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09/07/2012

Le poète

Un poète, c’est un homme ou une femme à part
Mais c’est aussi un être de tous les jours
Il peut ne pas écrire, mais il est poète
Car la poésie est un état d’esprit
Et non une qualité littéraire

Poète d’un jour, poète toujours
Oui et non, il faut pouvoir décoller
S’élargir l’esprit à la largeur de sa vision
Respirer ce gaz hilarant et enchanteur
Qui détruit le sens du terre à terre

Tu as beau mettre du sable dans tes poches
Tu montes le nez au vent, l’œil au balcon
Et contemples l’acidité du quotidien
Du haut de ta folie bienheureuse
En quoi es-tu différent ? Posons-nous la question !

Est-ce une acuité anormale et cinglante
Qui conduit à cet état d’apesanteur molle
Est-ce l’innocence d’un regard sans lunettes
Ou encore la tranquille assurance
D’un humain nu qui se croît habillé ?

Rien de tout cela sans doute et heureusement
Le poète ne se distingue pas de ses voisins
Il agit en discrétion, à petits pas menus
La paupière quasiment close, les pieds en dedans
Caché aux autres, inconnu de la foule

Il ne se sait pas poète, il plane dans l’atmosphère
Sans même savoir qu’il est en lévitation
Tout ceci est naturel, il n’a plus ces écailles
Qui obscurcissent la vue et donnent raison
A tous ceux qui ne voient pas la beauté

N’est pas poète qui veut, mais qui peut
Et cela n’est pas donné à tout le monde
Certains paieraient pour réciter fortement
Les vers d’un mirliton automnal
Et chanter la vie sans fond de l’insouciance

Mais l’on ne s’entraîne pas à devenir poète
Il faut un autre regard, acidulé et collant
Pour trouver à la vie sa grandeur
Malgré les légers contretemps ou contrefaçons
Qu’elle imprime dans l’âme quotidiennement

Le poète butine, il s’intéresse à tout
Tout peut devenir objet de poésie
De l’infiniment petit à l’infiniment grand
En passant le plus souvent par l’infiniment moyen
Qui est, il faut le dire, la norme habituelle

Oui, c’est vrai, la poésie n’est pas utile
Mais le pain l'est-il à qui n'a pas faim ?
Alors, chaque jour tu pars le nez en l’air
Humant les parfums exquis d’un monde
Où l’on se délecte de ce que l’on ne voit pas

Et tant pis pour les vers et césures
Tant pis pour l’équilibre des phrases
L’image a ce pouvoir de dérégler la machine
D’une trop précise vision versificatrice
Qui n’a de sens que pour les autres

Le poète se laisse guider par sa muse
Elle lui dicte sa joie et sa lucidité
Elle emplit ses poumons de verdeur
Et il écrit parfois, écoutant ces paroles
Qui sortent de son sac à vers

Le poète est seul au monde
Il tente de partager cette solitude
Il fabrique les mots d’amour
Pour tous ceux qui veulent bien l’entendre
Pour leur apporter cette solitude bienheureuse

Elle s’échappe en vapeur ondulée
De son cœur étonné d’autant de chaleur
Et se répand gentiment, subrepticement
Dans les pensées enracinées et lâches
D’humains en mal d’être et non d’avoir
 
Tu peux avoir des billets dans tes poches
Tu peux posséder  ce que l’argent te donne
Tu peux aussi acheter quelques congénères
En mal d’impatiente possession. Mais rien
Ne te donnera ce supplément d’être, sauf la poésie

 

05/07/2012

Ecran

 

Les yeux fixés sur l’écran…
Lequel ? S’agit-il du dispositif
Qui empêche la perspicacité de s’exercer
Ou inversement de ce qui permet de voir
Des images d’un passé qui se veut présent

Quel écran de fumée
Cherche à cacher la réalité de la vie ?
Je poursuis ma route, encombré
Défait de chaleur et de protection
Nu comme un vers sous les regards
La fumée s’est envolée, partie vers d’autres cieux
Et ne reste qu’un corps sans motivation

Pourtant un écran sert aussi de paravent
Qui abrite du souffle du voyeurisme
Et empêche le quidam d’entrer
Par des stratagèmes dans l’intimité
De pâles nuits d’été, étouffantes

Mais l’écran peut également
Dévoiler un monde virtuel
D’images, de mots, de chiffres
De tout ce qui peut passionner
L’esprit du spectateur
Scotché sur les points brillants
Qui sans cesse évoluent
Pour s’imprimer sur la rétine
Et faire naître espoir ou désespoir
Dans le cerveau de cet humain

L’écran peut aussi devenir masque
Il sert alors à voiler les pensées
Dans l’immobilité des expressions
Comme un paysage sans vent
Tu passes devant cet homme
Qui ne te regarde pas, ne te vois pas
Et tu n’es plus rien, qu’une ombre
Dans la densité des objets d’un matin
Tout à l’heure tu disparaîtras
Effacé, tu n’auras plus d’écran
Où reposer ton corps vide de substance

S’interposer c’est aussi servir d’écran
Volontairement, entre deux points de vue
Les balles ricochent sur votre carapace
Renvoyées à l’agresseur
Jusqu’à ce que l’écho de la bataille
Devienne un murmure d’amabilité
Et vous résonnez, ébranlé de ces assauts
Comme une cloche de verre
Dans l’eau trouble des passions 

Avant ils étaient cathodiques
Ils sont devenus plats, exsangues
Grâce au progrès technique
Toujours plus petits ils mobilisent
De plus en plus les esprits
Bientôt ils ne seront plus qu’un point
Dans le vaste champ de la vue
Mais encombreront sans pitié
L’ensemble des possibilités d’attention
Endormies dans la chaleur moite
D’allégories bigarrées, devenues
 Puits sans fond de concepts fascinants

 

Ouvre tes yeux, laisse tomber tes lentilles
Regarde la nature telle qu’elle est
Oublie les images chatoyantes
De paysages subtils mais inaccessibles
Ne te revêts pas d’écrans de protection
Contre un monde à toujours admirer
Malgré ses pans de laideur
Derrière le masque se cache une réalité
Comme un trésor à dévoiler
Pudiquement,
Lentement
Imperceptiblement 
Amoureusement

 

01/07/2012

Incroyable ! Rage et compulsion

Incroyable ! Rage et compulsion
Je suis défait, englouti, perdu
Tout se ligue contre moi
J’ai mal partout dans ma tête
Plus rien ne va plus !
J’ai perdu ma tranquille sérénité
Il n’y a plus rien de l’homme
Enchanté, dansant sur le fil
Je suis lourd et pataud
Mes idées tournent au ralenti
Comme prises dans la glue
Et mes émois ne m’intéressent plus
Calme plat sur les émotions
Viens me toucher
Je ne te sentirai même pas
La machine ne tourne plus
Elle est en panne
La dernière bouffée de vapeur
S’est échappée de ses tuyaux
Et s’est perdue dans l’azur
Comme un pet dans l’atmosphère
Dieu, quel inconfort
Revenir à l’insatisfaction
Redonner à l’inconsistance
Son humeur et ses tremblements
Pour, en retour
Ne recevoir que les larmes
Et la mortelle désespérance
De jours fades et sans étincelle

Ah ! Un éclair, une lueur vive
Un pincement des entrailles
Et me voici ragaillardi
Je vole, je plane, je looping
Le cœur en écharde
Encore un jour de voyage
Dans la vaste plaine
D’un cerveau vide
Quelle est bonne
Cette fuite des idées
Quel régal que cette absence
De vagabondage de l’esprit
Et de fixation sur l’aridité
D’une solution à trouver

Envole-toi, et plane
Jusqu’au bout du monde
Là où rien ne limite
Ta liberté de croire
La vapeur siffle à nouveau
Dans le cornet des chimères

27/06/2012

Un jardin

Ce terrain clos qui abrite fleurs, fruits et légumes
Ou encore cet espace derrière la maison
Où les enfants s’ébattent, crient et pleurent
Lieu privé, à l’abri des regards inquisiteurs
Qu’a-t-il de si attirant, de mystère caché ?

Ces lieux peuvent être suspendus, emboitées
En d’innombrables escaliers enchevêtrés
Et constituer un labyrinthe de verdure
Devenir enchantés, bercés par les vagues
Ou s’organiser en grottes et cachettes
Dans lesquelles les amoureux s’épanchent

En certaines régions, il est d’hiver
Il y fait chaud, contrairement aux impressions
On se laisse aller respirant cet air moite
Comme on respire le cannabis, en cachette
Et l’on part en bateau, glissant sur les eaux
Les yeux sur l’horizon fermé des feuilles
Immenses des bananiers occultes

C’est mon domaine et il est secret
C’est ma connivence avec moi-même
Dont je possède seul la clé, petite
Dans la poche de mes souvenirs
Pour jouir en solitaire de bonheur retrouvé

Lorsqu’il se fait japonais, minuscule
Aux plantes petites, rares et chères
Et laisse aux passants l’exhalaison
Rentrée de méditation inconvenante
On peut s’interroger, inquiet
Sur la part de rêve et de délires
Qui attend le promeneur égaré

Mais lorsqu’il devient jardinerie
Où se mêlent enfants, chiens et passants
Dans un vertige de cris et de fureurs
Pour une tige en mal de fleur
Une fièvre s’empare de l’ensemble
Et le transforme en parvis bouillonnant
Même les plantes y perdent leur latin !

Il arrive que l’on y jette une pierre
La pierre de discorde, pommelée
Qui est lancée aux passants d’un air dégagé
La main droite ignorant la gauche
Un sourire de béatitude sur les lèvres
Comme le rosier au cœur des sentiments

Saint Fiacre est leur patron
Dont les Saint-Fiacrais sont très fiers
Irlandais en exil en Gaulle
Il devint ermite et cultiva son enclos
Bien qu’une femme contesta sa propriété
Il bâtit son hospice verdoyant
Et mourut environné de sa production

Chaque jardin est un royaume
Peuplé de vivants et de fantômes
Refuge du rêve et des souvenirs
Il vous conduit aux portes
De la délivrance et de l’ubiquité

 

22/06/2012

Labyrinthe

Quel dédale de pierres froides et grises !
Avance, te dis-je, ou l’on n’en verra pas le bout !
Et vous marchez, marchez sans cesse
Le nez levé, sans voir rien d’autres
Que ces murs qui tournent et passent
Toujours les mêmes, ronds à force de tourner
Pris dans les volutes de l’illusion
Partant en fumée dans votre imagination

Serais-tu perdu, homme sans horizon ?
Ces corridors, escaliers, chambres, galeries
Salons de brocart, couloirs de la mort
Ne t’ont-ils pas aguerri, élevé l’âme ?
Tu cherches sans trêve dans la solitude
Ton double dont tu perçois les ombres
Là, il est là ! Et tu cours derrière lui
Sans savoir qui tu vois réellement

Vous connaissez bien sûr le labyrinthe des mots
Celui de la chicane et de la jurisprudence
Et vous vous laissez noyer de lettres
Comme le mathématicien de chiffres
Il n’y a pas de nombres premiers
Dans les lois sans cesse faites et défaites
Il n’y a pas de nombre d’or, mais des rideaux
De papier, d’abjuration, de supplication
Et lorsqu’on les ferme, sous les applaudissements
De vieux relents d’incompréhension
Vous pilonnent de leur aigre rancœur

Les labyrinthes de la passion, de cœur ou de corps
Sont plus excitants. Vous vous heurtez
A la sensibilité d’autrui, en reflet
Et votre ombre devient mirage, multiple
Et vous courrez derrière, là aussi
Mais ce n’est qu’impression, engouement
Et vous courrez, exalté, fiévreux, ivre
De ces baisers de chair qui se laissent
Goûter derrière les orangers
Quel fruit délicieux que ceux-ci, n’est-ce pas ?

Un labyrinthe, qu’est-ce ?
Une machine à laver brassant le cerveau
Un coup à l’endroit, un tour à l’envers
Jusqu’au tournis conceptuel
Avec perte de la rose des vents
Vous marchez sur la tête
Vous courrez au plafond des visions
Et tombez raide, sans fard
Aux pieds de la bien nommée
Belle dans sa robe de taffetas
Souriant au benêt qui court
Croyant palper la vie
Alors qu’il n’embrasse que le vent

18/06/2012

A cette heure où plus rien ne bouge

A cette heure où plus rien ne bouge
Quand encore la lourdeur des paupières
Et le froid des draps écartés
Vient vous frapper d’un coup
Et réveille en vous le souvenir
De la vie et de la mobilité des choses

Quand l’esprit englué,
Tourne en rond, en ratée
Et le corps recroquevillé
Se serre contre celle, amour
A qui l’on doit la vie et les pensées

Lorsqu’enfin ouvrant un œil
On ne voit que le noir sans fond
Et l’on se demande, éperdu
Où se trouve notre corps
A défaut de savoir
D’où notre esprit divague

Rupture ! Plus rien n’est comme avant
Assis au bord de l’océan
De draps et de couvertures
Je tends les bras vers l’oubli
Tente de me relever, hagard
Puis retombe, inerte
Et me rendors en toute innocence
Devant les spectres de la nuit
Et les fantômes silencieux

Puis vient le temps des rêves
Partir sur son nuage
Et laisser errer sa pensée
Sans odeur ni caresse
Pour le seul plaisir virtuel
D’un refuge chaleureux
En rond autour d’une chimère
Qui vous embrase un temps
Le temps d’un nouveau sommeil

Et, à nouveau, embarqué
Sur le navire de vos incertitudes
Vous laissez votre être
Partir à la dérive, en pluie
Inondant la chambre d’illusions
Pour, encore, le rassembler plus tard
Quelques heures… Encore
Comme le naufragé qui cogne
Sur la coque du bateau
Pour alerter les ondes
De l’absence de l’humain
 
Enfin, lorsque le matin vient
Que le feston amarante apparaît
Que l’oiseau malhabile crie sa douleur
Que l’enfant pleure le ventre vide
Vous émergez des brumes adoucies
D’une veille nocturne, engourdi
Le cœur encore enfermé
Dans ce brouillard fragile
De l’imprécision des gestes
Vous remettez en route
La machine à survivre
A moudre des impressions,
A concocter des sentiments,
A modeler des intentions,
A sculpter l’entendement

Merci mon Dieu,
Encore une fois
J’exerce de plein droit
La faveur d’entamer
Une nouvelle journée de bonheur

14/06/2012

Un mot, qu'est-ce ?

Un mot, qu’est-ce dans le temps ?
Chaque mot dit compte, même dans le sommeil
Chaque mot pensé, même bien caché
A son mot à dire au jugement dernier

Et pourtant un mot n’est qu’un son
Certes il possède un sens
Que chaque son ne peut s’arroger
Mais ce sens est-il toujours conforme
A ce que l’on voulait dire ?

Parfois un bon mot devient un habit
Qui permet de cacher sa déconfiture
Certes, il existe des mots vides de sens
Lorsque l’auteur n’a rien à dire
Mais veut pourtant tenir la scène

L’on peut aussi parler à demi-mot
Comme le souffle dans le vent
Des oreilles emmitouflées
Que comprendre alors ?
Au bas mot, pas grand-chose !

Les grands mots de célébrités
Ne sont pas forcément les meilleurs
Ils écrasent sans convaincre
Et laissent coi l’interlocuteur
Qui, sans mot, ne peut rien dire.

Certains l’écorchent, ce mot recherché
Et provoquent l’hilarité
Comme l’inculte qui lit mot à mot

D’autres disposent de mots de passe
Ingrédient très cher au faussaire
Qui doit acquérir des contre-mots

Le mot pour rire
Est le mot drolatique et fugace
D’un funambule sur le fil
D’un rasoir électrique

Pas un traitre-mot, dites-vous ?
Certes, ma belle, je le sais
Mais l’homme muet
Ne sait jongler avec les mots

C’est mon dernier mot !
S’exclame le mourant
Puis en un soupir
Il laisse partir le mot

Les gros mots ne sont pas les plus visibles
Ils s’étalent aux portes des oreilles
Et font rire les enfants, motivés
Par toutes sortes de mots de la fin

Quel est donc le fin mot de l’histoire
Le savez-vous, jeune homme ?
Je l’appris dans le dictionnaire
Où l’on trouve toutes espèces de mots
Même ceux qu’on ne connaît pas

Une définition est un discours
Qui dit ce que signifie un mot
Et si vous le prenez au mot
Que vous restera-t-il ?
Un mot cassé, sans orthographe
Et encore moins de sens

Pour finir, de ces divagations,
Quel est le mot d’ordre ?
Pensez-vous un mot de ce que vous dites ?
Celui qui ne pipe mot
N’a plus de mots dans la tête

Transmis par radio-Londres :
Les mots-clés sont fermés
Je répète :
Les mots-clés sont fermés

10/06/2012

Laisse résonner en toi le monde

Laisse résonner en toi le monde
Laisse venir du fond de tes entrailles
Les bruits délicieux de l’immensité
Inquiétante du grouillement de la vie
Ecoute, les yeux fermés et les oreilles closes
Les paroles de la nuit ouverte
Qui danse comme les serpents
Sur l’antre des échos vibrant en toi
Entend ces chants silencieux et fuyants
Qui entretiennent en toi
Cette humanité rougeoyante
Et ces épanchements écarlates
Que monte vers toi les flammes
De l’inconnue extasiée
Qui crie sa douleur d’être seule
Marche sur les chemins de silex
Soulage tes pieds de misère
Et continue à avancer, toujours
Vers l’obscur point qui se trouve en toi
Et que tu cherches inlassablement
Sous la peau que tu revêts
Derrière les apparences de l’homme
Mais dans un cœur d’enfant
Et une âme divine se tient
L’aboutissement de ta destinée
Ce point ultime qui est ton but
Que tu peines à connaître
Et encore plus à décrire

Alors, oublie-toi,
Et qu’avance le vaisseau
De tes éclaircies divines !

 

07/06/2012

Cadeau

A cheval donné, on ne regarde pas la bride
Pourtant ils sont bien là, tous ceux qui
Regardent derrière le papier grenat
Enveloppant le mystère du don

Il ne fallait pas ! Susurrez-vous au donateur
Etes-vous heureux d’un tel privilège ?
Certes se fendre d’une offrande
Est mieux que demander un bakchich

Il est incontournable, dit la précieuse
Oui, il se tient au doigt, visible et précis
Comme une pomme de pin sur une branche
Ou un hanneton sur la fleur violette

Il est royal, osez-vous dire à votre bienfaiteur
Ce n’est pas un couscous, ni un festin
Ce n’est qu’un présent à l’image du cœur
Comme une bulle d’air montant dans l’eau

Il est tombé du ciel, un coup de tonnerre
Qui éclate au matin, à peine réveillé
Il vous touche le troisième œil
Et vous retourne sur le dos, tortue

Plus rien ne sera comme avant
Me voici transformé, vibrant
De surprise, d’attente satisfaite
J’embrasse la donatrice aux lèvres charnues

04/06/2012

Menus abîmes, poèmes d’Emily Dickinson, traduit par Antoine de Vial (2ème partie)

« Le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots
Un mot peut vous inonder quand il vient de la mer »

 

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Emily Dickinson est une femme restée adolescente dans l’esprit, spirituellement toujours en mouvement. Mais ses interrogations ne se disent pas ouvertement, elles se laissent deviner au fil des vers. En cela, elle se laisse laver chaque matin par son inspiration et peut alors déclamer fortement sa vision du monde.
Les mots prolongent sa pensée, la rythment au fil du jour et s’éteignent le soir après les avoir couchés sur le papier. Et chaque jour est un émerveillement de tout, bien qu’elle n’ait jamais que vécue dans sa maison familiale. Vide de toute pensée utilitaire et personnelle, elle se laisse griser par la toute-puissance de la nature, s’enivre du soleil, du vent et des couleurs de l’univers.

 

N’en disons pas plus et laissons-nous porter par ce poème :

Ce fut un chemin de silence –
Il demanda si j’étais sienne –
Je répondis sans mots –
Mais du regard –
Alors – il m’emporta si haut
Avant même ce bruit mortel
De la fougue d’un Char –
Loin – comme le ferait des roues –
Notre monde avait disparu –
Comme les champs au pied
De qui se penche d’un ballon
Pour scruter une rue d’éther –
Le gouffre – derrière nous – n’était plus –
Les continents étaient nouveaux
C’était l’éternité avant –
L’éternité prévue –
Plus de saisons pour nous –
Ni nuits et ni matins –
Mais un soleil – qui en ce lieu –
S’était fixé en son aurore –

Merci, Emily, pour cette bouffée de fraicheur et votre délicate espérance.

02/06/2012

Chapeau...

Plus généralement partie supérieure d’un appareil…

Chapeau bas, Monsieur, qui d’autres l’aurait fait ?
Ainsi s’esclaffe le quidam sur la pirouette des mots

Mais ce couvre-chef a d’autres vertus
Telles que le salut des grands aux petits
Ou encore l’élongation des silhouettes

Ne parlons pas de ce galimatias éclairé
Qui défie les juristes tout en les rassurant
Indéniablement, ces résumés sommaires
Interdisent le sommeil aux néophytes du droit

Pourtant il leur faut bien, un jour ou l’autre
Faire porter le chapeau à un coupable
Sous peine de ne pouvoir survivre
A de telles manipulations en prétoire
Et finir derrière la grille du confessionnal

Certains travaillent du chapeau, encombrés
De rumeurs, de chaleurs, de torpeurs
Ils se laissent guider, obscures victimes
Par les cris entendus en écho des pensées
Mais ont-ils réellement des pensées plutôt
Que des images qui les guettent le soir ?

Quel est donc cet objet que l’on met sur le crâne
Qui nous conduit à tant de détours ?
Certes il porte d’autres noms :
Coiffe du boit-sans-soif, bonnet du benêt
Panama du skipper trois-mâts,
Casquette des coquettes, turban des forbans
Bicorne des bornes, galurin de Tartarin

Ainsi, chaque jour enturbannés s’en vont les têtus
Ceux qui pour rien au monde ne sortiraient têtes nues
 Ils se voilent la face d’un haut de (ou sans) forme
Et s’en vont droit devant eux en saluant
D’un coup de chapeau bien maîtrisé
Le maître du district ou le menu peuple
Pour le simple plaisir de tirer son chapeau
Et montrer ainsi son crâne dénudé et aigri

30/05/2012

Menus abîmes, poèmes d’Emily Dickinson, traduit par Antoine de Vial (1ère partie)

12-05-29 Couv Menues abîmes ED par AdV.jpgEmily Dickinson a écrit près de mille huit cent poèmes, dont seuls moins de dix furent publiés. Née en 1830, elle est morte à 55 ans.

A sa demande son « cercueil ne fut pas conduit, mais porté à travers un champ de renoncules ». Elle ne s’éloigna d’Amherst, sa maison natale, où elle disait tant se plaire, que pour passer une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley ou lors de rares séjours, à Washington ou à Boston. Elle n’a guère quitté le cercle de cette petite communauté puritaine de Nouvelle-Angleterre. Elle a vécu entre son père juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère plus effacée ; entre sa sœur Lavinia, qui ne partit jamais non plus et son frère Austin, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse.

12-05-29 E Dickinson.gif

On se plonge dans la poésie et l’on en sort transformé. C’est un grand bol d’air frais qui vous descend dans la gorge et vous fait voir le monde autrement. Emily vit de sa poésie, elle est poésie. Chaque instant est l’occasion d’un poème, mais sa faveur va à la nature, chantée, dite, criée, sans jamais se lasser. Et son monde de vers est bouleversant d’humanité, non de sentimentalité, de sensibilité sociale, mais de viril abord de la grandeur de la vie.

 

 

Mon cocon me serre –
Les couleurs m’agacent –
Je ressens – avec un besoin d’air –
Une obscure aptitude à voler –
Que mon habit entrave –

----

Je donne à entendre et déconcerte –
Je déchiffre jusqu’au signe –
Mais de bévues en bévues – enfin –
Je pressens l’indice du divin –

 

Elle utilise le tiret et non la ponctuation habituelle. Il lui permet de donner une résonance nouvelle aux mots, de les isoler de leur contexte et mettre en valeur telle ou telle idée. Il donne également l’eurythmie du poème, fait d’élans et de pauses dans la cadence pointilliste de l’anglais.

J’ai plongé et nous y replongerons bientôt. C’est tellement enchanteur !
Merci à Alice de m’avoir donné ce livre qui renferme de tels trésors de l’âme.

 

29/05/2012

Partir en sautant dans une voiture

 

Partir en sautant dans une voiture,
Sans savoir où l’on va
Uniquement pour le plaisir, pour
Quitter ce que l’on connaît trop et
Aller sur ce chemin désiré parce qu’inconnu !

L’excellence des détours afin d’atteindre
Le but inconnu, insoupçonné et désirable
Alors on part à l’aventure, sans savoir
On cherche l’impression, le vide, l’absence
Et chaque départ se fait sans désir de retour

Oui. Elle est partie, cheveux au vent
Enveloppée dans sa robe fuchsia
La main levée, les yeux baissés
Sans bagage, sans souvenir
Pour voir ce qu’il y a, au-delà

Elle a laissé l’odeur de sa délicatesse
Le parfum de ses remords et de ses désirs
Plus rien de tout cela ne lui appartient
Même son cahier reste en souffrance
D’une écriture hâtive et malhabile

Elle n’est plus qu’un point noir
Sur le feston de l’horizon
Un point que l’on regrette, chaud
Comme le sang du mouton
Que l’on égorge pour l’Aïd al-Adha

25/05/2012

Il était là sans y être (rencontre dans une rue de Paris)

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Il était là sans y être, au pied d’une porte cochère,
Assis sur un sac sans forme ni couleur, en jachère,
Il dormait à poings fermés, ivre et sans consistance,
Rien ne l’aurait réveillé, pas même les femmes de l’assistance.

Il remua soudain, pris de délire et de tremblements.
Les yeux fermés il redressa la tête, hagard vraiment.
Il battit l’air de ses bras forts, sans conscience,
Et se rendormit difficilement, mais avec vaillance.

Il ne me vit pas le dessiner, caché derrière les vélos,
Regardant la chair humaine simuler ses sanglots.
Il bailla d’une gorge profonde, poussa un cri,
Regarda son état et hurla « A mort l’escroquerie ! ».

Alors il se leva, passa une main dans ses cheveux.
Il prit son sac, essuya son menton baveux,
Fit un pas ou deux avant de s’écrouler à nouveau,
Pleura sur sa misère, hennissant comme les chevaux.

 

22/05/2012

« Resisting the present », Mexico 2000/2012, musée d’art moderne de la ville de Paris

 

http://www.dailymotion.com/video/xpjozg_resisting-the-present-mexico-2000-2012_creation

 

mexico salle 1.jpgOn entre dans un froissement d’ailes, corbeaux en grappes qui s’élèvent vers d’autres cieux ne laissant que leurs déjections symbolisées par des cailloux. Les salles sont immenses, un peu vides, parsemées d’images, de dessins, de mots, de vidéos, de briques et autres matériaux insolites. On est un peu perdu, Ventilateurs RED.JPGeffaré de ces morceaux d’art qui nous sont présentés sans réelle unité, sinon les cris d’alarme contre la civilisation qui sont proférés par 6 manches à air ventilateurs intitulés « Credibility crisis » et qui poussent des mugissements sauvages.

 

Entre les corbeaux et leurs cris mécaniques déformés par les manches à air, se trouve une fresque de bonne facture artistique qui dépeint la société mexicaine. Certes, la dérision est obligatoire, mais elle reste acceptable en raison de la beauté du coup de crayon et l’organisation des symboles.

Bayrol Jimenes entier.JPG

 L’artiste, car on peut parler d’artiste, place sa sociétP5100024.JPGé sous P5100023.JPGl’impérialisme de l’aigle américain qui tient dans ses serres la plante à drogue et la mitrailleuse. C’est la guerre, une guerre sale avec des cercueils, des squelettes, sous les volcans de la colère. Le pouvoir en place est délétère, condamné par ses actes, profiteurs sans tête ou cadavres affublés de signe de leur autorité. Ce n’est pas très réjouissant, mais la construction de l’ensemble et les détails de chaque partie montre une véritable conscience de la composition artistique.

 

Plus loin, pour en finir avec cette salle en L, on voit projeter sur un mur les phrases poétiques ou non, d’Alejandro Jodorowsky qui proclame son idée de la société :

         La justice et une injustice partagée par la majorité.

         La société vit en reproduisant le passé. Si tu la suis, tu deviendras un mort vivant.

         L’unité n’est pas l’exclusion des contraires, mais la somme des contraires.

         Poésie : un coup de feu vers l’avenir.

         Les guenilles du mendiant peuvent révéler la danse du vent.

 

On passe dans une petite salle, consacrée à la géologie et l’hydrographie du Rio Grande. Que vient faire dans cette exposition ces images et ces pierres et autres objets ? Mystère. Peut-être tout simplement, parce que le grand fleuve est frontière entre les Etats-Unis et le Mexique.

 

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Et l’on entre dans l’autre grande salle aux recoins multiples. Franchement, rien de remarquable ! Là aussi, dessins (très peu), photographies, vidéos, sculpture (hum ! en plastique et démonté au sol) et autres objets dits artistiques tels ces livres recouverts de papier de verre eP5100043.JPGt empilés sur une étagère ou encore cette chaîne de vélo qui tourne autour d’axes innombrables avec le cambouis qui s’écoule le long du mur. Grandiose peut-être ; incompréhensible, sûrement. Mais ce n’est qu’une métaphore visuelle de la société !

 

 

« Le dessin, très présent dans la culture mexicaine à travers la caricature, le surréalisme, le street art, est bien représenté. Il illustre la synthèse souvent brillante que le Mexique opère entre art populaire et art savant », nous dit le dépliant que l’on nous confie à l’entrée de l’exposition. J’espère cependant qu’il existe d’autres artistes au Mexique pour lesquels l’art n’est pas l’expression d’un rejet de la société et de revendications, mais qui tentent de faire passer un peu de beauté dans ce monde qui semble si triste.

 

21/05/2012

Jour du peintre

 

Jour du peintre, le soleil dort
Bordé de plumes, il se cotonne
Emergence sereine, sans contours
Il délivre sa myopie de cyclope
Terre de verre teintée, molle
Araignée laiteuse et géométrique
Je m’englue dans ta toile déployée
Jusqu’à cet œil pâle et soyeux
Mes pas étouffés par ta chair
Ne peuvent pas monter jusqu’à moi

17/05/2012

Il était revenu aux lieux de son enfance

 

Il était revenu aux lieux de son enfance,
Il se revit, petit, sautant sur ses gambettes,
Plus rien ne sera comme hier, et ta prestance,
Retrouvée, anoblie, te dispense de courbettes.

Merci à vous tous, pour votre soutien esseulé,
J’imagine l’être solitaire, empressé,
Revenir vers ses souvenirs et les caresser
Pour qu’ils reprennent une existence froissée.

L’eau coule, sereine, lavant tes désirs obscurs,
Et les transforme en pesante sinécure.
Tu aimes la pétrir de tes doigts malhabiles.

Rien, les souvenirs refusent leur présence.
Le temps a filé et consacré ton absence.
Rien ne rebranchera le passé immobile.

 

12/05/2012

J’ai cinq doigts

 

J’ai cinq doigts et tu en as cinq
Si je les entrelace, j’ai dix doigts.
Nous sommes alors comme les marins
Qui tirent ensemble sur leur corde de bois.

Tu as les doigts les plus fins
Cela semble aller de soi.
Ce sont de petits verres de rien
Aux ongles rouges de désarroi.

Tu as aussi de petits plis
Qui forment de grands rires
Sur ta paume encore assoupie
Par les grands yeux qui l’admirent.

05/05/2012

C’est votre univers

 

C’est votre univers, ce bureau délavé.
Et, présent, vous laissez partir votre esprit ;
Absent, sans vergogne, vous y revenez.
Apparition, disparition, tromperie !

Environné de fantômes, muselé,
Vous vous condamnez en imagination
A devenir sec et pâteux, dépoilé,
Dans cette enceinte de distanciation.

Votre transparence devenue réelle,
Vous errez dans les couloirs solitaires,
Trainant derrière vous vos péchés véniels,
Jusqu’à cette résidence balnéaire.

Et vous vous ébattez, le cœur en fête,
Là où aucune envie ne vous attend.
Vous vous délestez d’une âme inquiète
Jusqu’à baigner dans le vide dilatant.

 

 

01/05/2012

Inexorablement, se déversent du ciel

 

Inexorablement, se déversent du ciel
Les gouttes d’une froide solitude
Le temps s’est divisé, recroquevillé
En nuages noirs et denses
Comme les bourres de poussière
Sous les meubles de votre passivité

Autour de vous, au pied de votre île
L’eau monte en écume blanchâtre
Et file sous vos yeux inquiets
Elle atteint sa côte d’alerte
Et envahit votre esprit occupé
Jusqu’à faire dériver vos pensées

Les gouttes sont devenues flots
Les flots deviennent fleuves
Les fleuves emplissent l’immensité
Des eaux des mers bordant la terre

Observons cet étrange ballet
Une goutte tombe, se perd
Se fraye un chemin dans la végétation
Ruisselle avec ses compagnes
Vers d’étranges récipients
Qui déversent leur bouillonnement
En vomissures permanentes
Dans des canalisations saturées
Jusqu’aux rives des ondes courantes

Là s’arrête son aventure
Elle meurt de trop de gouttes
Elle laisse la place à plus épais qu’elle

Adieu goutte fraîche et caressante
Qui m’honora de sa présence
Avant de finir engloutie
Dans les affres de la nature débordante

30/04/2012

L’art urbain ou street art : passage Brady (1ère partie)

 

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Dans le passage Brady (Passage situé entre la Rue du Faubourg St Denis et la Rue du Faubourg St Martin, Paris 10), il y a une cour intérieure, moche, mais avec une peinture extraordinaire d’imagination et de délire pictural.

 

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D’abord, sur la droite, ce singe  qui tient une truite. Ce n’est pas seulement un singe, c’est un avatar.  Il est vieux, aux poils blancs, il est revêtu d’une sorte de couronne sacerdotale et semble offrir à son dieu le poisson. De plus, il paraît sortir de l’eau, comme une apparition bizarre à un plongeur qui fait un cauchemar !

 

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L’autre peinture est encore plus délirante. Une sorte de dieu, Vishnou le protecteur, tient dans ses mains multiples un certain nombre d’attributs qui sont ceux de la divinité : la conque, expression de la création, le lotus qui symbolise la pureté, le disque Sudarshana mettant en évidence la puissance de l’esprit, l’arc, la massue. Il porte la couronne qui représente la réalité incontournable. Mais ce dieu n’a pas la tête sereine des vishnou(s) habituels. C’est une nouvelle incarnation à la mode de l’an 2000 dans une ville occidentale, peinte par un artiste délirant. Il a la tête d’un africain du 10ème arrondissement et chevauche un tigre.

Sur sa droite, sautant l’arbuste qui pousse entre les pavés, un Lucky Luck mortel (ou immortel ?), à cheval sur un animal mythique, sorte de dragon dont on ne voit pas la tête, revêtu d’une couverture amérindienne, mais mettant en valeur les gratte-ciels newyorkais.

Le Dieu terrible et la mort montée sur son cheval ailé. Quel programme !

 

 

27/04/2012

J'ai pressenti ce matin

 

J’ai pressenti ce matin la reprise des vagues noires.
Elles courraient au galop sur le plafond de la chambre,
Puis revenaient à la charge des ombres du miroir
Qui fuyaient la transparence du regard de ces chimères d’ambre.

Mais le sommeil envahissait les limbes de mon sarcophage,
Le noyant de l’obscurité de l’aurore qui se méconnaît.
Assis, je sentais mieux les attaques de l’hydre anthropophage
Qui semblait s’éloigner pour rire sous la voûte du dais.

Les vertus du val disgracié des antipodes marines
Excellaient à périr sur le toit de la grâce immolée,
La couvrant de longs corps brunis par la soif de perdre Aphrodite
Qui frôlait de son rire leurs faces épanouies du périple enchaîné.
 
Fermés sur l’ombre des autels de leurs ailes affamées
Les princes des châteaux du miroir étalaient leur infamie
Pour tenter d’échapper aux fantômes des lueurs embuées
Qui gardaient leur ignorance du pouvoir des parvis.

23/04/2012

Lumière

 

Lumière,
Un trou blanc dans la vague des choses
Un gouffre, cimetière de couleurs
Et l’eau, brillance horizontale
Comme une nappe ou un glacier

La Loire,
Cristallisation des échos du soleil
Largement étale, délibérément ouverte
Entre les pans de matière forestière
Achevée de repos et de grâce

Ombre,
Aux lagunes encloses de sable noir
Baignées des dorures de la rive
Où l’œil s’enfonce indéfiniment
Comme au travers des brumes matinales

Loire, amie de mes rêves
Consolatrice de mes tristesses
Épuisant la joie de tes épanchements
Entre les berges de l’espérance

Soleil aux rayons verticaux
Détendant l’air de ses inquiétudes
Source de gaité séculaire
Lié au fleuve comme une broche d’or

Enfin les bois reposant sur la rive
Comme des bras tendus vers la lumière
Impénétrables et pondérés
Dans une sagesse faite d’immobilité
 

19/04/2012

Inconsistante cassure mentale

 

Inconsistante cassure mentale
Comme un caillou qui vient frapper
L’occiput et le désoriente
Jusqu’au moment où l’être
Ne vit plus sa routine
Et se vide de toute richesse
Pour recevoir en échange l’absence
Qui est plein de l’univers

Noir, encore, rien que soi
Et la nuit qui vous encercle
Pas un bruit, pas un mouvement
Vous écoutez votre pensée
Qui déroule imperturbable
Ses images connues et inconnues
Vous tentez de les chasser
Sans succès, même faible

La bobine tourne, à vide
Avec un murmure discret
Qui chatouille votre cerveau
Sans cependant l’atteindre
En profondeur. Elle surfe
Elle poursuit seule sa course
Folie et déraison,
Voilà votre sort envié

Soudain la rencontre avec vous-même
Au bord des lèvres, discrète
Vous vous regardez, étonné
Qui suis-je ? L’immensité
La pointe de l’aiguille
Le tout et le rien, sans condition
Vous baignez dans votre absence
En bienheureux extasié !

 

15/04/2012

Comment cesser de voir

 

Comment cesser de voir à travers l’écran des eaux
Dans l’arbre effeuillé, l’enfant malhabile, l’oiseau grelottant
La forme de tes mains aux caresses apaisantes

Comment cesser de voir quand l’âme se dénude
 Ce qui rend l’air léger et d’autres fois plus lourd
Ce qui fait au soleil une robe de deuil
Ou à l’horizon une ceinture d’argent

Un regard encore et l’enfant joue
Une pensée peut-être pour réchauffer l’oiseau
Un geste de la main pour pouvoir sourire

Est-il possible de perdre cette joie enivrante
D’ignorer à nouveau l’intuition de ton existence
Qui se décuple au-delà de ta présence passive
Jusqu’à éclairer le paysage de mon écriture

 

 

06/04/2012

Un vendredi comme les autres ?

 

Le non être dans sa grotte de pierre
Il repose, arraché du bois
Il n’est plus rien
Face à la puissance du monde
L’inconnu existe-t-il ?

Une petite poignée croit en lui
Ceux qui le côtoyaient
Ils sont abasourdis
Comment cet homme,
La bonté même,
L’amour incarné,
A-t-il pu mourir comme un voleur ?

Nombreux sont ceux qui moururent
De la veulerie des hommes
Des innocents accusés
Les cœurs purs souillés
Dans le froid du regard des autres
Le doigt tendu de l’infamie
Crie sur celui qui ne dit rien
Et il se sent abandonné
Il ne sait plus à quoi sert sa vie
Pourquoi m’as-tu abandonné ?

Pourtant, envers et contre tous
Il avait suivi son inclinaison
Vide de l’homme passé,
Empli d’espoir vivant,
Il avait marché sur les idées
Et s’était confronté
Aux certitudes sans expérience
Et le voici, mort dans la pierre
Reposant dans un linceul
Va-t-il lui aussi être oublié ?

La foudre est tombée
La pluie s’est déchaînée
Il n’est plus
Son sourire s’est dilué
Dans les hués de l’ignorance
Ses membres se sont tordus
Devant les accusations inconsistantes
Et ses yeux se sont fermés
Sur le seul trésor qu’il possède encore
L’absence de haine et de rancœur
Mais cela suffit-il ?

Il se donne tout entier
Et en se donnant, de rien
Il devient tout
Et pourtant, n’est-il pas mort ?

 

04/04/2012

C’était un monde nouveau

 

C’était un monde nouveau
Après une absence de deux semaines

Ce jardin connu de l’hiver
Est devenu un inconnu
C’est une entité épanouie
Presque délurée
Qui donne à l’homme
L'image de sa renaissance

Tout s’accomplit intérieurement
Comme une métamorphose
Subtile et créatrice
Qui courre entre les pierres
Et leur donne la brillance
Des jours de fête

Pourtant lorsque je touche
Les feuilles entassées
Par un vent turbulent
Et qu’elles s’égouttent
De pure moiteur sordide
Je respire encore
L’odeur de l’hiver
Noble, mais désuète

Mais aujourd’hui,
Dans la chaleur alanguie
D’un premier jour de printemps
Tout ceci n’est plus qu’un rêve
Un passé achevé et raide
Qui pend au bout d’un fil
Au fond du jardin
Sous les arbres de l’enceinte

Réjouissance, illumination,
Comme un bol d’air miraculeux
Qui courre au sommet du crâne
Et parcourt la tête
En frissons bienveillants
Grisés d’inconsistance

Je laisse s’échapper les cris
D’enfants heureux et sans souci
Jouons au retour de l’année
Qui reprend sa danse effrénée
Qui emplit la sève de tremblements
Et fait naître aux branches
Les festons gris, puis verts
De plumets encanaillés

Alors reposé et reconnaissant
Je vais dans ce jardin nouveau
A la rencontre du temps
Pour reconnaître encore
Ce cycle indéfini
De la naissance de la vie

 

 

30/03/2012

Silence. Rien d’autre que le silence…

 

Silence. Rien d’autre que le silence…
Il est sans fin, il vous prend à la gorge
C’est vrai, il y a la nuit, indivisible
Et pourtant dans cet instant qui se prolonge
Il y a des pauses, des phases, des élans
Et là, nous sommes entre deux
La nuit des noctambules s’achève
La fatigue en venant à bout
La nuit des travailleurs matinaux
N’a pas encore commencé sa ronde absurde
Le temps est suspendu, inerte
Et j’erre dans ce silence magnifique
Comme dans un palais de glace
Regardant les miroirs étincelants
Qui cliquettent d’épanouissants pincements

Je flâne entre ces murs symétriques
De la mémoire des bruits oubliés
Entre deux, coupure du son
Abaissement de la tension
Je flotte dans l’absence
J’ouvre les yeux sur le vide
Je goûte l’insaisissable déficience
De sensations habituelles :
Le grattement de la peau sur le drap
La toux d’un voisin endormi
L’égrainage des heures à l’horloge
Le craquement d’un meuble fatigué
L’imperceptible ronronnement
Du frigidaire, repu et obèse
Le cri d’un enfant dans la nuit
Oui, ce silence devient pesant
Est-il possible qu’il n’y ait rien
Que tous ces bruits du souvenir
Ne soient qu’invention diserte ?
Quel sommeil dans cette aphasie
Je ne peux fermer l’œil
A défaut de fermer les oreilles

Tout à coup, retournement
Elle se réveille, me regarde
M’adresse une parole aimable
Comment ? Que dis-tu ?
Toujours ce silence éternel
Ah, oui ! bien sûr,
Retire ses boules chatoyantes
Que tu portes aux oreilles
Et moi qui croyais
A l’éternel silence
D’une nuit blafarde
Au fin fond de l’océan

Mais, non…
Tu n’entends pas cette absence
Rien n’obture ton ouïe
Cette syncope est bien réelle
Ne viens pas troubler l’écoute des yeux
Dans le noir impalpable
Je respire l’ombre endolorie
Des mémoires revenues
De nuits sans lune
Et de jour sans amour

 

 

26/03/2012

Délectation, tel est le mot, ambiguë

 

Délectation, tel est le mot, ambiguë
Et tu ries de ce vocable imaginaire
Qui court dans ta tête et tes pieds
Retour sur toi-même, en creux
Là où rien ne t’atteint, sans faiblesse
Tu attends l’horizon vide des étendues d’eau
Tu baigne dans la fange de leurs pourtours
Et pourtant, que dis-tu du dialogue
Entre l’inconnue, charmante et vive
Et le jeune homme altier et disert ?
Ils dégagent l’impression d’un passé
Révolu, sans concession, mal défini
Et courent ensemble vers les fontaines
De l’innocence et de la pompe
Rien ne sera jamais comme avant
Nous avons perdu la consistance
D’impressions diverses et subtiles
Voici ce qu’il reste d’un après-midi
Où les volets fragiles et fermés
Sur le passé ressasse le présent
Boite immesurable et pauvre
De sensations promises, vite effacées.
L’avenir a-t-il une raison d’être ?

 

25/03/2012

De calvaire en calvaire (2ème partie)

 

Cette croix incite au départ, départ mystique vers la lumière, que Calvaire 09.JPGmême la fée électricité suit. Elle semble s’y noyer. Un panneau indique la direction, pour que personne ne se trompe. On y va, malgré les ronces, malgré l’éloignement et la hauteur. Quelle incitation au voyage ! Mais c’est un voyage particulier, on part très loin, en restant sur place. On frémit dans la lumière, on se laisse illuminer, on est ébloui, mais on avance, lentement, veillé par la croix réparatrice. On avance, on avance, et l’on sait où l’on va, enfin ! 

 

Le calvaire du prisonnier. La vierge enfermée derrière son grillage,Calvaire 10.JPG lui-même cloué sur le bois de la croix. Elle se tient là, dans le bois évidé, les mains ouvertes, prisonnière de cette croix qui fut également pour elle un calvaire. Elle semble un jouet enfoui dans un morceau de bois mal équarri, tenu grâce aux fils de fer. C’est une image quasi enfantine, mais l’enfance n’est-elle pas la porte de l’innocence, comme ce ciel qui l’entoure et lui donne le vertige. On croirait qu’elle va tomber sur sa droite et l’on voit le nuage défiler de droite à gauche et emmener nos soucis loin de sa présence. 

 

Une croix pattée, croix dont les bras sont étroits au niveau du centre calvaire 37.JPGet larges à la périphérie, sur lesquels rayonne la lumière divine qui, elle-même, est représentée par un globe cerclé. Ce n’est pas vraiment une croix celtique, mais plutôt une croix nimbée. Ses bras triangulaires se referment sur eux-mêmes et l’on passe de l’horizontalité croisée avec la verticalité, symbole de la transcendance, au cercle maternel, symbole de l’immanence. Elle paraît forte, bien assise sur sa colonne de pierre, mais a un curieux air étranger, teuton ou romain. Elle protège la prairie, symbole terrien de par sa solidité, mais aussi symbole de propriété marquant sa possession sur cette terre nourricière.  

 

 

Quelle croix impressionnante ! C’est une croix de consécration,société,poésie,nature,art,philosophie,spiritualité nommée croix de répétition ou croix allemande. Que fait-elle dans ce pays ? Elle s’impose dans un enclos fermé, environnée de branchages, dressant ses bras vers le ciel limpide, montrant sa force, défensive, solide comme le roc. Sa colonne l’adoucit, passant d’arêtes anguleuses à la rotondité simple, comme si cette force impressionnante naissait du cercle féminin qui s’érige vers le ciel. Quel beau symbole : de la complexité naît la simplicité !  

 

 

Curieux mélange. Une croix inspirée de l’ordre du Temple (croix pattée) ou, peut-être une croix tréflée ou croix de Saint Maurice qui refusa de tuer les chrétiens d’une ville des Alpes et qui devint, avec sa légion, martyre. En voici le récit fait par Saint Eucher, évêque de Lyon de 435 à 449 : « Il y avait à cette époque une légion de soldats, de 6 500Calvaire 62.JPG hommes, qu'on appelait les Thébains (…) Comme bien d'autres soldats, ils reçurent l'ordre d'arrêter des chrétiens. Ils furent toutefois les seuls qui osèrent refuser d'obéir. Lorsque cela fut rapporté à Maximien, (…), il entra dans une terrible colère. Il donna l'ordre de passer au fil de l'épée un homme sur dix de la légion, afin d'inculquer aux autres le respect de ses ordres. Les survivants, contraints de poursuivre la persécution des chrétiens, persistèrent dans leur refus. Maximien entra dans une colère plus grande encore et fit à nouveau exécuter un homme sur dix. Ceux qui restaient devaient encore accomplir l'odieux travail de persécution. Mais les soldats s'encouragèrent mutuellement à demeurer inflexibles. Celui qui incitait le plus à rester fidèle à sa foi, c'était saint Maurice qui, d'après la tradition, commandait la légion. Secondé par deux officiers, Exupère et Candide, il encourageait chacun de ses exhortations. Maximien comprit que leur cœur resterait fermement attaché à la foi du Christ, il abandonna tout espoir de les faire changer d'avis. Il donna alors l'ordre de les exécuter tous. Ainsi furent-ils tous ensemble passés au fil de l'épée. Ils déposèrent les armes sans discussion ni résistance, se livrèrent aux persécuteurs et tendirent le cou aux bourreaux. »  

 

Enfin, une croix des chouans qui marque la limite paroissiale et devenue, en raison de sa solitude éloignée de toute habitation,lieuCalvaire 68.JPG de rendez-vous des royalistes. Elle constituait également un lieu de dévotion avec une tablette encastrée à hauteur des mains pour y déposer une offrande. Elle se dresse comme un gardien, à la croisée des chemins champêtres, monumentale dans son piédestal, croix pattée également, mais simple, sans fioriture, pure de tout désir : une vraie croix de Malte. Elle semble dire : « Entrez dans la paroisse, mais sous le regard de Dieu. Si vos pensées sont mauvaises, prenez garde ! » Et ce chemin bordé d’arbres est une montée vers le paradis qui se trouve derrière ce ciel d’azur, dans la froideur d’une neige persistant encore dans les creux.