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27/09/2012

La plaine

L’espace ouvert à perte de vue, sans obstacle
Le temps s’arrête dans cet horrible désert
Pourtant c’est là que se tient la richesse
Là où poussent les plantes nourricières

Parfois s’incrustent un fil d’argent
Dans ses profondeurs veloutées
Il courre en lacets au gré de l’invisible
Comme un couteau ouvrant la peau
Et ses flots sont la respiration
De ces terres, poussière ou limon

Parfois noyée, la plaine est abyssale
Et s’enfonce dans les mers
Lorsque les eaux sont au plain
Les vaisseaux les labourent
Visibles au seul plain de la poupe

De plain-pied dans ce malentendu
La plaine s’oppose à la montagne
Sur les bancs de la Convention
Et vote à l’opposé les lois de la république

Morne est la plaine de la défaite
Wellington serait-il vainqueur ?
Pourquoi tous ces coups échangés
Pour finir en exil, sans un regard d’envie

Dans l’espace du plain-chant
Rien n’émerge de cette monotonie
L’unisson y est la règle stricte
Les autres chants seraient-ils vides ?

Le plain est sans obstacle
Lisse de laine tissée
Quelle contradiction avec le plein
Qui suggère la hauteur et la profondeur
Empli d’une multitude de tout

 

23/09/2012

Un instant

Qu’est-ce qu’un instant ?

Pour beaucoup, ce n’est qu’un petit espace de temps
Mais pourquoi nous parler d’espace lorsqu’il s’agit du temps
Serait-ce un petit coin de paradis, ou d’enfer parfois
Un papillon qui s’envole dans l’espace à partir d’un toit ?

D’autres le voit plus long, ils le situent dans la durée
Mais cette continuité infinie du devenir appartient au passé
Comment concilier cette anomalie précaire
D’une définition juste bonne à un bibliothécaire ?

Un instant, c’est aujourd’hui, c’est maintenant
C’est le t que j’écris et il est déjà passé pourtant
Dans cette course du temps, ne nous arrêtons pas à cela

L’instant, c’est l’éclair d’un sentiment ou d’une impression
C’est une note de musique sur la vague des émotions
C’est le moment crucial où tout s’arrête, là

19/09/2012

Passion

Passionné je suis, pour tout et tous.
En même temps, indifférent et solitaire,
Aux autres et à moi-même.
Je préfère voler dans le ciel pur !

Fruit de la passion : l’achèvement de l’œuvre.
Alors vous la laisser partir, mener sa vie
Propre, sur sa barque enchantée,
Et vous contemplez ce désir qui fuit.

Plus rien ne vous rattache à l’objet
De vos attentions longues, hésitantes.
Il s’en va solitaire et vous laisse seul,
Face à une nouvelle inspiration, en ébullition.

L’énergie de la vie et de la mort.
Quelle émotion ! Je bous, je tremble.
Plus rien d’autre ne m’attire.
Ce nouveau mirage est mon unique bien.

Si cette passion devient amour, libre à toi
Le mirage se transforme en paradis
Et vous montez, bulle d’air
Au plus haut des cimes de votre exaltation

Mais passion signifie aussi mort cruelle
Asservissement au destin des grands hommes
Ou de l’inconnu ignoré et découvert
Lorsqu’enfin son corps repose, détendu

Quel mystère, un si grand bonheur
De telles peines encouragées et joyeuses
Comme le fil ténu à tirer sans cesse
Jusqu’à l’instant ailé du mot fin

17/09/2012

Rencontre

Rose pâle d’un ciel du soir
Lorsque l’ombre gagne les clairières
Et envahit le mur encore chaud
Arrivée dans cette atmosphère
Où rien ne trouve l’équilibre
Et se trouver apaisés, allégés
Par l’étendue des voiles du cèdre
Qui volent au-dessus du moulin
Et s’enfoncent dans le miroir de l’eau
Elle coule avec parcimonie
Mais respire la quiétude éternelle
L’envie soudaine de s’y plonger
Dominés par les murs rafraichis
De ce rose tenace et bienvenu
Nous contemplons le vide
Prêt à prendre notre élan
Pour sauter à pieds joints
Dans le salon gris
Ouvrant sur ce paradis

13/09/2012

Nuit

Plus rien !
Le vide,
L’absence,
Un désert inexistant,
Une coque sans fond,
Et résonne dans le crâne
La présence du trou
Mais comment le cueillir
Puisqu’il n’est rien ?

Je le sais…
Ce rien devient le tout
Lorsque vous vous oubliez

Parti le chatoiement des pensées
Partie la tendre ficelle du raisonnement
Partie encore la solide résurgence
D’une mémoire qui s’éveille
Vous reposez, ignare de votre savoir
Et vous laissez votre main
Dans la sienne, petite, accueillante
Votre sourire vaut de l’or
Mais vous ne savez pas votre richesse
Elle s’échappe en volutes colorées
Et prend son autonomie
Pressée d’en finir avec vous

Oui, perdu dans l’obscurité,
Sur vos yeux fermés au monde
Vous respirez encore, petitement
Du bout des lèvres roses
Dans le tremblement du drap
Vous êtes revenu à l’enfance
Avant même cette origine connue
Dans le calme défi des matins d’hiver
Pelotonné sous les monceaux
D’images qui surgissent, prenantes
Et vous font perdre les repères
Que donnent le jour et l’éveil

Fraicheur du souffle de la nuit
Quand l’air s’encombre de verdeur
Vous entendez le cri des nocturnes
Et Chopin entre dans votre rêverie
Un pas ou deux, une valse lente
Des hésitations d’un jour
Jusqu’à l’endormissement

La vie pourtant subsiste
La couleur des déplacements
Comme des ombres noires
Qui défilent devant le blanc
L’odeur tiède du foin
Qui sèche sur la terre mouillée
Le goût sans faim, acidulé
Du vol de la chauve-souris
Dans l’espace restreint de la chambre
Et la caresse inconsciente
Des mains unies de l’amour
Qui vous porte chaque nuit
Sur les monts de la reconstruction

09/09/2012

Réminiscence

Je suis, j’étais…

Quelle distance entre les deux
Combien de jours et d’années

Et revivre cet instant
Où dans l’étroit fil du temps
On saute à pieds joints en arrière

Sons et parfums de notre enfance
Qui s’imposent au présent, absurdement
Au détour d’un regard, d’un geste
Et frissonne d’une image du passé

Cette cloche qui résonne dans ma mémoire
Et fait naître un moment de connivence
Avec celui qui était, il y a loin, longtemps
Et qui revient un moment, ténu
Fil d’araignée qui tinte dans la tête

Perdu cet instant du passé ressurgi
Reprendre la quête du souvenir
Revenir à la seconde de l’étincelle
Quand émerge du coton des souvenances
La peau de pêche des fauteuils du salon
Ou le grincement aigu de la porte de la cave

C’est parfois un visage qui mène la danse
Et tourne le manège des êtres et des choses
J’entends ses rires dans la fraicheur
Ils chatouillent ma peau d’enfant
Et le poil hérissé devient duvet
Qui chante la musique du passé
Le temps d’un coup de vent

Lisse ton histoire entre hier et demain !

05/09/2012

Voyage

Aller et retour ou aller simple
Ainsi commence ce chemin que vous prenez
Et qui vous conduit vers l’inconnu
Et vous-même ne savez pas ce que vous faites
Partir et revenir ou fuir pour toujours
Ce quotidien des repas et conversations
Ces rires de convenance et d’ennui
Ce nid bourdonnant de frelons
Prêts à vous défigurer


Un voyage, c’est un bout de lune
Avalé en quartier, acide, à l’odeur forte
Vous détournez la tête d’abord
Pour ensuite la garder levée
Vous humez l’aigre vent du large
Et montez sur le navire enchanté
Qui vous conduit dans d’autres paysages
Vous n’avez plus d’attache
Et vous errez sur le balcon léger
D’où vous vous élancez, éperdu
Pour flotter sur les mâts perpendiculaires

Choisir le cabotage est une manière
De ne pas partir tout en n’étant plus là
Vous restez suspendus à vos habitudes
Et toute nouvelle figure fait encore
Fuir votre propension à vous ouvrir
Mais le voyage au long cours
N’est pas pour les freluquets
Qui ont peur de leur ombre
Laissez-la s’allonger vers le soir
Qu’elle tresse une couronne
Sur votre visage renouvelé

Il arrive qu’un voyage se transforme
En une expédition savante
Vous partez avec armes et bagages
Pour un pays qui ne vous connaît pas
Pour faire connaissance
Vous amenez votre sourire
Mais rien ne vous garantit l’immunité

Mais y a-t-il de plus beaux voyages
Que ceux que l’on fait en esprit ?
Quand de votre chambre
Vous voyagez sans bagage
Dans des pays inconnus de tous
Que vous concevez selon le besoin
Pour flotter sur un matelas
De caresses, de senteurs, de bruits
Inconnus de la population ambiante
Parce que vous le fabriquez
Aux fils de votre imagination
Comme un illusionniste intérieur
Musique de chambre en pantoufles
Vous écoutez la voix du sang
Qui borde de solitude
Vos désirs de paysages nouveaux

 

Voici la fin du voyage
Où es-tu l’ami ?
Au pays des songes
Ou en consistance matérielle ?
Que le voyage soit
Dans le frôlement de l’imagination
Ou le choc du toucher
Et qu’au retour
Enrobé du miel de la félicité
Vous retrouviez votre chambre
Ultime recours
A l’ajustement
De votre équilibre
Précaire

 

03/09/2012

Les rapports entre la poésie, la musique et la peinture

 

Quel rapport entre la poésie et les autres arts, en particulier la musique et la peinture ?

C’est ce que tente de définir Yves Peyré dans le premier chapitre de son livre « Peinture et poésie, le dialogue par le livre » (édition Gallimard, 2001). L’écriture, elle, qu’elle soit prose ou poésie, a rapport avec l’impalpable. Une page se regarde, elle ne néglige pas d’avoir un côté dessin, mais elle se lit (en silence, à voix haute), et là, ce n’est plus le visible qui prédomine, c’est le son (la poésie est assurément une forme exacerbée de musique). Serait-ce en ce sens que s’établissent les rapports entre la poésie et la musique, entre la poésie et l’art pictural ?

Poésie et musique ont en commun le son. Et ce son, par une évocation indéfinissable, devient un chant de l’âme qui exprime l’humain. Cependant, contrairement à ce que dit Yves Peyré, je préfère dire que la musique est une forme exacerbée, accomplie, de poésie. Pourquoi ? Eh bien, tout d’abord parce que la musique est universelle. Point n’est besoin de connaître la langue du musicien. Le poète, lui, se sert de la musicalité de sa langue pour s’exprimer. Ces deux arts se servent du rythme et de son contraire, le silence, pour exprimer le plus profond de l’être. Mais l’un le fait dans un langage que tous comprennent, l’autre dans la particularité de l’expression verbale, marque de naissance du poète. Ils peuvent, chacun, employer refrain et couplets, le premier par l’énoncé de la phrase sonore qui est la mélodie première qui permet à l’imagination de construire sa profusion sonore. Le refrain revient en arrière-fond, retourné, inversé, avec changement de modes et autres bouleversements, mais d’une manière différente de celui de la poésie, qui utilise la répétition comme une preuve de musicalité et de retour au thème, sans broderie qui défigure le son et le perd dans les chausse-trapes de la compréhension. Comme la musique, la poésie s’entend, elle ne se lit pas à la manière d’un roman. Et lorsque vous lisez un poème, vous le parlez-chantez dans votre tête sans même vous en rendre compte. La musique du poème vient d’elle-même, et, si elle ne vient pas, ce n’est pas vraiment un poème, mais une prose mise en vers. La poésie utilise d’ailleurs l’allitération (répétition de sons identiques), l’anaphore (commencer par le même mot les divers membres d’une phrase), l’antanaclase (reprise du même mot avec un sens différent), l’assonance (répétition d’une même voyelle dans une phrase), le chiasme (termes disposés de manière croisée), etc.

Poésie et peinture ont en commun l’image. L’image, c’est la forme et la couleur qui deviennent évocation. La couleur est le plus simple à faire jaillir dans l’esprit, grâce aux subterfuges du langage et la profusion de mots qui l’évoque : l’allégorie (figuration d’une abstraction par une image), la comparaison, l’ellipse  (omettre certains éléments logiquement nécessaire à l’intelligence du texte), etc. La forme peut employer l’antithèse (rapprocher deux mots opposés pour en faire ressortir le contraste), l’oxymore (alliance de mots dont le rapprochement est inattendu), etc. La forme bien sûr, rapproche de la musique, mais également la couleur. On parle bien de la couleur des sons (comme de leur température : ambiance froide, chaude, comme pour les modes majeurs et mineurs). Bâtir une image et la même gageure pour le poète et le musicien. Ils utilisent un matériau différent, mais tous les deux sans réel rapport avec ce qu’ils veulent exprimer : le son parlé ou musical pour exprimer une vision  à partager avec l’auditeur. Le peintre donne sa vision sous la forme et la couleur qui, assemblées, évoque sans détour l’image voulue.

Quel merveilleux assemblage que ces trois arts qui s’enchevêtrent et recherchent au fond la même chose : la part d’évocation qui fait revivre un instant, un événement, une impression et qui permet de la partager avec celui qui la reçoit et ne la connaît pas.

Que l’homme est grand et mystérieux !

 

01/09/2012

Le monde s'est évadé de ma mémoire

Le monde s’est évadé de ma mémoire

Aux confins de l’univers
Je contemple l’inconnu
Et je ne le reconnais pas
La couleur elle-même ne fait plus loi
La forme n’atteint plus sa plénitude habituelle
Musique sans notes, aigrelette

Tourne toujours le manège
Dans la tête ou le cœur
Mais à vide, sans consistance
Comme un vent de fronde
Dans le calme des matins d’hiver

Il ne me reste plus que le souvenir
De jours et de nuits délaissés
Quand le temps coulait encore
Qu’il glissait sur nos fronts
L’enlaçant d’une obscure fraicheur
Lui donnant un teint de pêche
Et ravissant nos danses ondulantes
Devant le cerceau de l’écoulement des jours

Oui, nous dansons tous
Mais de manière différente
Le chat ondule
Le canard se dandine
Le cheval se cabre
L’hippopotame s’ébroue
La puce saute
Clair-obscur des attitudes
Dans la tempête de l’avenir

Dorénavant, j’irai sur la pointe des pieds
Chanter l’angélus à la lune
Je hurlerai la soif des humains
Et la faiblesse de leur rapprochement
Pour enfin m’étendre sur la pierre froide
Et contempler la ronde sans fin
Des hommes et des femmes
Qui courent dévêtus de pudeur
Devant la vie qui va, qui vient
Sans vraiment savoir
Ce qu’il en advient

Détaché, je suis
Tant et tant que plus rien
N’atteint mon cœur de pierre
Le satellite passe, rose
Dans le ciel vert
Un petit pois précis
Qui parcourt sans faiblir
L’espace de la journée
Et je tourne en rond
Autour d’une boule ronde
Jusqu’au vertige
Et la chute, douloureuse

Rendors-toi
Retire-toi de tes songes
Et laisse le vent
Emporter tes lambeaux
De vie,
Pour enfin dormir
Unique

31/08/2012

Noir et blanc

 

poésie, peinture, dessin, poème, littérature, écriture, art cinétique, optique art

 

Noir et blanc


Ils sont mariés depuis des lustres
Ils vont bien ensemble, ils s’aiment
Le noir soutient le blanc
Le blanc reçoit le noir
Et l’un et l’autre enchevêtrés
Soutiennent le monde des formes
Certes, pas celui des couleurs
Qui folâtrent autour des régnants
Qui trônent au-dessus des flots
D’une multitude bigarrée et indécente
Comme il tranche ce trait
Et un trait, suivi de plusieurs autres
Devient un monde en soi
Qui divague dans l’obscurité
Blanche, infinie et froide
Ainsi se fabrique l’univers
Du rien apparaît le tout
Ou juste un petit peu de matière
Comme une pomme sur un arbre
En hiver, aux premières gelées
La tache noire sur fond blanc
A-t-elle une signification ?
N’est-ce pas un présent
Du passé et de l’avenir mêlés
Il faut trancher, noir ou blanc !

  

29/08/2012

Qu'est-ce que la poésie ?

Qu’est-ce que la poésie ?

Si on ouvre le dictionnaire, on lit que la poésie est un genre littéraire associé à la versification et soumis à des règles prosodiques particulières, variables selon les cultures et les époques, mais tendant toujours à mettre en valeur le rythme, l’harmonie et les images (Centre national des ressources textuelles et lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/po%C3%A9sie).

Belle définition, mais qui ne nous fait pas rêver. Or la poésie, c’est une chimère mise en bouteille. Peu importe le genre d’écriture, ce qui compte c’est l’évocation surgie de l’imagination d’un fait, d’une sensation, d’une attitude, d’un sentiment ou toute autre chose. En un mot, une phrase, l’événement évoqué revient à l'esprit alors que la mémoire factuelle l’avait complètement oubliée.

Mais considérons que la poésie est comprise différemment par le poète et ses lecteurs. Dans le premier cas, c’est en lui qu’a surgi la formule mystérieuse qui rappelle l’événement, ce poème, cette petite phrase, ce petit mot, qui sous la seule force d’une image, une comparaison ou toute autre litote poétique évoque un instant particulier empli d’un charme distinctif. Il est évident que sa relecture lui permet aussitôt d’enchaîner sur le souvenir. Dans le second cas, celui du lecteur, celui-ci n’a rien à quoi se raccrocher pour évoquer l’événement que l’auteur cherche à lui faire partager. Seule la pudeur de l’expression lui permet d’évoquer l’événement. C’est là que se trouve l’alchimie véritable de la poésie, la transmission de l’intimité de l’auteur, la vision nue de son âme, comme si le lecteur chaussait des lunettes de vérité et que la brume de la relation sociale s’estompait pour faire place à une communion jusque-là impossible. Certes cette communion varie selon de nombreux critères : la culture commune, le thème abordé, l’humeur du moment, l’affinité entre deux êtres, l’auteur et le lecteur.

Tout ceci pour vous dire que toutes les définitions de la poésie qui n’évoquent que les aspects purement techniques de la poésie ne sont que des façades qui affichent une indifférence du genre littéraire pour se lancer dans l’intellectualisme cher aux Français. Oui, reconnaissons-le ces définitions sont vraies, mais disent-elles la vérité ? Quelle question idiote, me direz-vous. Eh bien, peut-être pas. Il y a l’apparence et la consistance, la forme et le fond, la construction conceptuelle et l’âme évocatrice. Or, avec la poésie, nous sommes à la recherche non pas du temps perdu, mais d’un événement sensible qui nous a donné une nouvelle vision de nous-même, de la vie, du monde. Cet événement est perdu pour le souvenir factuel et il resurgit à travers l’évocation d’une image qui ne nous permet certes pas de revivre l’événement, mais de revivre l’impression ressentie ce jour-là et de faire vivre l'événement à ceux qui ne l’ont pas vécu.

C’est la magie de la poésie, sa folie et le bonheur qu’elle engendre. Elle conduit à l'intimité totale : je suis celui qu’était l’auteur au vécu de l’événement. D’une vie, je vis plusieurs vies et celles-ci me comblent du bonheur de l’intimité réelle. Mieux même, je n’ai nullement la sensation de ce dédoublement, l’auteur n’existe pas indépendamment de moi, je vis ce qu’il a vécu et c’est bien moi qui le vit. L’auteur a disparu.

Alors remercions-le de cette évaporation voulue qui nous laisse pantelant et émerveillé.

 

28/08/2012

Pluie sur un moment de campagne

Il faisait chaud ce début d'après-midi. Je m'arrête au bord de la route pour contempler un village dans le lointain qui laisse passer les nuages, indifférent à l'évolution du monde. A côté, un élevage de poules qui ne cessent de faire entendre leurs voix. Et l'éternité se dévoile, le temps s'arrête...

Elles caquettent, elles caquettent…
Remets-toi de cet engourdissement

Dans l’audition de l’après-midi d’été
Le souffle emporte le vague à l’âme

Couche sur couche le nuage passe
Preuve que le temps coule toujours

Urticants, les orties bardées de fleurs
Qui secouent leur peine au creux du chemin

L’immobilité, comme un sort attaché
A ce vide plein de vert comme un océan

Parfois… Non, deux fois
Passe un avion, peur de l’air

S’en va la ferveur nouvelle
Pour chaque goutte tombée

26/08/2012

L'amour

 

L’amour est une bulle d’air chatoyante et enivrante dans laquelle on entre sans prendre garde. Dès l’instant où l’on s’y trouve, le monde disparaît. A deux dans cette bulle, nous ne connaissons plus que nous, ou plutôt que lui, l’amour.

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Enfermé dans cette sphère invisible, nous en caressons la surface et elle procure des reflets enchantés, des sensations extraordinaires que nous ressentons au plus profond de nous-mêmes, sans réflexion ni analyse. Une caresse et nous sommes partis loin de tout souci, sans aucun souvenir de ce que nous faisions auparavant.

Nous sommes deux, bien sûr. Mais dans le même temps, ces deux ne font plus qu’un. Ils sont cette bulle qui monte dans le ciel, doucement, par l’union des cœurs, des pensées et des corps pour n’être plus que des amoureux transis pour qui n’éclate jamais cette lumière parfumée qui se repose ensuite doucement sur terre, adoucie, mais bien vivante.

 

25/08/2012

Pour la poésie

Je reprends à mon tour cet article qui me semble intéressant au delà de la polémique actuelle. Il est diffusé dans le blog de Trsitan Horde, intitulé Littérature de partout, excellent blog pour qui aime la poésie et la littérature.

 

Je reprends ci-dessous le texte paru dans la page « Rebonds » de Libération du 17 août 2012. À diffuser !
À l’heure où certains imaginent fondre la poésie dans un vaste ensemble réunissant le roman et le théâtre (1), il est peut-être bon de rappeler la place que peut occuper la poésie au sein de la littérature. Et ce dont, pour nous, «poésie» est le mot.
 
En ces temps de crise inédite, alors que les désastres ne sont plus seulement derrière nous ou à côté de nous, mais bien devant nous, est-il encore temps de s’arrêter au vieux mot «poésie» ? Les modernités littéraires successives ont, chacune à leur manière, déclaré la caducité de ce terme, son invalidité, en même temps qu’elles en refondaient les puissances. La mort répétée de la poésie, l’adieu qu’elle ne cesse de se faire à elle-même, inscrivent sa dynamique dans une interrogation et une incertitude qui, paradoxalement, lui redonnent légitimité aujourd’hui.
D’autres l’ont dit avant nous, dans la saturation des discours et des mots usés qui opacifient le réel de leurs fausses évidences, l’écriture poétique ouvre parfois une brèche. Par une sorte d’arrêt dans le flux continu de la prose du monde, elle peut faire disjonction. «Autres directions» est le panneau qu’elle invite à suivre au sortir du chemin à sens unique que semble indiquer le langage usuel.

Une politique de la poésie est peut-être à imaginer sous le rapport de son «idiorythmie», par quoi elle oppose à la normalisation des manières d’être et de penser un hiatus inacceptable. Cependant, il ne s’agit pas d’idolâtrer nos singularités, mais bien plutôt, affrontant la faillite de nos certitudes et de nos représentations, de nous engager dans ce que nous ignorons de nous-mêmes et du monde.

Entendons-nous bien : nous ne voulons pas opposer la poésie au roman, à tout le reste, ni l’enfermer dans quelque cercle des poètes en voie de disparition, mais bien plutôt interroger la littérature à partir de cette «littérature de la littérature», en quoi consiste le poème, cet «effort au style», «taux de densité cruelle», qui de la poésie fait une expérience à l’extrême pointe du langage et de la pensée. En cet échec possible du langage et de la pensée, en cet espoir aussi bien.

La poésie est le plus souvent une tentative de construction, même précaire, de formes incertaines. Elle peut prendre le risque d’autres agencements dans la langue, d’autres configurations de pensée, d’émotions. Qu’elle soit du côté du chant ou du côté de la «littéralité de la littérature», selon Derrida, elle ose quelque chose et, pour cela, doit avoir du courage : «Le courage, le cœur, le courage de se rendre, au travers du refoulement, à ce qui se passe ici dans la langue et par la langue, aux mots, aux noms, aux verbes et finalement à l’élément de la lettre […].»

Il s’agit pour nous de prendre ce qui a nom «poésie» assez au sérieux pour y chercher - pourquoi pas ? - d’autres manières de vivre et de penser. Construire une cabane à l’instant du désastre ? Non. En ces temps inconnus où nous entrons, pouvons-nous continuer de toujours écrire et lire ce que nous connaissons déjà, toujours la même histoire ?

Prétention excessive ? C’est juste l’attention à un mot que nous proposons, loin des infantilisations bienveillantes mais néfastes auxquelles la réduisent trop souvent des actions de «promotion». Le courage dont nous parlons n’appelle nulle condescendance. De sorte qu’au-delà de l’estompement d’un mot du fronton du Centre national du livre (CNL), c’est le sens même de l’action culturelle dans le champ de la «littérature de recherche» qu’on pourrait aujourd’hui interroger.

Des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires, des journalistes, des critiques et des lecteurs de tous âges, des écrivains et des artistes, de multiples acteurs de la vie littéraire continuent de prêter attention aux écritures poétiques. Que le Centre national du livre fasse place dans sa réforme à ce qui les anime est la moindre des choses.
Notre souhait est que les Assises du livre et de l’écrit, dont la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, vient de confirmer la mise en œuvre, prennent en compte les résonances du mot «poésie» et, par lui, ce qui fait notre dignité d’êtres de langage, à travers les saisons.
Cette concertation donne espoir aux écrivains, qui se sont mobilisés pour dénoncer la manière dont le processus était imposé et les risques qu’il faisait courir au champ poétique. Qu’il ait pu être question d’estomper le mot «poésie» pour, aux dires de l’actuel président du CNL, obéir aux préconisations de la Cour des comptes, n’est pas insignifiant.

(1) Prévue dans le projet de réforme du Centre national du livre (CNL) datant du 12 mars, la suppression de la commission Poésie du CNL a été suspendue en juillet par la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, qui doit lancer prochainement une concertation sur le sujet.

24/08/2012

Somnolence

Qu’ils sont bons ces instants
Où vous ne savez plus qui vous êtes
Ni même ce que vous faites
Et encore moins ce que vous ressentez

Oui, vous êtes un trou dans le gruyère
Une chute libre de l’altimètre
Et parfois vous hoquetez, sursaut
De dignité dans le brouillard illuminé

Assis, le coude en équilibre
Les doigts de pied épanouis
Le sourire de convenance
Vous faites illusion, mais l’œil vague

Non, ce n’est pas la somnescence
Ni même la somnolescence
Un engourdissement au plus de vos facultés
Comme la croûte qui cache la mie

Que cherchez-vous à entendre ?
Seul votre cœur vous dicte
Une réalité prégnante
Le plongeon dans l’eau trouble

Alors vous surnagez, en apnée
Vous vous éloignez du néant
Pour mieux vous y laisser glisser
Cuillère de confiture entre deux tartines

Et comme elles tombent toujours
Du côté où se trouve l’excellence
Vous vous réveillez, impromptu
Renforcé dans votre sauvage désir

Il est toujours désiré cet instant
Contre lequel vous luttez
Il arrive à l’improviste
Et vous voici enrôlé malgré vous

Plus rien désormais ne vous importune
Ni l’enfant qui crie dans le jardin
Ni le facteur qui sonne au sommeil
Ni même le geai piailleur sur l’arbre mort

Vous vous laissez aller, sans espoir
Avec bonheur, volupté discrète
Entre les bras de l’assoupissement
Monstre déconnecté de l’entourage

Vous ne sentez plus rien
Ni même que vous n’êtes nulle part
Vous errez en fantôme
Dans le nuage de votre inconsistance

Quel bonheur que ce moment
Où tout vous retient encore
A deux pas de vous-même
Mais déjà ailleurs, au loin

Et comme un nuage de fumée
La brise vous emporte, léger
Vers d’autres rivages festonnés
De blanc sur le sable dorée

Même les bruits n’ont plus de prise
La vague vous surprend
En pleine remontée, hagard
Comme déhanché, mais debout

Quoi ? Ah… Oui, la lune est partie
Dans un éclair psychiatrique
Attend son retour, encore
La tête en boule, hirsute

C’est la fin de la mise en scène
Les clowns se déchaînent
Vous retrouvez vos esprits
 Quel trou d’air, mon Dieu !

 

20/08/2012

Les enfants

Ils ne savent pas parler doucement
Ils se mettent devant les portes
Sans s’écarter lorsque vous voulez passer
Ils ne rangent jamais leurs jeux
Ils pleurent sans réelle cause
Et rient toujours avec raison
Ils veulent que tous les écoutent
Sans savoir précisément pourquoi
Ils adorent s’ébrouer dans l’eau
Et quelle fierté lorsqu’ils trempent
Le bout du nez dans le liquide froid

Oui ce sont les enfants du monde
Quel bonheur de les tenir contre soi
Serrés comme de petits animaux
Chaudes et tendres boules d’idées
Et quand l’un d’eux, délicatement
Vous dit quelque chose à l’oreille
C’est toujours inaudible
Mais si précieux
Que ce baiser de mots
Que vous ne pouvez emporter
Qui s’échappe en vol d’innocence
Et vous rattrape le soir
A la tombée de la nuit
Quand vous montez leur dire
La tendresse que vous leur portez
Et qu’ils vous la rendent
D’une joue maladroite et chaude
Les yeux clos de terreur enfantine
Et de bonheur mêlés de sommeil

Quelle est bonne cette enfance
Qui nous fait rêver d’une autre vie
A recommencer, autrement
Dans la chaleur d’un cou d’enfant

18/08/2012

Robert Tatin (2ème partie, voir la première le 6 août)

Entrons maintenant dans le musée.

 

Le musée vu de l'extérieur.jpg

 

Mais est-ce un musée, cette bâtisse étrange qui ne semble tenir debout que grâce aux mille sculptures qui l’ornent : colonnes de personnages, chapiteaux de bas-reliefs, langue rouge du dragon avec ses dents en étoile surmonté d’une famille pour laquelle l’enfant est le plus grand et uni les parents. Quelle profusion d’idées, de symboles, d’aspirations !

 

La porte des géants.jpg

 

La porte des géants de la peinture : Rembrandt, Van Gogh, Léonard de Vinci, Goya et Delacroix (pourquoi eux et pas Picasso, par exemple ?). Elle n’ouvre sur rien, mais elle impressionne par ses personnages hiératiques, protégés par leur femme qui semblent prier pour eux. Leurs yeux de voyants regardent l’univers, environnés des songes  en bas-relief en creux.

 

L'entré du musée, de l'intérieur.jpg

Alors on se laisse guider, absorber à l’intérieur. C’est petit, cela ne fait pas musée, mais cour intimiste pour illuminés qui méditent sur le monde et l’homme. Les portes se reflètent dans l’eau du bassin, vertes, immobiles, immortelles. On entre dans le jardin des méditations. Disons qu’il s’agit plutôt d’un jardin de la rêverie et de l’imagination. Il faut se laisser guider par les images de pierre, les volumes enchantés de personnages ubuesques. C’est une sorte de cloître : « Au nord s'élève une statue haute de 6 m 50, appelée "Notre-Dame-Tout-Le-Monde", lien entre le ciel et la terre. Son socle plonge ses racines dans l'eau du bassin source de vie »  (guide du musée)

 

La porte du soleil.jpg

 

A l’est, la "Porte du Soleil", se reflétant dans le bassin, est formée de deux statues-colonnes, qui évoquent l'union de l'homme et de la femme selon le Tao : le Yin et le Yang. « Les deux géants Yin et Yang (Féminin et Masculin) supportent le ciel où tourne la roue du destin, entre les cornes de l'Imagination et de la Raison. Yang, à droite, porte la fille du Monde sur ses genoux, tandis qu'à gauche, un garçon est assis sur ceux de Yin ». Le pilier central représente l'unité Adam-Eve, Eve-Adam. « Ici, il n'y a plus de dualisme entre la femme d'un côté, l'homme de l'autre (...) On est dans l'unité. » Sur le tympan, « le disque solaire se partage et se donne en rayons brillants et dispense son énergie de Yang pur en pleines noces de Yin-Yang. »

 

La porte de la lune.jpg

 

La « Porte de la lune » représente la Muse de l’Unité "mèrant" le Monde, qui appuie le pied droit sur le cube de la Raison et le gauche sur le croissant de l'Imagination. Assis sur les genoux de la Muse, un garçon et une fille se nourrissent aux sources de la vitalité créatrice. Robert Tatin dit : « J'essaie de retrouver les racines de la langue... Là, nous sommes dans les racines, pas dans les composantes. Les racines, c'est comme nourrir l'arbre, c'est comme nourrir l'Homme... mais les latins, à force de tirer sur la mamelle, un jour ils l'ont vidée. Alors il faudrait retrouver la Femme, il faudrait retrouver la Muse, la Mère mèrante ... ».

 

S’ouvre dans cet enchevêtrement les portes donnant accès au musée de peintures, céramiques et autres créations de Robert Tatin. Nous en parlerons une autre fois.

 

 

 

16/08/2012

Destin

On voit la vie comme une flèche
Elle part d’un point A pour aller vers un point B
Mais cette vie est un boomerang
Car le temps peut aussi être circulaire
La vie s’achève lorsque le destin est bouclé
L’épanouissement peut te toucher
Ou partir à côté, dans l’espace
Parce que tu n’as pas pris ce qu’il te donnait
Tu as écouté les hommes et leurs conseils
Tu n’as pas écouté ton cœur
Tu as couru après une ombre de renommée
Sans comprendre que celle-ci
Etait en toi, enfouie sous les feuilles de l’artichaut
Le destin, c’est notre rêve en premier
Et notre désespoir en final
Mais cela peut aussi être l’inverse
Nos rêves sont versatiles et peureux
Ils ne se montrent jamais nus
Trop de pudeur les assaille
Alors ils se revêtent de mille paillettes
Que sont les rêves des autres pour vous
Et vous courrez de ci de là
Toujours épuisés d’une telle bataille
La vie est un combat, dit-on
Mais de quoi ? Laisse faire ta destinée
Qu’elle se révèle à toi
En toute innocence et lumière
Ce sera ton vrai combat
Le combat d’un contre tous
Tous ceux qui veulent ton bien
Sans comprendre qu’il t’appartient
Et que tu dois apprendre
A maîtriser ses impulsions
A écouter ses murmures
Comme l’eau qui coule entre les rochers
Et tu te laisses glisser entre les pierres
Limpide, fraîche, évanescente
Pour aller emplir ton destin
De femme (ou d’homme)
En toute liberté, libérée de l’esclavage
De ce que veut l’autre pour toi-même
Le vrai destin est celui de l’homme libre
Qui choisit les actes de sa vie
Sans se préoccuper de l’attente
Que la société a pour lui
Et le matin
Lorsque tu observes le soleil
Derrière les bras levés des arbres
Et qu’apparaît enfin son clin d’œil
Tu peux te regarder libre
Comme la bulle de savon
Que font les enfants
Dans le trou rond de leurs désirs
Souffle, souffle la vie à pleins poumons
Qu’elle te donne ce que tu attends
Et qu’à la fin du parcours
Tu reviennes au point de départ
Pour dire enfin
Oui, j’ai accompli ma destinée
Elle était moi-même
Unique, sans bruit, mais belle
Car mon âme s’est enrichie
Des étoiles de la création
D’un être unique

Mais… Où est-il ?

13/08/2012

Shadowland, par le ballet Pilobolus

L’art de la transformation, une véritable magie, drôle, inventive, étonnante et charmante.

Laissons-nous séduire par ce pays des ombres qui laisse un goût d’autre chose impossible à définir. Si, Alice au pays des merveilles ! C’est un monde enchanté et enchanteur.

 

http://www.foliesbergere.com/PILOBOLUS-DANS-SHADOWLAND-fid116.aspx

 

 

 

12/08/2012

Le silence

Absence de bruit. Est-ce si sûr ?

On nous parle du silence de la campagne
Celle-ci a bien perdu ses écouteurs
Tout y concoure au réveil
Même l’ouïe dégagée du bourdonnement
Incessant des mouches dans la pièce

L’étable silencieuse du ruminement des vaches
Laisse sa douce chaleur odorante
Envahir les repères de ces évocations
Bottes aux pieds et paille dans les oreilles
Foin coupé un jour de grand vent
Les bœufs se décornent-ils ?

Le silence du ciel, pur, dur,
Raide comme le lit de bois
Où dorment les frères en prière
Sans cesse ils parlent dans leur cœur
Evoquant saints et saintes de Dieu
Mais pas un mot ne vient déranger
Le mystère de cet état de grâce

Et si nous rompions ce silence atterrant
Cette absence de sentiments et de passion
Pour qu’en un instant de folie
Les humains s’oublient et se concentrent
Sur leurs ressemblances plutôt que différences
Nous avons tous une bouche pulpeuse
Dont la singularité tient au langage
Si j’habitais en Chine, parlerais-je
De cette voix chantante et syllabique ?

La parole est prolifique,
Mais la parole sans le silence
N’est que bruit et pétarades
Les bulles de BD sont-elles encore audibles
Lorsque l’œil fatigué se laisse attendrir
Par des images plus évocatrices ?
Faut-il lire pour entendre
Le doux effleurement des pages
Sur la couverture du lit au matin ?

Le regard est parole d’un jour
La caresse est langage du corps
La peau elle-même se façonne
En chair de poule ou poils dressés
Pour dire son désaccord au vécu
Ou à l’inverse son aimable enthousiasme
De caresses délicates et de câlins attendus
L’amour n’a pas de mots
Rien que des attouchements,
Dans le silence des cœurs emmêlés

Quelle pensée sans les mots ?
Mémoire des odeurs et des sons
Ne pas pouvoir les nommer
Ni même se souvenir
De leur évocation studieuse
Qui rend la poésie prenante
Sans passé, le présent est manchot
Comment l’interpréter ?
Sans avenir, le présent glisse
Dans l'absence et le néant
Sans présent, y a-t-il attachement ?

Si le mur du silence se couvre
De papiers peints collés au bruit
C’est que cette absence de sons
Gênent notre sérénité simulée
La lettre tue l’esprit, dit-on
Alors nous répétons des formules
Nous les encombrons de commentaires
Nous nous amusons du perroquet
Et pratiquons le psittacisme
Mais savons-nous même que nous parlons ?

Si l’intelligence se sert des mots
Elle se développe de leur absence
Car c’est la liaison entre eux
Qui fait la force d’un concept
Amalgame de bulles
Filaments rugueux ou ténus
Comme une pelote emmêlée
Que rien ne peut dénouer
Ni trop gros, ni trop maigre,
Le concept se façonne
Entre silence et mots
Comme un pont de pierre
Sur le sable du mental

Nous pratiquons l’implicite
Le sous-entendu n’est-il pas manière
De dire ce que nous ne voulons entendre ?
L’interdiction de dire
Est remplacé par un silence salutaire
Qui en dit plus sans s’exprimer
La loi du silence s’exerce toujours
Devant la loi des armes
Immobile, décharné, insensible
Le vaincu éprouve l’inaccessible envie de crier
Mais il reste coi, replié sur lui-même
Comme le lapin pris au piège
Petite boule chaude et fragile

Mais très peu d’humains
Sont capables de silence intérieur
La vacuité n’est pas donnée à tous
 Le silence du mental est libération
Une porte sur un autre monde
Celui de la connaissance intuitive
Plus besoin de mots, de signes,
Seul le sourire du Bouddha
Tient lieu de guide, inépuisable

Unique,  le silence dit ce que nous sommes
Mon bruit me dissimule
Je me cache derrière mes paroles
J’en fais un écran de fumée
Parce que je n’ai rien à montrer
Ce rien n’est que remplissage
Qui gonfle le ballon jusqu’à l’éclatement
Bruit, où est ta victoire ?

Le silence est au-delà de l’avoir
Il s’empare de l’être
Lui donne vie et poids
Dans l’absence de mots
Que pèse l’homme
Si ce n’est son âme !

08/08/2012

Identité

Besoin de rassembler tous les bouts d’être
Qui errent dans le paysage de ma solitude
Qui parle derrière l’identité du moi ?
Tous ces personnages multicolores
Toutes ces pensées futiles et fanées
Que nous montons haut dans nos cœurs
Comme des horloges de notre bonne santé
Un château de cartes poussé par la brise
Que reste-t-il de ces êtres diffus ?
L’angoisse d’un après qui ne sera plus
L’horreur d’un avant sans ficelles
Marionnette déchue de son animation
Qui s’en va au vent, l’œil fiévreux
Et court dans la campagne de ses prédilections
C’est le feu follet de tes amours
Le réservoir de tes possessions flétries
Tu cherches l’inconnu de ta préférence
En vain tu te tournes vers toi-même
Mais rien ne répond à tes souhaits
De retrouver celui que tu as perdu
Et ton âme erre dans le silence des corbeaux
Planant sur la nuit invisible
De tes erreurs et de tes rires
Fort de ta superbe, amaigri de tes richesses
Entassé dans le sac ordinateur
Où tu caches tes désirs et tes rêves
Et tout cela, hop ! Parti
D’un coup d’aile sur le front
Est passée la pesanteur du rire
Gras, lourd, plein de sous-entendus
Tu es là, perdu dans ta droiture
Comme le héros de sable
Un matin d’été en pleine mer
Et tu coules lentement, amèrement
Dans tes images de grandeur
Pendant que le socle petitement
Se désagrège, s’effrite, se dilue
Jusqu’à former un fleuve jaune
De bile odorante qui s’enfuie
Dans les vallées boursoufflées
De ton ardeur déchue et insaisissable

Cinq heures, drôle d’heure…
Ni la nuit, ni le jour
L’entre-deux ou même l’entre-trois
Mais dans quelle position ?
Le cœur au-delà des sens
Tu navigues à vue sur l’océan
De ton imagination délétère
Dans les vagues de ton absence
Entre les débris de tes espoirs
Pour devenir un jour raisonnable
Petit vieux bien propre
Dépossédé des piqures de motivation
Tellement clean qu’il en est transparent
Sans assise véritable, ange déchu
D’un destin sans fin qui s’arrête enfin

 

06/08/2012

Robert Tatin, le pape du paradoxe (1ère partie)

 http://www.musee-robert-tatin.fr/

 Robert Tatin, le pape du paradoxe. Oui, je pense qu’on peut le définir ainsi. Qu’est-ce qu’un paradoxe ? Un raisonnement dont la conclusion contredit les prémisses, ou qui justifie deux conclusions contradictoires, et qui est le plus souvent porteur de vérité (Encyclopédie Philosophique Universelle, PUF, Paris, 1990, p.1848). Ce n’est ni un véritable artiste, ni un véritable artisan. Il se moque des catégories et voit le monde à son image, échevelé et créatif.

Son art : nous révéler la complexité inattendue de la réalité. Il met en évidence la fonction paradoxale du sculpteur : celui-ci détache-t-il au ciseau tout ce qui ne ressemble pas à son sujet ou s’attache-t-il à faire apparaître ce qui sera son sujet ? Il ne s’agit pas de sophisme, Robert Tatin n’est pas un manipulateur, il n’a pas de raisonnement trompeur. Il raisonne comme il l’entend, que cela plaise ou non à ceux qui l’écoute et regarde ses œuvres. Sous des dehors enfantins parfois, toujours prolixes, il met en évidence la singularité du monde, à la fois palpable dans sa réalité physique et gonflé d’une vérité mystique qu’il faut toujours deviner sans jamais la trouver.

Je ne vous raconterai pas sa vie, ni toute son œuvre, considérable. Ce qui est intéressant, c’est le cadre, l’espace de sa réflexion concentrée sur son lieu de travail pendant ses vingt dernières années. L’entrée de ce lieu est la grille qui donne sur la route et que l’on n’emprunte pas, malheureusement, puisqu’il faut « passer par la caisse ». Elle ouvre sur un chemin pavée bordée de statues prolifiques. Comme l’explique le site Internet consacré au musée de Cossé-le-Viven : « Ces premiers géants de ciment coloré nous plongent dans l'aventure humaine des premiers temps de l'Histoire, avec Vercingétorix, jusqu'aux héros légendaires dépassant les limites terrestres imaginés par Jules Verne. De nombreux artistes y sont également représentés, non seulement pour leur engagement déterminant dans l'Histoire de l'art, mais également comme les représentants de l'extraordinaire génie des hommes toujours en quête d'un idéal de perfection. »

 

Ces statues représentent les différentes époques de la vie de l'artiste. Devant les statues de Jeanne d'Arc et de Vercingétorix, on entre dans l'univers d'un enfant de 10 ans qui fait connaissance avec l'histoire de France.

  Vercingétorix.jpgJeanne d'Arc.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

Puis, sont représentés les questionnements de l’adolescence au travers des verbes Etre et Avoir.

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Suivent alors Ste Anne et la Vierge de l'Epine, références à la mystique et à la métaphysique qui prolongent cette période de l'adolescence avec les trois interrogations : d'où venons-nous? Que faisons-nous? Où allons-nous ?

Le Maître compagnon.jpg

 

Le regard du visiteur sur la statue suivante, le Maître Compagnon, évoque la voie empruntée par Robert Tatin : celle des constructeurs de cathédrales symbolisant l’initiation et la quête de perfection.

 

 

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C’est ensuite l’hommage au monde de l’art des XIX et XXème siècles. André Breton, Le Douanier Rousseau, Gauguin, Seurat, Auguste Rodin, Léonor Fini, Alfred Jarry, Ubu Roi, Toulouse Lautrec, Valadon-Utrillo, Pablo Picasso et Jules Verne sont autant de points de repère pour "l'oeuvrier" Robert Tatin, partagé entre les créations artistiques et artisanales.

 

 

Alors devant le visiteur ébahi, s’élève le musée, vision onirique de Robert Tain qui exprime sa compréhension paradoxale de la vie et du monde.

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 Nous en reparlerons.

 

04/08/2012

Evasion

Enfermé en toi-même, tu tentes de sortir
Et tu te heurtes à ta méconnaissance
Il n’y a pas de porte de sortie, rien !
Tu tournes en rond dans ton propre labyrinthe
Ne trouvant pas à l’horizontal, tu cherches
Vers le bas, mais le sol est dur
Puis vers le haut, mais la pesanteur
Te ramène à ton insuffisance
Alors contente-toi de toi-même
Comme l’éléphant de sa largeur
Ou le serpent de sa longueur
Sois dans ta prison de chair
Tel le poisson dans l’eau claire
Respire le parfum de tes faiblesses
Et cesse de vouloir t’en affranchir
C’est au profond de toi-même
Que tu trouveras la porte ouverte
Grande ouverte sur l’univers
Et tu sortiras le cœur léger
Sans amertume ni préférence
Pour explorer d’autres cieux
Plus vastes, inconnus, magnifiques
Trou noir brillant d’odeurs subtiles
T’élevant en fumée sur les toits
De ta candeur et de ton absence

30/07/2012

Le style

 

Le style, c’est la patte de l’auteur
Il y en a de bons, il y en a de mauvais
Que voulez-vous y faire ?

A quoi tient-il, ce sésame ?
Cela tient tant à la manière de dire
Qu’à ce que l’on a à dire.

La manière :
Brut comme le champagne en hiver
Doux comme la pomme en automne
Tendre comme le pissenlit au printemps
Chaud comme la tomate en été
Mais cela ne nous dit rien
De ce qu’est la manière. Et pourtant ?

Phrases courtes, sans fioritures
Qui font froid dans le dos
A force de les écouter
Mais qui sonnent comme le gel
Sur les branches des cyprès

Consonance des mots, au gré de la phrase
Bonbon gargarisant de douceur légère
Je me lèche les babines de ces caresses
De syllabes attendrissantes et colorées

Phrase fleuve, ruisseau de feu
Emplie d’événements inattendus
Et de peinture écaillée et tremblante
Prolongeant le récit avec délectation

Phrase sans ponctuation
Raide d’une justice humaine
Emprunte d’absence de visibilité
Mais piquant les nerfs à vif

Phrase sans phrase, sans début
Ni même fin avant la conclusion
On s’y empêtre, la botte lourde
Parfois même on s’enlise avant
Et on échoue sur une page, désespéré

Phrase sans le balancement du verbe
Où les mots se bataillent, vindicatifs
Jusqu’au coup de poing sanglant
Qui assassine le lecteur, froidement
C’est un style inusité, certes
Mais certains s’y complaisent
Le nez dans le vent, la communication fraîche

Nous ne poursuivrons pas ces évocations
Qui ne font que dire en lettres
Ce que d’autres expriment en chiffres
Vingt sur vingt à l’auteur, ou encore
Zéro, triple zéro, quel écrivain prétend-il être ?
Peut-être n’a-t-il pas cherché son style
Ou l’a-t-il trouvé en solde, sur une étagère.

Mais ce que l’on a à dire est aussi nécessaire
A cette définition de ce que d’autres appellent touche
S’ajoute les paroles de la chanson
Dont nous n’avons évoqué que la musique

Elles peuvent être historiques
Et conter la fabuleuse aventure d’un quidam
Qui se ressuscite d’un passé glorieux ou malheureux 

Elles peuvent être imaginaires, enturbannées
D’événements impossibles et drôles
Enrobées d’un milieu défendu ou vertueux
Monsieur Hulot au pays des merveilles

D’autres styles content l’inédit ou le futur
Ils se veulent scientifiques, mais « fictionnent »
Retour à la strophe précédente,
Où l’imaginaire devient prolixe

Les amours sont des sujets sensibles
Mais tellement rabâchés. Cependant
Y a-t-il plus séants que ces visages
Qui se regardent et se disent eux-mêmes
Dans le frottement des peaux ?

La misère fut pendant un temps sujet
La croissance est passée par là
On ne parle plus que de besoins
Grandissants certes, impérieux aussi
Revendicatifs pour les forts en style
L’éloquence est le dernier refuge
Des esclaves de la déraison

Arrêtons là cette litanie du contenu
Qui n’est pas sans effet sur le contenant
Car en fait le style, pur, chargé
Ecrémé, pourrait-on dire réalistement
Ampoulé de lumière vive et criarde
Reste l’artifice imparable
A l’éditeur malin pour refuser
Le manuscrit déchu au rang de paperasse

Pourtant le style produit du sens
C’est ton langage intérieur
Encore faut-il que le comprenne
Le lecteur irascible et paresseux
S’il y a un style pour chaque auteur
Il y a des styles pour le lecteur,
Appréciés ou détestés, selon les cas
Qu’y faire, si ce n’est être soi-même

26/07/2012

Le feu

poèpe, écriture, poésie, littérature

Floue, marbrée, scintillante sous le regard
La flamme survit, grandit, s’épaissit
Votre cœur se soulève et s’échappe
Vous êtes parti au-delà de vos espérances
Dans ce non-lieu de l’absence
Là où plus rien ne vous retient
Hormis cet attachement du regard
A la danse divine du feu

Vous vous enflammez au figuré
Vous dansez sur l’air des carabins
Vous ne pensez plus, vous n’êtes plus,
Rien de tout cela n’existe, rien
Que l’exaltation du pauvre
Rien que l’ombre et le piment
Orgie de couleurs et de sons
Jusqu’au devenir de l’avenir
Ouvert sur l’obscurité et le froid
D’un désert enchanteur, mais traître

Pourtant certains aiment à le cracher
Portant à la bouche un alcool frelaté
Et le projetant en nuages brumeux
Au loin, dans un ciel pur et matinal
Pour en faire un déluge de flammes
Une poudrière charmante
Un tube de chaleur rayonnant
Et le quidam applaudit, amusé
De voir la domestication de l’ardeur
Consommée en une fois, éphémère

D’autres le donnent, la main tendue
Le cœur en miettes, détendus
Ou encore en éventail, les doigts joints
Pour abriter la combustion
Du vent de la colère
Et les deux visages, éclairés
Se regardent enfin dans la chaleur
D’une sympathie commune
Quelle fumée délicieuse
Sort de cette flamme minuscule
Et l’on tire, l’on tire sur le bout
Jusqu’à se faire exploser
Le cerveau de brouillard nocif
De souvenirs indélébiles
De pensées moroses et vertes

J’en connais qui adorent le jeter
A l’instar de l’huile brûlante
Qui s’enflamme au contact
De la tempête de concepts
Qui a raison, le sais-tu ?
Probablement personne
Seule la variation de température
Entraîne ce vent de protestations
Dans le vide stellaire du pouvoir

Il peut être éternel, impassible
Se consommant sans cesse
Une géhenne infirme de fraicheur
Dans laquelle se précipitent, seuls
L’insouciant ou l’avide
Cherchant tous deux
Une raison de vivre et de mourir

Enfants, ne jouez pas avec lui
Il mord, lèche la paume des mains
Comme un chien insatiable de caresses
Ou encore vous prend les jambes nues
Et vous empêche de courir
Vers le rêve ou l’amitié

La terre s’en fait une ceinture
Qui couve sous la végétation
Et s’ouvre un chemin incandescent
Vers un azur obscurci par la cendre
Ah, le trop de vapeur sorti de son cœur

En faire un art, au mépris du solide
N’est-ce pas une drôle de vocation
Le métal en fusion devient ruisseau
Et coule dans le fond de la gorge
Pour durcir au goût du patient
 Qui s’étouffe et se lasse

Mais il peut être modéré et doux
Comme un agneau tendre et fragile
Vous le regardez vous dire son amour
Ou cuire un met parfumé
Et vous vous réjouissez de sa vaillance
Humble, lumineuse, caressante
Sa flamme vous assure une rente
Qui vaut mille possessions
Ou autre sorcellerie maligne
Vous vous réjouissez de ce bain
De jouvence non mérité

La braise peut couver sous le boisseau
Et dire tout en langue
Comme inspiré célestement
Le cœur enflammé, débordant
De miel et de bienfaits
Tourné vers le seigneur du monde
Reconnaissant son odeur
D’encens, s’oubliant lui-même
Dans le tourbillon de sa puissance

Parmi les quatre éléments
Avec l’eau, l’air et la terre
Que fait-il à compter à ce point ?
Car destructeur et vorace
Il vous entraîne en volutes
Et devient cendres noires
Retour à la terre, à l’astre originel
Que l’eau lave inlassablement
Et que l’air disperse, invariablement

Alors que reste-t-il de ce feu
Qui le matin, avant qu’il ne se lève
Vous embrase l’être
Et vous conduit, en cortège
Vers les adorables envies d’un jour
Ou les tâches harassantes et vaines
D’un quotidien inlassable
Il vous occupe en arrière-plan
Comme un chardon qui vous pique
Pour vous rappeler sa beauté

Que nous reste-t-il ?
Lumière et chaleur,
Laquelle préférez-vous ?

22/07/2012

Aurore

 

Quel bonheur !
Un feston amarante embrase l’horizon
Rien ne bouge
Toute la nature est attentive
A cette naissance d’un jour nouveau

La noirceur s’estompe
Gris anthracite… ardoise… fumée
Puis bleu nuit… bleu outremer
Bleu saphir devenu acier
Jusqu’au bleu ciel, éperdu
Ouvert sur le monde
Comme une couverture de bonheur
Ajoutée sur les pieds du dormeur

Et moi, veilleur, le regard allumé
Je célèbre l’innocence et la liberté
De la brise dans les feuilles
Qui chatoient les ombres encore visibles
D’une nuit qui part, solitaire

Un jour nouveau s’en vient
Glorifions-le, car toujours
Est unique cette présence espérée
De l’illumination et de la transparence

L’âme renouvelée, je pars
A la conquête du monde, serein

 

21/07/2012

Œuvres complètes (1954-2002) de Tomas Tranströmer

 

Tomas Tranströmer est prix Nobel de littérature (2011). En Fra12-07-19 Tomas Transtromer.jpgnce, qui parle de lui ? Peu de personnes, car c’est un poète et il n’écrit pratiquement que des vers. Et encore, aucun de ces vers ne versifient. Ils viennent dans la pensée et s’échappent avant qu’on ait le temps de les mettre en boite. C’est du bouillonnement premier, un jus de chaussette qui sent l’escapade rafraichissante, la pinte de bière fleurie, le sel de mer un jour de pluie.

Ce qui frappe chez lui : l’art de la métaphore ! Elle est audacieuse, précise, bouleversante lorsqu’on l’a comprise. C’est ainsi que les paysages de Turquie scintille « dans la lunette du vautour », que « l’éveil est un saut en parachute hors du rêve ». Alors chaque objet se met à danser de sa musique particulière, à chatoyer de son existence solitaire. Et le poète tente de préciser l’impénétrabilité des choses : « Je suis couché sur mon lit, les bras en croix. Je suis une ancre confortablement enfouie qui retient l’ombre profonde au-dessus d’elle, cette grande inconnue dont je participe et qui est certainement plus importante que moi ».

 

Son traducteur, Jacques Outin, l’appelle le poète du silence.

 Las de tous ceux qui viennent avec des mots,
Des mots, mais pas de langage,
Je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots, mais un langage.

L’écriture de Tomas Tranströmer est sobre, faite de courtes phrases, parfois sans verbe, un mot, une idée qui se laisse deviner. Mais la métaphore est toujours juste, évocatrice, belle, même si elle surprend par sa hardiesse. Il marche sans faiblesse sur le fil de l’évocation imperceptible et tout ce qu’il voudrait « dire reluit, hors de portée, comme l’argenterie chez l’usurier ». Les souvenirs l’observent :

 Un matin de juin, alors qu’il est trop tôt
pour s’éveiller et trop tard pour se rendormir.

Je dois sortir dans la verdure saturée
de souvenirs, et ils me suivent des yeux.

Ils restent invisibles, ils se fondent
dans l’ensemble, parfaits caméléons.

Ils sont si près que j’entends leur haleine,
bien que le chant des oiseaux soit assourdissant.

Tomas Tranströmer choisit d’explorer « la banale vétusté-modernité des choses, le monde ordinaire-extraordinaire de tous les instants que l’on vit » (Alain Jouffroy, Le manifeste de la poésie vécue, Gallimard, 1995). Et ce présent concret et naturel devient un jardin secret, illuminé de mille feux, sorti du jeu des mots et des comparaisons. Pour lui, l’observation crée la réalité. Les situations l’intéressent plus que la chose en elle-même. Il le dit : « Deux vérités s’approchent l’une de l’autre. L’une de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, et on a une chance de se voir en leur point de rencontre. »

 Eau qui croule qui croule fracas vieille hypnose.
Le torrent inonde le cimetière de voitures, rutile
derrière les masques.
Je serre fort le parapet du pont.
Le pont : ce grand oiseau de fer qui plane sur la mort.

 

19/07/2012

L'ignorance

 

L’ignorance est un état, non pas d’être, mais de conscience, chrysalide qui ne parvient à être papillon. Elle se regarde sans jugement.

Ignorer quelque chose, est-ce ne pas connaître son existence, à tel point qu’on n’en cherche rien, ni forme, ni modèle ? Fumée verte, dans la cage de l’escalier aux mille portes du savoir.

Serait-ce peut-être connaître l’existence, mais manquer de connaissances sur son goût, son toucher, sa couleur et son odeur ? Je ne la connais pas, car je ne l’ai pas éprouvé, et du bout du pied nu, je tâte son eau trouble pour savoir si je peux m’y plonger.

On en dresse parfois le constat. Quel trou sans fond de la méconnaissance ! Qui sait ce que contient la délicate absence du collier, fortuné et visible, de colifichets enrobés de la crème du savoir, embaumés de mots savants. Et pavane la danse de la bêtise, marquée par le rythme mécanique du morse qui crie au secours : SOS, SOS, la mort de l’innocence !

Il arrive que de grands inconséquents, forts d’inventaires et de définitions, ne sachent pas prendre garde aux fourmis qui montent sur leurs jambes. Nouveauté non vérifiée, technologie qui fait irruption dans le salon des meubles anciens et bouleverse en un tour de main les platebandes où piqueniquent les gras docteurs de l’inventaire des monuments esthétiques, parlant d’or et raisonnant d’airain.

Ignorance et misère sont souvent, mais pas toujours, synonymes. Dis-moi ce que tu gagnes, je te dirai ce que tu sais ! Cependant la richesse matérielle n’est pas d’un grand secours aux handicapés de l’encéphale. Mieux même, certains n’oublient pas de se débarrasser de leur manteau de vison ou d’astrakan pour voir venir le bateau de l’entendement. Mais, kouik, rien ne vient, l’espoir n’est pas l’égal d’un potentiel démesuré.

Un autre synonyme, plus chaleureux, est l’association de l’ignorance avec l’innocence. Chaste ignorance, que celle du candide nu de savoir. Revêtu de son phare scintillant, il pénètre l’âme et rompt les faux semblants. Il éclaire les trous noirs de désirs inassouvis et d’envies défendus. Jusqu’où va-t-il fouiller ? Il creuse la carrière de la science et de sa préscience fait un pied de nez à l’ignorance terrestre des choses célestes. C’est Eve qui mangea la pomme et la discorde arriva par la faute de leur manque de discernement. Elle donne la connaissance, mais de quoi ? De la seule ignorance humaine, celle du bien et du mal. Abjecte inexpérience que celle-ci. La chaussette ne se raccommode pas avec la laine de l’intempérance vis-à-vis des biens de ce monde.

Ignore ton désir d’avenir, ignore ton goût d’un passé révolu, ignore le fruit chaleureux du présent, et fait irruption dans le nuage d’inconnaissance qui te révélera l’entière vérité au-delà de toute certitude. L’intellection à plat, tu peux monter vers l’absence et t’emplir du bonheur du non savoir. Quelle jouissance ! La tête vide, le cœur plein d’intenses rayonnements. Brasier des soirs d’été…

 

17/07/2012

Multitude

 

Tous semblables, comme des oiseaux de mer
Tournant au-dessus des bancs de poissons
Et plongeant dans l’eau lourde du souvenir
Pour se différencier, après coup

La multitude est une, invariable
Egale à un, mais composée de mille
Mille regards aux yeux bridés
Mille bouches affamées et ouvertes
Deux mille mains levées et vengeresses
Et un hurlement de désir, de haine
Ou encore de passion et de folie
La multitude s’avance, nue, fantomatique
Couvre la rue de son autorité
Hurle ses slogans vers le ciel chargé
Et renvoie les nuages vers d’autres cieux

Comme un animal blessé, elle respire fort
Centrée sur son pouvoir délétère
Sûre d’elle-même, ignorant le doute
Renvoyant en écho ses cris dans les rues
Entrant dans les consciences, peu à peu
Jusqu’au jour où rien ne résiste
A ses assauts meurtriers. Elle est.
Il n’y a plus de personnes, plus même
De femmes ou d’hommes ou d’enfants
Plus qu’un seul être, vivace
Tremblant de désirs, de volonté nuisible
Sombrant dans la folie d’un jour
D’une heure même, faisant tomber
Des minutes de civilisation individuelle
La caresse de l’existence unique
Développant sa propre illusion
Au-delà de la connaissance collective

Tous, nous sommes un, et pourtant
Différents, reconnus pour un être à part
Revenus des enchantements collectivistes
Et des embrassades uniformes
Chacun revêt le vêtement de son choix
Qui, la chemise rouge du gaucho
Qui, le pantalon noir des mineurs
Qui, l’obscure voile d’une mariée d’un jour
Mais derrière cette glace limpide
Et douce des apparences insolites
Se cachent la singularité de l’unique
La tendresse d’une différence vécue
La conjugaison numérique des nombres premiers
L’ineffable éclat de l’œuvre resplendissante
Miroir d’une sagesse découverte
Au long de nuits d’insomnie
Jusqu’à la transparence du sommeil
Où la multitude se retrouve
Noire, oppressante, vautour
Volant bas, plongeant sur chacun
Pour le contraindre à lever la tête
Et affirmer haut et fort
Ce qu’il ne veut pas entendre

Ah, l’ombre multitudaire
Réveillée une fois encore
Frappe un grand coup
Sur le front des vaincus
Eblouis, ils marchent vers leur destin
Oubliant leur liberté
Ne voyant que l’égalité
Homogènes, rasés de près,
Au canif de l’assujettissement
A l’uniformité sans saveur

Et celui qui respire un autre parfum
Est bon pour le rejet au loin
D’une sécurité enfantine
Dans laquelle se complaît
Cette multitude qui n’est qu’une
Mille visages, mille voix
Qui ne veulent qu’une chose
Courir vers le précipice
Aveugle et noir de l’obscurantisme

Le cri de celui qui saute dans le vide
Devient les hurlements sauvages
De ces oiseaux de mer
Plongeant inlassablement
Sur le ban muet des vagabonds
Qui glissent entre les eaux

 

13/07/2012

Le retour

 

Revenir, après un long voyage
Errer dans ses souvenirs,
Dont le goût est devenu âpre
Entendre chanter le passé
Et ne plus comprendre le présent
Décalage ! As-tu laissé ton cœur
Dans les vagues en rouleau
Ou la langueur de tes amours
Je ne sais. Premier regard
Vers celle qui fut longuement
Enviée, choyée, puis abandonnée
Par une absence silencieuse
Et tu reviens, heureuse
Quel découragement que l’accueil
Incertitude ou fausse mélancolie
Tu nous regardes sans nous voir
Encore emplie des eaux nuptiales
De la grande découverte
Il y a autre chose, un autre mystère
Dans ce monde empreint de solitude
Cet état d’âme, riche et plein
T’a transformée. Femme devenue
Mutante, ouverte, libérée
Hors des clous de la bienséance
Les vents t’ont courbée
Mais tu t'es façonnée arbre
Forte et vive comme une branche
Qui s’agite au gré du temps
Et tu reviens, nouvelle
Enjolivée de ta ferveur
Par de lointains horizons
Les yeux dans les étoiles
Constellations diverses
Jusqu’au papillon
Qui erre dans tes pensées
Et voile la tristesse du retour

Dis-moi, quand repars-tu ?