04/01/2012
L’art du roman (suite du 31 décembre)
L’art du roman est avant tout dans le style et non dans l’histoire qui a moins d’importance qu’on ne lui accorde. Revenons à nos propos précédents. Etaient opposés deux constructions d’un roman : soit sur les souvenirs (qu’ils soient personnels ou publics, inspirés par un fait), soit sur l’imagination.
Mais comment se décrivent les souvenirs qui ne sont que le reflet d’une réalité ayant existé ? Par l’imagination du choix des mots pour décrire ce que vous avez vécu. Et comment se décrit l’imaginaire ? Par la réalité des mots qui transforment l’imagination en structure cohérente qui donne du poids et de la vérité à ce que votre cerveau a concocté. Ce qui signifie que dans tous les cas, c’est votre art de conter, produit de votre culture et de votre personnalité, qui fait la qualité d’un roman.
Or qu’est-ce que l’art de conter ? C’est faire partager sa vision en se servant des mots pour décrire, émouvoir, faire naître des sentiments chez le lecteur (et non forcément décrire des sentiments), qu’ils soient de plaisir, de crainte, de drôlerie, de tristesse, etc. Plus réellement, c’est le choix des mots et leur rythme à travers les phrases qui créent le style.
La première étape consiste à choisir les mots que l’on souhaite utiliser pour arriver au résultat affiché ci-dessus. Un même auteur peut avoir plusieurs registres à sa disposition, selon le sujet sur lequel il écrit. D’autres n’en ont qu’un jeu, toujours le même. Enfin, bien sûr, l’inventaire des mots évolue dans la durée de l’écrivain, avec généralement une augmentation de la pertinence du choix au fur et à mesure de l’écoulement de sa carrière. Ces mots peuvent être simples, précieux, châtiés, recherchés, drôles, etc. L’association des mots entre eux procure également des effets divers, particulièrement lorsque les genres sont mélangés. On ne parle pas là des dialogues et du caractère donné à chaque personnage, mais bien de l’ensemble du récit et du choix du vocabulaire utilisé pour le décrire.
La seconde étape est plus complexe. Il s’agit d’imprimer un rythme aux mots, une musique particulière qui donne la qualité de l’écriture. Le rythme n’est pas seulement fondé sur la longueur de la phrase ou l’emploi différencié de la ponctuation. Il est musique, c’est-à-dire non seulement sons, mais également silence. La syncope donne une tonalité magique à la musique. Quelle est la syncope en écriture ? Probablement dans l’alternance de phrase aux sons variés et qui se lisent avec une respiration différente. A travers le halètement de l’écriture, le lecteur ressent des variations insoupçonnées. Mais ce n’est peut-être qu’une illusion.
En cela le roman rejoint la poésie, mais en cela seulement. Apporter trop de comparaisons, trop de détours dans ce que l’on exprime, fait du roman un chewin gum difficilement digeste. La simplicité, adaptée à l’histoire, est sans doute la meilleure manière de faire passer les idées. Et pourtant, on ne peut qu’admirer, par exemple, le style contorsionné de Marcel Proust ; on ne peut que se régaler du style de Marcel Aimé ou de Jean Giono. Bref, chaque écrivain a son style et celui-ci est sa marque, son flambeau, qui restera dans l’éternité. Ainsi des mémoires de Saint Simon, des écrits de Voltaire ou de Chateaubriand, et, plus récemment, de Marguerite Duras ou de Jorge Luis Borges.
Dieu merci, comme en musique, en peinture et tout autre art, l’infinité des combinaisons et des styles laissent encore de nombreux chefs d’œuvre à écrire et à découvrir.
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02/01/2012
L'ignorance, roman de Milan Kundera
« Qu’est-ce que tu fais encore ici ! » Sa voix n’était pas méchante, mais elle n’était pas gentille non plus ; Sylvie se fâchait. « Et où devrais-je être ? demanda Irena. « Chez toi ! ». « Tu veux dire qu’ici je ne suis plus chez moi ? ». « C’est la révolution chez vous ! » (…) Elle le dit sur un ton qui ne supportait pas la contestation. Puis elle se tut. Par ce silence, elle voulait dire à Irena qu’il ne faut pas déserter quand de grandes choses se passent. (…) Irena vit des larmes d’émotion dans les yeux de Sylvie et elle lui serra la main : « Ce sera ton grand retour ». Et encore une fois : « Ton grand retour ».
C’est un livre entre deux : entre deux types de livres de Kundera, les livres anecdotiques, tels que « Risibles amours », et les livres philosophiques tels que « L’immortalité », voire « L’insoutenable légèreté de l’être » ; entre le retour au pays après l’exil et le retour au pays d’exil devenu le vrai pays. D’ailleurs ce livre fut écrit directement en français et non en Tchèque comme les autres cités. Peut-être pour se prouver que maintenant sa vraie patrie est là, en France.
Il raconte l’histoire de deux émigrés : Iréna, d’abord mariée à Martin, puis, après sa mort, vivant avec Gustaf. Elle rencontre à l’aéroport un homme, Josef, qu’elle avait connu autrefois, à Prague. Elle le reconnaît, engage la conversation avec lui. Mais lui ne se souvient pas d’elle et n’ose le lui dire. Il lui laisse le numéro de téléphone de son hôtel. Le livre raconte alors les retrouvailles avec leurs parents et connaissances d’avant l’émigration. Elle convoque ses amies au restaurant, prépare de bonnes bouteilles de vin français. Mais elles lui font comprendre qu’elles préfèrent ce qui vient de chez eux, des chopes de bière. Elles parlent toutes de ce qu’elles vivent, de ce qui se passe à Prague. Elle prend conscience que sa vie en France ne les intéresse pas. Quant à Josef, il refait connaissance avec son frère qui l’accueille chaleureusement. Mais peu à peu il ressent une gêne. Le frère s’est approprié leur maison familiale, s’est emparé de tous les biens, comme si Josef était mort. – Nous avons essayé de te joindre, en vain. – Comment ? Tu connais pourtant mon adresse ! Seul un tableau semble encore l’intéresser, cadeau d’un peintre qui l’avait même dédicacé. Progressivement, il regrette cette visite à son frère et surtout sa belle-sœur. Il souhaite au moins emporter le tableau, mais ceux-ci ne semblent pas le comprendre. Alors il part, sans rien, sauf un cahier qu’il avait écrit lorsqu’il était jeune. Et il revit une scène dans laquelle il ment à une jeune fille qui était amoureuse de lui. Elle tente de se suicider. Elle garde comme un fétiche un cendrier qu’il avait volé dans un hôtel. Il revit également les années passées avec sa femme, avant qu’elle ne meurt.
A la fin du roman (mais est-ce vraiment un roman qui raconte une histoire ou des réminiscences d’une réalité vécue ?), Josef retrouve Irena à l’hôtel. – Alors, comment te plais-tu ? Tu voudrais rester ? – Non, dit-il. Puis il demande à son tour : Et toi ? Qu’et-ce qui te retient ici, toi ? –Rien. Alors ils parlent, parlent encore de tout et de rien. Et ils boivent, ils boivent encore, du vin, de la bière, de l’alcool. Elle se donne à lui, dans une entente totale, avec des mots obscènes. Dans la tête d’Irena, l’alcool joue un double rôle : il libère sa fantaisie, encourage son audace, la rend sensuelle et, en même temps, il voile sa mémoire. Sauvagement, lascivement, elle fait l’amour et, en même temps, le rideau de l’oubli enveloppe ses lubricités dans une nuit qui efface tout. Comme si un poète écrivait son plus grand poème avec une encre qui, immédiatement, disparaît.
Pris d’une impulsion soudaine, elle sort de son sac le cendrier. Tu le reconnais ? Et elle comprend qu’il ne se souvient pas, qu’il ne sait même pas qui elle est. Elle finit par s’endormir. Il part, en laissant un mot sur le tapis : Dors bien. La chambre est à toi jusqu’à demain midi… Ma sœur. Il prend la route de l’aéroport et quitte Prague.
Pourquoi l’ignorance ? Pourquoi pas la nostalgie, souffrance causée par le désir inassouvi de retourner au pays. Kundera l’explique au chapitre 2 de son roman. La nostalgie est la souffrance de l’ignorance. Tu es loin et je ne sais pas ce que tu deviens. Mon pays est loin, et je ne sais pas ce qui s’y passe. (…) Il faudrait ajouter un complément : le désir du passé, de l’enfance perdue, du premier amour.
C’est le roman de ce désir qui s’écroule progressivement au fur et à mesure qu’il devient réalité, jusqu’à ne laisser qu’un goût d’amertume face à l’ignorance des autres qui font comme si l’émigré n’existait pas et comme s’il ne s’était rien passé. Il n’est plus. Il est mort à leurs yeux, ou plutôt, son existence hors du pays ne s’incarne pas dans ce retour. Alors le retour devient un nouveau départ ou un vrai retour dans le pays élu librement.
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01/01/2012
Nouvelle année !
Nouvelle année ! Plus elles passent,
Ces nouvelles années, plus elles semblent
Toujours les mêmes : une nouvelle année
Semblable à elle-même, petitement
Oui, vous vous réveillez la veille,
Comme tous les jours, hagard,
Vous comptez vos abattis et vos poils de cheveux
Et vous vous dites : tiens, demain…
Et ce soir, que faire ! bien sûr,
Vous êtes invités au réveillon
Qui consiste à diner, assis, engourdi,
En attente d’une heure qui vient difficilement
Minuit, tous s’empêtrent d’un même vocabulaire
On croirait un hôpital psychiatrique
Ou une publicité pour handicapé
Que de « bonne année », produits publicitaires !
Après ces paroles malheureuses
Vous rentrez chez vous, refroidi
La tête pleine de rire et de larmes
Et vous vous couchez, honteux
Alors, le jour se lève lentement
Vous admirez son remuement léger
Vous sentez monter en vous cette évasion
Que vous procure l’extinction de votre égo
Et en un instant merveilleux et unique
Vous ressentez ce nouveau jour, seul
Face à l’immensité de la vie
Comme une bouteille d’espérance
Vous la buvez en douce, colorée et sucrée
Vous en palpez le grain indolore dans la bouche
Vous souriez à l’éternelle envie
De poursuivre votre voyage terrestre
Un autre jour, nouveau, excitant,
Une autre vie à construire, libre
Vous courrez dans la mer des délices
Et chantez à en perdre la tête
Merci à cet univers insolite
Merci à ce Dieu méconnu
Qui fait de vous un homme
C’est-à-dire un être à conserver
Alors bonne année nouvelle
Comme ce beaujolais de novembre
Que vous soyez ivres de jours
Et fiers de vos nuits
Que les amis qui nous ont reçu hier soir se rassurent. Ce poème est, comme tous les poèmes, l'expression de l'imagination qui n'a rien à voir avec la réalité vécue d'une excellente soirée. Tous les premiers de l'an comportent immanquablement une soirée et, inéluctablement il y a un matin nouveau, riche d'une nouvelle année pleine de promesses. Morale de l'histoire : profitez chaque jour de ce que la vie vous donne, le soir comme le matin !
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31/12/2011
L'art du roman
Détenir une histoire dans sa tête n’est rien. Encore faut-il être capable de la raconter bien. Si le récit a son mot à dire dans l’art du roman, la manière de le dire importe encore plus.
Et, au fond, est-on sûr que raconter une histoire soit si important que cela pour faire un roman. En réfléchissant bien, sûrement pas. Il existe de nombreux romans qui ne constituent pas une histoire munie d’un début et d’une fin, avec une intrigue et des personnages. Par exemple, les romans de Milan Kundera sont un patchwork de récits courts de personnages qui se mélangent dans le temps et dans l’espace. Mieux, l’histoire peut être poétique ou encore se dérouler hors d’un temps mesuré, voire hors d’un espace défini. Enfin, un roman peut être bâti sans intrigue, de manière pouvant paraître illogique, et cette construction est faite volontairement par l’auteur.
De manière plus générale, on peut dire qu’il existe deux origines pour le récit d’un roman.
Soit celui-ci est fondé sur des souvenirs auquel, bien sûr, l’auteur ajoutera de nombreuses inventions de lieux, de temps, d’action, de personnages, ou encore mêlera sans aucune gêne des souvenirs appartenant à des moments et des lieux différents. Ce genre est parfois ennuyeux parce que l’on sent, sans pouvoir le préciser, cette pâtée mixte qui laisse de gros grumeaux dans un récit chaotique. Mais d’autres auteurs brossent de véritables bijoux à partir d’une expérience personnelle, telle Amélie Nothomb lorsqu’elle fait de ses souvenirs d’enfance un feu d’artifice de paillettes dorées et éblouissantes.
D’autres auteurs, construisent par l’imagination pure. Ces romans font souvent plus vrais, aussi bizarre que cela puisse paraître. La difficulté pour ces imaginaires est d’aller jusqu’au bout de leur épopée inventée, d’en créer des intrigues durables de la première à la dernière page. Admirons dans ce régistre Ken Follett dans son ouvrage "Un monde sans fin". En fait, tout dépend de la manière de construire le récit. Soit l’auteur se fie à une imagination démesurée et la laisse courir librement dans les champs en butinant de ci de là ; soit, au contraire, il construit méticuleusement le plan à suivre, préparant son livre dans les moindres détails jusqu’au déclic qui lui donnera le signal de commencer. Il peut arriver qu’il ne vienne jamais, malheureusement.
En réalité, la plupart des auteurs empruntent aux deux manières, mêlant la fiction à des souvenirs réels avec plus ou moins de bonheur. Ceux chez lesquels prédominent les souvenirs font généralement des romans courts, émouvants. Ceux pour lesquels l’imagination prédomine peuvent écrire des centaines de pages si la verve scripturale est avec eux. Entre les deux existe logiquement le roman historique, mixte des deux tendances, chemin étroit au bord du précipice de l'authenticité. Les deux manières font de bons ou de mauvais livres.
Une autre difficulté du roman est celle des dialogues. Allez dans une librairie et feuilletez les livres qui s’y trouvent. Vous serez frappé de voir que certains romans n’affichent que très peu de dialogues, alors que d’autres sont plutôt chiche en description de contextes ou de sentiments, seules comptent les situations et les réparties. On peut penser que cette différence tient à la psychologie personnelle de l’auteur. Est-il bavard, homme du monde, primaire ou serait-il un secondaire plus renfermé sur lui-même, mais pénétrant le monde d’un œil plus avisé ? Il est sûr que cela joue dans l’art d’écrire et même de se décrire.
Car derrière tout cela que cherche le romancier ? En fait, à se décrire lui-même au travers de tous ces personnages, en fonction de la multitude de personnes qu’il détient en lui-même. Nous avions déjà entraperçu notre difficulté à constituer un être unique, indélébile, constant en pensée et en action. Nous avions également constaté ensemble combien était importante et fragile cet équilibre entre la solitude et le partage, accomplissement nécessaire entre le moi et le soi (voir solitude et partage du 12 août 2011). Or cet équilibre est différent pour chacun. Il n’y a pas de règle, l’important est de le trouver, de pouvoir marcher sur sa crête et de s’y sentir bien, suffisamment bien pour avoir envie de le dire, de le décrire, de le donner en cadeau aux autres. Cela ne signifie pas que le roman sera forcément gaie, instructif, donnant une vision intéressante de la vie. Il pourra être difficile à lire, triste à souhait, mais il y aura toujours au-delà des premières impressions un arrière-goût d’optimisme, d’espoir, de lumière qui rappelle au lecteur que la fonction d’un romancier est avant tout de lui livrer sa vision de la vie, son expérience et ses espérances.
Mais tout ceci ne dit rien du style, de la phrase, de l’art d’écrire qui est aussi important, sinon plus, que tout ce que nous venons de dire. Il faudra en reparler un des prochains jours.
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27/12/2011
Oscar et la dame rose, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel, 2002)
Cher Dieu, Je m’appelle Oscar, j’ai dix ans, j’ai foutu le feu au chat, au chien, à la maison (je crois même que j’ai grillé les poissons rouges) et c’est la première lettre que je t’envoie parce que jusqu’ici, à cause de mes études, j’avais pas le temps.
Ainsi commence les lettres d’Oscar, enfant cancéreux à l’hôpital, dont tous savent qu’il va mourir, mais personne ne le lui dit.
Le second personnage important de l’histoire est Mamie-Rose. Elle est là en contrebande. Il ya un âge limite pour être dame rose. Et elle l’a largement dépassé. – Vous êtes périmée ? lui demande Oscar. Pas tant que cela, car elle est la seule à assumer la vérité de l’état d’Oscar et à lui dire, à mots couverts, mais il comprend. Alors elle invente son personnage, elle le dresse devant l’enfant et joue son rôle à merveille : catcheuse, tel est mon métier, lui dit-elle. Elle lui explique que Dieu n’a rien à voir avec le père Noël. Il faut lui écrire, comme cela il se sentira moins seul. – Moins seul avec quelqu’un qui n’existe pas ? – chaque fois que tu croiras en lui, il existera un peu plus. Alors l’enfant lui écrit et lui demande : est-ce que je vais guérir ? Il découvre que ces parents sont venus voir le médecin et qu’il n’ont pas eu le courage de venir le voir après avoir appris la triste nouvelle. Il veut voir Mamie-Rose et elle obtient l’autorisation de le voir tous les jours pendant douze jours. A partir d’aujourd’hui, tu observeras chaque jour en te disant que ce jour compte pour dix ans. – Alors, dans douze jours, j’aurai cent trente ans !
Dans ces lettres, Oscar raconte les autres enfants qui comme lui sont relégués dans leur chambre, s’amuse, donnent des surnoms tels que Bacon, enfant brulé,, Einstein pour une macrocéphale et Peggy Blue, l’enfant bleue. Elle attend une opération qui la rendra rose. Moi, je trouve que c’est dommage, je la trouve très belle en bleu, Peggy Blue. Il y a plein de lumière et de silence autour d’elle. – Est-ce que tu lui a dit ? – Je ne vais pas me planter devant elle pour lui dire « Peggy Blue, je t’aime bien ». Il ya aussi Sandrine, leucémique. Elle l’incite à l’embrasser. Mais il sait bien que c’est Peggy Blue qu’il aime. Mais elle est fiancée à Pop Corn. – Elle te l’a dit ? demande Mamie Rose. Alors il lui fait écouter son appareil de musique et lui dit : – Peggy Blue, je veux pas que tu te fasse opérer. Tu es belle comme ça. Tu es belle en bleu. Le lendemain, il est monté dans son lit. On était un peu serrés mais on a passé une nuit formidable. Peggy Blue sent la noisette et elle a la peau aussi douce que moi à l’intérieur des bras, mais elle, c’est partout. On a beaucoup dormi, beaucoup rêvé, on s’est tenu tout contre, on s’est raconté nos vies.
Mais Peggy Blue se fait opérer et bientôt part de l’hôpital. Alors, le jour de Noël, dans sa cinquième décennie, il fait une fugue. Il part retrouver Mamie Rose en montant dans sa voiture. Celle-ci invite les parents à venir chez elle. Quand ses parents sont arrivés, il leur a dit :
– Excusez-moi, j’avais oublié que, vous aussi, un jour, vous alliez mourir. Cela les a débloqués, car il les a retrouvés comme avant.
Il a maintenant quatre-vingt dix ans. Et ce jour-là, il comprend que Dieu est là. Qu’il lui dit son secret : regarde chaque jour le monde comme si c’était la première fois.
Cent dix ans. Ça fait beaucoup. Je crois que je commence à mourir.
Il meurt après avoir mis une pancarte sur sa table de chevet : « Seul Dieu a le droit de me réveiller. »
Livre cucu pour enfant ou adulte en mal d’émotion, me direz-vous. Oui, c’est vrai, il est facile d’utiliser un tel thème, qui rappelle un peu Love Story. C’est vrai, il est facile de faire pleurer les âmes sensibles avec une telle histoire. Mais si vous deviez écrire cette histoire, trouveriez-vous les mots pour la dire, dans toute sa vérité, avec une telle simplicité. Sauriez-vous écrire à Dieu et lui dire ses quatre vérités ? Sauriez-vous inventer Mamie Rose et Peggy Blue ? Sauriez-vous faire de la catcheuse une âme aimante et sagace ?
Le livre est court, mais il n’en est pas moins beau, intelligent, sans fausse sensiblerie. Il se lit en deux heures, mais vous le gardez au cœur pendant deux jours au moins.
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26/12/2011
Attente immobile, au fil des sons
Attente immobile, au fil des sons,
Qu’éclate dans le cerveau
Le pépiement inconsidéré
Du frottement des tissus
Et de la chair de poule
Qu’il procure… Frisson.
Je ne sais plus ce que je cherche.
Peut-être ta candeur
Toujours renouvelée,
Rafraichissante, émouvante,
Comme une source d’eau vive ?
Et je t’écoute. Cette voix
Qui sort du fond des âges
Et module sa tendresse
En volutes percutantes,
Enchanteresses.
Je me laisse bercer, hagard,
Au fil du temps qui s’écoule,
Et toujours repris par ton absence.
Encore une fois,
J’erre dans le jardin inconsidéré
De nos rencontres inopinées,
Pour admirer, chaque jour,
Le tremblement de tes cils
Et le signe de ta main,
Comme l’envol de la colombe.
Je repose et serre mes mains
Sur les tiennes, serres de verre,
Dans l’éclat de ton sourire.
Et nos regards croisés
Mêlent leur connivence
Au-delà de la bulle close
De notre amour de toujours.
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21/12/2011
Acide sulfurique, roman d’Amélie Nothomb
Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle.
Ainsi commence ce roman extraordinaire ! Il conte une émission de téléréalité, dénommée « Concentration », reproduisant les camps exécrables du nazisme, offerts aux spectateurs de tous les jours. Singulière omelette psychologique qui conduit à la mort. Est-elle réelle, on ne le sait et on ne le saura pas.
Il y a les acteurs du jeu terrible : les kapos, bourreaux impitoyables qui chaque jour décident qui doit mourir ; les détenus, pris parmi la population, au hasard des rafles ; les organisateurs, inconnus, souterrains et vils par leur inaction face aux souffrances des détenus, pour eux seule compte l’audience ; enfin, les spectateurs qui se repaissent des malheurs des détenus et s’insurgent contre les organisateurs, mais qui ne cessent de regarder à travers la caméra voyeuse.
Plus particulièrement, on suivra la kapo Zdena, brutale, défavorisée par la nature tant physiquement que psychologiquement. Elle est intriguée par la divine Pannonique, jeune fille de vingt ans, au visage angélique, ramassée un jour au jardin des Plantes. CKZ 114, ainsi s’appelait Pannonique, était désormais l’égérie des spectateurs. Les journaux consacraient des articles à cette jeune fille admirable de beauté et de classe, dont personne ne connaissait la voix. On vantait la noble intelligence de son expression. Sa photo s’étalait en couverture de nombre de revues…Peu à peu, CKZ devient l’obsession de Zdena. Elle brûle de connaître son prénom. Devant ce refus, elle use d’abord de la schlague. Puis, elle tente la douceur. Elle remplace sa schlague par une imitation inoffensive. Alors elle repose sa question et Pannonique répond : « Je m’appelle CKZ 114. » Le lendemain, nombre de chroniqueurs titraient : Elle a parlé ! Ce qu’il y a de plus singulier dans cet énoncé, c’est le JE. Ainsi, cette jeune fille qui, sous nos yeux consternés, subit la pire infamie qui soit, la déshumanisation, l’humiliation, la violence absolue, cette jeune fille que nous verrons mourir et qui est déjà morte, peut encore fièrement commencer une phrase par un je triomphant, une affirmation de soi. Quelle leçon de courage ! »
La kapo Zdena cherche alors à la corrompre avec du chocolat, car les détenus meurent de faim. Pannonique ne cède pas. Elle distribue le chocolat à sa chambrée. Mais lorsque la kapo envoie la protégée de la jeune fille à la mort, CKZ 114 se poste face à elle, plante ses yeux dans les siens et clame haut et fort : Je m’appelle Pannonique !
Désormais, c’est la lutte entre le bien et le mal qui domine. Pannonique a un besoin de Dieu atroce. Elle a faim de l’insulter jusqu’à plus soif… C’était le principe fondateur qu’elle avait besoin de haïr… Alors, elle serait Dieu pour tout. Elle s’essaye à aimer ZHF 911, une vieille, épargnée en raison des atrocités qu’elle profère et qui font monter l’audience. Il était terrible de se rendre compte que l’être le plus mauvais du paysage appartenait au camp des détenus et non au camp du mal. Pannonique aime réellement une petite fille, malmenée par un homme appartenant vraisemblablement aux organisateurs. Or un jour, à la sélection des condamnés du jour, la vieille et la fillette sont nommées. Les extrêmes s’attirent, on dirait.
Pannonique se tourne alors vers EPJ 327, un homme qui cherche toujours sa présence, car celle-ci est devenue sa raison de vivre. Zdena en conçoit de la jalousie. Elle prend conscience qu’il lui manque la parole : parler pour dire quelque chose. Je suis vide, pense-t-elle. Le lendemain, Pannonique déclare devant les caméras : Spectateurs, éteignez vos télévisions ! Les pires coupables, c’est vous ! (…) Quand vous nous regardez mourir, les meurtriers, ce sont vos yeux. Vous êtes notre prison, vous êtes notre supplice ! Et Zdena lui dit : Bravo. Je pense comme toi.
Désormais la conversation s’engage entre la kapo et CKZ 114, ou plutôt entre Zdena et Pannonique, deux êtres humains. Mais Zdena éprouve du désir pour la jeune fille qui se refuse. Or un jour, l’audience cesse de monter. Les organisateurs inventent donc une nouvelle règle : les spectateurs désigneront chaque jour ceux qui doivent mourir. L’audience repart en flèche. Zdena toujours éprise, accepte de préparer l’évasion de la chambrée.
Mais le lendemain, MDA 802, l’amie de Pannonique est désignée par les spectateurs. La surprise passée, Pannonique s’avança d’un pas et déclara : « Spectateurs, vous êtes des porcs ! Vous faites le mal en toute impunité ! Et même le mal, vous le faites mal ! » Alors la kapo Zdena intervient de façon extraordinaire. Elle exige que l’on relâche les prisonniers sinon elle fait exploser les cocktails Molotov qu’elle tient dans ses deux mains. Elle joue le rôle de sa vie, elle jubile. Elle contraint les organisateurs à faire appel à l’armée qui encercle le camp et laisse sortir les détenus sous l’œil des caméras. Pannonique comprend le revirement de Zdena et lui dit :
– Il faut que je vous dise l’admiration et la gratitude que j’ai pour vous. C’est un besoin, Zdena. J’ai besoin de vous dire que vous êtes la rencontre la plus importante de toute mon existence.
– Attends. Comment as-tu dit ?
– La rencontre la plus importante…
– Non. Tu m’as appelée par mon prénom.
Et, inversement, Zdena appelle pour la première fois CKZ 114 par son prénom : Pannonique.
Lorsqu’on lit les critiques littéraires, on reste ahuri d’une telle unanimité. Terne et gris : voilà ce qu'est le livre d'Amélie, en dit Mélanie Carpentier. Le menu nothombien de cet automne s'avère bien avarié. La voracité a fait place à la gloutonnerie, la finesse à la grossièreté, l'excentricité à la trivialité, écrit l’Express. Tant de bêtise, alliée à une telle absence de talent, décourage presque la protestation, proclame Le Nouvel Observateur. Enfin , Le Monde : "Eteignez vos postes !" Un cri aussi pathétique que ce roman, boursouflé de clichés, de lieux communs, de démonstrations pesantes et de dialogues insipides (...) la romancière montre ses limites et sombre rapidement dans le grotesque et le vain. On peut zapper.
Oserait-on penser que le monde médiatique, attaqué subtilement par ce roman, s’insurge contre une critique de son jeu ? Eh bien oui. Les organisateurs se font connaître par leur dédain, voire leur haine, de tout de ce qui attaque leur pouvoir. Ils n’acceptent l’imagination que si elle les caresse dans le sens du poil. Car finalement, les plus horribles dans ce roman, ce sont bien eux et leur espérance, leur désir, leur amour de l’audience, l’audience, l’audience…
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18/12/2011
Voilà... Quelques pas de plus
Voilà…
Quelques pas de plus
Un geste, toujours le même
Ébauché cette fois-ci
Vers les paysages inconnus
Où mène la route de la colline
Un regard échangé mollement
Une étreinte un peu plus chaude
Un sourire fatigué de sourire
C’est le soir d’une amitié
Qui ne durera qu’un jour
La fin d’un beau rêve
Abandonné sur la berge
Un jour où l’eau coulait
Plus lentement, par malice
On entend la sirène de l’usine
Et le ronronnement de la péniche
L’arbre teint de poussière blanche
Ne connaît plus la fête des oiseaux
Le chemin retourne vers le pont
Celui qui ouvre sur la ville
C’est le soir d’une amitié
Qui a duré le temps d’une promenade
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16/12/2011
Mathématique existentielle
Milan Kundera parle d’une mathématique existentielle à propos de rencontres très improbables entre personnes habitant dans des lieux éloignés l'un de l'autre et qui se sont connues il y a longtemps, dans un autre pays. La rencontre était parfaitement improbable, et cette improbabilité même fait tout son prix. Car la mathématique existentielle qui n’existe pas, poserait à peu près cette équation : la valeur d’un hasard est égale à son degré d’improbabilité (Milan Kundera, L’immortalité, 5ème partie - le hasard, 4).
Quelle belle formule. Certes très littéraire, mais la beauté littéraire est comme la poésie. Elle fait effet sans logique réelle. La phrase, les mots, la tournure même de ce qui est exprimée rend en un instant la compréhension plus claire, comme si nous montions sur un petit nuage pour contempler librement la vaste plaine d’une logique hagarde.
Et pourtant, que pourrait bien signifier ce terme de mathématique existentielle. Kundera ne l’explique pas. Il susurre simplement : « Que peut-on dire de sérieux sur les hasards de la vie, sans une recherche mathématique ? » Alors il rêve et dit : « Rencontrer inopinément, en plein Paris, une belle femme qu’on n’a pas vue depuis des années… » Et son interlocuteur, Avenarius, lui répond : « Je me demande sur quoi tu te fondes pour décréter qu’elle était belle. Elle tenait les vestiaires dans une brasserie qu’en ce temps-là je fréquentais tous les jours… En nous reconnaissant, nous nous sommes dévisagés avec embarras. Et même avec un certain désespoir, le même qu’éprouverait un jeune cul-de-jatte en gagnant une bicyclette à la tombola. Nous avions l’impression, tous les deux, d’avoir reçu en cadeau une coïncidence fort précieuse, mais parfaitement inutilisable. Quelqu’un semblait s’être moqué de nous et nous avons eu honte l’un devant l’autre. »
Si les mathématiques ne sont qu’un moyen de calcul du hasard, ils ne disent rien de ce que sera cette rencontre. A chacun de rebondir sur celle-ci ou de la laisser tomber. Le problème est d’ordre psychologique et non mathématique. Ainsi l’on reste libre de traiter ce hasard comme on l’entend, d’en faire un bien, un mal, ou un non événement.
06:49 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, psychologie | Imprimer
14/12/2011
L’autre jour, j’ai vu un homme
L’autre jour, j’ai vu un homme,
Un homme qui faisait les vitres.
C’est presque tout un chapitre,
Un chapitre où se perd un homme.
Il se dressait vers les carreaux,
Élevant ses bras aux cieux,
Pour ensuite tremper, le pauvre vieux,
Sa tirette de caoutchouc dans l’eau.
Ses lents gestes de somnambule
Étaient chargés de rêves et de pensées.
Son triste monologue courrait sur les roses fanées.
Par instant se formait une bulle,
Qui s’enflait et éclatait sous son nez.
Alors il pleurait doucement sur ses mains burinées.
06:43 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
10/12/2011
Oui, je me retrouve en toi
Oui, je me retrouve en toi
Lorsque tu me tends les bras
Et que tu penches la tête
Pour me dire, à mots couverts,
Je t’aime.
Lentement tu délies tes pensées
Pour ne plus avoir que celles
Que nous avions à vingt ans
Dans les yeux de l’autre
Sur le miroir de nos inconsistances
Installés sur la terre ferme
Emplis de nos réalités
Contemplons le chemin parcouru
Et admirons l’unicité désuète
D’un engagement à contre-courant
Oui, je me retrouve en toi
Moi-même, double de toi-même
Toi aussi, revêtue de ma nuit
Dans laquelle luit la lueur
Des amants extasiés et comblés
07:20 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
06/12/2011
Les yeux fermés : voyage
Les yeux fermés, le cerveau clos,
Roulements aigus des boggies sur le rail,
Avec le claquement plus sec des aiguillages,
Eclairs palpables des arbres devant le soleil,
Grattement d’une joue irritée par le dossier,
Une main alanguie reposant sur la cuisse,
Les pieds fouillant d’autres pieds, sous la table,
Odeur de jambon beurre en fond de tableau,
Rires étincelants de groupes s’ennuyant,
J’ouvre lentement des paupières alourdies
Sur un défilement de champs à rayures,
De bois à tronçons et d’étangs à la surface gercée.
L’horizon s’affaisse, éperdu,
En grandes taches sales et perverses
Pour proclamer l’envie d’un repos mérité
Taches aussi des vaches dans les prés
Comme des champignons sur le green
D’un golf imaginaire et mouvementé
Des voisins très sains, aux reins solides,
Qui devisent éperdument en solitaires
Jusqu’au sourire d’un regard lointain
Perdus dans leur monde déconnecté
Plus rien ne vient
Du tout à l’horizon
Empreinte commerciale
Des contrôleurs désabusés
Jusqu’à la gare noire
Le débouché aveuglant
Sur un parvis de voyageurs
Et de voitures ensablées
Patinant entre les corps
Circulant sur le chemin
Du retour éternel
Aux pistes inconscientes
D’une enfance heureuse
07:13 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, écriture, poème, poésie | Imprimer
02/12/2011
J’étais, je ne suis plus
J’étais, je ne suis plus
Je suis, je n’ai jamais été
Peut-on être et avoir été
Après t’avoir aimé
Et t’aimer plus encore
J’apprends une nouvelle vie
Je ne sais plus mourir
J’erre au pas de ta présence
Devenu immortel
Que te donnerai-je en échange ?
Je n’ai que l’amour sur les lèvres
Et cet amour meurt de ton absence
Mais tu es là et je revis
Tu m’aimes et je ris
Je t’aime et tu souris
Nous connaîtrons ce qui n’a pas été
06:30 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, poème, poésie | Imprimer
30/11/2011
Robert des noms propres, roman d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2002
Une petite fille, encore bébé, est recueillie par sa tante parce que sa véritable mère s’est suicidée. Elle ne sait pas qu’elle ne constitue qu’une pièce rapportée dans la famille et vit perplexe, regardant gravement, profondément les êtres qui l’entourent. Parce que ce regard gênait la maîtresse, elle est renvoyée de la maternelle. Ses parents adoptifs sont fous d’elle, car elle est tellement différente de ses deux présumés sœurs. Son ambition : être danseuse. Elle est inscrite au cours de danse et devient la coqueluche de tous les admirateurs du pas de deux. Mais à cinq ans, sa tante dut se résoudre à la mettre en classe. Ce fut le drame.
– Tu en mets du temps à réagir ! dit la maîtresse. Tous les enfants s’étaient retournés pour regarder celle qui avait été prise en faute. C’était une sensation atroce. La petite danseuse se demanda quel était son crime. – C’est moi qu’il faut regarder, et pas la fenêtre ! conclut la femme. Comme il n’y avait rien à répondre, l’enfant se tut. – On dit : « Oui, Madame » ! – Oui, Madame. – Comment t’appelles-tu ? demanda l’institutrice, l’air de penser : « Je t’ai à l’œil, toi ! » – Plectrude. –Pardon ? –Plectrude, articula-t-elle d’une voix claire. (…)– Eh bien, si tu cherches à faire ton intéressante, c’est réussi.
Elle ne s’intéressait pas à l’apprentissage de la lecture, et sa maîtresse désespérait. Or, un jour, elle lut comme une première de classe de dix ans. La maîtresse étonnée téléphona à ses parents. – Nous n’avons rien fait du tout. Nous lui avons seulement montré un livre assez beau pour lui donner envie de lire. C’est ce qui lui manquait. Nulle en mathématiques, Plectrude devint la bête noire de sa maîtresse. Ainsi, elle avait deux vies bien distinctes. Il y avait la vie de l’école, où elle était seule contre tous, et la vie du cours de ballet, où elle était la vedette. Fort heureusement, Roselyne, une danseuse du cours de ballet, arriva à l’école et devint l’amie de Plectrude.
Après quelques mois, elles inventent des jeux dangereux : se laisser ensevelir par la neige sans bouger, se laisser foncer dessus par un camion. Plectrude était à ce point danseuse qu’elle vivait les moindres scènes de sa vie comme des ballets. Les chorégraphies autorisaient que le sens du tragique se manifestât à tout bout de champ : ce qui, dans le quotidien, était grotesque, ne l’était pas à l’opéra et l’était encore moins en danse. « Je me suis donné à la neige dans le jardin, je me suis couchée sous elle et elle a élevé une cathédrale autour de moi, je l’ai vu construire lentement les murs, puis les voûtes, j’étais le gisant avec la cathédrale pour moi seul, ensuite les portes se sont refermées et la mort est venue me chercher, elle était d’abord blanche et douce, puis noire et violente, elle allait s’emparer de moi quand mon ange gardien est venu me sauver, à la dernière seconde. »
A douze ans, Plectrude cultivait son enfance. Elle se laissait aller au versant favori de son être ; consciente que, l’année suivante, elle ne le pourrait plus. Arriva un nouveau dans la classe. Mathieu Saladin avait une cicatrice partant de la lèvre. Elle en conclut qu’il s’était battu au sabre. La nuit qui suivit cette première rencontre, Plectrude se tint ce discours : « Il est pour moi. Il est à moi. Peu importe que ce soit dans un mois ou dans vingt ans. Je me le jure. »
Rien n’allait plus à l’école, mais Plectrude fut admise à l’école des rats. Le premier jour fut digne d’une boucherie : « Les minces, c’est bien, continuez comme ça. Les normales, ça va, mais je vous ai à l’œil. Les grosses vaches, soit vous maigrissez, soit vous partez : il n’y a pas de place ici pour les truies. » (…) « Huit heures à la barre par jour et un régime de famine, cela ne paraîtra dur qu’à celles qui n’ont pas assez envie de danser. Alors, que celles qui veulent encore partir partent ! »
Et Plectrude dansa, à avoir mal partout, sans manger. En trois mois, elle perdit cinq kilos. Elle se décalcifiât. Ce qui devait arriver arriva. Un matin de novembre, comme Plectrude venait de se lever en mordant son chiffon pour ne pas hurler de douleur, elle s’effondra : elle entendit un craquement dans sa cuisse. Hospitalisée, les médecins lui disent qu’elle ne pourra plus jamais danser. Revenue à la maison, elle finit progressivement par prendre plaisir à manger, mais sa mère dépérit et lui en veut de grossir. Elle lui parle sèchement à tel point que Plectrude lui demande : « Pourquoi me parles-tu comme ça ? Ne suis-je plus ta fille ? – Tu n’as jamais été ma fille. Et sa mère lui raconte tout. Tout s’effondrait. Elle n’avait plus de destin, elle n’avait plus de parents, elle n’avait plus rien.
Alors Plectrude se lance dans le théâtre et veut un enfant, comme sa mère, au même âge, dix-neuf ans. Après son accouchement, son œuvre étant accompli, elle décide de se suicider en sautant du pont Alexandre III. Au moment où elle allait sauter, elle entend : « Plectrude ! ». C’était Mathieu. Ils s’aiment. Ils se marient. Mais la fin du livre laisse sur sa faim, elle est non seulement insolite, mais difficilement compréhensible. Et à l’heure qu’il est, Plectrude et Mathieu n’ont toujours pas trouvé la solution.
Une fois encore, Amélie Nothomb nous interpelle. Une histoire menée tambour battant, plus de vingt ans de vie en quelques deux cent pages, des dialogues saisissants et opiniâtres, des rebondissements. Cependant la fin surprend, est insaisissable et laisse une impression d’incompréhension qui s’étend à l’ensemble du livre. Quel dommage !
03:00 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, fiction | Imprimer
28/11/2011
Multitude des attitudes
Multitude des attitudes,
Comme l’oiseau s’enfonce dans le vol
Après avoir reposé ses ailes recourbées
Dans l’air lourd et magnifiant
D’un vent du large, caressant
L’un d’entre eux marche sur la digue
Et enchante les hirondelles
De sa valse à cent temps
Il pousse le cri de victoire
Vers les bâtiments vides et délaissés
Un autre, plus vert et musclé
Revient au pas de course
De lointaines collines
Encore effarouché, essoufflé
Par la contemplation de l’avenir
Celui-ci tient son arrogance
A pleines mains, repu
Et chante à qui veut l’entendre
Le cri du vieux marin
Lorsque l’eau le pénètre
C’est un rêve sans doute
Le rêve de l’eau ensorceleuse
Qui secoue parfois fortement
L’errant de l’âme endormie
Ruisselant d’images, la nuit
Gnomes ragoutants et bruyants
Vous dévidez vos histoires
Et regardez leurs effets
Du haut de vos dix pieds
Comme des anges pervers
Et, un jour, emporté par le rêve
Vous découvrez un présent inexistant
Vide d’un passé chargé
Néant d’un avenir inenvisageable
Pour ne plus penser et vivre, enfin
03:11 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
23/11/2011
De sombres perles descendaient lentement de leur front
De sombres perles descendaient lentement de leur front
Tandis qu’ils courbaient leurs bras vers la terre nourricière
Une chaleur diffuse montait des herbes moites
En volutes incolores qui troublaient la quiétude de l’air
Ils se mouvaient en gestes lents comme des poissons
Écoutant de leurs ouïes les froissements de ouate
De la poussière blanche qu’ils déplaçaient en nuages
Chaque grain s’irradiait en s’élevant au soleil
Et venait ternir de poudre leurs visages
Le monde semblait pris d’un immense sommeil
Et ses lourdes paupières ne battaient que l’instant
Où une brise éphémère troublait la forme des prairies
Ce n’était qu’un soupir des arbres dans les champs
Exhalant l’ennui des terres assoupies
Ils allaient et venaient trainant leurs nageoires de paille
Comme un pélican alourdi par son bec après la prise
Leur pauvre grenier sur ses roues branlantes, entouré de volailles
S’éloignait dans la poussière soulevée par la brise
06:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, pésie, poème | Imprimer
19/11/2011
C'est dans un lit de rêve
C’est dans un lit de rêve
Aux coussins dorés et froids
Que j’ai parcouru les monts d’hier
Je suis entré dans la brume verte
J’ai écarté les filaments de verre
Qui masquaient le passage des éléphants
Pilotée de main de maître
Ma monture obéissait au doigt et à l’œil
Elle vaguait au fil des courants
Ballotée par un vent léger
Emprisonnant l’atmosphère
Au-delà le monde devenait acide
Avec un goût de pervenche
J’en pleurais des larmes de crocodile
Mais je poursuivis malgré cela
Dans les bras de prêtres invisibles
Et de femmes au regard flamboyant
Allant de l’avant toujours
Jusqu’au final aboutissement
Sur la montagne éclairée
Là, plus rien ne distinguait
La frayeur de la chaleur
Elle se diffusait lentement
Comme une senteur montant par les jambes
Pour s’emparer du corps
Et l’alourdir encore
De maigres bénéfices sans rapport
Alors, avançant la tête avec circonspection
Je marchais avec dignité vers la fin
Les épaules tombantes, l’œil morne
Pour m’agenouiller dans l’herbe
Et recevoir en final
Le don de planer
De la réalité au rêve enfantin
06:30 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
18/11/2011
Leçon d’écriture
La description faite par Murakami dans son dernier livre 1Q84 (livre 1, p.125 et suite) est suffisamment détaillée pour donner des idées à ceux que tente l’écriture. Le héros du livre est en effet chargé par son éditeur de revoir un roman écrit par une jeune fille. Ce dernier le trouve bon dans les idées développées, mais pas suffisamment bien écrit pour que le lecteur poursuive au-delà de quelques pages.
En fait, il était midi et demie lorsque Tengo s’attaqua à la réécriture… Pour le moment, il essaierait de corriger cette partie jusqu’à en être satisfait. Il ne changerait rien au contenu, mais il réorganiserait la syntaxe et modifierait radicalement le style. De la même façon qu’on rénove les pièces d’un appartement…
Entrant dans les détails, l’auteur décrit ses procédés de travail comme il expliquerait la façon dont il rend malléable le chewin-gum dans sa bouche pour jouer avec, tantôt l’étirant à profusion en longs et minces filaments, tantôt le concentrant en boule emplissant ses joues pour en goûter plus profondément la saveur.
J’ajoute des explications aux passages difficiles à comprendre à la première lecture. Je m’arrange pour que les phrases coulent mieux. Je coupe les endroits inutiles et les répétitions, je comble les lacunes…
L’écrivain se plonge totalement dans cette mécanique précise de la réparation d’un texte ou de son enjolivement. Il arrive à force de contorsions grammaticales et de recours aux manquements du texte à redéfinir son contenu sans cependant en modifier le sens. Il s’attache également à préciser le lecteur, ou plutôt les réactions du lecteur, se mettant à sa place et imaginant sa compréhension des descriptions.
Mais à quelle catégorie de lecteurs ce texte pouvait-il être destiné ? Tengo l’ignorait, bien entendu. Ce qu’il savait néanmoins, c’est que la Chrysalide de l’air était une fiction tout à fait unique, contradictoire, possédant une beauté originelle et de gros défauts, et qu’en même temps elle recelait un dessein particulier.
Cette première confrontation avec le manuscrit pour en modifier l’équilibre ne suffit bien sûr pas. Il faut se poser la question de la justesse et de l’équilibre des propos, retirer les lourdeurs incongrues, repeser les formules pour les assouplir.
A la suite de son travail, le texte devint deux fois et demie plus long que le manuscrit original. (…) A présent les phrases étaient devenues logiques et sensées, le point de vue était clair et la lecture d’autant plus fluide. Mais l’ensemble avait quelque chose de lourd. En privilégiant la logique, il avait affaibli l’acuité et le tranchant que possédait le début de l’original.
Alors, on se remet à la tâche : supprimer de la nouvelle version les passages non indispensables.
Le travail de rabotage était beaucoup plus facile que celui de remplissage… C’était une sorte de jeu intellectuel. Durant un laps de temps déterminé, il étoffait le texte, autant que possible, puis durant un laps de temps déterminé, il le réduisait, autant que possible. En poursuivant obstinément ces opérations opposées et complémentaires, l’amplitude diminuait peu à peu et le texte finissait par se stabiliser à un niveau d’équilibre satisfaisant.
Mais ce n’est terminé, loin de là. Après une pause, il reprend sa matière. Il imprime les pages réécrites :
Il posa alors les pages imprimées devant lui et relut attentivement l’ensemble, un crayon à la main. Lorsqu’il estimait qu’un passage était oiseux, il le rayait ; lorsqu’il sentait qu’un autre était médiocre, il le développait. Il continua ainsi ses corrections jusqu’à ce que les parties mal adaptées au contexte soient satisfaisantes. Comme on choisit un carreau pour combler un petit espace dans une salle de bain, il sélectionnait précisément le mot qui convenait pour tel passage, il vérifiait son ajustement sous des angles très variés. De minuscules nuances animaient le texte dans pour autant l’abimer.
Pas mal, songea Tengo après avoir entré dans sa machine les corrections faites à la main. Chaque phrase possédait un poids convenable, se lisait naturellement, sans à-coups.
Ainsi s’achève cette leçon d’écriture, passionnante de détails pour ceux qui s’essaient, insupportables pour les non initiés, encore insuffisantes pour les virtuoses du stylo. L’écriture ne serait qu’une vulgaire mécanique dont l’essentiel est un réglage de précision entre un récit qu’il faut raconter, uns syntaxe à utiliser consciencieusement et avec respect, des enjolivements rendant l’ensemble plus seyant, un équilibre de fortune, toujours remis en cause par un fragment à ajuster, par une impression à développer.
Et l’écrivain devient le mécanicien tourmenté par des bruits imprévus, des pétarades incongrues, qu’il faut éliminer pour qu’à la fin le ronronnement du texte apparaisse naturel, sans effort, déroulant son récit à la manière d’une coulée de chocolat dans un moule pour le transformer en appétissante friandise dont le lecteur va se pourlécher les neurones.
07:29 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman, écriture, écrivain | Imprimer
15/11/2011
L’aquarium émet des sons étranges
L’aquarium émet des sons étranges
Rires alourdis de mains ouvertes
Où chaque doigt cache
Un souffle de fumée
Les lits ouvrent leurs bas-flancs
A des jambes solitaires
Qui glissent dans leur ombre
Vers de longs tabourets
Et ceux-ci campés fièrement
Sur quatre pieds aux pattes décharnées
Offrent leur solitude
Au monde de chaleur
Une rangée de hallebardes
Dresse ses cache-flammes
A la brume prisonnière
Qui s’y attarde gaiement
Le soleil aussi semble profiter
De leur miroir d’huile
Pour caresser doucement
Sa longue chevelure d’or
Univers clos
Monde parmi le monde
A la recherche d’une âme
Dans les brumes de son corps
05:01 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poème, poésie | Imprimer
11/11/2011
Ne plus voir dans l'oeil que l'on croise
Ne plus voir dans l’œil que l’on croise
Ignorer les doigts fragiles qui se tendent
Ne plus même entendre les pas derrière soi
Ou la plainte silencieuse arrêtée sur les lèvres
Partir sur l’asphalte les yeux clos
L’oreille sourde, la main sur son bâton
Souvenirs encore de ce rêve ébauché
Un matin où le ciel rouge sur la ville
Ensanglantait les visages inexpressifs et muets
Puis le vide silencieux du dernier sommeil
Jusqu’au réveil étonné, dans la froideur du lit
06:43 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
09/11/2011
Antechrista, roman d’Amélie Nothomb
Le premier jour, je la vis sourire. Aussitôt, je voulus la connaître… Une semaine plus tard, ses yeux se posèrent sur moi… Le lendemain, elle vint vers moi et me dit bonjour…
Ainsi s’installe tranquillement Christa dans la vie de la narratrice, laquelle est timide, sans amie, mal à l’aise dès qu’il s’agit d’aborder quelqu’un. Très vite, elle invite Christa à venir coucher chez elle parce que celle-ci habite très loin. Dès l’entrée dans l’appartement, Christa devient dominatrice et humiliante. Après s’être mise nue pour essayer une robe, elle contraint l’auteur, Blanche, à faire la même chose : J’avais seize ans. Je ne possédais rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n’avais pas d’ami, pas d’amour, je n’avais rien vécu. Je n’avais pas d’idée, je n’étais pas sûre d’avoir une âme. Mon corps, c’était tout ce que j’avais. Elle finit par passer la robe ce qui fait dire à Christa : Elle me va mieux qu’à toi. Puis elle compare leur corps, cache le tee-shirt de Blanche qui doit courir après pour le récupérer. Sa mère entre alors : transformation de Christa, son rire, de démoniaque, devint la fraicheur même, une franche hilarité, saine comme son corps. Ma mère, stupéfaite, regardait cette adolescente nue qui lui serrait la main sans aucune gêne… Et je voyais que celle-ci, sans penser à mal, voyait le beau corps plein de vie de la jeune fille – et je savais que, déjà, elle se demandait pourquoi le mien était moins bien. Christa, en une soirée, séduit le père et la mère de Blanche, les tutoie et les appelle par leur prénom.
Le lendemain, ma mère déclara : Ta Christa est une trouvaille ! Elle est incroyable, drôle, spirituelle, pleine de vie… Mon père lui emboîta le pas : Et quelle maturité ! Quel courage ! Quelle intelligence ! Quel sens des relations humaines !
Ainsi est planté le décor qui permet à la perverse Christa de s’introduire dans la vie de Blanche jusqu’à devenir la fille chérie de ses parents : elle dort dans son lit, l’emmène dans des soirées étudiantes où elle lui fait connaître le flirt, s’impose comme la meilleur en tout et fait tout pour ridiculiser Blanche qui n’ose rien dire devant ses parents subjugués par cette jeune fille exquise. Mais celle-ci va trop loin. Elle provoque Blanche : Pourquoi tes parents parlent-ils tant pendant ces diners ? C’est à peine si je peux en placer une. Déjà qu’ils se servent de moi pour se rendre intéressants !
Blanche découvre toute l’ignominie de Christa, ou plutôt d’Antechrista, comme elle l’a surnommée. Celle-ci n’aimait qu’elle. Elle s’aimait avec une rare sincérité. L’amour était pour Antéchrista un phénomène purement réflexif : une flèche partant de soi en direction de soi. Il lui fallait maintenant ouvrir les yeux de ses parents. Elle part en voyage à Malmédy, lieu où habite Christa et découvre qu’elle lui a menti sur ses conditions de vie. Elle prend des photos, les montre à ses parents et très vite sa mère comprend. Son père téléphone au père de Christa et comprend également que celle-ci ne vit que par et pour le mensonge. Le lendemain, Christa joue l’offensée et part en claquant la porte.
Je ne raconterai pas la fin, car elle constitue une surprise de la part de Blanche, sa revanche. Cependant, dans la dernière page, c’est encore Christa qui a le dessus, de manière indirecte.
Antechrista est le roman de la lutte entre l’intériorité et l’apparence : d’une part, l’intériorité silencieuse et timide, n’osant dévoiler sa vérité, et, d’autre part, l’apparence avec ses mensonges, ses changements d’attitude où tout est conçu pour plaire, même en trompant. C’est sans doute le combat actuel qui se déroule dans les médias, quels qu’ils soient. Dans le roman, le combat est individuel et intimiste. Dans la vie médiatique, le combat est collectif et clamé par les tenants de l’information. Mieux vaut une information quelle qu’elle soit que pas d’information. Le monde pourra-t-il tenir longtemps ce mensonge permanent ?
08:10 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, roman | Imprimer
07/11/2011
Ce matin
Ce matin, tous les arbres ont la chair de poule.
Ils frissonnent aux éclats de lumière sur l’horizon
Et leur scintillement fragile les transforme
En kaléidoscope repu de frémissements.
De la fenêtre, je contemple l’horizon rouge,
Le ciel gris foncé entrecoupé de blanc.
J’entends l’oiseau bavard annoncer son réveil,
Je suis des yeux l’écureuil habile, d’arbre en arbre.
Vert, bleu et gris, quelques instants plus tard,
A la couleur laiteuse d’un ciel chargé,
Où seules les touches de blanc et de rouge
Apportent l’empreinte d’un jardinier attentif.
Et pendant que la terre tourne toujours,
La bien-aimée sommeille, les cheveux défaits,
Les jambes entortillées autour de draps tièdes,
Reposant, vivante malgré son inaction.
Encore un jour, encore une nuit,
Encore des années et des décennies,
Nous contemplerons chaque matin
La levée de tous les jours, main dans la main.
04:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
05/11/2011
Dernière promenade d’automne
C’est très probablement notre dernière promenade d’automne. Elle s’avère mélancolique et attendrie, puis se révèle enjouée et dépourvue de regrets voilés. Nous marchons dans la vallée étroite, sur un chemin aussi tortueux que le cours de la rivière que nous suivons, d’abord sur la chaussée carrossée, et, très vite, sur un sentier de gazon surplombant le serpent argenté qui lui-même coule entre les maisons basses, cherchant son chemin dans un dédale dû à l’exiguïté des lieux.
Les moulins se succèdent, silencieux en ce dimanche après-midi. Mais on les imagine aussi, grande bouche dévoreuse d’écume, recrachant des flots blancs et oxygénés qui par leur frénésie permet la mise en route de monstrueuses machines qui écrasent, dissèquent, coupent, aplatissent, divisent, transforment tout morceau de nature vivante et la met à disposition de l’homme, à ses pieds, pour qu’il en use, en abuse, la suborne et la jette, enfin lassé de leurs gémissements discrets.
Et plus haut, se découpant sur un ciel virginal, la ville, prisonnière de ses murailles, dominant la vallée comme une gardienne de l’éternité, contemplant cette nature modelée par ses habitants, qui reflète dans ses miroirs l’absence de soucis, l’heureuse et provisoire insouciance d’un après-midi de Toussaint, à la campagne.
Au détour d’un tournant, l’arbre éternel, envoûtant de ses grands doigts fragiles l’horizon, dessine un ovale parfait et majestueux, malgré une chevelure brouillonne, et vous convie dans la danse des insectes qui bourdonnent autour des silhouettes des passants.
Enfin la lente montée vers la muraille, entre les chênes rabougris et la rocaille coupante, qui coupe le souffle, mais allège le corps et lui donne l’apesanteur mystique des croisés à la vue de Jérusalem.
Alors vient l’envie de se jeter des murs vers l’horizon, planant lentement au dessus du moutonnement des arbres, dans un silence parfait, respirant les odeurs subtiles de la terre, des feuilles endolories, de la bouse de vache et du parfum des promeneuses qui ouvrent leur corps à la pâle chaleur d’un soleil qui commence à descendre derrière la colline. Volant entre ciel et terre, entrant dans les flocons cotonneux comme dans un bain d’eau froide et décapante, vous connaissez l’ivresse des jours sans fin non parce que le temps s’arrête, mais parce que votre esprit lui-même s’est arrêté, vide, éclairé par le scintillement permanent d’une absence de pensées aussi bénéfique que les crèmes adoucissantes dont les femmes s’oignent chaque matin pour aller, la tête en l’air et les pieds au sol, conquérir le monde en tant que beauté fatale.
Et pourtant la porte est étroite et Gide aurait sans doute fait de ce moment hors du temps un instant d’appréhension des principes qui font de la vérité humaine soit une évasion, soit un enfermement.
07:52 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, toussaint | Imprimer
03/11/2011
Ta voix, comme le centre du monde
Ta voix, comme le centre du monde
Venue d’on ne sait où
Enjambant les rivières, suspendues à un fil
Et pénétrant la maison jusqu’au centre de mon être
Je l’imagine aussi traversant la nuit
Sur l’ombre pâle des réverbères
Volant un sourire au promeneur tardif
Puis pénétrée du chant de la forêt
Avant de descendre du piédestal
De son véhicule filaire
Ai-je besoin de parler ?
Pourquoi perdre en quelques paroles
Cette musique lointaine et pourtant si vivante
Quelques mots encore, quelques phrases
Et je redeviendrai semblable
A la fois plus heureux et plus triste
06:14 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
30/10/2011
Partir, c'est l'attrait de l'inconnu
Partir, c’est l’attrait de l’inconnu.
Je pars et j’oublie…
Je me désolidarise de mon attachement
Au quotidien qui m’englue, douloureusement.
Je perds ma réceptivité aux tracas
Et entre dans l’ère du nouveau,
De ce qu’il convient de découvrir
Au-delà de ce que je sais et ce que je vois.
En avant vers l’inconnu, ouvert,
L’esprit vide, le cœur léger,
Sans existence autre que l’instant !
Et ces instants, un à un, s’accumulent,
Grossissent en grappes multicolores
Pour former un nouveau présent
Dans lequel, peu à peu, s’incrustent
Des cailloux coupants et déchirants,
De nouvelles inquiétudes indésirables.
Comment recréer cette harmonie
De l’inconnaissance et de l’absence,
Où le présent est seule forme de vie,
Seul paradis convoité et précaire,
Où, la tête dans les nuages,
Je contemple l’horizon
Et admire l’éternelle fraicheur
D’un monde sans consistance
Parce que sans souvenirs, ni attaches ?
Revenir, c’est réinvestir sa mémoire,
Entrer dans l’incroyable cohorte
D’évènements vécus et médités,
Ou encore dans l’impression d’un moment
Que rien ne devait privilégier
Et que vous redécouvrez, enjolivé,
Suspendu au balcon des annales
De jours grisâtres et ternes, pour éclairer,
Lanterne rouge, la marche du destin.
Alors, parfois, je pars, pour quelques minutes,
Et j’aère mon existence périlleuse
De petits vides sans consistance
Tels des bulles dans les tuyaux d’une perfusion
Qui me contraignent et me bousculent.
Les yeux exorbités, je regarde l’existence
Et me dit : J’aime l’inconnu
Pourvu de la beauté de l’ignorance
Et je révère les joyaux enfiévrés
Sur lesquels on s’assied, en prince de la vie.
Pourtant, garder cet équilibre délicat
Revient à marcher sur la ligne de crête
De l’aventure de l’homme au quotidien.
06:54 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
29/10/2011
Détachement et plénitude
Quel étrange émerveillement et quel appréhension de se retrouver, adolescent, dans un lieu aimé, la maison familiale, seul.
Emerveillement d’abord : Vous profitez de la vie, pleinement, courant de ci de là, touchant les objets interdits, rêvant le matin dans votre lit jusqu’à des heures indescriptibles aux autres, vous soulevez le couvercle du piano et vous laissez aller à une mélodie inconnue, vous ouvrez un livre de la bibliothèque habituellement fermée à clé et vous plongez dans des lectures jusqu’ici interdites, vous vous faites un sandwich en milieu de matinée au lieu d’attendre sagement l’heure du déjeuner et, quand celle-ci arrive, vous ne pensez plus à votre faim, occupé par d’autres propositions importantes telles que sortir la canne à pêche parce que vous avez vu sauter un poisson dans la rivière ou encore partir en bicyclette vous promener dans la forêt.
Mais dans le même temps vous ressentez une appréhension qui ne concerne pas le présent. Vous vous imaginez dans quelques années et vous considérez ces biens accumulés, ces objets entassés, ces souvenirs effleurant votre mémoire. Comment pouvez-vous bien faire pour que cela arrive, pour qu’un jour vous vous retrouviez avec des objets, différents, mais chéris de la même façon, avec une maison, si petite soit-elle, avec une vie empaquetée dans un périmètre défini, clos, vous appartenant ? Par quel miracle réussissez-vous à rassembler ces souvenirs qui sont d’abord des acquisitions ? Et vous êtes pris d’une appréhension devant la vie, d’une inquiétude pour vos capacités à faire de même, d’une crainte d’un avenir difficile où il faut travailler, travailler encore pour arriver, misérablement, à collecter de quoi subsister, puis de quoi vivre, puis de quoi s’épanouir, en pleine connaissance de cause.
Et progressivement, sans heurt ni évènement particulier tout ceci survient imperceptiblement. Mieux encore, vous connaissez le paradis grâce à une présence à vos côtés qui vous réjouit pour la vie. Et celle-ci s’écoule, de manière hachée si l’on considère chaque jour, avec sérénité si l’on considère les années.
Quel étrange sentiment quand vient le temps où tout ceci n’a plus d’importance, où seul reste ce qui vous lie à d’autres humains, à commencer par votre propre famille. Vous disposez de tous ces biens et vous devenez conscient que tout ceci importe peu. Votre richesse est dans l’instant, déconnectée des objets accumulés. Elle est dans votre compréhension de chaque moment, pleinement, sereinement, même si, toujours, vous êtes poussé à réaliser, à créer, à aimer. Mais vous le faites dorénavant avec recul, vous regardant agir pour mieux en profiter.
Et le soir venu, vous accumulez dans votre mémoire secrète ces instants merveilleux où vous vous êtes vu entreprendre ce que vous aviez toujours souhaité, mais que vous n’avez jamais eu le temps de faire. Et vous vous dites : « Quelle heureuse vie j’ai eu et quel est mon bonheur lorsque j’entame une activité rêvée que je peux maintenant accomplir ! »
Ainsi, vous songez à tout ce que vous voulez faire et vous rendez compte que, probablement, votre vie n’y suffira pas, mais vous l’aurez vécue pleinement, dans la joie de la création. Mais surtout, ne jamais se dire, j’ai fini ! Il y a toujours à créer, chercher, découvrir, concevoir. C'est ça la vie !
03:38 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vie, accomplissement, littérature, plénitude | Imprimer
25/10/2011
Contrepoint, roman d’Anna Enquist, Actes Sud, 2010
C'est une visite particulière des variations Goldberg, vue par une femme :
La femme s'appelait tout simplement "femme", peut-être "mère". Il y avait des problèmes d'appellation. Il y avait beaucoup de problèmes. Dans le conscient de la femme, des problèmes de mémoire affleuraient. L’aria qu'elle examinait, le thème à partir duquel Bach a composé ses Variations Goldberg rappelait à la femme des périodes pendant lesquelles elle avait étudié cette musique. Quand les enfants étaient petits. Avant. Après. Elle n’était pas à l'affût de ces souvenirs. Sur chaque cuisse un enfant, puis se débrouiller tant bien que mal, les bras autour de leurs corps, pour produire ce thème ; pénétrer dans la petite salle du Concertgebouw, voir le pianiste entrer sur scène, attendre le souffle coupé l’octave dépouillée de l'attaque - sentir le coude de la fille : "Maman, c'est notre air !" Ce n'était pas le moment. Elle voulait seulement penser à la fille. La fille quand elle était bébé, fillette, jeune femme.
Aria, des variations Goldberg, joué par Glenn Gould :
http://www.youtube.com/watch?v=Gv94m_S3QDo
Cette femme est musicienne, concertiste même. On ne comprend qu’à la fin du livre qu’elle a eu un grave accident au cours duquel sa fille, la fille, a perdu la vie. Cette visite des variations Goldberg, une par une, effeuillant des sentiments et des souvenirs selon la variation, est une thérapie qui permet d’évoquer l’être disparu, bébé, petite fille, jeune fille, femme, sans jamais tomber dans le sentimentalisme, la morbidité ou même l’asthénie. C’est, à travers l’analyse de chaque variation l’évocation de souvenirs tendres, simples, si simples qu’on ne se rend pas compte qu’il s’agit d’une évocation d’évènements douloureux.
Tiens, prends les Variations Goldberg, par exemple. Tu joues l'aria. Mais non, pensa la femme, je ne jouerai jamais plus cette aria. Bon, mets-le au passé, tu as joué l'aria, cet air tranquille, tragique. C'est une sarabande, écoute, un rythme solennel et l'accent sur chaque deuxième temps, une danse lente, peut-être majestueuse. Tu jouais l'aria avec ardeur, avec passion, avec l'obligation d’un sans faute. Les notes prolongées se multipliaient vers la fin en guirlandes de doubles croches, sans pour autant que la cadence perde de son sérieux. Tu ne cédais pas à la tentation de te mettre à jouer plus doucement, en chuchotant à la fin, de conclure par un soupir à peine audible. Non, même à l’époque déjà, tu laissais ces tristes festons aller crescendo au-dessus de la ligne de basse progressant tranquillement, il ne fallait pas se précipiter, et même plutôt ralentir imperceptiblement - mais le tout avec force. Jusqu'à la fin.
C’est un journal qui ne le dit pas, un journal au fil des partitions, tantôt lent, calme, serein, tantôt pressé, courant de souvenirs en souvenirs. Et la femme se reconstruit dans cette analyse des variations de Bach :
L’étude obsessionnelle lui avait permis de savoir jouer les variations, mieux que jamais auparavant, mieux que lorsqu'elle était en bonne santé et complète. Cela aussi l’étonnait, il aurait dû être impossible qu'une pianiste abîmée et amputée puisse connaître sur le bout des doigts cette œuvre compliquée. Elle y était parvenue, en dépit de et grâce à la blessure. Son cerveau endommagé avait réussi à s'imprégner des notes et à distinguer les mélodies. Au rythme de la musique, elle avait chaque jour pu respirer un certain temps naïvement. Par des voies détournées, Bach lui avait donné accès à sa mémoire : chaque variation évoquait des souvenirs de l'enfant, qu'elle notait dans 1e cahier. Avec méfiance, car les souvenirs sont des mensonges. Avec retenue, car elle ne voulait pas faire de sentiment.
Ce n’est que dans les dernières pages que l’on comprend ce lent cheminement au travers la musique si bien construite de Bach, si pleine de calme physique, de douceur des émotions, d’équilibre d’une rationalité invisible, d’ouverture mystique.
Le voyage interminable pour rentrer à la maison, en état de choc total. Les trains, les avions. Les amis attendant en silence dans le hall de l'aéroport. L’enfant froide. La maison pleine de monde, un soir après l'autre. Les pourvoyeurs de repas, les scripteurs d'adresses. Les aides.
L’enfant froide. (…)
La toilette, l'habillage, les soins et la disposition. La petite couverture, la poupée. L’adieu. La levée. Le transfert. Le port. L’installation dans l'endroit où elle va désormais rester. La prise de possession du cimetière comme annexe au salon. Le trépignement devant la grille fermée après quatre heures.
Et comme dans les variations Goldberg, le livre s’achève par une méditation sur l’aria final comme il avait commencé sur l’aria introductive.
Derrière les fenêtres l'été est brûlant. A l'intérieur, il fait sombre et frais. Elle allume la lampe du piano. "Allez viens, dit-elle à sa fille. Je vais te jouer un morceau. Je l'ai beaucoup travaillé. Ecoute." Puis s’épanouit l'aria. Les sons de l'ensemble des trente variations vibrent à chaque note ; l'air simple entraîne derrière lui sans peine un cortège de souvenirs. Il se déploie avec une évidence désarmante. Il contient tout ce qu'aime la femme. (…)
L’avenir s'est retiré dans le recoin le plus éloigné de la pièce. Dehors, la vie continue son insoutenable progression. Dans un petit monde, détaché de l'espace et du temps, la mère joue un air pour son enfant. Pour la première et la dernière fois. La jeune fille s'appuie contre son épaule. "C'est notre air", dit-elle. La mère acquiesce et amorce le crescendo des dernières mesures ; imperturbable, elle fonce vers la fin. A la toute dernière mesure, elle sautera la reprise et aboutira sans ornement à la double octave vide. Dans ce vide se trouve tout. Maintenant elle joue, maintenant et toujours la femme joue l'air pour sa fille.
Contrepoint est un beau livre, discret, intime, qui dévoile le cœur d’une artiste et d’une mère avec douceur, dans le déroulement quotidien des faits simples et l’étude ardue des partitions. Cet entremêlement de la musique et de la vie devient une thérapie douce qui conduit la femme du désespoir à l’acceptation. Le roman est parfois un peu long, un peu lent, mais, au-delà de la femme, on découvre la vie intérieure de Jean-Sébastien Bach, celle de la naissance de ses œuvres, de son architecture musicale dévoilée par la méditation de chacune des variations.
01:36 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, musique, bach | Imprimer
24/10/2011
Éternellement toi
Éternellement toi
Ombre de mes pas
Ton chant m’atteint
Suis-je encore sans toi
Au plus profond de nous-mêmes
Se tient la lampe de nos amours
Ton visage revêtu de lumière
Comme une goutte de rosée
Prisonnière de l’aube naissante
Hante mes nuits de rêve
Je te regarde pour voir
Et tu es devenue mon œil
Image de mon image
Reflet d’un autre reflet
Nous sommes comme deux miroirs
Je me regarde en toi
Comme tu te vois en moi
Ensemble nous courrons
Sur le miroir de notre inconnaissance
Puis, le soir, revenus en nous-mêmes,
Tu me dis ce que tu es
Et je sais qui je suis
Alors je sombre au cœur de notre innocence
04:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, poème | Imprimer
23/10/2011
Expansion matinale
Vous avez sans doute un matin, alors que le ciel était encore noir, eu l’envie soudaine d’assister à l’expansion matinale de la lumière, irréalité vérifiable qui se reproduit chaque jour depuis la nuit des temps.
Ainsi vous vous levez en catimini, vous vous habillez et partez dans la campagne, frissonnant de froid, mais l’esprit clair et léger, pour assister à la naissance du jour, à l’expansion de la lumière, depuis le moment où la moindre lueur germe dans un coin de l’horizon, jusqu’à l’instant où le mystère disparaît, effacé par la vision brute d’un monde sans voile. Instant magique, pendant lequel les couleurs se transforment, pâteuses sous la brume, blanchies au regard et au toucher.
Et vous admirez ce mystère du vert qui est bleu, de la terre qui se fait chocolat, du ciel qui se teinte de rose à l’horizon, juste au dessus de la ligne bleu pastel flottant au delà des arbres bleu canard, au plus profond de la vue. Et toutes ces touches de teintes se fondent progressivement dans le bleu turquoise, presqu’aigue-marine, d’un ciel qui s’éclaircit avec rapidité, dévoilant sa limpidité comme une fiancé le fait devant celui qu’elle aime. Quelques trainées roses stagnent au dessus du contraste visuel du paysage encore non distinct, barres menues prédisant la venue du jour.
Alors vous contemplez la montée du disque magique, d’abord petite pointe de rose dans cette marée bleue, puis éclair vivant au travers des arbres pelotonnés sur la ligne lointaine de la naissance de la vie, puis soucoupe rouge envahissant la perspective, imprégnant l’œil d’une rosace furtive, comme si vous aviez chaussé une paire de lunettes roses dans une piscine bleu marine. Enfant émerveillé, vous vous laissez envahir d’une légèreté nouvelle, d’une aspiration fraiche, jusqu’au moment où le disque dépasse ces limbes rampantes pour s’élever au-delà, dans l’azur incommensurable de l’univers dévoilé et ouvert comme un livre devant vous.
Changement de couleurs, le ciel devient jaune au dessus du bleu pétrole, presque noir de la perspective. Les trainées roses blanchissent et reflètent la lumière au lieu de simplement la tamiser. Le miracle est accompli, ou presque. D’ici quelques minutes, le paysage sera dévoilé, défloré, et vous reprendrez le chemin de votre maison, aérien, courant en pensée dans l’univers des couleurs, cueillant de ci de là les touches irréelles de la beauté si simple et si pure d’un matin comme chaque jour, mais que vous avez contemplé et qui vous a transformé.
07:23 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, littérature | Imprimer
20/10/2011
Le vin
Rouge, transparent, cristallin, pur,
Que vous regardez en soulevant le verre,
Que l’on admire d’un œil gourmand,
Qui résonne de sons grêles et harmonieux,
Qui enchante le regard avant le palais
Et que vous portez à votre nez
Pour en sentir les effluves, douces,
Chatoyantes, légères comme un parfum,
Avant d’en prendre une gorgée, petite,
Froide ou tiède, que vous laissez couler
Avec ferveur, dans votre bouche
Pour la malaxer et ronronner
Jusqu’à en extraire l’ensemble du fruit,
De la banane à la framboise,
Des bois d’oliviers aux arbousiers,
Et laisser mourir en vous
Les derniers arrière-goûts, fragiles,
Du nectar que vous avez amoureusement
Ouvert, éventé, effeuillé, humé,
Et finalement savouré.
Quelle étrange religion que celle-ci !
Encensée par son pouvoir de transformation,
Reçue chaque jour par la prêtrise,
Rejetée vigoureusement
Par les imams en mal de fatwa,
Interdite aux femmes enceintes
Comme un poison symbolique,
Recommandée par certains médecins
Aux malades en mal d’éprouvettes,
Ingurgitée par la jeunesse
En recherche de sensations,
Rejetée par les experts en œnologie
Pour garder le goût sûr et solide,
Bue par le commun des mortels
Simplement, benoitement, modestement.
Et tout ceci par le fait incroyable
D’un plan de vigne sur un coteau
Inondé de lumière, abrité du froid,
Biné, sarclé, désherbé, fumé,
Par les mains d’un vigneron
Qui tient amoureusement chaque plant
Avant d’enfouir ses racines en terre
Et de le regarder pousser, s’enjoliver,
Se démultiplier, étendre ses tentacules,
Et faire naître au printemps quelques billes
Vertes, étranges, rassemblées ridiculement
En paquets qui deviendront des grappes
De raisins juteux, fermes, colorés,
Que l’on prend dans sa bouche
Pour en déduire l’esprit du vin futur.
Don des dieux,
Miracle de la nature,
Art de l’homme,
Pour satisfaire
La montée vers les cieux
Ou la descente aux enfers,
Selon les a priori de chacun.
04:29 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, vin, boisson | Imprimer