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23/12/2013

La servante du Seigneur, ouvrage de Jean-Louis Fournier

J’ai égaré ma fille.
Je suis retourné à l’endroit où je l’avais laissée, elle n’y était plus.
J’ai cherché partout.
J’ai fouillé les forêts, j’ai sondé les lacs, j’ai passé le sable au tamis, j’ai cardé les nuages, j’ai filtré la mer.
Je l ‘ai retrouvée.
Elle a bien changé.
Je l’ai à peine reconnue.
Elle est grave, elle est sérieuse, elle dit des mots qu’elle ne disait pas avant, elle parle comme un livre.
Je me demande si c’est vraiment elle.

Jean-Louis Fourier a perdu sa fille, celle qu’il avait toujours connue, charmante et drôle, habillé de couleurs vives, excentrique, même parfois extravagante.
Pourtant dix ans avant, déjà, elle lui demande ce qu’il penserait si elle était religieuse. Pourquoi pas ? Donner ce que nous avons de mieux à Dieu ! Mais ce n’était qu’un mauvais rêve. Un jour, elle partit dans la pénombre avec Monseigneur. Il a étudié la théologie à la Faculté. Il écrit une histoire de la philosophie. Il parle le grec et le latin.

Le livre est la méditation enragée d’un père face à son incompréhension d’une vie autre. Elle veut être sainte. Lui veut l’aimer et la croire encore vivante.
Elle pratique maintenant l’humour rose, pasteurisé, avec de vrais morceaux de fraise.
Elle est tombée dans la layette mystique.
L’humour bleu ciel et rose bonbon, ça n’existe pas.
L’humour, c’est noir.
L’humour c’est une parade, un baroud d’honneur devant la cruauté, la désolation, la difficulté de l’existence.

Ils se téléphonent :
– Jean-Louis, tu sais que tu vas mourir prochainement ?
– Mais oui, ma fille, je le sais.
– Tu as raté ta vie.
– Certainement, si tu le dis.
– Tu as été un vieil égoïste, tu as fait du tort aux autres.
– J’ai quand  même quelques amis qui m’aiment bien.
– Ils ne t’aiment pas. Ils sont intéressés par ton argent. Tu dois normalement être damné, aller en enfer. Mais Dieu est miséricordieux et infiniment bon, il te laisse une chance.
– Enfin une bonne nouvelle.

Peut-être fut-elle réellement malheureuse avec ce père riche et content de lui. Mais il ne comprend pas :
Sectaire, ça commence comme sécateur, ça coupe. Ça coupe des parents, ça coupe des amis, ça coupe du monde professionnel, ça coupe du monde tout court.

Elle s’extasie devant les cathédrales :
C’est vrai que les artistes doivent beaucoup à Dieu. Si Dieu n’avait pas créé les pommes, Cézanne était condamné à peindre des compotiers vides.

Les souvenirs sont la seule bonne chose qui lui reste :
Tu es encadrée dans le bureau vert, une vieille photo, tu dois avoir douze ans. Je te regarde souvent. (…)
J’ai la nostalgie du passé.
On s’entendait bien avant.
Pourquoi maintenant c’est si difficile ?
On est tous les deux orgueilleux et pudiques.
On ne dit rien, on ne montre rien.
Nos sentiments sont classés secret défense.

Il crie sa rage :
Pourquoi, depuis que tu es à Dieu, tu es odieuse ?
Et Dieu lui fait peur :
La conversion, c’est un brutal éblouissement. Après un éblouissement, on ne voit plus clair, on est aveuglé, on se retrouve dans le noir, comme les lièvres éblouis par les phares d’une automobile.
Crois-tu que je sois attiré par le Dieu qui t’a éblouie ?
Il me fait peur.

Il finit :
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Je t’attends depuis plus de dix ans.
Pour une foi, j’ai de la patience. Tu vas revenir. (…)
Dépêche-toi, tout va refroidir.
Reviens, avant que je m’en aille.

Et sa fille conclut dans une lettre :
Je faisais de l’humour noir parce que ma vie était noire, de désespoir. Maintenant, je fais de l’humour rose parce que ma vie est rose d’espérance, avec de vrais morceaux de fraise bio, de mon jardin.
L’humour rose, pas morose.
In médite et on médit des autres. Toi, pardonne-moi de le dire, tu médis et tu édites. Nous on médite et on mérite. Ça irrite ?

Un livre sévère et tendre, au gré de l’humeur de l’auteur. Il y a de curieux nuages sur ce ciel bleu : qui est Monseigneur ? Un gourou, un responsable de secte, un illuminé ou un amant théologien ?