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04/02/2013

J'ai vécu de multiples vies

J’ai vécu de multiples vies
Pour chercher celle qui me convient
J’ai trouvé la folie, la persévérance…
Toujours à fond pour tirer la corde
Du rêve qui ne mène à rien…
J’ai chevauché les centaures,
Etroitement enlacé à leur piétinement
J’ai parcouru en pensée
Toutes les geôles endoctrinées
J’ai contemplé l’océan des sentiments
Et subi les balbutiements mondains
Je me suis donné aux notes, fraiches
Qui font naître l’élégance et le secret
J’ai tordu le fer et assoupli le bois
Fait de la matière une ébauche de vie
Représenté ce que je ne pouvais dire
Couleurs et formes répandues
Je me suis adonné à la méditation
Contemplant l’épais nuage de l’ignorance
Jusqu’à ce qu’il devienne blancheur
J’ai quitté la pensée et l’action
Pour plonger hagard et bienveillant
Dans les univers dépeuplés
Et j’ai trouvé dans cette immensité
Ce creux de chaleur intense
Qui guide la vie et voile les heures…
Explosion !
Quel chemin depuis le jour
Où je me suis réveillé dans la nuit
Planant au-dessus du destin…
C’est là que j’irai, mais comment ?

31/01/2013

Quand reviendras-tu de ton pays des rêves ?

Quand reviendras-tu de ton pays des rêves ?
Tu es là, absente, seule dans la foule
Hésitante, trébuchante, sans but ni projet
Une vie, pourtant, ce n’est pas une promenade
On ne démarre pas assis dans la voiture
Sans plein d’essence ni biscuits
Silence, en réponse... Je me cache
Derrière mes esbroufes et pirouettes
Tu n’as rien à connaître de ma vie secrète
Blanche, transparente, je passe
Sourires, rires même, discrets
Qui transforme la statue en marionnette...
Ton ombre s'en va, légère, uniforme
De lassitude heureuse et dénudée
Tu marches, tu marches, je te vois
Je te perds de vue...
Où se trouve l’horizon de la vie ?

29/01/2013

Manuella, roman de Philippe Labro (Gallimard, 1999)

Une collégienne, sympathique, qui ne sait si elle va avoir son bac. Quoi de plus classique ! Mais, j’ai revu la libellule de mon rêve et je me suis dit qu’une fille qui commençait la matinée la plus horrible de sa vie avec une libellule dans un carré d’espace bleu ne pouvait pas être entièrement foutue.

Pourtant, elle est vierge et la plupart de ces amies ne le sont plus. Lorsqu’un13-01-31 Manuella.jpg garçon veut coucher avec elle, elle répond : « Je t’aime bien, mais je ne t’aime pas. » Quand une fille dans le train, assise en face d’elle, lui demande : « Est-ce que vous êtes vierge ? » Elle la regarde, stupéfaite : « Ça va pas bien, non ? Ça te regarde ? »

En fait l’intérêt du livre n’est pas dans l’histoire, mais dans les réflexions et les anecdotes concernant la vie d’une adolescente qui se dit ratée.

Ainsi l’auteur consacre un chapitre à la mode du noir : Dehors dans la rue, j’ai l’impression que tout est en noir, que tout le monde s’habille de noir. Le deuil de qui ? Ils portent le deuil de quoi, les gens ? Ils vont à l’enterrement de quoi ? C’est une cérémonie, c’est une manif ou c’est un film ? (…) Oh ! Les mecs, les filles, vous affichez quoi exactement, là ? Vous avez peur de quoi ? Parce que si vous vous ressemblez tous autant les uns les autres, c’est que vous avez peur de quelque chose ? La couleur du jour, pour vous, c’est ça ? C’est la couleur de la nuit ?

Sa mère lui fait remarquer qu’elle utilise le terme pur très souvent : un pur film, un pur chanteur, une pure note de classe, une pure soirée, un pur plat de spaghettis, un pur CD. _ Qu’est-ce que tu préfères, lui ai-je répondu, que je dise pur ou putain ?

Et, malgré ses impressions, elle est reçue au bac : une profonde sensation de plénitude, jouissance, gaité, plaisir sensuel qui ne s’affaiblissait pas et qui allait, au contraire, grandir, grandir, pousser toute la journée dans mon corps (…) Question : Peut-être que l’amour, ça ressemble à ça, la légèreté totale du corps et de l’esprit ?

Mais elle revient souvent sur l’amour tel qu’elle le conçoit : On sait tout ça, maman. On a tout lu, on a tout vu, on a tout entendu. Du cul, du cul, du cul, au cinéma, sur les affiches, dans les bouquins qui se vendent bien, les magazines, à la télé, c’était incroyable ce que les gens pouvait parler de cul et montrer du cul. Ils préféraient utiliser le mot sexe, ça faisait plus noble et plus technique, d’ailleurs, sexe, en soi, il faut bien le dire, c’est un mot irrésistible. C’est pas vulgaire. (…) Je voulais bien être comme les autres, Yami, Daph, Nade, je voulais bien connaître l’amour au moins une fois, mais j’aurai souhaité que ce ne soit pas… banal. Plus la société avait trivialisé l’amour, plus j’attendais autre chose que du trivial.

Elle le rencontre ce garçon qui la fait frissonner. Il est frimeur, mondain, une machine à sortir des aphorismes (cette salade est incongrue, mais digne d’intérêt), à citer des auteurs (on peut rêver qu’un jour la vérité soit à la mode. C’est du Raymond Queneau). Mais,  au loin, le grand bateau bleu et blanc prenait le large, et moi, Manuella, j’étais gagnée par une sorte de gaité rêveuse, une petite joie intérieure, comme en attente d’un événement.

Et, à la fin du livre : j’avais toujours souhaité que la première fois me change, que ça se passe de façon telle que j’en sorte différente, transformée. Le suis-je ? Quand j’y pense, ce n’est pas une courte nuit avec un garçon en été qui a modifié ma vision des choses. Je m’étais donnée à lui parce que c’était plus qu’un geste, mais ce n’était aussi que cela, une série de gestes. Aimer sans amour n’est pas aimer.

27/01/2013

Sortir sans conscience dans le froid

Sortir sans conscience dans le froid
Vous la laissez à la maison, au chaud
Et allez libre de toute contrainte…

L’air vivifiant envahit vos poumons
Comme une sucette à la menthe
Vous êtes retourné de fraicheur
Qu’il est bon de ne plus disposer
De pensées délétères et ruineuses

Pas à pas vous laissez le pavé résonner...
Il sonne plus fort aujourd’hui
Cloches environnées de crème chantilly
Les sons ont une autre allure
Secs, revigorants, ils s’affrontent
Dans la tête vide et éclatent
En bruits de verre éparpillé
Ils remplacent le toucher interdit
Par la caresse collante du métal refroidi
Et le pincement détaché des doigts

Et soudain vous vous envolez
Dans la nuit blanche de froidure
Contemplant la ville émasculée
Repliée sur elle-même, résorbée
Dans ses cubes rayonnants
Où l’homme et la femme reposent
Sous les couettes des délices...

23/01/2013

Téléphone

Un coup de fil, qu’est-ce ?
Le téléphone sonne
On suit le grésillement du câble
Sans savoir où l’on va
Et qui nous appelle
Exclamation,  déception
Peut-être enchantement, qui sait !
C’est toi, c’est vous, c’est nous
A nouveau réunis, collés à l’écouteur
Cela revient, l’ancien langage
L’intonation chaude des voix de femme
La glaciale attitude des hommes d’affaires
La camaraderie bon enfant des adolescents
Et les souvenirs explosent
Mais ce qui compte c’est l’évanescence
D’une sensation, d’un sentiment
Là tu étais assise, riante
Ici vous avez versé vos larmes
Tous nous laissons tourner
Ces éclairs en volutes
Et entretenons nos souvenirs communs
Au revoir, adieu ou à bientôt
Qui sait ce qu’il adviendra de nous
Mais ce réveil de la mémoire
Regonfle ces instants délicieux
Où nous avons connu
L’osmose, la superposition des émotions

A quand ? Tout à l'heure, demain...

21/01/2013

Les canons de l'Offrande musicale

L’offrande musicale est un des chefs d’œuvre de Bach. Il a conçu les canons comme de véritables rébus musicaux qui font également penser aux gravures de Escher, à la géométrie et plus particulièrement aux symétries diverses. Le canon en crabe en est un exemple. Il constitue un palindrome musical, figure de style désignant un mot, ou même un texte, qui peut être lu à l’endroit et à l’envers (exemple : ressasser).

http://www.youtube.com/watch?v=4VFJdMRg_Yo

 

Le manuscrit de Bach peut être joué dans les deux sens, du début à la fin ou de la fin au début. Mieux, il se décompose à deux voix dans de nombreuses dimensions qui vont jusqu’à former un ruban de Mobius.

13-01-21 Mains en miroir-Escher.jpg

N’est-ce pas génial cette complicité inventive dans des domaines différents qui se rejoignent : littérature, dessin, musique, mathématique. Et tout cela à partir de différentes formes de symétrie, comme un miroir enchanté qui vous aide à rêver.

 

Alors, écoutons et regardons...

 

19/01/2013

Blanc

Blanc comme le plein ou le vide ?
Ebloui, je ne sais
Le blanc est le regard de l’aveugle
Un puits clair d’absence

Vêtu de lait, j’erre
Dans la prison des rois
Enfoui dans les nuages

Pourtant ils voient la mort en noir
Ceux à qui la foi échappe
Le trou et rien, la coupure

Carte blanche dans ces divagations
Mais encore faut-il distinguer
Ombres et méfaits plus sombres
Noir ou blanc
Bonnet blanc et blanc bonnet
C’est cousu de fil blanc
Que d’expressions à tâtons
Tout ceci est connu comme le loup blanc

Les yeux ouverts dans l’eau
Je cherche mon corps disparu
Qu’ai-je encore à moi
Je n’ai plus de poids
Je crie sans bruit dans ma tête
Et rien ne bouge, rien ne tressaute

N’ouvre pas la bouche
L’étouffement du silence
Te prend à la gorge

Quel bel accomplissement
Que cette vie en blanc
Rien ne m’affecte
Seuls les mots glissent
Sur tes cheveux de rêve

18/01/2013

Effroyables jardins, roman de Michel Quint (éditions Joelle Losfeld, 2000)

Un petit livre, petit roman. Tel il apparaît au début. D’ailleurs même pas un roman, un récit, une badinerie. Le style est celui d’une conversation au bord du zinc. L’image du père que garde le gamin est celle d’un instituteur qui joue les clowns dès qu’il a un instant de libre : C’est que mon père traquait et prenait aux cheveux toutes les occasions13-01-18 Effroyables jardins.jpg de s’exhiber en auguste amateur. Larges tatanes, pif rouge et tout un fourbi bricolé de ses vieux costumes, des ustensiles de cuisine mis au rencard. Faut-il le dire, quelques dentelles aussi, abandonnées par ma mère, lui donnaient une couleur trouble. Ainsi armé et affublé de la sorte, casqué d’une passoire à l’émail écaillé, cuirassé d’un corset rose à baleines, presse-purée nucléaire à la hanche, casse-noix supersonique au poing, c’était un guerrier hagard, un samouraï de fer-blanc qui sauvait l’humanité intergalactique et aussi la nôtre, toute bête, dans un numéro pathétique de niais solitaire contraint de s’infliger tout seul des baffes et des coups de pied au cul. Et il a honte, honte de son père, de sa vieille Dyna Panhard : un long crapaud au mufle rond, jaune canari, à la banquette de skaï imitation zèbre et au bruit de casserole. Une bagnole de clown.

Et un jour, Gaston, cousin de son père, le délivre de la malédiction de l’auguste, en racontant ce qui s’était passé début 43, à Douai. Le cousin Gaston parlait patois. Un patois que je comprenais parfaitement mais quand il m’a raconté, là, sur ce formica tout fendillé, le pourquoi des fêlures de mon père, il s’est appliqué. (…) Et sauf des expressions, des passages que j’ai encore dans l’oreille, j’ai fini par oublier la chair de cette langue que Gaston ne faisait pas semblant, que ses mots étaient pas l’ombre des choses et des moments inhumains, mais qu’il m’ouvrait sa vie et m’offrait humblement tout ce qu’il avait, d’effroyables jardins, dévastés, sanglants, cruels.

Il raconte leur arrestation, à lui et son père, dans la cave de leur maison. Comment ils se sont retrouvés au fond d’un ravin plein d’eau, avec deux autres types, otages des allemands, gardés par un schleu qui parlait français, humain, gentil, mais allemand malgré tout. Pris comme otages anonymes, ils étaient en fait les coupables de l’attentat en gare de Douai, ce que les allemands ne savaient pas, ni les deux autres hommes. De fil en aiguille, ils se voient contraints de désigner un premier exécuté. Choisiront-ils ou non ? Consentir à autrui le pouvoir de vie et de mort sur soi, ou se croire au-dessus de tout qu’on puisse décider du prix de telle ou telle vie, c’est quitter toute dignité et laisser le mal devenir une valeur.

Le soir, culotte de cheval, l’Herr Oberst qui avait laissé le choix, revient et commence à combler le trou avec de la terre, comme pour les ensevelir. Mais Bernd, le gardien parlant français, leur crie : « Vous êtes sauvé les gars, vous êtes sauvés ! Ils font seulement tomber un peu de terre parce qu’on n’a pas de cordes sous la main. » Et Bernd leur apprend qu’il est clown, Auguste, avec une perruque rouge et un gros nez.

Ils surent plus tard qu’une femme avait dénoncé son mari à leur place. Il était mourant, il a confirmé et a été fusillé. A la libération, ils sont allés la remercier. Et Gaston a fini par l’épouser.

Avec sa perruque carotte, mon père a donc vécu chapeau bas. Dans les deux sens de l’expression puisqu’il n’a jamais porté de couvre-chef. Et la dame noire l’a pris un jour de frimas, peut-être par erreur, parce qu’il arborait, pour m’attendre à Lille dans une gare à courants d’air, une caquette neuve.

Quel contraste, ce père clown qui fait honte à son fils et, dans le même temps, ce père résistant, qui révèle des instants tragiques par l’intermédiaire de son cousin. Si cette histoire dévoile la véritable personnalité du père à l’auteur, elle révèle également la dure réalité vécue par les Français dénoncés par d’autres Français et envoyés à la mort par une administration complaisante et anonyme. Désigner des otages, quelle petite action, mais quelles conséquences !

15/01/2013

Marchant sur la plage blanche des jours

Marchant sur la plage blanche des jours,
Nous laissons sur notre chemin incertain
Quelques galets  entassés chaque année.
Amas de souvenirs, dans le sable des moments
Que le reflux des eaux éparpille peu à peu.
Mais chaque année à nouveau, inlassablement,
Après avoir échafaudé une pyramide de cailloux,
Nous nous penchons encore, la main ouverte,
Pour emplir nos poches d’espérances vieillissantes.

Dans la fontaine des sabliers,
Les grains de sable de nos instants s’accumulent
Jusqu’à former une figure parfaite, mais friable,
De souvenirs imperceptibles du sommet.
Parfois se forme une vague idée du cône supérieur,
Une vue en perspective de son opacité,
Mais nous ne pouvons évaluer la hauteur
Du volume des grains qui y reposent.
L’annonce d’une nouvelle année
Renoue l’espoir de leur multitude,
Comme si la source était intarissable.

10/01/2013

Le souffle

Il lui dit, dans un souffle
Laisse l’air t’envahir
Comme un gaz libéré
Perce ton opercule
Et ouvre ton espace
Au chant profond des sirènes
La mer a ses lubies
L’air n’est plus
Tu as les mains liées
Et les pieds empanachés
La pirouette du lapin
N’est pas celle des oiseaux
Avez-vous vu un oiseau
Voler sur le dos
Seules les machines humaines
Peuvent le faire
Mais à quel prix ?
Elles aspirent l’azur
Et recrachent la poussière
Encombrée de soucis
Le souffle passe, chaud
Il enserre le cou
Il caresse les cils
Et berce les oreilles
De son chant aigu
Puis, plus rien,
Que le silence des poètes
Qui résonne encore dans la tête
Le souffle est passé,
Il a marqué de son doigt le texte
Rien, plus rien
Ne doit être écrit
Alors laissons ce papier vide
Et partons ensemble vers le rêve
Celui de jours meilleurs
Et de soleil luisant

08/01/2013

Liturgie, musique et cosmos

« En conclusion de mes réflexions, je citerai une belle parole du Mahatma Gandhi que j’ai trouvé récemment sur un calendrier. Gandhi évoque les trois milieux dans lesquels s’est développée la vie dans le cosmos et note que chacun d’eux porte une façon d’être propre. Dans la mer vivent les poissons, silencieux. Les animaux qui vivent sur la terre ferme crient, tandis que les oiseaux  qui peuplent le ciel chantent. Le silence est le propre de la mer, le propre de la terre ferme, c’est le cri, le propre du ciel le chant. Mais l’homme participe des trois : il porte en soi la profondeur de la mer, le fardeau de la terre et les hauteurs du ciel. C’est pourquoi il est aussi silence, cri et chant

(…) La véritable liturgie, la liturgie de la communion des saints lui (à l’homme) restitue sa totalité. Elle lui réapprend le silence et le chant en lui ouvrant les profondeurs de la mer et en lui apprenant à voler, à participer de l’être  des anges. En élevant le cœur, elle fait retentir à nouveau la mélodie ensevelie. Oui, nous pouvons même dire maintenant, l’inverse : on reconnaît la véritable liturgie à ce qu’elle nous libère de l’agir ordinaire et nous restitue la profondeur et la hauteur, le silence et le chant. On reconnaît la liturgie authentique à ce qu’elle est cosmique et non fonction du groupe. Elle chante avec les anges, elle se tait avec la profondeur du tout, en attente. Et c’est ainsi qu’elle libère la terre, qu’elle la sauve. »

(Benoît XVI, L’esprit de la musique, Editions Artège, 2011, p.100)

 

Est-il nécessaire d’en dire plus ? L’esprit de la musique est un magnifique livre qui fait prendre conscience de la dimension spirituelle de la musique et de son importance dans la liturgie. Et l’on constate que cela n’est pas seulement vrai pour la liturgie chrétienne. Les extraits empruntés à la liturgie bouddhiste que nous vous avons présentés ces jours-ci en montre la réalité universelle.

07/01/2013

Le Petit Sauvage, roman d’Alexandre Jardin

Un jour, je m’aperçus avec effroi que j’étais devenu une grande personne, un empaillé de trente-trois ans. Mon enfance avait cessé de chanter en moi. Plus rien ne me révoltait. La vie et l’enjouement qui13-01-05 Le petit sauvage-A Jardin.jpg était jadis dans les veines s’étaient carapatés. Le Monsieur prévisible que j’étais désormais jouissait sans plaisir d’une situation  déjà assise, ne copulait plus guère et portait sur le visage un air éteint. Je me prélassais sans honte dans la peau d’un mari domestiqué indigne du petit garçon folâtre, imprudent et rêveur que j’avais été, celui que tout le monde appelait le Petit Sauvage.

Ainsi commence ce roman dont l’objet est le retour à l’enfance bienheureuse, sans souci, sans projet, sans perspective autre que s’amuser. Ce qui signifie se débarrasser d’habitudes prises, de routines administratives, de contrefaçons mondaines. Alexandre se lance dans une fuite éperdue vers sa jeunesse, et il y réussit dans un premier temps. Il largue son entreprise, sa femme, et se retrouve dans le midi dans l’ancienne maison de famille devenue un hôtel. Il la rachète, va chercher sa grand-mère à l’hospice et s’installe comme il y a trente ans.

Ses aventures sont la surprise du livre. Les dévoiler ôterait le charme de ces pages écrites sous le feu. Reste une méditation sur la manière dont l’enfant devient adulte, se charge de poids excessifs, d’obligations infernales, et oublie peu à peu ces heures libres et belles de l’enfance au fil des heures : Le petit sauvage me mettait également en garde contre une attitude qui, à l’entendre, gâtait le sort de presque tous les adultes : ils se croient obligés. Il s’étonnait sincèrement du nombre inouï d’obligations fictives que les grands s’imposent ; comme si les contraintes réelles de la vie ne suffisaient pas ! (…) Je me souviens également de cette phrase qui me frappa : les grands n’ont pas l’air de se rendre compte qu’ils sont libres. Ils n’ont plus d’adultes sur le dos et ils n’en profitent même pas ! Toi, tu en profiteras ! 

A trente-huit ans, il découvre dans les bras de Manon-Fanny ce que le terme extase s’efforce d’exprimer. Il découvre par la même occasion, la joie de l’incohérence. Il comprit qu’il n’est pas de vraie vie sans incohérences. Les hommes et les femmes qui tentent de se conformer toujours à une certaine idée d’eux-mêmes, quelle qu’elle soit, sont des presque-cadavres. La cohérence mutile ; l’incohérence régénère.

05/01/2013

Innondation 2

Pendant longtemps j’ai cru
Que la rivière débordait
Parce que trop d’eau, trop d’eau
Mais peut-être n’est-ce pas vrai ?
Trop contrainte, elle s’étale
Elle se laisse aller, bienheureuse
Et va caresser ce qu’elle ne voit jamais
Ces rives enchantées et fleuries
Elle va chatouiller les pieds nus
D’arbres évaporés naviguant sur la terre
Elle soulève leurs bottes
Et dépose un baiser en silence
Elle poursuit sa quête vaine
De terres à découvrir, à recouvrir
Ces gouttes laissées sur le feuillage
Elle prend ses vacances, hilare
Et se donne à cœur joie
Et s’approche des maisons
Pour y jeter un œil malicieux
Qu’y-a-il dans la cave ?
La cuisine est-elle propre ?
Le salon mérite-t-il le détour ?
Les jardins sont visités
Et revêtus de la douceur boueuse
Des alluvions descendant des collines
Elle poursuit sa route, guillerette
Vagabonde dans des lieux insolites
Cimetière aux portails rouillés
Guinguettes aux tendres échanges
En ville, elle se lâche dans les rues
Et enserre la prison d’une langue froide
Elle repart dans d’autres platitudes
Champs dorés, prés verdoyants
Puis, bientôt, sables accumulés
Aux méandres paresseux et frivoles
Avant de plonger dans l’inconnue
La grande sœur délirante et pudique
Qui accueille toutes les orphelines
En mal d’évasion et d’indélicatesse

04/01/2013

Les heures souterraines, roman de Delphine de Vigan

La journée du 20 mai pour deux êtres, homme et femme, à qui l’on veut faire croire, par l’intermédiaire du lecteur, qu’ils sont faits pour s’entendre. Et pourtant, leurs situations sont tellement différentes. L’un, Thibault, ne sait s’il aime ou non sa compagne qui, elle-même, ne littérature,roman,société,psychologiesemble pas l’aimer. L’autre, Mathilde, veuve, deux enfants, est en butte au harcèlement moral de son patron qui, pour une faute insignifiante, l’écarte progressivement de toute activité. Si la situation paraît convaincante pour la seconde, elle frise le ridicule pour le premier. Quel remplissage.

Il est néanmoins intéressant de suivre la lente décomposition de cette femme qui avait tout pour réussir et qui se trouve, d’abord de manière insignifiante, puis outrancière, écartée de tout pouvoir et même de toute relation dans l’entreprise. La démarche est bien décrite, ses doutes, ses interrogations, ses craintes, sa torpeur et, finalement, son impuissance. Elle résiste pourtant, elle tient envers et contre tout. Mais elle finit par donner sa démission, sans aucune contrepartie.

En parallèle, on vit avec Thibault, ou plutôt, on erre avec Thibault de patient en patient, car il est médecin. Ses réflexions sont maigres, ses maladresses fréquentes, rien qui ne vaille la peine de s’y attarder.

Ils se rencontrent à la fin du livre. On est impatient de savoir ce qui va se passer. Mais la fin est sans relief, comme un œuf au plat mangé sur la table de la cuisine au retour du travail. Que deviendront-ils ? On ne le sait. Ils errent dans ce désert d’une vie urbaine où les sentiments, espoirs et raisons de vivre se sont évaporés. Quelle vision de la vie, plus proche de la mort que de la résistance.

Face au harcèlement moral d’une personne, son supérieur bien sûr, le seul moyen est de tenir sur un projet que l’on sait valable et de démontrer son intérêt en contournant l’objecteur, c’est-à-dire en le faisant approuver par une entité supérieure. Lorsqu’il est reconnu et approuvé par des gens très variés, alors il est possible d’affronter le harceleur qui, même s’il ne veut pas reconnaître ses torts, est bien contraint d’accepter votre projet. Cela demande persévérance, aucun découragement, des vérifications permanentes (il ne s’agit pas de se tromper) et l’entretien de relations avec vos anciens subordonnés.

Ne comptez pas sur les autres pour prendre votre défense et protester contre votre harceleur. Ils se retrouveraient dans votre cas. Dans tous les cas, vous serez éjecté. Mais vous trouverez autre chose, gagnant. In fine, il croira avoir eu votre peau, mais vous en sortirez grandi.

Donnez-vous un projet, croyez-y, travaillez, établissez de nouveaux réseaux qui contournent l’obstacle. Vous en trouverez un bien, immanquablement.

 

01/01/2013

Premier de l'an

Premier de l’an,
Premier jour de l’année 2013
Rien de l’extérieur ne semble le rappeler
La rivière coule comme à l’accoutumée
Les voitures passent lentement sur la route
Le chien d’Emile vaque à ses besoins
Non, rien n’est différent des autres jours
Et pourtant…

Les nuages se chargent de couleurs
Les arbres frissonnent d’air ambiant
Les oiseaux pépient derrière la vitre
Le héron dans le pré se couvre de blanc
Rien n’est changé, mais tout respire
Tout aspire à une autre vie,
Mais en sommes-nous conscients ?
Certes, nous avons fêté ce passage
Le verre à la main, les yeux dans les yeux
Mais quel passage ?

La fumée qui sort des cheminées
Reste à trainasser sur le sol
Elle ne monte pas droite vers le ciel
Mais emprunte des voies détournées
Elle s’effondre sur elle-même
Et semble dire, à quoi bon !

La journée s’éternise, bleutée, mélancolique
Tout s’entasse en ce jour béni
Sans vouloir sortir du décor fabriqué
L’on tente de s’y confondre...

Abandon...
Est-ce vraiment un jour spécifique
Où rien n’est comme avant
Et rien ne sera comme après ?
Je découpe aussitôt une heure du jour
Et tente de la recoller ailleurs
Mais elle ne tient pas sur la page du temps
Seul ce jour l’accueille, en surplus
Qu’y a-t-il dessus ?

On ne sait pas que l’on vieillit
Ce jour nous le rappelle
Amusons-nous du temps qui passe
Et pleurons ce que nous n’avons pas fait
Alors que nous en avions le temps
Réjouissons-nous de ce que nous avons vécu et fait
Et nos rêves deviendront réalité dans cette nouvelle année

Tournons-nous vers l’avenir
Admirons ce champ immense
De toutes les possibilités
Et laissons errer notre fantôme 
Sur cette patinoire reluisante

Une nouvelle année,
Quelle glissade !

31/12/2012

La femme qui attendait, roman d’Andreï Makine

Une femme si intensément destinée au bonheur (ne serait-ce qu’à un bonheur purement physique, oui, à un banal bien-être charnel) et qui choisit, on dirait avec insouciance, la solitude, la fidélité envers un absent, le refus d’aimer…12-12-30 La femme qui attendait-Makine.jpg

Ainsi commence ce roman qui tourne autour du corps de la femme, une femme qui refuse de croire à la mort de son fiancé plus de trente ans plus tard. Et ce refus est parfois synonyme de mort. Il se traduit par le froid des paysages, les changements de temps, le bruit de la glace qui tombe des toits. Et d’autres fois, il devient pleine vie, au-delà des apparences, grâce au soleil d’un printemps qui met du temps à venir, à une fleur ramassée dans la campagne.

Et c’est bien à une retraite que nous convie l’auteur, retraite au-delà de la vie, dans cette après-vie, avec de vieilles personnes près de la mort : Elle dort dans une sorte de mort anticipée, au lieu du temps qu’elle a suspendu à l’âge de seize ans, marchant en somnambule parmi ces vieilles qui lui rappellent la guerre et le départ de son soldat… Elle vit un après-vie, les morts doivent voir ce qu’elle voit…

Peu à peu, il apprivoise cette femme, avec douceur, mais désir de son corps. Elle est belle malgré son âge. Elle semble pleine de désirs cachés. Il apprend ses rêves : J’ai attendu le train de Moscou… Cela m’arrive de temps en temps. Toujours presque le même rêve : la nuit, le quai, il descend, se dirige vers moi… Cette fois, c’était peut-être encore plus réel qu’avant. J’étais sûre qu’il viendrait. J’y suis allée, j’ai attendu. Tout cela est déraisonnable, je sais. Mais si je n’y étais pas allée, un lien se serait rompu… Et ce ne serait plus la peine d’attendre… Il apprend à la connaître doucement : Ses paupières battaient lentement, elle leva sur moi un regard, vague et attendri, qui ne me voyait pas, qui allait me voir après le passage des ombres qui étaient en train de traverser. Je devinais que durant cette cécité, je pouvais tout me permettre. Je pouvais lui prendre la main, je touchais déjà cette main, mes doigts remontaient sans peser sur son avant-bras. Nous étions assis côte à côte  et la sensation d’avoir cette femme en ma possession était d’une force et d’une tendresse extrêmes.

Elle finit par se donner à lui, égarée, enfantine en amour, fière de sa condition féminine : Cette femme sûre disparut dès les premières étreintes. Elle ne savait pas qui elle était en amour. Grand corps féminin aux inexpériences adolescentes. Puis une véhémence musculeuse, combative, imposant sa cadence au plaisir. Et de nouveau, presque l’absence, la résignation d’une dormeuse, la tête renversée, les yeux clos, la lèvre fortement mordue. Un éloignement si complet, celui d’une morte, qu’à un moment, me détachant d’elle, je lui empoignais les épaules, la secouait, trompé par sa fixité. Elle entrouvrit les yeux, teintés de larmes, me sourit et ce sourire se mua, respectant notre jeu, en un rictus trouble de femme ivre. Son corps remua.

 C’est un roman poétique, empli de la féérie des saisons de glace, des forêts immenses, des villages sans âme. Et progressivement se déroule l’histoire, dans laquelle l’imagination a autant d’importance que le réel vécu. Un rêve que l’auteur vit de manière très concrète, attaché à de petits riens qui sont autant de construction de la réalité. Il se prépare à repartir, sortir de cette après-vie qui semble la vie normale de ce village de vieilles femmes sur laquelle veille une femme plus jeune, encore désirable. Oui, c’est un beau roman !

30/12/2012

Réminiscence

Réminiscence, perdue dans les plis
D’un cerveau encombré de souvenirs
La lueur d’une inquiétude nerveuse
Comme une puce maligne et agitée
L’image ressurgie de jugements
Abruptes et sans fondement
Comme un aigle volant au-dessus
Du nid douillet des habitudes

Pourquoi t’es-tu donné ainsi ?
Nous avons tous de ces instants
De doute et d’artifices
Qu’en faire, sinon les revivre
Avec le recul de l’âge et du temps
Et reconstituer les heures sombres
De moments oubliés, enfouis, anéantis

Cette armure, construite patiemment
Te protège du passé noire
Fendillée, elle laisse s’échapper
L’odeur pestilentielle des cuisines
D’une vie sombre et inconnue

Nettoyage intempestif des recoins
D’une mémoire défaillante
L’écouvillon fonctionne, agité
Et ouvre des réseaux inconnus
Entre ces vies différentes
Rapprochant ainsi des détails
De liens jusqu’alors inusité
Un son, un goût, une odeur
Et valse la sécurité d’un passé
Bien ancré dans ces certitudes

En volutes de fumée s’échappent
Ces instants honnis et oubliés
Et on s’allège,  on se dégage
On se laisse fumer, plumer
Jusqu’à l’absence et le renouvellement

Oui, on est prêt à tout,
Le cœur léger et ferme
C’est ainsi que nous sommes
Pauvres humains
Comme des oiseaux volant
Dans un ciel dégagé

26/12/2012

Train de nuit

Défilent les boutons blancs ou jaunes
Derrière la chevelure de Madame
Elle baille discrètement, souriante
Elle semble s’excuser du regard
Et la voiture file dans le noir
Partie dans l’ouate du voyage
Elle échappe à la raison pure
Pour errer avec sollicitude et patience
Sur les vapeurs de rêve entrecroisées
Des nantis d’un billet désiré
Dehors les autres, ceux qui nient
La nécessité de disposer d’un papier
Pour s’enfuir dans l’éther dilué
Et le maître des lieux, casqué
Demande à chacun son obole
Le sésame érodé tel un talisman
Le crayon sur l’oreille grasse
Il pérore avec la voyageuse
Qui ignore sa langue vivante
Et pépie des caquètements
Pour signifier sa colère montante
Je tends mon autographe signé
D’un quelconque bureaucrate
Il me sourit, patient et distrait
Le poinçonne avec application
Puis poursuit sa course dévoreuse
D’autres trous à perforer, toujours plus
Je me love dans un angle
Fermant les yeux sur le lac
Noir et morne de la vitre
Jusqu’à ce qu’enfin
Le sommeil vienne
Etouffé et boutonneux
Pour revigorer ce corps sans vie

22/12/2012

Inondation

Les eaux dans la nuit noire
Avancent à grandes enjambées
Elles fuient, par peur ou découragement
Elles s’évadent vers les lointains paysages
Où plus rien ne limitera l’horizon
Et si vous tentez de les retenir
Vous êtes emmenés avec elles
Fondus en elles, tourbillonnant paisiblement

Les eaux dans la nuit noire
Que vous préférez regarder
Sur la rive droite et fière
Ce passage furieux d’écume
Jaune, stupide de bonne volonté
S’engouffrant sans vergogne
Entre les piliers des ouvrages
Aspirant avec plus de netteté
A une course sans fin ni souvenirs

Les eaux dans la nuit noire
Dévalent dans mon cœur
Y laissant la marque profonde
D’un coup de couteau
Saigne petit ! Dégaine tes indolences
Ouvre tes yeux à l’aspiration
Et laisse-toi aller vers le sans fond
Là où plus rien ne peut t’atteindre

Les eaux dans la nuit noire…
Comme un commencement d’éternité

20/12/2012

Du domaine des murmures, roman de Carole Martinez

« On gagne le château des Murmures par le nord. Il faut connaître le pays pour s’engager dans le chemin qui perce la forêt épaisse depuis le pré de la Dame Verte. (…) Nous passons l’énorme huis de chêne et de fer, aujourd’hui disparu, et foulons l’herbe haute du parc en friche qui s’étend devant la façade nord du château. (…) La forteresse entière vacille sous nos yeux. Car ce château n’est pas seulement de pierres blanches entassées sagement les unes sur les autres, ni même de mots écrits quelque part en un livre, ou de feuilles volantes disséminées de–ci de-là (…) Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. De mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et voir qui s’étirent en un chuintement doux. »

Prologue du livre, il en donne le ton : un voyage au XIIème siècle dans un monde de folie, hanté par l’urgence de la vie courte et le fait de Dieu qui domine les vies et les prend dès leur naissance. La première page poursuit :

« Je suis l’ombre qui cause. Je suis celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister. Je suis la vierge des Murmures. A toi qui peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l’espoir des emmurées.

En cet an 1187, Esclarmonde, Damoiselle des Murmures, prend le party de vivre en recluse à Hautepierre, enfermée jusqu’à sa mort dans la petite cellule scellée aménagée pour elle par le père contre les murs de la Chapelle qu’il a bâtie sur ses terres en l’honneur de sainte Agnès, morte en martyre à treize ans de n’avoir pas accepté d’autres époux que le Christ.

(…) Je suis Esclarmonde, la sacrifiée, la colombe, la chair offerte à Dieu, sa part. J’étais belle, tu n’imagines pas, aussi belle qu’une fille peut l’être à quinze ans, si belle et si fine que mon père, ne se lassant pas de me contempler, ne parvenait pas à se décider à me céder à un autre. (…) Mais les seigneurs voisins guettaient leur proie. J’étais l’unique fille et j’aurais belle dot. »

Mais elle dit non devant l’ensemble des invités de la noce et se coupe l’oreille pour montrer sa détermination.

Avant de se laisser enfermer, elle se fait violer et se retrouve enceinte dans son réduit. Elle met au monde un garçon, Elzéar. Elle est recluse, mais en fait elle vit ce siècle avec toute la puissance de son imagination et la vigueur de la réalité.

Etait-elle sainte ou était-elle une fille perdue malgré elle ? A vous de juger, de marcher sur ce fil où l’on tombe d’un côté ou de l’autre en un rien de temps, sur une impression, un murmure qui fait pencher la balance.

Un siècle où également on passe du réel aux contes :

« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduite les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours ans avoir pourquoi. »

Un livre lent, méditatif, et, dans le même temps, violent, hurlant les conventions, la mort et, enfin, le mystère de la vie. A lire, mais surtout à relire, car c’est en le relisant, par bribes, que l’on y prend goût. On le ferme en rêvant d’un monde où l’on n’aurait probablement pas aimé vivre. Mais l’imagination permet d’oser ce que l’on ne ferait probablement pas dans la réalité.

18/12/2012

Le cercle

Sa ligne est frontière
Fermé sur lui-même
Il s’impose sur les angles
Et même sur le vide
Il est plein, vertueux
Il sourit à sa plénitude
Dans son encombrante forme
Ce n’est pourtant qu’un trait
Sur l’espace ouvert
Mais il se ferme rondement
Pressé de se retrouver
S’avalant lui-même
Jusqu’à satiété
Qu’enferme-t-il ainsi
Dans ce corps épais ?
Le rêve d’un monde clos
Où l’on s’endort finement
Dans le sommeil du juste
Pour ne plus ouvrir les yeux
A l’immensité du ciel
Toi, perdu dans sa magie
Que deviens-tu, aveugle ?
Il faut deux yeux pour voir la magnificence
D’un cercle parfait
Si bien tourné qu’il donne le vertige
Comment descendre de cette lune
Enfermé dans l’espace
Et retrouver la feuille
Blanche et nette
Où l’imagination conduit la main ?

Le cercle, c’est la promesse
D’un avenir plein, sans surprise
Un monde fini
Le palpable derrière le trait

16/12/2012

La délicatesse, roman de David Foenkinos (Gallimard, 2009)

Ce n’est pas un roman de haute tenue intellectuelle, mais, ne serait-ce que par son titre, il se laisse facilement lire et s'émaille de quelques bons mots.

Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse). Elle avait traversé l’adolescenceroman,littérature,société sans heurt, respectant les passages piétons. Elle aimait rire, elle aimait lire. Elle rencontre François dans la rue et ce fut comme dans un roman. Un soir, il construit un puzzle devant elle. Elle y lit : « Veux-tu devenir ma femme ? »

C’est l’amour parfait. Mais François se fait écrasé en courant dans la rue. Errance de l’esprit et du cœur, pendant plusieurs mois avant de reprendre le travail.

Son patron, Charles est amoureux d’elle, mais elle ne le supporte qu'en tant que patron. Markus, un suédois engagé par la société, entre dans sa vie par la petite porte, sans effraction, imperceptiblement. Il était doté d’un physique plutôt désagréable, mais on ne pouvait pas dire non plus qu’il était laid. Il avait toujours une façon de s’habiller un peu particulière : on ne savait pas s’il avait récupéré ses affaires chez son grand-père, à Emmaüs, ou dans une friperie à la mode. (…) Elle décida alors de marcher vers lui, de marcher lentement, vraiment lentement. On aurait presque eu le temps de lire un roman pendant cette avancée. Elle ne semblait pas vouloir s’arrêter, si bien qu’elle se retrouva tout près du visage de Markus, si proche que leurs nez se touchèrent. Le Suédois ne respirait plus. Que lui voulait-elle ? Il n’eut pas le temps de formuler plus longuement cette question dans sa tête, car elle se mit à l’embrasser vigoureusement. Un  long baiser intense, de cette intensité adolescente.

Malgré ce baiser, c’est un lent apprivoisement qu’ils devront faire tous les deux, l’un envers l’autre, avant de se découvrir. L’insolite est la délicatesse de ces rencontres, l’étonnement de Nathalie devant la maladresse de Markus. Il est hésitant, gauche, mais délicat. Et cette délicatesse devient pour lui un atout. Progressivement Nathalie se laisse enfermer dans ce charme discret.  Elle comprenait qu’elle avait voulu cela plus que tout, retrouver les hommes par un homme qui ne soit pas forcément un habitué des femmes. Qu’ils redécouvrent ensemble le mode d’emploi de la tendresse. Il y a avait quelque chose de très reposant dans l’idée d’être avec lui. (…) Elle savait juste que c’était le moment, et que dans ces situations, c’est toujours le corps qui décide. Il était sur elle maintenant. Elle s’agrippait.

Seule la délicatesse sauve le livre, naïf et même banal. Mais il est plus que sauvé, il est délicat comme peut l’être un amour incongru. Et ils se sentaient bien...

13/12/2012

Le mouvement

Synthèse de l’espace et du temps,
Ainsi naît le mouvement
Les deux concepts sont inséparables
Sans eux le mouvement est mort-né
La pensée est elle-même mouvement
Méditer : apprivoiser la pensée

Elle avait vingt ans et le geste sûr
Elle parlait avec ses mains
Et celles-ci étaient sa nature même
Une courbe dans l’espace
Tracée avec la lenteur qui convient
Reconstituait sa pensée et lui donnait vie

Le premier mouvement est le bon mouvement
De la pensée au geste, sans intermédiaire
Jusqu’où cela peut conduire ?
Ainsi naissent les révolutions
Dans la griserie d’un avenir bouleversé
Ça bouge, ça bouge… Quelle opportunité !

Mais qu’est-ce qu’un mouvement ?
Le repos n’est qu’un mouvement déguisé
Il cache son agitation derrière le visible
Mais le cœur bat dans la poitrine
Et l’esprit rêve à l’infini
Même la mort est lente décomposition
Et entretient le mouvement universel

Dieu est-il sans mouvement ?
Son royaume est mouvement du cœur
Elan vital vers… Irradiation…
Et ce tremblement léger de l’amour
Atteint chaque être de l’intérieur
Pour le transformer en mouvement

Le mouvement s’arrête et tout s’écroule
Ce n’est pas une page noire
Il n’y a plus de page, ni de noir
Rien ! Inimaginable
Et avant le big-bang, qu’y avait-il ?
Quelque chose, quelqu’un ou le néant ?

Mais déjà imaginer le néant
C’est faire le grand saut
Et le saut est lui-même mouvement
Alors le néant n’existe pas
Quelle fiction ! Et pourtant
Comment l’imaginer, le nommer ?
Non, le néant n’est pas
Tout est mouvement

Alors, dansons la vie
A pleines jambes !

09/12/2012

La vie, c’est le mouvement

Flottements de mouvements perpétuels
Quel étrange monde que la ville
Bruits en collision permanente
Sursaut et atonie vous frôle les sens
Seul le geste reste placide
Et flotte dans l’air froid de l’automne
Le piétinement des passants
Immense charge journalière
Vers la dévoration bureautique
Dans les rires dépersonnalisés des uns
Et les grognements d’autres délaissés
Ces inconnus vous passent à travers le corps
Sans même vous toucher, insistants
Légers, parfois cependant caressants
Fin du jour, entrée dans la nuit
Nausée de paroles et d’ignorance
Chercher refuge dans sa boîte

Havre de paix…
                       Ouf, j’y suis
Cerclé de ces révolutions fugaces
Vous laissez tomber votre masque
Le noir, l’absence, le non-être

Vite,
         remettre sa peau civilisée
Ouvrir son monde à l'univers médiatique
Pouvoir à nouveau respirer
L’odeur de cette agitation
De ces rumeurs, de ces affrontements
Et se dire : « Aujourd’hui encore,
Je vis ! »

08/12/2012

Le démon et mademoiselle Prym, récit de Paulo Coelho

Le bien et le mal, éternels opposés, mais toujours tellement proches l’un de l’autre en un seul être humain, si bien que le problème permanent de l’homme, n’est pas de se comporter tantôt bien tantôt mal, mais de marcher sur la crête incertaine qui les sépare, sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre.

Quelle idiotie, me direz-vous. Certes, je ne parle pas du bien à la manière de saint François d’Assise ou du mal à la manière d’Hitler (sans doute parce quelittérature,spiritualité,religion,philosophie,bien et mal j’ai encore en souvenir le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt). Je parle des petits biens et des petits maux qui sont à notre portée. Ils sont si opposés et si proches en même temps. On croît faire le bien, mais le résultat ou les conséquences deviennent des maux, et inversement. De plus, la frontière n’est jamais visible. Elle se faufile comme une ficelle tombée par terre, tantôt à gauche vers le mal, tantôt à droite, vers le bien. Et elle bouge. Alors cette instabilité est décourageante. Comme l’équilibriste sur son fil, il faut regarder au loin, et ne jamais baisser les yeux, sinon le vertige vous prend et vous conduit d’un côté ou de l’autre.

C’est l’histoire de Mademoiselle Prym, Chantal, serveuse de bar dans un village perdu et paisible qui, en un jour, ne regarde plus au loin et se laisse entraîner à droite et à gauche selon les circonstances. L’étranger, arrivé la veille, lui montre des lingots d’or qu’il a cachés dans la terre. Pour la séduire, pense-t-elle. Je ne me laisse pas prendre par un piège aussi grossier. Mais… Elle pourrait apprendre à l’aimer. Et l’homme lui dit : « C’est exactement ce que je veux savoir. Si nous vivons au paradis ou en enfer. » Il poursuit : « J’ai découvert que si nous avons le malheur d’être tentés, nous finissons par succomber. Selon les circonstances, tous les êtres humains sont disposés à faire le mal. » Enfin, il propose son marché : « Si au bout de sept jours, quelqu’un dans le village est trouvé mort, cet argent reviendra aux habitants et j’en conclurai que nous sommes tous méchants. Si vous volez ce lingot d’or mais que le village résiste à la tentation, ou vice versa, je conclurai qu’il y a des bons et des méchants, ce qui me pose un sérieux problème, car cela signifie qu’il y a une lutte au plan spirituel et que l’un ou l’autre camp peut l’emporter. (…) Si, finalement, je quitte la ville avec les onze lingots d’or, ce sera la preuve  que tout ce en quoi j’ai voulu croire est un mensonge. Je mourrai avec la réponse que je ne voulais pas recevoir, car la vie me sera plus légère si j’ai raison – et si le monde est voué au mal. »

Et commence les tractations qui font l’objet du livre. Vers quoi Chantal, puis les habitants, vont-ils pencher ? Va-t-elle dire aux autres ce que l’étranger lui a dit ? Va-t-elle prendre au moins un lingot ? Les habitants vont-ils s’entendre pour tuer quelqu’un ?

C’est une fable que nous conte Paulo Coelho qui dévoile en même temps la nature humaine, ni ange, ni démon. Chantal explique : « Moi, je ne sais pas si Dieu est juste. En tout cas, Il n’a pas été très correct avec moi et ce qui a miné mon âme, c’est cette sensation d’impuissance. Je n’arrive pas à être bonne comme je le voudrais, ni méchante comme à mon avis je le devrais. »

05/12/2012

Maison de campagne en hiver

Entrée dans l’eau glacée du vestibule
Pépiement lumineux du noir charbon
Avant que la lumière ne soit faite
Sur la montée d’escalier vertigineuse

Rien ne vient…
                      la congélation verte
Du billard immobilisé sur ses quatre pieds
Le salon rouge comme un poisson
Au-delà le gouffre des casseroles
Qui tintent d’aigreur pétrifiée
Enfin, la porte du néant, jardin olivâtre
Sans poignée…

Retournement de l’être
Les yeux vers le cerveau opaque
Je contemple cette image absconse
Enroulé sur moi-même
Bras et mains en extase
Jambes et pieds cramponnés
Dispersé, le sang se meut en serpent câlin
Qui relie les grains d’être
En étranges colliers d’alignements
Je passe de l’un à l’autre, sans sauter
Guidé par le fil des pensées noires

Plongeon dans l’absence
Saut dans l’irréalité caressante
Qui frissonne dangereusement
Entre les cils entrouverts
Qui ne veulent voir au-delà
De la froidure impalpable
Du crabe aux yeux fixes et glauques

Dieu, pourquoi la vie se pare-t-elle
D’autant de sens pour l’inconnu ?

03/12/2012

La part de l’autre, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt

Adolf Hitler : recalé.

Adolf H. ; admis.

Cette annonce de l’Académie des beaux-arts change le monde. On oscille entre12-12-03 La part de l'aute, d'E-E Schmitt.jpg un monde réel, dans lequel le personnage d’Hitler se promène avec difficulté jusqu’à son suicide et un monde imaginaire où Hitler devient peintre. Pas le grand peintre qu’il souhaite devenir, mais un artiste acceptable qui finit par reconnaître qu’il n’a pas l’étoffe d’un grand maître et qui survit à cela.

Toutes les deux ou quatre pages, on passe d’un personnage à l’autre, parfois en se demandant duquel il s’agit : Docteur Jekyll ou Mrs Hyde ?

Du nouveau chancelier de l’Allemagne, l’auteur écrit : « Ils ignoraient qu’ils n’avaient pas désigné un homme politique, mais un artiste. C’est-à-dire son exact contraire. Un artiste ne se plie pas à la réalité, il l’invente. C’est parce que l’artiste déteste la réalité que, par dépit, il la crée. D’ordinaire, les artistes n’accèdent pas au pouvoir : ils se sont réalisés avant, se réconciliant avec l’imaginaire et le réel dans leurs œuvres. Hitler, lui, accédait au pouvoir parce qu’il était un artiste raté. »

Du peintre, il imagine, dans un dialogue entre le professeur et un de ses élèves, la lutte de celui qui découvre qu’il n’est pas un grand peintre : « – Une vie, ça ne se fait pas tout seul. Ce n’est pas vous qui la donnez. Ce n’est pas vous qui choisissez vos dons. (…) A quarante ans, vous décidez de faire des enfants et vous décidez de ne plus peindre. En fait, ce que vous désirez, c’est décider. Maîtriser votre vie. La dominer. Fût-ce en étouffant ce qui s’agite en vous et qui vous échappe. Peut-être ce qu’il y a de plus précieux. Voilà, vous avez supprimé la part de l’autre en vous comme à l’extérieur de vous. Et tout ça pour contrôler. Mais contrôler quoi ?  »

Eric-Emmanuel Schmitt se justifie et explique son roman dans son journal : « J’élabore un double portrait antagoniste. Adolf H. cherche à se comprendre tandis que le véritable Hitler s’ignore. Adolf H. reconnaît en lui l’existence de problèmes tandis qu’Hitler les enterre. Adolf H. guérit et s’ouvre aux autres tandis qu’Hitler s’enfonce dans sa névrose en se coupant de tout rapport humain. Adolf H. affronte la réalité tandis qu’Hitler la nie dès qu’elle contrarie ses désirs. Adolf H. apprend l’humilité tandis qu’Hitler devient le Führer, un dieu vivant. Adolf H. s’ouvre au monde ; Hitler le détruit pour le refaire. Non seulement La part de l’autre donne le principe du livre mais ce titre en suggère la dimension éthique : poursuite de l’altérité chez Adolf H., fuite de l’altérité chez Hitler. »

C’est un livre profond, parfois intéressant, mais qui devient lassant pendant sa lecture. Où veut-on en venir ? Cette question vous taraude tout au long des pages et la réponse ne se trouve pas dans le livre, mais dans le journal où l’auteur décrit ses interrogations. Vous êtes frustré lorsque vous fermez ce long roman de 500 pages, vous l’aimez lorsque vous le refouillez et retournez au point de départ. Que ce serait-il passé si l’Académie des beaux-arts en avait décidé autrement ? Adolf H. manque sans doute un peu de personnalité pour devenir la controverse d’un Hitler névrosé, mais sorcier des foules. A l’opposé d’Adolf Hitler, qui craint les femmes, Adolf H. réussit sa vie grâce aux femmes : Onze-heures-trente, sœur Lucie,  Sarah, sa femme, juive.

01/12/2012

Octosyllabique en ver…(s,t,rre…)

Ces vers qui ont huit pieds !
Avez-vous vu des vers à pied
Au banquet du cimetière
S’entrechoquant les jambières ?

D’autres verres translucides
Sont remplis de mots fluides
Qui coulent en sérénité
Sur la page d’ubiquité

Les mille-pattes s’emmêlent
Croque en jambe, sans semelle
Ils rampent tels des vermisseaux
Sur les poèmes horizontaux

Ambiguïté du sous-verre
Emprisonnant le poème
Qui vit son dernier calvaire
Dans cet encadré bohème

Jamais en fibres de verre
Ils deviennent parfois libres
D’une main forte, en revers
Ils sont remis au calibre

Le vers se mire dans son mètre
Quelle élégance vaine !
Y a-t-il toujours mal-être
Face à cette déveine ?

Le vers se rime dans ses sons
En prudents octosyllabes
L’oreille en contrefaçon
Mesuré par l’astrolabe

Le vert se consacre couleur
Lorsqu’enfin au petit matin
Découvrant du jour la lueur
Il renvoie la nuit aux lutins

Les vers blancs sont mangés sans faim
Comment les offrir aux passants ?
Bataille de crève-la-faim
Où trouver l’enrichissement ?

Mais le vers est parti, vers quoi ?
Passant si vivant, insoumis
N’arrivant pas à rester coi
Si tu confirmais l’infamie !

Découragés s’en vont les vers
Comme des artistes bafoués
Arriveront-ils sous terre
Ou devront-ils se méjuger ?

28/11/2012

La chambre à remonter le temps, roman de Benjamin Berton

L’histoire pourrait être passionnante. Une chambre qui, lorsqu’on y reste suffisamment longtemps, vous fait sortir deux ou trois jours plus tard ou, parfois, plus tôt. Benjamin a découvert cette propriétélittérature,roman,société,couple de la chambre après l’achat d’une maison au Mans. Le prologue du livre reprend sa fin, comme un retour sur le temps, un éternel recommencement. Mais quel recommencement ? La vie de Benjamin n’est ni drôle, ni passionnante. Celle d’un Français moyen qui côtoie des Français moyens. C’est long et ennuyeux de voir à quel point ces vies sont sans aucun idéal, aucune passion, ni même joie d’instants partagés. Céline, sa femme, n’arrange rien, elle est égale à lui-même et autoritaire : métro (mais on est au Mans), boulot (il le sèche de plus en plus souvent), dodo (ils ne dorment que rarement ensemble).

L’auteur est prolixe. On se demande comment il fait pour trouver tant de choses à dire pour traduire l’ennui et la grisaille. De toutes petites aventures avec des gens sans intérêt. Alors pourquoi poursuivre ce livre ? Parce que, malgré tout, l’histoire pourrait être passionnante. Ces allers et retours du temps sur l’échelle métrique ! Alors, on espère, on devance le moment où le quotidien sera dépassé par l’insolite, le fantastique, l’irrationnel. Mais on traîne ainsi jusqu’aux dernières pages qui vous ramène aux premières. Si l’on n’y prend pas garde, on recommence la lecture sans même s’en rendre compte. Le temps est circulaire pensent certains peuples. Oui, c’est vrai, ici il tourne en rond et on ne sait quand va s’arrêter cette dissociation entre personnages vrais et ectoplasmes comme ils finissent par s’appeler.

Mais pour ne pas rester sur une note pessimiste, je vous fais part de la critique de Bernard Quiriny : « D’un côté, c’est un tableau doux-amer de la vie des trentenaires, confortable et mesquine, avec ses petits événements (faire un enfant), ses petits engagements (s’acheter une maison), ses petits rites (recevoir à dîner) et ses petits drames (se séparer). D’un autre, une peinture des frayeurs de la classe moyenne : l’insécurité, le fantasme de la barbarie à nos portes, la tentation de l’autodéfense. D’un autre côté encore, une chronique conjugale drôle et effrayante (Céline n’est pas commode, il finit par ne plus la supporter, la trompe et, sommet de comique macabre, recourt à un marabout africain pour l’empoisonner) et un autoportrait du trentenaire mâle (fier et plein de doutes, consommateur de porno en ligne). Et, pour finir, c’est un récit fantastique bien mené, qui recycle le thème du voyage dans le temps pour en faire l’échappatoire d’un garçon qui s’ennuie, comme si seul l’irrationnel pouvait encore troubler le flux prévisible de la vie moderne. »

23/11/2012

La leçon de piano

Comme ils sont malhabiles ces doigts
Qui tentent, raides, de danser quelques pas
Sur le clavier blanc zébré de noir

Que d’application ils exigent
La main raidie d’effort, doigt vengeur
Tendu vers la note… Laquelle ?
Ce doigt appuie, en vain, sur la touche
Trop tard, il ne peut plus frapper
Il s’abaisse sans force
Plein du désir d’un son, quel paradoxe !

Compte les notes, c’est bien le mi
Miracle, il l’a trouvé, juste après le ré
Chaud comme une boule de réglisse
Et maintenant le si, préféré du triton
Comme il est difficile d’y mettre le pouce
La main retournée s’abaisse, découragée

Quelle tension sur le visage d’ange
Quelle pression dans ce petit corps
Recroquevillé sur lui-même
Penché sur le clavier
Hésitation, contraction, détente brève
Puis de nouveau, en cycle
Mais l’épuisement gagne
Encouragement…

Et vous vous essayez à les faire chanter
Mais là aussi rien ne sort
Un rauque essoufflement
Comme une pompe de vélo
Quel rapport entre la frappe d’une note
Et le souffle entre les dents serrées !

L’accord, comme un éclair vivant
Est-il beau ou résonne-t-il bizarrement ?
Cela ils l’entendent, ronds harmonieux
Ou carrés dans l’eau noire
Comme un  ploc mal tombé
La chute d’un caillou creux
Ils grimacent de laideur
Devant ces sons diaboliques

Et un jour, pourtant, elles couleront
Ces notes sortant des mains
Et égraineront l’enchantement
Caresse et chant du paradis
La danse deviendra souple
Les doigtés s’enchaînant
La tête couverte de vrilles
Les bras chantant à l’unisson

La leçon de piano, quelle magie !