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24/03/2012

Les amants du Spoutnik, roman d’Haruki Murakami

 

Au printemps de sa vingt-deuxième année, Sumire tomba amoureuse pour la première fois de sa vie. Cet amour aussi dévastateur qu’une tornade dans une vaste plaine ravagea tout sur12-03-24 Couv Amants_spoutnik.jpg son passage, lançant des choses dans les airs, les réduisant en menus morceaux, les écrabouillant sans ménagement. (…) L’objet de cet amour absolument mémorable était marié, avait dix-sept ans de plus que Sumire et, surtout, était une femme. C’est de là que partit toute cette histoire, et là aussi qu’elle s’acheva (ou presque).

Ainsi commence l’histoire de Sumire, une jeune fille indécrottablement romantique, doublée d’une cynique et d’une têtue. Mais c’est aussi l’histoire du narrateur qui est amoureux de Sumire. Et c’est également, forcément, l’histoire de Miu, la femme fatale, toujours vêtue avec une rare élégance et conduisant une jaguar bleu marine de douze cylindres.

Sumire avait décidé d’écrire et s’était installée dans un petit appartement où elle s’efforçait de réaliser une œuvre complète en y mettant sa passion intérieure. Mais elle n’était pas prête. Il lui manquait l’alliance entre la fiction et le monde, que seule une cérémonie magique peut apporter, par exemple, comme le lui suggéra son ami, asperger sa porte du sang d’un chien. Alors elle décide, sur la demande de Miu, de travailler pour elle. Elles deviennent amies et Miu l’emmène en Grèce pour lui servir de secrétaire. Quelques temps plus tard, le narrateur reçoit un coup de téléphone de Miu : Sumire a disparu, pouvez-vous venir ?

Alors il entreprend le voyage et débarque dans l’île où il fait connaissance de Miu. Au cours des jours suivants, elle lui raconte les journées avec Sumire et la nuit où Sumire tenta de lui dire son amour. Mais Miu la repousse et lui explique la raison de ses cheveux blancs comme neige. Sumire retourne dans sa chambre et, le lendemain matin, a disparu. Miu et le narrateur auront beau tout faire pour retrouver Sumire, elle s’est évanouie. Il finit par retourner au Japon, seul. Il retrouve ses habitudes, sa maîtresse, avec laquelle il rompt. Un jour, il croise Miu en voiture, qui passe telle une coquille vide, comme si la chaleur de la vie avait disparu de sa personne.

Cependant, un jour, le téléphone se mit à sonner :

– Je suis de retour, déclara la voix de Sumire, très sereine, très réelle. Je suis passée par des périodes difficiles, mais j’ai fini par rentrer. On pourrait dire ça aussi pour résumer l’Odyssée d’Homère en mois de cinquante caractères.

 – C’est bien, dis-je.

– C’et bien ? Qu’est-ce que çà veut dire ? J’ai sué sang et eau, traversé des milliers d’épreuves pour revenir jusqu’ici, et toi, tu ne trouves que ça à dire : c’est bien ? Pour un peu, j’en pleurerais ! (…)

–J’avais vraiment envie de te voir, tu sais.

– Moi aussi. C’est quand j’ai cessé de le faire que je l’ai compris. J’ai compris que j’avais besoin de toi. Tu fais parti de moi et moi de toi. Vois-tu, je crois que quelque part, dans un lieu très improbable, j’ai tranché la gorge de je ne sais quel animal. J’ai aiguisé mon couteau et je l’ai fait, avec un cœur de pierre. Symboliquement, comme pour bâtir une porte chinoise. Tu comprends ce que je dis ?

 

Comme d’habitude, l’auteur navigue entre un réel très concret, plein de détails de tous les jours, et des pensées, des sentiments, voire des faits, insolites, inexplicables et qu’il ne cherche pas à expliquer. Cet équilibre entre les deux aspects de la vie telle que la voit Murakami fait le charme discret du livre, sans que l’on sache exactement d’où il vient. On le ferme et l’on se demande si c’est beau. On se dit : c’est tout ? Mais lorsqu’on y repense, on découvre, sans pouvoir le comprendre, qu’une fois de plus Murakami, par une poésie qui ne dit pas son nom, a réussi à charmer ses lecteurs. Mais ils ne savent pas exactement pourquoi ils sont charmés.

 

21/03/2012

Elle est apparue, innocente et intègre

 

Elle est apparue, innocente et intègre
Au chevet de nos rêves mouvementés
Quand,  sur l’élégance des parvis
Tu récitais l’obsédante poésie des vers
Grouillants et pléthoriques, encombrée
De rappels exacerbés et mouvants
D’une glorieuse égérie immortelle

Oui je me souviens d’elle,
La belle et franche amazone
Qui, sur sa jument altière
Courre dans la campagne verte
Après les rêves endoloris et cruels
Des bourgeois frileux et indécis

Héraldique, elle se tient sur un pied
Au sommet de la colline odorante
Les bras écartés du corps, en suspension
Le regard comblé d’amour empanaché
Et elle sourit pour elle-même, frêle
L’autre jambe passée sur le fil
D’une clôture rêche et forte
Comme un oiseau envolé dans les cieux
D’un ciel d’orage zébré d’éclairs

Elégance du geste, de l’attitude valeureuse
D’une femme encore fille,
Qui court après sa révolte ombragée
Et gagne les rivages sublimes
D’une paix survenue au matin

Les yeux ouverts sur cette apparition
Franche et maladroite de maturité
Tu disais ton désarroi à cette image
La belle emportée dans l’air
Comme un drapeau en flottaison
Au sommet des mâts de navires
En partance vers des pays inexplorés
Et toujours enlacée aux désirs entiers

Ils courent les bras tendus, enrubannés
De honte mêlée à l’espoir irrésistible
D’une rencontre impossible
Avec celle qui n’a pas de nom
Qui n’est que caresse et égarement
Dans les chants puissants et magiques
D’un divertissement anodin

Oui, elle était la sirène dénotée
Le faune irrésolu et cruel
Elle empruntait les courants ascendants
Des fumeries d’opium envoûtant
Et montait vers l’azur, légère
Riante, inconsistante, immanente
Comme au cœur même de l’élan
De la vie et de la mort mêlées

Et lorsqu’au dernier jour
Le corps replié sur lui-même
Dans cet irrésistible effort
D’une respiration impossible
Tu vois ces vêtements de glace
Passer sur cette silhouette fine
Tu souris légèrement, extasié
A la merci de ce rêve définitif
Qui enchante ta mémoire

 

13/03/2012

Ecoute d’une fenêtre ouverte sur un piano

 

Ecoute d’une fenêtre ouverte sur un piano…

Cristallines, les notes tombent une à une,
En cascade, ralenties, comme gelées,
Et la pesanteur les laisse s’écraser
Sur la surface lisse et froide,
Entre les rochers de la solitude.
Emportées par le tourbillon des flots,
Elles forment un renflement
Et s’évasent entre les cailloux
Qui parsèment la main gauche
De coupures subtiles.
Certains passages, entre les pierres,
Entraînent un modelé accéléré
Dans lequel les notes se noient
Dans une harmonie prudente,
Avec une retenue évidente.
Enfin... La plaine luxuriante
Où la mélodie prend de l’ampleur,
Accompagnée de nombreux accords :
Septième dominante,
Neuvième parfois,
Toujours suggérés,
Susurrés à l’oreille.
Tout s’éteint,
Se dilue,
Se perd,
Dans le grand bleu turquoise.

Alors on se laisse endormir,
L’esprit libéré de ce tout
Qui nous empoisonne
L’existence de son obsession :
Penser = vivre.
Quelle erreur !

 

11/03/2012

De calvaire en calvaire (1ère partie)

 

Un calvaire est un aide-mémoire dans la vie quotidienne campagnarde. Il est là pour dire stop, ne plus penser, se réfugier au-dedans de soi et s’ouvrir au bonheur de vivre, ce que l’on oublie un peu trop facilement. Ils sont nombreux, multiples, de toutes les formes ; mais tous nous disent : « Cesse de penser à tes affaires, profite de l’air, regarde les terres, chante comme les oiseaux. » Oui, cela peut paraître paradoxale, la croix est source de vie, elle puise ses racines dans la terre, elle étend ses bras sur le monde et redresse la tête vers le ciel, comme une offrande à la beauté de la vie. Elle est un pont entre la transcendance et l’immanence, avec l’homme à la croisée du vertical et de l’horizontal.

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Les calvaires doivent être champêtres. Faut-il cependant qu’ils soient envahis de lierre au point d’être méconnaissables ? Jésus couché dans sa crèche, immolé dans les feuilles odorantes, abrité des regards, veillant sur les champs et les prés, revêtu de feuillage. Le ciel pur entoure sa majesté inconnue, simplement.

 

 

 

 

Calvaire 02.jpg

 

Plus modeste, une simple croix rappelle au poète ou au passant la présence de la divinité et sa discrétion : rien  que deux bouts de bois croisés, un peu en biais, comme pour mettre en évidence la fatigue et la peine de celui qui n’est pas représenté. Elle a les pieds bien sur terre, enchâssés dans la pierre. Elle se dresse dignement, presque majestueusement, mais frêle dans la nuit qui tombe. C’est l’heure de l’angélus qui sonne au loin par-dessus les arbres et fait vibrer les oreilles et, en écho, les cœurs.

 

 

 

Calvaire 03.jpg

  

 Elle rejoint les fils électriques dans leur verticalité et leur horizontalité. Modeste également, ayant perdu sa peinture, redécouvrant la pauvreté de l’air, elle possède cependant une image, mieux même, une petite pièce sculptée dont on n’aperçoit que les jambes, un peu Calvaire 31.JPGrouillées, et dont le visage se cache au centre de la croix, penché sur l’humanité, empreinte de l’invisible. Quel contraste, la croix de bois et l’électricité : l’une à laquelle plus personne ne prend garde ; l’autre, devenu le dieu de la société de consommation.

 

 

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Double croix, la pierre, puis le fer. Le ciel est gris, pesant, Calvaire 41.JPGun ciel de vendredi saint ! Mais quelle élégance possède cette double croix, altière et légère, imposante et nue, forte et malingre. A l’image du crucifié, très petit, mais bien présent. Et pourtant ce n’est qu’un calvaire au bord d’un chemin, engourdi dans la pente, sortant juste sa croix si on l’aborde par derrière. Mais sa droiture est cinglante, son assise solide. Cette croix est chez elle, dans sa plénitude, les bras tendue vers le ciel, un ciel mitigé d’espérance ou de soucis.

 

 

 

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Un christ sur son autel, dans une portion d’église, peut-être détruite pour laisser passer la route, voie impériale dCalvaire 71.JPGes locomotives à pneus. Entouré de ces arbres ébouriffés, hirsu-tes, il ne paye pas de mine, peinturluré de minium. Mais cette croix a de la grâce, un aspect romantique et bigot qui vous contraint à la regarder pour s’interroger : sur la croix, au soleil, chaque jour, Tu te donnes à moi, comme si j’étais seul en face de Toi. 

 

Transfiguration, soulignée de plus par les faux rayons partant au carrefour des deux branches. Et autour, le calme, la sérénité d’une campagne sur laquelle passent juste deux nuages, avec lenteur, sans bruit. Une image idyllique sur un ciel d’azur. C’est l’abbaye à la terre, la sainteté naturelle, la respiration du monde face à l’absolu.
Calvaire 08.JPG

 

 

 

09/03/2012

Se voir, regarder, et puis, partir

 

Se voir, regarder, et puis, partir,
Au loin, vers un horizon insoluble,
Au plus près des navires noirs,
En volant avec la mouette blanche.
Salée comme le goût de l’eau,
Elle dit adieu aux terres connues
Pour se tourner vers l’exponentiel,
Le grand mirage des flots déchainés,
L’étendue grisâtre et vert de gris,
Comme le chat espiègle et riant,
Pour compenser les jours de peine
Et les nuits d’outrage.
Elle a mis son manteau de loutre,
Elle a regardé son appartement,
Petit, malhabile, encombré,
Et a décidé de s’enfuir, loin de tout,
Dans une agitation inquiète.
Regardant les magazines colorés,
Elle a choisi cet au-delà des mers,
Derrière les soucis et les joies,
Là où plus rien n’effacera
Ses souvenirs d’une vie remplie
D’un petit air charmant et triste.
Où seras-tu dans quelques heures ?
Partie à bord, dans sa cabine minuscule,
Regardant par le hublot l’onde
Secouée de rires et de pleurs,
Et constatant sans peine le désert
Des eaux agitées, mais impavides,
Que feras-tu lorsque tu seras loin
De tout souvenir et de tout sentiment,
Avec pour seul horizon, plat, cette ligne au loin,
Qui se rapproche lentement, inexorablement ?
Mais derrière cette ligne qui fuit sans cesse
Qu’y a-t-il de si attrayant ?
L’envers d’un décor de rêve,
Le charme discret et respectable
D’un épisode fermé et désespéré.
Une comédie burlesque,
Un grand rire ébouriffant,
Un sourire de petite fille,
Une grimace de singe velu,
Le coup de queue d’un poisson
Volant par-dessus les rêves,
La chanson aigrelette et vaine
Des oiseaux prisonniers de l’air.

Départ vers la liberté de conclure
D’une pirouette mal assurée
Allez donc, partez si vous le voulez !
Que restera-t-il de votre personnage,
Juste un peu d’ombre le matin
Lorsque, réveillés, les passants attentifs
Regarderons ces fenêtres ouvertes
Et verront le rideau se soulever,
Légèrement, prudemment,
Pour qu’un visage exsangue
Leur fasse un dernier bonjour :
Ah, quelle farce que ce départ !

 

05/03/2012

Sensation, impression, émotion

 

Sensation, impression, émotion,
Comment qualifier cet état de court-circuit ?
Plongé dans le noir rougeoyant,
Les yeux fermés sur l’ostracisme
Naturel, stérile, mais palpable
Entre hommes et femmes,
Entre riches et pauvres,
Entre blancs et noirs,
Entre blonds et bruns,
Entre hommes et entre femmes,
Encore plus, entre enfants.
Rien, le vide de l’espoir, sans amertume,
Enrobé du chocolat tiède
De sentiments indélicats.
Revenir à la primauté des sons,
A la couleur de l’illumination,
Au goût ouaté du pain d’épice
Un soir d’enfance, dans son lit.
Assis, je contemple l’effondrement
De mon personnage en quête de componction.
Plus rien ne sera comme avant !
Le bleu divin, le noir de l’évasion,
Le blanc du mirage imaginaire,
Le rouge de l’illusion perdue,
Le jaune des nuits d’été, chaud,
Le vert envahissant de l’âme
Qui courre de la tête aux pieds
Et brûle la gorge au passage.
Je peux encore toucher, extasié,
La main fine et délicate,
De la chance souriante
Ou encore celle, plus rude,
De l’éclat de fer des séparations.
Et ton regard me transperce,
M’étrangle dans le jour malhabile,
Etonné, anxieux, interrogateur.
Qu’as-tu fait de ta destinée ?
Je suis resté sur le chemin
A regarder passer, courageux,
Les groupes combattants et vigoureux
Qui se poussaient les uns les autres
Pour cheminer ensemble vers une mort
Annoncée, inexorable, meurtrissante.
Oui, je te regarde et souris
A ta beauté retrouvée et pleine
Car ensemble nous naviguons
Toutes voiles dehors, au vent du large,
Vers l’horizon désert, mais tentant,
Dont on ne voit plus le fil.
Donne-moi tes doigts de fée
Prends mon visage entre tes mains
Et contemple celui qui est
Avec toi, pour toi, en toi.

 

28/02/2012

Tricorne de doute et de pompe

 

Tricorne de doute et de pompe
Sans l’arrêt du cœur de Germain
Je gagnais la bataille du flambeau
Arrondi au ventre de l’inquiétude
Et mêlé à l’inconsistance de l’eau
Je navigue aux porphyres des côtes
A l’ombre du phare à quatre têtes
Auprès de la blonde délicatesse
Des lumières de nos corps

Sous la pluie de notre déraison
Les regards abrités de tes paupières
Abordaient la venue des saisons
Du métal de leurs facettes altières

L’image vide,
Les mains à la pesanteur de l’âme
Je rêve, parfois

 

23/02/2012

Rien, l’errance conceptuelle

 

Rien, l’errance conceptuelle
Les idées filent comme météorite
Elles traversent l’espace
Et pompent l’énergie créatrice
La nuit berce cette agitation
La rendant ronronnante
Sur quoi se fixer ?
J’ai erré dans les lieux de la géométrie
J’ai observé les lois de la nature
Je suis tombé dans les imprécations
Des diverses cellules irisées
Qui courent dans la tête
Et agitent les pieds au soleil
Et je reviens ensuite à cette satiété
Ou cette inappétence pour la réflexion
Quand l’un vient, l’autre s’en va
Sans suite logique, sans pont
Sans symétrie de pensée
Une errance immature et diffuse
Qui couvre les heures de l’insomnie
Cela dure et s’étire comme des filaments
Jusqu’au moment où je me réfugie
Dans le monde secret et inexplorable
Derrière les yeux clos, impavides
Dans la trouble obscurité colorée
De noir, de rouge, puis de blanc
Une blancheur inédite, nouvelle
Qui apaise l’esprit et le corps
Qui oblige la machine galopante
A laisser tomber la pression
Jusqu’au moment où le rien
Devient réalité vivante
Où l’araignée tisse sa toile extensible
Derrière laquelle s’expose la tache
Claire et lumineuse, choquante
Des eaux troubles et verdâtres
 D’un cerveau en décomposition

Eh bien, contrairement aux impressions
Cette écriture sordide et personnelle
M’a ragaillardi et a chassé
Les fantômes d’un passé trop présent
Les spectres d’un futur inatteignable
L’absence d’appréhension d’un maintenant
Qui se noie dans le vide cosmique
J’ai repris pied, j’ai fermé mes écouteurs
Je me lance à l’assaut de mon lit
Saute dans sa pâleur et m’endort
Heureux de cet intermède indéfinissable

 

18/02/2012

Quatre heures, la nuit s’étire

 

Quatre heures, la nuit s’étire
Blanche de sérénité, sans désir
Dans le long filament des jours
Jusqu’à cet instant, unique

L’univers lui-même étale
Ses galaxies  qui s’éloignent
Et courent dans le vide
Elles ne savent où

Un vase clos de promesse
Dans la vacuité inimaginable
Sans tomber, ni faillir
Qui conquiert le rien

Et l’homme, ridicule
De petitesse et de présomption
Perdu dans ces espaces indéfinis
Contemple sa propre finitude

Il n’est rien qu’un point
Dans une multitude d’années-lumière
Les yeux ouverts sur l’infini
Submergé de cette immensité

Et pourtant, il le peut
Il le fait. Il découvre en lui
L’univers reconstitué
Un trou noir immergé

De l’intérieur vers l’extérieur
Sa vision habituelle, il se contemple
De l’extérieur vers l’intérieur
Par symétrie, progressivement

Cela passe par ce filet d’air
Qu’il laisse couler en lui
Comme un gaz hilarant
Et qui gonfle ses poumons

C’est un air sans odeur
Un air vierge et pur
Qui râpe ses muqueuses
Et lui ouvre la gorge

Et il se sent léger
Il ouvre ses ouïes volages
Et plane dans cette ouverture
Sans savoir où elle le conduit

Encore un effort, un étirement de plus
Encore une étincelle de vie
Qui l’aspire et l’étire
Et le réchauffe, amoureusement

Léger, il perd son poids
Il devient membrane
Fine pellicule de peau
Qui trace une frontière impalpable

De quel côté regarder
Il oscille entre les deux mondes
Rappelé par le moindre mouvement,
Qui le détourne de son but

Attiré également par cet espace
Sur lequel le temps n’a pas de prise
Un trou noir et voluptueux
Qui le comble de chaleur

Quel miroir du monde extérieur
Mais là pas de souvenirs
Pas de sentiments, ni même
De sensations palpables

Retour à l’évanescence
A l’inconsistante hébétude

Clac ! La cloche a sonné
La fin de l’évasion, mort ou vif

 

14/02/2012

Revenus des régions polaires

 

Revenus des régions polaires, le poil hérissé
Nous apprécions la délicatesse des gouttes d’eau
Qui coulent sur les cheveux mouillés
Et s’engagent dans le cou, dérangeantes

Pour tromper cet arrosage intempestif
Et s’enrober d’étanchéité inventive
Nous enfermons nos corps fondant
De papier d’emballage aux papillotes relevées

Affrontant joyeusement cet auto-nettoyage
Plutôt que débordant d’humeur malhabile
Nous trottinons sur les trottoirs imbibés
Qui servent de miroirs aux passants égarés

Et lorsqu’un rayon de chaleur bienfaisante
Emerge au-delà des cotons en boule
Nous découvrons nos corps ratatinés
Offrant nos cœurs à l'ardeur apaisante

Certes nous ne sommes pas maîtres
Des caprices d’un ciel mouvant et versatile
Mais nous scrutons le couvercle
Pour en extraire l’optimisme béat

Quand le soir s’engage à pas menus
Qu’il sort ses griffes aux joues de froideur
Nous nous réjouissons de ne plus divaguer
Dans la soupe d’orties qui grippe la gorge

Oui, nous sommes enhardis et soulagés
De laisser errer nos fantômes suintants
Pendant que nous rêvons, béatement
Devant la lucarne aux paysages d’été

 

10/02/2012

Cueillir les mots que l’on vous jette

 

Cueillir les mots que l’on vous jette
Les retourner, les tripoter
Jusqu’à n’en faire qu’une pâte lisse
Que l’on peut ensuite rouler en boule
Pour la renvoyer, durcie, aux interlocuteurs

Souvent s’étrangle dans la gorge
Ces mots aigris de toute puissance
qui ne sortent que lentement
En filets continus, mais maigres
Pour ne pas envenimer l’atmosphère

Mais derrière cette apparente douceur
Se cache le Vésuve enflammé
Comment évacuer cette pression
Qui se condense en moi, bouillonnante
Et m’éveille en pleine nuit, hagard

Alors je laisse entrer le vide
Je me mets en marche vers mon absence
J’entre en retraite dans le noir bienfaisant
Où rien ne me touche plus, que Toi
Rayon incandescent qui réchauffe mon âme

 

 

05/02/2012

Hier, j’ai volé dans les courants d’air

 

Hier, j’ai volé dans les courants d’air
Un froid glacial m’accompagnait
Et imposait une carapace de glaçons 
Sur un cerveau aux caténaires neuronales
En alimentation discontinue

Pourtant je courais, l’esprit léger
Nu comme un ver, au figuré
Et cet air gelé pénétrait au cœur
De ma carapace, ouvrant la chair
Opérant son retournement
Reconstruisant l’être par soustraction

Et j’émergeais au soleil de Montmartre
Par ces escaliers contournant la fontaine
Réchauffant ce corps hérissé
Mais souriant gravement à l’éclat
D’acier d’un matin de grand froid

Tout paraissait lavé, propre, reluisant
Même les touristes emmitouflés
Regardaient ce Paris congelé
Je pris une photo d’une femme
Qui tenait à conserver cette heure
Au fond d’un appareil à images
Pour, rentrée chez elle, au Japon,
Qu’elle puisse rêver encore
A ce mont dominant la ville
Et veillant sur le sommeil
Elle me dit même merci en français
Avec un sourire emprunté

Je poursuivis ma course,
Passant entre les peintres
Dont les toiles gelées
Transfiguraient le silence

Je naviguais sur la place des Abbesses
Survolant les passants refroidis
Glissant sur les plaques de gel
D’un robinet mal fermé ou explosé
Me rattrapant au bras d’une égérie
Parisienne et déesse des sources
Avant de redescendre, apaisé
Vers les boulevards pétaradant
D’engins à moteur fumant
Patiemment alignés sur la chaussée
Comme pour une revue mécanique
Et fiévreuse d’un prince auréolé

J’arrive, je monte les escaliers
J’ouvre la porte épaisse et raide
Et me plonge dans la chaleur bouffante
Qui me monte à la tête
Et endort le cerveau,  si gelé
Qu’il résonne comme le battant
D’une cloche de bronze campaniforme

Revigoré, apaisé, alangui, ravi
Je plonge dans l’extase d’une journée
Comme les autres, enchanteresse

 

02/02/2012

Mortellement

 Linogravure réalisée il y a quelques années :

11-06-14 Mortellement1.jpg

 

 

La mort avait revêtu son uniforme

Un nécessaire de plongée sous-marine

Elle pointait sur moi son harpon

Et semblait me dire, hautaine :

" Qu’as-tu à regarder mes pieds

Ils sont chaussés de caoutchouc

Et battent la mesure du temps

Lorsqu’ils arrêteront leurs frétillements

J’appuierai d’un doigt ferme

Sur le basculement de la détente

Et te porterai le coup fatal

Alors ta tête s’en ira au gré des flots

Mangée par les mollusques

Elle dérivera jusqu’à ce que plus rien

N’erre sur sa surface lisse

Elle tombera au fond des mers

Puis s’effritera en mille poussières "

 

Chaque jour je regarde partir

Ces souvenirs chers de ma mémoire

Pour ne plus contempler

Que l’obscure froideur d’une eau mouvementée

Et ne reste que cette gravure

Elaborée un jour de grand froid

Parce que j’avais rêvé

A d’autres vies, à d’autres destinées

 

 Et cependant, dans l’obscurité

Cette tête veille sur le monde

Et me dit : " Le souffle instinctif

De la vie est en toi

Comme un mouvement rassurant

Ressenti fiévreusement au lieu

Où le moi devient le toi, le vous, le tout "

 

28/01/2012

Vous vous envolez...

 

C’est le matin, après un réveil ordinaire
Et l’ingestion d’un café ou d’un thé
Lorsque vous vous fixez sur une activité
Et descendez en vous-mêmes
Que la grâce vous frappe, comme un coup de poing

Brutalement, en un instant, vous sentez en vous
Comme une porte qui s’ouvre subrepticement
Et un air frais vous envahit, exaltant

Si vous n’y prenez pas garde
La porte se referme, sans plus
Et vous avez perdu cet instant de grâce
Que vous vous efforcez depuis longtemps
De faire naître en vous naturellement
A volonté, sans grand succès

Si cependant vous prenez conscience
De ce joyau qui vous est donné
Que vous devez conserver en vous-même
Alors vous vivez des minutes inimaginables
Aucun souvenir n’y est mêlé
Un vide bienfaisant vous submerge
Et vous flottez dans une obscurité
Nourricière, impalpable et sensible

Regardant en vous-même
Vous découvrez ce vide attirant
Cette caverne de beauté assoiffante
Qui vous retourne complètement
Et s’emplit de lumière palpable

Attentif toujours à ne pas perdre
Cet élan vital et bénéfique
Vous vous sentez allongé et allégé
Votre corps perd sa consistance
Devient un fil ténu et lumineux
Qui monte vers les cieux
Et descend sur la matière
Elle-même devenue vide

Distendu entre ces deux extrêmes
Vous laissez une chaleur tendre
Envahir votre corps
Se concentrer en vous
S’épancher dans ce globe transparent
Que vous vous efforcez de nettoyer
Pour voir au-delà de cette inexistence
Un monde merveilleux et inconnu
Que vous ne pouvez définir

Il est, vous êtes
Il est lié à vous,
Mais il est autre
Il vous contente
Vous vous envolez…

 

 

24/01/2012

Nos ancêtres, un peu bornés ou mathématiciens

 

Nos ancêtres, un peu bornés ou mathématiciens
Ont tenté d’établir en quelques mots pesants
En quelques faits que la loi semble soutenir
Une rationnelle limite à l’écoulement du temps
Cette frontière, jour de fête pour son aboutissement logique
Leur échappait comme l’eau entre les doigts
Que l’on tente vainement de retenir pour sa fraicheur
Le passé n’avait pas fini de mourir à petits feux
Que déjà l’avenir dans ses espérances contradictoires
Avait façonné le paysage de nouvelles perspectives
Plus nobles, plus harmonieuses, plus imaginaires aussi
Qui semblaient l’annonce des temps nouveaux
Et comme ils avançaient dans ce palais promis
Au-delà des colonnes et des chapiteaux grandioses
Apparaissaient encore les mêmes faubourgs bancals
Qu’ils avaient traversés des jours durant
Et nous persévérons aussi car le mirage du palais
S’édifie des mêmes pierres que les faubourgs traversés

 

19/01/2012

Les hommes, comme d’éternels esclaves

 

Les hommes, comme d’éternels esclaves,
Entraînent  chaque jour la roue du passé,
N’agissant que sur ce point de tangence
Qui imprègne dans le sol l’instant de sa présence.
Derrière ne restent que les traces du regret du passé
Et au devant l’espoir du futur dans un jardin sauvage.

 

16/01/2012

Orphée, film de Jean Cocteau (1950), avec Jean Marais (Orphée), François Périer (Heurtebise), Maria Casarès (La princesse), Marie Déa (Eurydice)

 

Orphée 1 :

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=F3T4nEuHnlM

La suite, jusqu'à Orphée 10, sera indiquée sur la page d'ouverture.

 

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Lorsque les sirènes chantèrent, pour attirer les marins
Orphée se mit à chanter en donnant la cadence aux rameurs
Et les belles en furent pour leur frais, perdues à jamais,
Sans homme, ni humain, ni même une âme.

Orphée se maria avec la belle Eurydice qu’il aimait.
Elle fut piquée par un serpent et mourut.
Alors Orphée, muni de sa lyre à neuf cordes,
Descendit aux enfers pour la délivrer.
Hadès, ému de tant d’amour éperdu,
Lui accorda à nouveau la possession d’Eurydice
Mais avec l’interdiction de la regarder.
Ce qui devait arriver arriva.
Orphée se retourna pour voir Eurydice,
N’embrassa qu’un courant d’air et la perdit définitivement.
Alors, désespéré, il se livra aux Bacchantes
Et sa tête de poète repose sur la terre des arts.
Elle chante parfois dans l’orage
Et inspire les poètes et les musiciens.

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Jean Cocteau, nouvel Orphée, reprit le mythe,
Transformé en histoire d’amour avec la mort.
Celle-ci, sous les traits d’une princesse,
Attire Orphée dans l’autre monde
Par des messages radio semblables à ceux de la Résistance.
Elle fait tuer Eurydice par ses motards,
Véritables soldats de la mort, muets et obéissants.
Orphée passe les gants de caoutchouc,
Secouru par Heurtebise, le chauffeur de la dame,
Et pénètre par le miroir dans l’autre monde,
Car les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va.
La princesse avoue qu’elle aime Orphée
Et celui-ci ne peut s’empêcher de l’aimer à son tour.
Orphée est autorisé à repartir avec Eurydice ;
Bien sûr il la regarde et la perd à nouveau.
Il retourne alors au royaume des morts.
Mais la mort va se sacrifier pour rendre Orphée à son monde.
Orphée et Eurydice poursuivent leur vie sur terre.
Ô mort, où est ta victoire ?
L’amour est plus fort que la vie, et, bien sûr, que la mort !

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Plongé dans la poésie du film, on ne perçoit pas que sa fin est également celle de la poésie. La réalité transformée en passage d’un monde à l’autre, par l’intermédiaire d’objets les plus courants : les gants de caoutchouc, les miroirs, la radio, les motards, etc. Au-delà, le monde de l’absolu arbitraire sous les dehors d’une logique implacable faisant fi de l’amour et de la mort. Le retour au vrai monde des humains est la perte d’un amour poétique contre un amour plus pauvre, mais vivant, à la mesure de l’homme.

La poésie et le rêve se sacrifient pour que vive le réel. Bravo au poète éternel qu'est Jean Cocteau !

 

 

 

15/01/2012

Je regardais passer les piquets noirs

 

Je regardais passer les piquets noirs comme des corps de garde
Qui fuyaient à mon approche comme de grande harde.
Les chemins ont l’odeur du cristal et du papier peint
Et s’écroulent au passage de mes yeux insolites et lointains.

Je laisse derrière des rivages de souffrance où la joie brille
De ne plus voir la chevelure déconfite des quadrilles.
Et les lumières perdues dansent une étrange sarabande
Sur les flancs grisâtres et pauvres d’une ignorante lande.

Plus rien ne retient mes pas au long de ce voyage
Si ce n’est la chaleur sans clarté de ce paysage.
Noirs et blancs, je brode ma chevauchée au fil des cailloux
Tout en gardant l’image de l’araignée qui se tord le cou.

La poussière écrase sa crinière d’or sur l’aubépine
Qui parle en clins d’œil aux vestiges de ces ruines.
Plus rien ne me retient si ce n’est ce crapaud
Qui bêle au fond des trompes comme au sortir de l’eau.

 

10/01/2012

Je ne sais plus que dire

 

Je ne sais plus que dire
Souvenir de ces chevauchées
Lorsque tendresse égale caresse

Je ne sais plus que dire
Image de ces voyages
Au lointain délire des ruines de Palmyre

Je ne sais plus que dire
Devant ton altière présence
Le matin, au réveil des sources enivrantes

Je ne sais plus que dire
Quand ton sourire s’épanouit
Et m’incite à partager ton émerveillement

Je ne sais plus que dire
Mais je sais toujours rêver
Devant ton visage illuminé par l’amour

 

05/01/2012

A force de patience et d’attention

 

A force de patience et d’attention
J’ai fait grandir le vide en moi
Et mon corps résonne étrangement
A tous les coups portés par la vie

Comme une grotte ouverte à tous les sons
L’écho des plaintes humaines m’envahit
Mêlé aux cris de joie de l’enfant nu
Qui s’éveille à la fragilité des choses

Et ce vide fut comblé de ton amour
De cet amour que tu détiens en toi
Comme une présence nouvelle
 Tournée vers la beauté du monde

Cet amour est devenu mon amour
Porté vers d’autres amours à venir
Comme une vague annonce une autre vague
Jusqu’au dernier jour de la vie

 

01/01/2012

Nouvelle année !

 

Nouvelle année ! Plus elles passent,

Ces nouvelles années, plus elles semblent

Toujours les mêmes : une nouvelle année

Semblable à elle-même, petitement

 

Oui, vous vous réveillez la veille,

Comme tous les jours, hagard,

Vous comptez vos abattis et vos poils de cheveux

Et vous vous dites : tiens, demain…

 

Et ce soir, que faire ! bien sûr,

Vous êtes invités au réveillon

Qui consiste à diner, assis, engourdi,

En attente d’une heure qui vient difficilement

 

Minuit, tous s’empêtrent d’un même vocabulaire

On croirait un hôpital psychiatrique

Ou une publicité pour handicapé

Que de « bonne année », produits publicitaires !

 

Après ces paroles malheureuses

Vous rentrez chez vous, refroidi

La tête pleine de rire et de larmes

Et vous vous couchez, honteux

 

Alors, le jour se lève lentement

Vous admirez son remuement léger

Vous sentez monter en vous cette évasion

Que vous procure l’extinction de votre égo

 

Et en un instant merveilleux et unique

Vous ressentez ce nouveau jour, seul

Face à l’immensité de la vie

Comme une bouteille d’espérance

 

Vous la buvez en douce, colorée et sucrée

Vous en palpez le grain indolore dans la bouche

Vous souriez à l’éternelle envie

De poursuivre votre voyage terrestre

 

Un autre jour, nouveau, excitant,

Une autre vie à construire, libre

Vous courrez dans la mer des délices

Et chantez à en perdre la tête

 

Merci à cet univers insolite

Merci à ce Dieu méconnu

Qui fait de vous un homme

C’est-à-dire un être à conserver

 

Alors bonne année nouvelle

Comme ce beaujolais de novembre

Que vous soyez ivres de jours

Et fiers de vos nuits

 

 

Que les amis qui nous ont reçu hier soir se rassurent. Ce poème est, comme tous les poèmes, l'expression de l'imagination qui n'a rien à voir avec la réalité vécue d'une excellente soirée. Tous les premiers de l'an comportent immanquablement une soirée et, inéluctablement il y a un matin nouveau, riche d'une nouvelle année pleine de promesses. Morale de l'histoire : profitez chaque jour de ce que la vie vous donne, le soir comme le matin !

 

 

29/12/2011

Je ne puis regarder une feuille d’arbre sans être écrasé par l’univers (Victor Hugo)

 

 

L’arbre, cathédrale naturelle, pont entre ciel et terre, les pieds dans l’humus et la tête dans l’azur, déployant ses bras et ses doigts vers l’avenir, empruntant son existence au passé de ses racines, le tronc rond, bossu, bien présent lorsque vous vous adossez, sentant le bois, parfois sec comme la poudre des allumettes, d’autres fois humide à la senteur plus chaleureuse. 11-12-28 Arbre 15 red.jpg

 

 

En voici deux, à l’existence mêlée, comme devisant ensemble dans leur promenade terrestre, se tenant bien droits, majestueux de finesse et de force, les doigts de pied recroquevillés sur le sol, mais laissant entrevoir l’image inversée des racines déployées sous la terre aussi vivaces que leurs branches, branchages, radicelles et feuillages de plates et tendres pièces de verts multiples. Exposés au soleil, ils s’épanouissent là, comme des naufragés sur la mer verte, uniforme et rayée de ces coups de charrue encore visibles malgré le léger duvet de blé tendre qui les recouvre.

 

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Autre pente, autre silhouette grandiose, barbue, enrobée de touffes de poils, dessinant la même voûte aux reflets roses, les manches recouverts de mitaines végétales jusqu’au milieu des doigts, laissant libre les extrémités pour écrire au vent leur histoire, montée vers l’azur, vers la lumière, vers l’espérance. A ses pieds, les traces tournantes de la herse comme un grand disque de vinyle laissant entendre sa mélopée engageante et flutée.

 

 

 

 

 

 

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Et voici l’arbre torturé, aux doigts rongés comme ceux d’un lépreux, au poing tendu vers l’univers pour attester de la brutalité humaine, recouvert du duvet de l’année déjà bien florissant, mais fin et léger comme une toison d’adolescente. Il rit sous le soleil, les membres raidies, mais encore verts, se posant comme une borne de propriété au coin d’un champ.

 

 

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Autre arbre torturé, mais cette fois-ci par la rapacité naturelle des autres espèces, sorte de cataclysme brutal, qui englobe de gouttes de cire lourde les doigts malhabiles sortant de ses moufles poilues. C’est peut-être un père Noël inventé par la création ou des fleurs de vert tendre poussant sur les tiges délicates d’une espèce disparue. 

 

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Ce n’est plus qu’un corps sans extrémité, comme un infirme ne pouvant ni marcher, ni parler aux autres végétaux. Il est juste recouvert de poils délirants, hirsutes, comme une barbe de trois jours sur un vieillard grabataire, le corps enfoui sous une couverture sale émergeant au dessus d’un lit douillet. Il finit sa vie comme un géant fauché par la voracité des hommes toujours en recherche de matériaux à brûler ou de poteaux à enfouir sous terre pour supporter les fils de fer barbelés de la honte d’être un morceau d’arbre qui a perdu sa liberté.

 

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Enfin un arbre rassurant, semblable à une mariée dans sa robe de cérémonie dont on devine le corps encore vert, bien proportionné, attendrissant de courbes qui conduit le regard sur un ventre plein, léger, affiné, en attente de promesse. Il déploie ses artifices aux alentours, comme des effluves de romarin et de jasmin, ne portant qu’une seule bague, comme un nid d’amour sur l’annulaire qu’il montre à tous, par fierté.

 

 

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L’arbre protecteur, étendant ses bras au dessus des châteaux, paisiblement, se laissant ausculter par les rayons d’une radiographie de ses membres permettant de contempler la magnificence de son squelette dont il ne manque pas un os, même parmi les plus petits. Légèrement penchée vers la demeure qu’il ombrage de loin, il veille avec assurance sur la vie de ses habitants sans que ceux-ci en prennent conscience.

 

 

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Un arbre paon, aux plumes emmêlées, comme après un orage. Il tente de faire une roue, mais ses aigrettes mouillées par la pluie de la tornade font piètre mine devant un ciel rieur. Seul le haut de la roue porte un arbre miniature, comme un enfant d’arbre poussant sur un corps de sorcière. Il s’épanouit harmonieusement, semblant dire au reste des branches : « Voyez ma beauté structurée, mon indolence hautaine, la jeunesse de mes articulations, la souplesse de mes cheveux de roi. Vous ne pourrez monter si haut. Que vos regards convergent vers ma hauteur et se croisent en mille feux d’étincelles émerveillées ! »

 

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Un arbre maternel, en pleine gestation, rond et plein d’avenir, s’épanouissant  dans l’herbe grasse, dans l’enclos de haies souples, puisant au sol sa vigueur épanouissante, aux racines baignant dans des pots de bébé de couleurs jaune, vert, comme pour mieux se nourrir et s’enrober de bienfaisantes rondeurs qui, un jour, feront émerger d’autres branches, d’autres feuilles pour finir en forêt dodue et luxuriante.

 

 

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Enfin, le justicier, dominant la campagne, affichant ses prétentions, développant sa rotondité, se suffisant à lui-même, sûr de son aspect solitaire et grandiose. Mais il possède en même temps une verve, une onctuosité, un embonpoint de bon aloi qui vous font dire : « Quel symbole de la nature charnelle, vivante, foisonnante et nourricière. Nous pourrions rester une vie sous son ombre et nous voudrions encore le contempler dans tout son achèvement de perfection naturelle. »

 

 

 

 

 

L’arbre ne possède-t-il pas comme l’homme ces ramifications de neurones et de synapses qui font de lui l’intelligence de la nature, le penseur naturel de la surface terrestre. Apprendre à parler arbre, à penser arbre, pour le plus grand bienfait d’une santé mentale absorbée de techniques et de finalités uniquement humaines !

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26/12/2011

Attente immobile, au fil des sons

 

Attente immobile, au fil des sons,
Qu’éclate dans le cerveau
Le pépiement inconsidéré
Du frottement des tissus
Et de la chair de poule
Qu’il procure… Frisson.
Je ne sais plus ce que je cherche.
Peut-être ta candeur
Toujours renouvelée,
Rafraichissante, émouvante,
Comme une source d’eau vive ?
Et je t’écoute. Cette voix
Qui sort du fond des âges
Et module sa tendresse
En volutes percutantes,
Enchanteresses.
Je me laisse bercer, hagard,
Au fil du temps qui s’écoule,
Et toujours repris par ton absence.
Encore une fois,
J’erre dans le jardin inconsidéré
De nos rencontres inopinées,
Pour admirer, chaque jour,
Le tremblement de tes cils
Et le signe de ta main,
Comme l’envol de la colombe.
Je repose et serre mes mains
Sur les tiennes, serres de verre,
Dans l’éclat de ton sourire.
Et nos regards croisés
Mêlent leur connivence
Au-delà de la bulle close
De notre amour de toujours.

 

18/12/2011

Voilà... Quelques pas de plus

 

Voilà…
Quelques pas de plus
Un geste, toujours le même
Ébauché cette fois-ci
Vers les paysages inconnus
Où mène la route de la colline

Un regard échangé mollement
Une étreinte un peu plus chaude
Un sourire fatigué de sourire
C’est le soir d’une amitié
Qui ne durera qu’un jour
La fin d’un beau rêve
Abandonné sur la berge
Un jour où l’eau coulait
Plus lentement, par malice

On entend la sirène de l’usine
 Et le ronronnement de la péniche
L’arbre teint de poussière blanche
Ne connaît plus la fête des oiseaux
Le chemin retourne vers le pont
Celui qui ouvre sur la ville

C’est le soir d’une amitié
Qui a duré le temps d’une promenade

 

14/12/2011

L’autre jour, j’ai vu un homme

 

L’autre jour, j’ai vu un homme,
Un homme qui faisait les vitres.
C’est presque tout un chapitre,
Un chapitre où se perd un homme.

Il se dressait vers les carreaux,
Élevant ses bras aux cieux,
Pour ensuite tremper, le pauvre vieux,
Sa tirette de caoutchouc dans l’eau.

Ses lents gestes de somnambule
Étaient chargés de rêves et de pensées.
Son triste monologue courrait sur les roses fanées.

Par instant se formait une bulle,
Qui s’enflait et éclatait sous son nez.
Alors il pleurait doucement sur ses mains burinées.

 

10/12/2011

Oui, je me retrouve en toi

 

Oui, je me retrouve en toi
Lorsque tu me tends les bras
Et que tu penches la tête
Pour me dire, à mots couverts,
Je t’aime.

Lentement tu délies tes pensées
Pour ne plus avoir que celles
Que nous avions à vingt ans
Dans les yeux de l’autre
Sur le miroir de nos inconsistances

Installés sur la terre ferme
Emplis de nos réalités
Contemplons le chemin parcouru
Et admirons l’unicité désuète
D’un engagement à contre-courant

Oui, je me retrouve en toi
Moi-même, double de toi-même
Toi aussi, revêtue de ma nuit
Dans laquelle luit la lueur
Des amants extasiés et comblés

 

06/12/2011

Les yeux fermés : voyage

 

Les yeux fermés, le cerveau clos,
Roulements aigus des boggies sur le rail,
Avec le claquement plus sec des aiguillages,
Eclairs palpables des arbres devant le soleil,
Grattement d’une joue irritée par le dossier,
Une main alanguie reposant sur la cuisse,
Les pieds fouillant d’autres pieds, sous la table,
Odeur de jambon beurre en fond de tableau,
Rires étincelants de groupes s’ennuyant,
J’ouvre lentement des paupières alourdies
Sur un défilement de champs à rayures,
De bois à tronçons et d’étangs à la surface gercée.

L’horizon s’affaisse, éperdu,
En grandes taches sales et perverses
Pour proclamer l’envie d’un repos mérité

Taches aussi des vaches dans les prés
Comme des champignons sur le green
D’un golf imaginaire et mouvementé

Des voisins très sains, aux reins solides,
Qui devisent éperdument en solitaires
Jusqu’au sourire d’un regard lointain
Perdus dans leur monde déconnecté

Plus rien ne vient
Du tout à l’horizon
Empreinte commerciale
Des contrôleurs désabusés
Jusqu’à la gare noire
Le débouché aveuglant
Sur un parvis de voyageurs
Et de voitures ensablées
Patinant entre les corps
Circulant sur le chemin
Du retour éternel
Aux pistes inconscientes
D’une enfance heureuse

 

02/12/2011

J’étais, je ne suis plus

 

J’étais, je ne suis plus
Je suis, je n’ai jamais été
Peut-on être et avoir été
Après t’avoir aimé
Et t’aimer plus encore

J’apprends une nouvelle vie
Je ne sais plus mourir
J’erre au pas de ta présence
Devenu immortel

Que te donnerai-je en échange ?
Je n’ai que l’amour sur les lèvres
Et cet amour meurt de ton absence

Mais tu es là et je revis
Tu m’aimes et je ris
Je t’aime et tu souris
Nous connaîtrons ce qui n’a pas été

 

28/11/2011

Multitude des attitudes

 

Multitude des attitudes,

Comme l’oiseau s’enfonce dans le vol

Après avoir reposé ses ailes recourbées

Dans l’air lourd et magnifiant

D’un vent du large, caressant

 

L’un d’entre eux marche sur la digue

Et enchante les hirondelles

De sa valse à cent temps

Il pousse le cri de victoire

Vers les bâtiments vides et délaissés

 

Un autre, plus vert et musclé

Revient au pas de course

De lointaines collines

Encore effarouché, essoufflé

Par la contemplation de l’avenir

 

Celui-ci tient son arrogance

A pleines mains, repu

Et chante à qui veut l’entendre

Le cri du vieux marin

Lorsque l’eau le pénètre

 

C’est un rêve sans doute

Le rêve de l’eau ensorceleuse

Qui secoue parfois fortement

L’errant de l’âme endormie

Ruisselant d’images, la nuit

 

Gnomes ragoutants et bruyants

Vous dévidez vos histoires

Et regardez leurs effets

Du haut de vos dix pieds

Comme des anges pervers

 

Et, un jour, emporté par le rêve

Vous découvrez un présent inexistant

Vide d’un passé chargé

Néant d’un avenir inenvisageable

Pour ne plus penser et vivre, enfin

 

 

20/11/2011

Bruxelles

 

On y entre facilement en voiture, comme dans une ville de province lorsque l’on se faufile entre de petites maisons et des zones industrielles devenues le refuge de sociétés commerciales qui vendent de tout, c’est-à-dire pas grand chose. C’est la fin de l’après-midi, les lumières s’éveillent une à une, comme les bougies d’un sapin de Noël allumées par une seule personne. Progressivement ces bougies se mettent à danser. Vous tournez la tête jusqu’à ce qu’elles se calent dans votre vision et donnent à la ville sa nouvelle apparence, tantôt trop claire, aux abords de grands carrefours ou de lieux d’achat, tantôt obscure dans des rues désertes ou à proximité de parcs et même de forêts de poche. Si bien que vous vous retrouvez quasiment au centre de la capitale en ayant parcouru une petite ville de province encore engluée dans une ruralité attendrissante.

Vous parcourez les rues encombrées de maisons pressées les unes contre les autres. Vous imaginez être dans une bibliothèque dont les volumes ssociétéont emprisonnés entre des serre-livres, monumentaux, colossaux, à l’image du palais de justice qui domine la vieille ville du haut de sa grandeur juridique et morale. Vous vous attendez à voir sortir d’un interstice entre deux habitations un insecte géant, mangeur de papier, cherchant dans votre portefeuille quelques billets à se mettre sous la dent. Rien de tout cela n’arrive. Vous vous promenez comme tous les passants dans une obscurité diffuse, serrant votre col pour ne pas laisser le froid pénétrer le creux douillet d’une poitrine offerte.

Vous vous arrêtez devant les magasins colorés, aux devantures chargées de "brolles" (objets divers) de toutes sortes, mais qui éveillent en vous cette folie d’achat et de possession que vous portez dans vos gênes depuis votre petite enfance. Ce chocolatier est irrésistible ! Vous entrez et êtes surprise par la foule dont le seul objectif semble être le choix important du type de chocolat : noir comme l’encre, au goût amère, mais à la texture simple qui laisse un arrière goût patiné, à la manière du miel, mais moins écœurant ; éclairci, de la couleur des boiseries de nombreuses maisons Art Nouveau qui enjolivent la ville de volutes de bronze et d’arabesques délirantes, au goût plus difficile à définir parce que chargé d’autres effluves, de fruits ou de fleurs. Puis vous ressortez et vous asseyez sur un banc, face aux livres alignés comme des soldats de plomb pour déguster une de ces merveilles gustatives que seule Bruxelles offre à ses visiteurs. Ou encore, vous achetez une gaufre dans une camionnette jaune sale à l’intérieur de laquelle s’agite un charmant monsieur qui jongle avec ses pâtisseries pour les distribuer à tous ceux qui ont besoin d’un en-cas pour survivre en cette fin d’après-midi ou plutôt début de nuit noire et mystérieuse. Puis vous descendez la rue Royale jusqu’à l’église des Sablons pour vous glissez entre les voitures de la place et regardez la vie aller et venir entre les devantures luxuriantes tout en mangeant avec délicatesse cette gaufre appétissante et bienvenue. Là, vivante et repue, vous glissez vers ces tentations sublimes, résistant malgré tout aux charmes d’emplettes de rien, pour vous retrouver dans un magasin environnée d’objets inconnus tels que des peintures, des bijoux ou des tasses à café. Et vous vous fondez dans ce paysage pour mieux le goûter et en apprécier la nouveauté tentatrice.

Ressortant, encore rêveuse d’objets exaltants, vous vous transformez en songe, dans la froideur de l’automne et vous élevez au dessus des cheminées fumantes pour contempler de haut cette ville bizarre, encombrée de petites rues aux maisons biscornues dans lesquelles ont été taillés des emplacements pour de grands monuments, un peu lourds, presque germaniques, mais gardant cependant une certaine élégance, comme ces femmes oscillant entre une jeunesse encore vivante dans certaines attitudes et le début d’un empâtement du corps qu’elles cachent sous des vêtements moins moulants. Vous parcourez en rêve les parcs aux longs arbres déjà dévêtus dans lesquels se trouvent encore quelques promeneurs qui se hâtent vers la sortie. Vous vous arrêtez place Royale, environnée de cubes blancs ou jaunes, un peu étourdie par la valse des voitures tournant en rond autour du carré central, jusqu’au moment où vous en suivez une qui passe devant le palais royal, triste et morose, parce qu’éteint et sans vie. Vous faites le tour du jardin, longeant les ambassades gardées par des Securitas enfermés dans leurs guérites étroites. D’un coup d’aile, vous montez plus haut et vous laissez envahir d’une mélancolie doucereuse, indolente comme les habitants de cette ville, possédée par le charme de cette capitale qui se déguise en femme entre deux âges, le regard brillant, mais déjà couronnée de "croles" enneigées.

Et le soir, couchée dans votre lit, après vous être endormie très vite, vous revisitez ces rues, ces maisons, ces monuments, à la manière du passe-muraille, pour vous imprégner de cet art de vivre, encoconné et chaleureux, riche comme une chatte étendue au coin d’une cheminée fumante.