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09/02/2013

Imaginaire et réel

Victor Segalen dans Equipée (p.11) pose une drôle de question : « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ? »

J’ai d’abord cru à une galéjade devant cette proposition. L’imaginaire et le réel sont différents et n'ont pas de rapport entre eux. Mais, en réfléchissant, il m’apparut qu’il n’était pas inintéressant de se poser la question. Mais elle peut se poser de deux manières : soit l’imaginaire mène au réel, soit le réel est le point de départ de l’imaginaire.

En réalité, chaque jour, l’homme élabore son avenir en l’imaginant. C’est même pourrait-on dire le propre de l’homme : voir loin, imaginer et agir dans le sens de son intérêt ou de ses valeurs. Il dispose maintenant d’outils spécialisés pour affiner sa réflexion : statistiques, méthode des scénarii, et même, depuis longtemps, voyance.

Mais l’inverse est également vrai : on ne peut commencer à imaginer un avenir qu’à partir du présent, c’est-à-dire du réel. La boucle est bouclée, les deux hypothèses sont vraies.

Ce n’est cependant pas exactement ce que dit Victor Segalen : « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel ? » On peut déjà supposer que l’imaginaire dont il parle n’est pas la capacité d’imaginer un avenir, mais celle de créer un monde nouveau, déconnecté de la réalité, réellement né de son imagination. Il ne s’agit donc plus d’utiliser l’imaginaire pour se rapprocher du réel en le confrontant aux exigences des contraintes. Il s’agit de savoir si l’utilisation de la réalité dans l’imaginaire affaiblit celui-ci ou, au contraire, le renforce.

Disons d’emblée et tout net : l’imaginaire s’inspire toujours de la réalité, sinon il serait incompréhensible et non porteur de valeurs. La réalité est obligatoirement un point de départ de l’imaginaire. En effet, il faut bien utiliser les images, les sons, le langage, qui représentent la réalité quotidienne, pour commencer à imaginer quelque chose qui en dérive. Au-delà même de ces matériaux communs au réel et à l’imaginaire, il y a l’utilisation d’un contexte ou simplement d’un objet ou même d’un sentiment qui permet de passer du réel au fictif. On peut penser que l’imaginaire s’inspirant du réel pour ensuite bifurquer vers la fiction, renforce nettement l’intérêt du spectateur, lecteur, auditeur ou autre pour l’imaginaire né de cette réalité. La bonne science-fiction est proche d’une réalité qui peu à peu bifurque. Les extraterrestres n’intéressent le lecteur que dans la mesure où ils sont confrontés aux humains. Rien ne sert de les décrire si aucun homme n’est présent, ou, au moins, des créatures proches de l’humain.

Mais en est-il de même de l’imaginaire pictural ? Il semble bien que non, tout au moins au premier degré. La peinture abstraite est totalement imaginaire, sans référence au réel, au moins une partie. Cependant, est-ce si vrai ? Les tachistes, sans véritablement s’inspirer du réel, rejoignent le réel dans leur peinture, réel naturel et minéral, réel quasi artificielle, dû au grossissement du microscope électronique, ou encore réel conceptuel de la géométrie, qui rend compte d’une réalité abstraite, tels l’art cinétique ou l’art optique. Là aussi, in fine, et contre parfois l’avis des artistes, l’imaginaire se renforce du réel.

Enfin, l’imaginaire mathématique se renforce-t-il du réel ou au contraire s’appauvrit-il ? On peut tout de suite dire que le but des mathématiques est de conceptualiser le réel, de le rendre compréhensible, de le réduire en équations simples qui explique de manière claire la complexité du monde. Le réel renforce bien l’imaginaire pour l’aider à tendre vers une compréhension du monde.

In fine, on peut sans doute conclure que c’est l’imaginaire qui permet non pas de construire le réel, mais de l’aménager dans un sens favorable. Il se renforce dans sa confrontation au réel. Mieux même, il renforce lui-même le réel, le rend plus humain (pas forcément plus juste). L’imaginaire est l’énergie de l’évolution.

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