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10/07/2011

La trajectoire des piétons

 

Imprévisible. En conduisant, vous pouvez prévoir la trajectoire d’une voiture et anticiper ce que le conducteur compte faire, même lorsqu’il semble ne pas savoir où aller. Mais il est impossible de prévoir la trajectoire d’un piéton sur un trottoir lorsque vous courez dans Paris.

Il y a, en premier lieu, les piétons isolés qui viennent vers vous sur le même trottoir. Ceux qui regardent ailleurs et, parce qu’ils ont la tête tournée suivent une courbe dans le sens du regard. Ils sont anticipables, s’ils ne changent pas l’objet de leur regard, mais c’est rarement le cas. Ceux qui regardent au loin, les yeux dans le vide, c’est-à-dire qui ne regardent rien et dorment au monde immédiat pour se réfugier dans une rêverie sans fin où d’angoissantes questions les obligent à oublier leur environnement. Enfin, on rencontre des gens sérieux qui sont capables d’anticiper comme vous. Malheureusement, le plus souvent, ils anticipent dans le même sens que votre propre anticipation, ce qui conduit à une valse d’hésitation qui se termine par un sourire ou parfois un rire commun.

On trouve ensuite les duos de piétons : femme avec un enfant, femme avec une autre femme, femme avec un homme ou encore homme avec un homme. Chacun d’eux a des comportements différents, même à l’intérieur de chaque catégorie.

La femme avec un enfant, parce qu’elle-même est dans ses pensées, occupe tout le trottoir et ne vous voit même pas approcher et être contraint de s’engouffrer entre deux voitures garées pour laisser passer leur traineau de deux personnes que rien ne peut entamer. Il arrive parfois qu’un sourire accompagne le geste de tirer l’enfant pour vous laisser un passage, comme une excuse de laisser si peu de place sur un étroit trottoir.

Deux femmes ensemble sont des duettistes indissociables qui restent de front quoi qu’il arrive. Impossible de les faire passer de la ligne à la colonne, ce serait rompre leur plaisir incommensurable de discuter de tout ce qui n’est rien.

Lorsqu’il s’agit d’un homme et d’une femme, ce sont pour beaucoup des amoureux. Or, nous le savons, l’amour est sans pitié, tête en l’air et corps contre corps. Alors comment les dissocier lorsqu’ils sont soudés l’un à l’autre par la main, les bras ou la bouche ? La rue leur appartient !

Vous vous effacez, contemplant leur bonheur qui vous procure un air de vacances avant de vous trouver en face de deux hommes parlant de sport avec force gestes et expressions corporelles. Vous vous dites, ils vont me laisser un passage et vous vous mettez manifestement devant eux pour pouvoir y accéder. Peine perdu. Ils vous ignorent, ne savent même pas que vous êtes là et l’un d’eux vous bouscule et se retourne l’air offusqué comme si volontairement vous lui aviez fait l’affront d’engager une partie avec lui. Ne voulant pas perdre de temps, vous continuez en haussant intérieurement les épaules.

Il est encore plus difficile de dépasser, plutôt que de le croiser, un piéton sur un trottoir dont la largeur ne surpasse pas deux personnes et demi. Il marche généralement au milieu de la chaussée et selon son regard, il oscille de droite à gauche au gré de ces intérêts ou de ses pensées. Vous vous décidez à le doubler par la droite, mais à ce moment il arrive devant une agence immobilière ou elle passe devant une boutique de vêtements et, sans que ce soit volontaire, s’en rapproche pour mieux la contempler. Au dernier moment vous décidez de passer de l’autre côté, mais il se tourne vers la gauche parce qu’il a vu une somptueuse voiture garée là ou parce qu’elle a remarqué sur sa plage arrière un chapeau qui lui paraît admirable.

Deux personnes, qu’ils soient du même sexe ou différent, constituent un obstacle infranchissable. Soit ils sont tous les deux dans leurs pensées dont rien ne peut les en faire sortir, soit ils parlent entre eux, et, quel que soit ce qu’ils disent, ne vous entendent ni arriver sur eux, bien que vous accentuez implicitement le bruit de votre course, ni même demander le passage après que vous ayez été contraint de vous arrêter. « Pardon Madame, peut-on passer ? » Elle vous regarde d’un air furieux puisque vous la dérangez et, de plus, surprenez sa conversation intime avec son ami (probablement plus) ou son amie (peut-être moins).

Alors que dire des groupes, d’enfants, de femmes, d’hommes ou même mixtes, encore plus difficiles à manœuvrer.

Il peut vous arriver si vous courrez dans les lieux touristiques, que vous tombiez sur des touristes ou des personnes âgées qui se dirigent vers l’entrée d’un car tout en pérorant sans cesse entre eux. Renoncez tout de suite et traversez la voie publique ou vous serez immobilisé, puis avalé par cette guimauve humaine dont vous aurez beaucoup de mal à vous décoller. Ils ne vous feront aucun mal, ils ne vous verront pas, même coincé entre eux, la tête à hauteur des seins ou des parapluies selon l’origine géographique du car.

Les groupes d’enfants sont généralement accompagnés par un professeur et quelques parents ayant accepté de fournir une main d’œuvre à l’enseignant. Là, d’une voix péremptoire, il vous sera intimé de rester sur place sans bouger en attendant que la longue chenille d’enfants piaillant vous soit passée sur les pieds. Malheur à vous si vous tentez de passer, vous agressez les enfants, vous êtes un mauvais citoyen et même les autres passants vous regarderons comme criminel. Alors vous trottez sur place en attendant que le dernier des enfants qui, bien sûr se traine, convient qu’il est temps de rejoindre les autres.

Il y a aussi les collégiens ou lycéens, et pourtant ce n’est pas votre faute si vous habitez à côté d’un établissement d’enseignement, qui occupent le trottoir, sont assis sur les voitures en stationnement et débordent largement sur une chaussée où les automobilistes tentent de les éviter. Là il vaut mieux avoir changé de trottoir largement plus avant, afin d’éviter toutes sortes d’ennuis qui vont de l’obstruction pur et simple aux quolibets qui peuvent parfois, mais rarement, devenir humoristiques.

Rien, bien sûr, ne contraint le piéton en matière de déplacement sur les trottoirs. Il y avait autrefois des règles de politesse telles que « les hommes se mettent du côté chaussée et les femmes du côté immeuble », « laisser passer un vieil homme lorsque le passage ne permet qu’une seule personne à la fois ». Mais tout ceci est prohibé, puisque, lorsqu’on marche sur un trottoir, on n’a pas le temps de faire attention aux autres. De nouvelles règles ? Jamais ! Ce serait encore plus contraignant et pénible que la situation actuelle. Vous voyez-vous face à un agent de la force publique vous contrevenant parce que vous avez dépassé une dame par la droite plutôt que par la gauche ?

Alors me direz-vous, quelle idée de courir dans Paris ? Oui, drôle d’idée, comme de coudre sur une plage, de marcher dans la boue ou de chanter au bureau. Et pourtant, quelle joie au petit matin, lorsque le soleil pointe ses premiers rayons, de laisser dérouler sa machine corporelle, d’enclencher ses rouages et de partir au gré de la course, le nez au vent, heureux de cet air frais qui vous donne des jambes et égaille votre esprit. Alors, malgré ces obstacles humains perpétuels, vous souriez à la vie et aux gens pour rentrer chez vous, apaisé et prêt à poursuivre une journée d’enchantement.

 

 

Commentaires

J'aime bien la "longue chenille d'enfants piaillant", c'est tellement ça, avec le dernier "qui bien sûr se traine"...

Écrit par : clem | 10/07/2011

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