été une vache mise en condition pour recevoir la canule de l’insémination artificielle.
Je finis par me détendre et lus avec curiosité les cinquante pages suivantes. Enfin, je fus pris par le récit, non pas à la manière d’un triller à l’intrigue palpitante, mais en raison de la personnalité du personnage principal, S.T. Garp, fils de Jenny, une jeune fille de bonne famille devenue infirmière, qui se fait faire un enfant par un malade, le Sergent Technicien Garp, mitrailleur de queue d’un avion atteint par les balles au cours de la seconde guerre mondiale. Huit jours plus tard, je fermais le livre en me se disant que j’aurais bien poursuivi la lecture de cette saga délirante, bien qu’apparemment anodine : Garp luttant contre la concupiscence des hommes, rejetant la violence de l’environnement quotidien et assurant la protection des enfants. Tel est le sujet du livre, les peurs d’un père dans un monde fou, mais habituel. Et souvent je me suis dit : ces descriptions sont trop longues, ces sentiments sont trop étalés, je les saute. Mais je revenais par la suite sur ces métaphores pour ne rien perdre de l’ensemble.
Le livre est ambigu. Cela tient au mélange entre le récit parfois trop lent et la rapidité des événements clés qui ne sont qu’évoqués, puis repris de manière indirecte. Ainsi l’accident entre l’auto de Garp et celle de l’amant de sa femme, dont les dégâts sur la famille ont été considérables, n’est abordé qu’à travers ses conséquences. Pierre-Yves Petillon, qui présente le livre dans sa version française, nous dit : « On les compte sur les doigts d’une main, finalement, les livres où l’on rit à voix haute, où l’on s’esclaffe comme autrefois, lorsqu’on avait dix ans et qu’on allait voir un Laurel et Hardy dans un petit cinoche de quartier. » Je pense plutôt à une espèce de nostalgie difficilement interprétable que donne le roman, comme un arrière-goût d’entente entre l’auteur et le lecteur, mais qu’on n’ose pas avouer, n’y même reconnaître. On est gêné, mais heureux de l’être. On y prend plaisir sans savoir pourquoi. C’est ce qui fait la qualité du récit : inattendu, tant dans les événements que dans les émotions de Garp. Il en reste un sentiment curieux qui vous contraint à achever le livre sans comprendre son intérêt.
Quelques descriptions font rire : « Aaa, fit Garp (le père), comme Jenny l’attirait en elle et s’accroupissait en pesant de tout son poids. – Garp ? demanda-t-elle. ça va ? Est-ce que c’est bon, Garp ? – Bon, approuva-t-il, très distinctement. (…) A mesure qu’il se recroquevillait et que sa semence suintait sous Jenny, il se retrouva une fois de plus réduit aux « Aaa » ; il ferma les yeux et pleura. Quand Jenny lui offrit le sein, il n’avait pas faim. (…) Elle se sentait plus féconde qu’une glèbe bien préparée – la terre nourricière – et elle avait senti Garp lâcher en elle un jet aussi généreux que celui d’un tuyau d’arrosage en été (à croire qu’il voulait inonder une pelouse).
D’autres épisodes sont quasi sordides : Le mouvement des Hellen-Jamesiennes appartient à un monde inconnu dans lequel des jeunes femmes se font couper la langue pour lutter contre la violence faite aux femmes en souvenir d’Hellen James, violée à l’âge de douze ans.
Il est impossible de raconter en quelques phrases le livre, trop long, trop imaginatif et, apparemment, banal. Il s’achève sur les enfants de Garp : « Dans le monde selon son père, comme le savait Jenny Garp (sa fille), il faut avoir de l’énergie. Sa célèbre grand-mère, Jenny Fields, nous voyait naguère comme appartenant à diverses catégories, les Externes (les hommes qui avaient été brûlés), les Organes vitaux (les hommes blessés qui souffraient en dedans), les Absents (des hommes qui avaient cessé d’être là) et les Foutus (absents souffrant de maux propres aux externes ou aux organes vitaux). Mais dans le monde selon Garp, nous sommes tous des incurables (de la concupiscence).
07:42 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, amérique, violence, féminisme | Imprimer
16/08/2013
Des cornichons au chocolat, roman de Philippe Labro
Livre culte, nous dit la quatrième de couverture : Toute une génération s’est reconnue dans le journal de cette adolescente de treize ans, sa solitude, sa révolte, son regard dérangeant sur les adultes, l’école, le travail et son goût indiscutable pour les sandwichs aux cornichons et au chocolat.
La préoccupation principale de Stéphanie : attendre ses règles qui ne viennent pas alors que les autres filles les ont eu : « Pour bien énerver Stéphanie, on va toutes se mettre en jupe ou en kilt pour bien lui montrer qu’on est des femmes et qu’on a nos règles et que c’est beaucoup mieux de porter des jupes quand on a des règles parce que quand même on est moins serrées, ça fait moins mal, on est sûr de ne pas tacher ses jeans, ça va drôlement humilier Stéphanie. »
Stéphanie découvre la musique classique avec Nicole, sa prof de musique. Elle avait dit : Ne vous préoccupez pas de tout ça, ce que la musique évoque n’a rien à voir avec le sens qu’un professeur ou un critique ou un parent peuvent lui donner. Et Stéphanie écrit dans son cahier : Les gens qui ont ce don-là, c’est comme Mutti (le chef d’orchestre) et Beethoven, ils peuvent se donner du bonheur quand ils veulent, à n’importe quel moment de la journée. C’est des privilégiés, voilà.
A la fin du livre, elle les a : Elle a réfléchi que ça y était donc maintenant, et que toute sa vie, trois ou quatre ou cinq ou six jours par mois, Elle serait obligée d’avoir cette gêne en Elle et avec Elle, et Elle s’est demandée pourquoi Elle avait tellement mais tellement désiré que ça lui arrive. Du coup, elle arrête son cahier. Fin !
Certes, certains mots, réflexions, idées sont drôles, sensibles, presque beaux. Mais sans doute ne suis-je plus attentif aux passions de l’adolescence et à ses questionnements. Ou peut-être les adolescents d’aujourd’hui ont d’autres préoccupations. Ou encore Stéphanie passe trop de temps aux toilettes, ce qui manque de charme.
Mais malgré tout ce n’est pas non plus un mauvais livre. Je ne suis tout simplement pas entré en osmose avec lui.
07:55 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, adolescence, roman, littérature | Imprimer
29/07/2013
Aux fruits de la passion, roman de Daniel Pennac
Une famille de fous et des amis encore plus fêlés ! Yasmina, Clément Clément, Loussa de Casamance, Théo, Clara, Gervaise, etc… La tribu Malaussène est complexe, embrouillée, vivante, prodigue, un sac de nœuds plutôt que de vipères, envoûtante, drôle aussi. Le charme de l’indémêlable. Thérèse est amoureuse et rien ne l’empêchera d’aimer, ce que le vieil Amar traduit par : « Inch Allah, mon fils, ce femme veut, Dieu le veut. Yasmina m’a voulu parce que Dieu a voulu que je veille Yasmina. Tu comprends ? Il faut avoir l’esprit aussi large que le cœur de Dieu. »
Et qui Thérèse aime-t-elle ? Un conseiller à la Cour des comptes, au costume trois pièces, dit Marie-Colbert de Roberval, plus exactement Conseiller référendaire de première classe. Marie-Colbert était un type si grand, si droit et si bien élevé que le pan de son veston rebiquerait toujours au-dessus de ses fesses rebondies. Glabre, bien en chair, d’une pâleur idéale, il posait sur le monde un regard qui voulait se porter loin. Sa poigne était ferme et je l’imaginais volontiers mélomane, ce genre à jouer du Bach à heure fixe, avec une obstination de métronome.
Malgré toutes les tentatives de la famille Malaussène, Thérèse, la cartomancienne, finit par épouser Marie-Colbert. Le lendemain matin, elle réveille Benjamin, son frère : « Je peux avoir mon lit ? » et : « On parlera plus tard. » La suite rocambolesque est laissée à votre lecture. Jusqu’à la dernière page rebondissements, incompréhensions, rêves et bébé à l’appui : les fruits de la passion s’enrichissent.
Oui, c’est un drôle de livre et un livre drôle, plein d’humour déjanté, de surprises offensées, de méli-mélo entre une vieille France devenue mafieuse et Belleville devenue prude.
06:33 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, littérature, société | Imprimer
20/07/2013
Indigne, roman d'Alexander Maksik
William Silver, un américain, enseigne la littérature dans un lycée parisien destiné aux riches expatriés. C’est un prof moderne, dont la pédagogie est américaine et qui semble très à l’aise avec ses élèves. Ses collègues l’apprécient moins. On découvrira à la fin du livre les insuffisances du personnage qu’on ne soupçonnait pas au départ. Pusillanime, il fuit la réalité lorsqu’elle devient à risques. Ainsi, dans une manifestation, il fuit devant quelques voyous après avoir discouru sur le courage. Enfin, il tombe sous le charme d’une élève, vit avec elle, et, lorsqu’elle est enceinte, ne va pas au bout de ses responsabilités.
C’est un roman de plage, sans plus, qui n’a qu’un seul intérêt, sa vision d’une pédagogie hors norme, à l’inverse de la pédagogie française. Certes, ce n’est qu’un roman, mais il est intéressant de se laisser raconter comment Will conçoit la littérature et son apprentissage. Ainsi, non pas discuter de l’existence de Dieu, mais défendre autant son existence que son inexistence : Abdul, je ne suis pas en train de dire que Dieu existe ou qu’il n’existe pas. Nous sommes en train d’examiner les idées de quelqu’un d’autre, d’essayer s’en comprendre les ramifications et ainsi de suite. C’est important de réfléchir sur les opinions des autres, tu ne crois pas.
Autre question intéressante : Nous naissons et devons trouver notre but, c’est-à-dire « l’homme est condamné à être libre ». Qu’est-ce que ça signifie d’après vous ?
Cependant cette méthode reste un peu lâche : pas de fil directeur réel des discussions qui partent un peu n’importe comment, pas de mise au point final (que retenir de cette discussion), pas de guide pour aller plus loin dans la recherche d’idées,. De plus, le prof se laisse appeler mec toutes les cinq minutes et est malgré tout un peu débordé par la vitalité de ses élèves..
Autre difficulté du livre : chaque chapitre donne le point de vue d’un des protagonistes, Marie, celle qui l'a séduit, Gilad, un autre élève, et bien sûr Will, le héros. La lecture en est réellement compliquée. Bref, un roman de plage qui se veut intello, mais qui est également très midinette.
07:45 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, enseignement, éducation, amour | Imprimer