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22/04/2013

Où sont parties les larmes qui mouillaient ton corps ?

Où sont parties les larmes qui mouillaient ton corps ?
Je me suis mise au soleil pour oublier mon sort.

D’où vient que tes yeux brillent ainsi sans pleurs ?
Je ris de voir que j’avais en moi tant de rancœur.

Pourquoi n’entends-je plus ton pied léger caresser le gravier ?
J’ai donc perdu toute envie de voir la lune se lever.

Pourquoi cours-tu tout le jour après les éphémères ?
Pour qu’un jour enfin tu puisses te taire !

19/04/2013

La valse aux adieux, de Milan Kundera

Les cinq derniers jours de la vie d’une femme : Ruzena, belle, désirable et désirée. A tel point qu’elle passe une nuit avec un trompettiste de renom, Klima, venu donner un concert dans la ville d’eau où elle est employée aux bains. Elleroman,littérature est enceinte, sans exactement savoir de qui, du trompettiste ou de son amant Frantisek. Frantisek est plus jeune que Ruzena, il est donc, malheureusement pour lui, très jeune. Quand il sera plus mûr il découvrira la fugacité des choses et il saura que, derrière l’horizon d’une femme, s’ouvre encore l’horizon d’autres femmes. Seulement Frantisek ignore ce que c’est que le temps. Il vit depuis l’enfance dans un monde qui dure et qui ne change pas, il vit dans une sorte d’éternité immobile, il a toujours le même père et la même mère aussi, et Ruzena, qui a fait de lui un homme, est au-dessus de lui comme le couvercle du firmament, du seul firmament possible.

Klima est marié avec une très belle femme, Kalima. Mais sa jalousie lui gâche la vie. Elle mit trop de sel. Elle faisait toujours la cuisine avec plaisir et fort bien et Klima savait que si ,ce soir-là, le repas n’était pas réussi, c’était uniquement parce qu’elle se tourmentait. Il la voyait en pensée verser dans les aliments, d’un geste douloureux, violent, une dose excessive de sel, et son cœur se serrait. Il lui semblait, dans les bouchées trop salées, reconnaître la saveur des larmes de Kalima, et c’était sa propre culpabilité qu’il avalait.

Comme dans tous les romans de Kundera, d’autres personnages se mêlent à l’intrigue principale. Olga d’abord, une collègue de travail de Ruzena. Olga était une de ces femmes modernes qui se dédoublent volontiers en une personne qui vit et une personne qui observe. Jakub, père adoptif d’Olga parce que son ami, le père d’Olga, avait été condamné ses pairs dont lui-même. Je vais te dire la plus triste découverte de ma vie : les persécutés ne valent pas mieux que les persécuteurs. Je peux fort bien imaginer les rôles inversés. Toi, tu peux voir dans ce raisonnement le désir d’effacer sa  Uoiresponsabilité et de la faire endosser au créateur qui a fait l’homme tel qu’il est. Et c’est peut-être bien que tu voies les choses comme ça. Parce que, parvenir à la conclusion qu’il n’y a pas de différence entre le coupable et la victime, c’est laisser toute espérance. Et c’est ça qu’on appelle l’enfer, ma petite. Enfin, il y a Bertlef, l’américain, amoureux de Ruzena, riche, piquant des colères plus ou moins légitimes : je voudrais en trinquant marier le passé et le présent et le soleil de 1922 au soleil de cet instant. Elle est, sur la toile de fond de cette ville d’eaux, comme un diamant sur l’habit du mendiant. Elle et comme un croissant de lune oublié sur le ciel pâli du jour. Elle est comme un papillon qui voltige sur la neige. Le caméraman rit d’un rire forcé : « Vous l’exagérez pas, directeur ? » « Non, je n’exagère pas. Vous en avez l’impression parce que vous n’habitez que le sous-sol de l’être, vous, vinaigre anthropomorphisé ! Vous débordez d’acides qui bouillonnent en vous comme dans la marmite d’un alchimiste !. Vous donneriez votre vie pour découvrir autour de vous la laideur  que vous portez à l’intérieur de vous-même.

Quelques autres personnages : le docteur Skreta, les épouses des deux derniers. Mais le décor est planté, le drame peut survenir, imprévisible dans ses causes et ses conséquences, jusqu’à la mort.

 

Une fois encore, ce qui intéresse Kundera, ce sont les femmes, leur personnalité, leur originalité. Les hommes ne sont là que pour les dévoiler. Ainsi de Klima et Lalima : Elle était allongée sur le dos, la tête enfoncée dans l’oreiller, le menton légèrement levé et les yeux fixés au plafond et, dans cette extrême tension de son corps (elle le faisait toujours songer à la corde d’un instrument de musique, il lui disait qu’elle avait l’âme d’une corde), il vit soudain, en un seul instant, toute son essence. Oui, il lui arrivait parfois (c’étaient des moments miraculeux) de saisir soudain, dans un seul de ses gestes ou de ses mouvements, toute l’histoire de son corps et de son âme. Ou encore, d’Olga et de Jakub : Et elle fut soudain nue devant lui et il se disait que son visage était noble et doux. Mais c’était une piètre consolation quand il voyait le visage d’un seul tenant avec le corps qui ressemblait à une longue et mince tige à l’extrémité de laquelle était plantée, démesurément grosse,  une fleur chevelue.

Cependant, on se lasse de cette histoire de ville d’eaux, d’amantes et de jalousie, et même du devenir de Ruzena qui n’est qu’un pion balloté par les opinions des autres. La langue est belle, les analyses des personnalités intéressantes, le style de Kundera toujours aussi mordant, mais l’intrigue est au fond mortellement ennuyeuse.

18/04/2013

Suis-je bien là où je suis ?

Suis-je bien là où je suis ?
Vivre dans deux lieux sans savoir
Activités ou méditation, que choisir
La solitude ou la gare de voyageurs
L’évaporation ou la noyade humaine ?
C’est la corde raide de l’inconnu
Le voyage sans fin de l’Entre deux
(et pourquoi pas Antre ?)
Un lieu qui n’en est pas un
Une aspiration immatérielle
Qui vous vide le cerveau

Agité, je cours à l’action
Empli de bon sens et d’escampette
Je mouille ma chemise
Pour la tordre dans le no man’s land
J’arrive dénué de désirs
Dans le jardin des folies conceptuelles
Et plonge à grandes brasses
Dans l’orgie des idées sans fin
Elles gonflent, ces pensées malhabiles
Elles se trouent de bulles odorantes
Elles envahissent l’espace vierge
Et le peuplent de chaleur nocive
Le rêve devient réalité

Alors surgit la pâle résurgence
De la fébrilité de l’autre monde
Des rendez-vous diserts
Des réunions fantomatiques
De colloques envoûtants et creux
Fièvre ou apathie, je ne sais

Oui, suis-je bien là où je suis ?
D’ailleurs, où suis-je
Et que suis-je moi-même ?

14/04/2013

Le bonheur

Un ver de terre sort du sol
S’est-il rompu le cou pour la vacuité
Ou découvre-t-il l’absence de souci ?

Il chemine sur la surface
A la frontière de l’inconnu
Quelle ivresse et quelle arrogance !
Comment ce misérable vermisseau
Peut-il tout seul goûter le bonheur ?

Et contrairement à l’idée que l’on s’en fait
Ce n’est pas la satiété qui le réjouit
Mais le vide indolore de l’air
Plus d’exercices et d’efforts

Je vais et viens comme je l’entends
Exerçant mon autocritique pleinement
Et cela me procure un allégement
Qui me donne un frisson élégant

Le bonheur, n’est-ce pas cette goutte d’ivresse
Au creux des courbes du corps
Ce chatouillement inédit qui prend le rein
Cette absence de raison raisonnable
Qui ouvre les portes du paradis

Alors je déploie mes ailes
Et part loin de tous
Vers des horizons ignorés
Là où rien ne limite
Cette aspiration  à être

13/04/2013

Judith Albarès, roman de Simone Jacquemard

Etrange figure de femme apparemment que cette Judith qui, dans sa ma13-04-13 Judith Alabarès.jpgison d’Arvelinghen, dans les dunes au bord de la mer, garde comme une proie le jeune Nicolas Servain à peine sorti de l’adolescence et qu’elle a arraché par la ruse à sa jeune amie. Judith a plus de quarante ans. Qu’a été sa vie pour la rendre ainsi « amoureuse de l’amour dans le trouble de ses commencements » ? Et où la conduira cette quête forcenée ?

Pas à pas, à travers la mémoire de Judith, nous parcourons le chemin qu’elle a suivi depuis ce jour où, adolescente elle-même, elle a fait sur la place la rencontre d’un garçon de son âge, ce Romain Brienne, qui l’a révélée à elle-même et dont le souvenir, aussi profondément enfoui qu’il soit, ne cessera de la brûler. Philippe Estavayé, Claude Gombert, Ugo Scharfenberg et tant de jeunes inconnus poursuivis à grand risque, à travers le scandale toujours prêt à éclore et la honte pressentie et l’émerveillement renouvelé, autant d’étapes vers l’abîme où lucidement elle va se jeter.

 

« Simonne Jacquemart est née à Paris en 1924. Elle a passé son enfance dans la baie de Somme. Elle suit des études de grec à la Sorbonne, études qu’elle reprendra au fil des années. Très tôt elle se passionne pour les arts : le piano, dès l’âge de 5 ans, la guitare classique, la danse indienne, le flamenco. Elle donnera des spectacles à Paris, Bordeaux, Sens, Chinon et à Cordes (Tarn) pour les fêtes médiévales de 1982 à 2000.

Elle s’intéresse également au tissage, dont elle a une longue pratique, et à l’ornithologie au quotidien. Elle élève des chevaux arabes et anglo-arabes depuis 1968, ainsi que des chèvres alpines chamoisées. Pendant dix ans, elle vit en intimité avec vingt-cinq renards, souvent nés à la maison, pour l’étude scientifique et l’apprivoisement. Elle cultive la marche à pied en solitaire, sac au dos, à travers toute la France.

En marge de toutes ces activités, elle a publié depuis 1945 une cinquantaine d’ouvrages : romans, nouvelles, récits, essais, poésie, traductions. Elle a obtenu différents prix littéraires dont le prix Renaudot, en 1962.

Elle vit, depuis près de vingt ans, dans le Périgord, avec l'écrivain, peintre et naturaliste Jacques Brosse, décédé le 3 janvier 2008. »

(source : http://www.arfuyen.fr/html/ficheauteur.asp?id_aut=1197)

 

12/04/2013

La petite chartreuse, roman de Pierre Péju

Deux destins marchent l’un vers l’autre. Une petite fille perdue qui attend sa maman et un libraire, Etienne Vollard, ours mal léché, qui conduit sa camionnette : six cents kilos de ferraille, deux cent kilos de livres, cent dix kilos de Vollard, bref une tonne de choses mécaniques, humaines et littéraires. (…)13-04-12 La petite Chartreuse.jpg Vollard voit successivement  le petit anorak rouge, la pâleur, la terreur soudaine dans deux yeux immenses, démesurés, deux yeux incrédules plongeant dans les siens. Longtemps il restera persuadé d’avoir nettement distingué ce visage à travers le pare-brise, un visage d’enfant qui n’était séparé de sa vieille tête à lui que par l’écran transparent contre lequel il se brisait.

Il n’est pas responsable. L’enfant s’est jeté sous ses roues. Mais il ne peut s’empêcher de penser à sa victime.

Alors il va la voir à l’hôpital, un corps environné de tuyaux, avec une mère, Thérèse, qui fuit sa fille, inefficace. Il va la prendre en charge, cette Eva qui est dans le coma. Il lui parle dans le creux de l’oreille. Il lui raconte ses histoires de livres. Il lui récite des livres entiers. Il abandonne sa librairie à son assistante et passe des jours entiers près d’elle.

Bientôt Eva put quitter l’hôpital. Habillée de neuf, elle ressemblait à n’importe quelle petite fille, yeux noirs, duvet noir. (…) Elle ne disait rien, absolument rien, mais elle ne paraissait pas en éprouver le besoin.

Thérèse fuit, une fois de plus, et signe les papiers autorisant Vollard à s’occuper de sa fille qui se trouve maintenant dans une maison de santé de la Chartreuse. Celui-ci y va et fuit lui aussi. Il n’a pas le courage d’affronter cette chose pétrifiée. Il reviendra pourtant. Ils partent dans la campagne de la Chartreuse, dans ses bois, ses massifs, ses rivières. Et il  raconte ses livres. Pour Vollard, Eva devenait la petite chartreuse. Silencieuse sans en avoir fait le vœu. La très pâle moniale. L’enfant cloîtrée. L’enfant privée de voix et de joie, privée d’enfance. Mais au fil de ces errances dans la Chartreuse, bizarrement, ce n’était pas le poids écrasant et absurde de l’accident que Vollard ressentait en compagnie de la petite fille, mais un inexplicable allégement, un soulagement, un apaisement dû à ce rituel de marche lente, de silence, de contemplation de choses infimes. Comment un si petit être, émettant si peu de signes, pouvait-il lui donner cette impression de discret équilibre, de nécessité fragile, mais heureuse ?

Un beau livre, discret, réfléchi, qui parle de cet amour entre le libraire et sa victime et qui conduit malgré tout à une fin terrible des personnages, comme si inéluctablement leur destin se poursuivait jusqu’à l’anéantissement.

10/04/2013

Rêverie

Le dimanche se perd dans l’aquarium
Dont la solitude verte
Fait aux fenêtres dorées
Une rosée de pleurs

L’avenue bordée de pieds ronds
S’enfonce, infinie et chaude,
Vers la porte qui ne mène nulle part
Large tapis qui s’allonge, rigide

Les êtres s’étirent doucement
Vers trois coins opposés
Puis se laisse bercer
Par les vagues de leur lit

Parfois le soleil étale ses rayons
Jusque dans l’aquarium
Et cherche à détruire
Les ombres et la quiétude de l’air

Zébrée d’auréoles blondes
La cire ronronne et languit
Et des visages sans voix
Fuient leur cruelle engeance

L’aquarium émet des sons étranges
Rires alourdis de mains ouvertes
Où chaque doigt cache
Un souffle de fumée

Les lits ouvrent leurs bat-flancs
À des jambes solitaires
Qui glissent dans leur ombre
Vers de longs tabourets

Et ceux-ci campés fièrement
Sur quatre pieds aux pattes décharnées
Offrent leur solitude
Au monde de chaleur

Une rangée de hallebardes
Dresse leur cache-flamme
À la brume prisonnière
Qui s’y attarde gaiement

Le soleil aussi semble profiter
De leur miroir d’huile
Pour caresser doucement sa longue chevelure d’or

Univers clos
Monde parmi le monde
À la recherche d’une âme
Dans les brumes de son corps

06/04/2013

Ecume

L’écume des nuages dans les flots
Secoués de tremblements

L’écume de chaleur des chevaux
Après une course effrénée

L’écume de colère que profère
Celui qui noue la violence

L’écume des individus méprisables
Qui portent leur aigreur rentrée

L’écume de mer des pipes
Dont la magnésite se culotte

L’écume de l’épileptique
Prenant par surprise l’humain

L’écume de terre de l’aphrophore
Protégée par son crachat de coucou

L’écume de résidus de la chauffe
Regorgeant d’impuretés

L’écume des jours, de littérature
Emportée par le déclin du temps

Toutes ces écumes sont-elles
Signe de vie ou de mort
L’écume n’est-elle qu’une éphémère
Excroissance de renoncement
Ou preuve de résurrection ?

L’écume des mots seule
Peut le dire en bulles
Et pétillements sauvages
Sortant de la bouche d’innocents
Frêles, vierges et extasiés

 

poème,écriture,poésie,littérature

05/04/2013

Un garçon en l’air, roman de Didier Martin

Raphaël, le narrateur, vole. Non ce n’est pas un voleur. Il vole réellement comme un oiseau, mais sans battre des ailes. On pourrait dire qu’il lévite, mais la lévitation ne permet pas de se déplacer dans13-04-05 Un garçon en l’air, Didier Martin.jpg les airs. Il le peut. Il le fait depuis sa tendre enfance.

A l’école, il rencontre François qui vole également. Et il vole mieux, de manière plus décontracté, comme si cela était naturel chez lui. François envisageait le vol d’une tout autre façon que moi. A vrai dire, il avait des idées sur la question. Il en regorgeait même, fussent-elles négatives, tandis que j’en étais entièrement dépourvu, du moins jusqu’à son apparition au-dessus de la cour de l’école. Mais tout ce qu’il me disait depuis ce jour-là me trouvait réticent : je volais par plaisir et lui par habitude ; je tenais le vol pour une sorte de supériorité, et lui pour un mauvais tour que le sort lui avait joué ; je croyais de tout mon cœur à une raison profonde et encore secrète d’être pourvu d’un don qu’il regardait comme une absurdité de la nature.

Un jour, François lui donne rendez-vous pour le lendemain. Il va voler devant quelqu’un qui ne vole pas et qui ne peut pas le voir. Et il explique les raisons : disons qu’ils ne peuvent pas en croire leurs yeux. C’est trop fort pour eux, tellement fort que cela n’existe pas. Pour ceux qui ne croient pas en Dieu, Dieu n’existe pas. Et ils volent devant la mère de François sans que celle-ci s’en rende compte. Plus tard, ils constatent dans les jardins du champ de Mars qu’il y a d’autres êtres volants qui les environnaient.

François lui présente Catherine, l’amie d’une amie et Raphaël en tombe amoureux. Mais il ne lui dévoile pas son secret. Bientôt, c’est l’alternative : Catherine ou le vol. Après bien des péripéties, il lui préfère le vol et Catherine repart. Elle épousera un homme normal. Et lui : Je volerai tous les jours. Je peux voler n’importe où et n’importe quand désormais : cela n’a aucune importance et ne présente aucun risque, plus aucun risque. Dès demain…

Quel beau roman dans lequel le fantastique côtoie la réalité sans que jamais on ressente un instant de gêne.

02/04/2013

Inexorablement, se déversent du ciel

Inexorablement, se déversent du ciel
Les gouttes d’une froide solitude
Le temps s’est divisé, recroquevillé
En nuages noirs et denses
Comme les bourres de poussière
Sous les meubles de votre passivité

Autour de vous, au pied de votre île
L’eau monte en écume blanchâtre
Et file sous vos yeux inquiets
Elle atteint sa côte d’alerte
Et envahit votre esprit occupé
Jusqu’à faire dériver vos pensées

Les gouttes sont devenues flots
Les flots deviennent fleuves
Les fleuves emplissent l’immensité
Des eaux des mers bordant la terre

Observons cet étrange ballet
Une goutte tombe, se perd
Se fraye un chemin dans la végétation
Ruisselle avec ses compagnes
Vers d’étranges récipients
Qui déversent leur bouillonnement
En vomissures permanentes
Dans des canalisations saturées
Jusqu’aux rives des ondes courantes

Là s’arrête son aventure
Elle meurt de trop de gouttes
Elle laisse la place à plus épais qu’elle

Adieu goutte fraîche et caressante
Qui m’honora de sa présence
Avant de finir engloutie
Dans les affres de la nature débordante

01/04/2013

Quelques pas dans les pas d’un ange, récits de David Mc Neil

L’auteur raconte ses premiers pas aux côtés de son père, le peintre Marc Chagall. Ce sont des souvenirs brefs, mais accompagnés de l’amour filial qui éduque et met du sel dans les aventures d’un enfant. Il s’émerveille :13-03-31 Pas d'un ange.jpg

Il trouvait fastidieux de couvrir de peinture deux bons mètres carrés alors il m’a demandé de préparer le fond. Je commençais à comprendre que n’importe qui aurait payé pour avoir ma place, alors j’ai mis presque une journée à le peindre, travaillant lentement, sensuellement, m’imprégnant de l’odeur enivrante de la térébenthine, je soupçonne les peintres de s’asperger le soir de térébenthine comme d(‘autres d’un after-shave, ça attire les jeunes filles que fascinent les artistes. Une journée de bonheur. Le matin arriva où la couleur fut sèche. Alors il a préparé des fusains, les tenant dans son poing comme un petit bouquet, il s’est assis dans un large fauteuil en paille et a regardé longuement la tache bleue en plissant les yeux et se pinçant les lèvres comme il le faisait souvent quand il se concentrait. Il attendait l’idée. Picasso disait, peut-être avec humour : « Je ne cherche pas, je trouve », « Moi j’attends » répondait mon père très faux-modestement. Je l’ai souvent vu qui fixait une toile blanche, un carton, une feuille vierge, il prenait un de ses fusains et le cassait en deux, le tenant dans sa main, parallèle à son pouce. Alors il commençait et tout allait très vite.

Autre histoire, dans un bistrot populaire rue Saint Louis en l’Ile :

On ne dépareillait pas du tout dans le restaurant où, très vite, on avait trouvé à s’assoir. Les deux ouvriers à la table à côté ont regardé les mains de papa, tachées de couleurs diverses, ces mains dont il disait souvent qu’elles étaient imprégnés jusqu’à l’os. Il avait plus de soixante-dix ans, mais avec son allure énergique et l’impression de puissance qui émanait de lui, il pouvait très bien passer pour un peintre en bâtiment.

« Vous avez un chantier dans le coin ? demanda l’un d’eux.

Je refais un plafond à l’Opéra, répondit mon père en attaquant son œuf dur mayonnaise.

C’est un livre sans prétention. En prologue, il est écrit :

Ce livre est court, beaucoup trop court. Il raconte les rares moments que j’ai pu passer avec celui qu’autour de moi tout le monde appelait « maître » et que moi j’appelais simplement papa…

28/03/2013

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

Tes verres sont-ils devenus opaques ?
Le vide dans ce corps froid et insensible
Que plus rien n’attache au sourire
Un gouffre sous les pieds, un voile sur le visage
Tu avances, mortel parmi les vivants
Mais tu ne parviens pas à te détacher
De cette paroi silencieuse et nubile
Qui te colle à la peau et t’immobilise

Parvenir à l’âge adulte, quel déclin
Plus de noir, plus de blanc, plus de couleurs
Rien qu’un immense champ de gris
En labour permanent, acharné
Et l’homme court derrière la charrue
Tel l’insecte rougi au feu du travail
Qui apporte chatouillements et démangeaisons
Lové dans son rêve ou ses cauchemars
Tu regardes passer ces années, atone

Pourquoi certains jours te revêts-tu de gris ?

26/03/2013

Quinze ans, roman de Philippe Labro

A quinze ans, le narrateur sait qu’il va lui arriver quelque chose de prodigieux : désigné par le destin pour connaître une émotion unique, qui me délivrerait de la gêne qui prend au piège la première jeunesse.

En trois parties, Philippe Labro conte l’histoire, mettant d’abord l’accent sur Alexandre Vichnievsky-Louveciennes, un camarade de classe arrivé au milieu du premier trimestre. Il ne parle pas directement aux personnes qui sont devant lui. Il utilise des circonvolutions : – le type est doué ! Il a de la réplique ! Excellent ! Le type veut rencontrer Madame Ku. Mais Madame Ku se mérite, figurez-vous ! Le type sait-il seulement ce que signifie son nom ? Je voulus frapper fort et dis sur un ton averti : – Bien sûr, c’est comme un cul. Alexandre éclata d’un rire extasié et bruyant, qui fit se retourner quelques têtes autour de nous. – Vous êtes une âme vulgaire.

L’approche de cet être exceptionnel fut longue et difficile. Le narrateur accepte toutes les moqueries et facéties d’Alexandre. Celui-ci finit par l’emmener chez Madame Ku, qui s’appelle en réalité Kudlinska, une charmante petite vieille, effluve d’un passé russe.  C’est ma babouchka. Un jour, la sœur d’Alexandre, Anna, débarque dans la petite maison : Et je vois debout, droite dans un manteau d’homme de couleur beige, une écharpe multicolore lui barrant la poitrine, une grande jeune fille aux longs cheveux noirs, au teint pâle et aux lèvres rouges. On dirait qu’une sorte de lumière entoure sa silhouette. (…) Elle ne m’a pas une fois adressé parole ou regard (…) et je pense à la phrase de Victor Hugo : « Le jour où une femme qui passe devant vous dégage de la lumière en marchant, vous êtes perdu, vous aimez. »

 

La seconde partie traite d’Anna, la jeune fille dont il est amoureux. Sa rencontre a lieu dans la chambre d’Alexandre :

– C’est mon ami. Tu l’as déjà rencontré chez Ku.

Anna se détache d’Alexandre, se lève et remet d’un geste des mains un peu d’équilibre dans sa coiffure.

– Ah oui, dit-elle, peut-être en effet, oui. Et quel âge avez-vous ?

Surpris qu’Anna se soit enfin décidée à me parler, je bredouille

– Euh… le même âge qu’Alexandre.

J’entends rire Alexandre. Anna accompagne son frère dans ce léger accès de moquerie et me dit sans méchanceté, mais sur un ton dans lequel je crois discerner la condescendance des grandes personnes à l’égard des enfants :

– Le même âge sans doute, mais vous me paraissez un peu plus niais que lui.

C’est un coup qui me perce. Anna s’en aperçoit et s’approche de moi tend ses doigts vers ma joue, comme pour une rapide et impalpable caresse.

– Ne prenez pas cela mal, dit-elle. J’ai plutôt voulu dire innocent, pas niais. Il y a une nuance.

– Merci, dis-je.

Quelques instants plus tard, dans sa chambre, elle lui dit :

– Vous êtes sans doute amoureux de moi. Mais faisons un accord, voulez-vous ? Décidons que nous le savons tous les deux et restons-en là. Je ne vous empêche pas de m’aimer, mais je vous ordonne de ne m’encombrer jamais avec ce sentiment ou même avec une seule manifestation extérieure de ce sentiment, jamais ! A ce prix peut-être deviendrons-nous des amis.

(…) Avec autorité, elle fit basculer ma tête entre ses deux mains, me forçant à me courber vers elle au-dessus du plateau et de la théière et elle déposa sur mon front un baiser fragile, sans équivoque. Mais ses mains avaient touché les tempes, j’avais respiré son parfum, odeur de santal, de poivre et de bruyère, et cela m’avait secoué, comme un courant électrique. Je n’avais pas pensé plus avant. Un événement nouveau, avec sa marque indélébile, venait de m’arriver dans cette chambre.

Il gagne un concours organisé par un journal : écrire un papier. Et ce papier a plu. L’œil d’Alexandre et d’Anna sur lui changea. Il entra dans leur intimité.

 

Ne dévoilons pas le reste, ce serait dommage. Cette histoire m’a rappelé le roman "Le grand Meaulnes" d'Alain Fournier : même adolescent, même jeune fille, même mystère. C’est fou ce que la jeunesse a d’innocence et d’illusion. Elle conduit à des situations difficiles. Mais sans doute leurs participants ne voudraient pas en être absents. Merci à Philippe Labro dont le ton de sincérité ouvre la porte au rêve.

 

25/03/2013

L’Inde secrète, de Paul Brunton (Payot, 1983)

Depuis 1937, date de la première édition française de ce livre, nombreux sont les auteurs indiens et étrangers, qui ont parlé de cette Inde mystérieuse qui est celle des yogis, fakirs et autres magiciens. En 1930, cette Inde secrète et sacrélittérature, spiritualité, Indouisme, sagesse était une découverte. Paul Brunton parcourut l’Inde, se frottant à toutes les couches de la société, rencontrant des saints hommes et saintes femmes de toute espèce, simulateurs et véritables maîtres. Ainsi du magicien venu d’Egypte qui lit dans les pensées ; de Meher Baba, le messie qui lui prédit la seconde guerre mondiale et qui, à la question : « Comment savez-vous que vous êtes un messie ? », répond sans hésiter : « Je le sais ! Je le sens ! », sans plus d’explication. Il découvre l’anachorète de l’Adyar, qui pratique le Yoga du contrôle du corps et lui apprend la position du lotus.

Au moment où il repart en Europe, dépité, sans avoir trouvé un véritable maître, il s’interroge : « Insensé, voilà donc le fruit de tant d’aspirations, de tant d’années perdues ! Tu vas suivre la voie banale, le chemin tracé, oublier tout ce que tu viens d’apprendre, noyer dans le tumulte des sens ce qu’il y avait de meilleur en toi ! (…) Es-tu sûr que nul parmi les hommes que tu as rencontrés n’était le maître que tu cherchais ? » Et il entend une voix en lui qui lui dit de retourner voir le Maharichi et son image surgit devant ses yeux. Il repartira donc à l’autre extrémité de l’Inde. Et celui-ci lui explique : « Posez-vous sans relâche cette question : Qui suis-je ? Analyser votre moi jusque dans ces replis les plus profonds. Tâchez de trouver où commence le moi-pensée. Allez au-delà, poursuivez vos méditations, tournez votre attention vers le monde intérieur. Un jour la roue de la pensée qui tourne sans cesse nous conduira en un point où l’intuition directe jaillira spontanément du fond de votre être. Suivez-la, cessez alors de vous penser et vous toucherez le but. »

Et Paul Brunton découvre cette vie spirituelle qu’il attendait tant :

L'ego s'imagine à tort qu'il existe deux Moi, l'un fonctionnant actuellement (l'individu) et l'autre, le Moi supérieur, le Moi divin, dont nous prendrons un jour conscience. C'est une erreur. Il n'y a qu'un Moi et il est pleinement conscient, actuellement et à jamais.
Pour lui n'existe ni passé, ni présent, ni avenir, car il est hors du temps.
Sans ce Pouvoir infini, Dieu, le vrai Moi, cet encens ne pourrait pas brûler, ce monde n'existerait pas. Le Soi est présent dans toutes les formes. Lui seul leur donne réalité.
C'est pourquoi l'être illuminé s'aperçoit qu'il est présent dans tous les autres, car il a trouvé l'Unité et a cessé de percevoir la multiplicité.
L'Univers existe au sein du Soi. C'est pourquoi il est réel, mais cette réalité lui vient du Soi. On dit toutefois qu'il est irréel à cause de ses transformations perpétuelles et de ses multiples formes ; on dit par contre que le Soi est réel parce qu'il est immuable.
Après la Réalisation ni le corps, ni le reste  n'apparaîtront différents du Soi.
Ishvara, Dieu, le Créateur, le Dieu personnel, est la dernière des formes irréelles à s'évanouir ; seul l'Absolu est réel.

"Au milieu de la caverne du cœur,
 en forme de Moi, en forme de Soi,
 unique et solitaire,
 tout droit de soi à soi
 le Brahman resplendit !
 Pénètre toi-même en ce dedans,
 ta pensée perçant jusqu'à sa source,
 ton esprit plongé en soi,
 souffle et sens au tréfonds recueillis,
 tout de toi en toi fixé,
 et là, simplement, sois!"

24/03/2013

Ruisseau des villes

Ruisseau des villes au long des pierres
Où plongent les pas de passants rêveurs
Tournes autour des pavés de lumière.
Une fleur, rouge, une tulipe, je crois,
Glisse sur ton chemin et pleure.

Tu vois de grands pieds sales,
Ensuite des têtes de roi.
Des doigts roses s’allongent vers toi.
Les gamins plongent les leurs, impudiques,
Dans ton sein. Une pièce brillante en sort.

C’est le sort des pièces hiératiques,
Tortueuses et sans beauté. Les rues
Défilent leurs ventres gris, encore
Une autre, et la même sans voix
Et une autre sans vie. Il n’y en a plus.
Tu ries dans le noir d’égouts, rue Quinquempoix.

16/03/2013

L'union des contraires

C’est par l’union des contraires
Le blanc et le noir
Le feu et la glace
La haine et l’amour
Que l’on vit sa vie

Et ces sautes d’humeur
Combat sur une mer déchaînée
Sont le lot de tous
Même du divin
Satan et l’ange Gabriel
Se côtoient en chacun de nous
Comme ils luttent dans les cieux

Loi universelle, avec modestie
Elle nous contraint
Nous enserre dans ses griffes
Pour que parfois s’envole
De nos corps étonnés
L’oiseau pudique
Qui se mêle aux nuages
Roucoule dans l’espace
Et enchante nos cœurs
Qui de pierre deviennent de chair

Oui… Les contraires
Nous conduisent à la tombe
Qui s'avère délivrance
Tel l’oiseau moqueur

12/03/2013

L'attente

Suspendu dans le mouvement,
Vous vous évadez du présent
Où êtes-vous ?

Hors des minutes
Dans les secondes éloquentes
Après l’appel du plongeoir
Avant l’éclaboussure de l’impact
Le corps arqué d’impatience

Dans le brouhaha, le silence
La tête vide d’occasions manquées
Seule compte l’avènement
Cet instant de complétude
Dont la flèche viendra toucher le cœur

Et vous n’êtes pas seuls
De longues files se forment
Serpentant devant l’ouverture
Unique, gardée par un cerbère
La matraque à la main

Patientez, il en reste le bien
D’un arrêt sur image, forcé
Equilibre précaire et symptomatique
D’espoir, de crainte, d’appréhension
Sur la pointe de l’âme

Vous n’êtes plus maitre de votre destin
Suspendu dans le mouvement
Vous attendez, vous entendez
La cloche de bronze d’une mort annoncée
Ou d’une vie jaillissante d’explosions

Frottez l’allumette de la flamme
Fermez les yeux et les oreilles
L’inconnue est au bord des lèvres :
La coupe du salut ou le couperet sordide

08/03/2013

Arrondi et bleuté comme l’encre

Arrondi et bleuté comme l’encre
Le ciel referme sa voûte imperceptiblement
Sur la dentelle fragile de l’arbre mort
En haillons de feuilles décolorés.
Une à une, les brindilles s’évadent
Dans l’ombre. Mais vers le soleil disparu
Elles survivent plus longuement
Soutenues par le souffle du crépuscule.

06/03/2013

Quelle différence entre la littérature, la musique et l’art plastique ?

Quelle différence entre la littérature, la musique et l’art plastique ?

La littérature est là pour raconter une histoire, que celle-ci soit une histoire dans l’histoire, des réflexions sur l’histoire de l’homme ou encore l’histoire de ce qui pourrait se passer dans l’avenir. Bref, la littérature raconte, avec sérieux, avec humour, avec vindicte, avec émotion, le temps qui passe et ce qui reste de ce temps.

La peinture est plus subtile. Certes pendant longtemps, elle a elle aussi raconté une histoire, à sa manière, par les yeux et non les oreilles. Mais la photographie, puis, le cinéma, la télévision et maintenant les multimédias ont mis à mal la peinture d’antan, les paysages, les portraits et l’académisme. Désormais la peinture, pour une bonne part, ne raconte plus, elle rêve, en couleurs, en formes, en mouvement ou même à l’arrêt tel le carré blanc sur fond blanc, de Malévitch. Son objet est d’éveiller en nous des émotions, des sensations, des sentiments, bref du rêve qui reste encore palpable parce qu’on peut toucher les œuvres, qu’on peut les regarder, qu’on peut même les sentir. Mais elle s’approche tranquillement de la musique, en sœur plus jeune. Il faut une part d’imagination, d’exaltation, voire de délire, pour apprécier la peinture telle qu’elle se présente aujourd’hui. Beaucoup n’y comprennent plus grand-chose. L’abstraction leur est négation parce que coupée de l’histoire et des histoires.

La musique ne raconte rien, sauf la musique de films et quelques pièces drôles parce qu’imitant les bruits de la vie humaine, animale, végétale ou minérale. Telles sont la Poule de Rameau, le Tic toc choc de Couperin, le Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, le Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messian et bien d’autres compositions charmantes. Mais la musique va au-delà de l’histoire et de ses apparences. Que fait-elle ? Elle nous enchante sans que l’on puisse réellement savoir pourquoi. Elle va même plus loin. Elle est construite autour d’une mathématique différente de celle qui nous est enseignée: pas de système décimal, mais plusieurs systèmes (octave à cinq notes comme dans la musique asiatique, à sept notes dans la gamme diatonique, à douze notes chromatiques, voire d’autres comme dans la musique indienne). Les écarts entre les notes ne sont pas exactement semblables selon la manière d’accorder l’instrument et l’époque, etc. Qu’est-ce à dire ? L’harmonie des sons procède d’une autre logique que la logique décimale. Diviser l’octave en dix sons et vous n’aurez qu’une cacophonie. Il ne s’agit donc pas de penser la musique en termes de fréquences, c’est-à-dire en considérant la succession des notes, mais d’atteindre la véritable cosmologie de la musique, dans son étendue temporelle et spatiale. La musique exprime le Tout Autre derrière la matérialité des instruments et la physique des sons.

Et pour accompagner cette réflexion, appuyez-vous sur une musique de John Cage :

https://www.youtube.com/watch?v=NR0zVdjYXcw


04/03/2013

La délicatesse

Sur des pincettes, j’approche
Du bout des yeux, je dévisage
L’oreille attentive, silencieuse
Crissement du verre sur le fer
Tempête dans la tête
Au sein de nuits débordantes
Je flotte dans la salive
Des neiges d’antan
Là dans le ruisseau
Le plus beau des trésors
Trois perles d’Ankara
Blanches, translucides

Delicatessen : charcuterie
Ou restauration de luxe ?
Extrême pointe de l’être
En équilibre sur les cieux
Montée sensible du nectar
Dans la colonne vertueuse
Jusqu’à l’explosion sucrée
Sans ces gouttes subtiles
Que serai-je devenu ?

Delicatessen : épicerie fine ?
Légère et élégante, elle reluit
De mille feux de légende
Fille de roi ou princesse tam-tam
Que sait-on de cette solitude ?

La délicatesse est bigote
Elle se pâme de différences
Caresse ses airs évaporés
Et chante ta chanson d’amour

La délicatesse est sirupeuse
Elle colle aux doigts de miel

La délicatesse fatigue
Exigence de limpidité
Le rare tue, comme l’acier

Mais toujours la délicatesse attire
Quelle ombre au soleil ardent
Sous son parapluie doré
Se cache les ruisseaux d’avenir

28/02/2013

Multivers

Est-il possible…
Oui, est-il possible que l’univers ne soit pas unique?
Notre univers qui contient toute la matière
Et donc, par définition, le tout
Serait-il un parmi d’autres de matière différente ?
Mieux même, ces univers autres interpénètreraient
Le nôtre, lui causant des perturbations
Comme le papillon réorientant la trajectoire d’une tempête
Le souffle d’une femme sur votre joue
Déchaînerait-il de semblables perturbations
Dans votre univers intérieur et unique
Oui. Sûrement. Quel tremblement !
Ce soupir mêlé au vôtre n’introduit-il pas
Une tempête intérieure bouleversante ?
Et  c’est ce coup de tonnerre dans votre monde
Qui vous fait dresser l’oreille vers l’espace
Mais aussi loin que le permettent votre vue et votre ouïe
Vous ne voyez rien, vous n’entendez rien
Mais vous ressentez dans vos entrailles
Cette révolution inhabituelle et chaude
Bouillie d’émotions et de sensations
Ah, quel malheur et quel bonheur
Que ce tremblement de terre
Que l’amour met en nous comme une semence
D’une vie meilleure et plus large

27/02/2013

Qu’ai-je donc fait, de Jean d’Ormesson

J'ai tenté de lire d’Ormesson il y a longtemps, si longtemps que je ne me souviens plus de quel ouvrage il s’agissait. Je m’étais ennuyé, le trouvant pédant. J’ai acheté ce livre dans un vide grenier et en ai commencé la lecture.littérature, roman, société, écrivain, philosophie Miracle, les 70 premières pages m’ont passionné. Je l’ai trouvé drôle, cultivé, au fait des questions éternelles sur l’homme, sur ce que chacun d’entre nous est et sur ce qu’il est lui-même. « C’est moi » est son leitmotiv des premiers chapitres : Bonjour. Bonsoir. C’est encore moi. Ne me dites pas que j’exagère... C’est vrai, j’ai du mal à me quitter.

Mais immédiatement après, il constate que moi, c’est vous : Chacune des créatures conquérantes et voués au néant qui sont passées sur cette planète a le droit de se lever et de dire : « Moi » comme moi. Je suis moi. Chacun de vous est un moi comme moi. Je – mon Dieu – est un autre. Aussi finit-il ce chapitre par cette supplique : Ne m’accusez pas, je vous prie, de ne m’occuper que de moi ; En parlant de moi, je parle de vous. Quel beau pied-de-nez !

Bien qu’il ne parle que de lui – et du temps – il reste primesautier. Progressivement, il commence à faire étalage de sa culture.  Pris sous l’angle de l’humour, cela passe. Il parle de sa paresse : Tout m’amusait. Rien ne me retenait. Tout me plaisait. Rien ne m’attirait. Il avoue même qu’il écrit toujours la même chose. Il aimait apprendre. Il était curieux. Puis il entre dans son côté plus « Regarde-moi » alors qu’il dit dans le même temps « Je ne cherche pas à plaire… Je vise à mieux : à me plaire. Le succès me paraît être un résultat et non un but. » C’est sûrement vrai, mais faut-il le dire ? Tous le proclament un fois le but atteint. Le livre change donc de portée. Il parle de sa famille, de ses ancêtres, de ses châteaux, de leurs rapports avec Dieu, de leur manière de table. Et cela perd le livre qui jusqu’ici nous charmait malgré certains dérapages. Il parle également de son Ecole, de ses professeurs, des trotskistes. C’est long et ennuyeux, malgré quelques beaux effets de style. Ce contraste entre la rue d’Ulm et sa famille lui permet de constater que tout s’écroule, sauf l’argent : l’argent hier, était, sinon une force de l’ombre, elle ne l’a jamais été, du moins un outil subalterne, un instrument au service du pouvoir. Tout, désormais, tourne autour de lui. Il est devenu le pouvoir.

Il reprend alors sa méditation sur Dieu et ses liens avec les hommes dans la troisième partie du livre, mais de manière indirecte. L’homme est le seul être capable de penser le tout. Il est remonté au big bang, il peut prédire comment les étoiles finiront. La vie et, au-delà de la vie, l’univers sont des machines à transformer l’avenir en passé. L’avenir ne se transforme pas directement en passé : il passe par le présent. Le monde est un paradoxe et un mystère parce que l’homme est dans le temps. Jean d’Ormesson  tente alors de faire coïncider la physique et la métaphysique dans des évocations brèves de l’espace, de la lumière, de l’eau, de la pensée, de la parole. Et toujours, il revient au temps. Il me semble que le temps n’est pas fermé sur lui-même et qu’il renvoie à autre chose. A quoi ? A l’éternité. (…) Dans ce monde, le temps est tout, mais, au regard de l’idée que nous sommes capables de nous faire de l’infini, il est une limite, une servitude, une imperfection. Il est la marque de notre condition misérable. A l’origine de l’univers, il naît avec le tout qu’il accompagne de bout en bout. Il est signe d’autre chose, vers quoi nous nous précipitons. De quoi est-il donc le signe ?

Dieu est caché, nous dit l’auteur. On ne peut ni prouver son existence, ni son inexistence. La science s’arrête à l’existence de l’univers, au-delà qu’y a-t-il ? La science est là. Dieu est ailleurs. Hors de ce monde. Hors du temps. A l’écart de nos lois que déchiffre la science. La science parle. Dieu se tait. La science est présente sur tous nos fronts. Dieu est absence.

Qu’a-t-il donc fait, finalement ?

Il a essayé d’être libre. Et ce qui l’intéresse, c’est l’avenir. Il s’obstine à lui faire confiance. Qu’ai-je donc fait ? Rien, bien entendu. Je le dis sans affectation et avec un peu d’orgueil. Rien, dans ce monde et dans le temps, ce n’est déjà pas si mal. Je suis entré dans le temps. J’ai fait partie de ce monde. C’est une chance inouïe, un bonheur et un triomphe. (…) Je me retourne encore une fois sur ce temps perdu et gagné et je me dis, je me trompe peut-être, qu’il m’a donné – comme ça, pour rien, avec beaucoup de grâce et de bonne volonté – ce qu’il y a eu de meilleur de toute éternité : la vie d’un homme parmi les autres.

Oui, on peut le dire, à côté de ses fièvres aristocratiques agaçantes, en dépit de son côté satisfait d’être ce qu’il est, Jean d’Ormesson sait nous faire lire l’histoire d’une autre manière, englobant ce qui préoccupe les hommes depuis des temps immémoriaux : d’où je viens et où vais-je ? Et celui qui dit moi, c’est nous.

24/02/2013

Pourquoi faut-il que le temps s’accélère ?

Pourquoi faut-il que le temps s’accélère ?
Jeune, il se traîne comme l’escargot
Les jours vous paraissent des mois
Les vacances sont au-delà de l’océan
Quand viennent les premiers examens
Il accélère son rythme. On s’essouffle !
Puis il reprend son lent cheminement
Au gré des occupations professionnelles
Jusqu’au stress des échéances immanquables
Pourtant, en soi, il ne concède rien
Il se tient immuable dans sa robe rose
Et regarde les hommes s’agiter
Comme des pantins échevelés
Et l’autre, en face, soupire
Quand nous arrêterons-nous ?
Les enfants passent et partent
Et tu es toujours là, le même
Ou du moins le crois-tu
Mais tout s’accélère et s’emballe
Tu ne sais plus où te tenir
Les mois sont des jours,
Les années sont des mois
Et file la laine sur le rouet
Qu’ai-je entre les doigts
Ce bout de fil qui devient si petit
Qu’il finit par casser, par maladresse
Ignorance ou parce que c’est l’heure
Tu n’as pas changé en réalité
Tu restes l’heureux enfant
Qui courrait dans les prés
Et cependant la vie t’a marqué
S’est imprimé en toi subtilement
Tu es un homme, un de plus
Dans la longue liste des passages
Qui s’agrandit imperceptiblement
Je suis, j’ai été et que serai-je ?
Au-delà de l’horizon s’étend
La longue nuit, calme et envoûtante
Mais elle reste inaccessible
Tant qu’on n’a pas franchi le pas

22/02/2013

Bille en tête, roman d’Alexandre Jardin

Chaque famille a son vilain petit canard. A la maison, ce rôle me revenait de droit. J’y voyais une distinction. En contrepartie de cet avantage, je fus expédié à Evreux en pension. Evreux, ville où l’on est sûr de n’avoir aucun destin. Véritable banlieue de l’histoire, les réussites y sont lentes. La province a toujours fait de l’ombre aux ambitieux.

Décidé à lutter contre la tyrannie de son père, Virgile, le narrateur, ne demande13-02-21 Bille en tête A Jardin.jpg pas la permission de grandir. Il se sacre adulte lui-même. Son premier essai est malheureux : fuir la pension en prenant le train pour Paris avec un camarade et se retrouver au commissariat. Heureusement, l’Arquebuse, grand-mère et personnage de poids, vient l’en délivrer.

Il fait connaissance avec Clara, une femme mariée, lors d’un diner auquel son père l’emmène. Il ose lui dire : « Clara, j’ai quelque chose à vous demander. A table, je voudrais être assis à votre droite, pas à la table des enfants. » Puis il lui donne rendez-vous à la sortie de son collège. Et elle y est : « Clara s’est avancé vers moi. Elle m’a regardé. Je lui ai pris la main. Nous étions seuls. Les oiseaux chantaient pour nous. Le soleil aussi brillait pour nous. Dieu qu’elle était belle dans sa robe qui laissait voir ses jolies jambes. » Tout alla très vite. Le soir même, il est à l’hôtel guidé par Clara pour ses premiers pas dans l’amour. Le lendemain, se promenant avec sa conquête sur la plage de Deauville, il rencontre son père et lui annonce : « Je suis venu avec Clara, je l’aime. » Elle éclate de rire, tentant de faire croire à une mauvaise plaisanterie.

Virgile fait la connaissance de Jean, le mari de Clara. Avec Clara et Jean notre vie à trois dura encore quelques mois. Il l’emmène chez sa grand-mère. Ils font de la barque sur l’étang. Ils redeviennent enfants. Mais son père à nouveau les rattrape.

Exilé à Rome, dans une pension prison, il trouve le moyen de faire venir Clara. L’apprenant par une photo sur un magazine, son père finit par le mettre à la porte : « Virgile, je ne te jette pas hors de chez toi. Tu es déjà parti. » Il devient coursier dans un journal.

La mort de l’Arquebuse met fin à cette errance d’adolescent. Virgile prend conscience de ses avancés dans la vie. De retour à Paris, après l’enterrement, il se précipite chez Clara : « Clara, il m’arrive quelque chose de formidable. Je vais quitter mon enfance. Je vais te quitter. » En la quittant, je rompais le dernier lien qui me rattachait à ces longues années de souffrances ; je mettais fin  à mon infinie tristesse d’être petit. Haut les cœurs !

Vous me direz que tous les livres d’Alexandre Jardin sont semblables. Oui, c’est vrai. Mais quelle fraicheur d’invention pour fêter l’amour, la jeunesse, la liberté. C’est une bouffée d’oxygène dans un monde asphyxiant, un remède à la mélancolie, voire à la dépression. « Chaque fois que tu vis, que tu écris ou que tu dis avec légèreté quelque chose de grave, tu gagnes en grandeur », dit l’Arquebuse à Virgile.

20/02/2013

J'ai retrouvé mon âme

J’ai retrouvé mon âme d’adolescent
La vie s’ouvre à moi grandement
Comme un livre inépuisable
Dans lequel les mots sont des actes
Délivré de la lutte quotidienne
Je coule des jours sans fin
Dans les délices de la créativité
Quel envol ! Mille hirondelles
Qui virevoltent dans un ciel pur
Pas d’heures, pas de soucis
Une promenade dans la nuit
Seul face à la vacuité ineffable
Et laisser son cœur et son esprit
Divaguer dans l’immensité
A la recherche du diamant brut
Qui se cache en soi, voilé
Par la lourdeur du savoir
L’expérience n’est rien sans fraicheur
Alors en se versant un seau d’eau
Sur le corps dénudé
Laisser tourbillonner le moteur
De la renaissance en vous
Sans faux combustible
Sans fausse richesse éperdue
La transparence vous prend
Et vous envoie dans l’univers
Pour vous enchanter les yeux
D’un parfum d’inconnu

18/02/2013

Le grand exterminateur, roman de Virgil Gheorghiu

Bucarest signifie « ville de la joie ». C’est un nom prétentieux. Une ville où la joie est permanente n’existe pas sur terre. Ainsi commence ce roman dans un monde fou, celui de la dictature roumaine. Son objet est une chasse à l’homme. Celui-ci, Trajan Roman, est sauvé par une enfant de douze ans, Dragomirna,roman, livre, société fille du directeur de la police. Trajan n’arrive pas à situer et à comprendre la fillette qui est devant lui. Quelquefois, Dragomirna parle et agit comme une toute petite fille. Comme les enfants. Une minute après, elle s’exprime comme les adultes. Dans la personne de Dragomirna tous les âges sont mélangés. Elle est semblable au grenadier. Lui, n’est qu’un paysan, fils d’un curé de campagne, mort d’épuisement provoqué par l’archevêque Isidor, à la solde du pouvoir. Il eut la chance de rencontrer le professeur Cicérone Trifan qui dirigeait la commission pour la préparation du saint et grand concile, et surtout sa fille qu’il finit par épouser. Mais des documents ont été subtilisés et sont recherchés par la police.

Le cœur du subtil complot est expliqué au chapitre VI. Staline découvre que l’énergie dépensée par l’eau bénite n’est pas moindre que l’énergie atomique. (…) Les soviets, sans l’arme atomique, ne pourront jamais réaliser le communisme. Staline n’oublia pas, non plus, qu’il y a quelque chose qui est aussi minuscule que l’atome et que la société communiste ignorait jusqu’à cette date. C’est l’individu. Dans un Etat communiste, l’individu est nul. Il n’a aucune valeur. La personne humaine équivaut à zéro. (…) Staline découvrit de la sorte que l’individu est aussi important que l’atome. Ces deux découvertes durent presque simultanées. L’individu, l’être humain est une plante qui a ses racines dans le ciel. (…) En matière sociale, on a découvert l’énergie de l’insignifiant, du tout petit, et l’individu. Il possède une énergie égale à celle de l’atome : voilà la base de la nouvelle sociologie.

Alors Staline tente d’utiliser cette énergie spirituelle que l’église détient par l’intermédiaire d’un Concile. Pour gagner le ciel, il faut d’abord détruire la société capitaliste et instaurer la fraternité communiste sur la terre. L’Eglise est comme un bateau. Au lieu de diriger le navire de l’Eglise vers le ciel, on le dirigera vers le paradis communiste. C’est quelque chose de plus certain et de plus concret que l’éternité.

La découverte des documents volés compromet la géniale idée de l’organisation d’un Concile destiné à affirmer cette nouvelle orientation de l’Eglise. Alors toutes les ressources de l’Etat sont mises en branle pour retrouver ces documents.

La candeur de Trajan sera la source de son malheur. Il se lie d’amitié avec Taky Tsèp, un espion envoyé par le président de Roumanie pour lui faire dire le nom de celui qui a livré le document signé de sa main. Ce que Trajan se refuse à dire, jusqu’au jour où il apprend la mort de Dragomirna.

Une véritable machination est ensuite montée pour mettre à mort Trajan. Un exterminateur, Baxan, est nommé. Il finit par gagner. Trajan « se suicide » au jour et à l’heure prévus. L’Etat gagne contre l’individu. L’énergie collective a été plus forte que l’énergie spirituelle. Le paradis communiste peut continuer à exister.

Et pourtant il est tombé tout seul, se prenant les pieds dans le tapis !

16/02/2013

La peinture

La peinture. Elle me colle au cerveau
Blanche ou noire, elle se déploie
Et envahit mon champ de vision interne
Il n’y a plus qu’elle, immense
Etalée en couches serrées, striées
Mes mains s’agitent, ouvertes
Sur un monde de couleurs vives
Entre la forme et le trait
Fine pointe de rasoir sur le regard
Etincelle de brillance aiguë
Pierre précieuse qui résonne
Dans l’univers impitoyable
Des sensations rondes et chaudes
Certes, je fatigue, je me bas
Contre l’erreur, le poil de pinceau
Qui se tord et chavire
Contre l’angle qui se courbe
Contre le trait qui fuit
Contre la goutte qui déborde
Contre la lassitude qui m’ensevelit
Mais lorsque tout est fini
La lumière apparaît dans la nuit
Déborde de la toile
Et illumine l’esprit
Oui, peindre est une tâche
Sublime et épuisante
Qui, au final et à chaque fois
Fait respirer un air d’éternité

12/02/2013

L’éternité est-elle cette grande page blanche

L’éternité est-elle cette grande page blanche
Vide de signes, volant dans le silence assourdissant
Ne l’attrape surtout pas ! La mort t’attend
Cours derrière, mais attention au changement de vent
Tu frissonnes dans la pâleur du jour levé
Dernier jour d’une multitude d’autres
Pas une tache sur la feuille immaculée
Partir sans laisser d’adresse comme un voleur
Dans le ciel clair, le cœur étreint
Par une envie d’air frais. Mais pas un souffle
Où est donc passé l’écriture de l’éternité
Rien que le blanc, noyé dans cette laine
Et tu t’envoles dans l’espace entre les astres
Tu contemples ce monde bleu quitté à jamais
Il s’éloigne et tu ressens le froid de l’absence
Tu oublies la caresse de la lune sur tes joues
Tu… Tu… Mais es-tu, toi ? Tu ne te connais plus
Tu voles de concert avec la page blanche
Enfoui dans ses grains, sourd au sifflement du vent
Et tout devient blancheur immaculée
Ah, le blanc est fini. Il m’a bien fait rêver.

08/02/2013

Le rêve

OK… Voilà la poupée huilée et cosmétique
Des publicités tapageuses et anonymes
Elle est prête à tout, peu importe
Ce qui compte, c’est attirer l’œil et l’attention
Pendant une minute ou deux
Pas plus, pas moins, et encore…

Le rêve, nature indissoluble d’une réalité
Inventée de toutes pièces et entraînant
Des débordements tumultueux

Le rêve, nuage poussé par les vents
De l’imagination incontrôlée
Pour notre plus grand plaisir personnel

Le rêve, méditation interne  et exaltée
Qui conduit aux extrêmes la vision
De la comédie humaine

Et pourtant, on peut rêver aux anges
De plaisirs à venir et de délires joyeux
De départs pour des contrées lointaines
De séjours dans des grottes oubliées

Oui, les rêvoirs sont infinis
Une vie ne suffirait pas à les connaître
Les plus beaux ne sont pas les mieux aimés
Un rêve dans les étoiles et le cosmos
Vaut bien celui de bals enchantés

Mieux vaut rêver sa vie
Que vivre sans motif

06/02/2013

Bélard et Loïse, roman de Jean Guerreschi

Un roman, un récit de mœurs, un livre érotique ? On ne sait comment qualifier ce livre de Jean Guerreschi et, de plus, on ne sait comment le lire. Doit-il être lu vite, en impatience de nouveaux incidents palpitants, ou doit-il être savouré13-02-02 Bélard et Loïse.jpg lentement, avec toute l’attention qu’il réclame, en raison de la qualité du style et de la narration ? Ce fut selon les moments. Mais plus l’on avance, plus on tente de profiter de cette lecture, s’intéressant plus à l’écriture de l’auteur qu’à l’histoire qui s’allonge, sans doute un peu trop.

C’est une histoire qui pourrait être banale. L’amour d’une étudiante pour son professeur qui pourrait être son père. Elle a choqué certains critiques : « Jean Guerreschi a beaucoup d'imagination. On ne saurait le lui reprocher. On ne peut pas non plus lui reprocher de nous livrer ses frustrations en décrivant ses fantasmes. » (François Jardin, Pour les amateurs de mélo, A-lire.info)

Mais les prémices de cet amour sont enchanteresses : e-mail à double-sens,  messages codés, et le désir qui monte intensément : Ils se trouvèrent soudainement tout près, trop proches l’un de l’autre. Loïse l’éprouva la première. Je suis trop près de lui, se dit-elle, je sens la rétraction de sa zone intime, mais je ne peux faire autrement que de rester là. Elle ne bougea donc pas. (…) Il était si près d’elle qu’il voyait le duvet de ses phalanges. Elle était si proche de lui qu’elle serra la main sur l’étagère pour ne pas verser. S’il me touche, je crie, pensa Loïse. S’il ne me touche pas, je hurle, pensa-t-elle l’instant d’après. Si je la touchais, songeait Bélard, elle ne me repousserait pas. De cela il était sûr. Puis il pensa au futur simple. Si je la touche, je l’aurai dans les bras toute la vie.

La narration de leurs aventures amoureuses est hors du commun : tendre, extatique, mais aussi érotique, sinon pornographique. Mais écrit avec une langue merveilleuse, pleine de justesse, de délicatesse également : Bélard vit Loïse nue. Il oublia son âge. Bélard oublia son âge. Il s’étonna de sa jeune faim. Loïse goûta au corps de Bélard. Elle le trouva bon. Son appétit d’elle surprit Loïse. Son appétit de lui la troubla. Bélard s’étonna de sa jeune faim. Que si jeune faim eût appétit de lui le surprit.

Lorsqu’il se retrouve seul, Bélard s’extasie : Je suis comme un bœuf amoureux… Elle répondit qu’elle serait volontiers sa génisse. Il protesta qu’ils étaient au milieu du carrefour, que la morale publique les écraserait plus vite et plus certainement qu’un semi-remorque. (Il pensait : m’écrasera moi, mais il ne l’écrivit pas.) Elle répondit que, sous lui, elle ne sentirait pas le semi-remorque.

Ne poursuivons pas ce récit. Laissons au futur lecteur le soin de le découvrir. Il se tire un peu en longueur, en étrangeté (mêler l’actualité du 11 septembre à cette histoire forte). Le livre ne vaut en fait que par la langue, le style, la justesse des comparaisons. La crudité du compte-rendu des ébats des deux amants pourra choquer, mais c'est écrit avec une telle délicatesse.

Le livre fait penser à « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen. Même art de la narration juste, même hymne à la femme, même délectation de ces rencontres, étreintes, tensions et détentes amoureuses. Mais : Le plus étrange, c’est qu’un tel roman fasse aujourd’hui scandale — au point qu’une œuvre constamment maîtrisée, souvent admirablement écrite, soit boycottée par des journalistes plus pressés de rendre compte des pauvretés nothombiennes ou houelbecquiennes, écrit Jean-Paul Brighelli sur le site de Marianne.