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14/01/2017

L'adolescence

L’adolescence est une période difficile tellement elle est passionnante et pleine d’interrogations. Vous êtes harcelé de toutes parts, par toutes sortes de questions, posées par toutes sortes de gens. Le monde s’avère plus large, plus grand que vous ne le pensiez et vous ne savez plus où donner de la tête. Mais dans le même temps, face à cette immensité, vous n’osez pas sortir de vous-même, vous vous réfugiez dans votre enfance et hésitez à franchir le pas, tellement bien dans le monde de vos affections et de vos idées. Jérôme se plongea dans ce monde trouble, fait de désirs, d’indulgences envers soi-même, de regards sur l’enfance et de crainte de l’avenir. Il commençait à avoir sa vie propre et ses idées devenaient différentes de celles du reste de sa famille.

Ce fut d’abord l’épreuve des deux bacs. Le premier ne fut qu’une régurgitation des trois années précédentes. Les mêmes professeurs, les mêmes sujets d’étude, les mêmes difficultés dans certaines matières, le tout accentué par l’habitude et l’indolence de l’adolescence. Jérôme se lassait des mêmes versions et thèmes de latin, des mêmes rédactions de français, des règles de grammaire anglaise. Le professeur de mathématiques pendant un long moment le passionna. Il savait établir des digressions à son cours et nous parler des merveilles des mathématiques, des recherches sur les chiffres et même de cosmologie. Ces évocations faisait rêver Jérôme, l’introduisait dans un vaste globe de réflexions qu’il voyait comme un vide immense dans lequel il fallait pêcher les idées, les assembler, les approfondir, jusqu’à construire un monde intelligible. La chimie le laissait insensible ; il avait l’impression de travailler avec du poison. L’assemblage de lettres et de chiffres le rendait malade d’ennui. Il aurait voulu s’intéresser plus avant à la physique. Son professeur était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philosophie. Sa salle de classe était une toute petite pièce disposant d’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Les élèves étaient serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir derrière des tables en fer gondolées. Mais peu leur importait, ils entraient dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Ils l’avaient surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme lui des cheveux crépus en envol autour de sa tête. Il se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe. Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Ses camarades jeunes filles en rosissaient quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur. Il éclairait sur l’origine du monde, leur parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il les initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et ses élèves ne soupçonnaient pas les trésors qu’il leur divulguait. Ils l’ont tous remercié à la fin de l’année. Jérôme n’a qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.

17/12/2013

Le premier baiser

Et vint le jour du premier baiser.

La première sensation qu’il éprouva fut le parfum du buste de l’autre, comme un aimant qui entraînait à l’ivresse inconnue et le plongeait encore et encore dans le cou féminin, empli de senteur de fleurs, de bruissement des cheveux. Etincelles fulgurantes qui attaquaient son émerveillement pour le transformer en volcan. Le paradis à portée de main, offert dans cette apparence mouvante et délicate appelée femme.

Elle était belle, d’une beauté naissante, encore fille, presque jeune fille et sans doute déjà femme par son affirmation de soi. Elle ne s’offrait pas. Elle ne se refusait pas. Elle consentait à expérimenter ce dont ils avaient rêvé séparément, sans le dire. Tout ceci avec pudeur, n’osant regarder l’autre dans les yeux, donnant sa nuque encombrée de mèches de cheveux sauvages. Il se laissait griser par cette courbe merveilleuse, déposant des baisers furtifs sur la chair délicate et parfumée. Il ne sentait pas qu’elle faisait de même dans le creux de sa clavicule, éprouvant les mêmes sensations, la même émotion et les mêmes sentiments. Ils ne parlaient pas, n’osant exprimer ce qu’ils ressentaient, emmagasinant dans leur mémoire les perceptions, interrogeant leurs émois, construisant leur représentation de l’autre comme un géomètre dessine sa carte sur le terrain.

Jérôme découvrait la complémentarité de la vie et c’était une fête sans fin, sans bruit, comme une cérémonie sérieuse et envoûtante qui méritait toute leur attention. La féminité se dévoilait sous ses lèvres et les émanations de ce jeune buste le conduisaient dans une éternité chaude et lumineuse.

Elle se grisait de son odeur d’adolescent vif, se laissait aller dans les profondeurs de son cou, caressant ses cheveux courts, respirant lentement la peau masculine comme si elle étreignait un arbre vert. Quel embrasement stupéfiant !

16/08/2013

Des cornichons au chocolat, roman de Philippe Labro

Livre culte, nous dit la quatrième de couverture : Toute une génération s’est reconnue dans le journal de cette adolescente de treize ans, sa solitude, sa révolte, son regard dérangeant sur les adultes, l’école, le travail et son goût indiscutable pour les sandwichs aux cornichons et au chocolat.13-08-16 Des cornichons au chocolat.jpg

La préoccupation principale de Stéphanie : attendre ses règles qui ne viennent pas alors que les autres filles les ont eu : « Pour bien énerver Stéphanie, on va toutes se mettre en jupe ou en kilt pour bien lui montrer qu’on est des femmes et qu’on a nos règles et que c’est beaucoup mieux de porter des jupes quand on a des règles parce que quand même on est moins serrées, ça fait moins mal, on est sûr de ne pas tacher ses jeans, ça va drôlement humilier Stéphanie. »

Stéphanie découvre la musique classique avec Nicole, sa prof de musique. Elle avait dit : Ne vous préoccupez pas de tout ça, ce que la musique évoque n’a rien à voir avec le sens qu’un professeur ou un critique ou un parent peuvent lui donner. Et Stéphanie écrit dans son cahier : Les gens qui ont ce don-là, c’est comme Mutti (le chef d’orchestre) et Beethoven, ils peuvent se donner du bonheur quand ils veulent, à n’importe quel moment de la journée. C’est des privilégiés, voilà.

A la fin du livre, elle les a : Elle a réfléchi que ça y était donc maintenant, et que toute sa vie, trois ou quatre ou cinq ou six jours par mois, Elle serait obligée d’avoir cette gêne en Elle et avec Elle, et Elle s’est demandée pourquoi Elle avait tellement mais tellement désiré que ça lui arrive. Du coup, elle arrête son cahier. Fin !

Certes, certains mots, réflexions, idées sont drôles, sensibles, presque beaux. Mais sans doute ne suis-je plus attentif aux passions de l’adolescence et à ses questionnements. Ou peut-être les adolescents d’aujourd’hui ont d’autres préoccupations. Ou encore Stéphanie passe trop de temps aux toilettes, ce qui manque de charme.

Mais malgré tout ce n’est pas non plus un mauvais livre. Je ne suis  tout simplement pas entré en osmose avec lui.

29/01/2013

Manuella, roman de Philippe Labro (Gallimard, 1999)

Une collégienne, sympathique, qui ne sait si elle va avoir son bac. Quoi de plus classique ! Mais, j’ai revu la libellule de mon rêve et je me suis dit qu’une fille qui commençait la matinée la plus horrible de sa vie avec une libellule dans un carré d’espace bleu ne pouvait pas être entièrement foutue.

Pourtant, elle est vierge et la plupart de ces amies ne le sont plus. Lorsqu’un13-01-31 Manuella.jpg garçon veut coucher avec elle, elle répond : « Je t’aime bien, mais je ne t’aime pas. » Quand une fille dans le train, assise en face d’elle, lui demande : « Est-ce que vous êtes vierge ? » Elle la regarde, stupéfaite : « Ça va pas bien, non ? Ça te regarde ? »

En fait l’intérêt du livre n’est pas dans l’histoire, mais dans les réflexions et les anecdotes concernant la vie d’une adolescente qui se dit ratée.

Ainsi l’auteur consacre un chapitre à la mode du noir : Dehors dans la rue, j’ai l’impression que tout est en noir, que tout le monde s’habille de noir. Le deuil de qui ? Ils portent le deuil de quoi, les gens ? Ils vont à l’enterrement de quoi ? C’est une cérémonie, c’est une manif ou c’est un film ? (…) Oh ! Les mecs, les filles, vous affichez quoi exactement, là ? Vous avez peur de quoi ? Parce que si vous vous ressemblez tous autant les uns les autres, c’est que vous avez peur de quelque chose ? La couleur du jour, pour vous, c’est ça ? C’est la couleur de la nuit ?

Sa mère lui fait remarquer qu’elle utilise le terme pur très souvent : un pur film, un pur chanteur, une pure note de classe, une pure soirée, un pur plat de spaghettis, un pur CD. _ Qu’est-ce que tu préfères, lui ai-je répondu, que je dise pur ou putain ?

Et, malgré ses impressions, elle est reçue au bac : une profonde sensation de plénitude, jouissance, gaité, plaisir sensuel qui ne s’affaiblissait pas et qui allait, au contraire, grandir, grandir, pousser toute la journée dans mon corps (…) Question : Peut-être que l’amour, ça ressemble à ça, la légèreté totale du corps et de l’esprit ?

Mais elle revient souvent sur l’amour tel qu’elle le conçoit : On sait tout ça, maman. On a tout lu, on a tout vu, on a tout entendu. Du cul, du cul, du cul, au cinéma, sur les affiches, dans les bouquins qui se vendent bien, les magazines, à la télé, c’était incroyable ce que les gens pouvait parler de cul et montrer du cul. Ils préféraient utiliser le mot sexe, ça faisait plus noble et plus technique, d’ailleurs, sexe, en soi, il faut bien le dire, c’est un mot irrésistible. C’est pas vulgaire. (…) Je voulais bien être comme les autres, Yami, Daph, Nade, je voulais bien connaître l’amour au moins une fois, mais j’aurai souhaité que ce ne soit pas… banal. Plus la société avait trivialisé l’amour, plus j’attendais autre chose que du trivial.

Elle le rencontre ce garçon qui la fait frissonner. Il est frimeur, mondain, une machine à sortir des aphorismes (cette salade est incongrue, mais digne d’intérêt), à citer des auteurs (on peut rêver qu’un jour la vérité soit à la mode. C’est du Raymond Queneau). Mais,  au loin, le grand bateau bleu et blanc prenait le large, et moi, Manuella, j’étais gagnée par une sorte de gaité rêveuse, une petite joie intérieure, comme en attente d’un événement.

Et, à la fin du livre : j’avais toujours souhaité que la première fois me change, que ça se passe de façon telle que j’en sorte différente, transformée. Le suis-je ? Quand j’y pense, ce n’est pas une courte nuit avec un garçon en été qui a modifié ma vision des choses. Je m’étais donnée à lui parce que c’était plus qu’un geste, mais ce n’était aussi que cela, une série de gestes. Aimer sans amour n’est pas aimer.

01/06/2012

Jeune fille, roman d’Anne Wiazemsky, Gallimard, 2007

A sa lecture, je me suis étonné qu’Anne Wiazemsky ose écrire un livre qui met en scène un grand cinéaste, Robert Bresson, et unroman,cinéma,film,adolescence grand écrivain, François Mauriac, ainsi qu’un certain nombre d’autres personnages tels que Jean-Luc Godard ou encore Pierre Lazareff. On y découvre une jeune fille, presqu’une enfant, face à un Robert Bresson, attirant et tyran, qui la choisit pour le rôle principal dans son film « Au hasard Balthazar ». Il hésite, la fait parler, puis lire quelques pages du manuscrit, puis tente un essai cinématographique, pour, finalement, la choisir.

Je dus lire et relire la même scène des Anges du péché. Les indications claquaient, brèves et sèches ; « Pas de sentiment », « Plus vite », « Encore plus vite », « Ne pensez à rien ». L’homme assis en face de moi ne me lâchait pas des yeux. Il me donnait la réplique comme on joue au ping-pong, avec un automatisme parfaitement rodé. Je croyais en avoir fini ? Non, il fallait reprendre. Nos respirations s’étaient vite accordées. Laquelle s’était adapté au rythme de l’autre ? Peu importait. Ce qui comptait, c’était la relative facilité avec laquelle je me pliais à ses directives, hypnotisée par le débit monotone de sa voix, la puissance de son regard, le silence autour de nous.

Et le tournage commence, en été. Il la veut toujours à côté de lui, attentive à ce qu’il fait. Ils logent presqu’ensemble, chez un habitant du lieu. Et au cours de cet été, elle se prend un amant d’un jour, son premier jour de femme ; dans le même temps, elle se refuse au metteur en scène qui la traitait comme une petite fille ; enfin, elle découvre la vie, si différente de ce qu’elle connaissait. Bref, Anne sort de sa chrysalide, devient femme, avant de reprendre ses études en septembre. C’est ce rite initiatique, inconsciemment vécu, qui est décrit par Anne Wiazemsky.

Le roman parait juste, tout simplement parce qu’Anne a réellement joué le rôle et vécu ce qu’elle décrit. Elle est bien la petite-fille de l'écrivain François Mauriac. Sa carrière cinématographique commence bien en 1966 avec le rôle principal (avec l'âne) d'Au hasard Balthazar de Robert Bresson. Elle épouse bien Jean-Luc Godard le 21 juillet 1967 avec lequel elle tournera plusieurs films. Elle dépeint Robert Bresson comme un cinéaste exigeant, uniquement préoccupé de son film, mais aussi une sorte de séducteur qui tente de passer du rôle de parent protecteur à celui d’amoureux, voire d’amant, mais qui finit par y renoncer. L’histoire du film, on ne la connaît pas. Voici ce qu’en dit Robert Bresson : « Je voulais que l'âne traverse un certain nombre de groupes humains qui représentent les vices de l'humanité. Il fallait aussi, étant donné que la vie d'un âne est très égale, très sereine, trouver un mouvement, une montée dramatique. C'est à ce moment que j'ai pensé à une fille, à la fille qui se perd. »

Cependant, quelque chose m’interdit de dire que c’est un très bon livre comme beaucoup de critiques l’ont proclamé. Ils nous parlent de l’émoi de l’adolescence, et Anne Wiazemsky elle-même nous dit : « Pour prendre une image assez simple, c’est une espèce de chenille qui, au cours d’un été un peu particulier, se transformera en papillon – un cas assez banal. » Elle ajoute : « J’espère que c’est une jeune fille qui est assez représentative d’autres jeunes filles ».

C’est sans doute cette dernière affirmation qui me gêne. Son entrée dans l’âge adulte est pour ainsi dire unique. Elle la décrit sans réellement y inscrire le combat que vit chaque adolescent entre son enfance et la vie qui se profile, pleine d’incertitude. Elle n’a pas de doute, elle semble vivre cela comme le lui a appris Bresson, presqu’indifférente, sans sentiment, monocorde comme la voix exigée par le metteur en scène,  à l’image de cet extrait du film :

http://www.dailymotion.com/video/x3rj9q_au-hasard-balthazar_shortfilms

 

Oui, c’est un livre atone malgré de nombreuses qualités : où est la foi de l’adolescence, quelles sont ses références ? Rien de tout ceci n’apparaît. L'histoire est sortie de son contexte. Le plat est bon, mais il manque un peu de sel. Cette jeune fille, même adolescente, est trop vieille.