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20/02/2012

Pavage de Penrose

 

Penrose est un mathématicien  et physicien britannique qui a largement contribué à l’élaboration de la théorie de la relativité générale pour ce qui concerne la cosmologie et l’étude des trous noirs.

Il est connu pour sa découverte en 1974 de pavages constitués de deux formes et permettant de couvrir en entier un plan de manière non périodique. Les pavages de Penrose présentent une symétrie d'ordre 5 (invariance par rotation d'angle de 72 degrés). Ils ne sont pas périodiques, c'est-à-dire qu'on ne peut les décrire comme un motif répété sur une grille régulière. Ils sont cependant quasi-périodiques, c'est-à-dire que tout motif apparaissant dans le pavage réapparaît régulièrement.

Penrose pav type 0.png 

 

Le pavage de type 0 se construit avec des triangles d’or (voir le nombre d’or, publié le 14 février). En découpant un premier triangle d'or (aigu ou obtus, peu importe) et en opérant un agrandissement d'un facteur φ, puis en recommençant l'opération précédente une infinité de fois, on constitue un pavage complet du plan à l'aide des deux types de triangles d'or. On peut donc paver des triangles d’or par des triangles d’or.

 

 

 

Penrose pavage pentagonal.png.jpg

 

 

 Le pavage de type 1 permet de couvrir un plan avec des pentagones en ajoutant trois pièces qui permettent de combler les trous. Ce sont un losange, un pentagramme et un bateau.

 

 

 

 

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  Le pavage de type 2 est constitué de cerfs-volants et de fléchettes, construits à partir de triangles d’or. Cela ne permet de générer qu’un seul type de pavage. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de cerfs-volants et celui de fléchettes tend vers le nombre d'or φ, ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.

 

  

Penrose_losanges2.png

Le pavage de type 3 permet de paver le plan à l'aide de deux figures géométriques simples comme les deux losanges suivants.

Ce qui donne :

 Pavage_Penrose_losange.png

 

Penrose a rendu le rêve mathématique. L'imagination peut peupler le monde réel de figures ordonnées, mais d'une symétrie particulière. Quelles belles fleurs dans le jardin de l'univers !

 

 

13/02/2012

Le nombre d'or

 

Première partie d'une recherche qui conduit à créer des dessins géométriques aux formes bizarres et parfois non périodiques, c'est-à-dire sans reconduction par imitation d'un élément de figure sur l'autre.

Ouvrez le fichier :

Le nombre d'or.doc

 

Nous verrons comment certains mathématiciens se sont intéressés au dessin géométrique et ce qu'ils en ont tiré, en particulier Penrose qui a inventé ses pavages non périodiques.

 

12/02/2012

Le néo-impressionisme (exposition Henri Edmond Cross, au musée Marmottan Monet)

(Suite et fin de la première partie publiée le 4 février)

 

Quel coloriste éblouissant qu'Henri Edmond Cross ! Toute sa peinture est une ode à la couleur, une couleur toujours juste, sans faute de juxtaposition, et pourtant vive, lumineuse, enchanteuse. Une vie avec la lumière dans la tête, quelques couleurs primaires au bout des doigts, beaucoup d’habileté et de patience, et le bonheur sans fin d’un accomplissement dans l’harmonie. Sa vie fut courte, il est mort à 56 ans, mais en toute plénitude de son art. C’est un idéaliste, il aimait parler de ses idées artistiques. Il s’intéresse aux harmonies chromatiques, il joue avec les couleurs complémentaires, tout d’abord d’une manière très pointilliste et décolorée par l’usage du blanc, puis par touches, irrégulières, de couleurs pures.

Malheureusement, ses tableaux pointillistes se prêtent peu à la photographie. Admirons cependant la « plage de la Vignasse » dont il dit : « C’est vous dire que je crois avoir fait un pas vers les charmes de la pure lumière […] Un premier plan parsemé d’immortelles et d’herbe. La mer mauve avec le reflet du soleil vers les quatre heures de l’après-midi en été - ciel orangé très pâle. » Le scintillement du soleil sur HE Cross_Plage.jpgla mer se reflète dans les buissons de la plage, une vibration émouvante imprègne l’ensemble du tableau, mais fondue dans une harmonie et une sérénité indéniables. On devine au loin les îles de Porquerolles et Port Cros, mais s’évanouissant dans le mirage provoqué par l’éblouissant reflet d’un soleil qui n’apparaît pas sur la toile. Ce qui compte, ce n’est pas la ligne d’horizon qui se situe très haute, mais le jeu des lumières sur la végétation de la plage, ensorcelée par l’irisation de la surface de l’eau. Et pourtant, tout est dépouillé, serein, calme, comme un jardin japonais.

 

Cross a égalRochers de Trayas.jpgement peint à l’aquarelle, avec toujours sa verve coloriste. Il y a en particulier, dans une petite salle avant la sortie, trois aquarelles magnifiques dans lesquelles l’effet de lumière est produit par la non peinture d’espaces importants sur la feuille qui donne une impression de neige lumineuse. Regardez les « Rochers de Trayas » (1902) où là aussi la mousse des vagues sur les rochers est rendue par l’absence de peinture.

 

La plus belle aquarelle de l’exposition est sans doute celle intitulé « Bormes » (1907). Nous sommes éblouis par cette lumière qui n’existe pas par la couleur, mais justement par l’absence de couleur.

HE Cross Bormes.jpg

 


Vers la fin de sa vie, Cross évolue, il retourne à la peinture à plat, mais conserve toute sa richesse coloriste. C’est le cas pour le tableau « L’arbre penché or le rameur », peint en 1905.

HE Cross L'arbre penché or le rameur.jpg

 

Allez voir cette exposition, je n’ai fait part que de petites impressions dont l’objectif est de vous inciter à contempler longuement ces magnifiques tableaux. Il faut se laisser prendre par leur magie, lentement, presque pieusement. Alors progressivement on entre dans cette volupté de l’esprit où la raison s’efface devant l’émotion. Mais comme dans le petit prince de Saint Exupéry, il faut se laisser apprivoiser.

 

04/02/2012

Le néo-impressionisme (exposition Henri Edmond Cross, au musée Marmottan Monet)

 

 Le néo-impressionnisme est, comme son nom l’indique, issu du mouvement impressionniste qui entama la rupture avec la peinture académiste en mettant l’accent sur les impressions, le mouvement, l’image mentale que l’on se fait d’un paysage ou d’une personne plutôt que sur ce que l’œil voit. Le néo-impressionnisme va plus loin en modifiant la technique de peinture. Inspiré par les études sur la lumière de Chevreul et d’un groupe d’Américains, c’est Georges Seurat qui théorise cette technique dite pointilliste ou divisionniste qui consiste à juxtaposer des petits points de peinture en utilisant des couleurs primaires (rouge, bleu, jaune) et des couleurs complémentaires (orange, violet, vert). Vu de loin, le tableau donne une luminosité que ne peut donner le mélange des couleurs avant de les étaler sur la toile. Ce mélange est opéré par l’œil dans la juxtaposition et l’opposition des couleurs entre elles. Il s’agissait, comme l’écrit Paul Signac de " s'assurer tous les bénéfices de la luminosité, de la couleur et de l'harmonie : par le mélange optique de pigments uniquement purs (toutes les teintes du prisme et tous leurs tons) ; par la séparation des divers éléments (couleur locale, couleur d'éclairage, leurs réactions) ; par l'équilibre de ces éléments et de leurs proportions (selon les lois du contraste, de la dégradation et de l'irradiation) ; par le choix d'une touche proportionnée à la dimension du tableau ". Pour George Seurat, « l’art, c’est l’harmonie. L'harmonie c'est l'analogie des contraires, l'analogie des semblables, de ton, de teinte, de ligne, considérés par la dominante et sous l'influence d'un éclairage en combinaisons gaies, calmes ou tristes. »

 

Regardons le tableau de Théo van Rysselberghe « L’Escaut en amont d’Anvers : un soir », peint en 1892. Ce qui saute aux yeux (et ce n’est pas le cas dans cetteL'Escaut en amont d'Anvers.jpg reproduction photographique qui ne rend pas du tout la luminosité du tableau réel) c’est la lumière jaune et chaude, teintée d’orange en fond de ciel. La construction du tableau est simple : vertical au premier plan où l’eau scintille dans le reflet des piquets et horizontal en fond où l’eau frétille et dans laquelle le voilier semble flotter. Le temps s’est arrêté. L’air est calme et pur, on ne sait, au regard, si le soleil se couche ou se lève. Un apaisement merveilleux devant des couleurs pures et lumineuses.

 

 La Seine à Paris.jpg

 

Regardons également « La Seine à Paris », un tableau d’Albert Dubois-Pillet, peint en 1888. On pense plus à des ombres qu’à un véritable dessin, comme une impression fugitive d’un Paris inconnu. Les péniches ne sont qu’évoquées, comme une masse noire qui ressort au premier plan. Et plus l’on va vers l’horizon, plus les couleurs se teintent de blanc, donnant ainsi une luminosité pâle, comme une brume mystérieuse et sacrée qui ferait de ce paysage un rêve extasié. Même le noir de l’amas de péniches est gris. Seules, les fumées des cheminées des bateaux sont vraiment blanches et montent vers le ciel comme de l’encens. Là aussi, quelle sérénité, quelle paix. Le temps suspend à nouveau son vol, l’esprit s’allège de ses souvenirs et contemple, libéré de tout souci, la grandeur d’un monde idéalisé par ces points côte à côte qui produisent sur l’œil cette ouverture vers plus qu’une impression, vers un sentiment d’adhésion immédiate et instinctive.

 

Oui, c’est vrai, je ne vous ai pas parlé d’Henri Edmond Cross, car ces deux tableaux devaient être évoqués avant de nous pencher sur Cross, de son vrai nom Delacroix (On comprend qu’il ait choisi un nom d’artiste différent). Nous y reviendront.

 

 

 

26/01/2012

Musée national Gustave Moreau (1826-1898)

 

Ce musée a upeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismene particularité, il fut construit du vivant de l’artiste.

 

A la maison initiale furent ajoutés deux étages d’atelier couvrant en peinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismepièces uniques la surface de la maison.

 

Un contraste incroyable entre le premier étage, très petit bourgeois, et les deux étages supérieurs quelque peu prétentieux en raison de leur taille, mais disposant d’un magnifique escalier les reliant.

 

 

 

 

L’art de Gustave Moreau est singulier. Il fut pourtant très apprécié des milieux parisiens, même si la critique ne le ménagea pas lors de sa première expositionpeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolisme au Salon. Il commença par s’initier aux sources de l’art, l’Italie avec la peinture de la Renaissance et de l’antiquité. Ces années resteront sa référence artistique : Raphaël, Léonard de Vinci, le Titien, Botticelli. Conforté dans ses certitudes, il revient à Paris. Gustave Moreau considère que la peinture, miroir des beautés physiques, réfléchit également les grands élans de l'âme, de l'esprit, du cœur et de l'imagination et répond à ces besoins divins de l'être humain de tous les temps. C'est la langue de Dieu ! Un jour viendra où l'on comprendra l'éloquence de cet art muet ; c'est cette éloquence dont le caractère et la puissance sur l'esprit n'ont pu être défini, à laquelle j'ai donné tous mes soins, tous mes efforts : l'évocation de la pensée par la ligne, l'arabesque et les moyens plastiques, voilà mon but. peinture, dessin, gravure, abstrait, symbolisme

Pour lui, la peinture, et d’abord le dessin, sont œuvres de l’esprit avant d’être exécuté par le corps. Ces tableaux avaient pour ambition de condenser toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d'amour, d'enthousiasme, et d'élévation religieuse vers les sphères supérieures, tout y étant haut, puisant, moral, bienfaisant, tout y étant joie d'imagination de caprices et d'envolées lointaines aux pays sacrés, inconnus, mystérieux.

 

 

 

Moreau est avant tout un dessinateur hpeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismeors pair. Ce n’est pas un coloriste. Tous ses tableaux demandent de longues esquisses et le dessin final est très précis, empruntant à David ou Ingres et s’inspirant de nombreux modèles antiques, tant italiens qu’indiens ou persans. De plus il annote ses dessins pour se souvenir de ce qu’il veut faire. Pour ses dessins, il emploie le crayon, mais également le fusain et la sanguine, et même la plume et l’encre. Il réserve l’aquarelle à sa peinture intime.

 

 

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C’est à la fois un symboliste qui s’intéresse au mysticisme, un précurseur du fauvisme et même un abstrait : "N'étant plus en goût ni de me défendre, ni de rien vouloir rien prouver à qui que ce soit, j'en suis arrivé à cet état bienfaisant d'une humilité délicieuse vis-à-vis de mes vieux maîtres du passé et de cette unique joie de pouvoir m'exprimer librement et en dehors de toute juridiction".

 

 

 

 

Sa peinture cependant laisse perplexe. Elle est triste, inachevée le plus souvent, quelque peu barbouillée de marron et de noir. On a parfois l’impression d’un peintre débutant. Mais le Prométhée exposé au Salon de 1868  est magnifique d’imagination et de conception.

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21/01/2012

Maria Perello, peintre espagnole

 

La galerie Sibman (28 place des Vosges 75003 Paris), toujours elle, expose des toiles insolites : vues de bain d’enfants dans des piscines.

 

peinture, dessin, art pictural

 

Quel sujet, me direz-vous ? Oui l’image est banale (une piscine depeinture, dessin, art pictural ville !), mais c’est magnifique. Il ne s’agit pas seulement de réalisme, mais de lumière de l’eau. Elle bouge, elle tremble la surface de l’eau. Elle donne à voir son âme en toute transparence. On a envie de tendre la main et de goûter sa fraicheur.

 

Pas une faute de goût dans ce regard sur le bain d’un enfant ou d’une toute jeune fille. Ce ne sont pas les baignades bruyantes habituelles aux adolescents, peinture, dessin, art picturalquand l’émulation naturelle de garçons et filles mélangés contraint le spectateur à fuir la résonance des cris. La baignade est individuelle, personnelle pourrait-on dire, comme hésitante, presque philosophique. Seules les têtes sortent de l’eau. Les corps, dans le tremblement léger de la surface, sont discernables, mais malgré tout sans forme vive, comme alanguis, en apesanteur. Les gestes sont ralentis par l’inertie aquatique, prenant des allures fantomatiques, mais toujours émouvants de fraicheur et d’impulsion.

 

 

peinture, dessin, art pictural

 

 

Quelle leçon de peinture. D’un sujet très bateau (sans jeu de mots), l’artiste donne un rendu grandiose de bleu et de mouvement, la couleur et le trait se marient intimement, probablement parce qu’il n’y a pas de visibilité du dessin.

 

 

18/01/2012

Albert Vidal, peintre

 peinture, ville

Regardez, ouvrez le fichier, puis vos yeux et admirez :

A Vidal-catalogue.pdf

 

Il peint, principalement des villes, vue de haut, d’avion ou des immeubles les plus hauts. Et la ville devient lointaine, se noie dans l’horizon, s’ébroue sous un ciel bas, parfois sans perspective du tout. Ce qui l’intéresse ce sont ces immeubles, bâtiments, maisons, édifices, monuments qui voilent des alignements de rues, de boulevards qui se croisent, s’entrecroisent, tantôt en longues lignes droites, tantôt en ruelles biscornues au dessin inconnaissable. Cela pourrait être triste, délavé, mortellement ennuyeux. Et pourtant, ces villes sont optimistes, elles respirent la gaîté, le bon vivre, la joie d’être ensemble. Comme elles sont bien toutes ces constructions qui se serrent les unes contre les autres, protégeant ainsi leur intimité. Elles ne laissent apercevoir que leurs toits, petits carrés de goudrons, de tuiles ou de ciments. On sent pourtant le grouillement dans les rues, l’agitation dans les bâtisses, une vie quasi souterraine, tranchant avec la sérénité des quartiers dans leur totalité.

  

 peinture, ville

 

Ce n’est pas de la peinture à thème, il n’y a pas non plus de quoi former un nouveau mouvement d’art pictural, mais il y a un charme discret, étincelant qui frappe l’œil et enchante l’âme, une rigueur joyeuse qui aide à comprendre la ville dans ces aspects esthétiques.

 

 

 

 

Albert Vidal expose à la galerie Sibman, une excellente galerie par le choix de ses artistes, tous différents, mais possédant la distinction de la véritable peinture, du retournement de l’âme pour faire frémir de joie celui qui y entre.

Regardez son site internet, vous y verrez de magnifiques compositions :

www.sibmangallery.com

 

Et si c’est possible, allez-y, car qu'y a-t-il de plus fabuleux que de toucher, par la vue et presque l’odeur, des tableaux où l’on admire le trait, la pâte, l’englobement des couleurs dans un coup de couteau, l’étalement diaphane d’un pinceau manié par une main sûre.

 

 

 

13/01/2012

Exposition Polyphonies des œuvres de Paul Klee à la Cité de la musique

 

Attente, comme une phase impérative avant d’entrer dans le sanctuaire. La route est longue, ou plutôt, l’attente est longue alors que le trajet de la queue ne s’étend que sur quelques dizaines de mètres. C’est sans doute un prélude de réflexion à ce que nous allons voir : le mariage de la peinture qui utilise l’espace et de la musique qui se sert du temps. L’exposition n’est pas consacrée à l’ensemble de l’œuvre de Klee, mais à tout ce qui chez Klee touche à la musique. Il était musicien, violoniste d’orchestre et même critique musical. Il connaît très bien la musique de chambre, il est passionné par l’opéra, et joue les grands compositeurs classiques : Bach, Mozart, Beethoven, mais aussi Schumann, Wagner, Debussy, Dvorak, etc. Cependant, il choisit l’art pictural, le dessin et la peinture.monumentklee red.png

L’exposition distingue 6 périodes, en fait 5 si l’on retire sa jeunesse indécise de la voie à suivre. J’avoue ne pas aimer follement la peinture et les dessins de Klee. Ceux-ci sont enfantins, d’un tracé incertain, comme hésitants. Sa recherche de simplification des formes manque de rigueur. Quant à la peinture, on a souvent l’impression qu’elle consiste à mettre de la couleur sur le dessin. Malgré l’utilisation de couleurs gaies comme le rouge, le jaune, ces tableaux s’accompagnent souvent de brun, de bleu ou encore d’autres couleurs vives, mais un peu délavées. Certains tableaux sont cependant lumineux et joyeux tel « Monument in the Fertile country » de 1929, ci-contre.

Ce qui est par contre très intéressant chez cet artiste est le parallèle qu’il s’efforce d’établir entre deux arts qui semblent assez opposés : la peinture et la musique. Klee est un chercheur. Il cherche des assemblages de formes et de couleurs qui permettent d’établir des similitudes difficiles entre le son et la couleur. Il invente des modèles de compréhension rapprochant les deux arts. C’est ainsi qu’il s’attaque à un projet de construction polyphonique de la couleur, puis il se penche sur l’abstraction dans un processus partant de la nature, pour la transformer en champ de signes, comme une partition. Il conçoit le projet d’un monument à la mémoire de Bach à partir des quatre premières mesures de la fugue en sib mineur du Clavecin bien tempéré, les formes du monument étant réglées sur la hauteur des notes indiquées sur la partition.

A partir de 1930 il entreprend d’autres recherches de langage polyphonique sur le rythme, la mesure, les modes musicaux. Mais c’est une construction qui reste très libre d’inspiration. Il s’agit pour lui, de « transposer dans la peinture les notions propres au langage musical : la polyphonie par le travail de la transparence, notamment à l’aquarelle, l’harmonie par les effets conjugués de couleurs mates posées en grilles souples et aérées, le rythme par la scansion régulière de la surface picturale. » Un bon exemple de ces recherches est le tableau fait à l’huile et intitulé « en rythme », peint en 1930.

Paul_KLEE_En_rythme_1930.jpg


Sur un fond brun, assez habituel chez lui, il a établi une grille (très approximative, pour laisser la liberté) et peint au couteau une alternance de quadrilatères noirs, blancs et gris. Seul le noir est vraiment noir. Le blanc et le gris laissent encore entrevoir le fond marron sur certaines parties. Enfin, il a alterné l’étalement de la peinture en horizontal et en vertical. L’objet du tableau est de mettre en évidence l’importance du rythme grâce à une représentation picturale tant par le choix de la forme que par celui de la couleur. Par ce tableau, Paul Klee rejoint complètement la peinture abstraite, voire cinétique grâce au rythme imprimé par la succession de noir, blanc, gris, que l’on imagine défilant comme une bande de cinéma.

 
Dans l’ensemble de son œuvre, Klee devance les surréalistes par son abandon à l’irrationnel, sa liberté rêveuse, ses visions. Enfin, ne l’oublions pas, il aime la facétie, le portrait comique, la représentation simplifiée, voire la caricature d’une idée, d’un concept. Il n’y a pas un personnage Paul Klee, mais une multitude de personnages qui se côtoient sans difficulté tous les jours pour le plus grand bonheur de ceux qui l’écoutaient jouer du violon ou qui regardent ses tableaux.

 

08/01/2012

La couleur

 

Noir et blanc. Un vrai kaléidoscope. Des cubes entassés, les uns sur les autres, dans tous les sens, dessinant des sculptures géométriques impossibles, laissant des passages entre eux qui semblent s’enfoncer loin, très loin. J’avançai, me glissant entre deux arêtes pour pénétrer dans une anfractuosité. Elle s’agrandit, devenant plus lumineuse, et j’entrai dans un jeu de couleurs magnifiques, organisées en formes fluctuantes, mobiles et profondes. Une forêt aux arbres rouges, aux chemins bleutés, au ciel vert diaphane. Une lueur venait d’un soleil blanc entouré d’un halo qui recouvrait le paysage d’une sorte de voile mystérieux. J’avançai prudemment dans cette forêt magique qui, chaque fois que je heurtai une branche, émettait un son de flute, comme un air inconnu, mais d’une beauté étourdissante. Alors, je pris une branche et la secouai. Ce fut une véritable symphonie, calme, tendre, reposante. J’eus envie de m’arrêter là et de m’endormir au pied de l’arbre. Mais une voix me commanda de poursuivre. Je repartis et je vis apparaître un homme, jeune, beau, souriant, qui me regarda et me parla sans ouvrir la bouche. Je l’entendais dans ma tête, comme s’il me parlait en moi, intimement. Il me dit :

– Le noir est le néant. Et pourtant, il façonne la matière sur une toile et sépare les couleurs. Il n’existe que parce qu’il s’oppose au blanc. Mais si la page est vide, le blanc est néant. C’est le noir qui lui donne une forme et remplit sa clarté, le fait lumineux, le rend divin. Il n’y a pas de blanc s’il n’y a pas une autre couleur à côté. Le noir complète, met en valeur le blanc, lui donne son élégance, sa pureté, sa virginité.

D’un mouvement du bras, il fit disparaître la forêt et je dus fermer les yeux, car il n’y avait plus rien, qu’un aveuglement sans fin. Au moins le noir s’oppose aux autres couleurs, mais le blanc, c’est l’absence de couleur, c’est un trou dans la trame du monde, une porte vers l’inconnu.

– Oui, le monde est coloré et la couleur est son vêtement. Elle lui donne une apparence remarquable de nuances et en fait une symphonie merveilleuse. Mais l’art du peintre va au-delà. Il est d’aider celui qui contemple ses tableaux à découvrir le monde, à y voir l’empreinte du divin. Tu regardes un tableau et tu y aspires à un merveilleux repos, fait de mouvements synchronisés et parfaits. Car la couleur, c’est un mouvement dans l’espace qui s’imprime dans l’œil et réjouit le corps.

Et pour contredire ce qu’il venait de proférer, l’homme d’un autre mouvement du bras, plongea l’espace dans un noir absolu. Même sentiment que le blanc. Les deux extrêmes s’assemblent et, entre eux, la ronde des couleurs, l’arc en ciel divin.

 

 

13/12/2011

Grand nu, de Georges Braque (1907-1908)

 

Grand nu1.jpg

Au Centre Pompidou

 

Si l’on regarde ce tableau sans en connaître l’histoire, on peut s’étonner d’une femme musclée comme un lanceur de disque et enveloppée de papier kraft. On pourrait croire à une petite sculpture orientale que l’on emballe pour l’offrir à un être cher. Certes, elle n’est pas très représentative de la beauté parisienne, même s’il s’agit de beautés de Pigalle. Et pourtant, si l’on poursuit son observation, on finit par s’attendrir devant cette femme nue qui apparaît si peu féminine.

Elle semble enroulée sur elle-même, comme une vrille de tire-bouchon et sa partie haute est somme toute pleine de charme, alanguie sur son oreiller. Elle fait penser à ces estampes japonaises, esquissées, dont l’objet est l’impression plutôt que la représentation. Elle croise ses deux mains derrière sa tête avec sensualité. Elle minaude devant l’homme qui la regarde, s’offrant, mais indifférente. Elle n’a pas de regard, donc pas de personnalité, mais malgré tout, elle séduit dans sa pause charmante, comme une fleur offerte.

 

Grand nu haut.jpg

 

Par quel hasard ou quelle idée saugrenue, Georges Braque a-t-il alors peint ce buste surmoulé qui n’a rien d’une nymphe ? A-t-on déjà vu demoiselle aux formes masculines comme un cheval de trait par rapport à ce que l’on peut imaginer d’un pur-sang ? Cependant, le buste lui-même reste féminin et presque voluptueux. Arrondi, il est chaud de par sa couleur et son aisselle accueille le regard. Et si vous l’examinez bien, vous constatez une deuxième torsion à hauteur de la naissance des jambes, si bien que ce corps se présente de manière pudique à la convoitise des passants. Mais elle ne le sait pas. Elle rêve sur son emballage, les yeux ouverts, mais vides, attendant le mouvement de la vie.

Ce n’est pas encore du cubisme, d’autant que le mot ne fut inventé que plus tard par Matisse à la vue d’un tableau de Braque. Mais ce n’est plus ni l’impressionnisme, ni le fauvisme des premières années du peintre. Il a rencontré Picasso, ils deviennent amis et ils initient le nouveau courant décrit par Cézanne en 1904 : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central. » Ils n’en sont pas encore à l’abstraction pure, tout au moins dans ce tableau comme dans celui des « Demoiselles d’Avignon » de Picasso. La couleur importe, car elle donne le relief, l’impression et la légèreté. Imaginez le même tableau sans ces éclaircies apportant une touche de soleil, chaud et stimulant. C’est une caresse d’air frais qui passe et emplit vos yeux de paillettes d’or.

 

A force de décrire cette femme, je me mets à l’aimer. Je sens le parfum de son fond de teint, lourd, capiteux, mais fait de fleurs naturelles, comme le jasmin. Je l’entends se retourner sur sa couche et minauder d’une voix douce, mais ferme. Elle s’offre sans s’offrir et se cache derrière ses circonvolutions.

Il y a du génie dans ce tableau qui, pourtant, au premier abord, semble sans réel intérêt, hormis celui historique de l’évolution du style.

 

 

22/11/2011

Soir antique, d’Alphonse Osbert, 1908, huile sur toile

 

Comme au travers d’une fenêtre, assis tranquillement dans son salon, le visiteur contemple le coucher de soleil sur l’océan, tel le capitaine Nemo ayant fait surface avec son Nautilus. Et le spectacle en vaut la peine. Quatre naïades alanguies contemplant un coucher de soleil, sans un mot, extasiées par la luminosité étrange d’un couchant d’or sur une eau calme. C’est une sorte de trêve, quasiment enlacées deux à deux, les jeunes femmes sont sans visage ou presque, et regardent, épanchées, un ciel limpide qui se reflète dans les eaux tout juste ridées par une brise très légère.

 

11-11-21 Soir antique tout.jpg

 

La beauté du tableau, qui se trouve au musée du Petit Palais à Paris et qui est emprunt malgré tout de romantisme exacerbé, tient à la luminosité des couleurs du ciel, de la mer et des robes dont les plis reprennent le cheminement des vaguelettes, principalement pour celle qui se tient accoudée aux genoux de la femme assise. Et cette robe bleu pâle, presque blanche, constitue un prolongement visuel des derniers tremblements des vagues, comme si elle allait se fondre dans l’eau lorsqu’elle s’endormirait. C’est pourquoi elle se tient éveillée auprès de l’autre, peut-être échangeant parfois quelques phrases inutiles, mais qui permettent de ne pas se laisser aller à une somnolence coupable.

 

 Les deux autres femmes, élancées, regardent, indolentes, le disque d’or disparaître à l’horizon, vêtues également de robes antiques, mais dont la couleur se fait sombre parce que plus éloignée des derniers rayons.

11-11-21 Soir antique vue red.jpg

Certes, le sujet peut sembler désuet et peu réaliste, mais c’est le propre du symbolisme. Souvenez-vous du tableau de Maurice Denis, Jeu de volant, peint en 1900 (voir 21 mai 2011 dans Impressions picturales) : un tableau « beau, d’une beauté artificielle certes, mais ensorceleuse, apportant une atmosphère propre, mystérieuse, non dénouée d’émotion, mais malgré tout intemporelle, comme figée dans sa beauté formelle ». Tel est également le cas de ce « Soir antique ».

 

Le symbolisme a été un mouvement littéraire, lancé par le poète russe Valéry Brioussov. Pour ce mouvement, qui s’est ensuite étendu à de nombreux arts, le monde reste un mystère et la beauté artistique tient à la capacité de décrire le monde réel en utilisant des représentations métaphoriques. La nature se perçoit par les sens qui procure des impressions qui, seules, font apparaître son identité spirituelle. C’est pourquoi la peinture, avec Gustave Moreau, Kupka, Lucien Lévy-Dhumer (voir le 26 mai), le groupe des Nabis, et la musique avec Debussy, Erik Satie (voir Gnossienne n°3, le 25 mai), évoquent une nature traitée par l’esthétisme, voire emprunt d’un mysticisme réel.

Oui, même si ce tableau apparaît démodé, trop distant, il possède une beauté de l’âme que lui donne le traitement de la lumière qui éclaire non seulement la vision, mais également l’intérieur de l’être, suggérant un autre monde derrière la sécheresse de la réalité, même offerte sous ses meilleures couleurs comme c’est le cas ici.

 

 

18/10/2011

Le paradis d’Amitabha, peinture sur soie, 1795

 

Le musée national des arts asiatiques, dit musée Guimet, recèle de nombreux trésors, dont une immense peinture sur soie à fond rouge.

 

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Elle représente trois personnages principaux assis en tailleur. Six autres personnages les entourent. Ils sont laids, mais priant. On n’en voit que la tête et le haut du corps. Les trois principaux semblent en contemplation ou plutôt en méditation. Ce qui retient l’attention, après quelques temps, est le rapprochement à faire avec la vision chrétienne du paradis.

On voit ici trois personnages, comme le Père, le Fils et le Saint Esprit dans la vision chrétienne. Ils devisent entre eux, lentement, ayant l’éternité devant eux. Tous les personnages sont auréolés à la manière chrétienne. Les six apôtres, pourrait-on dire tellement ils leur ressemblent, écoutent, regardent, sans rien dire, ni faire. C’est bien le paradis, où le temps n’existe pas, ou si peu. Tous ont le temps et jouissent de ce temps.

On admirera également le dessin des robes, comme des fleurs de lotus sur lesquelles reposent les trois personnages : évanescence doucereuse d’une lévitation mystique.

 

 

"L'individu est un pouvoir d'être de l'éternel, un pouvoir conscient et éternellement capable de relations avec Lui, mais Un aussi avec Lui au centre de la réalité de son existence éternelle. Cette vérité, l'intelligence peut la saisir (...) mais c'est seulement en l'esprit que cette vérité peut être entièrement réalisée, vécue  et devenir un fait. Quand nous vivons en esprit, non seulement nous connaissons, mais nous sommes cette vérité de notre être."

                            Sri Aurobindo

 

 

 

07/10/2011

59 Rivoli

 

Le 59 rue de Rivoli, à Paris, est un atelier et non une galerie d’exposition. Et copeinture,dessin,expositionsmme tout atelier, c’est un bric à brac qui dépend de la personnalité de chaque artiste. On y entre comme dans tout immeuble, par la porte, puis un escalier en vis jusqu’au dernier étage. Mais cet escalier est déjà un fourbi de dessins et peintures avec un fil directeur, sorte de dragon qui monte jusqu’en haut avec sa queue d’écailles.
Une trentaine d’artistes en ont fait leur atelier que chacun des passants peu visiter s’il lui vient à l’idée d’entrer dans le foutoir. Et bien lui en fera, car il y verra la création à l’état pur, différente selon les étages, selon l’inspiration de chaque occupant. Ils sont environ cinq ou six par étage, organisant leur espace comme ils l’entendent, des plus soignés au plus désordonnés. Qu’y voit-on ? Beaucoup d’esquisses, de réflexions, de découpages, de toiles inachevées, ce que l’on rencontre dans tout atelier.

Là, la machine à créer est en route, prolixe, sans gène, sans vergogne, sans mystère des échecs de la création, des incertitudes de formes et de couleurs. Elle fait côtoyer le gesso (apprêt des toiles) et le camembert, le chiffon pour essuyer les pinceaux et le mouchoir, la bouteille de jus de fruit et les pots de peinture. Un certain nombre se sont fabriqués une réserve peinture,dessin,expositionspersonnelle, sorte de cabane dans la pièce, faite de toutes sortes de matériaux, planches, étagères, échelles, etc. C’est leur lieu secret qu’il ne convient pas de fouiller du regard. De toute façon, vous avez déjà suffisamment à faire dans le reste de la pièce où chaque recoin regorge de trouvailles, de traits, de dessins, de peintures, qui débordent jusque dans l’escalier qui appartient à tous.

Les artistes et leurs œuvres, que sont-ils ?
On trouve de tout : collages d’Anita Savary, dont l’imagination enflamme les mondes sous-marins ; dessins-peintures portraits-paysages de la japonaise Etusko Kobayashi ; les aphorismes enfantins de Fabesko ; les personnages colorés et poignants de Francesco ; le bazar d’objets d’Igor Balut ; le microscope textile de Pascal Foucart ; les très beaux corps dessinés classiquement de Sandra Krasker ; les abstractions sobres de Simone Zucchi ; l’abstrait jazzique et coloré de Thierry Hodebar ; les distorsions et l'ambiance musicale de Linda McCluskey ; et bien d’autres que je ne peux tous citer sous peine de faire encyclopédie.

Je ferai cependant une exception pour Henri Lamy et ses portraits travaillés de manière intime alors qu’ils paraissent au premier abord peint à grands traits. Ils sont particulièrement vivants malgré le tachisme employé, et dévoilent la personne dans son intimité psychologique, bien que pas une fois on ne peut disposer de la totalité d’un visage. Quelle belle toiles alors qu’on pense vite à des juxtapositions de couleurs et de trait colorés qui ne montre que la personne décomposée !

Comme on ne peut prendre des photos, vous pouvez regarder les œuvres de ces artistes sur le site :

http://www.59rivoli.org/

et sur leurs sites personnels, pour ceux qui en ont créés, accessibles directement à partir du site ci-dessus.

 

 

06/10/2011

La fièvre du peintre

 

Retour à la fièvre du peintre, un éveil assuré, une vigilance accrue, un désordre dans la vie quotidienne, un tremblement des doigts au contact des pinceaux rassemblés, des images encombrant l’esprit jusqu’à vous empêcher de dormir la nuit. Vous vous levez à trois heures, allez vous faire une tasse de café, baillez un peu, malgré tout, puis prenez la toile que vous venez d’acheter, la contemplez, et… souriez de vous voir à l’œuvre, une fois de plus.

Mais auparavant, longues réflexions sur sa préparation. Il faut y dessiner les traits des formes et des couleurs, placer au bon endroit ces lignes qui feront un tableau d’un morceau de toile tendue. Alors, selon l’esquisse, vous calculez de façon à remplir l’ensemble de toute la largeur et la hauteur de votre ambition. Complexe est le dessin. Comment tracer l’image que l’esprit garde en mémoire, sans déformer par erreur de quelques millimètres la logique géométrique d’un assemblage élaboré ? Vous redoublez d’attention, prenant garde à ne pas salir la toile de quelques gouttes de transpiration ou de graphite dont vos doigts sont imprégnés.

Dans un jour, ou deux, j’aurai dessiné entièrement les motifs du tableau. Alors le délice de la peinture libérera la pensée. Il n'y aura plus que le plaisir de sentir le pinceau effleurer la toile et lui donner le velouté coloré dont vous avez rêvé.  Mais nous n’en sommes pas là. Prenons le plaisir dans le fil du temps, avec patience et jouissance !

 

La création artistique est comme un accouchement. Il y a une longue gestation, tranquille, progressive, enchanteresse dans l’imagination, parfois lassante parce que l’esprit est en permanence en supputation. Et puis vous vous mettez au travail,physiquement, fébrilement, le souffle court, dans la crainte de ne pouvoir réussir, haletant de hardiesse et de peur. C’est long, cela devient long, tellement long que vous posez les pinceaux, prenez du recul et contemplez la toile avec inquiétude. Mais vous reprenez jusqu’à ce que, dans un élan final, vous décidiez de mettre un terme à votre élaboration. Alors votre cœur s’envole, soulève votre corps et vous rend transparent et léger. Vous êtes le roi du monde pendant cinq minutes. Jusqu’à ce que l’introspection de votre rationalité vous conduise à vous interroger sur telle couleur, tel trait, telle forme, bref un détail qui ne vous conviendrait pas.

Ne vous laissez pas faire. Détourner les yeux et gardez en mémoire chaque instant de la construction. Réjouissez-vous, car vous avez franchi l’épreuve et vous êtes empli le cœur de bonheur !

 

 

01/10/2011

L’Aesthetic Movement, exposition au Musée d’Orsay

 

L’Aesthetic Movement ou mouvement esthétique a précédé, en Angleterre dans les années 1860, l’art nouveau français du début du XIXème siècle. Ces précurseurs ne se voulaient ni école, ni théorie, mais formaient un groupe diversifié qui cherchaient à réagir contre le formalisme de l’ère victorienne accompagné du matérialisme industriel.

Il n’y a pas en effet d’unité de style dans ce mouvement. Les influences viennent d’un peu partout géographiquement et historiquement. On trouve ainsi des peintres inspirés par la sensibilité italiennes comme Rossetti, d’autres plus attirés par la Grèce antique  comme Frederick Leighton, d’autres encore cherchant des réminiscences dans l’art égyptiens. Enfin, un certain nombre prospectent auprès de la Chine et du Japon des formes et des motifs inusités en Europe.

Mais tous sont en recherche de beauté, tous veulent pratiquer l’art pour l’art, sans chercher à influencer un public par des considérations autres que l’esthétisme. Ils réfutent les intentions des pré-raphaéliques qui, en tant que prédécesseurs, cherchaient à élever les sentiments et favoriser de meilleures pensées. La beauté conçue par les adeptes du mouvement est une beauté mystérieuse, féminine d’abord, mais la femme y est représentée de manière légendaire et hiératique ; c’est également une beauté d’ordre décoratif, comme les meubles stylisés et les papiers peints aux couleurs chatoyantes ; c’est aussi une beauté fragile et affectée à l’image des porcelaines blanches aux dessins bleus très chinoises ; enfin c’est une beauté accaparante et obsédante puisqu’elle concerne l’ensemble du cadre de vie de ces anglais fortunés qui collectionnent tous ces objets jusqu’à transformer leurs maisons en musée.

Toutes les œuvres exposées ne sont pas des chefs d’œuvre. De nombreux tableaux et autres objets semblent même plus d’ordre mondain ou à visée esthétique. J’ai retenu deux tableaux qui sont très différents, mais procurent une émotion assez semblable. La « mère et l’enfant » de Frédéric Leighton et le « Champ de foin » de Thomas Armstrong. Malheureusement le premier est mal placé et il est difficile de le contempler assez longuement, car il se trouve dans un couloir où passent les visiteurs qui s’arrêtent le nez dessus sans comprendre l’importance d’un certain recul pour extraire une impression d’ensemble de l'oeuvre.

Champ de foin.jpg

Pour le « champ de foin », il n’y a en fait qu’un petit coin de champ et, de plus, un mur qui barre l’horizon, ne donnant aucune perspective. C’est en fait un quasi couché de soleil, dont on aperçoit le disque, sur un décor de ferme. Le tableau représente trois femmes, dont les visages ne cherchent pas à exprimer une beauté transcendante. Celle de gauche tient un enfant dans ses bras et les deux femmes de droite la regardent. Ces trois femmes semblent arrêtées, figées dans leur attitude. Elles sont graciles par leur taille étirée, leurs atours sont en désaccord avec l’environnement, elles sont comme des beautés fragiles, intouchables, étrangères à ce qui les entoure, malgré les outils que portent celles qui se trouvent à droite.

 


 

13/08/2011

Josef Sima, peintre français d’origine tchèque (1891-1971)

 

« À partir de 1909, Sima est inscrit à l'École des arts et métiers et à l'École des beaux-arts de Prague. Il découvre alors la peinture impressionniste, la peinture fauve, la peinture cubiste et surtout Cézanne, qui aura sur toute son œuvre une influence durable. En 1920, il gagne la France, il se fixe à Paris et obtient la nationalité française en 1926.

Sa peinture, qui était à mi-chemin d'un fauvisme rude et d'un cubisme déjà teinté de surréalisme, connaît une courte période constructiviste après la rencontre de l'artiste avec Mondrian, Van Doesburg et les membres du groupe " l'Esprit nouveau " (1923-1925). Mais c'est à partir de 1926 que Sima commence à exprimer sa personnalité profonde, à chercher en lui-même et dans les souvenirs de ses visions privilégiées (la foudre, la forêt, la lumière prismatique, la clarté d'un corps féminin) les principaux éléments de son œuvre, qu'il reprendra tout au long de sa vie dans une incessante transmutation. Sima cesse pratiquement de peindre de 1939 à 1949. C'est en 1950 qu'il renoue à la fois avec la peinture et avec la nature, reprenant des thèmes anciens — plaines, rochers, forêts — mais comme épurés par une longue méditation. Au cours des années suivantes, il réalise une série de peintures présentant dans des espaces abstraits des formes géométriques primaires : triangles, polyèdres, cercles. Une rétrospective, organisée par  la Ville de Paris a été consacrée à l'artiste en 1992. » (Encyclopédie Larousse, from http://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/Sima/154420)

 

 

Corps de la nuit (1960)

Mariage du vert et du bleu clair et foncé. La transparence du bleu clair est obtenue avec un blanc mêlé de rose par endroits. De même dans la profondeur du bleu foncé (bleu de Prusse) est mêlé un rouge foncé donnant certaines teintes violacées qui se rapprochent du bleu clair comme une résonnance discrète, un écho lointain.

 

Extase ancienne (1957)

Mariage du vert et de l’ocre foncé. Sima procède en dégradation par plans successifs du vert foncé au vert blanc très clair, en passant par un vert bleuté clair. Ici aussi quelques plans sans profondeur, à arêtes multiples évoquent une forme allongée, vestige de la matière enfouie dans un désert de couleurs. Ces formes vert-noires semblent culottées par la dépose de la couleur environnante.

 

 Je n’ai pu trouver sur la toile les photos de ces deux magnifiques tableaux. De façon à cependant vous donner une idée de sa peinture voici une affiche reprenant une de ces toiles.

 

peinture, art abstrait

From: Blog Au dédale de la couleur : http://chantepeint.midiblogs.com/archive/2011/04/07/josef...

 

Ce qui importe pour ce peintre, c’est la perception de la transparence des choses. Pour lui, l’étalement de couleurs pleines, dans un style figuratif ou non, traduit les difficultés de l’artiste à s’échapper du monde matériel qui l’entoure et l’écrase. Englué, il noie ses impressions dans la masse sans en sortir. L’apparence est opaque et forme un voile de matière dont il faut se dégager. Au-delà, se cache la réalité supérieure englobant la matière et l’esprit. La matière est alors plus libre, plus mouvante, gérée par de nouvelles lois  physiques et devient énergie intérieure. Elle pourra alors élevée l’homme au-delà de son apparence. Le rôle de l’artiste est de dévoiler cette énergie interne et de la diffuser tout comme le scientifique crée l’énergie à partir de l’atome.

 Josef Sima recherche l’énergie par la forme (cubisme), la couleur (fauvisme), la forme et la couleur (abstrait pur partant de la réalité ou non.

Accéder à la réalité, c’est dévoiler l’apparence de la matière, découvrir la transparence de l’objet quotidien, de l’évènement de tous les jours. Cette réalité de la matière est voilée par l’opacité que lui donne notre regard habitué à la masse des objets. Notre pouvoir de préhension éduque le regard et par là même notre esprit. L’œil ne sait plus percer comme le doigt dans un liquide la surface de l’objet. Il faut repartir de l’idée que l’objet n’est solide qu’au toucher. Alors la forme perd de son opacité, s’affaisse, se dénude et dans la transparence découvre son essence. La forme se traduit alors pour le peintre par l’idée de la forme et non par son apparence visuelle.

 

 

 

07/06/2011

Portrait de la comtesse Skavronskaia, d’Elisabeth Vigée Lebrun

Suite de la visite au musée Jacquemart-André du 27 mai (comme promis) :

Ctesse Skavronskaia EVLB fond bleu 6.jpg

 

Il existe plusieurs portraits de cette charmante comtesse. Celui du musée Jacquemart-André est sur fond bleu, bleu de sa robe, des coussins et du fauteuil sur lequel elle est assise, des murs qui l’environnent et même de son voile qu’elle porte sur la tête. L’autre, ici plus petit, est au Louvre.

 

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Elle a des yeux espiègles, une petite fossette sur la joue droite. Son visage est sans égal, heureux et mélancolique, rêveur comme au souvenir d’une fête qui ne sera plus. C’est en fait une très jeune femme dont l’attitude détendue laisse deviner la vivacité. Elle devait faire rêver longuement ses visiteurs.

 

Une fois de plus, Elisabeth Vigée Lebrun surprend par le naturel et la fraicheur d’une peinture distinguée, mettant en valeur indiciblement le personnage qu’elle représente. Elle a vécue pour la peinture et la peinture lui a donné une renommée bien méritée. Pourtant peu de femmes osaient peindre à cette époque  (1755-1842) et, encore moins, en faire un métier.

 

 

 

27/05/2011

Musée Jacquemart-André

 

Cet hôtel particulier fut édifié à la fin du XIXe siècle dans le nouveau Paris d’Haussmann par Edouard André et son épouse Nélie Jacquemart, couple de grands collectionneurs.

 

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C’est un vrai musée. Tout y est grandiose, arrangé en décor, les chaises alignées le long des murs, les tableaux suspendus symétriquement, les bustes mis en valeur sur leurs colonnes de marbre, dorures sur les boiseries à profusion en imitation des salons Napoléon III du Louvre, voire du château de Versailles pour les grands salons. Des portraits d’hommes altiers, sûrs d’eux-mêmes, satisfaits de se retrouver suspendus en d’aussi augustes lieux, quelques femmes, rondelettes et joliment nues ou plus mûres et sévèrement habillées. Un seul portrait dénote sur les autres, celui de la comtesse Skavronskaia, d’Elisabeth Vigier Le Brun, dont nous parlerons prochainement.

Le décor est imposant, voire solennel, mais ce n’est qu’un décor dans lequel on imagine femmes et hommes figés dans une semi-immobilité, raidis par des vêtements ajustés, se souriant sans rire franchement, buvant des rafraichissements en écoutant d’une oreille distraite une musique qui n’est qu’un fond sonore. Tout est à sa place et tellement bien à sa place qu’on a du mal à imaginer autre chose que ces alignements de portraits, de bustes, de chaises, de commodes, de tapisseries.

Quel étouffoir ! Paris du début du XXème siècle, un Paris qui ne sait pas ce qui l’attend et qui vit au rythme des fêtes. Notons que l’on retrouve dans ce musée le même style de public que le musée lui-même : retraités aux cheveux rares ou en bouclettes-mamies, groupe de cheftaines en mal d’explications et qui parlent bien sûr des dernières expositions qu’elles ont vu sans s’intéresser à celle qu’elles visitent. Très peu de jeunes, pas de rire, l’oreille collée à l’audioguide écoutant sagement les commentaires savants du « cicérone sonore individuel ». Seules quelques mères juvéniles, leur enfant sur le ventre, errent dans les salons en attendant l’heure du biberon.

 

 

26/05/2011

Portrait de Mademoiselle Carlier, par Lucien Lévy-Dhurmer (suite de la visite aux impressionnistes du musée d’Orsay)

 

Un autre très beau tableau, le « portrait de Mademoiselle Carlier », dite la Dame au turban, peint en 1910 par Lucien Lévy-Dhurmer.

 

Lucien Levy-Dhurmer, Portrait de Mlle Carlier de Levy-Dhurmer1.jpg

 

Lucien Lévy-Dhurmer est un excellent portraitiste qui s’inspire d’un certain idéalisme qu’il aime teinter de mystère. Ce portrait, pastel sur papier collé, est particulièrement beau, avec un art du visage et du regard extraordinaire qui seuls ressortent du dessin parmi les flous voulus de la robe blanche et des coussins bleus.

Cette Mademoiselle Carlier ferait encore rêver beaucoup d’hommes ainsi étendue sur ces coussins comme sur une mer au petit matin. Dommage cependant que la main gauche de cette demoiselle qui tient un livre, soit aussi grossière et comme ne lui appartenant pas.

Lucien Lévy-Dhurmer fut fortement influencé au début par les préraphaélites et les symbolistes.

 

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Voyageant beaucoup, il parcourt l’Orient, c’est-à-dire le Maghreb, la Turquie, la Syrie, la Perse, le Maroc.  Il en ramène des paysages et des portraits pittoresques.

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Il s'inspirera plus tard, principalement pour la composition de pastels, d'œuvres musicales de Beethoven, Debussy ou Fauré, tel l’« Évocation de Beethoven », exposée au Salon de 1908. Ainsi la « sonate au clair de lune », nu féminin vaporeux enrobé d’un bleu qui prête à la rêverie.

 

Lucien Levy-Dhurmer-Sonate Au Clair De Lune.png

Dès 1920, il s’intéresse de plus aux œuvres littéraires, et plus particulièrement, aux Fables de La Fontaine.

 

 

 

21/05/2011

Jeu de volant, de Maurice Denis, 1900 (impressionistes, au muée d'Orsay)

Jeu de volant M Denis.jpg

Atmosphère, atmosphère… Une forêt d’arbres mauves, comme des tuyaux enchevêtrés, une mare miroir dans laquelle se baignent deux enfants, et des personnages hors du temps, comme figés dans leur mouvement, les yeux clos. L’une se coiffe, à genoux, nue, à la sortie du bain. Deux adolescentes fabriquent une couronne de fleurs. Deux jeunes femmes jouent au volant. Toutes, car il n’y a que des femmes, ont l’air endormies, anesthésiées par le décor irréel d’une forêt figée au sol gazonneux.

La reproduction que je produis n’a rien à voir avec le tableau, mais je n’ai trouvé que cette photographie. En premier lieu, celle-ci est inversée, les joueuses de volants étant à droite sur l’original. En second lieu, les contrastes sont plus violents que dans le tableau où tout n’est que « sweat context ». On dirait un extrait d’un mauvais dessin animé à l’américaine, nettement moins bon que Wald Disney.

Non, l’original est beau, d’une beauté artificielle certes, mais ensorceleuse, apportant une atmosphère propre, mystérieuse, non dénouée d’émotion, mais malgré tout intemporelle, comme figée dans sa beauté formelle.

 

Maurice Denis fonda avec quelques amis peintres le groupe des nabis. Le terme de " nabi ", qui signifie, en hébreu, illuminé, prophète, avait été découvert par le poète Cazalis. Ils se donnèrent pour mission de conduire l’art vers de nouvelles voies, plus spirituelles et authentiques, proches de l’ésotérisme à la mode. En 1890, à l’âge de 20 ans, Maurice Denis rédigera la « Définition du néo-traditionnisme », théorie de ce nouvel art.

Rappelons-nous le conseil de Gauguin à Sérusier : "Comment voyez-vous cet arbre? Il est bien vert. Mettez donc du vert, le plus beau de votre palette. Et cette ombre ? Plutôt bleue. Ne craignez donc pas de la peindre aussi bleue que possible." C'est l'avènement de la couleur pure, du cloisonnement par la forme et de l’absence de perspective, permettant une impression particulière du sujet, qu’il soit paysage ou portrait.

Très travailleur, Maurice Denis a laissé des centaines et des centaines de tableaux, de dessins, d'illustrations de livres, des dizaines de fresques et de vitraux dans les églises. Il était de plus excellent écrivain et a laissé de nombreux livres. Son œuvre est emprunte de sacré, car il était "peintre chrétien" comme il l’écrit dès l’adolescence. Pour lui, l’art est « une sanctification de la nature ».

 

 

 

10/05/2011

Marc Chagall, le peintre de la vie

 

Il est né le 7 juillet 1887 à Liozna, près de Vitebsk, en Biélorussie, naturalisé français en 1937 et est mort le 28 mars 1985 à Saint-Paul de Vence.

« Pour faire de la belle peinture, il faut être bon ! », s’exclame Chagall. Bien que sa peinture ne soit pas toujours belle, elle respire cependant un indicible amour du monde et des êtres dans ce qu’ils ont de plus fragiles en eux, c’est-à-dire leur personnalité. Peintre du rêve, à l’inverse des surréalistes qui se sont enfermés dans leur vision, Chagall s’est tourné vers le monde dans un rêve d’amour perpétuel, inséparable de la nature humaine, avec tout ce que l’amour comporte : maternité, naissance, mariage, mort et bien d’autres choses encore. Par sa construction, chaque tableau représente le monde s’enroulant sur lui-même et ses sentiments, un monde fragile, soumis aux événements et à l’inéluctabilité du temps. Le tableau se pare de signes qui évoluent dans l’atmosphère comme les pensées au dessus de la rectitude du monde réel. Il est dommage que Chagall aime tant les couleurs vives qui vont parfois jusqu’à être criardes et peu harmonieuses. Pourtant certains tableaux montrent qu’il peut faire de la véritable peinture, s’attachant autant aux couleurs et à la composition d’ensemble qu’au dessin et aux motifs du sujet.

 

1910-1912 :

Une influence très nette de Delaunay, Rousseau et du cubisme naissant, mais déjà la dispersion des motifs et les couleurs crues. Un sens très marqué pour la paternité et la naissance : « Le marchand de bestiaux », dont la femme enceinte, comme un jeu de miroir dans l’avenir, fait présager par le ventre de l'âne une future maternité.

 

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1914-1020 :

Les tableaux sont dans l’ensemble plus composés, les motifs moins nombreux, les couleurs plus adoucies.

« La maternité » (1914) : un des plus beaux tableaux dans un ton dominant bleu où éclatent le rose pastel et le jaune.

 

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« Les amoureux de Vence » : Le regard vague de l’amour enfermé dans l’extase intérieure sous le soleil de la vie.

 

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« Le mariage » (1917) : thème de l’amour et de la maternité où la femme pense déjà à l’enfant, sur un fond gris-noir comme la nuit, la fenêtre de la maison est éclairée d’un jaune chaud présageant la chaleur du foyer conjugal.

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« La chute de l’ange » : un des plus beaux tableaux dans sa composition et ses couleurs. C’est la chute des croyances, le basculement du monde des idées au dessus de l’horizontalité de la matière et du monde matériel. L’ange est magnifique dans sa chute, rouge comme le feu (rappel des icones russes : rouge, jaune, or, violet, bleu de Prusse). Un homme à gauche tente de sauver les écritures, quelques symboles vacillent : le Christ, la musique, les animaux, le temps.

 

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« L’arbre de vie » : un arbre d’une chaleur intense dans la nuit du tableau.

 

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07/05/2011

L'art et la madeleine de Proust

 

On retrouve dans chaque œuvre d’art que l’on aime, consciemment ou inconsciemment, le goût de cette madeleine dont parle Proust. Discrètement, elle s’y tient cachée et éveille en nous cette particule d’inconscience qui nous la fait aimer.

J’en parlais l’autre jour avec quelqu’un qui disait n’aimer que les tableaux aux couleurs chaudes. Et, de fait, il s’était attardé, dans ce vaste musée, devant une petite icône représentant l’ascension d’Elie sur un char de feu : un disque rouge symbolisait le feu (très fréquent dans l’iconographie) où se dessinait le char et son attelage, le ciel était jaune pâle, le désert plus foncé. Les personnages, trois phases de la vie d’Elie, sa méditation dans le désert, sa mort et son enlèvement, étaient de toutes les possibilités de brun clair ou foncé. Le dessin était pur et simple, d’une sûreté de main extraordinaire.

Il se mêle forcément une influence psychologique à l’appréciation d’un œuvre d’art. Pour qu’elle émeuve, il faut qu’elle nous rappelle un fait, une sensation infime dont on n’a bien souvent pas conscience.

_ Mais, il a bien fallu, me dit-il, commencer un jour par aimer quelque chose pour elle-même, pour ensuite en garder inconsciemment le plaisir et le goût.

Certainement, mais c’est parce qu’on y a éprouvé un plaisir physique. A l’origine du plaisir de l’esprit vis-à-vis d’une œuvre d’art, il y a une sensation physique de bien-être qui s’est élevé à travers une graduation de sensations de moins en moins subjectives jusqu’à un goût spirituel qui finit par paraître objectif à tout rapport matériel.

Le problème n’est pas tellement, pour l’enfant, d’éveiller ses sens, mais bien plutôt d’élever graduellement ses sensations du corps à l’esprit. Non pas lui expliquer ses sensations, mais lui donner l’occasion de les éprouver, par expérience, jusqu’au moment imprévisible de l’extase. Sans doute ne le dira-t-il pas. La pudeur des enfants ne le permet pas. Mais son œil sera plus brillant et sa joie plus vivante.

 

Entrée dans une salle de musée. Coup d’œil périphérique. Les œuvres sont mortes et je passe, regardant passivement les tableaux exposés. Dans la salle suivante, au milieu de toiles accrochées, apparaît la lumière, l’œuvre qui d’un simple coup d’œil, déclenche en moi ce souffle incontrôlable qui annonce la magie de la symbiose, comme un grand vide dans la respiration et l’absence de pensées parasites. Bien souvent, je cherche quel est cet entendement immédiat avec le tableau  et j’ai du mal à trouver quelles en sont les raisons : un jeu de lumière ou inversement son absence qui la fait évoquer avec plus de force encore,, un trait qui donne au visage ou au paysage un involontaire effet particulier, une couleur qui peut se fondre dans les autres, mais évoque sans controverse la parcelle de tremblement que l’on souhaite éprouver. Bref, tout détail infime que l’on ne peut décrire parce qu’on le saisit plus tard, dans la réflexion intime d’un ruminement de l’œuvre une fois qu’elle a échappé à votre regard. Mais souvent ce sont vers vos propres souvenirs, enfouis au fin fond de la mémoire, que se porte l’entendement, comme cette madeleine qu’évoque Proust à Combray :

« Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité ; Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? Pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.

(…)

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

 

 

27/04/2011

Exposition van Dongen, Musée d’art moderne de la ville de Paris

 

Lumière et couleurs

Deux caractéristiques distinguent les tableaux de van Dongen : leur lumière et leurs couleurs. Les visages, quant à eux, ne cherchent pas la ressemblance, mais simplement l’expression.
La lumière par le blanc, franc, tenant de grands espaces, irradiant le tableau, parfois jaune pâle, ocre clair ou chair, mais toujours lumineuse.
Les couleurs : d’abord le rouge, en petites touches, très peu, mais expressif, rehaussant la lumière du tableau. C’est parfois une ombre en arrière du corps, ou encore le dessin lui-même, dont les traits sont de couleur rouge plutôt que le noir utilisé habituellement. Puis le bleu : bleu-noir, bleu-gris, bleu-vert. Souvent en fond, il fait ressortir la luminosité du blanc et les contours rougeoyants des corps.
Les visages sont esquissés non par le dessin des formes, mais par la couleur. Ils sont bruts, avec, parfois, quelques ombres bleutées. Ils sont beaux, d’une beauté pleine, colorée. Pourtant ils restent intemporels, sans expression d’un quelconque sentiment, comme figé, alors que l’attitude du corps exprime le personnage, hautain, naturel, familier, dansant, charmeur ou encore sexy.

 

Le Sacré Cœur, 1904

Je n’ai malheureusement pas trouvé de reproduction du tableau sur le web. Il est magnifique et peu dans le style adopté par la suite. C’est un tableau à la Turner ou à la Monet. Un ciel ocre, presque jaune, très pâle, qui tient la plus grande partie du tableau et, en bas, les toits de Paris, ou plutôt leur suggestion par des aplats représentant les surfaces reflétant le ciel. Le Sacré Cœur est le seul élément vraiment figuratif. Il se fond dans le ciel jaune pâle et ne ressort que par les gris et les ombres qui en tracent la forme. En haut, une bande bleu fondue avec le jaune, qui suggère une éclaircie dans le brouillard diffus du matin.

 

Lieuses ou les glaneuses de Chailly en Bière, 1905

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Un feu d’artifice de jaune, peint par grosses touches laissant la substance de la peinture pour simuler la matérialité du sol, alors que le ciel , poursuivant dans les mêmes tons, est moins chargé de matière, procédant plus en aplat. Deux tâches, l’une plutôt rouge et l’autre plutôt bleue, représentent les glaneuses, l’une debout, l’autre courbée vers le sol. Il tombe du ciel une neige d’or sur un fond de bleu, dans laquelle se meuvent les deux femmes, intemporelles, engluées dans le silence et la matière. Elles sont là, travailleuses dans la chaleur de l’été, les pieds dans le chaume, face à l’infini de l’espace et du temps.

 

Marchandes d’herbes et d’amour et Saïda, 1913


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Les corps rouges feu, éclatants, fascinants, rendant les personnages lumineux et magiques. Pourtant le rouge est peint en aplat sans mélange, sans ombre, sans relief. Elles sont belles ces femmes. Elles couvrent le tableau l’une sur fond blanc, l’autre sur fond bleu nuit. Leurs yeux, immenses, comme maquillés, vous jette un regard hypnotique et ensorceleur, mais plein d’innocence. Ce sont les seuls tableaux de l’exposition où la luminosité vient du rouge et non du blanc des robes qui reste plus terne, volontairement.

 


La peinture de Van Dongen est libre, décomplexé, sans recherche de détails ou de finition. Son art est brut, pratiqué par touches que certains pourraient qualifier de grossières, aux coloris éclatants, mais souvent arbitraires. Il est résolument moderne, mais sans aucun intellectualisme. Il peint par instinct, très sûr de lui, riant et goûtant la vie à pleines dents.


« Vivre est le plus beau tableau ; le reste n’est que peinture », disait van Dongen en 1927.

 

03/04/2011

Jeune Finlandaise, de Sonia Delaunay (1907), au centre Pompidou

 

Est-elle réellement jeune ? Son corps d’adolescente le laisse supposer, mais son visage est marqué par la vie. Inquiète, elle se croise les mains, mais garde les bras tendus. Son corps bleu reste chétif alors que son visage, en grande partie rouge, semble presqu’enflé. On pourrait penser à un visage africain hormis ses lèvres trop fines. Visage disproportionné par rapport au corps. Elle regarde au loin, sans réelle expression. Aucun décor, fond ou paysage ; simplement un bleu de Prusse, plus foncé au bas du tableau comme pour suggérer un banc.

 

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Et pourtant ce tableau est beau, sans doute par ses contrastes, entre le fond et le personnage, entre le corps et la tête, entre le bleu et le rouge, comme si le personnage était éclairé par un soleil couchant qui l’inonde de lumière par le côté. Les couleurs, insolites pour un corps humain, donnent à la jeune fille une beauté irréelle, comme une fleur offerte au milieu du désert. Perdue dans sa contemplation, elle apparaît fragile, avec cependant une force intérieure cachée que suggère son attitude.

 

Sonia Delaunay est une adepte de la couleur pure qui remplace le dessin, devient dessin. Avec son mari, Robert Delaunay, ils fondent en 1911 un mouvement pictural, l'orphisme, ainsi dénommé par Guillaume Apollinaire. Ce mouvement se caractérise par l'utilisation de couleurs vives associées en formes géométriques dans toutes sortes de supports, peinture sur toile, céramique, textile, etc. Dans un de ses meilleurs tableaux orphiques, « prismes électriques », la couleur est toujours là, vive, tranchante, les cercles concentriques donnant l’illusion d’un regard face à face avec l’éblouissante lumière des ampoules électriques jusqu’à ce que l’œil pleure du trop plein de luminosité.

 

 

 

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From : http://beaubourg2010.blogspot.com/2010/05/sonia-delaunay-prismes-electriques-1914.html

 

 

 

 

 

24/03/2011

Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, de Joseph Mallord William Turner (1775-1851)

 

Hier, quelques instants privilégiés au Louvre alors que Paris était baigné par la lumière d’un soleil de printemps. Errant près de la porte des Lions, dans le pavillon entre Seine et jardins des tuileries, je suis tombé sur cette toile de Turner et ai aussitôt été conquis. Elle est pourtant très mal éclairée, trop, et l’on ne peut la voir qu’en cherchant l’angle requis qui ne donne pas trop de reflets. Mais même cette quête du meilleur angle procure un indicible plaisir avant de pouvoir apprécier pleinement ce paysage si simple et si émouvant : sensation subtile que seuls procurent les paysages abstraits. Et pourtant ce tableau a été peint à la fin de la vie de Turner, au début du XIXème siècle, époque du néoclassicisme.

 

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Une rivière s’écoule au centre du tableau. On ne la devine que par la tache de blanc lumineux qui se prolonge en avant et en arrière, jusqu’à se perdre dans un lointain informe, la baie, sorte d’amas de brouillard plus dû à la réverbération du soleil qu’à l’accumulation d’humidité et qui noie les éléments jusqu’à confondre l’horizon avec le ciel. La vue se perd, introduisant une rêverie impalpable et apaisante qui entraîne une descente au plus profond de soi, comme l’invasion d’un gouffre d’air pur, mais sans la sensation aigüe d’un changement de qualité avec celui que l’on respirait auparavant. Seul élément matériel concret, ce demi-arbre sur la droite du tableau que l’on discerne par ses troncs alors que le feuillage, en prolongement de la tache centrale, s’intègre en fondu dans le reste du paysage. S’il n’y avait pas une partie du ciel dégagée montrant la pureté bleutée de l’infini, on ne pourrait savoir qu’il s’agit d’un ciel cotonneux de ces matins avant la chaleur de l’été, lorsque déjà le jour est levé, mais que sa fraicheur sommeille encore sur la peau faisant frissonner  les bras et les jambes dénudées. On devine l’épaisse chaleur de la journée, mais on y aspire encore les odeurs de l’aube, où la senteur des foins et de l’eau de mer épaissie de la baie repose en couche à hauteur du regard.

 

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Merci Mister Turner pour cette promenade entre mer, terre et air, dans la luminosité d’un matin d’été, qui enchante l’œil d’un pétillement quasi sacré, procurant au reste de la journée un souffle de beauté qui s’évapore au fil des heures.

 

 

17/03/2011

Un tableau, c’est une sorte de prière

 

Un tableau, c’est une sorte de prière qui naît de la contemplation de la beauté du monde. Quel qu’il soit, son dessein est toujours d’exprimer cette beauté à travers une multitude d’impressions et d’expressions. C’est la prière du simple, une prière manuelle. Mais elle nécessite une attention intense du corps et de l’esprit entièrement tendus vers l’œuvre à réaliser. Tension difficile à vivre, car elle n’a d’achèvement qu’au sortir d’un processus de transformation intérieur qui conduit de l’insatisfaction existentielle à la plénitude hors du monde matériel. L’artiste n’a pas conscience de cette transformation lorsqu’elle se produit. Ce n’est que plus tard, lorsque l’apaisement interrompt le processus, qu’il concède cet allègement et y trouve le bonheur de la création.

Le tableau achevé apporte un goût de joie et de paix. On ne peut bien peindre que sous l’emprise de l’infini, c’est-à-dire après avoir ressenti l’insuffisance du bonheur matériel ou la nécessité de s’élever à un bonheur autre. « Participant de la création », tel est l’objectif final de l’artiste, le plus souvent inconsciemment.

Cette création est offerte à tous, librement. Mais pour l’apprécier, en tant que public et admirateur, il faut soi-même se recréer, s’ouvrir, quitter son habit terne, pour permettre la reconstruction d’une réalité nouvelle, celle que nous donne l’artiste.

 

« Quel que soit sa manière et quel que soit son sujet, un artiste s’exprime toujours avant tout soi-même (…). Il nous confesse sa sensualité ou son goût du spirituel, la sensibilité de ses yeux ou l’intensité de ses visions ; il nous montre sa fougue ou sa réserve, sa poigne ou sa délicatesse, son orgueil ou son humilité, la passion, les tourments ou la paix de son âme. Et ses œuvres contiennent non seulement ce qu’il avait décidé d’y mettre, mais aussi ce dont il les a chargées inconsciemment, ce qui s’est exprimé obscurément par le travail de sa main. Il y est engagé à la fois comme individu et comme membre d’une société, comme représentant d’une époque. »

 (Joseph-Emile Muller, L’art moderne, Librairie générale française, 1963)

 

 

13/02/2011

Maria Elena Vieira da Silva (Lisbonne, 13 juin 1908 - Paris, 6 mars 1992)

 

L'œuvre de Vieira da Silva surgit et l'aiguillon d'une douce force obstinée, inspirée, replace ce qu'il faut bien nommer l'art, dans le monde solidaire de la terre qui coule et de l'homme qui s'en effraie. Vieira da Silva tient serré dans sa main, parmi tant de mains ballantes, sans lacis, sans besoin, sans fermeté, quelque chose qui est à la fois lumière d'un sol et promesse d'une graine. Son sens du labyrinthe, sa magie des arêtes, invitent aussi bien à un retour aux montagnes gardiennes qu'à un agrandissement en ordre de la ville, siège du pouvoir. Nous ne sommes plus, dans cette œuvre, pliés et passifs, nous sommes aux prises avec notre propre mystère, notre rougeur obscure, notre avidité, produisant pour le lendemain ce que demain attend.

René Char, 1960. 

 

Ce qui frappe au premier abord, c’est le parfum de tristesse mélancolique que dégagent ses toiles. Pourtant chacun de ses tableaux a pour origine une impression issue de la nature, soit brute, soit agencée par l’homme. Etrange impression à la fois d’écrasement par un assemblage de lignes verticales et horizontales (en quelque sorte une schématisation du cadre de vie) et de légèreté que donne l’architecture à base de matériaux transparents. On y retrouve la préoccupation contemporaine, schématisation jusqu’à l’abstraction dans la direction donnée par l’école du Bauhaus (bien qu’elle soit beaucoup plus riche en couleurs) et en même temps une recherche de vérité dans un absolu dépouillement qui n’est pas loin du seuil de non-désir des philosophes hindous.

Bibliothèque 1949 :

peinture,art contemporain,vieira da silva

Il n’y a dans ses toiles ni base (la matière), ni même souvent d’atmosphère au sens réel du terme, mais cette toute puissance vibration des formes entre elles transformées en champ d’influence qui exprime la chose en elle-même. Et les formes à leur tour perdent de leur masse pour s’intégrer dans l’énergie de l’ensemble en ne gardant que leurs contours de lignes et le reflet des surfaces. La masse se perd, mais l’énergie s’amplifie. Pourtant elle ne perd pas de vue la réalité des paysages en conservant une perspective, non plus fondée sur la ramification des lignes en un point, mais sur une profondeur fuyante opposée à la platitude d’autres surfaces et un enchevêtrement de lignes.

La gare Montparnasse (1957) :

Seule, sans immeubles, sans ville autour, la gare Montparnasse est constituée d’un amas de lignes enchevêtrées qui semblent sans cohérence. Et pourtant, elle nous permet de pénétrer jusque sur le quai d’un train partance, au centre et vers le bas du tableau. Elle s’ouvre entre un lieu d’où l’on vient et un lieu en partance, dont on ne sait ce qu’il sera. Le vent de la liberté invite le spectateur au voyage, un voyage quasi physique, vers les horizons sans fin du fond du tableau. L’ensemble des lignes se concentre vers le lointain, un infini fini, concentration de lignes de fuite, avec, peut-être, au fond une sorte de cathédrale, annonce de visites d’autres villes, enchanteresses. Il y a peu de couleurs, sinon cet ocre qui peut virer au brun à certains endroits, et qui rend l’atmosphère entre deux des instants mythiques où l’on met le pied dans un moyen de transport pour partir vers d’autres cieux connus ou inconnus, qui vont ouvrir une autre vie. Rien ne retient le regard hors de l’amas de la gare, peut-être, sur la gauche, à un horizon proche, des constructions dont on ne sait si elles sont vraies ou fictives. Le reste n’est qu’un désert où seules les rails s’impriment dans le sol et conduisent au loin, hors du regard.

 

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08/02/2011

Composition aux trois figures, de Fernand Léger (1932)

Trois figures : deux femmes, un homme ou un jeune homme. L’humanité figée dans l’espace et le temps. Peut-on seulement parler d’attitudes ? Ce serait plutôt une immortalisation du geste, l’homme surpris hors du temps. Ils ne voient pas, ils ne regardent pas. Le regard n’est pas mort, il est au-delà de la mort, dans une région inconnue de l’homme vivant. Figés dans l’éternité, ils sont pourtant animés. Lentement, ils évoluent en gestes éternels et reviennent au point de départ. Pourquoi les imaginer animés ? Seul le mouvement des mains des trois personnages le suggère, arrondi, languissant, mais en mouvement, comme une nage dans l’espace et le temps, une manière de se projeter vers un autre monde, mais comme en apesanteur.

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Sans doute est-ce le fond du tableau, un jaune assez cru avec des taches noires qui animent les trois personnages : espace mobile en lente révolution pour l’œil qui s’attarde longuement sur la toile comme sur un rêve. Les objets à la droite du tableau ont probablement une signification : échelle de l’ascension sociale ou spirituelle, peut-être, liens de l’asservissement collectif ou individuel, pure supposition due aux deux boucles dans lesquelles les mains se laisseraient facilement engager. Et cette sorte d’algue, entre les instruments dont nous venons de parler et les personnages, que représente-t-elle ?

Du regard général sur le tableau, après un examen attentif de celui-ci, on imagine l’humanité en marche, d’un mouvement virtuel, mais puissant, contenu dans l’immobilité du regard. On peut également penser à une famille en promenade au cimetière en raison du bouquet de fleurs que tient l'homme au premier plan. Dans tous les cas, attente d’un nouveau monde ou métaphore d’un monde idéalisé.

 

29/01/2011

La lecture, de Fernand Léger (1924)

Au premier abord le tableau ne m’a rien inspiré. Il était pour moi comme ces tableaux que l’on trouve dans beaucoup de maisons de province et qu’on a souvent envie de retourner tellement leur absurdité nous choque. Puis, en l’observant plus longuement, j’ai perçu une certaine harmonie d’ensemble, une certaine quiétude dans la forme du dessin comme si chacune des particules de l’air avait arrêté son mouvement pour laisser à la parole toute sa pénétration dans l’esprit et le corps.

 

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Les deux personnages, une femme assise dans un fauteuil soutenant sa tête d’un coussin et tenant un livre, l’homme, un bouquet de trois fleurs à la main qui tient maintenu un livre contre sa poitrine, ne sont pas plongé dans leur lecture, mais dans l’extase du rêve comme après avoir parcouru des yeux quelques lignes particulièrement belles. Leur attitude, figée dans une immobilité inquiétante, respire la rêverie qui est plus exactement matérialisée par la fixité de leur regard, un regard irréel, chargée de pensées intérieures, alors qu’en fait la forme même de l’œil n’est représentée que par une ellipse augmentée d’un trait supérieur pour formuler la paupière dans laquelle baigne un cercle noir, et cet œil, d’un dessin si simple et presqu’enfantin, respire toute la rêverie que peut contenir l’imagination d’un homme.

La tête de la femme, penchée sur le côté, le menton reposant sur la rondeur de l’épaule est l’idéal de la beauté féminine vers les années 1900, par le cercle presque parfait du visage que les cheveux épousent en larges plaques ondulées, par le dessin du sourcil qui continue en un même trait la forme du nez et de l’autre sourcil et dont les lèvres formées d’ombre semblent la base de cette colonne évasée. Les fleurs que l’homme tient délicatement entre ses doigts dont l’un, recourbé de manière anormale par rapport aux autres, donne justement l’impression du volume des fleurs, ressemblent à des nénuphars dont la fleur elle-même fait penser à des coupes de fruits qui contiendraient des prunes jaunes et dont on s’attend presqu’à voir quelques gouttes d’eau s’écouler à la base de leurs tiges.

Le volume et l’espace qu’occupent les corps dans le tableau est rendu avec puissance et vigueur par une simplicité enfantine du dessin des corps qui font penser à ces bonhommes de caoutchouc gonflé que l’on voit dans les vitrines des magasins. Mais combien leur attitude est pénétrée de l’extase et de la paix que donne la rêverie de la lecture et comme au fond sont humains leur gestes, la manière qu’a la femme de tenir son livre avec le plat de la main à demi refermée sur l’arête du centre du livre dont la base repose sur les plis de sa robe. Et ce geste de l’homme qui, pour tenir les fleurs dans sa main, appuie le livre du pli de son coude à son avant-bras contre sa poitrine.

L’ambiance du tableau reste volontairement tournée vers la contemplation par la forme des objets qui entourent les personnages. En fait, on ne distingue pas d’objets, mais des cadres constitués de traits verticaux et horizontaux où toutefois les traits horizontaux dominent, pénétrant par là l’esprit de tranquillité et de rêverie. Le temps s’arrête, l’intimité du couple est un filigrane invisible que l’on ne perçoit que par cette suspension du cheminement de la pensée entre le repos du corps et celui de l’esprit.

 

27/01/2011

La tête rouge d'Amedeo Modigliani

Dans la nuit de l'esprit, surgi des profondeurs de la mémoire, apparaît le souvenir d'une inconnue.

Comment préciser cette tête rouge tuile dont on ne connaît que la forme allongée sur la surface gris-bleu des réminiscences informelles ? Peut-être ces lèvres au dessin précis qui semblent l'origine même du souvenir, le point de départ du travail de la mémoire qui s'efforce de préciser tant bien que mal les contours de ce visage autour de la courbe veloutée de la lèvre. Aussi l'ombre gagne-t-elle le contour du crâne nu. Il n'y a qu'un œil dans cette tête rouge, sans doute parce qu'on ne se souvient jamais du regard complet des gens, mais d'un soudain éclat entrevu brièvement.

Qui est-ce ? Une femme, mais qui ? Péripatéticienne ou élégante ? Elle se laisse deviner ou plutôt on imagine sa consistance sans percer le mystère.

La tête rouge-Modigliani.JPGLa tête rouge, d'Amedeo Modigliani

 

" D'un œil, observer le monde extérieur, de l'autre, regarder au fond de soi-même" (Amedeo Modigliani)