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16/04/2017

La dame blanche, de Christian Bobin

C’est un hommage poétique que cette vie de la grande poétesse américaine, racontée par un grand poète français. Ils sont tous deux des poètes de l’absolu, peignant le ciel de leurs mots subtiles, imprégnés du vide céleste, porteurs dans leur cœur de ce trou que laisse l’air purifié. Et cette vie est autre que la vie que l’on connaît : une vie de recluse volontaire. Emily a depuis des années élevé entre elle et le monde une clôture de lin blanc. Dans la bibliothèque du rez-de-chaussée, annoté de sa main, le livre de Sainte Agnès de Tennyson. Il y est question d’une nonne, de ses atours blancs et purs et de son attente d’un dimanche éternel.

La trop sage collégienne d’Amherst regarde Dieu improviser le monde à chaque instant. Ellelittérature,poésie,divin,illumination dresse en secret la liste de ce qu’elle aime : les poètes, le soleil, l’été, le paradis. C’est tout. La liste est close, note-t-elle, et le premier terme suffit : les poètes engendrent un soleil plus pur que le soleil, leur été  ne décline jamais et le paradis n’et beau que d’être peint par eux.

A la naissance quelque chose est donnée à chaque nouveau-né. Cette chose n’est rien. Elle n’a pas de forme, pas de nom, aucun prestige. Elle est notre seul bien. On l’entre voit par éclair. « Le simple sentiment d’être en vie m’est une extase. » Cette fleur blanche du rien qui par instants s’ouvre dans le cœur rouge, c’et la fleur commune des saints. Elle ne se fane jamais. Être saint, c’et être vivant. Être vivant, c’est être soi, seul dans son genre.

A quarante-sept ans, Emily rencontre Samuel Bowles, un journaliste. Quelques jours plus tard, elle joint un poème à une lettre où elle assure n’avoir ni vie, ni mort, aucun lien ni action à accomplir, « hors celle qui sort de l’amour de vous ». Ce n’est qu’un amant imaginaire qui meurt un an plus tard.

La vie d’Emily a été spectaculairement imaginaire. Elle a vécu de ce qu’elle a vu, ressenti et recomposé dans sa vision poétique. Elle n’a jamais connu la gloire et elle écrit dans son dernier poème en date de 1886 :

 De cette gloire –
Pas une poutre
N’a subsisté –
Mais sa maison
D’éternité –

Les astérisques
Sont pour les morts –
Mais les vivants –
Pour les étoiles –

 

 Un autre livre, écrit par Antoine de Vial, intitulé Menus abîmes (Orizons, 2112) donne à lire ses poèmes avec les explications du traducteur qui vont au-delà du simple travail d’adaptation à une autre langue. Il permet d’entrer en poésie avec Emily Dickinson.

26/12/2015

Emerveillement

Parfois, pendant quelques minutes, le monde s'illumine et enchante le regard. Il faut alors la magie de l'instant, la garder en soi et la revisionner pour saisir la beauté du monde. Ce fut le cas hier, jour de Noël :

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Le feu divin se révèle sous nos yeux, pour une ou deux minutes. Plus rien n'existe que cet or filtré par un chemin comme une ouverture vers l’inaccessible.

Et, au retour, nouvelle surprise :

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C'est vrai la pelleteuse ne fait pas bon effet dans cet embrasement. Mais c'était cependant à saisir!

02/12/2013

Le café du matin

L’homme se pencha sur sa tasse. Le café était noir. Il reflétait l’éclat de l’ampoule au-dessus de la table. En se penchant, il voyait même les quelques mèches de cheveux qui lui restaient. Pour la première fois depuis longtemps, il avait dormi jusqu’à six heures, enveloppé dans une couette chaude, la fenêtre ouverte sur la nuit calme. Il s’était réveillé avec douceur alors que bien souvent, en une seconde, il était sur ses gardes, prêt à tout.  

 Il n’avait pas pris conscience de cette exceptionnelle nouveauté. Il était allé fermer la fenêtre, avait passé sa robe de chambre et était descendu à la cuisine. Machinalement, il avait rempli d’eau le réservoir, avait versé le café moulu dans le filtre et avait attendu que la magie s’opère. Pendant ce temps, il avait été cherché dans le frigidaire le nuage de lait nécessaire pour combattre l’amertume du café au réveil. Il en versa un filet dans ce noir étincelant, lumineux. Celui-ci se troubla, commença à tourbillonner, laissant voir des filaments blancs dans ce maelstrom qui sembla accélérer, puis progressivement ralentir. Le noir dominait. Le lait cachait sa blancheur. Où était-il passé ? Bientôt, le liquide redevint sombre, juste un peu troublé. Il prit sa petite cuillère et la remua légèrement, avec douceur et précaution. Apparurent des nuages blanchâtres, accumulés en volutes, comme un ciel précédent l’orage. Ils se remuaient avec lenteur, comme chargés d’électricité, montaient vers la surface du liquide et redescendaient sans offusquer le miroir. Un petit coup de doigt sur la cuillère et les circonvolutions s’épaissirent, envahirent le liquide d’une crème chocolat mêlée de chantilly. En une seconde, le café prit la couleur de la savane, des dunes et de l’argile. La pureté de son ton dépassait l’espérance. La surface ne reflétait plus l’ampoule au-dessus d’elle. Elle rayonnait de l’intérieur, par sa blancheur crème, par sa noirceur voilée. L’osmose était là. Elle le laissa rêveur.

 « C’est ma vie. Je la voyais noire comme l’encre. Parfois j’entrevoyais quelques bonnes choses sous-jacentes. Mais, le plus souvent, elles étaient recouvertes de l’obscurité de l’effort et de mes insuffisances. Mon destin s’achève. Je l'imaginais noir. Il vient de prendre sa couleur finale, celle d’un galet usé par l’eau qui dévale maintenant sous la poussée du courant la pente des générations. Il a la fragilité d’une coquille d’œuf, la réfraction des embruns de la mer, la majesté d’une étoffe de lin. Oui, Dieu nous façonne à notre guise. Il est temps de partir et de laisser ce brassage à d’autres. Je ne suis ni le noir du café, ni le blanc du lait. Mais je vois maintenant un ciel d’ivoire dont la lumière intérieure éclaire un destin unique. »