30/09/2013
Homme A
« Ecce homo » : Voici l’homme.
Existe-t-il ? Vous ne le rencontrerez pas vivant, mais vous vous en souviendrez. Chacun d’entre nous a, au moins une fois dans sa vie, rencontré un tel homme. Vous vous en souvenez. Il ne vous a pas marqué par une prestance particulière, ni la mise en valeur de son intelligence, ni même une extraordinaire sagesse.
Et pourtant il vous en est resté une impression de force douce, d’ardeur suave, de sérénité ferme. Vous pouvez partir au bout du monde avec lui en toute sécurité.
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19/09/2013
Votre histoire personnelle
« Je n’ai plus d’histoire personnelle. Lorsque j’ai eu la sensation qu’elle n’était plus nécessaire, je l’ai laissé tomber. », explique Don Juan Matus, le sorcier Yaqui de Carlos Castaneda.
Les Evangiles nous disent la même chose sous une autre forme : « Quitte ton père et ta mère », ce qui signifie quitte toutes tes attaches matérielles et surtout émotionnelles, sentimentales et même intellectuelles. Le Zen nous le dit également, mais différemment : « Calme ton esprit, soit présent à toi-même quoi qu’il arrive, fais le vide en toi, fais taire tes émotions ».
Mais sommes-nous capables de nous passer de notre histoire personnelle ? Certains nous diront : « Mais bien sûr, je serai heureux de ne plus penser à mes malheurs, de ne plus ruminer mes manques, mes défauts, mon impuissance à être. » Cependant, la plupart du temps, ils ne vivent que de leurs problèmes et ne peuvent s’intéresser suffisamment à autre chose pour ne plus y penser. D’autres penseront : « Mon histoire n’est pas brillante, mais j’y ai consacré suffisamment de temps pour ne pas la laisser tomber maintenant. » Et dans tous les cas, les autres ne vous adressent la parole que sur leur ou votre histoire personnelle : Qu’avez-vous fait ? Que pensez-vous de ? Alors si vous laissez tomber votre histoire personnelle, vous n’aurez plus de sujets de conversation ; vous deviendrez associable.
Tout ceci est vrai, mais votre histoire a-t-elle autant d'intérêt que vous semblez lui attacher ? Votre état civil, votre état familial, votre profession, votre rôle social ont-ils tant d’importance. N’êtes-vous pas autre chose derrière ces apparences successives ? Fouillez dans votre vie les instants les plus heureux. Ne sont-ils pas ceux pendant lesquels vous vous êtes oubliés, pendant lesquels vous avez perdu de vue votre moi immédiat ? Ces instants d’extase vécus devant un coucher de soleil, une musique qui vous sort de vous-mêmes, un tableau dans lequel vous vous noyez, ne sont-ils pas préférables à toutes les joies de votre petit moi. C’est justement lorsque vous abandonnez votre histoire personnelle que vous découvrez la vraie vie.
Alors tentons de tout laisser tomber. Partez un jour sans rien avec vous, habillez-vous différemment et laissez-vous porter par la vie, seconde par seconde, minute par minute, heure par heure. Quelles vacances rafraîchissantes !
07:41 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : spiritualité, philosophie, réalisation de soi, vérité | Imprimer
12/08/2013
Démocratie et valeurs démocratiques
La démocratie, régime politique dans lequel le peuple est souverain, est « le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple » (Abraham Lincoln, 16e président des États-Unis). Le gouvernement démocratique s’oppose au gouvernement monarchique ou dictatorial (pouvoir détenu par un seul homme) ou encore au gouvernement oligarchique (pouvoir détenu par un groupe restreint).
Mais lorsqu’on parle des valeurs démocratiques, on ne parle pas de gouvernement, mais d’un système sociétal comprenant un ensemble de valeurs et de principes régissant la vie en société.
Dans le premier cas, la démocratie est un système qui permet de départager les opinions des citoyens sur les idées, les règles et les personnes qui doivent gouverner. A 50,01% la démocratie a parlé. Ensuite, selon le régime démocratique (démocratie directe, démocratie représentative ou démocratie semi-représentative) soit le citoyen n’a plus droit à la parole, soit il continue de décider sur plus ou moins de projets ou de règles.
Par contre les valeurs démocratiques constituent beaucoup moins une valeur qu’elles veuillent bien le dire. C’est en fait une langue de bois utilisée par les gouvernants pour inciter le peuple à se départir de son droit. Les valeurs démocratiques sont pratiquées en communication gouvernementale pour que les citoyens ne soient libres que le jour des élections. Sortis de cette journée, ils sont assujettis à l’idéologie dominante (provisoirement, jusqu’à une nouvelle élection). Ainsi toute réforme que la majorité des gens refusent passe plus facilement si le gouvernement met en avant les valeurs démocratiques. Une fois élu, l’élu n’a plus à prendre le pouls du peuple. Celui-ci n’a qu’à s’exécuter puisqu’il l’a élu. Le gouvernement peut devenir quasi dictatorial.
Ainsi est détourné complètement l’esprit de la démocratie au nom des valeurs démocratiques :
· Liberté : oui, le jour de l’élection. Et à partir de ce jour, le citoyen est assujetti à la loi du gouvernement élu, sans aucune possibilité de contester les décisions.
· Egalité : celle-ci est le maître mot. L’égalité passe avant les lois de la nature. Elle permet de détourner la liberté à son profit.
· Fraternité ; oui, entre groupe du même bord, celui qui détient le pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche, l’essentiel étant la fraternité des élites contre le peuple ou la fraternité de l’excuse contre la sanction.
07:05 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, société, philosophie, démocratie | Imprimer
09/07/2013
La vérité
Nul ne peut découvrir la vérité avant d’être vrai.
Qu’est-ce qu’être vrai ? C’est unir en soi la pensée, l’action et la parole. Alors la vérité se dévoile d’elle-même.
Ce n’est possible que lorsque le moi est éteint. Tant que l’être fonctionne en mode égocentrique, il ne peut connaître la vérité. Au bout de lui-même, lorsqu’il n’est plus à lui-même, il trouve la vérité.
Mais pouvons-nous nous séparer de nous-même ?
07:45 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, méditation, unité, soi | Imprimer
30/06/2013
La dernière traque
L’art de la guerre est l’utilisation du vide. Ne voir que le plein des armées conduit à l’affrontement avec ses risques d’échec ou au moins de blocage. La manœuvre consiste à utiliser le vide pour s’emparer du plein. Celui-ci tombe comme un fruit mûr.
Le même constat est fait dans "Le rire de l’ogre", ce roman de Pierre Péju dans lequel Dodds dit : « Une sculpture, bien lourde, bien dure, c’est aussi à ça que ça sert : à révéler du vide. Tu vois l’espace entre les formes, c’est aussi une forme ».
De même encore, on ne se sent vivant que lorsqu’on se débarrasse de ses propres richesses. La difficulté de tout être vivant est de trouver cet équilibre entre la connaissance par l’expérience que donnent les années et l’amour ou la confiance qu’apporte une virginité à entretenir. Le noir et le blanc. Le blanc seul n’a pas de sens, il n’est que vide. Le noir seul est également vide. L’harmonie naît de cet équilibre entre le blanc et le noir, la marque d’une vie sous le regard de Dieu.
Selon les âges il appartient à l’homme de mettre l’accent sur un ou l’autre aspect. Il appartient à l’homme jeune de construire sa personnalité. Mais il lui faudra un jour ou l’autre la remettre en question sous peine de ne plus avancer. Il lui faudra se déconstruire pour poursuivre son enrichissement. Il devra abandonner certaines richesses physiques ou psychologiques (ses passions ?) pour progresser sur le chemin de la vie, et cela jusqu’à son dernier jour. Mais comment atteindre cette virginité d’esprit lorsque ces richesses sont grandes ? Plus l’on a reçu, plus il est difficile de ne pas s'enfler.
Méditer, c’est l’art de redécouvrir sa virginité, de redécouvrir le vide entre les pleins, c’est un art de guerrier. La dernière traque : celle de son propre fantôme fabriqué de toute pièce, qui n’est qu’apparence et fumée.
07:20 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, humain, spiritualité, vide | Imprimer
08/06/2013
Des hommes ou des femmes remarquables
Pendant longtemps j’ai pensé n’être entouré que de gens quelconques. Je comptais sur les doigts de la main les êtres qui m’avaient marqué et qui dénotaient de l’ordinaire. C’est après la lecture du livre de Gurdgieff, « Rencontre avec des hommes remarquables » que j’ai cherché ceux qui m’avaient semblé hors du commun pour des raisons diverses certes, mais qui tranchaient sur l’entourage habituel.
Je ne me posais pas la question de savoir dans quel camp je me rangeais, de même que je ne m’interrogeais pas sur les raisons de leur différence. Je comptais un oncle prêtre missionaire, un cavalier qui me donna confiance en compétition, un théologien orthodoxe, un musicien maître de chapelle et compositeur de chants sacrés, un capitaine qui manoeuvrait ces sections avec savoir et adresse et quelques autres, mais peu, qui me semblaient sortir de l’ordinaire. Certes je connaissais beaucoup de gens qui s’étaient fait des carrières en vue, qui étaient remarqués par leurs pairs et dont les articles de journaux parlaient avec éloge. Mais je constatais avec le recul qu’ils n’avaient rien d’extraordinaire et que seules les circonstances et leur habileté leur avaient permis d’obtenir la place qu’ils tenaient.
Ce n’est que récemment que j’ai découvert que la plupart des hommes sont remarquables, même s’ils ne sont pas remarqués. Faire le point de ses erreurs aide à faire un bilan de vie. J’ai vu mes erreurs, voire mon outrecuidance. Je n’ai jamais voulu être à la place où l’on me mettait. Mais dans le même temps, j’ai toujours cherché à obtenir la place que l’on voyait pour moi. En réalité, il y avait deux personnages en moi : celui qui se sentait libre de toutes contingence sociale ou sociétale et celui qui obéissait aux règles d’une société qui a besoin d’hommes précis à des postes précis. N’ayant jamais choisi vraiment, j’étais entre deux chaises, en équilibre instable.
Aujourd’hui je constate que la plupart des hommes sont remarquables ou, du moins, ont quelque chose de remarquable en eux. Pour certains c’est tout de même d’avoir été remarqués et d’avoir occupés des fonctions importantes en raisons de capacités réelles, professionnelles ou humaines. Pour d’autres, il s’agit de qualités plus personnelles, que l’on ne remarque pas de prime abord : égalité d’humeur, gentillesse, attention ou encore de qualités intellectuelles spécifiques telles que persévérance sur un but, capacités d’analyse, facultés d’écriture, etc. Pour d’autres encore ce ne sont que des dispositions en attente, non développées, qu’il convient d’aider à mettre en valeur. En fait chacun dispose de vertus qui font qu’il est un être unique parmi les milliards d’autres êtres uniques. Mais avons-nous le courage de chercher ce en quoi cet être se distingue ? La plupart du temps nous n’y pensons pas. Et même si l’on y pense, cela ne dure qu’un instant et nous sommes vite repris par l’habituelle cecité.
Ouvrons donc les yeux sur le monde et les êtres (hommes et même animaux qui sont eux aussi très différents les uns des autres, les chevaux me l’ont appris). Apprenons à distinguer en quoi cet être est unique et mérite d’être remarqué. Nous deviendrons remarquables à notre tour.
07:03 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, humanité, culture, philosophie | Imprimer
31/05/2013
L'art abstrait
Que signifie ce mot : "abstrait" ?
Il est assez curieux qu’une des définitions du dictionnaire nous affirme : « qui n’est pas concret, qui relève de l’abstraction, qu’on ne peut pas voir, mais qu’on peut concevoir par l’esprit ». L’abstrait serait donc quelque chose que l’on ne peut voir, comme le carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malévitch peint en 1918.
Pourtant l'art est perceptible et accessible aux sens. Alors que signifie les termes associés "art" et "abstrait" ? Pour aller plus loin, les rédacteurs du dictionnaire ajoutent donc : Se dit d’un art, par opposition à figuratif, qui ne représente rien existant dans le monde connu. L’art abstrait puise sa source dans un monde non directement accessible. Cela ne signifie pas que ce monde n’est pas perceptible, donc matériel. Cela signifie qu’il faut non plus se contenter de contempler le monde, mais entrer en lui pour s’en imprégner et recréer sa vitalité.
On comprend alors le double mouvement de l’abstraction dont parle Dora Vallier dans son livre "L’art abstrait"[1] :
D’un côté, l’abstraction tend à être une science de la beauté conçue comme un ordre et une harmonie et c’est ce qu’on appelle l’abstraction géométrique.
D'un autre côté, à partir de 1945, on assiste à une autre abstraction qui n’est plus la recherche de la forme, mais au contraire le désir d’exprimer, avant la forme et même en dehors d’elle, toute la richesse et la spontanéité de la vie intérieure, l’artiste se projetant sans écran dans son œuvre, et c’est ce qu’on a appelé l’abstraction lyrique ou informelle.
Dans les deux cas, la création ne vient pas d’une reproduction de formes ou d’ambiance existant dans la nature, mais d’une véritable naissance intérieure, d’un volcan humain dégurgitant son feu interne. Et selon la nature de l’artiste, cette abstraction emprunte à l’esthétisme ou à la psychologie son expression : conceptuallisation (composition élaborée de formes décomposables) ou bouillonnement (accouchement de tendances qui finissent par créer une forme finale).
07:57 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, philosophie, esthétisme, théorie de l'art | Imprimer
09/05/2013
Le beau
Si l’on recherche la signification des termes « beau » et « beauté » dans un dictionnaire, on est surpris et attristé de constater que le beau et la beauté ne signifient rien de très concret et sont même des concepts indéfinis.
« Est beau ce qui suscite un sentiment admiratif par sa supériorité intellectuelles, morale ou physique, ou encore, qui suscite un plaisir esthétique d’ordre visuel ou auditif. » (Larousse). La beauté n’est que « le caractère ou la qualité de ce qui est beau ou conforme à un idéal esthétique » (CNRTL)
Bref, est beau ce qui nous donne une impression de beauté et la beauté est la qualité du beau et nous ramène à l’esthétisme. Or l’esthétisme est le culte du beau (CNRTL) ou encore l’art de penser le beau, science de la connaissance sensitive (A. G. Baumgarten, philosophe allemand). Tout tourne donc autour du beau sans que l’on sache ce qu’est le beau.
Mais qu’est-ce qu'est le beau pour moi ? Comment je le définis ?
On peut commencer la réflexion en se demandant s’il y a un beau absolu, un idéal atteint que l’on pourrait prendre en référence. Ce beau absolu pourrait équivaloir à la notion de bonheur absolu. Et l’on pense immédiatement au paradis qui est notre représentation du bonheur absolu. Mais comment invoquer le paradis ? Chacun le voit ou tente plutôt de l’imaginer à sa manière. Et la notion de paradis disparaît en termes de connaissance commune ou de concept universel. Ceci ne nous dit toujours pas ce qu’est le beau.
Alors, plutôt que de tenter de définir ce qu’est le beau, essayons donc d’en trouver les caractéristiques.
Première caractéristique : L’impression de beau ressentie est propre à chaque personne. Je ne trouve pas forcément beau ce qui semble beau à mon voisin et inversement. C’est bien pourquoi le terme est si difficile à définir. Le beau implique une adhésion personnelle dans l’instant, adhésion non réfléchie, mais très prégnante.
Deuxième caractéristique : Si certes le beau est une impression personnelle, elle n’en est pas moins partagée par un grand nombre. Il y a donc bien une notion commune dans cette impression qui la fait reconnaître parmi les autres.
Troisième caractéristique : Le beau n’est pas fréquent. Il est exceptionnel. C’est la perle rare à contempler et dont on jouit parce qu’elle est différente. Certains paysages sont beaux parce que peu habituels. Cependant l’exception ne fait pas le beau. De nombreuses choses ou êtres sont exceptionnellement laids.
Quatrième caractéristique : Le beau est éphémère. Il s’agit certes de la notion de temps qui dénature progressivement le beau, mais également du sentiment ressenti face à quelque chose de beau. A trop contempler quelque chose ou quelqu’un de beau, on n’en mesure plus la beauté. On s’habitue à la beauté. Elle devient banale, donc sans la consistance du merveilleux qu’elle procure au premier abord. C’est bien en cela que le beau est une impression, voire un sentiment. Il s’envole dès lors qu’on en abuse.
Cinquième caractéristique : La notion de beau s’acquiert. Elle est le fruit d’une éducation et c’est en cela qu’elle est partagée. En conséquence, elle est liée à des conventions et à des modes. Mais jusqu’à un certain point. Le sentiment de beau se forme dans la jeunesse. On peut ensuite le développer. Cependant ce sentiment spécifique reste celui de notre enfance. C’est cette impression inoubliable de nos jeunes années qui est à la naissance de notre sentiment de beauté. On pourra ensuite se former culturellement à la beauté et notre adhésion sera liée à la raison et la culture. Il n’empêche que notre réel sens de la beauté est l’adhésion que nous avons rencontrée lorsque nous étions enfant.
Sixième caractéristique : Le beau ne s’exprime que sous une forme concrète. Son concept n’existe que parce qu'il est devant moi. On peut disserter sur le beau, mais on ne l’éprouve que devant une forme réelle, qu’elle soit visuelle, sonore, olfactile ou même intellectuelle.
Septième caractéristique : On pense souvent que le beau est lié à l’harmonie, voire à l’ordre. Mais est-ce si sûr ? Bien souvent le beau survient d’un dérèglement de l’ordre, comme dans le cas des éclairs lors d'un orage. Le beau de la peinture abstraite n’a pas d’ordre. Certes il peut avoir l’harmonie. Mais cette harmonie est subtile et ne se remarque pas de prime abord.
Huitième caractéristique : Le beau est balancement entre les formes, les couleurs, les sons, tout ce qui est qualité d’une chose. Et ce balancement est plus ou moins prévisible parce qu’il implique des répétitions. C’est particulièrement vrai dans la musique et dans la symétrie. On trouve belle une musique parce que ses phrases mélodiques peuvent être imaginées par l’auditeur avant même qu’elles ne soient jouées. Mais, dans le même temps, l’agencement inconnu des variations est nécessaire pour en faire la beauté. La chanson ordinaire est tellement prévisible qu’elle en devient rengaine.
Neuvième caractéristique : Le beau suscite la curiosité, l’attirance et, in fine, la satisfaction. Pour Emmanuel Kant, le beau est l'objet de la satisfaction désintéressée. On aime le beau parce qu’il nous satisfait sans que l’on puisse dire généralement pourquoi. Le beau rend heureux.
Dixième caractéristique : Le beau est ce qui résonne en moi et augmente, magnifie, exalte mon être. Dans le même temps, il procure un sentiment de communion intime avec l’univers.
Onzième caractéristique : Le beau est une communication, un échange sans parole entre ce qui m’émeut et mon être ému. Et cette émotion renforce sa beauté parce qu’elle nous transforme. Contempler le beau, c’est se laisser transformer.
Douzième caractéristique : Cette transformation est visible pour les autres. La beauté irradie et donne à celui qui la perçoit le privilège d’irradier à son tour la beauté.
Treizième caractéristique : La beauté est une clé de la compréhension intime du monde. « La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. » (Jean-Paul II). La beauté est la présence manifestée de l’invisible dans l’univers.
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15/03/2013
Danse soufi sur l’ennéagramme
Retour aux soufis en passant par Gurdjieff, cet étrange personnage. C’est très probablement lui qui a inventé cet ennéagramme. Le livre d’Ouspensky « Fragments d’un enseignement inconnu » (Stock, 1974) en donne une explication p.404.
http://www.youtube.com/watch?v=Qid15QgzXSI
Mais on est vite perdu dans les commentaires d'Ouspensky qui mêlent la théorie des octaves musicales mettant en évidence la discontinuité des vibrations et la déviation des forces à celle des chocs additionnels. Pour Gurdjieff, l’ennéagramme est le symbole universel du mouvement perpétuel : « Pour être compris, il doit être pensé comme étant en mouvement, comme se mouvant. Un ennéagramme figé est un symbole mort ; le symbole vivant est en mouvement. »
D’où cette danse qui met en évidence la ronde des hommes dans le mouvement perpétuel et l’importance pour ceux-ci d’entrer en harmonie avec ce mouvement.
Arrêtons-nous simplement à la beauté et à l’harmonie de la danse des hommes sur le chemin de l'éternité.
06:59 Publié dans 12. Trouvailles diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gurdjieff, philosophie, spiritualité | Imprimer
06/03/2013
Quelle différence entre la littérature, la musique et l’art plastique ?
Quelle différence entre la littérature, la musique et l’art plastique ?
La littérature est là pour raconter une histoire, que celle-ci soit une histoire dans l’histoire, des réflexions sur l’histoire de l’homme ou encore l’histoire de ce qui pourrait se passer dans l’avenir. Bref, la littérature raconte, avec sérieux, avec humour, avec vindicte, avec émotion, le temps qui passe et ce qui reste de ce temps.
La peinture est plus subtile. Certes pendant longtemps, elle a elle aussi raconté une histoire, à sa manière, par les yeux et non les oreilles. Mais la photographie, puis, le cinéma, la télévision et maintenant les multimédias ont mis à mal la peinture d’antan, les paysages, les portraits et l’académisme. Désormais la peinture, pour une bonne part, ne raconte plus, elle rêve, en couleurs, en formes, en mouvement ou même à l’arrêt tel le carré blanc sur fond blanc, de Malévitch. Son objet est d’éveiller en nous des émotions, des sensations, des sentiments, bref du rêve qui reste encore palpable parce qu’on peut toucher les œuvres, qu’on peut les regarder, qu’on peut même les sentir. Mais elle s’approche tranquillement de la musique, en sœur plus jeune. Il faut une part d’imagination, d’exaltation, voire de délire, pour apprécier la peinture telle qu’elle se présente aujourd’hui. Beaucoup n’y comprennent plus grand-chose. L’abstraction leur est négation parce que coupée de l’histoire et des histoires.
La musique ne raconte rien, sauf la musique de films et quelques pièces drôles parce qu’imitant les bruits de la vie humaine, animale, végétale ou minérale. Telles sont la Poule de Rameau, le Tic toc choc de Couperin, le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, le Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messian et bien d’autres compositions charmantes. Mais la musique va au-delà de l’histoire et de ses apparences. Que fait-elle ? Elle nous enchante sans que l’on puisse réellement savoir pourquoi. Elle va même plus loin. Elle est construite autour d’une mathématique différente de celle qui nous est enseignée: pas de système décimal, mais plusieurs systèmes (octave à cinq notes comme dans la musique asiatique, à sept notes dans la gamme diatonique, à douze notes chromatiques, voire d’autres comme dans la musique indienne). Les écarts entre les notes ne sont pas exactement semblables selon la manière d’accorder l’instrument et l’époque, etc. Qu’est-ce à dire ? L’harmonie des sons procède d’une autre logique que la logique décimale. Diviser l’octave en dix sons et vous n’aurez qu’une cacophonie. Il ne s’agit donc pas de penser la musique en termes de fréquences, c’est-à-dire en considérant la succession des notes, mais d’atteindre la véritable cosmologie de la musique, dans son étendue temporelle et spatiale. La musique exprime le Tout Autre derrière la matérialité des instruments et la physique des sons.
Et pour accompagner cette réflexion, appuyez-vous sur une musique de John Cage :
https://www.youtube.com/watch?v=NR0zVdjYXcw
08:00 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, philosophie, musique, littérature, peinture | Imprimer
27/02/2013
Qu’ai-je donc fait, de Jean d’Ormesson
J'ai tenté de lire d’Ormesson il y a longtemps, si longtemps que je ne me souviens plus de quel ouvrage il s’agissait. Je m’étais ennuyé, le trouvant pédant. J’ai acheté ce livre dans un vide grenier et en ai commencé la lecture. Miracle, les 70 premières pages m’ont passionné. Je l’ai trouvé drôle, cultivé, au fait des questions éternelles sur l’homme, sur ce que chacun d’entre nous est et sur ce qu’il est lui-même. « C’est moi » est son leitmotiv des premiers chapitres : Bonjour. Bonsoir. C’est encore moi. Ne me dites pas que j’exagère... C’est vrai, j’ai du mal à me quitter.
Mais immédiatement après, il constate que moi, c’est vous : Chacune des créatures conquérantes et voués au néant qui sont passées sur cette planète a le droit de se lever et de dire : « Moi » comme moi. Je suis moi. Chacun de vous est un moi comme moi. Je – mon Dieu – est un autre. Aussi finit-il ce chapitre par cette supplique : Ne m’accusez pas, je vous prie, de ne m’occuper que de moi ; En parlant de moi, je parle de vous. Quel beau pied-de-nez !
Bien qu’il ne parle que de lui – et du temps – il reste primesautier. Progressivement, il commence à faire étalage de sa culture. Pris sous l’angle de l’humour, cela passe. Il parle de sa paresse : Tout m’amusait. Rien ne me retenait. Tout me plaisait. Rien ne m’attirait. Il avoue même qu’il écrit toujours la même chose. Il aimait apprendre. Il était curieux. Puis il entre dans son côté plus « Regarde-moi » alors qu’il dit dans le même temps « Je ne cherche pas à plaire… Je vise à mieux : à me plaire. Le succès me paraît être un résultat et non un but. » C’est sûrement vrai, mais faut-il le dire ? Tous le proclament un fois le but atteint. Le livre change donc de portée. Il parle de sa famille, de ses ancêtres, de ses châteaux, de leurs rapports avec Dieu, de leur manière de table. Et cela perd le livre qui jusqu’ici nous charmait malgré certains dérapages. Il parle également de son Ecole, de ses professeurs, des trotskistes. C’est long et ennuyeux, malgré quelques beaux effets de style. Ce contraste entre la rue d’Ulm et sa famille lui permet de constater que tout s’écroule, sauf l’argent : l’argent hier, était, sinon une force de l’ombre, elle ne l’a jamais été, du moins un outil subalterne, un instrument au service du pouvoir. Tout, désormais, tourne autour de lui. Il est devenu le pouvoir.
Il reprend alors sa méditation sur Dieu et ses liens avec les hommes dans la troisième partie du livre, mais de manière indirecte. L’homme est le seul être capable de penser le tout. Il est remonté au big bang, il peut prédire comment les étoiles finiront. La vie et, au-delà de la vie, l’univers sont des machines à transformer l’avenir en passé. L’avenir ne se transforme pas directement en passé : il passe par le présent. Le monde est un paradoxe et un mystère parce que l’homme est dans le temps. Jean d’Ormesson tente alors de faire coïncider la physique et la métaphysique dans des évocations brèves de l’espace, de la lumière, de l’eau, de la pensée, de la parole. Et toujours, il revient au temps. Il me semble que le temps n’est pas fermé sur lui-même et qu’il renvoie à autre chose. A quoi ? A l’éternité. (…) Dans ce monde, le temps est tout, mais, au regard de l’idée que nous sommes capables de nous faire de l’infini, il est une limite, une servitude, une imperfection. Il est la marque de notre condition misérable. A l’origine de l’univers, il naît avec le tout qu’il accompagne de bout en bout. Il est signe d’autre chose, vers quoi nous nous précipitons. De quoi est-il donc le signe ?
Dieu est caché, nous dit l’auteur. On ne peut ni prouver son existence, ni son inexistence. La science s’arrête à l’existence de l’univers, au-delà qu’y a-t-il ? La science est là. Dieu est ailleurs. Hors de ce monde. Hors du temps. A l’écart de nos lois que déchiffre la science. La science parle. Dieu se tait. La science est présente sur tous nos fronts. Dieu est absence.
Qu’a-t-il donc fait, finalement ?
Il a essayé d’être libre. Et ce qui l’intéresse, c’est l’avenir. Il s’obstine à lui faire confiance. Qu’ai-je donc fait ? Rien, bien entendu. Je le dis sans affectation et avec un peu d’orgueil. Rien, dans ce monde et dans le temps, ce n’est déjà pas si mal. Je suis entré dans le temps. J’ai fait partie de ce monde. C’est une chance inouïe, un bonheur et un triomphe. (…) Je me retourne encore une fois sur ce temps perdu et gagné et je me dis, je me trompe peut-être, qu’il m’a donné – comme ça, pour rien, avec beaucoup de grâce et de bonne volonté – ce qu’il y a eu de meilleur de toute éternité : la vie d’un homme parmi les autres.
Oui, on peut le dire, à côté de ses fièvres aristocratiques agaçantes, en dépit de son côté satisfait d’être ce qu’il est, Jean d’Ormesson sait nous faire lire l’histoire d’une autre manière, englobant ce qui préoccupe les hommes depuis des temps immémoriaux : d’où je viens et où vais-je ? Et celui qui dit moi, c’est nous.
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25/02/2013
Le mystère de l’unicité des êtres
Chaque homme est unique. Contrairement à ce que beaucoup pensent, le monde animal possède le même mystère. De même que dans le monde humain, chaque animal est unique et se distingue de son voisin bien qu’il appartienne à la même espèce. Chacun d’entre eux détient une phéromone spécifique qui en font un spécimen singulier, un trésor étonnant parce que seul au monde. Et il en est de même des plantes, des cailloux, des astres et des galaxies.
Seule la mémoire, parce que défaillante et peu perspicace, seule notre cécité devant les mystères du monde, font croire au hasard et à la nécessité, à l’ennui et à la norme. Dieu, dans sa subtile inspiration, invente pour chaque être humain un lieu de singularité, la chambre d’accès à sa magnificence. Elle se manifeste par le physique, par le psychisme et plus profondément encore par l’âme, unique pour chacun de nous.
Oui, l’âme est la chambre des secrets qui ouvre à l’au-delà du temps, un monde où tout est épanouissement et enchantement. Les yeux ouverts dans notre achèvement, nous contemplons le monde divin à travers la réalisation des autres et de nous-mêmes.
Rien n’est jamais semblable lorsque le temps s’arrête, alors que nous imaginons généralement un monde immobile et souverainement ennuyeux. Le paradis, c’est la rencontre des contraires, l’arrêt et la vitesse infinie d’un temps qui devient autre. Sorti du temps et de l’espace de notre univers, l’homme devient Dieu, ou presque. Il n’est plus ni vivant ni mort au sens terrestre, il baigne dans une félicité intérieure et extérieure (mais peut-on dire qu’il sache encore où se trouve l’extérieur et l’intérieur ?) où tout est arrivé à sa propre réalisation.
07:07 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amour, conscience, philosophie, réalisation de soi | Imprimer
09/02/2013
Imaginaire et réel
Victor Segalen dans Equipée (p.11) pose une drôle de question : « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ? »
J’ai d’abord cru à une galéjade devant cette proposition. L’imaginaire et le réel sont différents et n'ont pas de rapport entre eux. Mais, en réfléchissant, il m’apparut qu’il n’était pas inintéressant de se poser la question. Mais elle peut se poser de deux manières : soit l’imaginaire mène au réel, soit le réel est le point de départ de l’imaginaire.
En réalité, chaque jour, l’homme élabore son avenir en l’imaginant. C’est même pourrait-on dire le propre de l’homme : voir loin, imaginer et agir dans le sens de son intérêt ou de ses valeurs. Il dispose maintenant d’outils spécialisés pour affiner sa réflexion : statistiques, méthode des scénarii, et même, depuis longtemps, voyance.
Mais l’inverse est également vrai : on ne peut commencer à imaginer un avenir qu’à partir du présent, c’est-à-dire du réel. La boucle est bouclée, les deux hypothèses sont vraies.
Ce n’est cependant pas exactement ce que dit Victor Segalen : « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ? » On peut déjà supposer que l’imaginaire dont il parle n’est pas la capacité d’imaginer un avenir, mais celle de créer un monde nouveau, déconnecté de la réalité, réellement né de son imagination. Il ne s’agit donc plus d’utiliser l’imaginaire pour se rapprocher du réel en le confrontant aux exigences des contraintes. Il s’agit de savoir si l’utilisation de la réalité dans l’imaginaire affaiblit celui-ci ou, au contraire, le renforce.
Disons d’emblée et tout net : l’imaginaire s’inspire toujours de la réalité, sinon il serait incompréhensible et non porteur de valeurs. La réalité est obligatoirement un point de départ de l’imaginaire. En effet, il faut bien utiliser les images, les sons, le langage, qui représentent la réalité quotidienne, pour commencer à imaginer quelque chose qui en dérive. Au-delà même de ces matériaux communs au réel et à l’imaginaire, il y a l’utilisation d’un contexte ou simplement d’un objet ou même d’un sentiment qui permet de passer du réel au fictif. On peut penser que l’imaginaire s’inspirant du réel pour ensuite bifurquer vers la fiction, renforce nettement l’intérêt du spectateur, lecteur, auditeur ou autre pour l’imaginaire né de cette réalité. La bonne science-fiction est proche d’une réalité qui peu à peu bifurque. Les extraterrestres n’intéressent le lecteur que dans la mesure où ils sont confrontés aux humains. Rien ne sert de les décrire si aucun homme n’est présent, ou, au moins, des créatures proches de l’humain.
Mais en est-il de même de l’imaginaire pictural ? Il semble bien que non, tout au moins au premier degré. La peinture abstraite est totalement imaginaire, sans référence au réel, au moins une partie. Cependant, est-ce si vrai ? Les tachistes, sans véritablement s’inspirer du réel, rejoignent le réel dans leur peinture, réel naturel et minéral, réel quasi artificielle, dû au grossissement du microscope électronique, ou encore réel conceptuel de la géométrie, qui rend compte d’une réalité abstraite, tels l’art cinétique ou l’art optique. Là aussi, in fine, et contre parfois l’avis des artistes, l’imaginaire se renforce du réel.
Enfin, l’imaginaire mathématique se renforce-t-il du réel ou au contraire s’appauvrit-il ? On peut tout de suite dire que le but des mathématiques est de conceptualiser le réel, de le rendre compréhensible, de le réduire en équations simples qui explique de manière claire la complexité du monde. Le réel renforce bien l’imaginaire pour l’aider à tendre vers une compréhension du monde.
In fine, on peut sans doute conclure que c’est l’imaginaire qui permet non pas de construire le réel, mais de l’aménager dans un sens favorable. Il se renforce dans sa confrontation au réel. Mieux même, il renforce lui-même le réel, le rend plus humain (pas forcément plus juste). L’imaginaire est l’énergie de l’évolution.
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24/01/2013
Les incertitudes de la science
« La cible privilégiée de René Thom, ce sont tous les savants qui, à la manière de Prigogine, nous expliquent que le monde n’est que bruits et hasards : la « prétendue science du chaos ».
Prigogine, selon Thom, a amalgamé dans une science du chaos des phénomènes essentiellement différents, dont relèvent du déterminisme et d’autres de la description probabiliste. Thom reprend l’exemple de la pièce de monnaie cher à Prigogine : Prigogine nous a expliqué qu’il est par définition impossible de prévoir si une pièce lancée en l’air retombera sur pile ou sur face, et que la seule détermination est d’ordre statique. Cette image d’incertitude et de probabilité résumerait assez bien, selon Prigogine, l’état actuel de la science contemporaine. Mais, me dit Thom, Prigogine nous abuse : si les physiciens ne peuvent pas prévoir le mouvement de la pièce, ce n’est pas parce que c’est impossible, mais parce que c’est expérimentalement difficile et coûteux. Cette prévision reste théoriquement possible pour un observateur qui contrôlerait les conditions initiales du jet de manière assez précise. »
Guy Sorman, Les vrais penseurs de notre temps, Fayard, 1989, p.61
René Thom, mathématicien français (1923-2002), n’était pas que mathématicien. Il s’intéressait également à la philosophie. C’est cette alliance entre les mathématiques et la philosophie qui lui font dire que la théorie du hasard et du chaos n’est qu’une mode intellectuelle. Prétendre que la matière ou la vie sont les produits du hasard, c’est se glorifier de son incompréhension, accepter que le monde ne soit pas intelligible.
Bref, Thom pense qu’il faut retrouver Aristote et rapprocher le quantitatif du qualitatif, le sensible et l’intelligible, la science et la conscience.
Le génie est moins dans la science des mesures que dans une science herméneutique : l’interprétation des signes par les mathématiques.
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03/01/2013
Notre idéal de vie
En lisant « Le Petit Sauvage », roman d’Alexandre Jardin (nous en reparlerons), on en vient immanquablement à s’interroger sur sa vie d’adulte. Ai-je bien réalisé la vie dont j’ai rêvé enfant, ou plutôt l’idéal de vie qui constitue le plus profond de ce que j’ai rêvé d’être ? Alexandre choisit le retour à l’enfance de ses huit ou de ses treize ans. Mais il échoue, rattrapé par l’écoulement des ans. Le retour à l’enfance ne peut être un idéal de vie. Ce serait se rogner les ailes. La seule vraie enfance est celle qui reste devant nous. Mais encore faut-il ne pas la perdre de vue.
Ne jamais oublier l’idéal que nous nous sommes fixé. Mais d’abord quel est-il ? En y réfléchissant, il m’apparaît que l’important est de conduire au maximum de leurs possibilités chacune des parties de mon être, même si ce maximum n’atteint pas le niveau d’un prix Nobel. Tout le monde ne peut prétendre à cette récompense, ni même à une renommée internationale ou même nationale. Au fond, peu importe la reconnaissance que peuvent avoir les autres de ce que vous avez fait. L’essentiel est de l’avoir fait et de sentir que vous vous êtes épanoui à développer cette partie de vous-même.
La quête du graal, c’est la quête de soi-même. Vous courrez derrière jusqu’au jour où vous comprenez que l’important n’est pas de se trouver, mais de parcourir le chemin qui vous permettra de vous trouver. Epuiser toutes les possibilités de chacune des parties de son être, les amener à leur maximum, partie après partie, jusqu’à faire le tour de soi-même. Et si vous avez bien compris cet idéal de vie, vous n'atteindrez jamais ce tour de vous-même. Vous mourrez en cherchant encore et encore à améliorer telle ou telle partie de votre personnalité que vous n’avez pas encore développée.
En chemin, c’est-à-dire tout au long de la vie, ne pas se laisser attirer par ce qu’attendent les autres de vous. Ils vous voient à telle place, ou à telle autre, dans telle ou telle position sociale, professionnelle, familiale, etc. Non, être soi-même, c’est ne jamais déroger à la règle principale : se donner à fond pour toujours découvrir, embrasser le monde, lui apporter notre contribution, sans jamais chercher à en recueillir des intérêts. Et pour cela toujours s’améliorer, innover, s’enrichir sans esprit de patrimoine. Il suffit que chaque étape corresponde à une possibilité d’épanouissement pour vous-même.
Alors vous approchez du bonheur, sans jamais le saisir totalement. Vous avez sur vos lèvres cet avant-goût de paradis, vous buvez le lait de la félicité, mais sans jamais en profiter. Simplement, le laisser s’écouler et vous y baigner.
La vie est un apprentissage. Le jour où l’on n’a plus rien à apprendre, on meurt, même si l’on se croit toujours vivant.
07:05 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, philosophie, épanouissement, réalisation de soi | Imprimer
31/12/2012
La femme qui attendait, roman d’Andreï Makine
Une femme si intensément destinée au bonheur (ne serait-ce qu’à un bonheur purement physique, oui, à un banal bien-être charnel) et qui choisit, on dirait avec insouciance, la solitude, la fidélité envers un absent, le refus d’aimer…
Ainsi commence ce roman qui tourne autour du corps de la femme, une femme qui refuse de croire à la mort de son fiancé plus de trente ans plus tard. Et ce refus est parfois synonyme de mort. Il se traduit par le froid des paysages, les changements de temps, le bruit de la glace qui tombe des toits. Et d’autres fois, il devient pleine vie, au-delà des apparences, grâce au soleil d’un printemps qui met du temps à venir, à une fleur ramassée dans la campagne.
Et c’est bien à une retraite que nous convie l’auteur, retraite au-delà de la vie, dans cette après-vie, avec de vieilles personnes près de la mort : Elle dort dans une sorte de mort anticipée, au lieu du temps qu’elle a suspendu à l’âge de seize ans, marchant en somnambule parmi ces vieilles qui lui rappellent la guerre et le départ de son soldat… Elle vit un après-vie, les morts doivent voir ce qu’elle voit…
Peu à peu, il apprivoise cette femme, avec douceur, mais désir de son corps. Elle est belle malgré son âge. Elle semble pleine de désirs cachés. Il apprend ses rêves : J’ai attendu le train de Moscou… Cela m’arrive de temps en temps. Toujours presque le même rêve : la nuit, le quai, il descend, se dirige vers moi… Cette fois, c’était peut-être encore plus réel qu’avant. J’étais sûre qu’il viendrait. J’y suis allée, j’ai attendu. Tout cela est déraisonnable, je sais. Mais si je n’y étais pas allée, un lien se serait rompu… Et ce ne serait plus la peine d’attendre… Il apprend à la connaître doucement : Ses paupières battaient lentement, elle leva sur moi un regard, vague et attendri, qui ne me voyait pas, qui allait me voir après le passage des ombres qui étaient en train de traverser. Je devinais que durant cette cécité, je pouvais tout me permettre. Je pouvais lui prendre la main, je touchais déjà cette main, mes doigts remontaient sans peser sur son avant-bras. Nous étions assis côte à côte et la sensation d’avoir cette femme en ma possession était d’une force et d’une tendresse extrêmes.
Elle finit par se donner à lui, égarée, enfantine en amour, fière de sa condition féminine : Cette femme sûre disparut dès les premières étreintes. Elle ne savait pas qui elle était en amour. Grand corps féminin aux inexpériences adolescentes. Puis une véhémence musculeuse, combative, imposant sa cadence au plaisir. Et de nouveau, presque l’absence, la résignation d’une dormeuse, la tête renversée, les yeux clos, la lèvre fortement mordue. Un éloignement si complet, celui d’une morte, qu’à un moment, me détachant d’elle, je lui empoignais les épaules, la secouait, trompé par sa fixité. Elle entrouvrit les yeux, teintés de larmes, me sourit et ce sourire se mua, respectant notre jeu, en un rictus trouble de femme ivre. Son corps remua.
C’est un roman poétique, empli de la féérie des saisons de glace, des forêts immenses, des villages sans âme. Et progressivement se déroule l’histoire, dans laquelle l’imagination a autant d’importance que le réel vécu. Un rêve que l’auteur vit de manière très concrète, attaché à de petits riens qui sont autant de construction de la réalité. Il se prépare à repartir, sortir de cette après-vie qui semble la vie normale de ce village de vieilles femmes sur laquelle veille une femme plus jeune, encore désirable. Oui, c’est un beau roman !
07:10 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, femme, vie, féminité, solitude, philosophie | Imprimer
17/12/2012
Le mystère de la matière noire (Arte-TV)
http://videos.arte.tv/fr/videos/le-mystere-de-la-matiere-noire--7112260.html
Une matière inconnue occupe 95% de l’univers et elle est invisible. Est-ce de la matière ou autre chose ? Personne ne le sait. On sait ce qu’elle n’est pas, mais on ne sait pas ce qu’elle est. Tous les scientifiques se penchent sur le problème sans pour l’instant avoir trouvé la solution. Ils le tentent par tous les moyens : l’astronomie, les radiotélescopes, l’infiniment petit, sous terre avec le LHC. Rien pour l’instant.
Mieux même, derrière la matière noire se cache l’énergie noire (ou sombre), détectée par le fait que l’univers accélère son expansion. L’espace se reproduit de plus en plus vite et cet agrandissement s’oppose à la gravitation.
Quelle ignorance ! Les atomes ne représentent que 5% de l’univers. La matière noire, inconnue, en représente 23%. L’énergie noire 72%. Et on en sait encore moins sur celle-ci que sur la matière noire. Mais dans le même temps, quel savoir ! Il existe quelque chose dont on ne sait rien, mais on sait, indirectement, qu’elle existe.
Quelle exaltation ! Nous aurons toujours quelque chose à découvrir. C’est bien le propre de l’homme, cette curiosité insatiable qui le pousse encore et toujours à aller au-delà de ce qu’il connaît. Qui, il y a encore cinquante ans, aurait pu soupçonner que l’ignorance de l’homme était aussi grande. On pensait, en auscultant l’idée du big-bang, arriver à savoir d’où nous venons et où nous allons, et l’on se trouve devant un puit sans fond qui attire les étoiles et les galaxies toujours plus loin.
Jusqu’où « Dieu » va-t-il nous entraîner ?
07:54 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : apocalypse, univers, savoir, galaxies, ignorance, philosophie, religion | Imprimer
15/12/2012
Le li
Pour Zhu-Xi (1130-1200), adepte du néo-confucianisme, toute chose, donc l’homme également, est formée d’un principe ordonnateur, le li, et de la force vitale, le qi. L’apparence extérieure est définie par le qi. Le li détermine le caractère, la nature, l’être de la chose, des événements ou de la personne. Le qi façonne l’être tandis que le li détermine sa véritable nature. C'est un peu l'opposition entre le moi et le soi des hindous. Ce principe ordonnateur préexiste au monde et à tous les objets qu'il renferme.
La masse d’eau de l’océan symbolise bien ces deux concepts qui se côtoient en chacun d’entre nous. Sa surface met en évidence sa force, mais ses profondeurs restent inchangées quoi qu’il arrive et détermine sa véritable nature.
Une gravure conçue il y a longtemps, mais qui reste d’actualité.
07:44 Publié dans 25. Création gravures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arts plastiques, gravure, philosophie, confucianisme, religion | Imprimer
12/12/2012
Les deux cages
Ainsi s’intitule ce très bref récit, cette fable ou parabole, de Khalil Gibran, publié dans l’opuscule "Le fou" :
Dans le jardin de mon père, il y a deux cages. Dans l’une, il y a un lion que les esclaves de mon père avaient apporté du désert de Ninive ; dans l’autre, il y a un moineau silencieux.
Chaque jour, à l’aube, le moineau s’adresse ainsi au lion : "Bonjour, frère prisonnier !"
A quoi tient donc notre égalité entre les hommes ? Elle n’est due ni à notre corps, qui marque des différences importantes avec ceux de nos voisins, ni à notre intelligence, ni à nos dons multiples. Chaque homme est homme par les différences qu’il a par rapport aux autres hommes. Alors, où est l’égalité ?
Nous sommes tous prisonniers du monde dans lequel nous vivons et chacun fait de cette prison un royaume ou un enfer. Qu’êtes-vous, vous qui dormez dans votre cellule ou qui rugissez entre les barreaux ou encore qui rêvez à ces paysages du dehors, inaccessibles ? Vous êtes le lion, puissant et fier, mais prisonnier.
Et ce moineau, qu’a-t-il de plus ? Il est silencieux, c’est-à-dire qu’il ne parle pas pour ne rien dire. Chaque matin, il apporte sa goutte de rosée à la journée : « Bonjour, frère prisonnier ! » Il est conscient de ce qu’il vit, de cette prison imposée à lui-même. Mais il la dépasse par cette adresse à son frère. Et cette adresse est un rayon de soleil pour tous : que le jour soit bon malgré notre prison. Nous sommes frères devant la vie et nous serons frères devant la mort. Puis, plus de prison.
07:17 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, spiritualité, philosophie, égalité | Imprimer
08/12/2012
Le démon et mademoiselle Prym, récit de Paulo Coelho
Le bien et le mal, éternels opposés, mais toujours tellement proches l’un de l’autre en un seul être humain, si bien que le problème permanent de l’homme, n’est pas de se comporter tantôt bien tantôt mal, mais de marcher sur la crête incertaine qui les sépare, sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre.
Quelle idiotie, me direz-vous. Certes, je ne parle pas du bien à la manière de saint François d’Assise ou du mal à la manière d’Hitler (sans doute parce que j’ai encore en souvenir le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt). Je parle des petits biens et des petits maux qui sont à notre portée. Ils sont si opposés et si proches en même temps. On croît faire le bien, mais le résultat ou les conséquences deviennent des maux, et inversement. De plus, la frontière n’est jamais visible. Elle se faufile comme une ficelle tombée par terre, tantôt à gauche vers le mal, tantôt à droite, vers le bien. Et elle bouge. Alors cette instabilité est décourageante. Comme l’équilibriste sur son fil, il faut regarder au loin, et ne jamais baisser les yeux, sinon le vertige vous prend et vous conduit d’un côté ou de l’autre.
C’est l’histoire de Mademoiselle Prym, Chantal, serveuse de bar dans un village perdu et paisible qui, en un jour, ne regarde plus au loin et se laisse entraîner à droite et à gauche selon les circonstances. L’étranger, arrivé la veille, lui montre des lingots d’or qu’il a cachés dans la terre. Pour la séduire, pense-t-elle. Je ne me laisse pas prendre par un piège aussi grossier. Mais… Elle pourrait apprendre à l’aimer. Et l’homme lui dit : « C’est exactement ce que je veux savoir. Si nous vivons au paradis ou en enfer. » Il poursuit : « J’ai découvert que si nous avons le malheur d’être tentés, nous finissons par succomber. Selon les circonstances, tous les êtres humains sont disposés à faire le mal. » Enfin, il propose son marché : « Si au bout de sept jours, quelqu’un dans le village est trouvé mort, cet argent reviendra aux habitants et j’en conclurai que nous sommes tous méchants. Si vous volez ce lingot d’or mais que le village résiste à la tentation, ou vice versa, je conclurai qu’il y a des bons et des méchants, ce qui me pose un sérieux problème, car cela signifie qu’il y a une lutte au plan spirituel et que l’un ou l’autre camp peut l’emporter. (…) Si, finalement, je quitte la ville avec les onze lingots d’or, ce sera la preuve que tout ce en quoi j’ai voulu croire est un mensonge. Je mourrai avec la réponse que je ne voulais pas recevoir, car la vie me sera plus légère si j’ai raison – et si le monde est voué au mal. »
Et commence les tractations qui font l’objet du livre. Vers quoi Chantal, puis les habitants, vont-ils pencher ? Va-t-elle dire aux autres ce que l’étranger lui a dit ? Va-t-elle prendre au moins un lingot ? Les habitants vont-ils s’entendre pour tuer quelqu’un ?
C’est une fable que nous conte Paulo Coelho qui dévoile en même temps la nature humaine, ni ange, ni démon. Chantal explique : « Moi, je ne sais pas si Dieu est juste. En tout cas, Il n’a pas été très correct avec moi et ce qui a miné mon âme, c’est cette sensation d’impuissance. Je n’arrive pas à être bonne comme je le voudrais, ni méchante comme à mon avis je le devrais. »
06:30 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, spiritualité, religion, philosophie, bien et mal | Imprimer
17/11/2012
Gaité, joie ou bonheur ?
Paradoxe de la gaité : elle rend triste quand on en a perdu l’objet.
La joie n’a plus d’objet particulier. Elle se nourrit de tout. Elle est l’objet. L’école de la joie est une école de juste milieu.
Le bonheur n’a plus d’objet. Il est présent dans la durée par le fait qu’il n’est lié ni aux impressions, ni aux sentiments, ni même à la réflexion. Le bonheur est l’aboutissement d’une vie et sa transformation. C'est un instant de grâce qui se prolonge au-delà des jours.
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09/11/2012
Apprendre à vivre et à mourir
« Il faut apprendre à vivre tout au long de sa vie, et, ce qui t'étonnera davantage, il faut, sa vie durant, apprendre à mourir. », disait Sénèque.
On ne peut monter haut sur une échelle en sautant à cloche pied. Tantôt à droite, tantôt à gauche, on s’élève alors sans fatigue.
De même, on ne comprend la vie qu’en comprenant la mort, et inversement. Mais, dans le même temps, on ne sait rien de la vie et de la mort. Car la vie, comme la mort, c’est apprendre. La vie est là pour nous dire de ne pas s’attacher à nous-même, à nos préoccupations, à nos habitudes. La mort est là pour nous détacher de nous-même et nous contraindre à nous interroger en faisant abstraction de notre petite personne.
S’aimer soi-même est indispensable à une vie épanouissante, mais s’oublier soi-même est indispensable à une mort bien vécue. Alors, efforçons-nous de sortir de notre narcissisme ! Aimons-nous en tant que personne unique dont le seul objet est de découvrir que les autres sont également uniques et digne d'être aimés.
07:17 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, méditation | Imprimer
27/10/2012
Le bruit de l'eau, nouvelle de Jacqueline de Romilly
J’écoute le bruit de l’eau qui coule patiemment dans la vasque et de la vasque dans le bassin ; et je me souviens.
Elle, celle qui se souvient, n’est pas l’auteur. C’est une certaine Anne qui évoque sa maison du Lubéron. Elle est n’importe qui, nous dit Jacqueline de Romilly, comme l’indéfini en anglais, an, any. Et comme savait si bien l’évoquer Marcel Proust, cette eau qui coule éveille milles souvenirs : l’achat de cette maison, les premiers instants seule dans le jardin, le jour où ce refuge commence à prendre une âme. Au-delà, c’est la vie elle-même qui est évoquée, une vie qui prend du poids, qui devient adulte à presque cinquante ans. Adulte, c’est-à-dire sereine, au moins pour un court moment, qui laisserait sa marque, en dépit des oublis et des transgressions.
J’ai eu l’impression que mon cœur gonflait, sans que je sache si c’était bien de gratitude ou de mélancolie, de plénitude ou bien de vide. Le bruit de l’eau était comme une chanson, toujours la même, présente, fidèle, secrète, interminable…
07:45 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, philosophie, livre, écriture | Imprimer
07/08/2012
Le roman pour Milan Kundera
Ces réflexions sont issues de la deuxième partie intitulée "Entretien sur l’art du roman", du livre L’art du roman, de Milan Kundera.
Le romancier n’est ni historien ni prophète : il est explorateur de l’existence. Ainsi se termine l’entretien. Cette phrase résume la vision de Kundera sur l’art du roman. Le roman est un morceau d’existence. Son but n’est pas d’examiner la réalité ou simplement de créer une réalité imaginaire. Il est d'explorer toutes les possibilités humaines, tout ce qu’un homme peut devenir et de voir ces possibilités se transformer en réalité en étant dans le monde. Le roman met face à face les intentions fondamentales de l’homme avec la réalité dans l’action. Le caractère paradoxal de l’action, c’est une des grandes découvertes du roman, nous dit Kundera. C’est en cela que l’écriture romanesque est passée d’un descriptif de ce que fait l’homme à la description de ce qu’il pense et vit intérieurement. Mais cette description n’est ni morale, ni philosophique. Elle est confrontée aux aléas de la vie et des situations. Dans le roman, l’intention et l’action sont le nœud de l’intrigue, comme Dante le dit : « En toute action, l’intention première de celui qui agit est de révéler sa propre image. »
Kundera explique cette évolution : Richardson a lancé le roman sur la voie de l’exploration de la vie intérieure de l’homme. (…) Joyce analyse quelque chose d’encore plus insaisissable que le temps perdu de Proust : le moment présent. (…) Mais la quête du moi finit, encore une fois, par un paradoxe : plus grande est l’optique du microscope qui observe le moi, plus le moi et son unicité nous échappent. (…) C’est Kafka qui ouvre une nouvelle orientation (…) : quelles sont encore les possibilités de l’homme dans un monde où les déterminations extérieures sont devenues si écrasantes que les mobiles intérieurs ne pèsent plus rien ? C’est en cela que Kundera écrit dans L’insoutenable légèreté de l’être : Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde.
Sans qu’il le dise ouvertement, Kundera tente d’aller plus loin. Rendre un personnage vivant signifie : aller jusqu’au bout de sa problématique existentielle. Ce qui signifie : aller jusqu’au bout de quelques situations, de quelques motifs, voire de quelques mots dont il est pétri. Rien de plus. Kundera cherche à décrire l’essence de la problématique existentielle de ses héros. En écrivant L’insoutenable légèreté de l’être, je me suis rendu compte que le code de tel ou tel personnage est composé de quelques mots-clés. Pour Teresa : le corps, l’âme, le vertige, la faiblesse, l’idylle, le Paradis. (…) Je me demande : qu’est-ce qui se passe avec elle ? Et je trouve la réponse : elle est saisie d’un vertige. Mais qu’est-ce que le vertige ? Je cherche la définition et je dis : un étourdissement, un insurmontable désir de tomber. Mais tout de suite je me corrige, je précise la définition : « … avoir le vertige c’est être ivre de sa propre faiblesse. On a conscience de sa faiblesse et on ne veut pas lui résister, mais s’y abandonner. »
Pour Kundera, le propre du roman est de se pencher sur l’énigme du moi : qu’est-ce que le moi ? Par quoi peut-il être saisi ? Et sa réponse est : par son code existentiel qu’il faut décortiquer dans diverses situations que le roman met en scène.
Peu importe les descriptions de ces situations, la netteté du passé du héros, les informations qui sont données sur sa personne. Seuls compte les quelques mots qui le définissent définitivement.
On peut cependant se demander si cette vision de ce que recherche le roman est la seule. Sûrement pas, même si l’évolution du genre romanesque semble s’arrêter, pour Kundera, au code des quelques mots qui caractérise ses personnages. On peut aussi considérer le roman comme une description poétique de l’homme confronté à une réalité incompressible et une rêverie, ou au moins une vision imagée, dans laquelle son esprit se meut. Ce décalage permanent constitue également une somme poétique qui elle-même met en évidence la confrontation du moi avec la réalité.
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18/04/2012
Notre vocation humaine (suite du 7 mars)
Le mystère de la vie et de la mort met en avant le rôle de la vocation humaine de chaque homme. Cette réalisation de notre vocation humaine est différente pour chacun, puisque chaque être est unique. Mais elle procède du même esprit pour tous.
En effet, l’existence se vit sous deux aspects :
Un aspect extérieur, notre vie visible par les autres, qui couvre notre activité professionnelle, notre vie familiale, nos responsabilités sociales, lorsqu’on est jeune, c’est cet aspect qui nous semble le plus important. A travers lui, on cherche à changer le monde. Il est source de satisfaction, de joie, d’instant de bonheur même, mais on y trouve aussi difficultés, soucis, peines.
Puis, un jour vient où l’on comprend que réaliser sa vocation d’homme est infiniment plus subtile, que cela dépend moins de ce qui nous arrive que de la manière dont on l’appréhende et dont on le vit. Alors, on accepte le monde, on accepte notre condition d’homme et on commence à s’y réaliser. On ne voit pas seulement ses défauts, mais aussi sa beauté. On entre en harmonie avec lui.
Réaliser sa vocation humaine, c’est entrer en harmonie avec les autres, tous les autres, et non seulement avec ceux pour lesquels nous avons de la sympathie. C’est entrer en harmonie avec soi-même. Alors se révèle l’harmonie profonde : l’homme fait l’expérience du divin. C’est donc le sens que l’on donne à sa vie qui permet d’accepter la mort.
07:37 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, spiritualité, art de vivre | Imprimer
10/04/2012
Savoir et connaissance
Introduire une distinction entre savoir et connaissance n’est pas fortuit. Les progrès accomplis dans les sciences cognitives et les outils d’appréhension du réel imposent une meilleure définition des étapes situées entre l’information et la décision.
Le savoir découle naturellement de l’appris, c’est-à-dire de l’accumulation d’informations dans la mémoire individuelle ou collective. Il représente la faculté de conserver et de faire revenir à la pensée des informations acquises par l’apprentissage ou par l’expérience vécue. Le savoir est donc un capital que l’on enrichit plus ou moins selon notre faculté à utiliser et à solliciter notre mémoire. Ces informations sont particulièrement variées : savoir de la société appris par l’enseignement, savoir-faire acquis par expérience, savoir raisonner grâce à l’apprentissage de méthodes, savoir penser par l’utilisation des autres savoirs.
Le savoir produit une grille générale d’interprétation du monde (pattern), synthèse des savoirs à un moment donné. Cette interprétation est particulièrement utile pour agir en réaction face à un événement. Elle permet d’éviter une prise de décision trop longue et difficile. Elle permet également de conduire des tâches sans mobiliser l’ensemble des ressources de l’intelligence et surtout sans que l’on soit obligé de conduire le processus décisionnel dans son ensemble. Cependant cette grille d’interprétation est figée. Elle n’évolue qu’en fonction des expériences nouvelles qui nécessitent de mettre en œuvre un stade plus élevé de la cognition : la connaissance.
Le concept de connaissance se situe au-delà du savoir. Connaître (co-naître) signifie « naître avec », c’est-à-dire dépasser le savoir intellectuel ou le savoir-faire pour entrer en connaissance (faire connaissance et non avoir des idées sur). Le but de la connaissance est la compréhension. On peut en effet tout savoir sur une chose, mais ne pas la comprendre. La connaissance est donc liée à un contexte, un lieu, un moment. Lorsque ce contexte évolue, la connaissance que l’on en a, si elle n’évolue pas elle-même, devient un nouveau savoir. La compréhension est perdue. La connaissance est donc le produit de l’interaction permanente et volontairement active entre le contexte et le savoir que l’on possède. Elle est compréhension par actualisation permanente et en temps réel des situations et des actions. Elle s’effectue par les représentations qui créent un pont entre savoir et connaissance.
Rappelons que les anglo-saxons distinguent bien les deux termes, même si le mot knowledge désigne en même temps savoir et connaissance. Le mot understanding, qui signifie littéralement entendement, intelligence, compréhension, est en effet utilisé lorsqu’il faut différencier la fonction de savoir (l’acquis) de la fonction de connaissance au sens de compréhension.
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25/03/2012
De calvaire en calvaire (2ème partie)
Cette croix incite au départ, départ mystique vers la lumière, que même la fée électricité suit. Elle semble s’y noyer. Un panneau indique la direction, pour que personne ne se trompe. On y va, malgré les ronces, malgré l’éloignement et la hauteur. Quelle incitation au voyage ! Mais c’est un voyage particulier, on part très loin, en restant sur place. On frémit dans la lumière, on se laisse illuminer, on est ébloui, mais on avance, lentement, veillé par la croix réparatrice. On avance, on avance, et l’on sait où l’on va, enfin !
Le calvaire du prisonnier. La vierge enfermée derrière son grillage, lui-même cloué sur le bois de la croix. Elle se tient là, dans le bois évidé, les mains ouvertes, prisonnière de cette croix qui fut également pour elle un calvaire. Elle semble un jouet enfoui dans un morceau de bois mal équarri, tenu grâce aux fils de fer. C’est une image quasi enfantine, mais l’enfance n’est-elle pas la porte de l’innocence, comme ce ciel qui l’entoure et lui donne le vertige. On croirait qu’elle va tomber sur sa droite et l’on voit le nuage défiler de droite à gauche et emmener nos soucis loin de sa présence.
Une croix pattée, croix dont les bras sont étroits au niveau du centre et larges à la périphérie, sur lesquels rayonne la lumière divine qui, elle-même, est représentée par un globe cerclé. Ce n’est pas vraiment une croix celtique, mais plutôt une croix nimbée. Ses bras triangulaires se referment sur eux-mêmes et l’on passe de l’horizontalité croisée avec la verticalité, symbole de la transcendance, au cercle maternel, symbole de l’immanence. Elle paraît forte, bien assise sur sa colonne de pierre, mais a un curieux air étranger, teuton ou romain. Elle protège la prairie, symbole terrien de par sa solidité, mais aussi symbole de propriété marquant sa possession sur cette terre nourricière.
Quelle croix impressionnante ! C’est une croix de consécration, nommée croix de répétition ou croix allemande. Que fait-elle dans ce pays ? Elle s’impose dans un enclos fermé, environnée de branchages, dressant ses bras vers le ciel limpide, montrant sa force, défensive, solide comme le roc. Sa colonne l’adoucit, passant d’arêtes anguleuses à la rotondité simple, comme si cette force impressionnante naissait du cercle féminin qui s’érige vers le ciel. Quel beau symbole : de la complexité naît la simplicité !
Curieux mélange. Une croix inspirée de l’ordre du Temple (croix pattée) ou, peut-être une croix tréflée ou croix de Saint Maurice qui refusa de tuer les chrétiens d’une ville des Alpes et qui devint, avec sa légion, martyre. En voici le récit fait par Saint Eucher, évêque de Lyon de 435 à 449 : « Il y avait à cette époque une légion de soldats, de 6 500 hommes, qu'on appelait les Thébains (…) Comme bien d'autres soldats, ils reçurent l'ordre d'arrêter des chrétiens. Ils furent toutefois les seuls qui osèrent refuser d'obéir. Lorsque cela fut rapporté à Maximien, (…), il entra dans une terrible colère. Il donna l'ordre de passer au fil de l'épée un homme sur dix de la légion, afin d'inculquer aux autres le respect de ses ordres. Les survivants, contraints de poursuivre la persécution des chrétiens, persistèrent dans leur refus. Maximien entra dans une colère plus grande encore et fit à nouveau exécuter un homme sur dix. Ceux qui restaient devaient encore accomplir l'odieux travail de persécution. Mais les soldats s'encouragèrent mutuellement à demeurer inflexibles. Celui qui incitait le plus à rester fidèle à sa foi, c'était saint Maurice qui, d'après la tradition, commandait la légion. Secondé par deux officiers, Exupère et Candide, il encourageait chacun de ses exhortations. Maximien comprit que leur cœur resterait fermement attaché à la foi du Christ, il abandonna tout espoir de les faire changer d'avis. Il donna alors l'ordre de les exécuter tous. Ainsi furent-ils tous ensemble passés au fil de l'épée. Ils déposèrent les armes sans discussion ni résistance, se livrèrent aux persécuteurs et tendirent le cou aux bourreaux. »
Enfin, une croix des chouans qui marque la limite paroissiale et devenue, en raison de sa solitude éloignée de toute habitation,lieu de rendez-vous des royalistes. Elle constituait également un lieu de dévotion avec une tablette encastrée à hauteur des mains pour y déposer une offrande. Elle se dresse comme un gardien, à la croisée des chemins champêtres, monumentale dans son piédestal, croix pattée également, mais simple, sans fioriture, pure de tout désir : une vraie croix de Malte. Elle semble dire : « Entrez dans la paroisse, mais sous le regard de Dieu. Si vos pensées sont mauvaises, prenez garde ! » Et ce chemin bordé d’arbres est une montée vers le paradis qui se trouve derrière ce ciel d’azur, dans la froideur d’une neige persistant encore dans les creux.
06:42 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, poésie, nature, art, philosophie, spiritualité | Imprimer
12/03/2012
Le plein du vide, composition musicale de Xu Yi (1997)
http://www.youtube.com/watch?v=-kpIxptSdm0
C’est un voyage dans le continuum espace-temps d’Einstein. On y flotte, sans repère, à la dérive, dans un ensemble inconnu. Où se trouve-t-on ? Qu’entend-on ? Perte de la réalité, le noir, le vide, comme un manque d’espace, ou plutôt un trop d’espace vide, sans rien qui le limite.
Nous sommes partis, le tambour l’affirme.
Alarme ! Les trompettes...
Frottement du véhicule dans l’espace
Puis, plus rien. Ah, si !
Qu’est-ce ? Une ombre de sons,
Un délicat enchantement des nerfs,
Une attente exacerbée d’un accord
Qui arrive parfois, au détour d’une absence.
Montée des insectes qui piétinent
Dans le sable qui crisse sous les pas.
Quelques bulles éclatent, irisées,
A deux encablures de votre corps.
Vous restez impassible, engourdi.
Appel des bambous cognés,
Des bonbonnes résonnantes,
Des serpentins de clarinettes,
Et montée en puissance
De voix obscures et diffuses
Dans la forêt de bruits atténués
Par l’espace, l’espace, l’espace…
Le temps n’a plus de prise,
Il fuit, écrasé de sons, d’éclatements ;
Il se réfugie sous la couverture
Du crâne qui résonne intensément.
Silence ! Pénétration du vide
Dans la calotte cervicale
Comme un glaçon glissant
Entre les neurones atones.
Le temps s’allonge, s’allonge,
Prend de l’espace, loin, très loin.
Pas de final, l’arrêt du son
Est-il un signal de finition ?
Vous vous complaisez
Dans cet univers insolite
Inimaginable, empli de pièges.
Vous vous sentez projeté
Par les explosions,
Les insinuations,
Les appels d’on ne sait où !
Et si vous vous laissez aller,
Vous sombrez dans l’absence,
Vous rétractez votre personne
Jusqu’à ne plus contenir
Qu’un vide nourrissant.
Quelle perspective !
« Xu Yi est née à Nankin, en Chine, peu avant la Révolution culturelle. À l'âge de six ans, elle doit suivre sa mère envoyée à la campagne dans une ferme de rééducation ; là, elle commence l'apprentissage du violon chinois (voir article du 16 septembre 2011 sur l’erhu). Elle entre au conservatoire de Shanghai où elle poursuit cet apprentissage, puis, à l'âge de dix-sept ans, elle intègre la classe de composition. Elle obtient une bourse d'étude pour venir en France. À son arrivée, en 1988, elle suit le cursus de Composition et informatique musicale de l'Ircam (1990-1991). Elle entre au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris où elle étudie avec Gérard Grisey et Ivo Malec, et obtient un premier prix de composition en 1994. Elle vit actuellement à Pékin. »(Jean-Luc Idray)
Il semble que, chez Xu Yi, le temps soit davantage psychologique que chronologique : c'est la densité des sons-évènements qui produit la perception du temps. En fait, entre dynamisme et immobilisme, c'est une conception circulaire du temps que l'œuvre reflète. Xu Yi n'envisage pas un temps musical T qui se référencerait suivant le schéma habituel du Chronos, soit un temps linéaire allant du passé à l’avenir, tel que le conçoit l’occidental dans sa vision matérialiste et mesurable du temps. Xu Yi envisage plutôt un temps unique par nature et qui se redéfinit en permanence en puisant en lui-même son évolution. Il s’agit d'un temps circulaire en mouvement, en perpétuelle « inventivité » et non d’un temps circulaire statique. Xu-Yi redéfinit le temps par rapport au non-temps, mêlant le yin et le yang dans une recherche sonore complexe. Le temps dans sa musique s’étire, forme un équilibre qui traduit l’harmonie universelle, un juste milieu entre le son et le silence, la lumière et l’obscurité, le vide et le plein.
Ceux qui désirent approfondir ce style de musique pourront lire utilement le contenu du site :
http://www2.cndp.fr/secondaire/bacmusique/xuyi/musique_temps.htm
07:17 Publié dans 51. Impressions musicales | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, temps, espace, philosophie | Imprimer
29/02/2012
L’art et le beau
« On prouve tout ce qu’on veut, et la vrai difficulté est de savoir ce que l’on veut prouver. » Ainsi parle Alain dans son « Avant-propos du Système des beaux-arts », écrit en 1926 et qui n’a pas perdu de pertinence. Il poursuit : « Le choix est tout fait, et inébranlable, et ce qu’on voudrait prouver, à savoir que l’œuvre est belle, est affirmé sans aucun doute par l’œuvre elle-même. »
C’est pourquoi l’art, à l’inverse des mathématiques, n’a pas de point de vue universel et les appréciations que l’on y porte, ne sont que le reflet de la pensée d’un seul, parfois partagées par un certain nombre d’autres humains.
Cependant, ne l’oublions pas, le goût pour l’art, et donc l’intérêt que l’on y porte, est également affaire d’éducation. Mais jusqu’à un certain point seulement. Apprendre à apprécier une œuvre et l’apprécier réellement est différent. Disons plutôt que l’on apprend pourquoi l’on apprécie telle œuvre plutôt que telle autre, on apprend à en goûter la vision d’ensemble et chacun des détails, mais au fond de nous, en dehors des modes et de l’influence des autres, on sent instinctivement ce qui nous plaît ou ne nous plaît pas. On baptisera chef d’œuvre ce que d’autres considèrent comme sans valeur esthétique, voire médiocre. Alors l’art serait-il simplement affaire de goût ?
Eh bien, là aussi, nous sommes sur la corde raide des sommets, avec, à droite et à gauche, la pente qui conduit à deux lieux opposés. Mais c’est bien cette fine limite, qui est le juste milieu, qui détient la vérité. Rien n’est blanc ou noir, tout est nuance et non pas gris. Et ces nuances sont la couleur de la vie et du monde.
On rejoint là un autre auteur, Maurice Nédoncelle, avec son livre « Introduction à l’esthétique », aux presses universitaires de France en 1963. Que nous dit-il ? L’esthéticien est le philosophe de l’art : il cherche à en éclairer la nature, à en décrire l’origine, les espèces, la finalité ; il essaie d’en discerner les rapports avec le beau, il analyse le mystère de la beauté même. Mais il ajoute aussitôt après : On peut se demander, il est vrai, si une telle réflexion est utile et ne se résout pas en verbiage… Nous pouvons nous familiariser avec le beau, nous ne pouvons le définir, il est aussi réel et indéfinissable qu’une personne vivante. Et c’est bien en cela que telle œuvre d’art fascine certains et pas d’autres, parce qu’elle ne correspond pas à sa façon d’appréhender la vie.
En réalité, l’œuvre d’art nous plaît parce qu’elle rencontre en nous une aspiration, une élévation de l’âme dont nous avons besoin pour vivre. Or, parce que chaque homme est unique, nous avons tous des voies différentes pour arriver à notre réalisation. L’œuvre d’art reflète plus ou moins ces voies et nous entraîne vers le haut selon que la beauté que l’on y trouve correspond à la voie qui nous permettra de nous élever. Mais alors, me direz-vous, l’œuvre d’art n’a pas de valeur universelle ? Si, elle en a bien, car cette élévation, cette aspiration se rejoint bien en un point, que certains appellent Dieu, quel que soit celui-ci, que d’autres appellent principe universel, et qui possède mille noms selon la pensée de chacun. Au-delà du Big bang, cette lumière qui éclaire le Tout, constitue notre ultime réalisation. Elle est sans nom et l’on comprend que dans certaines religions on ne nomme pas Dieu (le judaïsme n’accorde que des attributs à YHWH), on ne représente pas Dieu (l’Islam a ainsi développé un art géométrique fascinant et impressionnant faute de pouvoir développer des images), voire même l’idée d’un dieu supérieur n’existe pas (le bouddhisme est une religion sans Dieu).
Pour revenir à notre vision de l’art, et donc à notre idée du beau, il semble que celui-ci a donc un rôle très particulier. Par l’attirance irrévocable que certaines œuvres possèdent, et qui est différente selon les personnes, l’art est une aide précieuse et un moyen sûr pour conduire à sa propre découverte, au-delà d’un moi imprégné de contexte, environnement, histoire, géographie, société et même mathématique, la science la plus universelle.
26/02/2012
Premier dimanche de Carême
En ce premier dimanche, l’église, à travers le texte des tentations de Jésus au désert, pose la signification du carême : c'est une épreuve, celle de la liberté humaine et de son usage. C'est la confrontation entre l'homme et la tentation qui se dévoile quand l'homme essaye de sortir du sommeil hypnotique et anesthésiant de la vie quotidienne.
Notons d’abord que si nous avons conscience de l’insuffisance de notre ouverture vers Dieu, nous n’avons pas conscience de l’emprise de la tentation sur nous. Notre monde réduit le mal, le mauvais usage de notre liberté, à un manque d’organisation et de connaissance de la part des hommes, donc à un problème de société, en effaçant la responsabilité individuelle. Le carême nous invite à un retournement de cette vision tranquillisante en faisant l’expérience de la tentation.
Remarquons aussi le parallèle que l’on peut établir entre la tentation de Jésus et celle d’Adam au début de l’humanité. Adam, au paradis, rompt le jeune en mangeant le fruit défendu. Le Christ, au désert, nouvel Adam, commence par jeûner. Il est tenté, mais ne succombe pas comme Adam à la tentation. Par sa faute, Adam perd la vie en Dieu et découvre la mort. Le Christ, par sa victoire sur la mort, nous rend à la vie de Dieu. Premier événement de l’humanité, premier événement de la vie connue du Christ après son baptême, l’expérience de la tentation est aussi le premier événement de notre vie spirituelle. Disons que sans cette expérience, il ne peut y avoir de vie en Dieu.
C’est en cela que la retraite dans le désert est nécessaire. Dans le monde, sans cesse attirés à l’extérieur de nous-mêmes, nous ne sommes que réaction et vivons à la surface de l’être. L’isolement du monde a pour but de nous recentrer et de nous obliger à nous poser les vraies questions. Au désert, l’homme se retrouve face à lui-même. Nudité terrifiante pour celui qui se grise du monde, car il pèse son absence d’être. Nudité consolante pour celui qui s’est déjà détaché des épreuves du monde. La retraite prolongée est nécessaire, car si l’homme s’y trouve nu, seul le temps peut ouvrir son être à Dieu. D’abord nu, mais fermé sur lui-même, il va se découvrir tel qu’il est face aux tentations : multiple, jamais uni, soumis aux circonstances.
L’évangile de ce premier dimanche nous donne les trois stades de la tentation :
. Transformer les pierres en pain, c’est la tentation de l’avoir, celle du pauvre. C’est le désir qui accumule sans cesse et dit « Je veux ».
. Régner sur les royaumes du monde, c’est la tentation du pouvoir, celle du riche. C’est l’ivresse de la puissance qui dit : « Je suis le plus fort ».
. Se jeter du haut du temple, c’est la tentation du savoir, celle du spirituel. C’est l’orgueil qui dit : « Je suis Dieu ».
Ces tentations sont celles de l’homme qui s’élève dans la voie spirituelle. Il lutte d’abord contre ses appétits propres, ses satisfactions personnelles, puis contre le désir de surclasser les autres, de les dominer, enfin contre l’idée d’être saint.
07:46 Publié dans 61. Considérations spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, christianisme, carême, philosophie | Imprimer