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31/12/2013

Sont-ils, eux, qui ont tout ?

Sont-ils, eux, qui ont tout ?
Vous ne savez pas qui ils sont
Mais nous avons les preuves
De leur existence folâtre

Reflux… Retour en soi-même…
Une petite pièce, obscure,
Boursouflée et non meublée
Là, il va et vient, sans pensée
Il agite ses pieds, il regarde ses mains
Il secoue la tête, inconsolable
Viens, dit-il, viens près de moi
Solitude du chasseur 
Qui attend le fusil à la main
Prêt à tirer sur tout ce qui bouge
Mais qui ne voit pas
Que rien ne bouge en lui
Il est mort à la vie
Il survit par faiblesse
Par extension d’insuffisance
Plus de gaz dans le moteur
Il n’y a personne au téléphone
Qui sonne dans le vide de la pièce
Assis par terre, étendu
Il ne dort pas, il rêve
Et ce rêve n’a rien de drôle
Il se voit dans un marécage
Et ne consent à survivre
Que parce qu’il ne peut faire autrement

Evacue, évacue, meurs à toi-même
Et tu revivras transformé
L’échec n’est qu’un mauvais moment à passer
Ouvre ta porte et sors au soleil
Laisse-toi éblouir
Et envole-toi dans les cieux
Frappé de la pâleur des survivants

Je suis et ne peux m’en défaire
Mais je peux devenir autre
Allons… Partons…
Rien ne me retient plus…

© Loup Francart

30/12/2013

Mon oncle d’Amérique, film d’Alain Resnay, 1980

 

cinéma, thèse, art et essai, année 1980Prenez une théorie, celle du comportement humain, illustrez-la par des séquences de vie, commentez ces séquences, entrecoupez-les d’images de vieux films, comme des réminiscences inconscientes, et vous aurez le film d’Alain Resnay. L’homme n’est pas libre. Sa part d’inconscient guide la plupart de ces actions, guidée par l’instinct de domination. Les théories du professeur Laborit, certes contestables, servent de fil directeur au scénario. Elles sont énoncées d’une voix off, celle du professeur lui-même, comme un cours distillé dans l’épaisseur des vies qui se déroulent devant nous. Au commencement du film, on voit difficilement le rapport entre l’énoncé de la théorie et les personnages eux-mêmes. Puis progressivement les deux aspects du film se rejoignent, s’enchaînent et finissent sur un constat : tant que l’on n’aura pas diffusé la façon dont fonctionne le cerveau de l’homme, il y a peu de chances qu’il y ait quelque chose qui change.

La théorie :

La seule raison d’être d’un être, c’est d’être, donc de se maintenir en vie.

Les plantes peuvent se maintenir en vie sans se déplacer. Grâce à l’énergie du soleil, elles transforment la matière inanimée qui est dans le sol en leur propre matière vivante.

Les animaux se maintiennent en vie en consommant. Ils sont donc obligés de se déplacer et d’agir dans l’espace. C’est le cerveau qui lui permet d’assurer sa survie, car le cerveau ne sert pas à penser, mais à agir.

Dans le cerveau de l’homme, trois cerveaux superposés cohabitent. Le premier cerveau, le cerveau reptilien, déclenche les conditions de survie immédiate : boire, manger, copuler. Le cerveau limbique, cerveau de l’affectivité ou de la mémoire permet d’agir en fonction de ce qui est agréable ou désagréable (un être vivant est une mémoire qui agît). Enfin le cortex cérébral ou cortex associatif garde la trace des expériences passées et les associe au présent.

Les deux premiers cerveaux fonctionnent de façon inconsciente. Ils agissent par pulsion et automatismes culturels. Le troisième fournit un langage explicatif donnant un alibi au fonctionnement inconscient des deux premiers. L’inconscient est une mer profonde et la conscience n’est qu’une écume qui naît à la crête des vagues.

Ces trois cerveaux engendrent quatre types de comportement : comportements de consommation, de gratification, de punition et d’inhibition qui débouche sur l’impossibilité de dénouer une situation, donc sur l’angoisse.

Quand deux individus ont des projets différents ou le même projet et qu’ils entrent en compétition, il y a un gagnant et un perdant. Il y a établissement d’une dominante d’un individu sur l’autre. Il y a apprentissage de la nécessité de conserver à sa disposition un être désiré par un autre être. Et s’il veut le garder, il devra dominer.

L’histoire :

Y a-t-il vraiment une histoire ? Des scénettes au début du film, sans lien entre elles. Puis progressivement tout cela s’enchaîne et se ramène à trois destinées, prises dans leurs exigences et leurs défauts, s’enferrant dans leurs erreurs : celle d’un fils de paysan devenu directeur d’une usine de textile, celle d’un directeur des informations, menant en même temps une carrière politique et littéraire et celle d'une fille de militants communistes devenue styliste.

 

Le jeu des acteurs est périmé. L’enchaînement des deux thèmes, l’histoire des personnages et la thèse défendue par le professeur Laborit, se fait parfois difficilement. Cependant c’est du Resnay, donc un bon cinéma, quoiqu’on en pense. Il défend l’idée que l'homme n'est fait que de son contact avec les autres hommes. « Tant que l'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent, tant qu'on n'aura pas dit que, jusqu'ici, ça a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chances qu'il y ait quelque chose qui change. »

29/12/2013

L'éternité

Seules les choses temporelles peuvent nous donner une idée de l’éternité. Les concepts peuvent nous expliquer de quoi il s’agit, mais comprend-on réellement avec l’intellect ?

vie,éternité,temps,espace,présenceD’abord l’absence de temps. Chaque seconde est toujours la même seconde. Il n’y a d’ailleurs plus de secondes. Bien pire que d’imaginer un monde sans espace ou à l’espace illimité. Je suis à la fois en un point et en un autre. Mais l’espace n’existe que parce qu’il existe des objets. Sans consistance, pas d’espace. La présence crée l’espace. De même pour le temps. Sans existence, sans une présence, pas de temps. La vie, quelle qu’elle soit est à l’origine du temps et de l’espace. Pas seulement la vie humaine ou animale ou végétale, mais la simple présence de quelque chose, ne serait-ce qu’un grain de poussière d’étoiles.

Je ferme les yeux : un trou noir. Je ne suis qu’une enveloppe vide. Je perçois la différence entre le monde et moi-même, mais cela se limite à une fine pellicule transparente. Elle s’emplit aussitôt. Je reviens à moi-même. Serais-je un placard qu’on s’empresse de remplir de tout ce qui traîne ? On ferme la porte et on s’en va, sans bagage.

Cette éternité ne dure pas. Elle est tellement fugace qu’elle n’existe qu’une seconde, la première. Aussitôt après, je suis envahi d’images et la vie repart. La vie serait-elle inconciliable avec l’éternité ? L’éternité serait-elle le contraire de la vie ? Existe-t-il un lien entre l’éternité et la vie. Certainement, sinon l’éternité ne pourrait être conçue.

L’image de l’éternité : Quatre heures du matin, un lampadaire éclaire d’une lueur jaunâtre le vide de la nuit. On distingue au loin les lumières de la ville d’Annecy, au-delà du lac, une étendue lisse, sans aspérité, uvie,éternité,temps,espace,présencene coupure de l’espace. Pas un bruit, pas un mouvement, rien ne vient troubler le calme envoûtant. Derrière la fenêtre, le gel. Ici, il fait chaud. Ça permet de penser. Et l’image de l’éternité s’incruste dans le cerveau comme un rêve sans fin. Je suis aspiré par l’étendue du lac et par ces quelques lumières qui se cachent derrière. Je suis souple et ferme comme cette eau invisible qui reflète la vie. Laisse-toi faire et plonge dans ce miroir qui te raconte ce que tu es.

28/12/2013

Départ

« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. »


Certains jours le monde extérieur reflète le monde intérieur et inversement. S’agit-il d’osmose, de dérive ou d’accident temporaire ?

Il se plongea dans la purée de pois, fermant ses écoutilles : les yeux d’abord, mi-clos ; puis les oreilles, épaissies par le fracas des gouttes sur le zinc ; et même le toucher, froid et glissant comme une couleuvre. Seul le goût de la pluie coulant de sa coiffure gardait un air salé, souvenir des embruns du mois précédent. Il avançait lentement, évitant les flaques, s’écartant des passants, tenant ferme sa petite mallette contenant son ordinateur.

Soudain, un corps s’empara de celle-ci, d’un geste brusque qui lui démantela le bras. « Ma mallette ! », cria-t-il à la silhouette qui déjà s’estompait dans la brume. Il tenta de courir derrière l’homme, mais celui-ci était trop vif, trop rapide et connaissait les lieux avec une certitude instinctive qu’il ne pouvait égaler. Il était nu sous la pluie, suffoquant, cherchant de l’aide qu’il ne trouvait nulle part, amnésique.

Quel effet ! Plus rien pour lui dire qui il est, ce qu’il doit faire, quels sont ses projets. S’il savait lire, il ne pouvait écrire qu’avec un clavier. Non, il n’était pas infirme. Il avait été formé à l’école du futur, à l’aide d’une tablette sur laquelle il tapota d’abord avec la main, maladroitement, puis avec un doigt, plus habile, enfin avec deux, puis trois, puis quatre, jusqu’à dix doigts. Il tapait aussi vite qu’il parlait. Ses fautes étaient corrigées fur et à mesure de leur apparition sur l’écran. Il n’avait pas de mémoire. Pour quoi faire ? Ce qu’il pensait, ce qu’il savait, ce qu’il vivait même étaient enregistrés sur son ordinateur, dans des fichiers bien ordonnés, classés par année et par thème avec un moteur de recherche associé fonctionnant par intuition et association d’idées. Il était de ces rares êtres humains qui se souviennent de tout, sans difficulté. L’école en faisait des surhommes qu’on ne peut tromper.

Pourtant, aujourd’hui, le 27 décembre 2013, il n’était plus rien. Le vide, le trou, l’absence, le noir, le saut sans bretelles. La pluie le lavait. Sa façade s’éclaircissait et l’on ne voyait rien au-delà, juste une sorte d’auréole transparente, opaque, mais sans consistance, un spectre qui se remuait sans intention.

Alors il partit la tête haute, sans hésiter, pour marcher sans fin dans une ville inconnue, jusqu’à échouer dans une nouvelle gare et reprendre un train pour on ne sait où.

27/12/2013

La nuit

La nuit, quand seule tourne
L’aiguille aigre de l’horloge
A la cadence de la course terrestre
Dans l’espace scintillant
Et que les couleurs anéanties
Se rêvent à la forme des objets
Comme un aveugle ignorant
Je te tends les bras pour retrouver
La douceur de ton visage inachevé
Et la chaleur de ton corps
Qui bat lentement dans ton repos
Au rythme éternel de la vie

© Loup Francart

26/12/2013

La chute des anges, chorégraphie du Nederlands Dance Theater

http://www.youtube.com/watch?v=VFcJ0a3aBJs


Le rythme et l’association-dissociation.

Des insectes dans une boite s’auto-affolant ou des grâces prises parfois de folie ?

Le combat de fourmis dans la forêt équatoriale !

Une beauté insolite, extra-planétaire, en rupture avec l’habituelle idée de l’harmonie. Et ce rythme obsédant, percutant, épuisant qui vous envoûte.


La chute des anges : Telles des mécaniques, elles déroulent un incessant ballet que l’on ne peut prévoir, tantôt dans un ensemble parfait, tantôt en dissociation complète. C’est surprenant, insolite, d’une beauté loufoque, mais raisonnable. Un équilibre en permanente rupture.

25/12/2013

Noël : le mystère divin

 Le Christ serait-il né mille fois à Bethléem
S'il ne naît en toi, ton âme reste solitaire.
La Croix du Calvaire tu contemples en vain,
Tant qu'en toi-même elle ne s'élève point."

Angelus Silesius (Le pèlerin chérubinique)

 

C’est toute l’ambiguïté de cette fête de Noël. Il ne s’agit pas de célébrer la naissance historique de Jésus, mais de quitter ce Moi pour laisser naître le Soi immortel. Dépècement de l’âme et naissance de la lumière intérieure !

De même qu’il faut comprendre la différence entre le Dieu de la religion et la Déité mystique inconnaissable, de même il faut accepter de ne jamais non plus connaître en toute lumière le mystère qui donne sens à la vie.

« Il est métaphysiquement impossible que l’Essence divine dans sa réalité transcendante puisse se révéler comme telle. Le témoignage de Moïse au Sinaï est là-dessus sans équivoque : « Nul ne peut voir ma face sans mourir » (Ex  32, 20).Toute théophanie (manifestation ou vision de Dieu) présente donc une ambiguïté fondamentale : elle est un Voile sur la Divinité qui veut se révéler...  L’Essence divine demeure incommunicable et inaccessible à la créature comme telle, et celle-ci ne peut connaître Dieu qu’à travers le voile de la Révélation. »

Abbé Henri Stéphane (traité XII.2)


 C’est alors qu’apparaît la nécessité de la connaissance de soi et de règles de vie qui permettront le changement. En effet, on ne se change pas soi-même ; on se met dans les conditions qui permettent à l’Esprit d’opérer le changement. Ceci suppose de comprendre ce qui s’y oppose en nous, puis de l’éliminer. Chaque tradition  spirituelle possède sa propre stratégie, véritable psychothérapie spirituelle, s’attaquant à la fois au conscient et à l’inconscient, au corps et au mental, aux habitudes et aux émotions. Cette lente descente en nous-mêmes, au-delà du personnage que nous créons et entretenons en permanence, peut être facilitée en suivant les conseils de ceux qui l’ont vécue eux-mêmes. C’était autrefois pour les chrétiens d’Occident le rôle du directeur de conscience ou confesseur. C’était le rôle des starets chez les orthodoxes. C’était aussi le rôle des maîtres soufis chez les musulmans ou encore des gourous chez les hindous.

24/12/2013

L’art authentique

L’art authentique est en soi une conquête de l’esprit ; il élève l’homme à la dignité du Créateur, fait jaillir des ténèbres du destin un éclair d’émotion et de jouissance mémorable, une lueur de passion et de compassion partageable. Par ses formes toujours renouvelées, il tend vers la vie ouverte en abattant les cloisons de l’habitude et en provoquant une manière de percevoir et de vivre. (François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Albin Michel, 2006 ; p. 121)


L’art, à l’égal de la mystique, est la conquête de l’inconnaissable. Il englobe la connaissance personnelle de l’artiste et celle de ceux qui contemplant ou écoutant son art se hissent à sa hauteur.

De ce dialogue réel, mais non exprimé, non traduisible en acte, émerge une nouvelle connaissance du monde, l’appréhension d’un environnement si peu semblable à ce que nous en connaissons. La vie jaillit, pure et simple, mais si réelle, si prenante, si attachante, qu’elle repousse les limites de notre compréhension, vers un nuage d’inconnaissance semblable à celui du mystique.

Pourquoi ? Un seul point commun : la création, chacune à sa mesure.

23/12/2013

La servante du Seigneur, ouvrage de Jean-Louis Fournier

J’ai égaré ma fille.
Je suis retourné à l’endroit où je l’avais laissée, elle n’y était plus.
J’ai cherché partout.
J’ai fouillé les forêts, j’ai sondé les lacs, j’ai passé le sable au tamis, j’ai cardé les nuages, j’ai filtré la mer.
Je l ‘ai retrouvée.
Elle a bien changé.
Je l’ai à peine reconnue.
Elle est grave, elle est sérieuse, elle dit des mots qu’elle ne disait pas avant, elle parle comme un livre.
Je me demande si c’est vraiment elle.

Jean-Louis Fourier a perdu sa fille, celle qu’il avait toujours connue, charmante et drôle, habillé de couleurs vives, excentrique, même parfois extravagante.
Pourtant dix ans avant, déjà, elle lui demande ce qu’il penserait si elle était religieuse. Pourquoi pas ? Donner ce que nous avons de mieux à Dieu ! Mais ce n’était qu’un mauvais rêve. Un jour, elle partit dans la pénombre avec Monseigneur. Il a étudié la théologie à la Faculté. Il écrit une histoire de la philosophie. Il parle le grec et le latin.

Le livre est la méditation enragée d’un père face à son incompréhension d’une vie autre. Elle veut être sainte. Lui veut l’aimer et la croire encore vivante.
Elle pratique maintenant l’humour rose, pasteurisé, avec de vrais morceaux de fraise.
Elle est tombée dans la layette mystique.
L’humour bleu ciel et rose bonbon, ça n’existe pas.
L’humour, c’est noir.
L’humour c’est une parade, un baroud d’honneur devant la cruauté, la désolation, la difficulté de l’existence.

Ils se téléphonent :
– Jean-Louis, tu sais que tu vas mourir prochainement ?
– Mais oui, ma fille, je le sais.
– Tu as raté ta vie.
– Certainement, si tu le dis.
– Tu as été un vieil égoïste, tu as fait du tort aux autres.
– J’ai quand  même quelques amis qui m’aiment bien.
– Ils ne t’aiment pas. Ils sont intéressés par ton argent. Tu dois normalement être damné, aller en enfer. Mais Dieu est miséricordieux et infiniment bon, il te laisse une chance.
– Enfin une bonne nouvelle.

Peut-être fut-elle réellement malheureuse avec ce père riche et content de lui. Mais il ne comprend pas :
Sectaire, ça commence comme sécateur, ça coupe. Ça coupe des parents, ça coupe des amis, ça coupe du monde professionnel, ça coupe du monde tout court.

Elle s’extasie devant les cathédrales :
C’est vrai que les artistes doivent beaucoup à Dieu. Si Dieu n’avait pas créé les pommes, Cézanne était condamné à peindre des compotiers vides.

Les souvenirs sont la seule bonne chose qui lui reste :
Tu es encadrée dans le bureau vert, une vieille photo, tu dois avoir douze ans. Je te regarde souvent. (…)
J’ai la nostalgie du passé.
On s’entendait bien avant.
Pourquoi maintenant c’est si difficile ?
On est tous les deux orgueilleux et pudiques.
On ne dit rien, on ne montre rien.
Nos sentiments sont classés secret défense.

Il crie sa rage :
Pourquoi, depuis que tu es à Dieu, tu es odieuse ?
Et Dieu lui fait peur :
La conversion, c’est un brutal éblouissement. Après un éblouissement, on ne voit plus clair, on est aveuglé, on se retrouve dans le noir, comme les lièvres éblouis par les phares d’une automobile.
Crois-tu que je sois attiré par le Dieu qui t’a éblouie ?
Il me fait peur.

Il finit :
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Je t’attends depuis plus de dix ans.
Pour une foi, j’ai de la patience. Tu vas revenir. (…)
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Reviens, avant que je m’en aille.

Et sa fille conclut dans une lettre :
Je faisais de l’humour noir parce que ma vie était noire, de désespoir. Maintenant, je fais de l’humour rose parce que ma vie est rose d’espérance, avec de vrais morceaux de fraise bio, de mon jardin.
L’humour rose, pas morose.
In médite et on médit des autres. Toi, pardonne-moi de le dire, tu médis et tu édites. Nous on médite et on mérite. Ça irrite ?

Un livre sévère et tendre, au gré de l’humeur de l’auteur. Il y a de curieux nuages sur ce ciel bleu : qui est Monseigneur ? Un gourou, un responsable de secte, un illuminé ou un amant théologien ?

22/12/2013

Ni queue, ni tête

Prends-tu tes jambes à ton cou
Lorsque le vers est dans la pomme ?

Te rinces-tu la dalle et joues-tu des coudes
Après avoir avalé des couleuvres ?

Du haut de ta tour d’ivoire
Tu comptes les tenants et aboutissants
Et, je te le donne en mille,
Tu n’es pourtant pas né de la dernière pluie
Ton cœur d’artichaut, peu m’en chaut !

Les doigts dans le nez et fier comme un pou,
Tu te mets sur ton trente et un
Et fais la bombe entre chien et loup.

Viendra le jour où tu fileras à l’anglaise
Après avoir payé en monnaie de singe
Celui dont l’habit ne fait pas le moine

Tu as eu le nez creux, fleur de nave
Sans prendre des vessies pour des lanternes
Bonne poire, sans te presser le citron
Tu bois du petit lait en tout bien tout honneur

Mis sur la sellette, tu tombes à pic
Trempé comme une soupe
Tu passes sous les fourches caudines
D’un être au bout du rouleau
Bien qu’il n’y ait pas péril en la demeure

Une fois encore tu as mis la charrue avant les bœufs
Sans apporter de l’eau au moulin
C’est passé comme une lettre à la poste
Et tu fais contre mauvaise fortune bon cœur
En tirant des plans sur la comète

Tu t’imagines sorti de la cuisse de Jupiter
Et il t’arrive de péter plus haut que ton cul
Mais tu as un poil dans la main
Alors, les châteaux en Espagne : évaporés ?

Je t’apporterai des oranges
Même si le jeu n’en vaut pas la chandelle
Gardes ton sang-froid et bats le chaud
Car tu ne peux être au four et au moulin

Tu n’as pas inventé l’eau tiède
Et bien que tu marches à voile et à vapeur
Tu fais long feu dans ton panier à salade
Tu tires le diable par la queue
Car tu n’as pas la science infuse

Merci tête de linotte
Demain on rase gratis
Tu auras pignon sur rue
Sans avoir droit au chapitre

Le roi n’est pas ton cousin
C’est à dormir debout
Ça tire à hue et à dia
Quelle mise en boite
Ce n’est pas une sinécure
Ne verse pas des larmes de crocodile
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Alors… Prends tes jambes à ton cou

© Loup Francart

21/12/2013

L'évolution spirituelle

Nous ne sommes pas tous au même niveau spirituel : il existe différents stades.

Le stade un, au bas de l’échelle, je l’appellerai « chaotique/antisocial ». Il concerne environ deux personnes sur dix, dont les gens du mensonge. Tous ceux-là ne connaissent aucun scrupule, aucune spiritualité non plus. Ils feignent d’aimer les autres alors que, dans leurs relations, ils se montrent toujours manipulateurs. Leur seule motivation est de servir leur intérêt personnel, ouvertement  ou de manière détournée.

Le stade deux est le stade « formel/institutionnel ». Ceux qui l’atteignent veulent avant tout que leur vie soit régie strictement par une organisation structurée. Ils sont très attachés aux formes que prend leur confession et n’arrivent pas à comprendre que Dieu vit au fond de nous.

Le stade « sceptique/individuel » est constitué de personnes impliquées dans la société. Ils se montrent curieux, inventifs, créatifs, en quête de la vérité.

Le stade « mystique/communautaire » est celui de gens ayant découvert une sorte de cohésion sous la surface des choses. Les mystiques tentent d’élucider les mystères, tout en sachant qu’un mystère en cache toujours un autre, et que plus ils en dissipent, plus ils en rencontrent.

(D’après Scott Peck, Plus loin sur le chemin le moins fréquenté, Robert Laffont, 1993, p.117)

  

Sans entrer dans des explications qui deviendraient trop importantes pour un blog, on se rend compte que nous sommes tous un peu des quatre types à différents moments de notre vie, voire à différents moments d’une journée. Tout ceci sans nous en rendre compte. Certes, le dernier stade est rare. Il vous frappe lors d’un signe que Dieu envoie de manière indirecte et qui vous coupe le souffle. En un instant, l’immensité des secrets du monde vous frappe et vous met à genoux. Vous n’êtes rien et pourtant vous êtes le tout, unique. Mais très vite vous retombez dans les stades inférieurs, le sceptique/individuel pour les intellectuels ou le formel/institutionnel pour les affectifs. Parfois même, sans en être conscient, vous rétrocédez au stade un sur vos défauts les plus encrés.

 Oui, le chemin est long et loin, mais combien passionnant dès l’instant où vous avez compris que votre vie n’est pas ce que vous faites, mais ce que vous êtes.

20/12/2013

Hélicéchappée 6

Une nouvelle échappée ! Avec disruption en diagonale…

Elle a sa symétrie, mais elle ne s’exerce que sur une seule face et crée la dissymétrie sur l’autre.

Alors les flots coulent comme un fleuve sur une planche à clous. Une harmonie douteuse, mais réelle.

13-12-12 Hélicéchappée 6.jpg

© Loup Francart

19/12/2013

La profanation de l’information

"La dédivinisation du monde (Entgötterung) est un des phénomènes caractérisant les Temps modernes. La dédivinisation ne signifie pas l’athéisme, elle désigne la situation où l’individu, ego qui pense, remplace Dieu en tant que fondement de tout ; l’homme peut continuer à garder sa foi, à s’agenouiller à l’église, à prier au lit, sa piété n’appartiendra désormais qu’à son univers subjectif. En ayant décrit cette situation Heidegger conclut ; « Et c’est ainsi que les Dieux finirent pas s’en aller. Le vide qui en résulta est comblé par l’exploration historique et psychologique des mythes. » (…) La profanation est donc le déplacement du sacré hors du temple, dans la sphère hors religion."

(Milan Kundera, Les testaments trahis, essai, Gallimard, 1993)

La profanation, c’est l’étude de la religion comme celle d’un moment de l’histoire où l’homme fabrique les textes sacrés. On explique comment ils ont été écrits, dans quelles circonstances, avec quelle psychologie. Et ces textes perdent leur caractère sacré. Ils deviennent profanes. L’approche moderne a tué le respect en devenant humaine. Dédivinisé, le monde tourne sur lui-même, fabriquant sa propre noosphère, amplifiant sa connaissance de sa propre vision.

 Plus la cinformation,communication,like,sens,sociétéommunication enfle, plus l’information diminue. Nos politiques communiquent par tweet. C’est plus simple. Il n’y a plus de justification à donner. On s’affirme par sa communication sans informer. Appuyez sur un like et votre vie sera changée ! On mesure l’impact d’un communiqué non sur son contenu, mais sur le nombre de like. L’information véhiculée n’a plus d’importance. Ce qui compte c’est la popularité obtenue : like, like, like

 On clique et on réfléchira plus tard. On clique pour se dire qu’on n’est pas seul, tel l’adolescent en manque de camaraderie. On clique sans distinction, sans même savoir ce que signifie ce qu’on lit. Cliquer signifie seulement : Ça me plaît ! Pourquoi ? Je ne sais pas. Cela n’a pas d’importance.

 Que fait-on, qui le fait, comme on le fait, voilà ce qui importe. C’est social et convivial. Peu importe pourquoi on le fait. La profanation de l’information, c’est cela ! L’information est devenue subjective. Seule compte comment on l’utilise.

Le journalisme est mort. Nous sommes tous des communicateurs.

18/12/2013

Tout est là !

Tout est là !
Mais que te manque-t-il ?
Le sang bat dans tes veines
La conceptualisation prolifère
Le mollet reste fier
Le cœur pleure à tout va
Tu t’émeus de rien
Tu ris de tout
Tu souris de peu
Tu exploses d’émotion
Sans savoir pourquoi

Ainsi va le monde
A fleur de peau
A rebrousse poil
Dans la chair de poule...
Quels bruits pour si peu !

Silence, on tourne !
Grise-toi d’images
De cris, de faits divers

Mais oui,
Ce qui te manque
C’est toi !

© Loup Francart

17/12/2013

Le premier baiser

Et vint le jour du premier baiser.

La première sensation qu’il éprouva fut le parfum du buste de l’autre, comme un aimant qui entraînait à l’ivresse inconnue et le plongeait encore et encore dans le cou féminin, empli de senteur de fleurs, de bruissement des cheveux. Etincelles fulgurantes qui attaquaient son émerveillement pour le transformer en volcan. Le paradis à portée de main, offert dans cette apparence mouvante et délicate appelée femme.

Elle était belle, d’une beauté naissante, encore fille, presque jeune fille et sans doute déjà femme par son affirmation de soi. Elle ne s’offrait pas. Elle ne se refusait pas. Elle consentait à expérimenter ce dont ils avaient rêvé séparément, sans le dire. Tout ceci avec pudeur, n’osant regarder l’autre dans les yeux, donnant sa nuque encombrée de mèches de cheveux sauvages. Il se laissait griser par cette courbe merveilleuse, déposant des baisers furtifs sur la chair délicate et parfumée. Il ne sentait pas qu’elle faisait de même dans le creux de sa clavicule, éprouvant les mêmes sensations, la même émotion et les mêmes sentiments. Ils ne parlaient pas, n’osant exprimer ce qu’ils ressentaient, emmagasinant dans leur mémoire les perceptions, interrogeant leurs émois, construisant leur représentation de l’autre comme un géomètre dessine sa carte sur le terrain.

Jérôme découvrait la complémentarité de la vie et c’était une fête sans fin, sans bruit, comme une cérémonie sérieuse et envoûtante qui méritait toute leur attention. La féminité se dévoilait sous ses lèvres et les émanations de ce jeune buste le conduisaient dans une éternité chaude et lumineuse.

Elle se grisait de son odeur d’adolescent vif, se laissait aller dans les profondeurs de son cou, caressant ses cheveux courts, respirant lentement la peau masculine comme si elle étreignait un arbre vert. Quel embrasement stupéfiant !

16/12/2013

Les Yeux Bleus Cheveux Noirs, de Marguerite Duras

littérature,roman,livre,femme,homme,sociétéEst-ce un roman ? On ne sait. C’est au moins un livre. Les personnages : un homme, une femme. Ils n’ont pas de nom, pas d’adresse, pas de métier, pas d’état civil, presque pas de personnalité. Ils dorment la plupart du temps. Ou ils parlent de leur sommeil. Cela se passe dans une chambre presque nue : un lit, des draps, des corps… Le rêve se mélange avec la réalité. Y en a-t-il même une ? On ne sait. Si. Ils pleurent. Ils ont cette faculté unique. Ils pleurent, elle… et lui… Et leurs larmes les rapprochent inexorablement, même s’ils se refusent l’un l’autre.

Il a laissé la porte ouverte. Elle dormait, il est part, il a traversé la ville, les plages, le port des yachts du côté des pierres.

Il revient au milieu de la nuit.

Elle est là, contre le mur, dressée, elle est loin de la lumière jaune, habillée pour partir. Elle pleure. Elle ne peut d’arrêter de pleurer. Elle dit : je vous ai cherché dans la ville.

Elle a eu peur. Elle a vu la mort. Elle ne veut plus venir dans la chambre.

Il va près d’elle, il attend. Il la laisse pleurer comme s’il n’était pas la cause des leurs.

Elle dit : Même de ces chagrins-là, de ces amours dont vous dites qu’ils vous tuent, vous ne savez rien. Elle dit : Savoir de vous, c’est ne rien savoir du tout. Même de vous, vous ne savez rien, même pas que vous avez sommeil ou que vous avez froid.

Il dit : C’est vrai, je ne sais rien.

Elle répète : Vous ne savez pas. Savoir comme vous, c’est sortir dans la ville et toujours croire qu’on va revenir. C’est faire des morts et oublier.

Il dit : C’est vrai pour les morts.

Il dit : Maintenant je supporte votre présence dans la chambre même quand vous criez. Ils restent là, à se taire, un long moment tandis que le jour vient, et, avec lui, le froid pénétrant. Ils se recouvrent des draps blancs.

Est-ce un roman érotique ? Non. Quelques phrases par-ci, par-là, pourraient le faire penser. Mais rien en fait ne permet de le dire. C’est le roman d’une quête inatteignable : celle de l’autre moitié de soi-même. Et il s’agit de les réconcilier. Comment ? Sans parole, presque sans geste, sans caresse, par des allées et venues hors de la chambre jusqu’au jour de la rencontre espérée, mais non avouée.

Ils sont deux acteurs d’un théâtre de l’oubli qui obéissent à un metteur en scène qui n’existe pas :

Un soir au bord de la scène, de la rivière, dirait l’acteur, elle dirait : il pourrait se produire comme un changement de l’équipe des acteurs (…)

Eux, ils viendraient jusqu’à elle, jusqu’à son corps couché dans les draps, comme il est maintenant, avec le visage caché sous la soie noire. Et elle, elle l’aurait perdu, elle ne le reconnaîtrait plus dans ces nouveaux acteurs et en serait désespérée. Elle dirait : Vous êtes très près d’une idée générale de l’homme, c’est pourquoi vous êtes inoubliable, c’est pourquoi vous me faites pleurer.

Ils se vouvoient. Ils s’allongent l’un contre l’autre, sans se toucher. Ils se parlent ou se taisaient. Ils sont recouverts du drap ou découverts de leurs rêves.

C’est beau, mais on ne sait pourquoi.

15/12/2013

Eiffel by Fifax

"Homme de voyage, Fifax crée, avec de puissantes couleurs, un monde situé entre réalité et imaginaire. S’il dessine depuis l’enfance, son parcours s’est nourri de nombreux séjours aux Etats-Unis et en particulier à New York, cette fascinante jungle urbaine qui marie Art Déco et design futuriste.
Quand les tours de verre côtoient les bâtiments de briques, quand leur hauteur nargue les piétons, Fifax s’imprègne de cette atmosphère urbaine et nous en restitue des vues inhabituelles : penché à la fenêtre d’une chambre d’hôtel, à bord d’un hélicoptère ou d’immeubles anonymes, l’artiste traque les angles les plus audacieux, toujours baignés de la lumière si particulière à son travail. Né à Paris le 9 avril 1962." (Biographie from http://www.arielsibony.com/artistes/20-fifax)

L’univers de Fifax est un univers curieux, trouble et enchanteur, un monde fictif, mais si proche de la réalité qu’on le croit réel. Jules Verne plongé dans l'époque moderne.

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Cette exposition, qui se prolonge jusqu’au 31 décembre, met en scène Gustave Eiffel et ses fers dans l’imaginaire urbain de Fifax. Cela donne le vertige et fait rêver. La science-fiction et la technique se côtoient pour dévoiler une ville hallucinogène.

 

  

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Ce qui l’intéresse aujourd’hui, ce sont ces croisements de fers perpendiculaires ou obliques qui forment des arches et des étoiles constellées de rivets. Ils prennent des couleurs  insolites qui leur donnent des airs de fantômes. L’esprit d’Eiffel teinté de mysticisme futuriste, une véritable épopée d’un avenir à la fois lointain et passé. 

 

 

 


La symphonie du fer, reflet d’un monde moderne périssable où tout se tient par une multitude de rivets, poutrelles, aux couleurs caramel se détachant sur un ciel bleu.

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14/12/2013

Courir dans la campagne givrée

Sous un soleil d’acier
Courir dans la campagne givrée
Revêtue de paillettes d’argent
Et ne pas manquer de s’extasier
Devant le chef d’œuvre rarissime
D’une toile d’araignée
Enrobée de poudre cristalline
 
Un silence impressionnant
Un ciel bleu presque blanc
Deux pieds qui tressaillent sur la route
Et le souffle acide et glacé
Qui racle les poumons

Instant unique et merveilleux
Comme le son d’une cloche
Au fond de la vallée
Qui se disperse dans les bois
Et vient frapper l’oreille attentive

Que ton monde est grand
Et combien changeant
Ô créateur modeste et brûlant
Toi qui aère le moi chaque matin
Pour dégager le soi
Immortel, libre et unique


© Loup Francart

13/12/2013

Canon de Pachelbel par le Canadian Brass

 http://www.youtube.com/watch?v=Ut_vq0eN1WA



Joué ainsi ce canon fait penser à la musique de Lulli et au brillant des théâtres du Grand Siècle.

Mais ces cuivres arrivent à mettre tant de douceur dans leurs sons que l’on voit les bateaux défiler sur le Mississipi derrière la platitude de la campagne. Ils avancent lentement et s’enfuient au loin vers la gauche là où rien ne les retient plus à la terre, vers le large. C’est presqu’une noyade sonore suivie du silence apaisant.

Alors on veut réécouter ces sons étranges, inhabituels ; ils vous charment à nouveau, jusqu’à la fin ; et l’on meurt à nouveau aux sons des cuivres étincelants.

12/12/2013

L’eau coule et sa retenue crée la vie

L’eau coule. Elle dévale la pente plus ou moins vite selon les uns ou les autres. Elle est vive et fuyante, mais elle coule et rien ne peut l’empêcher de couler.

 Pourtant chaque jour, la vie des hommes se constitue comme un obstacle à cet écoulement du temps. Chacun tente de retenir ces flots qui se déversent en lui. Et l’eau devient bonheur et plénitude si les jardins qu’elle crée ne l’empêchent pas de couler malgré tout. L’eau monte devant cet obstacle divin qu’est la vie. Elle se gonfle de cet écoulement. Elle grandit et devient adulte. Elle façonne de nouveaux jardins.

 Mais vient le jour où tous les efforts du monde ne peuvent l’empêcher de continuer de couler. Elle détruit peu à peu ce qu’elle a façonné, elle submerge son œuvre qui s’en va dans le courant inépuisable du temps jusqu’à ce qu’un nouvel obstacle fasse naître une autre vie et un nouveau cycle.

 Alors rien ne sert de retenir à tout prix l’eau. Mais rien ne sert de la laisser couler sans la retenir. C’est cette alternative du mouvement qui permet à l’univers d’exister et de poursuivre sa route.

L’équilibre est dans l’aptitude à retenir pour ensuite laisser s’échapper le don de la vie et chaque jardin est un lieu d’épanouissement. 

11/12/2013

Le pauvre clown

Il tient encore sa carcasse
Elle tient debout, raide de volonté
Laisse-toi aller !
Il s’enfonce dans le brouillard
D’une vie misérable d’impatience
Il élague son parapluie
De quelques baleines supplémentaires
Et sous cette tente improvisée
Il devise plaisamment
Avec son moi devenu lui

Mais qui es-tu toi ?
Je suis ce que personne ne sait
Le vent sur la colline,
L’eau coulante et fuyante
La caresse d’un enfant,
La clairvoyance d’une femme
La force de l’adolescent
Et la vigueur du vieillard
Le grain de sable dans le désert
La seconde d’un temps qui passe,
Le mètre entortillé sur lui-même
L’univers en un point sans cédille
L’alfa et l’omega

Le lendemain, il saisit sa chance
Monta sur le toit de la mosquée
Et entama son chant rauque
Et toutes les forces de la lune
Mises en place hâtivement
Se mobilisent pour applaudir
Le pauvre clown qui vient de mourir


© Loup Francart

10/12/2013

Hélicéchappée 5

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© Loup Francart

La voici dans tout son épanouissement, ouverte, forteresse enjôleuse, filet de reître, labyrinthe sacré, emplie de poils piquants et pourvue d'une toile où l'insecte marche vers la mort. Et ses métamorphoses continuent... Que de plis encore possibles, que d'expériences peuvent être faites... Longue marche vers l'unité introuvable. 

09/12/2013

Dieu n’est pas un objet de pensée

« La difficulté majeure, c’est que l’homme pense Dieu ; Dieu n’est pas un objet de pensée. » (M.M. Davy, Un itinéraire, à la découverte de l’intériorité, EPI, Paris, 1977)

 Marie-Magdeleine Davy, reprend la question de Socrate : « Qui es-tu toi qui sais ? ». Comment faire pour répondre sans s’adresser au savoir ?

 C’est pourquoi, dans la tradition d’un certain nombre de mystiques, elle distingue Dieu que l’homme met à son service pour justifier son comportement et la Déité, au-delà de l’être et de la personne. Dieu fait partie de la croyance encrée par l’éducation. Il existe en fonction de l’homme. Au-delà, se trouve le vrai mystère, inaccessible, mais vivant dans la réalité de la profondeur de l’homme.

 Avec Dieu, l’homme bavarde. La déité est silence : « Tais-toi, ne me parle pas. Si tu parles de moi ou si tu me parles, c’est parce que tu me considères en dehors de toi. »

 Démêler ce qui vient de nous, c’est-à-dire de l’humain au sens pluriel, de ce qui est. Mais ce n’est pas pour autant que l’on saisit la Déité. C’est la différence entre la théologie et la mystique. L’une parle de Dieu en langage humain, l’autre le vit sans parler.

08/12/2013

Monde sans oiseaux, roman de Karin Serres

littérature,roman,fantastique« Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’ait, à plat ventre, dans tomber, et leurs cris étaient très variés. (…) On les appelait les oiseaux. Petite, j’ai demandé à ma mère de me raconter, mais elle a changé de sujet. Cette histoire d’oiseaux est-elle vraie ? »

Ainsi commence ce roman. Mais est-ce un roman ? On pense à un conte presque philosophique, à une fable, à un récit fantastique sans qu’il soit récit de science-fiction. Le quotidien banal cache un monde qui n’existe pas en dehors de l’imagination de l’auteur. C’est une sorte de civilisation perdue, pauvre, habitant près d’un lac qui monte parfois jusqu’à contraindre les maisons à se déplacer sur roulettes. Des cochons bleus génétiquement modifiés et fluorescents y nagent et se laissent débiter un jambon qui repoussera. Les cercueils des villageois sont envoyés par le fond et se laissent dévorés grâce aux trous qui y sont pratiqués.

Dans ce monde naît, vit et meurt « petite boite d’os », une jeune fille comme les autres, qui est parfois délaissée par ses parents qui parlent de Dieu en faisant le tour du lac. Son père est le pasteur de la communauté. Mais progressivement son corps change. Des seins lui poussent, des poils également. Elle découvre le sexe comme une fonction normale qui ne change rien à sa destinée. Mais le vieux Joseph qui l’emmenait pêcher dans le lac lui explique que l’amour est autre chose : « Je t’aime Petite Boite d’Os. Plus d’une génération nous sépare mais depuis que je t’ai aperçue, dans l’ombre de l’église, qui me regardait, j’ai compris que j’étais revenu pour toi. Tu m’es destinée, petite. N’ai pas peur, j’attendrai. Je suis à toi. » Elle ne comprend pas : « Pourquoi il ne prend pas, alors, couchée sous lui. S’il m’aime, comme il dit, pourquoi il ne me prend pas ? L’amour c’est dans le sexe que ça se passe, je connais. A l’école, les garçons nous donnaient des bonbons pour qu’on baisse nos culottes. » Un jour, après avoir enfilés une combinaison et fixés une bouteille d’oxygène sur leur dos, ils partent explorer le fond du lac. Au retour : « Soudain, sur la pointe de mes palmes, j’embrasse ses yeux trempés, l’un après l’autre. Je lèche, je bois, je lape ses paupières salées. Il tremble. Ma bouche redescend. Nos langues au goût de vase se cherchent, s’emmêlent. Nos corps de caoutchouc s’étreignent et couinent. On voudrait se frapper tellement ce qui nous prend est fulgurant. » Elle se marie avec Jeff. Elle a une amie qui attend un enfant comme elle. Elle le perd, mais recommence. Elle a un enfant dénommé Knut. Jeff lui donne un cochon Appelé Rosie, il tient sa tête en l’air, pattes avant repliées, et son poil rose phosphorescent se soulève et s’abaisse régulièrement. Contre elle, Knut, collé, sans le même sommeil animal partagé. Knut grandit, il a un accident, il perd ses jambes et finit sa vie comme un animal.

Le cœur de Petite Boite d’Os est pur, exempt d’arrière-pensée. Elle va dans la vie sans trop se poser de questions. « Pour mes quarante-huit ans, Jeff m’offre des palmes translucides avec lesquelles je nage pendant des heures dans le lac, au milieu des bancs de cochons fluorescents, c’est la seule chose qui peut me consoler. Pour mes quarante-neuf ans, un long foulard de soie bleu ciel, si doux et si chaud que je ne le quitte pas pendant des semaines. Magique, il soigne torticolis et maux de gorge. Pour mes cinquante ans, un harmonica dont je joue tout bas dès que je suis seule, comme si ma vie était un film de cow-boys. » Elle aime son homme qui meurt un jour en faisant son jardin. Elle poursuit sa lente marche vers la mort, se retrouve à l’hôpital. Elle rêve : « J’aimerais que le ponton soit en pente. J'aimerais que mon fauteuil avance, bascule dans l’eau opaque où il me projetterait aussi. Je coulerais, les yeux grands ouverts, à travers les nuages de vase.  (…) Je coulerais à pic, mes bras s’écarteraient de mon corps, mes bras et mes jambes que je ne contrôle plus, le courant les soulèverait puis les rabattrait, mes cheveux danseraient autour de moi et je volerais. »

C’est un livre qui laisse un goût amer, mais plein de charme. Quelle étrange vision : réaliste, la vie de Petite Boite d’Os s’écoule comme n’importe quelle vie, mais parfois on est plongé dans un fantastique ahurissant qui fait virevolter les deux parties du cerveau. Suis-je à droite ou… à gauche ?

07/12/2013

Prenez un jour comme les autres

Prenez un jour qui commence tôt
Il fait encore noir… ça bouchonne…
Son esprit vaque en d’autres latitudes…
Soudain, l’air passe en direct
La colonne s’écoule, droite et fraîche
Et monte, envahissant l’espace
De l’âme et du corps liés ensemble…
S’éclaircit la brume intérieure
Jusqu’à la transparence légère
Le silence des abîmes l’envahit
Ouverture vers l’inconnu empesé
Les plans se déplacent avec lenteur
Au ralenti... dévoilant la chute profonde
Du personnage en quête d’absence…
« Frappez et l’on vous ouvrira ! »
Videz-vous de vous-mêmes
Et courrez prestement vers le rien
Qui d’un coup devient tout
Et empli votre cœur d’extase…
Il se retourne et entre dans l’amnistie
Ni la présence qui gratte
Ni la privation qui blesse…
Suspendu à son souffle
Le regard s’affaisse
Il pénètre les profondeurs
D’un nouveau monde…
S’envole le personnage
Apparaît l’homme libre
Délesté de toute ambition
Allégé de toute réserve…


Le rien devient le tout
Le tout n’a plus rien
Sauf cette chaleur doucereuse
Qui berce la carcasse
D’un matin comme les autres


© Loup Francart

06/12/2013

Félix Vallotton, trois aspects parmi d’autres

Vallotton, un peintre oublié, un très grand peintre, réanimé par cette exposition. Allons droit au but. Voici le plus beau tableau de l’exposition : Derniers rayons, peint en 1911. Ce n’est bien sûr que mon opinion, mais je la maintiens. Une luminosité exceptionnelle du ciel, un dessin qui transforme les branches en bras de femmes élevés vers la pureté, une robe de feuillages qui recouvre chastement ces membres nus, des troncs poilus comme une jambe masculine, ce rouge splendide du départ des branches comme un feu de joie qui semble danser sous la frondaison. Le symbole de la beauté pudique, de l’enchantement de l’univers, du mystère impalpable de la création. On sent vibrer l’âme même du peintre, sa réalisation par cette fusion entre lui-même et son motif. Si je devais garder un seul tableau de lui, c’est celui-ci qui me permettrait de conserver l’unique que le peintre représente.

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 Mais revenons à l’expo du Grand Palais. Une très charmante présentation réaliste et romantique de celle-ci. Elle est originale et dépeint bien l’ambiguïté de sa peinture :

 http://www.grandpalais.fr/fr/article/felix-vallotton-la-bande-annonce

 Ses objectifs ne sont pas la séduction par la beauté. Ils sont variés. Il peut être charmeur, classique, attiré par les femmes, enchanteur de la nature, voyeur, voire pervers. Il a toutes les qualités qui enchantent par leurs aspirations et tous les défauts qui déplaisent parce que trop proches de nous-mêmes. Cest en cela qu’il est un grand peintre.

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 Trois présentations de cette personnalité multiple permettent de saisir cette ouverture exceptionnelle au monde qu’il apporte au spectateur :

 Le regard érotique de Vallotton :

 http://www.dailymotion.com/video/x15efgw_l-erotisme-de-vallotton_creation?from_related=related.page.ext.behavior-only.e17c67f84684dbd6ebe43c0defd661b0138604423

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 L’inconscient de Vallotton :

 http://www.dailymotion.com/video/x15qn8i_l-inconscient-de-vallotton_creation?from_related=related.page.ext.behavior-only.e17c67f84684dbd6ebe43c0defd661b0138604423

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 Le dessin, la peinture elle-même ne sont pas beaux. Le visage de l’homme laisse à désirer. Mais tout dans ce tableau traduit l’ambiguïté du mensonge. Tout est rouge, dont bien sûr la femme qui murmure quelque chose à l’oreille de l’homme. Celui-ci semble ressentir ce mensonge, il sait qu’elle ment. Mais il l’accepte au nom de ces instants de fièvre et d’intimité. Il en est aigri. Mais malgré son blindage noir devant ce mensonge rouge il se ment à lui-même et entre en osmose avec sa compagne. Qui ment au final : le rouge féminin ou le noir masculin ?

 Les paysages de Vallotton :

 http://www.dailymotion.com/video/x16ruf1_vallotton-et-le-paysage_creation?from_related=related.page.ext.behavior-only.e17c67f84684dbd6ebe43c0defd661b0138604423

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Oui, il s’agit bien pour lui de poser un regard nouveau, comme celui de la mouette sur le paysage des Andelys. Le vol d’une mouette et l’envol de l’âme derrière le réalisme de la peinture.

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05/12/2013

Film documentaire sur Michel Petrucciani

Partie 1 : https://www.youtube.com/watch?v=cNW5qVzHM-o

Partie 2 : https://www.youtube.com/watch?v=IW99KALJcf0

Partie 3 : https://www.youtube.com/watch?v=3q-Xk-vilaI

Partie 4 : https://www.youtube.com/watch?v=w6au-FP7rS0

 

Un très grand pianiste de jazz. Né en 1962, il meurt en 1999. Il est malheureusement moins connu en France que dans le monde. C’est un homme extraordinaire : handicapé de naissance par la maladie des os de verre, il est initié au jazz par son père. En 1980 il décide de partir aux Etats-Unis, d’abord en Californie, puis à New-York. Il joue dans le monde entier, aux côtés des plus grands musiciens de jazz. Un grand bonhomme, malgré sa petite taille.

 « J’ai peur de la mort. Je crois en Dieu et en même temps je n’y crois pas. » Ce qui ne l’empêche pas d’aimer l’humour et d’en mettre dans sa musique.

Pour lui, la musique s’apprécie et se voit avec des couleurs : le sol c’est le vert, on voit réellement du vert. Le bleu-gris est romantique et embrouillé.

L’improvisation avec Stéphane Grappelli est magnifique (partie 3). Il leur faut peu de temps pour s’accorder, même sur le tempo.

C’est une leçon de vie que donne Michel Petrucciani. Ce petit homme était un explosif attendrissant.

04/12/2013

Hélicéchappée 3

 Directement issue d’hélicéchappée 0, après une ratée sur les pales, avant d’en arriver à un véritable dessin, cette symétrie bizarre et rigoureuse, instantané piquant qui ne sait où il va. Mais il est bien en rotation autour d’un axe.


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© Loup Francart

03/12/2013

La chouette

Une petite chouette est tombée du ciel en passant par la cheminée, comme le père Noël. Seule dans la maison, elle a cassé pas mal d'objets avant d'être rejetée dehors. Quelle aventure. Depuis, elle vient la nuit nous rappeler son voyage mystérieux au pays des humains.


Elle est tombée du ciel, comme le père Noël
Passée par la cheminée, noire comme le vent…
Comment a-t-elle fait ? Elle avait trop bu ?
Les taches de suie montrent sa dégringolade…
Elle a débarqué dans la cendre grise
S’est ébrouée, hagarde et la pépite dans l’œil
Que suis-je venue faire dans cette galère ?
Aucun arbre, pas d’eau, pas un brin d’herbe
A quoi servent ces moutonnements colorés
Que je vois par terre, picorons-les pour voir !
Le tapis s’est trouvé ébouriffé d’une touffe
Pouah, quelle horreur cette sorte de graminée
Pas de goût, une odeur de poussière…
En se dandinant, elle se déplace et avance…
Elle ose en un instant ouvrir ses ailes
Oui, je peux voler pense-t-elle. Explorons !
Mais l’espace est limité, cloisonné, rapetissé
Elle se heurte à un abat-jour jaune
Tente de se poser dessus, mais il s’effondre
Un bruit d’enfer, mille morceaux par terre…
Tant pis, volons puisqu’on ne peut se poser
Le ciel est dur, j’ai mal à la tête
Ah, voici le jour, sans restriction
Clac, je me casse le bec sur une cloison
Qu’y a-t-il ? Je vois le vrai espace, la démesure
Dans laquelle je m’exprime à l’habitude
Et je me heurte à l’invisible
Rien n’y fait, je ne passe pas. Pourquoi ?
Changeons d’univers, voici la porte
Encore la prison, plus large cette fois
Mes ailes heurtent une étrange machine
Des aiguilles tournent lentement
Dans un tic-tac qui fait mal à la tête
Tiens, elle tombe, à nouveau bruit infernal
Elle projette de minuscules gouttelettes
Qui restent intactes sur le sol délavé
Je veux en gouter une, mais c’est dur
J’ai la langue en sang, ça fait mal
N’y touchons pas, c’est belliqueux…
Enfin, des branches entremêlées
Un vrai arbre au-dessus d’un pigeonnier
Les branches sont si fragiles
Qu’elles se laissent aller jusqu’au sol
Pourtant ces paniers ne contiennent rien…

Et la chouette continua de tourner
Pendant une partie de la nuit
Et une partie de jour, sans repos
Ne sachant où poser sa carcasse…
D’épuisement, elle s’effondra, défaillante
Jusqu’à ce qu’un humain, effrayé et dépité
Ose ouvrir la fenêtre et la laisser aller…
Elle est sortie, incrédule et épanouie
Avec un hululement de joie
Et s’est perchée sur le toit
Pas sur la cheminée, ce volcan éteint
Qui engloutit les oiseaux distraits
Et les conduisent en des lieux
Qui sont plus l’enfer que le purgatoire
Des animaux peu chanceux…
Cette chouette fut le premier être
A reprendre son envol
Ressuscitée, hilare et légère
Voguant à nouveau sur les branches
Et plongeant dans la rivière
Pour boire les quelques gouttes
Etincelantes et tourbillonnantes
Qui furent un baume à sa langue déchue


© Loup Francart

02/12/2013

Le café du matin

L’homme se pencha sur sa tasse. Le café était noir. Il reflétait l’éclat de l’ampoule au-dessus de la table. En se penchant, il voyait même les quelques mèches de cheveux qui lui restaient. Pour la première fois depuis longtemps, il avait dormi jusqu’à six heures, enveloppé dans une couette chaude, la fenêtre ouverte sur la nuit calme. Il s’était réveillé avec douceur alors que bien souvent, en une seconde, il était sur ses gardes, prêt à tout.  

 Il n’avait pas pris conscience de cette exceptionnelle nouveauté. Il était allé fermer la fenêtre, avait passé sa robe de chambre et était descendu à la cuisine. Machinalement, il avait rempli d’eau le réservoir, avait versé le café moulu dans le filtre et avait attendu que la magie s’opère. Pendant ce temps, il avait été cherché dans le frigidaire le nuage de lait nécessaire pour combattre l’amertume du café au réveil. Il en versa un filet dans ce noir étincelant, lumineux. Celui-ci se troubla, commença à tourbillonner, laissant voir des filaments blancs dans ce maelstrom qui sembla accélérer, puis progressivement ralentir. Le noir dominait. Le lait cachait sa blancheur. Où était-il passé ? Bientôt, le liquide redevint sombre, juste un peu troublé. Il prit sa petite cuillère et la remua légèrement, avec douceur et précaution. Apparurent des nuages blanchâtres, accumulés en volutes, comme un ciel précédent l’orage. Ils se remuaient avec lenteur, comme chargés d’électricité, montaient vers la surface du liquide et redescendaient sans offusquer le miroir. Un petit coup de doigt sur la cuillère et les circonvolutions s’épaissirent, envahirent le liquide d’une crème chocolat mêlée de chantilly. En une seconde, le café prit la couleur de la savane, des dunes et de l’argile. La pureté de son ton dépassait l’espérance. La surface ne reflétait plus l’ampoule au-dessus d’elle. Elle rayonnait de l’intérieur, par sa blancheur crème, par sa noirceur voilée. L’osmose était là. Elle le laissa rêveur.

 « C’est ma vie. Je la voyais noire comme l’encre. Parfois j’entrevoyais quelques bonnes choses sous-jacentes. Mais, le plus souvent, elles étaient recouvertes de l’obscurité de l’effort et de mes insuffisances. Mon destin s’achève. Je l'imaginais noir. Il vient de prendre sa couleur finale, celle d’un galet usé par l’eau qui dévale maintenant sous la poussée du courant la pente des générations. Il a la fragilité d’une coquille d’œuf, la réfraction des embruns de la mer, la majesté d’une étoffe de lin. Oui, Dieu nous façonne à notre guise. Il est temps de partir et de laisser ce brassage à d’autres. Je ne suis ni le noir du café, ni le blanc du lait. Mais je vois maintenant un ciel d’ivoire dont la lumière intérieure éclaire un destin unique. »