01/09/2011
La vie est ailleurs, roman de Milan Kundera (1973)
Ce livre m’a semblé très beau et profond et, simultanément, ennuyeux et factice.
Certaines pages, certains thèmes utilisés dans le roman sont traités avec délicatesse. Citons, par exemple, le chapitre 8 qui décrit la séduction de la mère de Jaromil par le professeur de dessin de son fils. Ou encore la découverte de la poésie par le corps imaginé de Magda, la petite bonne, au chapitre 10 : « Je suis sous l’eau et les chocs de mon cœur font des cercles à la surface. Ce vers offrait l’image de l’adolescent tremblant devant la porte de la salle de bains […] Ah, mon aquatique amour, disait un autre vers, et Jaromil savait que cet aquatique amour c’était Magda, mais il savait que personnes n’aurait pu la reconnaître derrière ces mots, qu’elle était perdue, invisible, ensevelie […] Cette autonomie du poète offrait à Jaromil un magnifique refuge, la possibilité de rêvée d’une deuxième vie ; il trouva cela si beau qu’il tenta dès le lendemain d’écrire d’autres vers et qu’il s’adonna peu à peu à cette activité. »
Et Jaromil s’invente un personnage, Xavier, à la fois différent, mais en même temps semblable, un personnage entreprenant, mais veule. Mais Jaromil grandit et découvre l’amour avec ses rêves, ses hésitations d’adolescent : « L’idée de la nudité féminine lui donnait le vertige. Mais notons soigneusement cette différence subtile : Il ne désirait pas la nudité d’un corps de jeune fille ; il désirait un visage de jeune fille éclairé par la nudité du corps. » Et il finit par faire la connaissance d’une jeune fille, modeste, étudiante, intéressée par les opinions insolites de Jaromil, à tel point qu’elle le traite de gracieux éphèbe. Après de multiples péripéties, il l’embrasse, ce qui lui permet également d’écrire un poème-récit et d’entrer plus avant dans le domaine de la poésie.
On ne sait comment Jaromil devint révolutionnaire, sans doute l’air du temps et la possibilité d’action : « Mais on ne sait jamais dans l’instant présent si la réalité est le rêve ou si le rêve est réalité : les étudiants qui étaient alignés avec leurs pancartes étaient venus là avec plaisir, mais ils savaient aussi que s’ils n’étaient pas venus ils risquaient d’avoir des ennuis. […] Le cortège défilait à travers les rues et Jaromil marchait à ses côtés ; il était responsable non seulement des mots d’ordre inscrit sur les banderoles, mais des clameurs scandées par ses camarades. […] Il les criait d’une voix forte comme un curé dans une procession et ses camarades les répétaient après lui. » (chapitre 19).
Peu après, il connaît l’amour physique avec une petite vendeuse rousse qui l’emmène chez elle dès le premier jour. Et : « Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution, plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour. »
La cinquième partie est par contre plus laborieuse, malgré quelques passages excellents. Elle aborde le thème de la jalousie : jalousie de sa mère pour l’amie, jalousie de Jaromil pour ceux qui l’on touché avant lui. Après une réflexion désagréable d’un camarade de faculté, « il s’émut à l’idée que son amie portait de vilaines robes bon marché, et il voyait là non seulement le charme de son amie (le charme de la simplicité et de la pauvreté), mais aussi et surtout le charme de son propre amour : il se disait qu’il n’est pas difficile d’aimer quelqu’un de resplendissant, de parfait, d’élégant : cet amour-là n’est qu’un réflexion insignifiant qu’éveille automatiquement en nous le hasard de la beauté ; mais le grand amour désire créer l’être aimé à partir, justement, d’une créature imparfaite qui est une créature d’autant plus humaine qu’elle est imparfaite ». « Un jour […] il lui expliqua que la beauté n’a rien à voir avec l’amour. Il affirma que ce qu’il aimait en elle, c’était tout ce que les autres trouvaient laid ; dans un sorte d’extase, il commença même à énumérer ; il lui dit qu’elle avait de pauvres petits seins tristes avec de gros mamelons ridés qui éveillaient plutôt la pitié que l’enthousiasme : il dit qu’elle avait des taches de rousseur et des cheveux roux et que son corps était maigre et que c’était justement pour çà qu’il l’aimait… » La suite de cette partie est un peu pitoyable : la jalousie de sa mère à la venue chez elle de la petite amie rousse, avec l’épisode des spasmes, la conférence des poètes à l’école de police, le détachement et la trahison de Jaromil envers la jeune fille rousse.
Les cinquième et sixième parties sont quelque peu confuses, malgré de beaux passages. Elles sont conçues différemment du reste, faites de petits chapitres parfois sans suite. Le personnage de Jaromil se confond avec d’autres ou avec lui plus vieux. « Dans ce livre, nous dit Kundera, le temps s’écoule à un rythme inverse du rythme de la vie réelle ; il ralentit. […] Chacun regrette de ne pouvoir vivre d’autres vies que sa seule et unique existence ; vous voudriez, vous aussi, vivre toutes vos virtualités irréalisées, toutes vos vies possibles (ah ! l’inaccessible Xavier !). Notre roman est comme vous. Lui aussi voudrait être à d’autres romans, ceux qu’il aurait pu être et qu’il n’a pas été. »
Certes, je n’ai fait que raconter à ma manière ce roman, sans en avoir extrait le jus des idées en un ordonnancement élaboré. Mais je crois que le livre lui-même est ainsi et que cela est voulu par l’auteur. Toute analyse intellectuelle de ce que Kundera a ou aurait voulu dire n’a que peu d’importance par rapport à ce qui est réellement écrit. Laissons nous guider par ce vent de liberté qui souffle au travers des pages, dans le désordre, avec l’amour et la confiance sans retenue envers l’auteur, jusqu’à adhérer ou rejeter son œuvre.
06:04 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, philosophie, poésie | Imprimer
Les commentaires sont fermés.