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31/07/2015

Ruptures

« Il manque des ruptures », me dit l’homme. « La rupture met en valeur la vie ».

Tentative !

A partir d’un simple cube, créer un ensemble dont les ruptures sont réels, mais pas forcément trop apparentes. Lui donner une unité impossible dans la réalité géométrique, mais qui permet néanmoins au cerveau de se trouver devant une structure construite, acceptable à l’œil et faussant les perspectives habituelles selon l’angle sous lequel on le regarde.

Ce n’est bien sûr qu’une ébauche sans couleur, à améliorer, à rendre civilisée, mais pas trop, un objet impossible, mais auquel la perception adhère.

30/07/2015

Mannequin

 

 Un simple mannequin de bois peint. Il regarde le vide du tableau qui se prépare dans la tête des apprentis peintres, l’air hautain, reposant sur sa chaise, les bras semblant pianoter d’impatience d’être mis en image.

Il est anonyme, de la fin du XVIIIème siècle ou du début du XIXème. Voici ce qu’il en est dit sur la note l’accompagnant :

« Ce mannequin d’artiste, grandeur nature et en bois peint, est vraisemblablement une commande de l’accademia Carrara à Bergame. Il servait de modèle aux étudiants qui s’initiaient à l’art de peindre et de sculpter.

Sa structure et son mode d’articulation correspondent à un modèle type que l’on retrouvait, avec quelques variantes, dans la plupart des écoles d’art européennes. En revanche, le bois peint au délicat ton de chair, la perfection des traits, les boucles de la chevelure ceinte d’un bandeau sont des ornements ajoutés par un artisan local. Parfaite incarnation de la beauté néoclassique, le mannequin de Bergame encourageait les étudiants à poursuivre l’idéal de l’Antique. »

29/07/2015

Le miroir (1)

Ce matin, il m’est arrivé une chose étrange. J’étais dans la salle de bain, un gant de toilette à la main, m’essuyant la figure après l’avoir savonnée. Je regardais mon visage fatigué, trouvant mes paupières lourdes et gonflées. Machinalement je passais et repassais le gant de toilette sur une barbe de la veille, accrochant des brins de tissu dans les poils du menton. Je suis gaucher. Normalement ma main gauche correspond sur la glace à la main droite si je me mets à la place de mon image. Et tout d’un coup, ce fut une autre symétrie qui apparut. Ma main gauche en face prenait la place de la main droite. La symétrie s’inversait. Je n’y pris pas garde au début. Poursuivant ma rêverie, encore quelque peu endormi, je ne me regardais pas vraiment. Mais ce fut une révélation.

– Que se passe-t-il ? Je rêve ! Mon personnage se disloque et me fait un pied de nez.

Cela ne dura qu’une seconde ou deux, puis tout redevint normal. Je me frottais les yeux, n’arrivant pas à croire ce qu’ils avaient vu. Je finis par croire que j’avais rêvé, encore à moitié endormi. Je n’y pensais plus jusqu’au lendemain matin. Devant la glace, je me rappelais l’incident de la veille. J’ai rêvé, c’est sûr, me dis-je essayant de reconstituer ce que j’avais vu. Une inversion de la symétrie. Mon double devenait indépendant. Ce n’est pas possible. Voyons donc et prenons garde. Rien ne se passa pendant que je me lavais le visage. Un peu de savon, , puis de l’eau fraîche pour le faire disparaître, le poil devenu plus souple, prêt à se laisser couper par le rasoir électrique. Je saisis donc mon rasoir, le mets en route et l’approche de ma joue droite. Je vous l’ai dit, je suis gaucher. Je prends donc mon rasoir de la main gauche et traverse ma symétrie pour atteindre la joue droite. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, je vis alors mon double exécuter le même mouvement avec sa main gauche. Quelle émotion ! Il alla jusqu’à me faire un clin d’œil et un petit sourire. Certes c’était un très petit sourire, mais suffisant pour que je m’interroge. Se moquerait-il de moi ? Puis tout cessa. J’eus beau tenter de revivre l’événement, rien à faire. Il s’agissait bien d’un double toujours docile, sans erreur, le regard franc. Bref, moi-même dans sa plus grande ressemblance. Cela perturba ma journée. Je ne cessais de penser à cette image. Un être prenant son indépendance sans rien annoncer et qui ose de plus me faire un clin d’œil comme si je devenais complice de sa trahison. Toutes les heures, je me rendais aux toilettes du bureau, m’auscultais dans la glace sans cependant obtenir la moindre désobéissance de la part de mon double. Comportement normal, comme le temps est normal à la météo. Me voyant me lever assez souvent mon voisin de bureau s’inquiéta.

– Que se passe-t-il ? Aurais-tu mangé quelque chose de mauvais ? Ton estomac te joue-t-il des tours ?

Je me contentais de marmonner quelques paroles inaudibles et tournais le dos à ce compagnon de travail. Il en conclut que ça n’allait pas très bien, mais sans plus.

Je rentrais chez moi pessimiste, inquiet par la tournure des événements. Je me promis d’interroger mon double s’il me refaisait un coup comme celui-ci. Mais d’une autre côté, je ne me voyais pas m’interrogeant et espérant une réponse de la part de ma symétrie qui n’est qu’une simple image de ma réalité, sans aucune possibilité que celle-ci prenne une indépendance impossible.

Mais… Je me demandais tout à coup si ce double existait lorsque je ne me trouvais pas devant une glace. Quelle idée. Je suis vraiment perturbé, me dis-je. Pourtant l’idée fit son chemin dans ma tête. Je m’imaginais errant dans chaque pièce avec ce double devant moi qui souriait d’un air moqueur. Tu m’agace, me dis-je en moi-même. Mais j’y pensais et ne pouvais m’empêcher d’y penser. Je me couchais quelque peu perturbé et rêvais d’une révolte des doubles qui  se vêtaient autrement, qui gesticulaient sans autre forme de procès et qui même, pour certains, manifestaient dans la rue pour leur indépendance. Je me réveillais transpirant, haletant, éprouvé, mais de quoi ? De guerre lasse, je me rendormis et sommeillais jusqu’au matin, cahin-caha.

La suite de cette nouvelle sera dévoilée dans "Récits insolites" , livre à paraître au quatrième trimestre 2015.

28/07/2015

Porte (5)

 


 

 

 

Cette longue porte emmanchée d’un long cou au bout duquel on aperçoit un œil verdâtre regardant les voitures passer. S’y loge un vieillard acariâtre qui ausculte la rue avec sa paire de jumelles de théâtre.

 

Elle a l’élégance parisienne des femmes montées sur talons aiguilles, le pied pointu, le mollet galbé. Je n’en ai cependant pas vu sortir de cette porte étroite et même Gide ne les connait pas.

  

 

 

 

 

 

 

 

Plus classique, seigneuriale pourrait-on dire, celle-ci qui fait un clin d’œil avec ses panneaux centraux. Elle a la rigueur du XVIIème siècle et l’effronterie du XVIIIème.Française est-elle et bien née. Mais que cache-t-elle derrière son dos : une cour, un jardin, un hôtel particulier ? Nul ne le sait. Il faut montrer patte blanche pour entrer dans son intimité.

Celle-ci, petite sœur de la précédente, plus maquillée, plus riche de décors, mais moins élégante, plus bourgeoise enrichie. Son fronton se veut massif et saisissant. Mais ses fausses colonnes doriennes n’impressionnent que les gueux qui passent dans la rue. Certes elle a un rien de la french touch, mais à la manière des comédies du XIXème. C’est de la pacotille qui veut éprouver la clientèle.

Festival International du Livre Militaire

Errance entre les piles
L’œil attiré par la couleur
Plutôt que par un titre.
Ça parle, ça parle
Et ça regarde, compulse…
Acheter que nenni.
Discrètement refermé
Le livre retourne à la pile
Qui monte, descend, remonte.
Certains cependant ont les bras chargés
D’un échafaudage inconsidéré
Qui tombe inutilement entre leurs pieds.

Temps mort…
On parle entre nous, de nos efforts, de nos peurs,
Rarement de nos joies.
On ne retient que les difficultés.
Et pourtant… Qu’il est bon d’écrire
Au petit matin quand tout dort,
De dire le monde et les autres
Et sans doute un peu de soi-même

Ecrire : oui…
Ecrivain… Non…

Quel ennui cette foule
Qui passe et repasse sans voir,
Jette un œil miséreux sur vos piles,
N’entrouvre même pas un livre.
Vous êtes devenu transparent,
Un objet derrière les livres
Que l’on contemple sans le voir.
Y a-t-il un auteur dans la salle ?

 Coëtquidan, le samedi 25 juillet 2015.

 

 

 

 

27/07/2015

Portes (4)

 

Une porte insolite qui fait penser à l’intérieur d’un bateau du siècle dernier. Tout y est élégant, briqué, policé, ordonné. On ouvre la porte et on se trouve dans un havre de paix, rondouillard, mais stricte. La marine chez soi qui nous offre un voyage au bout du monde derrière cet arrondi concave. Embarquez, vous ne le regretterez pas : au regard de l’horizon légèrement convexe, vous laisserez vos yeux errer sur le bleu vert des mers du Sud et rêverez à ces mondes  si différents de celui que vous connaissez. Oui, c’est la porte des songes qui offre le voyage à qui veut entrer. 

La porte de l’inspiration, cachée dans les plis du cerveau, elle immerge dans l’instant et caresse la mémoire de quelques chatouillements verbaux : 

Il faut rentrer au labyrinthe
Des pas, des carrefours, des mœurs,
Où l'on sent une sombre crainte
Dans l'immensité des rumeurs.

Oui, c’est la porte de la maison de Victor Hugo, ouvrant sur la grotte  du rêve :

Je regarderai ma voisine,
Puisque je n'ai plus d'autre fleur,
Sa vitre vague où se dessine
Son profil, divin de pâleur,

Cet ange ignore que j'existe
Et, laissant errer son œil noir,
Sans le savoir, me rend très triste
Et très joyeux sans le vouloir.

Elle est propre, douce, fidèle,
Et tient de Dieu, qui la bénit,
Des simplicités d'hirondelle
Qui ne sait que bâtir son nid.

26/07/2015

La vie tranquille, de Marguerite Duras

Il ne se passe rien, ou plutôt pas grand-chose dans ce livre. L’histoire en elle-même ne présente pas d’intérêt. La vie d’une femme de vingt-cinq ans dans la ferme d’une famille pauvre. Et pourtant ils ont des émotions, des sentiments et des réflexions élevés dans l’écoulement monotone, et pourtant mouvementé, d’une vie sans divertissement.

Du mal à entrer dans le livre, puis du mal à en sortir. Au commencement, on y revient, même avec l’envie de tout laisser tomber. Puis on y revient pour un je ne sais quoi qui vous fait dire : « Que de beaux passages… Je retiens telle description, tel portrait, telle vision… » Enfin on prend conscience de la puissance de ce livre au fil des pages, jusqu’à lire, puis relire la plupart d’entre elles pour leurs évocations et leurs tendres descriptions.

Cela commence à la page 54 :

« Ça va être prêt, disait Luce Barragues, un peu de patience les garçons. » Et elle riait. Son manteau noir enlevé, elle est apparue dans une robe d’été. Pas très grande, mince, des épaules rondes, douces, ensoleillées. Elles avaient les cheveux noirs qui caressaient son cou et qui remuaient, remuaient sans cesse, des yeux bleus, un visage très beau, très précis qui se défaisait continuellement dans un rire silencieux. On croyait la connaître. (…)

Et toujours Luce :

Je l’ai embrassée dans ses petites rides, sur ses paupières fanées et le long de son front, au bord de ses cheveux, là où elle ne sait pas qu’existe l’odeur d’une fleur. Elle s’est éloignée, puis j’ai entendu qu’elle parlait à papa de la bonne soirée qu’ils avaient passée. J’ai pensé que nous avions des parents pour nous permettre seulement de pouvoir les embrasser et sentir leur odeur, pour le plaisir.

La narratrice :

Il fait frais, la nuit est noire. Des bandes jeunes gens passent en rafales rieuses dans les rues. J’entends la mer. Je l’ai déjà entendu quelque part ce bruit, il me rappelle un bruit connu. ( …) Les pieds devant moi, sous moi, derrière moi, ce sont les miens, les mains à mes côtés qui sortent de l’ombre et y retournent suivant la succession des réverbères, je souris… Comment ne pas sourire ? Je suis en vacances, je suis venue voir la mer. Dans les rues, c’est bien moi, je me sens très nettement enfermée dans mon ombre que je vois s’allonger, basculer, revenir autour de moi. Je me sens de la tendresse et de la reconnaissance pour moi qui viens de me faire aller à la mer. (…)

L’air sent le fard et la peau brûlée de soleil. Sur la banquette il y a de beaux bras nus, des seins tendus sous des écharpes rouges, jaunes, blanches. Ils rient. Ils rient de tout. Ils essaient chaque fois de rire davantage de tout. Derrière leurs rires inégaux on entend le bruit bleu et râpeux de la mer.

Ailleurs dans sa chambre, seule :

J’ai regardé ma robe jetée sue le lit de la chambre. Mes seins lui on fait deux seins, mes bras, deux bras, au coude pointu, à l’emmanchure béante. Je n’avais jamais remarqué que j’usais mes affaires. Je les use. La robe luit au bas du dos, à la taille. Sous les aisselles, elle est déteinte par la sueur. J’ai eu envie de m’en aller, de laisser cette robe à ma place. Disparaître, m’enlever.

Et plus intimement :

Il m’arrive de me regarder (…) et de me trouver belle. Je me sens émue devant la régularité de mon corps. Ce corps est vrai, il est vrai. Je suis une personne véritable, je peux servir à un homme pour être une femme. Je veux porter des enfants et les mettre au monde, car dans mon ventre, il y a aussi cette place faite exprès pour les faire. Je suis forte, grande et lourde. (…) Ma chaleur m’entoure et se mêle à l’odeur de mes cheveux. Je n’en reviens pas de ma peau nue, fraîche, bonne à toucher, de cette préparation parfaite faite pour accueillir les richesses ordinaires. Je me plais. Je m’étonne de ne pas plaire aux autres autant que je me plais. Il me semble que cette grâce que je me trouve est d’une espèce que l’on ne peut pas aussi bien voir, qu’on n’entend pas aussi facile.

Les phrases coulent, seules, dans une sécheresse doucereuse, évoquant peu de choses, comme un souvenir lointain derrière la brume du matin, une ombre de réminiscence dans la crudité des choses. On se sent immergé dans le bonheur de vivre, d’aimer, de méditer. Autour de soi, rien ne se passe, rien d’intéressant. Et pourtant. On ne donnerait sa place pour rien au monde.

Il est rare, très rare, d’aimer un livre non pour l’histoire qu’il raconte, mais pour son style envoûtant, si évocateur d’une vie pleine et pourtant sans action. Et la narratrice poursuit sa vie tranquille en épousant celui qu’elle aimait, le sachant sans le savoir.

Lorsqu’il est revenu, je lui ai demandé d’arrêter là notre visite. J’étais fatiguée. Je voulais dîner et que nous montions ensemble dans ma chambre. Je voulais dormir avec lui. Il est venu auprès de moi et il m’a pris ma tête contre son cou, il m’a serrée très fort, il m’a fait mal. Je ne lui ai rien demandé. Il m’a dit qu’il n’avait même pas pu toucher Luce Barragues parce que c’était de moi qu’il avait envie.

Il faisait noir, une nuit d’octobre, fraîche d’orage.

25/07/2015

L'été

Le lent écoulement des jours d’été
S’étire entre mouvement et mémoire

Le soleil n’arrête pas de tourner
Au-dessus des têtes chargées de rire

Les gestes soupirent de lenteur
L’œil clair regarde l’éclat tendre
D’un enfant courant sur le pré

Les mères sourient d’indulgence
Les pères regardent l’avenir immobile

Tout est figé, blanc et moite

Seuls quelques oiseaux s’étirent
Dans la douce glissade du souffle
D’un jour comme les autres

Et ce ralenti dure… dure… pur
D’absence de vie et de paroles

Chacun se regarde vivre
Clos dans son enveloppe corporelle
Comme un cocon résonant
Des sons perdus d’autrefois

Suis-je encore ? Et elle, est-elle ?

On se confond d’un air familial
Le cœur en un azur unique
Vide de toute prétention

Combien est-on ? On ne sait
Le nombre importe peu
Seul compte la présence multiple
D’un amour tranquille
Dans le tremblement perceptible
De l’air d'un jour d’été

©  Loup Francart 

24/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite 6)

Je décidais d’en savoir plus. Ayant entendu parler d’une sorte de secte taoïste et encouragé par Mathias à qui j’avais fait part de mes trouvailles, je cherchai à m’introduire auprès de celle-ci. Il existait une boutique dans le 3ème arrondissement qui vendait des ouvrages de ce genre. Avec beaucoup de diplomatie, je commençai à m’intéresser aux livres, puis suis entré en conversation avec le libraire, un homme d’une cinquantaine d’années, l’air vif et l’œil acerbe.

– Auriez-vous en magasin L’espace du rêve de François Cheng, aux éditions Phébus ? Lui demandai-je.

En réalité, peu importait ce livre dont j’avais entendu parler par un ami amateur de peinture orientale. Je voulais entrer en contact avec quelqu’un qui connaissait cette secte.

– Non, mais je peux vous le procurer pour après-demain si vous le désirez.

– Je m’intéresse à la tradition chinoise et au taoïsme. J’ai lu l’importance du trait accompagné du vide dans lequel il se dessine. Cette vision insolite m’intéresse. Elle est à rapprocher de l’importance du vide dans la sculpture. Voir le vide pour imaginer le plein et donner aux formes leur signification. 

– Il est vrai que François Cheng est un des seuls orientalistes à pouvoir expliquer cette vision du monde spécifique à la pensée chinoise. Je me souviens d’une seule phrase qui résume si bien cette pensée : "Dans la peinture comme dans l'Univers, sans le Vide, les souffles ne circuleraient pas, le Yin-Yang n'opérerait pas".

– Connaissez-vous une école ou un lieu de réflexion sur cette forme de pensée ?

– Non, pas directement. Mais je peux vous conseiller un livre assez intéressant intitulé « Méditation taoïste », d’Isabelle Robinet, qui explicite la méditation taoïste jusqu’à la dissolution libératrice.

– Vous ne connaissez vraiment personne qui puisse m’aider à m’introduire dans ce genre de société ?

– Hélas, non. Malgré la présence de nombreux chinois en France depuis quelques années, je n’ai jamais entendu parler de secte chinoise taoïste enseignant en France. Je ne dis pas qu’il n’en existe pas. Je sais qu’il existe quelques communautés en Europe, mais quant à vous dire où elles se trouvent et ce qu’elles font, j’en suis incapable.

Je repartis sans en savoir plus. Il m’avait également expliqué que la vision principale du taoïsme est celle d’une unité primordiale. Le tout est Un. Les hommes distinguent la plupart du temps le monde divin et spirituel et le monde humain et matériel. Le taoïsme prétend que tout est en relation avec tout, que tout est à la fois cause et conséquences de tout. Mieux même, on avançait que le Tout est plus que la somme de ses parties, que le Un est plus que tout. Un contient le Tout et tout exprime le Un puisque tout émane du Un.

Il me renvoya au Tao To King, ce livre dont les interprétations sont multiples. Je ne pus en obtenir plus, malgré mes interrogations pressantes. Il prit le livre qu’il avait en rayon et me lut quelques extraits :

Car l'être et le néant s'engendrent.
Le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l'un par l'autre.
Le haut et le bas se touchent.
La voix et le son s'harmonisent.
L'avant et l'après se suivent.
 

C'est pourquoi le sage adopte la tactique du non-agir,
et pratique l'enseignement sans parole.
Toutes choses du monde surgissent
sans qu'il en soit l'auteur.

Et le Tao s’achève presque sur ces paroles :

C'est par le non-faire
que l'on gagne l'univers.
Celui qui veut faire
ne peut gagner l'univers.

Rien d’autres.

Une nouvelle porte s’ouvrait à nos recherches. Mais était-ce la bonne ? Cela nous sembla un peu trop énigmatique pour que nous puissions nous intéresser de beaucoup plus prêt à une secte qui n’existait sans doute pas. Cependant, nous avions appris qu’effectivement les contraires peuvent non s’opposer, mais au contraire se rejoindre dans une sorte de synthèse ou de transformation intérieure et ouvrir à un autre monde, différent, où les règles et les comportements n’ont plus rien à voie avec la vision habituelle. Mais cela avait-il à voir avec notre problème : le chiffre manquant, résumant les autres chiffres en une synthèse percutante qui ouvre à l’inconnu ?

Une fois de plus, nous nous trouvions devant une impasse. Il fallait rebrousser chemin et chercher au travers d’autres voies. Mais lesquelles ?

23/07/2015

Divertissement

https://www.youtube.com/watch?v=5411cS2P43E

Quelques minutes de rire devant l’habileté de ces deux hommes. Comment faire pour rendre rigide un morceau de tissu ? Beaucoup de contorsions, de l’humour et une dextérité sans faille.

22/07/2015

Portes (3)

 

 

Ce n’est pas une porte cochère, mais une porte toute simple, de bois et de métal. Mais sa grille laisse deviner des cachotteries et des mystères insoupçonnés.

On ne regarde pas de face, mais de côté, tendant l’oreille à celui ou celle qui se trouve de l’autre côté, dans ce noir absolu et qui épie la lumière du jour. Que murmure-t-il ?

Il faut s’approcher et admirer l’élégance du fer forgé, véritable chef d’œuvre, peut-être d’un compagnon du tour de France ? Un dessin majestueux et sobre, d’une symétrie parfaite. On peut juste regretter le manque de symétrie en face à face des deux frises verticales. N’aurait-on pas vu un décroché symétriquement inversé comme celui-ci :

 

 

 

 


 

 

 

 

 

Celle-ci, une porte imposante, mais qui a pris un air d’été. Elle est partie aux bains de mer ou à la campagne et elle bronze au soleil estival. Elle est sévère, mais sourit de toutes ses dents au visiteur. Ne nous y trompons pas, ce n’est qu’un sourire et non une invitation à entrer. Secret… Circulez, il n’y a rien à voir !

 

 

 

21/07/2015

Opprobre

Ici, rien n’est semblable
Le poil devient plume
La tonne est légère comme l’air
Le papier transparent
Est carreau aux fenêtres
Toi-même as-tu encore un visage ?

Oui, toujours je resterai
Semblable à la vigie
De marbre blanc, tendue comme un arc
Le doigt pointé sur toi
Accusant nos passions communes
Et la froideur de nos rencontres

Sommes-nous condamnés
A vivre en un monde déjanté
Où le blanc devient noir
Le chaud aux pôles
La glacière sous les pieds
La gorge emplie de fiel

Elle est là, à portée de mains
Environnée de vertus
Elle court en toute liberté
Et chante d’une voix claire
« Délivrance, délivrance
Partons en d’autres lieux ! »

Il est mort l’enfant sauvage !
Le policé a revêtu sa robe
Il encourt mille peines
Mais n’a pas peur de l’opprobre
Applaudi, il court vers l’horizon
Pour s’évanouir sur sa ligne

Le monde s’en est allé
L’amertume gagne nos lèvres
Pourquoi mêler nos doigts
Pourquoi baiser nos lèvres
Si déjà finit cette page d’histoire
Dans la marche du temps

20/07/2015

Le feu purificateur (récit : 2/2)

Ils se rendormirent pour prendre des forces et furent réveiller à la nuit tombante par de longues plaintes. Ils se dressèrent sur leur couche et virent les corps se lever en geignant, les yeux vers le ciel. Ils attendaient. Quoi ? Nul ne le sait. Mais cela fit frissonner les deux marcheurs qui se regardèrent en tremblant. De lourds nuages parcoururent le ciel jusqu’ici limpide. Quelques éclairs apparurent à l’horizon. La foule des corps commença à hurler. La plupart se mirent à creuser le sable à mains nues comme pour s’enfouir. Ils tremblaient et geignaient tels des bêtes sauvages prises dans un piège. Quelques gouttes d’eau tombèrent. Aussitôt, les corps cherchèrent à s’abriter sous le sable ou des tentes improvisées. Chaque goutte semblait les brûler. Elles laissaient sur leur peau des cloques rougeâtres. Cela ne dura pas longtemps. Mais ce fut une véritable débandade. Lorsque le jour fut réellement levé, de nombreux corps restaient immobiles. Ceux qui n’avaient pu s’abriter semblaient sans vie. D’autres émergeaient de leur litière ou de leur trou. Ils se saluaient sans parole.

Les deux hommes se firent signe. En avant ! Ils descendirent non sans mal les falaises rocheuses et posèrent le pied sur le sable encore froid. Ils rebondirent au premier pas. Le sable était élastique et les faisaient sauter de quelques mètres, comme s’ils étaient en apesanteur. Aucun effort à faire. Il leur fallut même prendre garde de ne pas taper du pied. Ils rebondissaient sans savoir où ils allaient retomber.

– Des hommes ! Que faites-vous là ?

Cette exclamation fusa du côté des corps. Ils ne comprirent pas et continuèrent à marcher avec précaution de façon à ne pas rebondir. Mais les corps se mirent à s’agiter, puis à se resserrer autour d’eux. Bientôt ils les entourèrent, menaçants. Alors, lâchant son sac à dos, le plus grand regarda le plus petit, lui fit un signe et ensemble ils sautèrent par-dessus la foule hurlante en donnant un bon coup de pied sur le sol sablonneux. Ils parcoururent environ cinq mètres et retombèrent pour s’envoler à nouveau. Les corps se mirent à leur poursuite, mais vainement. Très vite ils furent hors de leur portée, courant vers l’horizon à grands sauts dégingandés. Ils s’arrêtèrent pour souffler quelques minutes, puis reprirent leur marche. Où allaient-ils ? Nul ne sait. Quelques jours plus tard, un hélicoptère survola le désert de sable. Les deux hommes couchés sur une dune furent repérés. Ils ne bougeaient pas. Ils n’avaient même pas la force d’agiter les bras. Il se posa. L’un des deux passagers resta auprès d’eux pendant que l’hélicoptère repartait. Il tenta de les faire boire, mais leur langue était si grosse qu’elle obstruait presque la gorge. Ils burent quelques gouttes, puis, abrités par une tente improvisée, ils purent se rendormir. Leur nuit fut peuplée de cauchemars. Ils poussaient parfois de petits cris ou des geignements indistincts. Ils portaient leurs lunettes noires et avaient la peau brûlée par endroit. Mais ils étaient sains et saufs. Le lendemain matin, l’hélicoptère était là. Ils furent emmenés directement à l’hôpital et furent soignés diligemment.

– Nous avons connu le feu purificateur.

C’est ainsi que quelques jours plus tard, les deux hommes parlèrent de leur expérience. Mais un événement insolite leur fit comprendre qu’ils ne devaient pas raconter ce qui leur était arrivé. Reposant dans la même chambre à l’hôpital, ils dormaient lorsque quelqu’un entra. Il alluma la lumière, les réveillant, et il leur dit :

– Silence ! Silence sur ce que vous avez vécu ! Gardez pour vous le souvenir de ces jours, mais surtout n’en parlez pas. Vous seriez alors damnés à jamais.

L’homme sortit un goupillon et un seau d’eau (était-elle bénie ? Nul ne le sait), et les aspergea de quelques gouttes qui aussitôt formèrent de petites cloques sur leur peau. Puis, il sortit.

Deux jours plus tard, ils étaient libres. Ils descendirent les marches de sortie de l’hôpital, se serrèrent la main. L’un partit à gauche, l’autre à droite. Ils ne se revirent jamais.

19/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite 5)

En fait nous n’étions pas plus avancés dans notre quête. Il nous avait plutôt embrouillés le cerveau sans nous apporter quelque chose de constructif. Mais il nous avait dit quelque chose d’essentiel, qui resurgit avant de quitter Mathias : un vrai hacker ne compte que sur lui. Je lui en fis part. Il me regarda effaré et dit :

– Tu sais bien que nous sommes incapables de résoudre ce problème. Personne ne la fait et très peu se pose la question. Comment veux-tu que nous arrivions à un résultat ?

– C’est vrai, mais pourquoi ne pas essayer puisque la question nous passionne. Et puis, nous sommes deux. A deux, nous pouvons nous soutenir le moral, corriger les erreurs de l’autre, grandir en marchant.

Nous nous quittâmes par une accolade qui avait valeur de promesse. Nous irions jusqu’au bout.

Le lendemain Mathias me téléphona. 

– Le hacker nous a parlé de l’union des contraires en nous disant que cette notion se trouve exposée en philosophie. As-tu quelque connaissance sur le sujet ?

Ainsi il me tutoyait depuis que nous avions passé notre pacte. Loin de me choquer, cette familiarité renforça notre entente.

– Non, mais je vais chercher tenter d’en avoir une idée claire. Je te rappelle dans deux jours. 

Mais tout d’abord, que signifiait l’union des contraires. Anaximandre prétend que tout naît de la séparation des contraires. Très vite, allait s’opposer la réflexion entre une loi de l’Un et une loi des contraires. La première avance que le monde est un, la seconde affirme qu’il est de nature binaire, dans la complémentarité comme dans l’opposition. Effectivement, nous avons tendance à voir le monde en tandem. L’Un ne serait-il pas l’addition de deux opposés, créant ainsi une sagesse naturelle dépassant celle des nombres ? Kant n’a-t-il pas avancé la notion d’antinomie : « Dans la résolution d'une antinomie, il importe seulement que deux propositions qui se contredisent en apparence, ne se contredisent pas en fait et puissent se maintenir l'une à côté de l'autre (...) »[1] Rien ne pourrait être pensé sans son contraire. Plutôt que d’opposition, on peut penser le monde en termes de complémentarité.

Je me souvins alors d’un poème de Lao-Tseu : 

En effet, le caché et le manifeste naissent l'un de l'autre.
Le difficile et le facile se complémentent l'un et l'autre.
Le long et le court se montrent l'un l'autre.
Le haut et le bas se définissent l'un par l'autre.
La voix et le son s'harmonisent l'un et l'autre.
L'arrière et l'avant se suivent.

Ainsi, à côté de la vision occidentale pour laquelle la différence crée le monde (rien ne peut être pensé sans son contraire) apparaît une vision orientale pour laquelle toute chose est harmonie par complémentarité. Pythagore prétend que le monde dépend de l’interaction entre les contraires (mâle/femelle, sec/humide, froid/chaud...). Lao Tsé énonce le contraire : la gauche et la droite sont les deux faces d’une même réalité.

Cependant intuitivement, d’autres sentent que ce n’est pas si simple. Que le binaire soit contradictoire ou complémentaire, il est, avant tout. Que la symétrie règne sur le monde ou qu’inversement elle ne soit qu’une invention humaine, il y a toujours deux ou encore +1 et -1. Le zéro est toujours au milieu, séparateur de toutes choses. On ne peut réellement parler d’union des contraires, tout au moins dans le monde réel. Peut-être y a-t-il en mathématiques des possibilités d’assemblage grâce à des théorèmes particuliers. Mais je ne suis pas suffisamment pointu dans ce domaine pour me prononcer.

Etant assez proche de Lydie, je lui fis part de mes recherches. Elle m’écouta attentivement, hochant parfois la tête, approuvant du menton, mais restant profondément étrangère à notre histoire. Elle me répéta ce qu’elle m’avait dit quelques jours auparavant : « Prend garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la passion. Oui, la connaissance c’est l’infini, mais un infini imaginaire, un puits sans fond. Seule compte l’action dans notre monde. » Elle n’ajouta cependant pas, comme elle l’avait fait la fois précédente, que l’action est le zéro. Elle commençait à douter de ses propres affirmations.

– Si tu veux à tout prix poursuivre sur cette voie, n’oublie pas la théorie avancée par le français Georges Polti (1867-1946) dans son livre « Les 36 situations dramatiques[2] ».

– De quoi me parles-tu ?

– Polti prétend qu’il existerait, pour tout type de scénario, 36 situations dramatiques de base. Chacune d’elle est explicitée par des exemples dans la vie réelle, mais également le roman, les contes et le théâtre, à toutes les époques et  sur tous les continents. A travers ces situations, Polti prétend avoir recensé toutes les émotions que peut éprouver un être vivant au cours de sa courte vie.

– Si je comprends bien cet homme sait tout sur la vie !

– Ce n’est pas exactement cela. Il ignore les situations de rapprochement entre les hommes. Il ne voit que les intentions d’opposition, que ce qui singularise un homme par rapport à un autre homme. Comme tous les Occidentaux, il voit la division au lieu de constater l’unité.

– Mais en quoi tout ceci me concerne ?

– Il y a une situation qui t’intéresse. C’est la 9 : « Être audacieux : un personnage tente d’obtenir l’inatteignable. » Mais cette situation est à rapprocher de la 30ème : « L'ambition : un personnage est prêt à tout pour concrétiser son ambition. » Prends garde. On franchit vite le pas entre la première situation et la seconde. Et celle-ci est bien une situation dramatique.

Ne sachant que répondre à ces mises en garde, je prétextais un rendez-vous urgent et passais un imperméable. Comme je partais, Lydie m’embrassa sur la bouche et me dit :

– Bientôt, je serai contrainte de te dire à Dieu si tu poursuis dans cette voie délirante.

Je ne compris pas sur le moment pourquoi elle m’avait dit cela. Ce n’est que beaucoup plus tard que cette phrase me revint à l’esprit.


 

[1]Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, Section II, §57, p165.

[2]Georges Polti, Les 36 situations dramatiques, Paris, Mercure de France, 1895.

 

18/07/2015

Le feu purificateur (récit : 1/2)

Ils partirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. L’un grand, l’autre petit. Ils se complétaient, l’un tout sourire, l’autre de marbre. Pourquoi partirent-ils ensemble ? Nul ne le sait. L’un emmenait un sac à dos, l’autre portait un sac en bandoulière.  Qu’y avait-il dedans ? Nul ne le sait.

Ils marchèrent longtemps, seuls dans les rues désertes. Ils marchaient le long des façades mornes, sans commerce allumé, comme dans une forêt noire, l’un devant, l’autre derrière. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. Ils marchaient vite, sans s’arrêter et sans regarder leur montre. Bientôt un filet de lumière naquit derrière les immeubles, puis monta dans le ciel d’encre. Ils sortirent leurs lunettes noires et poursuivirent leur marche, en accélérant. Mais bientôt ils durent s’arrêter. Ils poussèrent une porte, descendirent les marches et se couchèrent dans la cave, écrasés de fatigue.

Le jour passa. Ils ne se réveillèrent pas une fois. Le soir, à l’instant où la nuit tombait dans les rues, ils ouvrirent un œil, se regardèrent, reprirent leur fardeau et sortirent en catimini, l’un devant, l’autre derrière. Ils marchaient courbés vers l’avant. Une bise de printemps ralentissait leur pas. Mais pas un seul ne ralentit. La nuit s’écoula, tendre. Elle les vit passer du centre vers les faubourgs, des immeubles chics aux maisons en meulière, puis aux ateliers d’artisans exténués. Ils marchaient les yeux ouverts sur la nuit, l'ouïe attentive, une main devant eux.

Le plus grand s’arrêta. Il venait de toucher un corps. Il ne le voyait pas. Il ne savait à qui il appartenait. Puis plus rien. Un filet d’air plus insistant. C’est tout. A partir de ce moment, ils marchèrent avec plus de circonspection, côte à côte, se tenant épaule contre épaule. Rien ne semblait changé. Mais l’atmosphère était plus lourde. Ils avaient du mal à avancer, comme retenus par une force collante qui compliquait leur démarche. Brusquement, le petit s’arrêta, il venait de heurter quelque chose. Qu’était-ce ? Nul ne le sait, et eux encore moins que les autres. La crainte se lit sur leur visage. L’ainé sort un couteau, ouvre la lame et marche en la maintenant en avant. Les maisons se raréfient. Des enclos s’ouvrent entre les bâtiments, des cours vides, encombrées d’objets hétéroclites, des hangars bondés de vieux pneus, des friches pleines d’herbes folâtres. Comme les premières lueurs du jour apparaissaient, ils cherchèrent un lieu où se reposer. Ils trouvèrent un dépôt contenant des ballots de chiffons. Ils s’endormirent très vite sans un mot. Cela faisait deux jours qu’ils étaient partis. Ils n’avaient ni bu, ni mangé.

Au crépuscule, ils se levèrent, la tête embrouillée. Plus la ville s’éloignait, plus il devenait difficile de marcher. Une herbe épaisse courrait maintenant sur les trottoirs, les obligeant à lever haut les pieds. Les rares maisons se dressaient telles des fantômes. Qu’y avait-il entre celles-ci ? Nul ne le sait. C’était un vide immense et tentaculaire. Mais ils avançaient toujours, courbés sous le poids de leur bagage. Ils se heurtaient de plus en plus souvent à des corps qu’ils n’arrivaient pas à distinguer. Ceux-ci s’écartaient aussitôt, sans un mot, sans un regard, sans un geste. Aucun échange entre leurs deux mondes. Ils vivaient côte à côte, sans se voir. Juste un simple contact et la réaction de retrait des deux partis. Plus une maison maintenant. La campagne peut-être ? Non, une sorte de no-man’s land informe, encombré d’une végétation extravagante, sans même un chemin indiquant un lieu où aller. Il fallait marcher en levant les genoux pour ne pas trébucher dans les ronces qui courraient par terre. Les mains en avant, de façon à éviter les corps qui marchaient eux aussi sans les voir, ils progressaient toujours. Où allaient-ils ? Nul ne le sait. En fin de nuit, ils arrivèrent au bout des terres. Une immense coupure rocheuse entamait le paysage qui s’arrêtait devant une mer de sable, ondulée, aux grains clairs. Elle couvrait l’horizon. Rien que du sable à perte de vue. Au fond la lueur de l’aube commençait à monter. Il fallait trouver un abri. Ils se réfugièrent dans une anfractuosité rocheuse. S’endormirent aussitôt. Ils avaient soif et faim, la langue enflée, mais leur détermination restait sans faille. Cette fois-ci ils furent réveillés vers deux heures de l’après-midi. Aveuglés, ils mirent leurs lunettes noires et contemplèrent la mer de sable. Une multitude de corps étaient couchés sur le sable. Ils semblaient endormis. L’étaient-ils ? Nul ne le sait. Ils se regardèrent. L’épreuve allait commencer.

17/07/2015

Envol

Entre en toi !
Quitte le nuage de tes opinions
Et plonge entier et nu
Dans le vide céleste

Plus rien ne te retient
Ni l’oiseau au réveil
Ni le bâton de feu à midi
Ni la crème rosée du soir

Entre en toi !
Franchis la grille de ton apparence
Laisse le nombril de ton personnage
Et choit jusqu’à la délivrance

Dépasse ce cercle de chair
Aspire à la chute vertigineuse
Au fond de ton être un brasier
Suspendu à ton abandon

Entre en toi !
Fais-toi fugace, entre ta clé
Dans l’œilleton de ta suffisance
Et plane sur les eaux primordiales

L’air frais du renouvellement
Réveille tes sens endoloris
Le parfum iodé du large
Te prend à la gorge

Entre en toi !
Saute dans l’azur imprécis
Et, d’une ivresse sans fin
Noie ton être dans la lumière

©  Loup Francart 

16/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 4)

J’entendis une voix sûre d’elle, ronde, élégante mais pas recherchée, incisive aussi, une voix peu ordinaire parce qu’elle utilise la résonance de la poitrine de façon naturelle. Elle me plut aussitôt. Allez dire pourquoi ! Il entra le premier suivi de Mathias. Il était grand, pas trop, un mètre quatre-vingt au plus, mais il se tenait droit ce qui augmentait cette impression de grandeur. Je ne sais si vous l’avez remarqué, mais généralement les gens assez grands se tiennent un peu courbés pour se mettre à la portée des autres. Lui rayonnait de sa hauteur, sans aucune gêne.

Les présentations faites, nous nous assîmes autour de la table basse, et Mathias, beau parleur, expliqua les raisons de notre intérêt pour ses travaux. Il écoutait tranquillement, l’air calme et reposé, approuvant parfois d’un hochement de tête, s’étonnant d’une mimique des sourcils, s’interrogeant d’un écarquillement des yeux. Il avait une tête puissante, presque ronde, les cheveux en bataille, le cou assez épais. Mais cette morphologie ne l’empêchait pas d’être très mobile, très expressive, à la manière d’un oiseau de proie, regardant sur plusieurs côtés en même temps, rapidement, attentivement. Une tête captivante avec un sourire rare, mais ouvert. Cependant, en réponse à une explication maladroite de Mathias, il marqua sa réprobation d’une manière sans doute exagérée, trop franche et trop brusque. Attention, ne pas trop se frotter à sa réprobation, me dis-je. Mathias le comprit et conclut assez rapidement ses explications difficiles et quelque peu embrouillées.

Le hacker ne fit aucune allusion à ce discours. Il expliqua comment il était « entré en hack », c’était son expression, comme on entre en religion.

– Le hack est une manipulation permettant de contourner un problème, une sorte de bricolage qui sépare des blocs d’écriture et les réorganise de façon à créer une nouvelle cohérence qui permet de faire fonctionner le système même s’il est protégé. Je me suis toujours intéressé à l’écriture mathématique. Lorsque j’étais enfant, je réfléchissais déjà à l’agencement des nombres et plus particulièrement aux paradoxes qu’ils contiennent. Vous connaissez bien sûr cette phrase de Bertrand Russel : « Les mathématiques sont la seule science où on ne sait pas de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai. » J’aimais cette ambiguïté des mathématiques. Dans le même temps les nombres sont le moyen de cerner la réalité d’une manière particulièrement efficace, mille fois plus que les paroles. Ils rendent compte des caractéristiques de chaque objet, voire de chaque concept, mais également de leur rapport avec les autres choses. D’ailleurs les nombres sont les seuls mots de la langue française à avoir deux écritures : lettres et chiffres. Cela montre bien leur ambiguïté. Progressivement, à force de manipuler les nombres, je me suis passionné pour les bases de numération : pourquoi d’autres, tels les Anglais, comptaient dans leur monnaie sur une base de douze chiffres? Pourquoi le temps se compte de 60 en 60 ? Qu’est-ce que la numérotation binaire ? Pourquoi les ordinateurs ne comptent qu'avec deux chiffres?

En une prise de parole, il était entré dans nos interrogations, l’air de rien, parlant de ses souvenirs d’enfance. Il semblait très en avance sur nous dans ces réflexions. L’œil de mon ami Mathias brillait. Il était tout ouï. Pourtant, rien ne se passa comme il l’espérait. Il s’attendait à un discours explicatif donnant des pistes de réflexion, voire des solutions aux questions que nous nous posions. Mais progressivement, le hacker se mit à s’interroger comme s’il était seul en face de ce problème. Il nous oubliait. Son discours devient une péroraison intérieure à laquelle il était difficile d’adhérer par manque de compréhension.

La dualité a toujours été présente dans la pensée humaine. Pourtant il lui fallut du temps pour s’imposer dans les mathématiques. Joseph Diaz Gergonne, après Poncelet, s’est intéressé à la géométrie projective qui étudie les propriétés des figures qui sont stables par projection. Très vite, la dualité apparut dans de nombreuses disciplines mathématiques. Elle se développa d'abord en géométrie, puis en algèbre, en analyse fonctionnelle, en théorie des graphes. La dualité dépasse d’ailleurs les mathématiques. Elle entre en jeu dans la philosophie. Elle indique une duplicité dans laquelle les deux éléments de correspondent et se complémentent. Pire même, certains philosophes, ou peut-être mystiques, pensent que les contraires se rejoignent en un certain point, ou certain plan, changeant ainsi la face du monde.

Il poursuivit pendant un quart d’heure, mais tous avait décroché, malgré une attention éperdue. Lorsqu’il s’arrêta, ils n’eurent aucune question à poser. Ils étaient abasourdis, la mâchoire décrochée, l’œil vide, le cerveau sans aucun circuit neuronique activé. Il les regarda, compris qu’il s’était laissé aller, s’excusa et leur proposa d’en reparler de manière plus approfondie. Leur dialogue, qui fut un monologue, en resta là. Ils échangèrent des banalités, se serrèrent la main chaleureusement et se donnèrent rendez-vous la semaine suivante. Après son départ, Mathias se contenta de dire :

– C’est vraiment un être supérieur. Je n’ai rien compris à sa démonstration ou plutôt ses raisonnements. Mais il a dès le départ enregistré notre problème, celui de la dualité. Ce n’est certes pas l’explication finale et ne conduit pas directement à la découverte d’un nouveau nombre, mais c’est une approche originale prometteuse.  

15/07/2015

Portes (2)

Comme un bonbon offert d’une main secourable, elle reluit de ses feux d’un bleu profond et lisse. On a envie de goûter ses parois acidulées, de sentir ses fleurs stylisées, de lécher son digicode doré. C’est un porche de cinéma, fait de carton-pâte, digne d’un Hollywood parisien. Heureux les habitants de cet immeuble, ils entrent chaque jour au paradis, les yeux exorbités, la main caressante, le corps parcouru d’une envie d’aimer.

Celle-ci a la tendresse de la Provence. C’est un coin rafraichissant, un havre de paix, rond de froideur dans lequel on fait une halte doucereuse qui lave le corps de ses gouttelettes de transpiration naissantes. Vous avez envie de rester… Là… tranquillement… Mais il faut bien repartir… Allons, un peu de courage… Vous êtes requinqué. Adieu, fraicheur… Êtes-vous allés voir derrière l’entrée ce rond de lumière débordant de promesse ?

Elle était belle et majestueuse, ornée de pierres sculptées, de femmes et d’enfants portant sur leurs épaules le poids de la société. La fenêtre veillait gentiment sur le sommeil de ses habitants, vigie aux commandes du navire lancé en pleine mer comme un aveugle dans l’éclairage du matin. Se réfugier là, ouvrir la porte, pénétrer dans l’obscurité du porche, et attendre que le soir vous prenne dans ses rêves. Vous êtes la marquise, le valet de pied, le facteur, le visiteur… Peu importe, vous êtes entré dans l’histoire, par cette porte qui pourtant mériterait bien un coup de peinture.

14/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 3)

 Dans mon lit, je me suis longuement retourné. Et si réellement on trouvait une piste ? J’étais profondément excité. Je me suis relevé à un moment pour vérifier sur Internet ce que mon ami entendait par hacker. Je découvris qu’un hacker est une personne qui cherche à comprend et qui comprend même, de façon approfondie, le fonctionnement interne d’un système. C’est un passionné, un peu comme l'étaient les radio-amateurs il y a quelques dizaines d'années. Ce sont eux qui ont créé l’Internet. Leur savoir-faire s’enrichit chaque jour dans des domaines comme la programmation, la sécurité informatique, l’administration d’un système ou de réseau, et même l’architecture matérielle d’un ordinateur. Un hacker n’a rien à voir avec les crackers qui agissent illégalement et de manière malveillante. En fait le hacker est un bidouilleur de première classe pour qui toute informatique est libre par nature. Son but : créer une prouesse informatique, seule hiérarchie dans leur monde. Cette explication me permit de faire connaissance avec un hacker et d’envisager une collaboration.

 Lydie, ma femme, à qui j’avais raconté ma rencontre avec l’informaticien, me dit :

 – Prends garde. La passion conduit à bien des erreurs et détruit de nombreux couples. Ne te laisse pas prendre aux pièges de la connaissance. Elle est à l’opposé de l’action, c’est-à-dire de la vie. La connaissance c’est l’infini, l’action c’est le zéro.

 En une phrase bien sentie, elle avait résumé le problème. On peut toujours penser  à une infinité de sujets, même les plus irrationnels et les plus impossibles. Mais on ne pourra jamais faire des actions contraires aux lois de l’univers. Le zéro est contraint par le un, voire par les millions de zéro plus un chiffre avant le 1. Il se heurte à l’entendement d’un chiffre pour exprimer sa puissance. Sans le un, le zéro n’existe pas, seul l’infini peut encore exister.

 Quelques jours plus tard, je reçu un coup de téléphone. C’était mon ami l’informaticien, Mathias de son prénom.

 – Il est disponible demain.

 – Qui ?

 – Mais le hacker dont nous avons parlé l’autre jour. Il est décidé à vous rencontrer. Il ne sait pas exactement pourquoi, mais il faut en profiter, car il peut rester plus de quinze jours sans voir quelqu’un.

 Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain. Mathias semblait aussi impatience que moi. J’arrivai chez lui avec dix minutes d’avance. Il habitait une sorte de studio en haut d’un immeuble dans le 5ème arrondissement. Il était encombré d’écran, d’appareils, de haut-parleurs  et tout baignait dans une lueur vert pomme que procuraient les boutons ornant certains instruments. Il avait cependant aménagé dans un coin une sorte de petit salon avec un canapé, deux fauteuils et une table basse. Il m’y entraîna, me fit assoir et prit la précaution de m’expliquer ce qu’il ne convenait pas de dire en sa présence. Par exemple, le terme « incompréhensible » le met dans une rage qui lui coupe tous ses moyens. Alors, à éviter. De même, le terme « chercheur ». Il ne peut pas les voir. D’après lui, ils ne font que chercher, mais ils ne trouvent jamais. Ce sont des interrogateurs, mais pas des résolveurs. Ils laissent leur esprit rêver dans un monde confus et volontairement compliqué et se perdent dans des raisonnements tordus qui ne mènent nullement part. Parfois, l’un d’eux trouve quelque chose. C’est la gloire. Il met un habit de soirée, monte sur une estrade, reçoit un objet en or devant un parterre d’applaudisseurs et fait l’objet de nombreux articles de journaux vantant son intelligence, son ouverture d’esprit, son agilité naturelle. Mais la plupart du temps, ils finissent directeur de recherche, un poste administratif qui lui retire toute faculté de penser. Tout alors est lié aux chiffres. Combien coûte tel appareil, combien faut-il engager de chercheurs, combien de temps faut-il pour avoir l’espoir de…

 – Un vrai hacker ne compte que sur lui, me dit Mathias. Il se met face à un problème, se fait une réserve de sandwichs et de bières, ferme sa porte à clé et commence à réfléchir. Cela peut durer plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines. Il ne dormira pratiquement pas pendant ces jours de concentration. Sa machine intellectuelle fonctionne à plein régime. Il émet des hypothèses, les vérifie, les écarte jusqu’à ce que l’une d’entre elles se révèle prometteuse. Il approche, presque, il redouble de réflexion. Jamais une impatience, l’expression d’un manque d’aide ou une vielle résurgence envers la société. Le hacker n’a…

La sonnerie de la porte d’entrée émit un bruit bizarre, comme le couinement d’un lapin qui se fait prendre la patte dans un piège. Mathias se leva : 

– Le voici. Je suis impatient.

13/07/2015

Pourquoi ?

Dis Maman, pourquoi les canards ont des plumes ?
Dis Maman, pourquoi n’ai-je pas des écailles ?
Dis Maman, pourquoi les singes sont poilus ?

Dis Papa, pourquoi les étoiles sont brillantes ?
Dis Papa, pourquoi le jour se lève ?
Dis Papa, pourquoi la nuit est noire ?

Que de questions se bousculent dans sa bouche
Que d’interrogations devant le monde
Que d’étonnement dans ce qui est naturel

Combien les adultes sont heureux et fiers
De ne plus se poser ces questions
Ils en rient entre eux, moqueurs

Ils ont perdu leur innocence
Ils n’ont plus l’esprit curieux
Mais... Pourquoi ne s'émerveillent-ils plus ?

©  Loup Francart

12/07/2015

Communication (2 et fin)

Mais allons plus loin et cherchons à en connaître plus sur la communication de tout un chacun. On constate que les règles utilisées sont assez différentes ce que l’on a énuméré plus haut.

* Transmettre signifie dire à l’autre qu’on existe. Peu importe qu’on ait quelque chose à dire ou non et peu importe si l’autre existe ou non. Ce qui compte, c’est ma volonté d’exister.

* Comme j’ai besoin d’exister, je transmets ce message plusieurs fois : Je ne sais à quelle heure nous arriverons à la gare, nous avons du retard… J’arrive dans cinq minutes… On entre dans la gare… Je suis sur le quai… Je ne te vois pas… Ah, je te vois… Ils continuent à se téléphoner alors qu’ils sont à deux mètres l’un de l’autre et ils se serrent la main tout en tenant leur téléphone portable contre leur oreille.

* Si les échanges ont lieu en SMS, sigle bien connu dont la traduction est ignorée le plus souvent (Short Message Service), encore appelé texto, il faut un diplôme pour comprendre ce qu’il signifie. L’objectif premier du langage SMS était soit d’en accélérer la saisie, soit d’en réduire la longueur. Bjr sava ?koi 2 9. N’entrons pas plus dans le détail. Je n’ai pas le diplôme.

* Cette communication n’a que peu de nuance. Elle impose sa personne et demande l’acquiescement. RDV à XX. Tu peux ? (je rajoute le point d’interrogation qui n’est jamais écrit ou même rendu par l’intonation).

* Quant aux explications, elles sont définitivement bannies de la communication. La première qualité d'une bonne communication est sa brièveté. Alors expliquer, que nenni !

* Quelques arguments fallacieux peuvent cependant être servis : la majorité des Français pensent que… Cette majorité proclamée ne vient pas d’un sondage, mais cela fait sérieux et renforce le message sans aucune preuve.

Là aussi, cessons d’argumenter.

Il importe cependant de faire une remarque. La communication permettait auparavant de justifier les décisions. Dorénavant, elle est première et les remplace. Celles-ci ne sont plus là pour être effectives. Les décisions sont là pour communiquer, dire que l’on fait quelque chose, et non pour agir dans le concret. On crée ainsi des décisions qui n’en sont pas, uniquement pour avoir quelque chose à dire, pour entretenir la communication, pour la restaurer. Oui, la communication a pris le pas sur la décision. Elle règne en maître sur la politique, sur l’administration, sur chaque ministère, sur chaque grande entreprise, voire même sur chaque association, chaque artiste, auteur, etc. Des communicants se proposent. Ils n’ont rien à dire, mais ils savent comment le dire. Ils ont leur mot à eux, leur savoir-faire tel que Like. Ils vous contraignent à cliquer et si vous refusez, vous êtes bannis du message. Avant même de vous dire quelque chose, il vous demande de vous inscrire, de donner votre mail, d’enrichir leur base de données qu’ils revendront au plus offrant. La communication crée de la richesse. Mais sur quoi ?

Certainement pas sur le message. Il n’y a plus de message. Rien de construit, d’intéressant (il faut se mettre à la portée de tous). Rien qui vous permette de vous enrichir l’âme. Celle-ci n’existe pas.

Seul existe le réel, c’est-à-dire la communication. Elle fait tourner le monde et tous ont le tournis. Ceux qui ne l’ont pas sont éjectés par la force centrifuge de la majorité démocratique et républicaine (deux arguments d’autorité incontestables et incontestés bien évidemment).

11/07/2015

Communication (1)

Si l’on s’en tient au dictionnaire, la communication est synonyme de transmission. Elle est message transmis à quelqu’un d’autre pour qu’il en prenne connaissance.

Cette définition incite à quelques déductions :

* Transmettre signifie échanger un message avec quelqu’un. Il semble donc que le message est bien le plus important. Si l’on n’a rien à dire, à quoi sert de communiquer.

* Ce message doit forcément apporter quelque chose de nouveau. La communi-cation ne devrait donc pas consister à transmettre sans cesse le même message ou à le redire d’une autre manière sans apporter quelque chose de nouveau.

* Ce message doit être intelligible, facilement compris par tous et exempt de fautes ou d’expressions incompréhensibles. Pourtant combien de nouvelles formules sont inventées chaque jour pour tromper ou dérouter le commun des mortels. Est-il par exemple plus communicateur de parler de Grexit que de sortie de la Grèce de la zone Euro ?

* Communiquer ne signifie pas imposer quelque chose à quelqu’un et encore moins le tromper. La vraie communication doit laisser libre l’interlocuteur et ne peut imposer une pensée unique et contester tout droit à ne pas adhérer. Elle s’accompagne donc d’un principe de liberté de pensée et d’expression. L’auditoire doit rester libre d’adhérer ou non à l’opinion qu’on lui propose.

* Il est donc important d’expliquer. On ne peut se contenter de dire ce que l’on prétend sans en donner de bonnes raisons de croire ce que l’on dit. Le message doit donc être argumenté.

* Argumenter, c’est chercher à faire adhérer par la raison sans contrainte. Ces explications ne peuvent être des arguments conservateurs qui s’appuient sur l’acquis, l’admis, le préalable et la tradition ou des arguments novateurs qui visent à reconstruire un cadre de référence, une nouvelle représentation.

* Les arguments fallacieux tels que l’étiquetage (racisme, homophobie, etc.), la généralisation séduisante (la vitesse tue, les riches doivent payer, etc.), l’argumentation sélective et bien d’autres types d’argumentations fallacieuses, ne permettent pas de communiquer. Elles brouillent la communication et la rendent inefficace.

Maintenant, abandonnons cette série de déductions. Trop expliquer peut également tuer la démonstration. Demandons-nous s’il s’agit réellement de cela aujourd’hui lorsqu’on nous parle de communication.

Prenons quelques exemples de la vie quotidienne.

Hier, comme à l’accoutumée, je me déplaçais en vélo dans Paris sur une piste cyclable clairement identifiée. Trois fois je dus m’arrêter parce qu’une personne, homme ou femme, était le nez dans son Smartphone, coupé totalement du monde réel, à mille lieux d’un carrefour où se croisent des véhicules divers dans tous les sens. La dernière personne, à qui je fis remarquer qu’elle avait un comportement irréfléchi, me fit signe qu’elle communiquait et que cette communication était bien plus importante que le reste. Le geste d’accompagnement de l’explication (une gestuelle de mains et bras mouvants au-dessus de la tête qui se finit par les deux mains tremblantes face à face avec sa tête au milieu tremblant également) suggérait la formation de nuages invisibles au-dessus de sa tête qui la pénétraient totalement.

Lorsqu’il vous arrive de prendre le métro, vous constatez qu’au moins 80 % des gens ne cessent de communiquer. Ils sont le nez (ou l’oreille) dans leur appareil, appuyant avec force doigts sur l’écran qui s’illumine en éclairs insolites et terrifiants pour ceux qui se contentent de regarder. Rien ne peut en distraire l’utilisateur. Vous pouvez essayer de lui poser une question. La première fois, vous n’êtes pas vu, donc pas entendu. La seconde fois, vous êtes vu, mais pas entendu. La troisième, après que votre interlocuteur ait sorti ses oreillettes de ses conduits auditifs, vous êtes vu, entendu, mais pas compris. Votre interlocuteur est dans son monde, si différent de ce que son corps vit au même moment. Alors il ne comprend pas ce qu’on lui veut. Enfin, la quatrième fois, après des instants d’hésitation lisibles dans ses yeux, il répond comme s’il avait entendu dès la première fois votre question. Pardonnez-lui… Il communiquait…

(suite demain)

10/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 2)

En effet. Cette histoire de zéro n’est pas tout à fait logique. Le zéro est une bascule ; il permet de passer de droite à gauche et inversement, comme il permet de passer du positif au négatif. Chaque chiffre est un point quantifiable. Le zéro est-il un chiffre ? C’est plutôt une zone d’ombre, un trou noir dans notre tête comme il y a des trous noirs dans l’univers. Cette zone d’ombre est difficile à cerner. A quel millionième de millionième appartient-il, avant le un ou avant le moins un ? Je n’ai pas de réponse. Mais si l’on va aux autres extrémités, le zéro voisine l’infini. Ne serait-il pas le jumeau de ce nombre qui n’est, non plus, pas un nombre.

Je me trouvais au jardin des Plantes. Il était neuf heures du matin, par un beau temps qui réjouissait la vue et les odeurs. Mais je ne voyais rien. Oui, je constatais que je devenait accro. Je sais que tous les passionnés sont accros. Je sais même que rien ne se fait de bon ou de bien dans l’univers sans un peu et même beaucoup de passion. Mais dans le même temps, j’avais toujours tenu pour fêlés les hommes ou les femmes qui n’avait, pour toute une vie, qu’un seul but dans un seul domaine, parfois risible. Ainsi ceux pour qui l’argent est tout. Peu importe la façon de le gagner et les compromis auxquels il vous entraîne. Ceux également pour qui la notoriété seule compte. Ils sont prêts à se compromettre pour un article dans un journal quelconque. Je vouais par contre une certaine admiration pour le terme « Renaissance man », utilisé aux Etats-Unis pour désigner les personnes cultivées dans de nombreux domaines et dont l’objectif est de se connaître soi-même. Mais quel travail cela demandait ! Certains jours, j’étais prêt à arrêter. De toute ma vie, je ne pourrai jamais acquérir ces connaissances et, encore moins, en faire une synthèse qui en vaille la peine. Alors, à quoi bon !

Pourtant je persistais, à côté d’autres passions : la plongée sous-marine, la théorie de la musique, la poésie, et bien d’autres encore. Je m’acharnais à entrer en connaissance avec l’univers. Bien vaste sujet, si vaste qu’il m’aspirait progressivement. J’étais comme une étoile naine, perdu dans l’immensité inconnue.  J’expliquais à l’informaticien cette énigme : transformer la dualité « Un – Zéro » en un nombre synthèse qui permettrait de passer d’un monde à l’autre et de revenir. Il me regarda un moment. Je voyais dans ses yeux l’affolement qu’introduisait cette idée. Il devait se demander si j’étais normal. Non, évidemment ! Mais les grandes découvertes ne proviennent-elles pas de personnes quelconques qui se posent des questions que personne de sérieux ne se pose. Après une minute de silence, il répondit :

– Sujet intéressant ! Mais sommes-nous assez avancés pour nous poser cette question ?

Une affirmation, une question en réponse à une question. Je veux de vraies réponses, moi ! Je le dis brutalement, peut-être trop, mais peu importe. J’avais déclenché un intérêt nouveau pour une question urgente. Et notre informaticien s’y plongea, jusqu’au cou.

Deux jours plus tard, il revint vers moi, me prit par le coude et m’entraîna vers la place de la Sorbonne. Il me fit assoir près de la fontaine et me dit, d’un ton de confidence :

– J’ai trouvé !

– Quoi donc ?

– pas encore le nombre. Mais un chemin probable qui doit y mener.

Mon esprit, alors à mille lieux de cette affaire, fut retourné en une seconde. Je le regardais attentivement. Il ne semblait pas se moquer de moi. Il était très sérieux, raisonnable et passionné lui aussi. Il commença à me donner des explications que j’eus beaucoup de mal à suivre et encore plus à comprendre. Aussi suis-je incapable de vous répéter son discours. Je fus néanmoins convaincu d’une avancée dans le domaine, légèrement certes, mais importante. Si j’avais bien compris, il s’agissait de trouver le mot qui réconcilie les opposés, ce que je savais déjà. Mais comment ? La nature de notre monde n’était-elle pas de fonctionner par paire d’opposition, voire, parfois, de conciliation, mais toujours par pair. Alors comment arriver, dans ce monde, à atteindre un nombre qui fonctionne seul, sans pair. Jusqu’à présent il n’y avait que le zéro et l’infini  qui fonctionnait ainsi. Le troisième nombre, l’irréalisable, méritait d’être découvert. Il devait faire la synthèse entre le un, premier des nombres, et le zéro, qui n’est pas réellement un nombre palpable. Ce nouveau nombre était-il possible, sous quelle forme ?

Nous parlions poussés par l’inspiration, l’imagination, la créativité. Nos cerveaux correspondaient sans perte de temps, en harmonie, bien huilés. C’était un plaisir. Mais nous n’avons pu avancer au-delà de ces quelques pauvres idées. Comment trouver ce court-circuit entre les oppositions ou les contraires, c’était toute la question ! Juste au moment de nous quitter, il me dit :

– Je connais un hacker spécial. C’est lui le chemin. Il fait des trucs incroyables. Je l’ai connu grâce à mon fils qui est également informaticien. Je vous le présenterai un jour, prochainement.

09/07/2015

Sommeil

L’air reste lourd, chargé de poussières.
Une à une, les voitures passent.
Puis un silence... A nouveau...
Un bourdonnement imperceptible
Qui grandit jusqu’au hoquet ombrageux
De son passage au bout de la rue.
Là... Elle est passée... Plus rien…
Et, encore, le bourdonnement,
Comme une étrange horloge
Pénétrant sournoisement dans notre univers.
Un bruit de vagues sur la plage
Rythmé par le feu rouge passant au vert
Situé plus en arrière, maître de ces intermittences.
Et maintenant, j’attends…
J’attends que revienne l’entendement
D’une situation si quotidienne
Qu’elle procure un engourdissement naturel.
Les pensées se brouillent dans la voûte
Elles deviennent confuses.
Seul le bourdonnement les réveille.
Broo… â…âm. Je n’ai plus la force
De les écarter. Elles emplissent le noir
Et retombent à plat, sans préavis.
Tous marchent dessus.
Le trottoir est couvert de feuilles de papier
Emplies d’une écriture fine
Qui ne va jamais au bout d’une phrase.
Cela porte un poème, parait-il.
Des kilomètres qui ne s’arrêtent
Que lorsque les paupières closes
Immobilisent leur tremblement.
Plus d’image, plus de sons.
Quel étrange monde que celui du sommeil…

©  Loup Francart

08/07/2015

Journée européenne de l’opéra, le 7 mai 2010

 https://www.youtube.com/watch?v=NLjuGPBusxs#t=351

Quelle étrange et merveilleuse initiative que celle de l’opéra de Pampelune pour cette fête européenne de l’opéra. Le spectacle n’est plus sur la scène. Il est descendu vers les spectateurs, dans leur vie de tous les jours et cette vie quotidienne devient la scène, où se vivent des instants précieux, que l’on ne voit pas habituellement. Inversion des sensations, nous passons dans un monde où la musique devient la norme. Plus de paroles, des chants !

Depuis quelques temps, ces moments fleurissent et font chaud à l’âme. Les anges passent, chantant de tous leurs cœurs, semant la joie dans une assemblée quotidienne, là où personne ne les attend. Etonnement, confusion parfois, mais très vite tous applaudissent et souhaitent que cela ne s’arrête pas.

Alors vous aussi, chantez ! 

07/07/2015

Le nombre manquant (récit insolite : 1)

– Le monde n’existe que parce qu’il y a autour cette matière noire dont nous ignorons tout. On ne la voit pas, on ne l’entend certes pas. Mais elle est et elle est vérifiable.

Ainsi, en une phrase très courte, ce professeur allait bouleverser ma vie. Je me trouvais dans l’amphithéâtre de la Sorbonne ce vendredi 3 juillet 2019, entouré de mes condisciples. J’avais choisi ce cours singulier au Collège de France parce que ne faisant pas partie des cours habituels de formation à un diplôme quelconque. Je ne sentais pas armé pour aborder une formation diplômante. La plupart de mes condisciples était comme moi. Mon voisin est plombier, celui qui se trouve devant moi est communiquant, celui-là, là-bas, est informaticien. Un type très fort, toujours plongé dans sa machine. C’est sympathique d’être entouré de telles personnes. Nous aimons nous retrouver pour les cours, mais nous ne nous voyons pas en dehors. Pourquoi ? Je ne sais. Chacun a sa vie, son travail. Certes, nous partageons une passion commune, la connaissance de l’univers. Mais même cette passion est tellement vaste que cela ne nous rapproche pas suffisamment. Quels lointains rapports entre le monde matériel que certains cherchent à percer et un monde spirituel qui se cacherait derrière le premier. Je ne parle pas de théologie, ni même théosophie, qui sont des débordements de l’imagination humaine, mais de cette quasi-certitude d’un autre monde derrière ou englobant le premier. Un jour, l’un de ceux qui assistaient à ces cours en parla. Nous étions allés prendre une bière à la sortie, ayant eu trop chaud dans l’amphi.

– Moi, ce que j’aime dans ce cours, c’est le constant sous-entendu d’un ou plusieurs autres mondes.

Tous avaient commencé par dire que c’était complètement faux et que le professeur n’avait jamais dit cela, ni même suggérer cela.

– Comment ? Mais bien sûr que si ! Certes, il a toujours parlé à mots couverts : matière noire, énergie noire, trous noirs. Pourquoi noirs ? D'après Confucius, attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est la chose la plus difficile qui soit, surtout s'il n'y a pas de chat dans la nuit où l'on cherche. C’est pour cela que le prof n’en parle pas. Actuellement, personne ne sait s’il y a un chat ou non.

Cette pirouette ne nous convainquit pas. Mais tous nous connaissions l’histoire du chat de Schrödinger, ce chat à la fois mort et vivant parce qu’il est très petit et donc soumis à la physique quantique. Quel rapport avec ce que nous disait Ulrich (c’était son prénom, car il était d’origine germanique) ?

– Très simple. Les changements de la loi de la gravitation. A l’occasion de ces changements, se produisent des fentes qui laissent supposer les entrées dans un ou plusieurs autres mondes. Mais pour l’instant on ne sait pas ce qu’il en est.

La conversation en était restée là. Nous étions tous passionnés, mais pas suffisamment savants pour aborder ce problème plus à fond.

Une autre fois, j’avais également été intrigué par notre confrère l’informaticien. Il connaissait un peu la physique et s’intéressait à la recherche de nouveau type d’ordinateurs, ce qu’il appelle des transcriptors. Les chercheurs de l’université de Stanford avaient développé en 2013 un transistor biologique qui permet de stocker, transmettre et effectuer des opérations logiques sur des informations comme tous les ordinateurs. Depuis rien. Aucune information. Et pourtant la recherche avait avancé. Mais jusqu’où ?

Un jour, nous avions quitté l’amphi en avance. Les explications du professeur Foiras était trop difficile pour nos petits cerveaux. Nous nous étions promenés sur les quais de la Seine, au frais. Il m’avait confié qu’il travaillait sur le problème épineux des oppositions et qu’il se focalisait sur le zéro. Pour certains, ce n’est pas un nombre. En effet, un nombre permet de compter, de dénombrer. Il correspond à une quantité. Lorsqu’il n’y a pas de quantité, il n’y a pas besoin de zéro. Il n’y a rien, pas de nombre. Pour d’autres, inversement, le zéro permet de cerner la réalité avec précision et efficacité. Il ferme, avec la notion d’infini, la compréhension des mathématiques, langage universel, voire langage divin.

Mais aujourd’hui, je me heurte à un problème autrement plus complexe, celui  d’un chiffre manquant capable de faire une synthèse efficace et élégante entre le un et le zéro.

05/07/2015

Portes (1)

Lorsqu’on voit une porte en imagination, que voit-on en premier ? En ce qui me concerne, je vois son déplacement, cette bascule autour des gonds dans un mouvement lent, mais déterminé. Le cœur bat. Oserai-je pousser et entrer sans savoir ou bien dois-je rester en deçà dans un mystère insoluble par indécision ? Cet instant précis où le montant se met à tourner, volontairement ou involontairement, est chargé d’émotion. Il peut même être emprunt de sentiments, mais cela suppose que l’on ait une intention. Alors il n’y a plus la surprise de l’inconnu, mais celle de la motivation initiale.

Partir à la découverte des portes cochères de Paris c’est un peu partir vers l’inconnu. On en voit à chaque pas. On ne les remarque pas. On peine à les ouvrir. On s’intéresse à ce qu’il y a au-delà. Ne nous reste en tête que le bruit du battant qui, se refermant, émet un son creux, tonitruant ou doucereux. Le couperet d’une lame de guillotine qui se referme sur votre gorge.

En voici une, stricte, belle malgré tout, ornée, pleine de lauriers. Elle n’est pas grise, mais bleu gris ou gris bleu. Peu importe. On la sent solide sur ses pieds, volontairement fermée. La loi seule l’ouvrira et révèlera ce qui se cache derrière. Elle est symétrique. On ne sait quel côté s’ouvre. Seul le rectangle du bas est plus grand pour laisser passer les pieds du passant qui cherche à s’immiscer dans son intimité. La porte de justice… Titre d’un thriller haletant, mais réservé aux initiés.  

Celle-ci, avec ses grilles ouvragées, rappelle une prison ou tout au moins un lieu clos non ouvert à tous. Elle est solide, bien faite, avenante même. Que cache-t-elle, une cour des miracles, un lieu de retraite, l’isolement des perdus de ce siècle ? Dommage cependant qu’elle se soit laissée atteindre par la fièvre de la publicité, ces ex-voto de part et d’autre de son assise, disant à tous : « Oui, nous sommes là, entrez donc ! Montez dans les étages, c’est ouvert à tout vent ! » Mais la porte est fermée, puissamment, telle une tour de veille dans les rues où déambulent les passants.

Cette autre, majestueuse, protégeant les richesses d’un propriétaire soucieux de son aisance. Le grand siècle de Louis XIV, imposant, protecteur d’un monde précieux, fait de figurines posées sur des meubles cirés. Un rouge serein, lourd, chargé de secrets et d’escapades nocturnes que personne ne doit connaître. Ne laissez pas traîner vos pieds au bas de la porte, l’or qui s’y trouve vous contraint à les lever haut.

04/07/2015

Fièvre

Jour et nuit…
L’étouffoir…

Vous respirez...
Mais sous une bâche

Les bruits vous parviennent
Ralentis par la moiteur
 
Vous n’avez pas la force
De tendre le bras...
Vous le laissez retomber
Entre les draps brûlants

Votre front ruisselle…
Nu, souhaitez-vous aller…
Mais est-ce possible ?

Vous enviez les filles…
Petite robe, très petite
Qui flotte au vent
Elles vont partout
Où se presse l’ombre
Et étirent leurs jambes
Sur la terrasse d’un café

Les enfants jouent toujours
Mais ils se sont amollis
Ils ne crient plus pointu
Une somnolence les imprègne
Ils ne peuvent se serrer
Contre le cou de leur mère…
Trop collant…

L’homme, digne de lui-même
Se réfugie dans le glaçon
D’un verre au bar bruyant
A l’odeur aigre de promiscuité

Le garçon n’en peut mais…
Il ploie sous le fardeau tintant
De ses verres enchevêtrés
Qu’il jette distraitement
Dans l’eau fraîche du bar

Ah, vous glisser dans cet évier
Et vous laisser couler dans la bonde
En mille perles d’eau fraîche
Jusqu’à complète dissolution !

Blup… Blup…
Puis…
Le savez-vous ?

©  Loup Francart

03/07/2015

Le mythe de la caverne

« Figure-toi, des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. » (Platon, La République, livre VII)

Cette caverne est une épreuve. Mais elle mène à la vérité que l’on ne trouve que par soi-même en apprenant à répondre aux questions qui se posent à travers son existence.

Cette photo a été prise un après-midi où le soleil inscrivait en ombre chinoise sur une porte les objets posés sur un muret. Elle illustre bien ce mythe ou cette allégorie. Elle symbolise le passage du visible à l’invisible. A chacun de nous de trouver la porte ouvrant sur le réel inconnu des hommes. Qui est le plus réel : les objets, leur ombre, la porte (un mur) ou la serrure qui ouvre sur un autre monde, ou encore cet autre monde lui-même ?

02/07/2015

Mustang, film de Deniz Gamze Ergüven

Cela semblait tellement absurde cette colère d’une société désuète devant un amusement d’adolescents, que j’ai failli partir dès les premières images. L’histoire est restée absurde, puis s’est transformée en tragédie avec les mariages forcés, la mort de l’une d’entre elles et la fuite finale des deux dernières. C’était des filles comme toutes les adolescentes occidentales, joyeuses, drôles, sans arrière-pensées. Elles s’entendaient bien, si bien que la maison devenue prison, restait vivable. Mais elles doivent partir une à une, au bras d’un adolescent, mariée contre leur gré.

En réfléchissant, l’histoire ne vaut pas grand-chose, seule compte le film, c’est-à-dire la succession d’images vivantes, de rires, de surprises, d’étonnement. Rien de larmoyant. La joie explique mieux le déphasage entre un monde macho et quotidien et des adolescentes débordantes de vie.


« Je ne voulais pas seulement dépeindre ces filles comme les victimes d’un système, mais également rendre compte de leur vitalité et de leur aspect résolument solaire, tourné vers la vie malgré tout. Quels que soient les cadres qui se referment de plus en plus sur elles, elles cherchent à préserver leur fougue et leur liberté intérieure. », explique Deniz Gamze Ergüven.