Le monde selon Garp, roman de John Irving (20/08/2013)
Le livre était lourd et volumineux (650 pages d’une écriture serrée), ce qui n’est pas encourageant pour en commencer la lecture. De plus, la quatrième de couverture était peu engageante, contrairement à ce qu’a voulu l’éditeur. Elle évoquait le féminisme, la violence des hommes, la peur des femmes, cette opposition des sexes qui fit pendant un temps les premières pages des médias d’outre-manche. Bref, les clichés d’une Amérique éternelle peuplée de machos texans. Et je continuais à le penser au bout d’une cinquantaine de pages, malgré quelques bons mots : Jenny avait l’impression que ses études n’étaient rien d’autre qu’une façon polie de gagner du temps, comme si elle avait été une vache mise en condition pour recevoir la canule de l’insémination artificielle.
Je finis par me détendre et lus avec curiosité les cinquante pages suivantes. Enfin, je fus pris par le récit, non pas à la manière d’un triller à l’intrigue palpitante, mais en raison de la personnalité du personnage principal, S.T. Garp, fils de Jenny, une jeune fille de bonne famille devenue infirmière, qui se fait faire un enfant par un malade, le Sergent Technicien Garp, mitrailleur de queue d’un avion atteint par les balles au cours de la seconde guerre mondiale. Huit jours plus tard, je fermais le livre en me se disant que j’aurais bien poursuivi la lecture de cette saga délirante, bien qu’apparemment anodine : Garp luttant contre la concupiscence des hommes, rejetant la violence de l’environnement quotidien et assurant la protection des enfants. Tel est le sujet du livre, les peurs d’un père dans un monde fou, mais habituel. Et souvent je me suis dit : ces descriptions sont trop longues, ces sentiments sont trop étalés, je les saute. Mais je revenais par la suite sur ces métaphores pour ne rien perdre de l’ensemble.
Le livre est ambigu. Cela tient au mélange entre le récit parfois trop lent et la rapidité des événements clés qui ne sont qu’évoqués, puis repris de manière indirecte. Ainsi l’accident entre l’auto de Garp et celle de l’amant de sa femme, dont les dégâts sur la famille ont été considérables, n’est abordé qu’à travers ses conséquences. Pierre-Yves Petillon, qui présente le livre dans sa version française, nous dit : « On les compte sur les doigts d’une main, finalement, les livres où l’on rit à voix haute, où l’on s’esclaffe comme autrefois, lorsqu’on avait dix ans et qu’on allait voir un Laurel et Hardy dans un petit cinoche de quartier. » Je pense plutôt à une espèce de nostalgie difficilement interprétable que donne le roman, comme un arrière-goût d’entente entre l’auteur et le lecteur, mais qu’on n’ose pas avouer, n’y même reconnaître. On est gêné, mais heureux de l’être. On y prend plaisir sans savoir pourquoi. C’est ce qui fait la qualité du récit : inattendu, tant dans les événements que dans les émotions de Garp. Il en reste un sentiment curieux qui vous contraint à achever le livre sans comprendre son intérêt.
Quelques descriptions font rire : « Aaa, fit Garp (le père), comme Jenny l’attirait en elle et s’accroupissait en pesant de tout son poids. – Garp ? demanda-t-elle. ça va ? Est-ce que c’est bon, Garp ? – Bon, approuva-t-il, très distinctement. (…) A mesure qu’il se recroquevillait et que sa semence suintait sous Jenny, il se retrouva une fois de plus réduit aux « Aaa » ; il ferma les yeux et pleura. Quand Jenny lui offrit le sein, il n’avait pas faim. (…) Elle se sentait plus féconde qu’une glèbe bien préparée – la terre nourricière – et elle avait senti Garp lâcher en elle un jet aussi généreux que celui d’un tuyau d’arrosage en été (à croire qu’il voulait inonder une pelouse).
D’autres épisodes sont quasi sordides : Le mouvement des Hellen-Jamesiennes appartient à un monde inconnu dans lequel des jeunes femmes se font couper la langue pour lutter contre la violence faite aux femmes en souvenir d’Hellen James, violée à l’âge de douze ans.
Il est impossible de raconter en quelques phrases le livre, trop long, trop imaginatif et, apparemment, banal. Il s’achève sur les enfants de Garp : « Dans le monde selon son père, comme le savait Jenny Garp (sa fille), il faut avoir de l’énergie. Sa célèbre grand-mère, Jenny Fields, nous voyait naguère comme appartenant à diverses catégories, les Externes (les hommes qui avaient été brûlés), les Organes vitaux (les hommes blessés qui souffraient en dedans), les Absents (des hommes qui avaient cessé d’être là) et les Foutus (absents souffrant de maux propres aux externes ou aux organes vitaux). Mais dans le monde selon Garp, nous sommes tous des incurables (de la concupiscence).
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