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02/08/2011

D'acier, roman de Silvia Avallone

 

C’est le roman de l’adolescence, moment où les sentiments sontlittérature,société exacerbés, en particulier ceux de l’amitié et de l’amour, mêlés au désir du corps, brutal pour les garçons, plus sournois pour les filles, mais tout aussi réel.

Elles sont deux filles canon, les plus remarquées de Piombino, faubourg ouvrier, au bord de la plage, face à l’île d’Elbe. Elles sortent de l’enfance, entre les manifestations d’amitié de l’enfance et les tentations physiques de l’adolescence. Toute la plage les regarde, les admire, les envie. Elles ne sont pas insolentes, simplement épanouies et sans complexes, sûres de leur beauté. Elles découvrent l’amour. Après des tentatives de manifestation d’amour entre elles, Anna tombe amoureuse de Mattia, beau loup de mer ayant navigué trois ans en Mer Noire. C’est la fin de l’amitié entre Anna et Francesca, cette dernière se sentant trahie par l’attitude d’Anna. Francesca adopte une autre amie, par dépit, une petite boulotte qu’elle n’aime pas. Elle ignore Anna qui découvre l’amour à quatorze ans. Mais, après des péripéties, elles finiront par se réconcilier : Elles souriaient, ne parlaient pas. L’une avait la bouche pleine de dentifrice, l’autre les lèvres entrouvertes, un peu gercées. Elles étaient parfaitement accordées l’une à l’autre.

Histoire banale, sans grand intérêt, semble-t-il. Mais, en premier lieu, elle se passe dans un univers très dur où les hommes sont des machos et les femmes soumises, où les pères veillent sur leurs filles avec des arrière-pensées, dans l’ambiance de l’aciérie, seul moyen de gagner sa vie à Piombino, univers inhumain où les hommes s’épuisent et s’enferment dans des certitudes d’enfant. Et dans ce monde éclosent deux chrysalides sans complexe, devant lesquelles les vieux bavent d’impuissance et les adolescents de désir. Elles sont pourtant comme toutes les filles, regardant les garçons, se pavanant en bande devant eux, rêvant d’être dans leurs bras, mais dédaignant leurs plaisanteries obscènes.

En deuxième lieu, ce qui surprend, c’est la maîtrise des descriptions et de l’écriture en général. Deux exemples :

 

Anna et Francesca, quand chez Anna il n’y a personne.

Leur corps pulse comme la musique, avec la musique. Elles attendent que la chanson commence pour se déshabiller.

La fenêtre est ouverte. Elles se sont enfermées à clé dans la salle de bain. Elles le font tous les lundis matin, l’été, quand la classe est finie et que tout le monde est au travail. Elles relèvent le store, ouvrent les rideaux. Elles se tiennent là, à moitié nues, au milieu de la pièce. Dans l’immeuble en face, seuls sont restés les retraités et les tire-au-flanc.

Elles se sont maquillées, outrageusement. Le rouge à lèvres déborde, le rimmel coule avec la chaleur et plâtre leurs cils, mais elles s’en fichent. C’est leur carnaval à elles, la provocation qu’elles lancent par la fenêtre. Au fond, elles le savent que quelqu’un pourrait les mater et tomber le pantalon. (p.32)

 

Elle lui plaisait trop. Elle lui faisait un effet, nom de Dieu, inexplicable. Et puis il se dit que ses intentions n’étaient pas mauvaises. Se persuada qu’il voulait juste la connaître un peu, parler avec elle, découvrir ce qu’il y avait dans cette petite tête, et peut-être même la tenir une minute dans ses bras.

« Eh, la frisée ! », cria-t-il.

Anna en freinant se retourna et scruta la foule.

Merde : elle était à tomber.

Cette frimousse insolente, pendant qu’elle cherchait qui l’avait appelée… elle était fantastique !

Tant pis, il lui expliquerait ; à Alessio, et s’il fallait encaisser la beigne, il l’encaisserait. Anna soudain le vit. Le reconnut. Pila brusquement.

Mattia. MAT-T-IA. Accoudé à la balustrade, beau comme Brad Pitt dans Thelma et Louise, beau comme Ricardo Scamarcio sur la couverture de Cioè.

Elle éprouva une seconde de désarroi, de joie folle, sauvage… (p.182)

 

Mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un roman social comme le prétend La Repubblica. Ce serait le déclasser. C’est un bon roman, écrit à 25 ans et tiré à 350 000 exemplaires. C’est tout. Mais, c’est déjà beaucoup.

 

 

01/08/2011

Bulle de savon translucide

 

Bulle de savon translucide,

Tu es l’espace et le temps

L’infini et le fini

Mon système solaire

 

Au-delà du globe transparent de ton regard

Se cachent ta propre image

Et l’image de ton univers

 

Tu es l’aleph de ma contemplation

Le commencement et la fin du temps

Ta présence est mon éternel présent

Et je mourrai de ton achèvement

 

Au-delà du goût de tes lèvres

Je prends conscience de ta densité

Et ne peux plus me définir

Qu’en relativité à ton existence

 

Le jeu de la lumière dans ta chevelure

Est la courbure de mon atmosphère

Où je découvre implacablement

Le champ de gravitation de mon espérance

 

Je suis d’apesanteur, exempt d’inertie

Inexorablement, éternellement

Attiré vers le centre de ton être

Concentré de ma pleine conscience

Vers le point de chute que tu es

 

 

31/07/2011

Le chat au point d'interrogation

 

Est-ce une nouvelle, est-ce un conte? Je ne sais. Mais je souhaite qu'il vous apporte un peu de plaisir en cette fin maussade de juillet.

 

le chat au point d'interrogation.pdf 

 

27/07/2011

Pourquoi courir après les actes

 

Pourquoi courir après les actes ?

Pourquoi vouloir faire et défaire ?

S’arrêter, prendre le temps de se regarder !

Contempler le monde comme le hibou,

Les yeux ouverts, sans bouger

Et voir passer les incidents

Comme de petites blessures

A la perfidie de la vie

 

Calme serein des fontaines

Qui coulent au pied des jardins

Comme immobiles et vivantes

D’une vie statique et immortelle

 

Tel le scaphandre en eaux douces

Nous attendons la remontée

Pour sortir nos trésors :

Un doigt de poupée rose

Une couronne de fleurs artificielles

Trois lapins de porcelaine

Un chapeau défraichi

Par son séjour dans l’eau noire

 

Au-delà de ces assemblages

Nous retrouvons, cachée,

La sensation de froideur vitale

Des escargots idéologues

Qui courent aux murs de la honte

 

Petits délires matinaux

Comme un soulagement

Offert gratuitement

A l’errant qu’est

Chacun (ou chacune) de nous !

 

 

23/07/2011

Voici revenus le gris et le mouillé

 

Oui, voici revenus le gris et le mouillé.

 

Gris du ciel d’abord, mais aussi

Griserie des rues sans âme,

Rues grisâtres des jours verts

Vers des horizons sans fin,

Là où rien ne dit à personne,

Là où se promène, nostalgique,

Le poète dénudé des haricots blancs

Qui pleure lorsque rien ne l’enchante

Et qui rit au plaisir de savoir

Si, un jour, il sera bègue.

Alors combien sera rude sa tâche

De récitant de vers prolongés

Dans l’aube inconnue de la ville.

 

Mouillé aussi, comme la fourrure

Des rats un jour d’inondation

Ruisselant de brillants

Et prostrés dans un coin obscure,

Avant de ressortir au soleil du soir

Pour réchauffer leur vieille carcasse.

Enfermé dans un halo de condensation,

L’homme mouillé de larmes

Se prête au faux semblant

D’un attendrissant retour

D’une certaine innocence.

Mais au fond de lui,

Il sait bien, malgré ses dires,

La puissance de l’instant,

L’évocation irrésistible et instantanée

De souvenirs inconnus

Et d’un présent irrévocable,

Malgré le rêve, l’intention,

La paresse ou la vision.

 

Oui, voici revenus le gris et le mouillé.

Quand t’abstiendras-tu d’apercevoir,

Au-delà du temps et de l’espace,

L’espoir des jours blancs

Et des nuits de pleine lune ?

Couché dans ton lit trop grand,

Réveillé par la clarté diurne,

Tu rêves, tu deviens autre,

Tu te laisses empoigner

Par le miracle de la passion,

Une passion indéfinissable,

Celle de la création

Et de la démolition,

Pour que les lendemains

Soient autres, rosés

D’attente et de désirs,

Verts d’optimisme,

Jaune de bonheur.

 

 

21/07/2011

Danse, danse, danse, d'Haruki Murakami

 littérature,société,livre,philosophie

Je lis ce livre d’Haruki Murakami dans lequel il est confronté, dans un hôtel curieux, grand building construit sur l’emplacement d’un petit hôtel minable, mais portant le même nom, l’hôtel du dauphin, à l’homme-mouton (qui a déjà fait l’objet d’un livre antérieur). Et celui-ci ne lui donne qu’un conseil : danse, danse, danse.

" Mais il n’y a rien d’autre à faire que danser, poursuivit l’homme-mouton. Et danser du mieux qu’on peut. Au point que tout le monde t’admire. Danser tant que la musique durera. Ne te demande pas pourquoi. Il ne faut pas penser à la signification des choses. Il n’y en a aucune au départ. Si on commence à y réfléchir, les jambes s’arrêtent. "

Et Haruki (ou plutôt le personnage de ce livre) danse. Il décide de s’installer dans cet hôtel. Il a fait la connaissance de la réceptionniste avec laquelle il devient plus ou moins ami. Il rencontre également Yuki, très belle, qui n’a que treize ans et dont il se fait une amie, malgré les réticences de la jeune adolescente. Il retrouve un camarade d’école qui a réussi et qui est acteur. Il fait la connaissance d’une magnifique prostituée et en fait une amie de cœur. Enfin (je n’en suis qu’au tiers du livre), il revoit au cinéma une amie avec laquelle il a passé quatre ans, Kiki, et s’interroge sur ce qu’elle est devenue. Tout cela semble décousu. Mais au fond, ce qui semble important dans ce livre se résume au simple mot « danse ».

Mais qu’est-ce que danser ? Je vais laisser aller mon imagination ou plutôt ma propre compréhension de ce mot, sans cependant savoir ce que me dira la suite du livre. Je me trompe peut-être, mais c’est ma vision personnelle. Danser, c’est se tenir sur le fil du rasoir entre le besoin de sincérité vis-à-vis de soi-même et la nécessité de jouer un rôle en face des autres. C’est également le juste milieu entre la vie personnelle, intime, et la vie extérieure, en société, même restreinte. Et réussir sa vie, c’est la capacité de chaque individu à réaliser ce cocktail difficile, ni trop, ni trop peu.

Pour cela il faut se lancer des défis qui feront progresser votre personne, pas simplement votre personnage, mais votre moi profond, dans sa confrontation avec lui-même et avec les autres. Ce sont des défis tout à fait personnels, qu’aucun n’a besoin de connaître. Ils ne peuvent être imposés par les conventions ou les ambitions sociales. Ils ne peuvent non plus être une recherche de satisfaction personnelle. Ils doivent comporter l’équilibre entre vos deux êtres, votre moi et votre personne, celle qui se présente aux autres.

Danse, danse, danse… C’est l’exigence de la vie. Si l’on s’arrête de danser parce qu’on est fatigué, ou inversement si l’on tourne sans rythme ni grâce parce qu’on se complaît à ne plus faire que ce que les autres attendent de vous, alors on meurt à soi-même.

C’est bien sur le fil du rasoir que doit se délivrer la danse, jusqu’au jour de l’envol final.

 

 

15/07/2011

Abandonne tout désir

 

Abandonne tout désir.

Que rien ne vienne empêcher

Ton appréhension de la vie.

Que la nuit soit le jour

Et qu’inversement,

Les jours restent vierges.

Alors, du fond de ton être,

Surgissant de nulle part,

Un feu brûlant te prendra

Et te conduira plus loin,

Là où rien de sensible

Ne peux t’atteindre.

Dans ce halo de lumière,

Emprisonné d’indifférence,

Tu règneras en roi,

Tu officieras en prêtre,

Tu parleras en prophète.

Et parce que tu sauras

Conserver ton innocence

Sans te laisser griser

Par ce vide immense,

Déroutant et fragile,

Tu deviendras ce que tu n’es pas,

Tu te découvriras autre.

Et libéré de toute contingence,

Tu ouvriras ton corps,

Ton cœur, ton intelligence,

Ton esprit enfin, à la beauté

De l’absence de personnage,

A la nudité absolue,

A l’étrange pâleur

De ta renaissance.

 

 

06/07/2011

Ils sont ronds, dorés comme un rôti

 

rouleaux de paille.jpg

 

Ils sont ronds, dorés comme un rôti,

Ils enjolivent les champs de leur masse répartie.

Ce sont les rouleaux d’été,

De paille ou de foin enrobés.

 

Comme des guirlandes sur un arbre de Noël

Ils font une parure de fête au regard des vivants.

Appuyé sur l’un d’eux, je respire l’odeur de moelle,

De terre, mêlée d’herbes et de grains. Purifiant !

 

Seul le mugissement d’un bovidé esseulé

Trouble la torpeur de l’instant présent,

Accompagné des soupirs d’une brise affolée

Qui ondule sur le blé en chantant.

 

Enfin, cueillir l’origan, d’un sécateur pataud,

Pour les laisser sécher sur un plateau

Jusqu’à la fin de cet été.

 

Et les utiliser en les écrasant de la main,

Comme on le fait pour le cumin,

Afin de doter chaque met d’odeur de sainteté.

 

 

03/07/2011

Un instant d’éternité

 

Il existe de ces instants magiques où le temps suspend sa course immuable. C’est encore plus perceptible lorsque se mêle au présent un souvenir de jeunesse et qu’il surgit, très prégnant, au travers de ce que chaque sens nous dit.

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La chaleur d’abord, de celle des étés de Pagnol, quand l’ombre d’une branche vous semble une caresse furtive et apaisante, alors que la pure lumière vous est un poids qui épuise le corps.

Le silence lourd de la campagne ajoute à cette torpeur. Seul le chant de quelques oiseaux, parfois, le trouble pour vous rappeler que tout cela est vivant, mais que la vie est suspendue. Sous chaque noyer, l’ombre bienfaisante sert de repère à la méditation, troué de taches de lumière qui suivent le frémissement des feuilles. L’herbe de la prairie se balance au gré de la brise indolente, survolée de moucherons qui dansent l’éternelle fête de la brume de chaleur qui les enrobe.

 

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Ce chemin, vous l’avez parcouru des milliers de fois, mais ce retour aujourd’hui vous conduit à constater l’apaisante vérité de la succession du temps et des espèces. Dans la rangée des noyers qui descend vers la rivière, seul manque l’un d’eux, déjà remplacé par un petit, très petit noyer qui a poussé seul contre la volonté de tous. Le chemin de pierre laisse une bande d’herbes entre les roues des voitures. Quelle étrange sensation que celle des pas sur cette bande de terre qui vous aide à descendre vers le passé, lorsqu’enfant, vous dévaliez à un rythme effréné, en bicyclette, le chemin pour vous laisser ensuite freiner dans les hautes herbes aux abords du ruisseau. Parfois, entraîné par l’élan, vous vous arrêtiez à quelques centimètres de la berge, en vous jetant par terre. Plus tard, votre propre enfant s’est cassé une dent en se laissant tomber sur le gravier plutôt que de percuter la porte cochère.

 

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Mais aujourd’hui le temps s’est arrêté. La chaleur, probablement, qui engourdit vos perceptions et endort votre attention. Alors vous longez la haie à gauche du chemin, là où l’ombre maintient encore une certaine fraicheur. Vous regardez chaque espèce d’arbres, la rugosité de leurs troncs, le dessin de leur développement jusqu’aux derniers rameaux, leurs feuillages, pleins, aux larges feuilles, ou encore clairsemés de petits opuscules, et chacun d’eux évoque en vous des moments différents, des lieux et des temps éloignés, mais qui redeviennent si présents qu’ils semblent revivre sous votre regard attentif.

Et vous descendez toujours, écrasé de soleil, vous laissant bercé par ces instants remémorés jusqu’à l’approche de la maison que vous connaissez bien et qui vous fait sortir de votre rêve éveillé.

 

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Au loin, très loin dans le ciel, un avion vole sans bruit et seule sa trajectoire vous rappelle que la vie continue, inexorable, dans cette nature immobile, anéantie de chaleur sourde troublée par l’aboiement d’un chien aux confins du village qui vous signifie que le frémissement des feuilles fait aussi partie du tableau vivant.

 

Je me souviens être venu, adolescent, quelques jours après un concours, pour me reposer, seul dans l’immensité de la maison et de la campagne et avoir passé huit jours au rythme de la terre et de l’inspiration. Je me couchais tard, me relevais deux fois, trois fois, dans la nuit pour reprendre un tableau, transcrire une idée, écouter une symphonie. Et les jours passaient dans l’indolence et la création, avec pour seul plaisir la contemplation d’une nature riche, parfaite parce qu’imparfaite, dans laquelle je pouvais me rouler jusqu’à pleurer de joie.

 

 

02/07/2011

Ensemble, nous irons au paradis

 

Ensemble, nous irons au paradis

Des amants d’antan

Je te regarderai, tu me verras,

Nous nous contemplerons

Et verrons le chemin écoulé

Comme une mélodie achevée

Toi, rien que toi, blanche

De vérité et d’innocence

Que j’apprends toujours à connaître

Qui m’apprend la vie et l’amour

Et qui court au plus large

Des rues encombrées de passants

Pour montrer la beauté de chacun

Je te regarde en odeur, en couleurs,

Tu me prends la main,

Tu me tends ta bouche,

Je ne suis plus, je deviens toi,

Et tu es la reine de ma nuit

Et la femme des jours sans fin

Où l’amour coule comme une source

Belle, tu me fais un clin d’œil

Serein, coquin, malin,

Et tu m’encourages dans ma folie

De ne penser qu’à toi, aimée

Perdue dans ce monde

Que nous sommes appelés

A quitter un jour, ou une nuit,

Après nous être aimés encore

Dans le secret de nos corps

Et la tendresse de nos rêves

 

 

29/06/2011

Chacun d’entre nous a un visage unique

 

Chacun d’entre nous a un visage unique

Et c’est sa dissymétrie qui le rend ainsi

S’il était parfaitement symétrique

Il n’aurait plus cette qualité inexprimable

 Qui le rend attirant ou au moins regardable

 

Mais dans ces visages distincts

Il y a les yeux, un monde en soi

Qui nous disent la soif de vivre

Ou encore le découragement et la vacuité

Comme des pierres précieuses

Leur brillance dévoile la valeur

Du visage qui se trouve devant vous

Certains y mettent quelques gouttes

De citron avant de partir danser

Pour raviver leur regard séduisant

 

Ils peuvent être verts émeraude

Des étendues forestières d’Amazonie

Bleus azur des mers des Caraïbes

Parfois jaunes paille des moissons d’antan

Mais aussi châtaignes tels les cigares

De la Havane ou de Porto Rico

Ou même noir comme l’ébène

Des tropiques de l’Ancien Monde

Très rares sont ceux d’entre les hommes

Qui disposent de prunelles rouges

On les prend pour les diables

C’est-à-dire des anges déchus

 

La bouche est aussi l’objet d’attentions

Propres à différencier chaque être

Elle peut être charnue comme un fruit

Avide comme un gouffre sans fin

Flottante comme un bateau sur l’eau

Rougie au bâton de couleurs

Peinte à grands traits malhabiles

Souriante au passant dans la rue

Close à tout signe de bonheur

Sans lèvres pour les vieillards

Trop éclose pour les enfants

 

Je ne parlerai pas du nez

Celui-ci a déjà fait l’objet

Des rimes et délires de Cyrano

Qui laissent un trou dans la tête

A la place d’inspiration

 

Certes les oreilles pourraient aussi

Mériter quelques phrases agréables

Mais ne sont-elles pas faites pour écouter

Plutôt que pour parler

Alors n’en parlons pas

 

Et pourtant le tour des attributs d’un visage

Ne suffit pas à le décrire

Il ya aussi la fossette qui l’enjolive

Le grain de beauté qui peut enlaidir

Le poil sur le nez et la tache sur la joue

La dent cassée qui empêche de sourire

L’œil pleureur et la joue tombante

Tout ce qui par le hasard ou l’usure

Déforme la nature unique de chaque homme

Et de chaque femme, qui, elle, s’en préoccupe

Pour le plaisir du premier

Et l’éclat de ses yeux amoureux

 

Est-ce le hasard ou la nécessité

Qui a construit cette merveille

Ou un dieu qui donne à chacun

Une façade, une apparence, un attrait

Qui le rend unique lui-même

 

Qu’il est beau ton visage

Toi l’aimée de toujours

Il est le point ultime de mes rêves

L’émouvant trouble de mon cœur

L’image présente à mon esprit

Qui m’accompagne dans la vie

Et fait briller mon œil de ravissement

 

 

24/06/2011

Les taches sur le mur

 

Les taches sur le mur

Sont l’ombre de mes pensées

Une fenêtre reflète le turban

Que porte un homme dans la rue

La glace enregistre l’envers des murs

Et les ombres transformées sont sans doute la vérité

Elle se cache parmi les mots

Et c’est une longue énigme

Que je cherche encore

 

Assis, à genoux ou encore debout

Ils attendent comme les lapins à leur terrier

Le dernier rayon de soleil de cette journée

Ignorants et béats, ou bien proches d’être fous

 

Les hommes, comme d’éternels esclaves

Entrainent chaque jour la roue du passé

Ne connaissant d’elle que ce point de tangence

Qui imprègne dan le sol l’instant de sa présence.

Derrière ne restent que les traces du regret du passé

Et au devant l’espoir du futur dans un jardin sauvage

 

 

22/06/2011

Silence, on pense...

 

Il se relevait la nuit pour réfléchir

C’était un désir pressant, incontrôlable

Qui l’aiguillonnait à se lever

Et à s’installer devant sa table de travail

Il partait loin, très loin, de la ville

Dans les recoins de son imagination

Ce n’était plus qu’un centre

Une fusion de la pensée profonde

Comme un amas de matière nucléaire

Qui fond sur elle-même sans refroidissement

Contenu et contenant ne font plus qu’un

La pensée coule sur la table

Et celle-ci devient le corps de l’homme

Dans cette confusion des genres

Seule une radiographie du centre

Donne une cohérence indissoluble

Au corps et à la pensée de l’homme

Avec la matière et la lumière ténue

D’une veille qui égraine les heures

Avec régularité et quiétude

Silence, on pense…

 

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Fait à l’encre de chine une nuit où l’imagination se concentrait sur elle-même.

 

 

 

21/06/2011

La grande peur du condamné

 

La grande peur du condamné, n’est pas la peur de mourir.

C’est la connaissance du fait qu’il ne vivra plus et le regret de tout ce qu’il aurait pu vivre.

 

A vingt ans, le nombre de possibilités heureuses qui s’ouvrent devant soi paraissent infinies. Peu à peu, cette ouverture se resserre. On imagine plus facilement l’avenir, il semble de plus en plus tracé. Pour certains, il devient même inexorable et oppressant.

Il y a pour chacun un équilibre à réaliser : garder une ouverture certaine, mais avoir une direction d’avenir. Avoir un but, mais ne pas en être prisonnier.

 

 D’où la nécessité d’apprendre à rebondir, à disposer d’une certaine résilience qui est l’art de pouvoir changer d’orientation sans en être traumatisé et en trouvant l’expérience intéressante. L’ouverture dans la vie, c’est savoir trouver de nouvelles voies lorsque celles que l’on a l’habitude d’emprunter sont bouchées.

 

 

19/06/2011

Retour

 

Retour à l’homme frais

Celui qui ne porte pas son bagage

Qui ne courre pas derrière les autres

Qui n’entend pas les clameurs

D’une foule dévoreuse d’informations

 

Retour à la femme vierge

De tout ce qui préoccupe les autres

Femme de parfum de fleurs

De rires éclatants et pourtant frêles

De tendresse odorante et

D’entière délicatesse des sentiments

 

Retour à l’enfant ignorant

Qui ne compte que des deux mains

Qui chante des comptines lentes

Qui n’accepte pas les baisers

Mais qui aime en donner gratuitement

Au moment où l’on ne s’y attend pas

 

Retour aussi au passant inconnu

Qui vous salue gaiement de la tête

Pour vous dire le bonheur

D’une journée sans les tracas du monde

Et qui devient l’errant

Qui donne la solution de l’énigme

 

Retour à celle-ci dont on ne sait rien

Qui courre le long des murs

Qui envahit les maisons ce jour d’été

Qui embrase la campagne en chaume

Qui rosit le village au soir

Pour lui donner l’aspect

Des idées sans importance

Et des sens découverts et palpitants

 

Oui, l’énigme est là

Accessible à chacun, visible de tous

Elle s’appelle la vie

Elle appelle à son retour

Parmi les simples et les fidèles

D’un regard non apprêté

De sons purs et cristallins

D’odeurs vertes et rouges

Dans le jardin secret de la réalité

 

 

17/06/2011

La porte étroite, d’André Gide, 1909

 

C’est le titre qui nous donne la clef du livre : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent : mais étroite est la porte et resserrée la voie qui conduisent à la vie, et il en est peu qui les trouvent. »

Elle pourrait sembler banale et mièvre cette histoire de Jérôme et d’Alissa, cet amour de deux êtres qui ne cessent de s’aimer sans pouvoir se rejoindre. Juliette, la sœur d’Alissa, qui aime aussi Jérôme, est le prétexte du développement du thème du livre.

C’est le procès, fait par André Gide, d’une vie pieuse et d’une morale chrétienne mal comprise que s’imposèrent beaucoup de jeunes filles de l’époque. Ne jamais vouloir sacrifier au plaisir terrestre et immédiat, mais toujours s’imposer une conduite plus haute qui refuse le bonheur de ce monde pour un bonheur plus lointain. Croyant faire leur bonheur, elles bâtissent de leurs propres mains leur malheur et souvent celui des autres. Alissa se sacrifie d’abord pour sa sœur Juliette, puis ce sacrifice devenant inutile, elle se force à jouer son rôle par orgueil et fausse piété. Car c’est de cela dont Gide fait le procès, une fausse éducation chrétienne entraînant au péché par orgueil et exaltation, orgueil de sainteté et de renoncement. Le drame d’Alissa est de ne pouvoir choisir entre sa morale et son amour. Elle meurt de cette ambigüité sans oser la résoudre.

 

Jérôme et Juliette vivent une même ferveur religieuse, approfondie par des lectures communes. Au fil des ans, Jérôme ne cesse de souhaiter épouser Alissa tout en se forçant avec elle et pour elle à une vertu sans faille : « Je ferais fi du ciel si je ne devais pas t’y retrouver. » Malheureusement, Alissa découvre l’amour de sœur Juliette pour Jérôme. Elle annule leurs fiançailles, et laisse le champ libre à sa cadette. Mais celle-ci, assurée que Jérôme n’éprouve rien pour elle, rivalise dans le sacrifice en épousant un tiers. Une longue séparation permet à Jérôme et Alissa de retrouver une certaine sérénité. Ils échangent à nouveau leur amour sans toutefois évoquer la possibilité d’un bonheur matériel. Séparer à nouveau, en raison de cette obsession d’un bonheur trop haut, il se retrouve peu avant les derniers instants d’Alissa, qui meurt d’un goût trop prononcé pour le sacrifice.

Les souvenirs de Jérôme, très bien écrits malgré ce qu’en dit Gide (flasque caractère […] impliquant la flasque prose), ne sont que l’histoire de leur vie dont l’explication est donnée par le journal d’Alissa :

_ Pourquoi me mentirais-je à moi-même ? C’est par un raisonnement que je me réjouis du bonheur de Juliette. Ce bonheur que j’ai tant souhaité, jusqu’à lui offrir de lui sacrifier mon bonheur, je souffre de le voir obtenu sans peine, et différent de ce qu’elle et moi imaginions qu’il dût être. Que cela est compliqué ! Si… Je discerne bien qu’un affreux retour d’égoïsme s’offense de ce qu’elle n’ait pas eu besoin de mon sacrifice pour être heureuse.

Je suis comme humilié que Dieu ne l’exige plus de moi. N’en suis-je donc point capable ?

_ Il me semble à présent que je n’ai jamais tendu à la perfection que pour lui. Et que cette perfection ne puisse être atteinte que ans lui, c’est, ô mon Dieu, celui d’entre vos enseignements qui déconcerte le plus mon âme.

_ Hélas, je ne le comprends que trop bien à présent, entre Dieu et lui, il n’est pas d’autres obstacles que moi-même. Si, peut-être, comme il me le dit, son amour pour moi l’inclina vers Dieu tout d’abord, à présent cet amour l’empêche ; il s’attarde à moi, me préfère et je deviens l’idole qui le retient de s’avancer plus loin dans la vertu. Il faut que l’un de nous d’eux y parvienne, et désespérant de surmonter dans mon lâche cœur mon amour, permettez-moi, mon Dieu, accordez-moi, la force de lui apprendre à ne m’aimer plus, de manière qu’au prix des miens, je vous apporte ses mérites infiniment préférables… Et si mon âme sanglote aujourd’hui de le perdre, n’est-ce pas pour que plus tard, je le retrouve en Vous…

 

Epilogue, Jérôme et Juliette dix ans plus tard :

_ Si j’épousais une autre femme, je ne pourrai faire que semblant de l’aimer.

_ Ah ! Alors tu crois qu’on peut garder si longtemps dans son cœur un amour sans espoir ?

_ Oui, Juliette.

_ Et que la vie peut souffler dessus chaque jour sans l’éteindre ?

 

La critique littéraire Pascale Arguedas explique que « Ce court roman écrit en 1905, paru en 1909 — premier vrai succès de librairie d’André Gide — est le négatif de L’Immoraliste qui célébrait le monde enivré des couleurs, des parfums, du corps humain, une aspiration à la « gloire célestielle ». […] Histoire d'un sacrifice, de l’adultère, du protestantisme et du puritanisme, ce roman d'apprentissage et de l'abnégation, d’inspiration fortement autobiographique, se présente telle une parabole et rend compte d'une société refoulée dont l’auteur s'attache à dénoncer les failles. […] Dans un style sobre et dépouillé, André Gide exploite l’intérêt dramatique, moral et didactique, en observateur, analyste et peintre de lui-même, présentant Alissa comme le symbole de l'amour impossible. »

 

 

13/06/2011

Forme et couleur

 

La forme précède la couleur

 

Avant la forme, il y a le trait

Qui part dans toutes les directions

Qui barre, qui marque un territoire

Qui, par le fait d’être là,

Fait de la page un dessin

Ou, au moins, un commencement

 

Avant le trait, il y a le point

Le point n’a pas de consistance

S’il devient important

C’est par sa multiplication

A l’infini sur une page

Et c’est le rapprochement ou l’éloignement

Qui fait des points un dessin

 

Au-delà du trait, la surface

Elle éblouit comme un miroir

Miroir du vide entre les traits qui la délimitent

Il convient de la remplir

Pour lui donner l’apparence

D’une plénitude emplie de rêve

 

Enfin naît le volume

Le volume construit la forme

La forme produit l’image

Et l’image est déjà une création

Elle construit un monde

Qui n’existait pas auparavant

 

Mais pour que l’image devienne

Tableau, il lui faut la couleur

Elle peut être grise ou noir et blanc

Elle peut n’être que nuance d’une seule

Elle peut être un mélange savant

Ou encore laisser libre cours

Au pétrisseur de couleurs

 

Certains cependant utilisent la couleur

Sans user leur temps à la forme

Ils travaillent par taches et projection

Auxquelles ils finissent par donner du sens

Mais trop souvent après coup

 

Forme et couleur, deux jumelles :

Les séparer, c'est bien souvent les briser ! 

 

 

09/06/2011

Il est des gens pour qui rien ne va

 

Il est des gens pour qui rien ne va

Il est des gens qui ne vont nulle part

Il est des gens qui ne s’arrêtent jamais

Toujours en mouvement, toujours tourmentés

 

Comment leur dire la mouche qui vole,

L’oiseau qui pleure en gazouillant,

Le chat qui miaule dans la chambre

L’enfant qui dort les bras ouverts

La femme au chapeau de plumes

Et l’homme en penseur solitaire

 

Il est des gens qui ignorent les saisons

Ne voient pas dans le froid du matin

La magie enracinée de la vie

Ne comprennent pas non plus

L’espérance d’un cœur vide

Ou même la vacuité de la faim

 

Il est des gens qui n’ont que la parole

Pour proclamer leur désaccord

Et qui toujours s’enferment

Dans un bocal de rancœur

Pour finir seul un jour d’orage

Dans la poubelle de l’imprécation

 

 

 

04/06/2011

Imagination, image inhalation…

 

Imagination, image inhalation…

Quel flot de mots et de sons,

Quel débordement de couleurs,

Quelles odeurs absurdes, mais délicieuses.

 

Je suis baignée de tentacules

Qui me chatouillent à l’envers

Et m’encourage dans mon innocence.

Je cherche d’autres procédés

Pour dire mon incompétence.

 

Amis, rien ne me vient à l’esprit,

Hormis cette poêle à frire verte.

Alors je prépare une omelette

Aux œufs frais encombrés d’herbes

Pour régaler les invités rares

Au festin de la comédie humaine.

 

Merci à vous qui êtes venus,

Revêtus de chemises molles

Et de pantalons de cuir souple,

Pour admirer le funambule

Dans son numéro imprévisible

Et sa médiocre réplique.

Oui, rien ne vous y obligeait.

Vous courriez dans vos intentions,

Vous pêchiez les mots au rebus

Et recomposiez les lettres

De mille envolées non lyriques.

 

C’est un grand jour,

Celui du retour de l’imagination.

Il apporte un peu de délire

Aux nuits somnolentes et tristes

Des artistes défraichis et somnambules

Qui pour se soutenir

Boivent plus que de raison

Un vin lourd et capiteux

Qui signe la défaite de leur art.

 

Merci à vous qui m’avez soutenu

Au cours de cette veille nocturne

Pour repartir au matin

Dans les brumes colorées

D’un nouveau jour sans surprise.

 

 

30/05/2011

Se souvenir d’un instant

 

Se souvenir d’un instant

Se souvenir de cet instant

Où plus rien n’existait

Quand nos regards se croisaient

 

Ne pas oublier la pesanteur de tes doigts

Et leur caresse furtive, comme ébauchée

Ne pas oublier non plus le fil de soie

Tissé de nos mains enlacées

 

Se rappeler ces quelques heures

Cet éternel déroulement de la destinée

Rencontre et dispersion sans heurt

Se rappeler ton visage illuminé

 

Enfouir aussi dans quelques pages

La valse lente de tes multiples images

Et parfois donner un tour de manivelle

Pour l’évoquer sur une musique rituelle.

 

 

23/05/2011

Le partage de midi, de Paul Claudel

 

Le Partage de Midi est un drame en trois actes, écrit en vers libres, c'est-à-dire, comme le dit Claudel, des vers qui, « s'ils ne peuvent se scander », présentent une unité respiratoire, musicale, intelligible, émotive.

Il s’agit du drame séculaire de l’amour interdit, un mari, une femme et un amant, mêlé à un drame spirituel. Mésa, qui deviendra l’amant de Ysé, a voulu consacrer sa vie à Dieu et s’est retiré au fond du monde. Mais Dieu l’a refusé. Depuis, il erre à travers les continents à la recherche de son âme, pour l’instant sur un bateau, au milieu de l’océan, à midi. Il ne connaît pas de femme, il ne les aime pas et il rencontre Ysé, la femme idéale. Belle, elle est femme jusqu’au bout des ongles dans son désir de possession.

Mésa s’interdit de tomber sous son charme et pourtant il déclare à Ysé son amour. Ysé est liée à de Ciz par les liens sacrés du mariage, mais bientôt les deux amants passent outre. Alors Ysé et Mésa, vivant ensemble, s’aperçoivent qu’ils ne s’entendent pas. Le feu de leur amour les brûle et ils s’apportent l’un à l’autre la damnation. « Je ferai sortir de toi un feu qui te consumera. » Dans le mariage, il y a deux êtres qui consentent l’un à l’autre ; dans l’adultère, il ya deux êtres qui sont condamnés l’un à l’autre. Les deux amants se constatent irréductibles et se séparent. Mais l’amour les consumera toujours. Ysé est partagée entre la haine et l’ignorance qui lui prêche la raison, amis se laissera mourir pour l’amour que lui dicte son âme.

Ysé est une femme sensuelle et insaisissable. « Je pense que c’est une effrontée coquette », dit Mésa au début de la pièce. Almaric lui répond : « Vous n’y entendez rien ? C’est une femme superbe. » Il semble bien qu’ils ont raison tous les deux. Mesa est brisé lorsqu’il va céder à Ysé : « Pourquoi venez vous me déranger ? » Et elle lui répond : « C’est pour cela que les femmes sont faites. »

 

  

Mesa :

Tu es radieuse et splendide ! Tu es belle comme le jeune Apollon !

Tu es droite comme une colonne ! Tu es claire comme le soleil levant !

Et où as-tu arraché, sinon aux filières même du soleil, d’un tour de ton cou ce grand lambeau jaune de tes cheveux qui ont la matière d’un talent d’or ? Tu es fraiche comme une rose sous la rosée ! Et tu es comme l’arbre Cassie et comme une fleur sentante ! Et tu es comme un faisan, et comme l’aurore, et comme la mer verte au matin pareille à un grand acacia en fleurs et comme un paon dans le paradis.

Ysé :

Certes, il convient que je sois belle

Pour ce présent que je t’apporte.

 

 

20/05/2011

Chaque jour te voir

 

Chaque jour te voir

Voir ce visage transparent

Aux yeux ouverts sur le monde

Voir ces lèvres qui me parlent

Et me disent leur amour

 

Te voir entière et séparée

Et voir chaque chose par toi

Comme le reflet de ta lumière

 

Tu as des bras de cygne

Qui sont les pôles de l’horizon

 Où je m’épanouis sans cesse

 

Tu es l’horloge de l’éternité

Le ressort brisé des jours

La vague chaude des nuits

L’ombre de mes rêves

Le retour de ma jeunesse

 

Chaque jour te voir

Et redevenir l’aveugle

Que tu conduis à ta lumière

 Pour son émerveillement

 

 

18/05/2011

Au fil des boutiques : La Maison Fabre

 

Les jardins du Palais Royal sont entourés de boutiques diverses, certaines vieillottes, d’autres trop modernes pour le décor, d’autres encore en perpétuel changement de propriétaires, enfin quelques unes insolites, comme la Maison Fabre, au 128, boutique de gants, extraordinaires de profusion et d’ingéniosité dans la présentation de leurs appareils à cinq doigts que l’on enfile gracieusement pour être élégant lors d’une occasion chic, pour avoir chaud dans ses extrémités, pour pratiquer des travaux réputés sales (mais ce n’est pas le genre de la boutique !), enfin pour se faire plaisir en toute occasion un soir de déprime quand l’alcool ne suffit pas.

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Il y a des gants dont la raideur du support fait penser aux épouvantails que l’on croise parfois, de moins en moins, dans les champs pour éloigner les oiseaux. Mais là, il s’agit d’attirer le client en faisant contraster le support rigide et neutre de son gris uniforme avec le velouté, la brillance d’un cuir de première qualité. Vous remarquez bien sûr qu’il manque le pouce dont la dissymétrie par rapport aux autres doigts choquerait ici le regard, c’est pourquoi ces gants semblent si élégants dans leur amputation discrète, mais réelle. Mains rouges pour les mariages, assorties avec un chapeau que l’on tient du bout des doigts ne serait ce que pour faire remarquer l’harmonie qu’il possède avec ces gants magnifiques,  mains jaunes pour le sport (carton jaune, évidemment), mains bleus pour les conversations affables en ville entre dames ou avec des messieurs, dans un lieu appelé bistrot qui fait plutôt penser aux salons de ces hôtels du style de « L’année dernière à Marienbad », enfin mains brunes des promenades dans les bois un après-midi de campagne lorsque le chien tire la laisse et vous oblige à marcher-courir sans relâche.

 

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D’autres gants sont alignés comme à la parade, formant des compagnies entières, massives, en arrière-fond des présentations plus originales mises en valeur par la sobriété de la quantité comme de la qualité. Ils sont couchés tels des alignements de dominos que l’on fait s’écrouler d’une pichenette pour les voir tomber les uns sur les autres avec la régularité d’un stand de tir. Mais ils sont plus divertissants que ces pièces de bois uniformes, surmontées d’ivoire maintenant faux et marquées de points de un à six, et ils donnent une impression de profusion colorée dans laquelle on a envie de mettre le nez pour sentir l’odeur subtile d’un cuir parfaitement tanné. Après un tel rite, il est évident que la deuxième envie est de les enfiler tous. Dommage que nous ne soyons pas Vishnou, incarnation de la création, car il est certain que le plaisir ne manquerait pas de créer des harmonies de couleurs au bout des bras qui, dansant discrètement, donneraient un spectacle enchanteur, comme des feux de Bengale tourbillonnant dans l’espace.

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Mais l’on trouve également des sortes de petits manchons destinés à recouvrir la main en laissant les doigts libres de jouer avec les plis d’une robe solennelle, blanche ou noire naturellement. Ornées de petits boutons sur les côtés, ils pourraient aussi servir d’ornements des chevilles, utilisés par les sportives qui s’adonnent à la gymnastique en salle, pour empêcher vraisemblablement la transpiration de pénétrer dans les chaussures unicolores qu’il ne faut pas abîmer en raison de leur prix.

 

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Certains sont réservés à des instants spécifiques où le rôle tenu doit être en accord avec l’importance de l’apparence, tels, par exemple, le mariage de William and Kate auquel vous auriez été invitée, empanachée et gantée de gris foncé, orné de fleurs aux pistils blancs, pour vous glisser subrepticement, dans la cathédrale et mettre en évidence cette parure des mains avec ostentation. La peau de serpent ne serait sans doute pas très bien vue dans une telle assemblée dans laquelle l’écologie est un art de vivre avec cependant quelques sélections des objets sur lesquels porte le graal de cette nouvelle religion.

 

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Ballets de « gantitude » ou ronde élégante de mains autonomes comme des prêtresses caressant leur dieu avec légèreté et admiration dans un silence respectueux et les sourires convenus de telles cérémonies. La déesse s’abandonne avec humilité à cette adoration, acceptant du bout des doigts de se laisser caresser tout en protégeant une main fine de dentelles tricotées pour lui assurer la sécurité contre toute violation de son intimité.

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Enfin la suprême élégance, plutôt masculine, mais que l’on verrait bien sur les mains de femme, ce gant simple, en veau d’un blond semblable aux cheveux d’une Ophélie nordique, au mi-doigts coupés à angle droit que compense la rondeur de l’arrière main faite pour montrer la peau tendre d’un poignet de femme ou la vigueur d’une poigne d’homme. Abandonné, comme flottant dans l’espace, les doigts élastiques, le poignet détendu, cette main attend une autre main, tout aussi délicate, peut-être une de celles du « ballet de gantitude », pour s’unir avec lenteur et respect pour la vie.

 

 

 

 

16/05/2011

Illumination

 

Illumination. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Tout revit, tout redevient : consistance, perplexité, immesurable. Je viens de percer un mur et m’enfonce lentement, émerveillé, dans un monde indéfinissable, comme si ma chambre était partie à la dérive au-delà de la ville, au-delà de la terre, vers un univers d’apesanteur et de compréhension. Comme une momie, ressuscitée par son transport vers une atmosphère régénératrice, je me débarrasse de mes bandelettes où s’accrochent quelques lambeaux de chair desséchée. Tout s’allège et perd peu à peu de cette consistance qui fait la réalité. Je regarde les objets de ma vie quotidienne, ils me paraissent si lointains. Encore quelques bandelettes à dérouler et il ne restera plus rien, qu’une chambre nue, vide d’objets, vide de ma présence, mais que je verrai encore comme si j’étais attaché, alors que déjà j’aurai amorcé le voyage incohérent au-delà de l’atmosphère oppressante qui nous entoure.

Peu à peu, au cours de la journée, subtilement, s’est établie une intense lucidité mêlée d’un détachement des sens, jusqu’à cet instant, jusqu’à tout à l’heure, où j’étouffais, où je criais d’angoisse et de joie. Effet de l’imagination ou possibilité d’une autre réalité, insoupçonnée, découverte par hasard, indéfinissable, que je ne peux définir, mais qui m’étreint et me transporte dans la joie de l’absolu et l’angoisse du néant. Une autre voix me parlait… Qui es-tu ? … Je ne sais pas… Que fais-tu ? Je ne sais pas… Que deviens-tu ? Rien encore, peut-être, un jour… Le jour est là, il se lève, regarde-le au dessus des toits luisants, regarde le soleil ouaté monter dans le brouillard vert de la nuit… Je ne vois rien… Mais si, regarde bien, ouvre les yeux, éveille-toi…

Et je m’éveille. Je vois la ville mauve prenant parfois des teintes d’un rouge insoutenable, alors qu’ailleurs certaines maisons s’estompent dans un gris diffus. Je vois ce soleil, presqu’invisible, mais perceptible cependant, qui s’élève lentement dans la nuit verte, la parant d’une lueur translucide… Aimer, me dit-on dans l’oreille, voilà ce que tu dois aimer. Regarde, regarde bien ces gens qui courent nus, habillés de bijoux et d’étoffes luxueuses, dans le jardin qui borde la ville où vient se baigner le fleuve. Regarde-les parler, faire des gestes, se voir dans les glaces, rire brutalement et pleurer en cachette derrière un arbre au feuillage bleui par la nuit. Il faut les aimer, car ils sont malheureux, comme tu l’étais toi-même, comme tu le seras à nouveau sans pouvoir rien faire d’autre que jouer dans le jardin baigné par le fleuve, jouer avec les bijoux suspendus au cou des femmes et avec les cerceaux des enfants qui effleurent les adultes. Tu devines cent histoires qu’ils racontent, mille vies qu’ils égrainent, ces destins par centaine de milliers qui s’entassent dans le jardin et tournent sur leur orbite, se projetant de plus en plus dans ce mouvement infini semblable à la course folle de notre planète dans le vide de l’espace. Tu t’éveilles lentement de ce cauchemar du jardin, tu franchis les portes bétonnées et menues, et tu t’enfonces dans la glaise glissante jusqu’à la plage de sable fin, où chaque grain contient une histoire que tu pourras voir de tes yeux ouverts en le tenant au creux de ta main.

Je me souviens d’Almostasim[1], de cette progression ascendante vers Almostasim, l’homme qui possède la clarté et la transparence, que personne n’a pu voir, que personne ne verra, parce que personne ne veut s’en donner la peine ou ne peut parvenir au bout du voyage, ou encore, meurt à l’instant de le voir. Je me souviens aussi de la bibliothèque de Babel[2], cette bibliothèque qui est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque et dont la circonférence est inaccessible, dans laquelle il y a des centaines de millions de livres dont un seul d’entre eux contient le volume qui rassemble tous les volumes, le volume qui seul signifie quelque chose dans le fatras de lettres, de points, de virgules, de marges, d’espaces vides des autres livres. Des centaines de bibliothécaires passent leur vie à chercher le livre, mais aucun jusqu’à présent ne l’a peut-être trouvé.

Est-ce possible, est-ce seulement possible une telle difficulté d’être, une telle impossibilité de respiration dans l’atmosphère où baignent ces objets ? Vouloir être, plus je creuse cette volonté, plus l’espace s’ouvre, comme par un phénomène de perspective, vers de nouveaux horizons, de plus en plus coupés, tortueux, délabrés, où chaque sommet fait apparaître d’autres montagnes encore plus belles, plus légères, plus aériennes, recouvertes de fleurs transparentes, de personnes sans corps ou de corps imperceptibles, froids, translucides, impalpables. Et plus j’avance, plus les corps perdent de leur consistance jusqu’à ne plus être que des émanations gazeuses du sol, comme forgés dans de petites boursouflures qui crèvent de temps à autre.

Poursuis ta route, sans autre préoccupation, sans regarder en arrière, jusqu’à ce qu’elle prenne fin !



[1]Voir Histoire de l’éternité, de Jorge Luis Borges.

[2]Voir Fictions, de Jorge Luis Borges

 

 

 

13/05/2011

Détruire, dit-elle

 

"Détruire, dit-elle" est un roman de Marguerite Duras paru en marsMarguerite-Duras_photos_du_film.jpg 1969 aux éditions de Minuit.

C'est aussi un film qu’elle a réalisé, avec Catherine Sellers et Michael Lonsdale.

 

Le décor : un périmètre dans la forêt où les gens viennent s’isoler, vivre eux-mêmes, s’apprendre à vivre eux-mêmes dans le repos. Ici les livres, qu’ils soient à lui, Max Thor, ou à elle, Elisabeth Alione, ne servent à rien, ils font partis du décor. Rien ne se passe dans cet hôtel, tout commence et rien ne s’achève, car aujourd’hui n’a plus de rapport avec hier. Le temps ne coule plus ou coule sans souvenirs, sans souvenirs d’impressions durables, sauf, peut-être, le souvenir de ce qui est et non pas de ce qui arrive.

C’est dans ce monde, où rien ne compte qu’être, que fonctionne la destruction comme cette musique des dernières pages, cette fugue de Bach qui s’arrête, reprend, s’arrête à nouveau, repart, jusqu’à ce qu’elle fracasse les arbres, foudroie les murs. Elle arrive en trois temps, trois actes du livre. Dans un premier temps, il n’y a rien, rien ne se passe, on regarde et Marguerite Duras pose le décor et ses personnages. Dans un deuxième temps, arrive Alissa qui est la destruction à l’œuvre et cette destruction place ses racines et les enfonce dans le décor subrepticement, imperceptiblement. Enfin, dans un troisième temps, les deux forces opposées, l’avenir avec le groupe d’Alissa, Stein et Max Thor et le passé avec Bernard et Elisabeth, s’affrontent et se déchirent, enracinant la destruction chez Elisabeth Alione sans qu’elle-même le perçoive, sans toutefois aller jusqu’au bout de l’acte, jusqu’à ce qu’il y a au bout de la destruction, c’est-à-dire la folie. La folie, c’est Alissa, l’inacceptation de tout état de fait, la destruction de tout le passé, donc de toutes les habitudes.

 

Les personnages maintenant : que sont-ils ? Il y a en fait deux forces en action, deux clans qui s’opposent. Ceux qui sont tournés vers l’avenir, qui savent ce que les autres ne savent pas, et ceux qui sont soumis au passé, qui ne savent rien, qui ne savent même pas qu’il y a à savoir, qui vivent de leur habitudes.

Stein sait. Il sait au-delà de la folie, vers ce vide qui est au-delà. C’est un sage, une sorte de moine, pourrait-on dire. Il se refuse à tout ce qui semble constituer la vie de chacun, le mariage, un métier, des projets. Il ne cherche rien, rien de ce que cherchent les autres. Il peut se permettre de faire des choses que les autres ne feraient pas, qu’ils appelleraient indiscrètes. Les autres ne l’intéressent pas vraiment, il les regarde comme on observe un troupeau. Lui-même ne l’intéresse pas. Il se contemple comme il examine les autres, sans retenue aucune (quelquefois j’entends ma voix, dit-il).

Alissa n’est pas encore allée au-delà de la folie, de cette folie apparente engendrée par la destruction. Elle est la destruction (détruire, dit-elle) et c’est en fait elle qui déclenche le drame, car rien ne serait survenu sans elle. Alissa sait, dit Max Thor. Mais que sait-elle ? se demande-t-il. Sans doute ne le sait-elle pas elle-même, n’est-elle pas capable de le formuler. Seul Stein pourrait le faire, mais Stein ne répond pas. Alissa comprend Stein d’instinct, intuitivement, elle le sent fémininement et Stein la comprend. C’est pourquoi l’amour naît aussitôt entre eux, ontologiquement, pourrait-on dire.

Max Thor n’est pas encore du même camp. Il cherche, il s’interroge, il observe à la manière dont regarde Elisabeth Alione. Quelque chose le fascine et le bouleverse dont il n’arrive pas à connaître la nature », aussi bien chez Elisabeth que chez Alissa. Il ne connaît pas Alissa, sa femme. Il la cherche, car il sait que c’est en elle qui doit être la réponse ; et ce problème, le seul qui le touche vraiment, s’effacera de lui-même, sans qu’il ait besoin d’en avoir la réponse, au cours du troisième temps du livre, au cours de l’affrontement. Alors il saura ce qu’est Alissa et Stein. Elisabeth Alione aussi le fascine. Il l’aime d’un amour différent de celui qu’il éprouve pour Alissa (amour inquiet et interrogateur, tourné vers l’avenir), d’un amour tourné vers ce passé qu’il ne peut encore quitter tout à fait, ne sachant pas l’avenir.

Enfin, il y a Elisabeth Alione, qui en fait n’existe pas en elle-même, c’est-à-dire en tant qu’être propre, individuel et personnel. Elle ne croit pas en elle-même. Elle croit à ce que les autres disent d’elle. « Elle est à celui qui la veut, elle éprouve ce que l’autre éprouve ». Elisabeth Alione, c’est le passé. Tout n’existe pour elle que par le passé et l’avenir lui fait peur, car aucun passé ne s’y rattache. Aussi a-t-elle peur des trois autres et surtout d’Alissa. Elle ne les comprend pas, parce qu’elle ne sait rien d’eux alors qu’eux savent tout d’elle. Une fois dans sa vie, Elisabeth Alione aurait pu être en tant que personne véritable, mais elle a eu peur de cette lettre du médecin qu’elle a montré à son mari parce que là encore elle avait peur d’un avenir différent du passé, inconnu. Puis elle a regretté son geste, parce que quelque chose en elle disait oui à la lettre. Sa maladie véritable venait en fait de cette contradiction entre ce qu’elle croyait être et e qu’elle était réellement, intérieurement. La destruction de l’ancienne Elisabeth commence le jour où elle rencontre Alissa, puis Stein. Elle découvre par l’intermédiaire d’Alissa la véritable cause de sa maladie. Elle ne peut plus redevenir ce qu’elle était auparavant, bien qu’elle ne s’en rende pas compte, et au delà de la peur qu’elle a d’abord éprouvé, elle découvre le dégoût (Ces nausées… Ce n’est qu’un début, dit Max Thor. Bien… Bien, dit Stein). « Il y a eu un commencement de… comme un frisson… non… un craquement de… du corps », dit Stein. « Ce sera terrible, ce sera épouvantable, et déjà elle le sait un peu ».

La destruction a fonctionné comme cette musique, cette fugue de Bach, qui s’arrête, reprend, s’arrête de nouveau, repart jusqu’à ce qu’elle passe la forêt, fracasse les arbres, foudroie les murs.

 



« Détruire dit-elle est le plus étrange des livres de Marguerite Duras. Il ressemble à une cérémonie dont nous ignorerions le rituel et suivrions néanmoins, fascinés, le déroulement. Comme l’indique le titre, c’est peut-être l’idée de destruction qui s’impose le plus directement à nous, et encore à condition que détruire ne signifie rien de brutal, de violent, d’explosif, mais soit plutôt synonyme de miner, saper, corroder... Il y a, bien entendu, dans l’œuvre de Marguerite Duras, nombre d’éléments qui portent en germe Détruire dit-elle. Mais l’essentiel serait plutôt dans un glissement, un décalage dans les mots ou dans l’image qui étaient parfois sensibles dans Moderato cantabile ou dans Le Ravissement de Lol V. Stein et qui, ici, nous entraînent dans un univers de folie, ou plutôt d’insidieux dérèglement mental : chaque mot, chaque geste pris séparément ont l’apparence de la logique, mais c’est l’enchaînement qui donne l’impression que l’esprit chavire. »
Anne Villelaur (Les Lettres françaises)

 

 

12/05/2011

Je te ressens, au plus profond de moi

 

Je te ressens, au plus profond de moi,

Comme un vol de libellules

Ou la vague tiède de mers lointaines

Et je vais dans la vie

Comme un miroir sans tain

Regarder passer les idées fixes

Ou les étoiles de mer

---

Merci à toi qui m’a donné

Et la joie et l’amour et la peine

Car en cette terre et sur ce jardin

Rien ne se cueille mollement

Je vais loin et longuement

Me recueillir en extase

Devant les fous et les bergers

Pour ensuite, pris de remord,

Conduire le troupeau au zénith

---

Reviens, me dit-on,

Mais où revenir :

Dans notre folie quotidienne ?

Devant les marches du perron ?

Dans ses pensées obscures ?

Dans les siècles qui viennent

Ou dans ceux écoulés et perdus ?

---

Plus rien ne sera comme avant

Lorsque tu te déchaussais

Au devant de l’armoire

Et que ton cou luisait d’attente

Lorsque tu criais toi

Et que tu pensais moi

Lorsque ta chaleur amoureuse

Revêtait de rosée tes pieds épars

Lorsque toute entière

Tu plongeais dans l’eau trouble

Des soirs et des matins sauvages

Et pendant le jour courrait

Partout et toujours

A la recherche d’un hypothétique plaisir

Que tu trouvais tapi au lit

De notre amour insensé

---

Oui, la vie m’a donné ta vie

J’en ai fait ce que tu voulais

Et, ensemble, nous marchons

En pleine liberté et délire

Vers les cieux dégagés

Et les prairies infinies

Nous tenant par la main

Sans perdre un seul jour

De ce qui fut le chant

D’un pauvre innocent

Et d’une tendre adolescente

Qui parcoururent les rues encombrées

D’une ville immense et délirante

En recherche d’un double

Unique et semblable

Que construit sans le savoir

Notre rencontre d’une nuit

---

Et, comme rien n’a une fin

Même pas les histoires

Qui restent dans les têtes

Et fondent lentement

Dans les pensées du jour

Je te renouvelle ma joie

Mon amour et le bonheur

Que j’ai trouvé en toi

Que j’ai exploré de mes lèvres

Que j’ai touché en doigts

Agiles et que j’ai regardé

Emerveillé, éperdu de conscience

Comme un souffle d’infini

Dans un monde arrêté

Sur ta beauté et ta tendresse

Sur tes lèvres entrouvertes

Et le don de ton amour

---

Je te ressens, au plus profond de moi,

Comme le papillon qui d’un battement d’ailes

Bouleverse le monde ignorant

A des milliers de kilomètres

 

 

 

30/04/2011

La terre chaude, accueillante

 

La terre chaude, accueillante et maternelle
Refuge de nos regards étonnés d’indécision
Accomplissant lentement son cycle quotidien
Et nous-mêmes, sensibles imperceptiblement
Inscrivant nos caresses au livre de notre histoire
Jusqu’au temps où sur chacune de ses pages
Devenues à la fois semblables et différentes
Se lise la volonté d’aimer

L’air aussi, incandescent, sans pudeur
Élément de rencontre de nos diversités
Plus étroitement proche de nos visages
Sous le feu du soleil diffusant notre amour
A tout ce qui existe et respire
Nous unissant dans la distance de notre séparation
Jusqu’à recueillir sur nos lèvres
Le même désir de durer

 

25/04/2011

Pourquoi te dire tout ce que je ressens

 

Pourquoi te dire tout ce que je ressens

Confusion des sentiments et des désirs

Pourquoi divulguer le plus profond de moi-même

Alors que seul compte notre entente ?

Je ne sais, je ne sais plus

Ce qui compte pour toi, ce qui est vécu pour moi

Je suis celui qui n’est pas

Je ne suis pas celui qui te suit

Je suis le double d’une ombre

Comme un désert sans façade

Comme un fantôme exacerbé

Et rien ne me rend grâce

Des citadelles de rêve

Des châteaux en Espagne

Des cataractes de la vie

Oui, rien…de rien

 

Pourquoi te dire tout cela

Toi qui un jour m’a tout donné

Toi qui es l’ombre de moi-même

Toi qui restes la vie, la joie et le quotidien

Je t’entends encore me dire

Je serai toi, tu seras moi

Ensemble nous construirons

La vie à deux pour n’en faire qu’une

De nos doigts enlacés

Nous construirons notre maison

Perchée sur la colline

Au sommet inaccessible

Et de nos corps nous ferons un rempart

A la malédiction des évènements

Et à l’écoulement du temps

Rien ne nous fera sortir de notre rêve

Ni la distance, ni la durée

Ni même l’absence de l’un de nous

 

Nous serons un

Par le pouvoir d’être deux

Nous serons deux

Parce que nous sommes un

 

19/04/2011

Dans le désert vert de la terre

 

Dans le désert vert de la terre

Se dresse une silhouette macabre,

Croix aux os décharnés,

D’une  ligne à haute tension.

Ses bras étendus

Laissent sur le sol

L’ombre de ses doigts

Qui tiennent, ô fragile poids,

Les rênes de la civilisation.

 

poème, poésie, littérature

 

 

18/04/2011

Noire et blanche

 

Noire et blanche, peut-être verte,

Une main caresse le ciel

Et les étoiles et Mars et Pluton,

Soleil aux cinq rayons

Qui réchauffe la neige de longs bras

Courbés sur l’espérance de la vie.

 

Elle perd parfois ses doigts un à un

Au fil des paroles

Qu’elle lance solitaire aux nuages

Qui s’enfuient à ses provocations.

 

Seuls, quatre petits monts

Témoignent du bon plaisir de la nature

Et se penchent vers le lac de leurs reflets.

 

Une main, toute une vie

Racontée sur une ombre.

 

 

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