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20/11/2011

Bruxelles

 

On y entre facilement en voiture, comme dans une ville de province lorsque l’on se faufile entre de petites maisons et des zones industrielles devenues le refuge de sociétés commerciales qui vendent de tout, c’est-à-dire pas grand chose. C’est la fin de l’après-midi, les lumières s’éveillent une à une, comme les bougies d’un sapin de Noël allumées par une seule personne. Progressivement ces bougies se mettent à danser. Vous tournez la tête jusqu’à ce qu’elles se calent dans votre vision et donnent à la ville sa nouvelle apparence, tantôt trop claire, aux abords de grands carrefours ou de lieux d’achat, tantôt obscure dans des rues désertes ou à proximité de parcs et même de forêts de poche. Si bien que vous vous retrouvez quasiment au centre de la capitale en ayant parcouru une petite ville de province encore engluée dans une ruralité attendrissante.

Vous parcourez les rues encombrées de maisons pressées les unes contre les autres. Vous imaginez être dans une bibliothèque dont les volumes ssociétéont emprisonnés entre des serre-livres, monumentaux, colossaux, à l’image du palais de justice qui domine la vieille ville du haut de sa grandeur juridique et morale. Vous vous attendez à voir sortir d’un interstice entre deux habitations un insecte géant, mangeur de papier, cherchant dans votre portefeuille quelques billets à se mettre sous la dent. Rien de tout cela n’arrive. Vous vous promenez comme tous les passants dans une obscurité diffuse, serrant votre col pour ne pas laisser le froid pénétrer le creux douillet d’une poitrine offerte.

Vous vous arrêtez devant les magasins colorés, aux devantures chargées de "brolles" (objets divers) de toutes sortes, mais qui éveillent en vous cette folie d’achat et de possession que vous portez dans vos gênes depuis votre petite enfance. Ce chocolatier est irrésistible ! Vous entrez et êtes surprise par la foule dont le seul objectif semble être le choix important du type de chocolat : noir comme l’encre, au goût amère, mais à la texture simple qui laisse un arrière goût patiné, à la manière du miel, mais moins écœurant ; éclairci, de la couleur des boiseries de nombreuses maisons Art Nouveau qui enjolivent la ville de volutes de bronze et d’arabesques délirantes, au goût plus difficile à définir parce que chargé d’autres effluves, de fruits ou de fleurs. Puis vous ressortez et vous asseyez sur un banc, face aux livres alignés comme des soldats de plomb pour déguster une de ces merveilles gustatives que seule Bruxelles offre à ses visiteurs. Ou encore, vous achetez une gaufre dans une camionnette jaune sale à l’intérieur de laquelle s’agite un charmant monsieur qui jongle avec ses pâtisseries pour les distribuer à tous ceux qui ont besoin d’un en-cas pour survivre en cette fin d’après-midi ou plutôt début de nuit noire et mystérieuse. Puis vous descendez la rue Royale jusqu’à l’église des Sablons pour vous glissez entre les voitures de la place et regardez la vie aller et venir entre les devantures luxuriantes tout en mangeant avec délicatesse cette gaufre appétissante et bienvenue. Là, vivante et repue, vous glissez vers ces tentations sublimes, résistant malgré tout aux charmes d’emplettes de rien, pour vous retrouver dans un magasin environnée d’objets inconnus tels que des peintures, des bijoux ou des tasses à café. Et vous vous fondez dans ce paysage pour mieux le goûter et en apprécier la nouveauté tentatrice.

Ressortant, encore rêveuse d’objets exaltants, vous vous transformez en songe, dans la froideur de l’automne et vous élevez au dessus des cheminées fumantes pour contempler de haut cette ville bizarre, encombrée de petites rues aux maisons biscornues dans lesquelles ont été taillés des emplacements pour de grands monuments, un peu lourds, presque germaniques, mais gardant cependant une certaine élégance, comme ces femmes oscillant entre une jeunesse encore vivante dans certaines attitudes et le début d’un empâtement du corps qu’elles cachent sous des vêtements moins moulants. Vous parcourez en rêve les parcs aux longs arbres déjà dévêtus dans lesquels se trouvent encore quelques promeneurs qui se hâtent vers la sortie. Vous vous arrêtez place Royale, environnée de cubes blancs ou jaunes, un peu étourdie par la valse des voitures tournant en rond autour du carré central, jusqu’au moment où vous en suivez une qui passe devant le palais royal, triste et morose, parce qu’éteint et sans vie. Vous faites le tour du jardin, longeant les ambassades gardées par des Securitas enfermés dans leurs guérites étroites. D’un coup d’aile, vous montez plus haut et vous laissez envahir d’une mélancolie doucereuse, indolente comme les habitants de cette ville, possédée par le charme de cette capitale qui se déguise en femme entre deux âges, le regard brillant, mais déjà couronnée de "croles" enneigées.

Et le soir, couchée dans votre lit, après vous être endormie très vite, vous revisitez ces rues, ces maisons, ces monuments, à la manière du passe-muraille, pour vous imprégner de cet art de vivre, encoconné et chaleureux, riche comme une chatte étendue au coin d’une cheminée fumante.

 

 

17/11/2011

Les rapports entre l’homme et le temps

 

« C’est curieux, mais la vie humaine n’a jamais été soumise à une enquête mathématique. Prenons pour exemple le temps. Je rêve de faire cette expérience : appliquer des électrodes sur la tête d’un homme et calculer quel pourcentage de sa vie il consacre au présent, quel pourcentage aux souvenirs, quel pourcentage au futur. Nous pourrions découvrir ainsi ce qu’est l’homme dans son rapport avec le temps. Ce qu’est le temps humain. Et nous pourrions définir à coup sûr trois types humains fondamentaux, selon l’aspect du temps qui serait dominant pour chacun. »

Mais si nous poursuivons cette idée de Milan Kundera dans L’immortalité (5ème partie, le hasard-4), on constate la difficulté immédiate de la mise en application de l’expérience. Avons-nous seulement une véritable vie conceptuelle dans le présent ? Je ne cesse à cet instant de penser à ce qu’a dit Kundera, mais ce qu’il a dit est déjà du passé et je remâche ce passé pour construire, dans l’avenir, une idée enrichie de ce qui est dit par Kundera.

C’est vrai, me direz-vous, mais vivre dans le passé, le présent ou l’avenir est au-delà de ces rapports difficiles de la pensée présente avec ce qu’elle connaît, venant du passé, et ce qu’elle soupçonne de l’avenir.

Ici, il est question de la philosophie de la vie : ma vie est-elle tournée vers la nostalgie du passé, vers la jouissance du présent ou vers l’investigation du futur ?

Certes, selon le métier de chacun, ses rapports avec le temps seront différents : le stratège et le trader sont professionnellement tournés vers l’avenir, l’historien et l’archéologue le sont vers le passé. Probablement l’artiste est tout à la construction de son œuvre, donc orienté vers le présent dans l’accomplissement de sa tâche fondamentale, de même le chirurgien, pour des raisons proches. Mais cette différence tient-elle essentiellement à la profession ?

Il est très vraisemblable qu’elle tient également au caractère même de la personne. On peut penser que les primaires sont plus préoccupés par le présent que les secondaires. On peut également penser que les actifs sont attirés par le présent et le futur, les non actifs s’intéressant probablement plus au passé. Mais est-ce si important et probant ? Probablement non.

Il semble plus intéressant d’aborder le problème avec les types psychologiques de Jung. Pour lui, l’individu  a deux façons de se charger en énergie : l’introversion qui puise dans l’environnement extérieur, les activités, les expériences, et l’extraversion qui trouve dans son univers intérieur des idées, des souvenirs et des émotions de quoi nourrir sa vie. Ainsi, l’extraverti vivrait plus facilement dans le présent et un peu l’avenir, alors que l’introverti serait plus porté sur le passé (monde des souvenirs et des émotions) ou l’avenir (monde des idées).

Alors qu’en est-il ? On peut penser qu’au-delà des différentes typologies de caractère, il faut avant tout retenir un autre trait fondamental de la psychologie humaine : l’optimisme et son contraire le pessimisme, et, plus loin encore, l’espérance dans la vie. Les optimistes sont bien sûr à l’aise dans le présent et se projettent dans l’avenir sans difficulté. Le pessimiste envisage le futur comme un trou noir qui cherche à engloutir tout ce qui a retenu jusqu’à présent son attention.

 

10/11/2011

Morale chrétienne

 

La morale chrétienne est une morale dont on ne voit jamais la fin, car elle est fondée sur l’amour.

Est-ce d’ailleurs à proprement parler une morale ? Celle-ci n’est qu’une méthode de préservation de la société dont l’objet est la survivance de l’humanité. L’amour chrétien va au delà de ces objectifs. Il requiert l’être tout entier et pas seulement son aspect social ou même sociétal. On ne peut observer l’amour comme on observe une règle, car il exige toujours plus.

Comparons ces deux formules :

« Le véritable devoir de justice, c’est de considérer chaque individu comme une fin », nous dit Kant.

« Aime ton prochain comme toi-même », dit l’évangile.

Elles sont identiques au sens moral, mais bien éloignées l’une de l’autre, la première étant fondée sur la raison, donc le devoir, la seconde sur l’amour, donc la joie.

La première n’est qu’une règle de vie en société, la seconde est un axiome de bonheur.

 

 

04/11/2011

Cultiver l’unicité du moi

 

 

Dans notre monde (…), l’homme n’a pas la tâche facile s’il veut se confirmer l’originalité de son moi et réussir à se convaincre de son inimitable unicité. Il y a deux méthodes pour cultiver l’unicité du moi : la méthode additive et la méthode soustractive. Agnès soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher ainsi de sa pure essence (en courant le risque d’aboutir à zéro, par ses soustractions successives). La méthode de Laura est exactement l’inverse : pour rendre son moi plus visible, plus facile à saisir, pour lui donner plus d’épaisseur, elle lui ajoute sans cesse de nouveaux attributs, auxquels elle tâche de s’identifier (en courant le risque de perdre l’essence du moi, sous ces attributs additionnés).

(Kundera, L’immortalité, 3ème partie : la lutte, L’addition et la soustraction)

 

Oui, tout homme est constamment à la recherche de soi-même, et très peu se trouve en réalité. Il a bien pour cela deux attitudes : être introverti (chercher le moi par soustraction) ou être extraverti (chercher le moi par addition), comme l’a si bien mis en évidence Carl Gustav Jung.

Mais auparavant il convient de poser la question du moi. De quoi parlons-nous ?

 

            L’homme n’a pas de moi immuable et permanent. Chaque pensée, chaque humeur, chaque désir, chaque sensation dit “ moi ”. Et chaque fois, on semble tenir pour assuré que ce “ moi ” appartient au tout de l’homme, à l’homme entier, et qu’une pensée, un désir, une aversion sont l’expression de ce tout. En fait, chacune des pensées de l’homme, chacun de ses désirs se manifeste et vit d’une manière complètement indépendante et séparée de son tout. Et le tout de l’homme ne s’exprime jamais, parce qu’il n’existe que physiquement comme une chose et abstraitement comme un concept. L’homme n’a pas de moi propre. Il a une multitude de petits moi, qui le plus souvent s’ignorent ou au contraire sont hostiles les uns aux autres. A chaque minute, l’homme dit ou pense “ moi ”. Et chaque fois son moi est différent.

(Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu, Stock, 1974, p.96)

 

Alors de quelle unicité parle-t-on ?

Ce que l’on pressent, c’est ce dédoublement de nous-mêmes, entre l’homme extérieur qui s’intéresse au paraître et l’homme intérieur qui s’intéresse à l’être. Et nous sommes les deux à la fois, quoi que nous puissions faire, en dehors de ceux qui choisissent la vie d’ermite. Simplement notre nature nous conduit plus vers l’un que vers l’autre.

Si vous êtes extraverti, vous vous intéresserez à l’addition du moi et accumulerez des objets et des personnes pour construire votre moi. Vous le ferez enfler et le rendrez brillant car il importe qu’il soit vu et admiré. Et comme le dit Kundera, vous vous perdrez vous-même par accumulation d’attributs additionnés.

Si vous êtes introverti, vous rechercherez au-delà d’un moi social, celui que les autres voient en vous-mêmes, un moi intime, personnel, que vous ressentez et qui seul vous donne satisfaction dans ce monde. Cela ne vous empêchera pas de rechercher également un moi social, il est nécessaire, mais ce n’est pas lui qui est important pour vous. C’est ce nuage d’inconnaissance que vous soupçonnez en vous, qui fait parti de vous-même et que vous devez chercher.

En fait, tout ceci se résume à la question de l’Ame ou du Soi au-delà du moi. Toutes les grandes traditions tentent d’initier à cette différence et de conduire l’homme au-delà de lui-même. Mais encore faut-il qu’il le veuille. En effet, si quelques hommes peuvent, par soustraction, se rapprocher de leur pure essence, la plupart ont besoin, pour vivre, d'une société et de relations sociales, malgré tous les risques qu'elles comportent.

Ces deux attitudes façonnent fondamentalement votre vie, vos attitudes et votre comportement. Evidemment, la société s’efforce de cultiver en vous l’extraverti, plus simple à contrôler.

 

N'est pas nécessairement admirable ce que tout le monde admire ; l'un se soumet aux circonstances données parce que l'expérience montre qu'il est impossible de faire autrement, tandis que l'autre est persuadé que ce qui a été mille fois peut très bien, la mille et unième fois, devenir quelque chose de nouveau. Le premier (l'extraverti) s'oriente d'après les faits extérieurs donnés, l'autre (l'introverti) se réserve une opinion qui se glisse entre lui et la donnée objective

(Jung, Types psychologiques)

 

02/11/2011

Un cimetière pas comme les autres

 

Le cimetière de Bouère (Mayenne), petit village, n’est pas comme les autres. C’est un petit chef d’œuvre villageois qui mérite une ampleur nationale.11-10-29 Bouère 1 red.jpg

 

 

L’église en soi est déjà imposante et bizarre. Elle est romane à l’origine. Mais ses transformations successives en font un étonnant monument qui se rapproche par certains côtés de la cathédrale de Périgueux, en particulier en raison de ses clochetons.

 

 

La montée au cimetière est longue, noble, quasi solennelle, comme une montée vers le ciel, immense entre les deux murs, puis les deux haies. Il a été créé en 1778 et possède un décor dit « à la française ».

A l’entrée un panneau explique sa configuration : Depuis la grille d’entrée de fer forgé, une longue allée bordée de pelouses et de hauts buis, mène au cœur du site. Autour de la croix centrale, sont organisés quatre carrés, d’égale grandeur, délimités par des haies de buis et agrémentés d’ifs taillés en forme de cône. Tous les végétaux composant ce décor datent de sa création.

 

 

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Quel havre de paix, comme un paradis perdu ou ignoré, qui procure un sentiment d’immortalité alors qu’il s’agit d’y laisser reposer les restes mortels de la population. Et vous vous promenez dans cet ilot de verdure compassé en état d’apesanteur, entre ciel et terre, ciel que les dômes des ifs indiquent, terre que la pelouse fait douce aux pieds. Quelques villageois sont là, discutant entre eux, entretenant les tombes, les fleurissant de vraies bouquets colorées, comme des notes de musique sur une portée vide et sévère.

 

 

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Heureux sont les morts de ce pays, mieux honorés que les vivants, dans ce décor à la fois champêtre et géométrique où chaque citoyen décédé dispose d’une place au sein d’un des carrés, entre copains pourrait-on dire.

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09/10/2011

Les apparences sont trompeuses

 

Hier, pluie et soleil. Mais plutôt pluie au pied du palais du Louvre. Et, il fallait faire la queue avant d’entrer dans la caverne à ciel ouvert, pointe de diamant vers les étoiles. Echantillon de personnes du monde entier, parlant toutes sortes de langues, mais comprenant bien qu’on va se faire mouiller et sortant, pour les plus avertis, leurs parapluies. Le ciel était noir et l’ondée arrivait, cinglant les toitures d’abord, puis la place qui se transforma en piscine luisante.

Devant moi se tenait deux jeunes hommes, dont l’un se promenait avec son pantalon sous les fesses, montrant un slip bariolé et des rondeurs efficaces. Quelle idée de montrer ses fesses à tous comme un trophée unique ! En faisant exception de cette anomalie, il avait l’air sympathique ainsi que son compagnon. La pluie tombait, drue comme des lames de couteau. Il se tourna vers moi et me proposa, en anglais, un coin de parapluie, ce que j’acceptais bien volontiers. Ils devisaient entre eux, m’abritant sans m’exclure jusqu’à ce que le soleil apparaisse à nouveau, brusquement, comme une lampe de poche éclairant une cave. Et le grain cessa, laissant les patients à deux mètres de la porte d’entrée, trempés et dégoulinants. Ils pourront au moins se réchauffer dans l’étouffoir de la grande salle aux guichets multiples.

« Thanks for your umbrella ». Encombrés de sacs, ils passèrent devant la machine à fouiller sans les doigts tandis que je poursuivais mon chemin n’ayant rien d’autres que mes habits trempés. Descendant l’escalier roulant, je pensais que l’habillement n’est qu’une apparence trompeuse. Se promener les fesses à l’air lui semblait tout naturel. De plus, personne n’avait l’air choqué ou ne l’avait remarqué.

Alors je me suis souvenu qu’avant d’arriver à la queue pour entrer dans le musée, j’avais croisé une très belle femme, bien habillée, qui se promenait les pieds nus, sans chaussures, même à la main, dans les flaques d’eau, marchant le plus naturellement du monde, comme si elle se tenait dans un salon.

Multitude des attitudes du genre humain !

 

 

20/09/2011

Nos cours d'eau

 

Exceptionnellement je vais revenir à un problème politique. Il est à la fois réellement politique, en ce sens qu'il implique la vie quotidienne présente et à venir des citoyens sur un sujet majeur, celui de l’eau et de la conservation de sa qualité et de sa quantité. Mais il est en même temps très politicien, en raison des intérêts mis en jeu par les parties en présence.

 

De quoi s’agit-il ? Le Parlement européen et du Conseil (Directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000) a établi un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, considérant que l'eau n'est pas un bien marchand comme les autres, mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel. En fait il s’agit principalement de réduire les pollutions domestiques, industrielles, agricoles et autres des rivières.

 

L’administration, du ministère de l’écologie aux préfets et diverses agences, commissions et autres organisations, a donc mis en œuvre une multitude de textes le plus souvent contradictoires pour atteindre la « continuité écologique », seul moyen d’après elle pour aboutir aux objectifs européens. Puis, au-delà, le cheval de bataille de la continuité écologique est devenu la destruction des seuils, barrages, vannes, de tout obstacle permettant une certaine gestion de la rivière. Une rivière doit couler de sa source à son embouchure, et in fine jusqu’à la mer, en parfaite liberté, sans obstacle, L’objectif étant de permettre la libre circulation des poissons et des sédiments.

 

Ainsi l’humanité qui, depuis plusieurs milliers d’années, utilise l’eau et la conserve grâce aux ouvrages de main d’hommes, avait tort (lire l’introduction de la pièce jointe). Et l’administration, sous des dehors pattes de velours (fausses réunions dite de concertation), lamine les riverains et usagers des cours d’eau et veut leur imposer des mesures inappropriées à la bonne gestion de l’eau. Derrière cette politique se cache de nombreux intérêts. Pour n’en citer que quelques uns : ceux des pollueurs chimiques et domestiques, ceux des gestionnaires utilisateurs des subventions européennes (qu’il faut à tout prix utiliser quel qu’en soit l’usage), ceux des politiques qui peuvent ainsi mettre ma main sur les rivières non domaniales.

 

 

Prenons conscience de cette dérive politique et réagissons !

 

Ouvrez le document ci-dessous :

 

Yatilunediscontinuiteecologique.pdf  

 

Si vous êtes convaincu, mobilisez vos élus locaux pour qu'ils ne donnent pas leur accord. Leur consultation a lieu d'ici la fin du mois pour certaines régions.

 

 

18/09/2011

Stupeurs et tremblements, roman d’Amélie Nothomb


 

Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n’étais la supérieure de personne.  […] Donc, dans la compagnie Yumumoto, j’étais aux ordres de tout le monde.

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Ainsi commence cette incroyable histoire qui est bien quelque peu autobiographique. Amélie est embauchée pour un an par la compagnie. Elle va connaître les affres de tous les japonais débutants. On commence en bas de l’échelle et l’on ne s’élève qu’à la condition d’une obéissance sans limite. Pas d’initiatives, elles sont toutes mal vues.

Elle commence, sur demande d’un de ses supérieurs, par rédiger une lettre à un certain Adam Johnson pour accepter son invitation à jouer au golfe. Ce directeur lui fait recommencer, recommencer, recommencer, sans explications, jusqu’à ce que sa supérieure, mademoiselle Mori, arrive. Fubuki, c’est son prénom, la charme. Elle était svelte et gracieuse à ravir, malgré la raideur nippone à laquelle elle devait sacrifier. Mais ce qui me terrifiait, c’était la splendeur de son visage. […] Elle avait le plus beau nez du monde, le nez japonais, ce nez inimitable, aux narines délicates et reconnaissables entre mille. […] Fubuki incarnait à la perfection la beauté nippone, à la stupéfiante exception de sa taille. Elle mesurait en effet un mètre quatre-vingt.

Elle prend la fonction de l’ôchakumi, l’honorable thé. Mais lors de la réception d’une délégation étrangère à l’entreprise, elle psalmodie les plus raffinées des formules d’usage, baissant la tête et s’inclinant. On lui donne l’ordre d’oublier le japonais, car il est indécent qu’une blanche parle le japonais. Alors, pour s’occuper, elle décide de distribuer le courrier. Mais elle se fait très vite rabrouée, car voler son travail à quelqu’un est une très mauvaise action. Donc, toujours pour s’occuper, elle décide de mettre les calendriers à jour, après accord de son supérieur. Aussi Monsieur Saito, sans la contredire ouvertement, lui demande de faire des photocopies. Ce qu’elle fait rapidement avec la machine munie d’une « avaleuse ». Il lui demande de le refaire à la main, une fois, puis deux, puis trois, sous prétexte qu’elles sont décentrées. Tout ça pour un règlement de son club de golf. Fubuki compatit. Monsieur Tenshi lui demande alors de rédiger un rapport sur les procédés de fabrication du beurre allégé. Elle se met à la tâche, recherche les raisons des japonais de s’intéresser à ce procédé, téléphone en Belgique où il est mis en œuvre, et sort le lendemain son rapport que l’autre s’attribue sans vergogne. Quelques jours plus tard, nouvelle engueulade, cette fois-ci pour Monsieur Tenshi. Elle apprend ensuite qu’elle a été dénoncée par mademoiselle Mori, qui a souffert des années pour obtenir le poste qu’elle a aujourd’hui. Elle tente une explication avec Kubuki, peine perdue : « Vous avez brigué une promotion à laquelle vous n’aviez aucun droit. » Elle répond : « Vous êtes ma supérieure, oui. Je n’ai aucun droit, je sais. Mais je voulais que vous sachiez combien je suis déçue. Je vous tenais en si haute estime. » Elle eut un rire élégant : « Moi, je ne suis pas déçue. Je n’avais pas d’estime pour vous. »

Alors, Kubuki la met à la comptabilité. Comptable, moi ? Pourquoi pas trapéziste ? lui demande-t-elle. Il n’était pas rare qu’entre deux additions je relève la tête pour contempler celle qui m’avait mise aux galères. Sa beauté me stupéfiait. Mon seul regret était son brushing propret qui immobilisait ses cheveux mi-longs en une courbe imperturbable dont la rigidité signifiait : Je suis une executive woman. Alors elle passe les trois dernières nuits au bureau pour tenter de venir à bout de son travail. La dernière nuit, « soudain, je ne fus plus amarrée. Je me levai. J’étais libre. Jamais je n’avais été aussi libre. Je marchais jusqu’à la baie vitrée. La ville illuminée était très loin au-dessous de moi. Je dominais le monde ? J’étais Dieu. Je défenestrai mon corps pour en être quitte ».

 Enfin, après d’autres péripéties, comble de l’horreur, pendant sept mois, elle fut postée aux toilettes de la compagnie Yumimoto. Elle ne perdit pas la face. Mais elle acquit la désaffection des hommes pour les toilettes de son étage. Aussi reçut-elle l’ordre d’être aux toilettes sans y être, c’est-à-dire de sortir lorsqu’un homme entre et d’entrer lorsqu’il ressort pour remettre du papier et nettoyer comme il se doit. Cela dura jusqu’au 7 janvier, date de fin de contrat. Elle eut encore une dernière mission à accomplir : remercier ses supérieurs : la compagnie Yumimoto m’a donné de multiples occasions de faire mes preuves. Je lui en serai éternellement reconnaissante. Hélas, je n’ai pas pu me montrer à la hauteur de l’honneur qui m’était accordé… Nous approchons du terme de mon contrat et je voulais vous annoncer avec regret que je ne pourrai le reconduire.

Elle passe ces derniers instants aux toilettes. « D’instinct je marchai vers la fenêtre… Elle était la frontière entre la lumière horrible et l’admirable obscurité, entre les cabinets et l’infini, entre l’hygiénique et l’impossible à laver, entre la chasse d’eau et le ciel… Une ultime fois, je me jetais dans le vide. Je regardais mon corps tomber. Quand j’eu contenté ma soif de défénestration, je quittai l’immeuble Yumimoto. On ne m’y revit jamais.

 

Une fois de plus, Amélie Nothomb enchante ses lecteurs d’une histoire qui semble vraie, mais à dormir debout. Sa particularité : décrire avec un sérieux imperturbable ce qui est farfelu, relater avec humour ce qui est sérieux. Au fond, ce livre est-il autobiographique ou non ? Dans les deux cas, le lecteur passe un bon moment, voire un moment merveilleux, comme une oie qui passe au dessus d’une ville lors de sa migration et qui rit des contorsions des humains qui l’habite.

 

14/09/2011

L'autre jour, dans le métro

 

J’étais l’autre jour dans le métro, je ne sais pour quelle raison. Sans doute à cause du mauvais temps. Mais peu importe, l’essentiel est ailleurs. C’était un métro ordinaire, sale, bruyant, sentant la poussière, bref, un métro comme les autres. Je me préparais à faire les dix stations de mon trajet en pensant à autre chose, en m’abstrayant du contexte morose d’une après-midi pluvieuse qui m’avait contraint à prendre la chenille infernale.

Debout parce que je n’avais pas trouvé de place assise, je regardais autour de moi. En face, face à face pourrait-on dire, se trouvait une femme, la quarantaine, au premier abord sans signes particuliers. Mais en la regardant plus attentivement, je notais un maintien élégant, une expression du visage heureuse, comme une fée qui se promène aujourd’hui parmi les humains, emprunte de sérénité. Elle ne bougeait pas, se contentait de contempler au loin un rêve inaccessible aux autres, et ce rêve embellissait son visage au point qu’il le transfigurait (au figuré bien sûr !). Mais je ne saisis pas tout de suite cette transformation de l’atmosphère (en formation, évidemment). Laissant poursuivre mon regard sur d’autres occupants de la voiture, je remarquais un homme, la trentaine, également sans signes distinctifs. Son attitude respirait une certaine noblesse, par sa façon de se tenir à la barre verticale qui se trouve au centre de l’emplacement dégagé devant chaque porte. Drôle, cette rampe qui, en d’autres lieux, sert à d’autres contorsions qui n’ont rien d’aristocratiques. Mais là c’était un ange qui se tenait à la barre, un ange de tous les jours que l’on ne distingue des autres que parce que l’on est attentif à son apparence. Les doigts légèrement recourbés sur la barre de métal, il semblait aérien, ne tenir debout que par la simple pression de l’extrémité d’un doigt, comme un équilibre merveilleux de grâce et de gravité.

Je m’interrogeais : Que se passe-t-il dans ce métro aujourd’hui ? Je regardais à côté de moi. Etait assise une jeune fille. Elle n’était pas d’une beauté éblouissante, ses vêtements n’avaient pas l’aspect soigné des toilettes de femmes qui attachent de l’importance à leur apparence. Elle regardait au loin, les yeux perdus dans ses préoccupations. Et pourtant, en la regardant un peu plus, je remarquais à nouveau une extrême harmonie qui transfigurait tout son être. Tiens, un deuxième ange, me dis-je, étonné. Comme je continuais à la regarder, elle se tourna vers moi et me fit un sourire. Très rares sont les jeunes femmes qui font un sourire à un homme dans le métro. C’est un signal fort d’invitation que se garde bien de manifester toute personne sensée. Mais il s’agissait d’un sourire autre, comme une invitation au bonheur, à profiter de la vie, à s’ouvrir les bronches pour crier sa joie d’être en vie et d’aller où bon vous semble, monté sur un nuage de béatitude. Très vite, elle reprit une attitude conventionnelle. Mais combien était émouvant ce clin d’œil qui ouvrait sur une autre dimension, celle d’un vol au dessus du métro accompagnant les âmes qui s’y trouvaient.

Intrigué, je poursuivis l’inspection des autres occupants de la voiture. Je n’en trouvais aucun qui donne un sentiment de vulgarité, de laideur ou d’abjection. Chacun possédait une aura propre, qui ne se remarquait pas au premier abord, mais qui, en un instant magique, se dévoilait au travers d’un coup d’œil, d’une expression, d’une attitude, d’un maintien particulier. Ce métro était-il véritablement ensorcelé ou bien était-ce moi qui avait changé mon regard sur les autres ? Je ne sus le dire, mais l’effet était là : le monde était différent, l’invisible devenait visible, sa beauté transparaissait comme une sudation interne que l’on remarque et que l’on caresse de l’œil pour imprégner ce jour d’un titre spécial que je n’ai pas encore trouvé. Mais peu importe le nom, peu importe la manière de le raconter. Seul compte la naissance en soi d’une bouffée évanescente de la grandeur sidérale de l’être humain.

 

 

02/09/2011

Vacances 2 : Plage

 

Une vraie ruche, un bourdonnement permanent : voix basse des hommes, voix de femmes, piano, cris d’enfants aigus comme le marteau sur une enclume. Monde clos par la forme de la plage, comme une arène où les vagues font la corrida avec les baigneurs apeurés, pendant que chacun des spectateurs devise avec son voisin, couché, accoudé sur un bras, comme pour un diner romain, regardant un horizon lointain couronné d’une couche de nuages gris foncés, puis cendrés, puis blancs, puis le bleu du ciel, éblouissant.

Nonchalance pour certains, étendus comme des morts sur une serviette chaude, les bras en croix, béant au soleil, la poitrine se soulevant cependant en cadence, comme assoiffée d’air. Cogitation pour d’autres, allongés sur le dos, la tête sur leur sac, tenant un journal d’une main et un crayon de l’autre, et, parfois, écrivant le mot cherché et trouvé dans une tête vide, sur la grille à remplir. Par moments, dans une intense réflexion, quelques uns abaissent leur publication, contemplent les flots grisâtres, y puisant une inspiration nouvelle qui permet de noircir une case de plus sur un quadrillage en grande partie vierge.

Intermède : au large, passage d’un yacht blanc, filant à bonne allure, fier de sa vitesse, la flèche des superstructures inclinée vers l’arrière au dessus de la cabine du capitaine qui, elle-même, domine la salle des passagers aux fenêtres que l’on devine plutôt qu’on ne les voit. Le bateau s’évapore derrière le mur du fort, fantôme entraperçu et vite oublié devant l’étendue bleu, grise ou noire selon l’éloignement vers l’horizon.

Diverses sont les formes du corps humain. Enfants rachitiques courant dans le sable un seau à la main, s’essuyant le nez de l’autre. Jeune fille svelte marchant noblement, consciente de son effet, inconsciente du soleil qui darde sa beauté d’une couche de caramel. Vieillard ou presque, sur une chaise pliante, mi-assis, mi-couché, engoncé dans l’épanchement de sa chair luxuriante. Homme, la trentaine, les mains sur les hanches, haranguant sa smala serrée autour de serviettes jaunes, tous vêtus de maillots bleus et hérissés de cheveux d’or. Femme, la cinquantaine, allongée sur un bras fléchi, une jambe repliée, comme une Vénus de Milo fatiguée, mais encore capable de faire illusion.

Plus loin des groupes : joueurs aux raquettes de bois bariolées de couleurs dont on suit les mouvements sans voir la balle voler d’un bras replié, pour se détendre brutalement, au bras allongé, pour atteindre in extrémis l’éclair d’une balle invisible. Seul le son des échanges de coup permet de saisir la partie. Autre groupe : les pêcheurs de coquillages, peu importe lesquels, les fesses en l’air, les mains dans l’eau, draguant le sable boueux jusqu’à tomber sur un corps mort, plus ou moins large, plus ou moins lourd, ce qui permet de déceler s’il s’agit d’un caillou ou d’une coquille appartenant à un petit animal qui, une fois cuit, permettra aux heureux bénéficiaires de mastiquer longuement un appareil caoutchouteux en poussant des cris d’extase et en buvant un verre de vin blanc pour le faire passer.

Les mâts se balancent au gré des vagues, les feuillages scintillent sous une légère brise, les cabines immobiles alignent leur toit encadrant un numéro, des cyclistes passent sur la digue. C’est un jour d’été, calme, plat, reposant, d’ennui ouaté, de clignement des yeux pour s’opposer à la force de la lumière, de pieds enfouis dans le sable chaud que l’on essuie avant de remettre de vagues semelles et repartir, réjoui, soulé de vent et de soleil, heureux, mais ramolli et sans but. Quelle puissance évocatrice d’une civilisation que cette journée !

 

 

01/09/2011

La vie est ailleurs, roman de Milan Kundera (1973)

 société,philosophie,poésie

Ce livre m’a semblé très beau et profond et, simultanément, ennuyeux et factice.

 

Certaines pages, certains thèmes utilisés dans le roman sont traités avec délicatesse. Citons, par exemple, le chapitre 8 qui décrit la séduction de la mère de Jaromil par le professeur de dessin de son fils. Ou encore la découverte de la poésie par le corps imaginé de Magda, la petite bonne, au chapitre 10 : « Je suis sous l’eau et les chocs de mon cœur font des cercles à la surface. Ce vers offrait l’image de l’adolescent tremblant devant la porte de la salle de bains […] Ah, mon aquatique amour, disait un autre vers, et Jaromil savait que cet aquatique amour c’était Magda, mais il savait que personnes n’aurait pu la reconnaître derrière ces mots, qu’elle était perdue, invisible, ensevelie […] Cette autonomie du poète offrait à Jaromil un magnifique refuge, la possibilité de rêvée d’une deuxième vie ; il trouva cela si beau qu’il tenta dès le lendemain d’écrire d’autres vers et qu’il s’adonna peu à peu à cette activité. »

 

Et Jaromil s’invente un personnage, Xavier, à la fois différent, mais en même temps semblable, un personnage entreprenant, mais veule. Mais Jaromil grandit et découvre l’amour avec ses rêves, ses hésitations d’adolescent : « L’idée de la nudité féminine lui donnait le vertige. Mais notons soigneusement cette différence subtile : Il ne désirait pas la nudité d’un corps de jeune fille ; il désirait un visage de jeune fille éclairé par la nudité du corps. » Et il finit par faire la connaissance d’une jeune fille, modeste, étudiante, intéressée par les opinions insolites de Jaromil, à tel point qu’elle le traite de gracieux éphèbe. Après de multiples péripéties, il l’embrasse, ce qui lui permet également d’écrire un poème-récit et d’entrer plus avant dans le domaine de la poésie.

On ne sait comment Jaromil devint révolutionnaire, sans doute l’air du temps et la possibilité d’action : « Mais on ne sait jamais dans l’instant présent si la réalité est le rêve ou si le rêve est réalité : les étudiants qui étaient alignés avec leurs pancartes étaient venus là avec plaisir, mais ils savaient aussi que s’ils n’étaient pas venus ils risquaient d’avoir des ennuis. […] Le cortège défilait à travers les rues et Jaromil marchait à ses côtés ; il était responsable non seulement des mots d’ordre inscrit sur les banderoles, mais des clameurs scandées par ses camarades. […] Il les criait d’une voix forte comme un curé dans une procession et ses camarades les répétaient après lui. » (chapitre 19).

Peu après, il connaît l’amour physique avec une petite vendeuse rousse qui l’emmène chez elle dès le premier jour. Et : « Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution, plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour. »

La cinquième partie est par contre plus laborieuse, malgré quelques passages excellents. Elle aborde le thème de la jalousie : jalousie de sa mère pour l’amie, jalousie de Jaromil pour ceux qui l’on touché avant lui. Après une réflexion désagréable d’un camarade de faculté, « il s’émut à l’idée que son amie portait de vilaines robes bon marché, et il voyait là non seulement le charme de son amie (le charme de la simplicité et de la pauvreté), mais aussi et surtout le charme de son propre amour : il se disait qu’il n’est pas difficile d’aimer quelqu’un de resplendissant, de parfait, d’élégant : cet amour-là n’est qu’un réflexion insignifiant qu’éveille automatiquement en nous le hasard de la beauté ; mais le grand amour désire créer l’être aimé à partir, justement, d’une créature imparfaite qui est une créature d’autant plus humaine qu’elle est imparfaite ». « Un jour […] il lui expliqua que la beauté n’a rien à voir avec l’amour. Il affirma que ce qu’il aimait en elle, c’était tout ce que les autres trouvaient laid ; dans un sorte d’extase, il commença même à énumérer ; il lui dit qu’elle avait de pauvres petits seins tristes avec de gros mamelons ridés qui éveillaient plutôt la pitié que l’enthousiasme : il dit qu’elle avait des taches de rousseur et des cheveux roux et que son corps était maigre et que c’était justement pour çà qu’il l’aimait… » La suite de cette partie est un peu pitoyable : la jalousie de sa mère à la venue chez elle de la petite amie rousse, avec l’épisode des spasmes, la conférence des poètes à l’école de police, le détachement et la trahison de Jaromil envers la jeune fille rousse.

Les cinquième et sixième parties sont quelque peu confuses, malgré de beaux passages. Elles sont conçues différemment du reste, faites de petits chapitres parfois sans suite. Le personnage de Jaromil se confond avec d’autres ou avec lui plus vieux. « Dans ce livre, nous dit Kundera, le temps s’écoule à un rythme inverse du rythme de la vie réelle ; il ralentit. […] Chacun regrette de ne pouvoir vivre d’autres vies que sa seule et unique existence ; vous voudriez, vous aussi, vivre toutes vos virtualités irréalisées, toutes vos vies possibles (ah ! l’inaccessible Xavier !). Notre roman est comme vous. Lui aussi voudrait être à d’autres romans, ceux qu’il aurait pu être et qu’il n’a pas été. »

 

Certes, je n’ai fait que raconter à ma manière ce roman, sans en avoir extrait le jus des idées en un ordonnancement élaboré. Mais je crois que le livre lui-même est ainsi et que cela est voulu par l’auteur. Toute analyse intellectuelle de ce que Kundera a ou aurait voulu dire n’a que peu d’importance par rapport à ce qui est réellement écrit. Laissons nous guider par ce vent de liberté qui souffle au travers des pages, dans le désordre, avec l’amour et la confiance sans retenue envers l’auteur, jusqu’à adhérer ou rejeter son œuvre. 

 

 

29/08/2011

Paradoxe de la gaité

 

Paradoxe de la gaité : elle rend triste quand on en a perdu l’objet. La joie n’a plus d’objet particulier. Elle se nourrit de tout. Elle est l’objet.

 

L’école de la joie est une école de juste milieu.

 

04/08/2011

Peut-on parler de progrès en art ?

 

Peut-on parler de progrès en art ? C’est une des questions évoquées par le livre de Milan Kundera intitulé La vie est ailleurs. Dans le chapitre 15, il pose la question au travers d’une discussion dans un cercle de jeunes marxistes. L’un des participants affirme qu’on ne peut pas dire que Shakespeare soit inférieur aux auteurs dramatiques contemporains. Pour Jaromil, le personnage principal du livre, le progrès est incontestable : "les tendances de l’art moderne signifient un bouleversement total dans une évolution millénaire ; elles ont enfin libéré l’art de l’obligation de propager des idées politiques et philosophiques et d’imiter la réalité, et l’on peut même dire que c’est avec l’art moderne que commence la véritable histoire de l’art."

La question ne manque pas d’intérêt. Si l’on peut penser sans trop de difficulté qu’il y a progrès en science, peut-on réellement dire que le même phénomène se répète en art ?

Certes, on constate des ruptures. Ces ruptures sont d’ordre conceptuel. Qu’attend-on de l’art ? C’est ainsi que l’on constate une rupture conceptuelle entre l’art helléniste qui consacre sa plénitude à la contemplation de l’homme et l’art byzantin qui décrit l’invisible derrière le visible, entre l’art classique dont le but est la représentation la plus parfaite de la réalité et l’art impressionniste qui donne la priorité à la perception intérieur, à l’expression du ressenti plutôt que de la représentation exacte de ce qui est vu, enfin jusqu’à l’art abstrait qui évacue la réalité pour une autre, purement fictive. Mais constatons que ce sont les évolutions de la science qui permirent cette transformation : à quoi serviraient les reproductions fidèles de la réalité puisqu’il existe maintenant la photographie et le cinéma ? Mais si ceci est vrai pour la peinture, en est-il de même pour les autres arts ?

C’est certain en ce qui concerne l’architecture. Les progrès techniques de la construction permettent des schémas d’assemblage des matériaux réellement inimaginables il y a encore une centaine d’années. Mais peut-on dire qu’il en est de même pour la littérature ? Je ne le pense pas. Certes, il y a eu un changement culturel dû à l’évolution des idées et des modes de la société. On peut même dire qu’il y a eu un changement conceptuel, par exemple dans la manière d’envisager la poésie : le carcan des règles a sauté au profit d’une pleine liberté d’expression, qui a conduit à autant d’aspects positifs que négatifs. Mais la littérature, par le fait qu’elle est pure invention de l’esprit, échappe au progrès scientifique et donc échappe à l’esprit de progrès irréversible.

Enfin, pour ce qui concerne la musique, l’idée même de progrès reste, me semble-t-il, irréaliste. Là aussi, les progrès techniques dans la construction des instruments, l’utilisation du son numérique et les mixages possibles entre l’instrument joué et le son produit par un ordinateur ont modifié les possibilités offertes. Mais dire que la musique techno est un progrès par rapport aux autres styles de musique me semble une aberration. Certes, au dix-neuvième siècle a été épuisée une bonne partie des possibilités de variations musicales utilisant l’harmonie classique. Oui, ont été inventées au vingtième siècle d’autres conceptions d’utilisation de l’harmonie et du contrepoint allant de l’emploi de modes traditionnels sortant du cadre harmonique classique aux gammes dodécaphoniques. Cependant, peut-on parler de progrès dans ces évolutions, j’en doute. Disons qu’il y a eu un élargissement important des palettes de sons utilisables et de leur organisation dans le temps et l’espace qui a marqué de manière indiscutable le siècle dernier. Mais en quoi peut-on parler de progrès au même sens que le progrès scientifique ou technique ?

Alors sans doute faudrait-il revenir aux fondamentaux : qu’appelle-t-on progrès ? Il sous-entend l’idée d’un avenir meilleur et, de manière plus intellectuelle, l’idée du sens de l’histoire, issue d’une vision du monde occidental, laquelle est assez liée à une conception chrétienne d’avènement du royaume de Dieu. Certes, c’est un résumé facile et simpliste, mais qui ne manque néanmoins pas de vérité, même si le christianisme, tout au long de l’histoire de l’Occident, s’est longtemps opposé à l’évolution des sciences, de la pensée philosophique et de la réalité politique et sociétale.

Si le progrès n’est pas une évolution rectiligne dans le temps et l’espace de l’impact de l’homme sur la création, il demeure cependant en tant que progrès scientifique, qu’accroissement des connaissances, que passage d'un paradigme du savoir à un autre. L’idée de progrès est certes liée à un système d’explication du monde, mais n’existe-t-il pas également une emprise plus élargie de l’homme sur l’univers, pour le meilleur, mais aussi pour le pire ?

 

 

02/08/2011

D'acier, roman de Silvia Avallone

 

C’est le roman de l’adolescence, moment où les sentiments sontlittérature,société exacerbés, en particulier ceux de l’amitié et de l’amour, mêlés au désir du corps, brutal pour les garçons, plus sournois pour les filles, mais tout aussi réel.

Elles sont deux filles canon, les plus remarquées de Piombino, faubourg ouvrier, au bord de la plage, face à l’île d’Elbe. Elles sortent de l’enfance, entre les manifestations d’amitié de l’enfance et les tentations physiques de l’adolescence. Toute la plage les regarde, les admire, les envie. Elles ne sont pas insolentes, simplement épanouies et sans complexes, sûres de leur beauté. Elles découvrent l’amour. Après des tentatives de manifestation d’amour entre elles, Anna tombe amoureuse de Mattia, beau loup de mer ayant navigué trois ans en Mer Noire. C’est la fin de l’amitié entre Anna et Francesca, cette dernière se sentant trahie par l’attitude d’Anna. Francesca adopte une autre amie, par dépit, une petite boulotte qu’elle n’aime pas. Elle ignore Anna qui découvre l’amour à quatorze ans. Mais, après des péripéties, elles finiront par se réconcilier : Elles souriaient, ne parlaient pas. L’une avait la bouche pleine de dentifrice, l’autre les lèvres entrouvertes, un peu gercées. Elles étaient parfaitement accordées l’une à l’autre.

Histoire banale, sans grand intérêt, semble-t-il. Mais, en premier lieu, elle se passe dans un univers très dur où les hommes sont des machos et les femmes soumises, où les pères veillent sur leurs filles avec des arrière-pensées, dans l’ambiance de l’aciérie, seul moyen de gagner sa vie à Piombino, univers inhumain où les hommes s’épuisent et s’enferment dans des certitudes d’enfant. Et dans ce monde éclosent deux chrysalides sans complexe, devant lesquelles les vieux bavent d’impuissance et les adolescents de désir. Elles sont pourtant comme toutes les filles, regardant les garçons, se pavanant en bande devant eux, rêvant d’être dans leurs bras, mais dédaignant leurs plaisanteries obscènes.

En deuxième lieu, ce qui surprend, c’est la maîtrise des descriptions et de l’écriture en général. Deux exemples :

 

Anna et Francesca, quand chez Anna il n’y a personne.

Leur corps pulse comme la musique, avec la musique. Elles attendent que la chanson commence pour se déshabiller.

La fenêtre est ouverte. Elles se sont enfermées à clé dans la salle de bain. Elles le font tous les lundis matin, l’été, quand la classe est finie et que tout le monde est au travail. Elles relèvent le store, ouvrent les rideaux. Elles se tiennent là, à moitié nues, au milieu de la pièce. Dans l’immeuble en face, seuls sont restés les retraités et les tire-au-flanc.

Elles se sont maquillées, outrageusement. Le rouge à lèvres déborde, le rimmel coule avec la chaleur et plâtre leurs cils, mais elles s’en fichent. C’est leur carnaval à elles, la provocation qu’elles lancent par la fenêtre. Au fond, elles le savent que quelqu’un pourrait les mater et tomber le pantalon. (p.32)

 

Elle lui plaisait trop. Elle lui faisait un effet, nom de Dieu, inexplicable. Et puis il se dit que ses intentions n’étaient pas mauvaises. Se persuada qu’il voulait juste la connaître un peu, parler avec elle, découvrir ce qu’il y avait dans cette petite tête, et peut-être même la tenir une minute dans ses bras.

« Eh, la frisée ! », cria-t-il.

Anna en freinant se retourna et scruta la foule.

Merde : elle était à tomber.

Cette frimousse insolente, pendant qu’elle cherchait qui l’avait appelée… elle était fantastique !

Tant pis, il lui expliquerait ; à Alessio, et s’il fallait encaisser la beigne, il l’encaisserait. Anna soudain le vit. Le reconnut. Pila brusquement.

Mattia. MAT-T-IA. Accoudé à la balustrade, beau comme Brad Pitt dans Thelma et Louise, beau comme Ricardo Scamarcio sur la couverture de Cioè.

Elle éprouva une seconde de désarroi, de joie folle, sauvage… (p.182)

 

Mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un roman social comme le prétend La Repubblica. Ce serait le déclasser. C’est un bon roman, écrit à 25 ans et tiré à 350 000 exemplaires. C’est tout. Mais, c’est déjà beaucoup.

 

 

21/07/2011

Danse, danse, danse, d'Haruki Murakami

 littérature,société,livre,philosophie

Je lis ce livre d’Haruki Murakami dans lequel il est confronté, dans un hôtel curieux, grand building construit sur l’emplacement d’un petit hôtel minable, mais portant le même nom, l’hôtel du dauphin, à l’homme-mouton (qui a déjà fait l’objet d’un livre antérieur). Et celui-ci ne lui donne qu’un conseil : danse, danse, danse.

" Mais il n’y a rien d’autre à faire que danser, poursuivit l’homme-mouton. Et danser du mieux qu’on peut. Au point que tout le monde t’admire. Danser tant que la musique durera. Ne te demande pas pourquoi. Il ne faut pas penser à la signification des choses. Il n’y en a aucune au départ. Si on commence à y réfléchir, les jambes s’arrêtent. "

Et Haruki (ou plutôt le personnage de ce livre) danse. Il décide de s’installer dans cet hôtel. Il a fait la connaissance de la réceptionniste avec laquelle il devient plus ou moins ami. Il rencontre également Yuki, très belle, qui n’a que treize ans et dont il se fait une amie, malgré les réticences de la jeune adolescente. Il retrouve un camarade d’école qui a réussi et qui est acteur. Il fait la connaissance d’une magnifique prostituée et en fait une amie de cœur. Enfin (je n’en suis qu’au tiers du livre), il revoit au cinéma une amie avec laquelle il a passé quatre ans, Kiki, et s’interroge sur ce qu’elle est devenue. Tout cela semble décousu. Mais au fond, ce qui semble important dans ce livre se résume au simple mot « danse ».

Mais qu’est-ce que danser ? Je vais laisser aller mon imagination ou plutôt ma propre compréhension de ce mot, sans cependant savoir ce que me dira la suite du livre. Je me trompe peut-être, mais c’est ma vision personnelle. Danser, c’est se tenir sur le fil du rasoir entre le besoin de sincérité vis-à-vis de soi-même et la nécessité de jouer un rôle en face des autres. C’est également le juste milieu entre la vie personnelle, intime, et la vie extérieure, en société, même restreinte. Et réussir sa vie, c’est la capacité de chaque individu à réaliser ce cocktail difficile, ni trop, ni trop peu.

Pour cela il faut se lancer des défis qui feront progresser votre personne, pas simplement votre personnage, mais votre moi profond, dans sa confrontation avec lui-même et avec les autres. Ce sont des défis tout à fait personnels, qu’aucun n’a besoin de connaître. Ils ne peuvent être imposés par les conventions ou les ambitions sociales. Ils ne peuvent non plus être une recherche de satisfaction personnelle. Ils doivent comporter l’équilibre entre vos deux êtres, votre moi et votre personne, celle qui se présente aux autres.

Danse, danse, danse… C’est l’exigence de la vie. Si l’on s’arrête de danser parce qu’on est fatigué, ou inversement si l’on tourne sans rythme ni grâce parce qu’on se complaît à ne plus faire que ce que les autres attendent de vous, alors on meurt à soi-même.

C’est bien sur le fil du rasoir que doit se délivrer la danse, jusqu’au jour de l’envol final.

 

 

19/07/2011

Vivre en somnolence perpétuelle

 

Vivre en somnolence perpétuelle sans jamais vraiment connaître la réalité.

Qu’a-t-on d’ailleurs à connaître ? Des phrases, des mots alignés sans fin qui sont lancés vers le miroir concave de la curiosité. Les regarder vivre sans se sentir concerné. Même, est-ce bien moi qui renvoie les mots comme une balle de tennis ? On reconnaît le joueur adroit à cette promptitude de la réplique.

J’attrape parfois au vol un mot que je renvoie dans le jeu… Information… Négociation… Affaire… Que de mots creux et significatifs du jeu. Si toutes les raquettes pouvaient être percées !  Un jeu de silence sur une pelouse verte. Le monde de fer et de béton est fait pour résonner. Vivre dans le grand tambour où les mots s’éparpillent en ondes, comme les particules dont certaines seulement produisent une réaction.

Evaporation de la parole où la bouche s’ouvre sur la bulle irisée de l’incompréhension, carpe suburbaine, poissons de métabolisme buccal, je vous regarde vous affronter dans vos joutes mortelles. Car la parole est l’arme du crime parfait, de l’assassinat social.

Quand d’un regard je te pénètre, pourquoi détruire par le mot l’instant éternel de la compréhension.

 

 

10/07/2011

La trajectoire des piétons

 

Imprévisible. En conduisant, vous pouvez prévoir la trajectoire d’une voiture et anticiper ce que le conducteur compte faire, même lorsqu’il semble ne pas savoir où aller. Mais il est impossible de prévoir la trajectoire d’un piéton sur un trottoir lorsque vous courez dans Paris.

Il y a, en premier lieu, les piétons isolés qui viennent vers vous sur le même trottoir. Ceux qui regardent ailleurs et, parce qu’ils ont la tête tournée suivent une courbe dans le sens du regard. Ils sont anticipables, s’ils ne changent pas l’objet de leur regard, mais c’est rarement le cas. Ceux qui regardent au loin, les yeux dans le vide, c’est-à-dire qui ne regardent rien et dorment au monde immédiat pour se réfugier dans une rêverie sans fin où d’angoissantes questions les obligent à oublier leur environnement. Enfin, on rencontre des gens sérieux qui sont capables d’anticiper comme vous. Malheureusement, le plus souvent, ils anticipent dans le même sens que votre propre anticipation, ce qui conduit à une valse d’hésitation qui se termine par un sourire ou parfois un rire commun.

On trouve ensuite les duos de piétons : femme avec un enfant, femme avec une autre femme, femme avec un homme ou encore homme avec un homme. Chacun d’eux a des comportements différents, même à l’intérieur de chaque catégorie.

La femme avec un enfant, parce qu’elle-même est dans ses pensées, occupe tout le trottoir et ne vous voit même pas approcher et être contraint de s’engouffrer entre deux voitures garées pour laisser passer leur traineau de deux personnes que rien ne peut entamer. Il arrive parfois qu’un sourire accompagne le geste de tirer l’enfant pour vous laisser un passage, comme une excuse de laisser si peu de place sur un étroit trottoir.

Deux femmes ensemble sont des duettistes indissociables qui restent de front quoi qu’il arrive. Impossible de les faire passer de la ligne à la colonne, ce serait rompre leur plaisir incommensurable de discuter de tout ce qui n’est rien.

Lorsqu’il s’agit d’un homme et d’une femme, ce sont pour beaucoup des amoureux. Or, nous le savons, l’amour est sans pitié, tête en l’air et corps contre corps. Alors comment les dissocier lorsqu’ils sont soudés l’un à l’autre par la main, les bras ou la bouche ? La rue leur appartient !

Vous vous effacez, contemplant leur bonheur qui vous procure un air de vacances avant de vous trouver en face de deux hommes parlant de sport avec force gestes et expressions corporelles. Vous vous dites, ils vont me laisser un passage et vous vous mettez manifestement devant eux pour pouvoir y accéder. Peine perdu. Ils vous ignorent, ne savent même pas que vous êtes là et l’un d’eux vous bouscule et se retourne l’air offusqué comme si volontairement vous lui aviez fait l’affront d’engager une partie avec lui. Ne voulant pas perdre de temps, vous continuez en haussant intérieurement les épaules.

Il est encore plus difficile de dépasser, plutôt que de le croiser, un piéton sur un trottoir dont la largeur ne surpasse pas deux personnes et demi. Il marche généralement au milieu de la chaussée et selon son regard, il oscille de droite à gauche au gré de ces intérêts ou de ses pensées. Vous vous décidez à le doubler par la droite, mais à ce moment il arrive devant une agence immobilière ou elle passe devant une boutique de vêtements et, sans que ce soit volontaire, s’en rapproche pour mieux la contempler. Au dernier moment vous décidez de passer de l’autre côté, mais il se tourne vers la gauche parce qu’il a vu une somptueuse voiture garée là ou parce qu’elle a remarqué sur sa plage arrière un chapeau qui lui paraît admirable.

Deux personnes, qu’ils soient du même sexe ou différent, constituent un obstacle infranchissable. Soit ils sont tous les deux dans leurs pensées dont rien ne peut les en faire sortir, soit ils parlent entre eux, et, quel que soit ce qu’ils disent, ne vous entendent ni arriver sur eux, bien que vous accentuez implicitement le bruit de votre course, ni même demander le passage après que vous ayez été contraint de vous arrêter. « Pardon Madame, peut-on passer ? » Elle vous regarde d’un air furieux puisque vous la dérangez et, de plus, surprenez sa conversation intime avec son ami (probablement plus) ou son amie (peut-être moins).

Alors que dire des groupes, d’enfants, de femmes, d’hommes ou même mixtes, encore plus difficiles à manœuvrer.

Il peut vous arriver si vous courrez dans les lieux touristiques, que vous tombiez sur des touristes ou des personnes âgées qui se dirigent vers l’entrée d’un car tout en pérorant sans cesse entre eux. Renoncez tout de suite et traversez la voie publique ou vous serez immobilisé, puis avalé par cette guimauve humaine dont vous aurez beaucoup de mal à vous décoller. Ils ne vous feront aucun mal, ils ne vous verront pas, même coincé entre eux, la tête à hauteur des seins ou des parapluies selon l’origine géographique du car.

Les groupes d’enfants sont généralement accompagnés par un professeur et quelques parents ayant accepté de fournir une main d’œuvre à l’enseignant. Là, d’une voix péremptoire, il vous sera intimé de rester sur place sans bouger en attendant que la longue chenille d’enfants piaillant vous soit passée sur les pieds. Malheur à vous si vous tentez de passer, vous agressez les enfants, vous êtes un mauvais citoyen et même les autres passants vous regarderons comme criminel. Alors vous trottez sur place en attendant que le dernier des enfants qui, bien sûr se traine, convient qu’il est temps de rejoindre les autres.

Il y a aussi les collégiens ou lycéens, et pourtant ce n’est pas votre faute si vous habitez à côté d’un établissement d’enseignement, qui occupent le trottoir, sont assis sur les voitures en stationnement et débordent largement sur une chaussée où les automobilistes tentent de les éviter. Là il vaut mieux avoir changé de trottoir largement plus avant, afin d’éviter toutes sortes d’ennuis qui vont de l’obstruction pur et simple aux quolibets qui peuvent parfois, mais rarement, devenir humoristiques.

Rien, bien sûr, ne contraint le piéton en matière de déplacement sur les trottoirs. Il y avait autrefois des règles de politesse telles que « les hommes se mettent du côté chaussée et les femmes du côté immeuble », « laisser passer un vieil homme lorsque le passage ne permet qu’une seule personne à la fois ». Mais tout ceci est prohibé, puisque, lorsqu’on marche sur un trottoir, on n’a pas le temps de faire attention aux autres. De nouvelles règles ? Jamais ! Ce serait encore plus contraignant et pénible que la situation actuelle. Vous voyez-vous face à un agent de la force publique vous contrevenant parce que vous avez dépassé une dame par la droite plutôt que par la gauche ?

Alors me direz-vous, quelle idée de courir dans Paris ? Oui, drôle d’idée, comme de coudre sur une plage, de marcher dans la boue ou de chanter au bureau. Et pourtant, quelle joie au petit matin, lorsque le soleil pointe ses premiers rayons, de laisser dérouler sa machine corporelle, d’enclencher ses rouages et de partir au gré de la course, le nez au vent, heureux de cet air frais qui vous donne des jambes et égaille votre esprit. Alors, malgré ces obstacles humains perpétuels, vous souriez à la vie et aux gens pour rentrer chez vous, apaisé et prêt à poursuivre une journée d’enchantement.

 

 

09/07/2011

Merlin le Roi, visite chez l'enchanteur

 

A côté de Beaubourg pour les artistes,

Merlin le Roi et non l’Enchanteur

Et pourtant l’enchantement est là

Par la succession d’outils et d’objets

Qui tous servent à construire

Ou encore réparer ou enjoliver

Quand on n’est pas artiste,

On peut tenter de se faire artisan !

 

J’ai parcouru les couloirs souterrains

De cette caverne d’Ali Baba

Entouré de personnages extasiés

Portant de lourds paniers

Emplis de creux, de bosses

Débordant d’ustensiles très utiles

Pour apaiser la plainte

Et redonner espoir

Au nid si douillet qu’ils chérissent

 

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Des caisses d’ampoules dites bio

Qui n’éclairent que leur ombre

Des boîtes de vis, clous, chevilles

De toutes couleurs et de toutes tailles

Qui piquent la main égarée

Et même, des outils, marteaux et scies

Electriques pour la douceur féminine

 

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Des appareils à poncer, à amincir

A donner un air aimant

A l’objet le plus anguleux

Des colles, pour réunir deux

Et ne plus faire qu’un,

Des joints pour boucher

Les écoulements nuisibles

Et non prévus fonctionnellement

 

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Stand de peinture déluré

Où la couleur se conjugue

En changement subtil

Du blanc crème au vert pastel

En passant par le rouge coquelicot

Les yeux exorbités je contemple

Les étagères enduites de pots

Emplis de signes illisibles

Et de dessins qui les remplacent

Jusqu’à quel point les mélanger ?

 

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Des vasques blanches ou noires

Arrondies ou anguleuses

Au dessus desquelles coule l’eau

Transparente, d’un robinet

Sans poignée ni poussoir

Qui laisse la soif s’emparer

Du compulsif égaré

Et pourtant, ceux-ci ne manquent pas

De toutes formes, brillants

Et majestueux en col de cygne

 

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Et parmi tout ceci l’homme

Ou la femme, affairé(e) et stoïque

S’interrogeant sur l’achat

Se pliant au paiement

Encombré(e) et alourdi(e)

Mais combien illuminé(e)

A l’idée d’avoir à

Scier, gratter, poncer, peindre,

Pour faire de la matière

Un objet bien vivant

 

 

 

27/06/2011

Sagesse

 

L’homme moderne croit avoir atteint une plus grande sagesse morale que ses prédécesseurs sur terre, comme si les progrès de la civilisation matérielle avait permis son progrès moral. Pourtant, il y a cinq mille trois cent ans, il était écrit dans un des deux plus anciens livres du monde, les Instructions de Ptah-Hotep, écrit à l’usage des princes égyptiens :

« Si tu es sage, tu prendras soin de ta propre maison. Tu chériras ta femme, tu lui donneras la nourriture, tu la vêtiras et tu la soigneras si elle est malade. Remplis son cœur de joie pendant toute sa vie et ne soit point sévère… Soit bon avec tes serviteurs selon la mesure de tes moyens. La paix et le bonheur sont absents de la maison dans laquelle les serviteurs sont malheureux. »

Il est aussi dit :

« Si tu recherches des responsabilités, applique-toi à être parfait. Si tu prends part à un conseil, rappelle-toi que le silence vaut mieux que l’excès de paroles.

Ainsi il y a plus de cinq mille ans, l’homme possédait une morale aussi développée que la nôtre, pour un certain nombre, tout au moins.

Pour conclure et mettre en évidence l’universalité de cette morale, prenons l’exemple du Tao to king, écrit par Lao Tseu au XVIIème siècle, que l’on peut rapprocher de ce qui précède :

« Pour gouverner les hommes et servir le ciel, rien ne vaut la modération… Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas. »

 

Mais alors rien n’aurait changé ?

Si, très certainement. Ces préceptes sont devenus la règle universelle, mais escortée de la judiciarisation qui le permet. Devenus règle de droit, ils s’imposent par l’action de la police et de la justice, avec les abus qui l'accompagnent. L’objectif de beaucoup est encore de dissimuler leur violence qu’ils considèrent comme naturelle et de droit. Alors avons-nous réellement progressé ? Ce n’est pas vraiment sûr !

 

 

26/06/2011

Matériels de cuisine, maison Dehillerin

 

Près des Halles (enfin, les anciennes !), se trouve un magasin, que dis-je, une grotte, où sont enfermés une multitude d’ustensiles de cuisine. Quelle collection ! On s’y perd.

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Ils sont en fer blanc, en cuivre, en fonte, en acier, en porcelaine, en osier. Ils sont ronds, carrés, en hauteur, en largeur, en profondeur, de toutes tailles, de toutes sortes, de toutes engeances, pourrait-on dire.

 

 

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Tout cela sent le vieux, l’hétéroclite, le mauvais mariage, la cuisine de lycée, mais en même temps s’échappe du magasin un fumet de bonheur parce que la cuisine c’est la magie des pupilles, la flamme du regard et le grésillement des oreilles au dessus du fourneau. Relent de poussière aussi, mais derrière cette apparence on devine l’odeur des civets, les effluves de légumes, l’exhalaison des rôtis, l’arôme des desserts.

 

 

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Vous partez vers le monde des sens. A travers celui de la vue, qui seul est réel dans le cas présent, vous devinez ceux du toucher, de l’odorat, du goût, un monde à fleur de peau, sans chair de poule.

Vous vous rêvez assaisonnant délicatement tel ou tel gibier, ajoutant par ci par là quelques feuilles de simples, quelques poudres odorantes, pour, au dessus des casseroles, mourir à petits feux avec grande délectation.

Mais malheureusement vous n’êtes que devant quelques plats enrobés de papier huilé, quelques faitouts enveloppés de sacs de plastique, attendant tristement un client hypothétique qui le sortira de cette prison pour le faire vivre sur un feu chaud et rond.

 

 

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Seuls les objets bourgeois ont droit à une meilleure présentation, rangés dans des présentoirs de manière ordonnée ou encore suspendus de manière décorative, voire artistique, comme des biens de collection au mur. Ils sont là pour impressionner le client, l’allécher des yeux et lui faire miroiter mille possibilités d'utilisation.

 

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Que la cuisine est difficile lorsqu’elle n’a rien à se mettre sous la dent. On peut toujours rêver, mais le rêve ne remplace pas un estomac qui se remplit !

 

 

 

 

 

21/06/2011

La grande peur du condamné

 

La grande peur du condamné, n’est pas la peur de mourir.

C’est la connaissance du fait qu’il ne vivra plus et le regret de tout ce qu’il aurait pu vivre.

 

A vingt ans, le nombre de possibilités heureuses qui s’ouvrent devant soi paraissent infinies. Peu à peu, cette ouverture se resserre. On imagine plus facilement l’avenir, il semble de plus en plus tracé. Pour certains, il devient même inexorable et oppressant.

Il y a pour chacun un équilibre à réaliser : garder une ouverture certaine, mais avoir une direction d’avenir. Avoir un but, mais ne pas en être prisonnier.

 

 D’où la nécessité d’apprendre à rebondir, à disposer d’une certaine résilience qui est l’art de pouvoir changer d’orientation sans en être traumatisé et en trouvant l’expérience intéressante. L’ouverture dans la vie, c’est savoir trouver de nouvelles voies lorsque celles que l’on a l’habitude d’emprunter sont bouchées.

 

 

17/06/2011

La porte étroite, d’André Gide, 1909

 

C’est le titre qui nous donne la clef du livre : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent : mais étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la vie, et il en est peu qui les trouvent. »

Elle pourrait sembler banale et mièvre cette histoire de Jérôme et d’Alissa, cet amour de deux êtres qui ne cessent de s’aimer sans pouvoir se rejoindre. Juliette, la sœur d’Alissa, qui aime aussi Jérôme, est le prétexte du développement du thème du livre.

C’est le procès, fait par André Gide, d’une vie pieuse et d’une morale chrétienne mal comprise que s’imposèrent beaucoup de jeunes filles de l’époque. Ne jamais vouloir sacrifier au plaisir terrestre et immédiat, mais toujours s’imposer une conduite plus haute qui refuse le bonheur de ce monde pour un bonheur plus lointain. Croyant faire leur bonheur, elles bâtissent de leurs propres mains leur malheur et souvent celui des autres. Alissa se sacrifie d’abord pour sa sœur Juliette, puis ce sacrifice devenant inutile, elle se force à jouer son rôle par orgueil et fausse piété. Car c’est de cela dont Gide fait le procès, une fausse éducation chrétienne entraînant au péché par orgueil et exaltation, orgueil de sainteté et de renoncement. Le drame d’Alissa est de ne pouvoir choisir entre sa morale et son amour. Elle meurt de cette ambigüité sans oser la résoudre.

 

Jérôme et Juliette vivent une même ferveur religieuse, approfondie par des lectures communes. Au fil des ans, Jérôme ne cesse de souhaiter épouser Alissa tout en se forçant avec elle et pour elle à une vertu sans faille : « Je ferais fi du ciel si je ne devais pas t’y retrouver. » Malheureusement, Alissa découvre l’amour de sœur Juliette pour Jérôme. Elle annule leurs fiançailles, et laisse le champ libre à sa cadette. Mais celle-ci, assurée que Jérôme n’éprouve rien pour elle, rivalise dans le sacrifice en épousant un tiers. Une longue séparation permet à Jérôme et Alissa de retrouver une certaine sérénité. Ils échangent à nouveau leur amour sans toutefois évoquer la possibilité d’un bonheur matériel. Séparer à nouveau, en raison de cette obsession d’un bonheur trop haut, il se retrouve peu avant les derniers instants d’Alissa, qui meurt d’un goût trop prononcé pour le sacrifice.

Les souvenirs de Jérôme, très bien écrits malgré ce qu’en dit Gide (flasque caractère […] impliquant la flasque prose), ne sont que l’histoire de leur vie dont l’explication est donnée par le journal d’Alissa :

_ Pourquoi me mentirais-je à moi-même ? C’est par un raisonnement que je me réjouis du bonheur de Juliette. Ce bonheur que j’ai tant souhaité, jusqu’à lui offrir de lui sacrifier mon bonheur, je souffre de le voir obtenu sans peine, et différent de ce qu’elle et moi imaginions qu’il dût être. Que cela est compliqué ! Si… Je discerne bien qu’un affreux retour d’égoïsme s’offense de ce qu’elle n’ait pas eu besoin de mon sacrifice pour être heureuse.

Je suis comme humilié que Dieu ne l’exige plus de moi. N’en suis-je donc point capable ?

_ Il me semble à présent que je n’ai jamais tendu à la perfection que pour lui. Et que cette perfection ne puisse être atteinte que ans lui, c’est, ô mon Dieu, celui d’entre vos enseignements qui déconcerte le plus mon âme.

_ Hélas, je ne le comprends que trop bien à présent, entre Dieu et lui, il n’est pas d’autres obstacles que moi-même. Si, peut-être, comme il me le dit, son amour pour moi l’inclina vers Dieu tout d’abord, à présent cet amour l’empêche ; il s’attarde à moi, me préfère et je deviens l’idole qui le retient de s’avancer plus loin dans la vertu. Il faut que l’un de nous d’eux y parvienne, et désespérant de surmonter dans mon lâche cœur mon amour, permettez-moi, mon Dieu, accordez-moi, la force de lui apprendre à ne m’aimer plus, de manière qu’au prix des miens, je vous apporte ses mérites infiniment préférables… Et si mon âme sanglote aujourd’hui de le perdre, n’est-ce pas pour que plus tard, je le retrouve en Vous…

 

Epilogue, Jérôme et Juliette dix ans plus tard :

_ Si j’épousais une autre femme, je ne pourrai faire que semblant de l’aimer.

_ Ah ! Alors tu crois qu’on peut garder si longtemps dans son cœur un amour sans espoir ?

_ Oui, Juliette.

_ Et que la vie peut souffler dessus chaque jour sans l’éteindre ?

 

La critique littéraire Pascale Arguedas explique que « Ce court roman écrit en 1905, paru en 1909 — premier vrai succès de librairie d’André Gide — est le négatif de L’Immoraliste qui célébrait le monde enivré des couleurs, des parfums, du corps humain, une aspiration à la « gloire célestielle ». […] Histoire d'un sacrifice, de l’adultère, du protestantisme et du puritanisme, ce roman d'apprentissage et de l'abnégation, d’inspiration fortement autobiographique, se présente telle une parabole et rend compte d'une société refoulée dont l’auteur s'attache à dénoncer les failles. […] Dans un style sobre et dépouillé, André Gide exploite l’intérêt dramatique, moral et didactique, en observateur, analyste et peintre de lui-même, présentant Alissa comme le symbole de l'amour impossible. »

 

 

15/06/2011

Vide-grenier

 

Hétéroclite, quel drôle d’adjectif.

 

On nous dit : Qui s’écarte des règles habituelles,

Encore faut-il connaître ces règles !

Il semble plutôt que l’on peut en parler

Lorsqu’il n’y a pas de règles.

 

D’autres vous diront : De bric et de broc.

Avez-vous déjà été à un vide-grenier ?

On pourrait plutôt parler de bric à brac.

 

 

 

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Parcourant les rues au fil des objets,

Vous découvrez l’envers des apparences.

Sont étalés ce qui alluma un jour,

Dans le cœur ou l’esprit ou l’émotion

D’anonymes, l’étincelle nécessaire à l’achat.

 

Bien vite rejetés, ces articles nous parviennent,

Parfois dans leur emballage cartonné,

Comme un trésor enfoui et ignoré

Pour tenter de séduire un autre anonyme.

 

Ils arrivent également empoussiérés,

Comme un vieux chewing gum

Que certains jettent sur la chaussée

Et qui se collent sous la chaussure

Pour vous dire ne m’oublie pas.

Pourtant ils ne paient pas de mine.

 

Au-delà des objets, les gens :

Ceux qui vendent distraits, un demi-euro,

Ceux qui marchandent de trente à quinze,

Ceux qui n’ont qu’un prix et n’en démordent pas,

Ceux qui acceptent de donner ce qu’ils ont rejeté.

Voilà pour les vendeurs affichés.

 

Mais les acheteurs ont aussi leurs caractéristiques :

Ceux qui passent sans parler et sans voir,

Tournant en rond dans les allées d’objets,

Qui ne veulent rien sauf un moment de distraction,

Ceux qui parlent beaucoup et n’achètent rien,

Ceux qui ne parlent que pour donner un chiffre,

Ceux qui ont besoin de l’histoire de l’objet

Pour raconter pourquoi ils l’ont acheté,

Ceux qui vérifient, éprouvent la solidité,

Testent longuement tout ce qui peut casser,

Avant de laisser l’objet, exsangue et épuisé.

 

Il y a aussi d’autres gens, distraits,

Qui passent parce qu’ils habitent là,

Ou encore vont chez le dentiste ou l’orthopédiste.

On rencontre parfois celui qui sort sa voiture

Parce qu’il a oublié ce jour de festivité,

Contraignant le vendeur malheureux

A déménager son bric à brac

Qu’il ne considère pas comme hétéroclite

Parce qu’il pense être seul sur le marché

Des objets esseulés et inattendus.

 

Il y a ceux qui profitent de la fête

Pour vendre toutes sortes de biens,

A manger, à boire, ou même à fumer,

Pas celle des saucisses qui grillent

Stoïques sur une plaque de tôle,

Pour la magie des enfants du quartier

Et le plaisir des affamés prudents.

 

Pêle-mêle sont les articles disparates :

Pelles sans manche, manche sans bras,

Bras de fer, fer de lance, balance.

On trouve de tout dans le bric à brac

De personnes et d’objets hétéroclites

Qui vont de bric et de broc jusqu’à la fin du jour.

 

 

11/06/2011

Foule

 

Toute affluence de personnes amène deux attitudes : l’immersion qui entraîne l’adhésion et la participation à l’action de la foule en perdant le contrôle d’une partie de soi-même ou le retrait qui, par la distance psychologique que l’on garde vis-à-vis des autres, permet de rester soi-même. Ces deux attitudes peuvent varier à chaque instant selon les circonstances extérieures et la nature de l’affluence : multitude de personnes ayant leurs objectifs propres sans contact les uns avec les autres, telles les artères des grandes villes un jour d’affluence ; cohue comme cela peut être le cas dans le métro à certains horaires (l’objectif est d’arriver à prendre le métro) ; attroupement où déjà se manifeste un intérêt ou une excitation collective ; enfin foule devenant une entité vivante, devant laquelle l’individu s’efface au profit de la masse.

 

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C’est un passage de l’anonymat à la reconnaissance mutuelle, voire l’action.

Avant toute réflexion sur la notion d’affluence, il y a l’impression d’anonymat collectif, expression contradictoire, mais qui montre la difficulté de choisir son attitude. Je suis moi-même, je regarde mes voisins que je ne connais pas, mais avec lesquels je peux échanger, puis très vite, en raison de la distance, ces voisins deviennent des individus, puis des corps anonymes qui s’agitent et font du bruit. Immuable, le soleil éclaire la scène comme chaque jour que le monde fait.

Quelle surchauffe !

 

 

 

08/06/2011

Quartier latin

 

Sortir du cinéma, se noyer dans la foule qui s’écoule entre les écueils de la rue, se bousculer dans l’indifférence, avaler par les yeux les mots que l’on vous jette au visage pour imprégner en vous un réflexe consolateur, ainsi éprouvais-je la liberté geôlière de ces gens qui défilent à pas comptés , le regard vide ou avide, les bras enchevêtrés et les cœurs séparés, revêtus de parures et d’ennui. Quelques mots saisis au passage, quelques mots sans vie de phrases que l’on dit parce qu’il faut parler, quelques paroles tombées sans lassitude comme la pluie, indifférentes et journalières.

Parlez, car la parole est votre drogue. Ici est le lieu de la parole, dépensée en pure perte, érigée en monument sonore au dôme éclatant, écoulée en flots le long des pierres usées du caniveau, affichée sur les murs, les vitres et les vêtements même. Lieu que j’aime encore, car les mots n’ont plus de sens, les phrases pas de suite. Lieu que j’exècre aussi, car les mots ont d’autres pouvoirs que cette ivresse prodigue. Silence des regards que l’on croise, de ces regards sans nom où passe la ville bariolée. Je les ai regardés, tous, les uns après les autres, sur ce voile de bienfaisante tiédeur qui envahit leur corps, je les ai vus aussi se lécher les doigts, comme des enfants, après avoir englouti des sucreries mièvres achetées dans un réduit graisseux.

Et pourtant combien est vraie et émouvante cette vieille ville qui dure immémoriale au pied de la foule qui passe sans lever les yeux. Elle porte les stigmates de son indifférence à son égard, mais elle cache aussi au-delà de ses façades grises, sous un porche humide, des prodiges d’architecture, où tournoient de charmants escaliers en colimaçon et des fenêtres étroites. Elle cache aussi des artistes qui s’évertuent à créer ce que d’autres jugent sans comprendre. Elle cache enfin des amours, des deuils, des naissances, bref la vie qui va et part, qui vient et repart, qui sans cesse se noue et se dénoue au fil des jours dans les pierres qui restent, immobiles, jusqu’au jour de la déchéance.

 

 

27/05/2011

Musée Jacquemart-André

 

Cet hôtel particulier fut édifié à la fin du XIXe siècle dans le nouveau Paris d’Haussmann par Edouard André et son épouse Nélie Jacquemart, couple de grands collectionneurs.

 

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C’est un vrai musée. Tout y est grandiose, arrangé en décor, les chaises alignées le long des murs, les tableaux suspendus symétriquement, les bustes mis en valeur sur leurs colonnes de marbre, dorures sur les boiseries à profusion en imitation des salons Napoléon III du Louvre, voire du château de Versailles pour les grands salons. Des portraits d’hommes altiers, sûrs d’eux-mêmes, satisfaits de se retrouver suspendus en d’aussi augustes lieux, quelques femmes, rondelettes et joliment nues ou plus mûres et sévèrement habillées. Un seul portrait dénote sur les autres, celui de la comtesse Skavronskaia, d’Elisabeth Vigier Le Brun, dont nous parlerons prochainement.

Le décor est imposant, voire solennel, mais ce n’est qu’un décor dans lequel on imagine femmes et hommes figés dans une semi-immobilité, raidis par des vêtements ajustés, se souriant sans rire franchement, buvant des rafraichissements en écoutant d’une oreille distraite une musique qui n’est qu’un fond sonore. Tout est à sa place et tellement bien à sa place qu’on a du mal à imaginer autre chose que ces alignements de portraits, de bustes, de chaises, de commodes, de tapisseries.

Quel étouffoir ! Paris du début du XXème siècle, un Paris qui ne sait pas ce qui l’attend et qui vit au rythme des fêtes. Notons que l’on retrouve dans ce musée le même style de public que le musée lui-même : retraités aux cheveux rares ou en bouclettes-mamies, groupe de cheftaines en mal d’explications et qui parlent bien sûr des dernières expositions qu’elles ont vu sans s’intéresser à celle qu’elles visitent. Très peu de jeunes, pas de rire, l’oreille collée à l’audioguide écoutant sagement les commentaires savants du « cicérone sonore individuel ». Seules quelques mères juvéniles, leur enfant sur le ventre, errent dans les salons en attendant l’heure du biberon.

 

 

02/12/2010

La vie

La question de la vie pose celle du sens de la vie, celle-ci pose également la question de la mort et de son sens et, au delà, de ce qu'il peut y avoir derrière la mort.

Rien ne nous le dira, même si les "Near Death Experience" ou expérience de mort imminente semblent apporter quelques éléments de connaissance d'un au delà derrière la fin de la vie. Peut-être est-ce à rapprocher de l'antimatière découverte en 1931 par Paul Dirac, prix Nobel, l'un des créateurs de la physique quantique.

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02/05/2024

L'enterrement de l'oiseau

Ils étaient trois, trois enfants devant la tombe de l’oiseau, tout à leur chagrin.

Quel jeu ! Enterrer un pivert trouvé mort dans l’herbe tendre un matin d’été.

Ils l’installèrent dans une boite à chaussures, entouré de coton hydrophile, les plumes soigneusement lissées. La goutte de sang du bec fut essuyée avant sa mise en bière. Le long du mur du jardin, un trou fut creusé dans la terre sèche. Ce ne fut pas sans mal. Pic et pioche furent employés. Ils travaillèrent avec ardeur sous le soleil du matin, protégés par les frondaisons.

Quand tout fut prêt pour l’instant solennel, ils se figèrent au garde-à-vous, l’œil embué et entonnèrent la Marseillaise. Puis, se regardant, ils entreprirent de chanter « Ce n’est qu’un au revoir, mes frères… ». Le carton enfouit dans son trou, ils le recouvrirent de la terre poussiéreuse qui, longtemps encore, laissa voir le bleu du couvercle, comme un avant-goût du ciel. 

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Alors le plus jeune accrocha à la croix fabriquée par les deux autres l’épitaphe longuement réfléchie et retranscrite telle quelle :

 

Cher Général Jean-Claude Pivert

Merci de votre loyal service tout au long de ces 50 ans. Merci de nous avoir fait en partie gagner les 2 guerres. Merci de ces trois médailles d’or, ces 4 médailles d’argent et ces 6 de bronze en parachutisme. Au nom de la France : MERCI.

Biographie :

Jean-Claude Pivert, né le 8 octobre 1910, mort le 21 août 2013, à l’âge de 103 ans. Marié avec Marie-Dominique, il eut trois enfant ; Pierre : Paul ; Jack, qui ont 50, 20 et 10 ans. Mort Fauché par une voiture numéroté ZZ 345 SR département 01 : Ain.