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30/06/2015

Transe

Il courut longuement dans la plaine
Sans savoir où aller et se réfugier
Il fuyait ses cauchemars et ses rêves
Et ne savait comment les effacer
Autrefois, il avait appris l’égarement
Et pratiquait l’oubli et la désinvolture
Mais toujours on lui dit : « Souviens-toi ! »

Alors aujourd’hui sa mémoire est pleine
Et déborde de présupposés gris
Sa course s’alourdit et colle
Au palais qui ne peut que bégayer
Devant les mots qui veulent sortir
Aucun ne veut céder sa place
Et tous se bousculent et grincent
Si bien que rien ne vient d’intelligible
D’une bouche si bien faite

Il la vit sur le pont, venant vers lui
Sa chevelure au vent, l’œil ouvert
La joue rosie d’une course récente
Elle poursuivait mots et images
Mais sa jeunesse était un poids
Elle le vit, oublia sa poursuite
Son seul regard enfiévré tourné
Vers cet homme qui venait vers elle

Elle ouvrit les bras, tremblante
D’un désir imperceptible et nouveau
Il se réfugia dans cette immensité
Et ils partirent à deux, légers
Sans autre bagage que leurs corps
La tête vide de désirs
L’âme en transe

Elève-moi…

©  Loup Francart

29/06/2015

Les compagnons du devoir et du tour de France

Se former chez les Compagnons du Devoir, c’est avant tout apprendre un métier, en alternant un enseignement théorique et une formation pratique en entreprises, en voyageant grâce au Tour de France, en partageant des expériences et des moments de vie en communauté dans les maisons de Compagnons.

La formation s’achève par un chef d’œuvre. Celui-ci démontre non seulement la technique du compagnon, mais également son intelligence, sa sensibilité, son sens de l’observation et sa patience.  Et l’on constate ainsi que l’artisan peut-être un artiste bien meilleur que tous les soi-disant artistes contemporains dont seule la morgue surclasse les compagnons.

Mais la réforme de la taxe d’apprentissage risque de tout remettre en cause. Celle-ci sera désormais à la charge des régions et ne pourra être collectée directement par les organismes de formation. Et pourtant, le Compagnonnage du Devoir est sans doute le plus ancien organisme de formation professionnelle. Ses origines se situent vers le XIIème siècle et, jusqu’à aujourd’hui, il a toujours maintenu une tradition de transmission.

28/06/2015

Le temps

Le temps te presse… Rien ne va plus
Le cerveau dévide sa faiblesse...
En jaillissent des  pourritures nobles
Mais rien de sérieux ne vient
A peine couché, tu te lèves, hagard…
Qu’ai-je dormi dans ce brouhaha
D’odeurs délavés et rugueuses…

Le temps te presse… tout va bien
Le corps étire sa force, en extase
Plus de sommeil, ni de repos
Tout entre en jeu, à fleur de peau
Devant l’inique débordement
Et la langueur des nuits d’été
A la poursuite du temps qui passe…

Le temps te presse…. Rien ne reste
Ni le souvenir des culbutes enfantines
Ni l’épais éclair des chutes de l’ange
Ni le chaud enveloppement de bras
Des femmes aux baisers profonds
Ni même cet étrange songe lisse
D’un trou noir s’emparant de tes rêves
  
Le  temps te presse… Et tu résistes
A l’appel de la fin des temps
Oublie tout,  ne crois en rien
Que l’absence s’installe au centre
De ton être et t’aide à descendre
Vers le puit sans fond et lumineux
Seule colonne qui doit rester debout…

Le temps te presse… Ne te presse pas...

27/06/2015

Naissance

Un clin d’œil au cosmos envahissant qui déforme la vision contemporaine. Ne sommes-nous que des morceaux de matière agencés par le hasard ou sommes-nous une porte vers d’autres mondes ?

L’énigme reste entière, mais au fond de nous, il existe une lueur qui fragmente la matière et la rend spirituelle.

26/06/2015

Chant juif : Prière, interprétée par Sonia Wieder Atherton

https://www.youtube.com/watch?v=suAwiZ0y4Pk 


Mode traditionnel, un écart de quarte avec un demi-ton entre les deux, ce qui laisse un ton et demi au milieu. C’est l’usage en Orient. Cela peut-être vulgaire dans la ripaille, mais cela aussi peut-être poignant et nostalgique. Ici, c’est une prière qui monte en colonne droit vers le ciel. Mais cet usage est ici employé d’une manière plus complexe avec des tonalités tantôt mineures, tantôt majeures, ce qui donne une ouverture : de l’émotion vers le sentiment.

Autre est le duo Seraphim-Claudio Monteverdi. Toute la sensibilité occidentale dans un tremblement léger des cordes qui ouvre le cœur en une mélodie sur trois notes sol, la, si bémol, donc mineure, et qui s’achève sur une pirouette, une note ascendante majeure, un si triomphant de simplicité.

25/06/2015

Haïku

Un haïkiste a le désir de retenir ce qui fuit, de ne pas laisser échapper ce qui passe. Désir surtout de manifester son assentiment  à tout ce qui survient : à tout ce qui bonnement est. Un haïku, c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment. (Fourmis sans ombre, le livre du haïku, Anthologie-promenade par Maurice Coyaud, Libretto,1978)

 

Lever de soleil, il est cinq heures. J’émerge de la houle des draps. Je me lève, ferme la porte de la chambre et regarde au dehors.

Le haïku surgit :

 

Regard rosé de l’aurore
L’ombre se noie entre les immeubles
Comment les empêcher de tomber ? 
 

24/06/2015

Dirk Verdorn, peintre de la Marine

 

 « Le Corps auquel appartiennent les peintres de la Marine a été créé officiellement en 1830.

Il existe deux catégories de peintres : les peintres agréés et les peintres titulaires. Ces derniers ont le rang de Capitaine de Corvette et les peintres agréés de lieutenant de Vaisseau. Ces peintres sont conviés à embarquer sur les bâtiments de la Marine nationale. Leurs missions : reportages de la vie à bord, des escales, des paysages traversés... ils réalisent des croquis, des aquarelles ou encore des peintures. L'ancre marine suit la signature des Peintres officiels. Un privilège disent certains... Au-delà de la maîtrise de leur art, ces peintres éprouvent une attirance forte pour le paysage marin. ils ont "l'eau de mer autour du cœur et sa couleur dans les yeux ».

(From : http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/di...)

Admirez ce ciel de rouille, comme celle des coques de navires les jours d’hiver. Il n’existe pas, mais il fait plus vrai que nature. A le regarder on sent l’odeur de l’iode et de mazout des ports atlantiques.           

Là aussi, un univers de couleurs où le ciel et la mer se rejoignent sur l’horizontalité et la verticalité. La toile se partage entre la tradition du bleu marin et la modernité rouge de l’industrialisation.

Et toujours l’appel du large, de la déraison, de l’immensité où lumière et profondeur se rejoignent pour former un monde à part, chargé d’émotions.

Le gigantisme s’affronte, d’un côté la brutalité de l’océan dont pourtant les vagues dentelières sont presque féminines et de l’autre la force brute du métal assemblé par l’humain. 

L’homme lui-même, le marin, n’apparaît pas. Il est trop petit. Il s’oublie devant l’inexprimable, son émotion n’apparaît que par transposition, celle d’une toile peinte qui retrace la vie des marins faite de fureur et d’oubli.

23/06/2015

La formation de la noosphère, de theilhard de Chardin

C’est un nom qui fait rêver scientifiquement. De quoi veut-on encore nous parler ? Du sens du collectif, nous dit le Père Teilhard. Et celui-ci s’efforce de proposer une perspective cohérente de la « Terre pensante ». L’humanité ne représente qu’une coupure infime par rapport aux grands primates, mais elle occupe une place exclusive parmi les autres vivants. Pourquoi ?

Pour Pierre Teilhard de Chardin, c’est la formation, à partir et au-dessus de la Biosphère, d’une enveloppe planétaire de plus, qui peut expliquer cette rupture. La Biosphère est la zone terrestre contenant la Vie. La noosphère vient de Noos, esprit : sphère terrestre de la substance pensante.

Le livre intitulé L’avenir de l’homme présente les principaux essais que Teilhardhomme,humanité,pensée,avenir,socialisation de Chardin a consacrés au devenir de l’humain. Dans l’un d’eux, écrit en 1947, La formation de la Noosphère, il donne sa vision en quatre parties : la naissance de la noosphère, son anatomie, sa physiologie et ces principales phases de croissance. Ce qui le frappe, c’et avant tout la faculté de celle-ci à s’organiser, passant de groupes de chasseurs à des groupes d’agriculteurs, puis des civilisations et de véritables empires. Comment va s’opérer le passage à la totalité de la terre ? Ce qui est sûr, c’est que la planétisation ne peut qu’avancer jusqu’au moment où elle atteindra le sommet de la réflexion, point subtile de conscience et de complexité. Mais ce sommet même sera lui aussi dépassé par l’exigence d’irréversibilité qu’implique la noosphère.

Ainsi, c’est vers une plus grande liberté que l’avenir de l’homme se construit, contrairement à ce que nous avons tendance à penser du fait d’une pensée individuelle et non collective. Pour Pierre Teilhard de Chardin, ce n’est qu’en nous plongeant au cœur de la Noosphère que nous pouvons espérer, que nous pouvons être sûrs, de trouver, tous ensemble aussi bien que chacun, la plénitude de notre Humanité.

Mais encore faut-il que les hommes s'entendent sur le mot socialisation !

22/06/2015

Max mon amour, de Michel Portal

http://www.youtube.com/watch?v=fycg2BAeuGI&feature=related


 

Un sol dièse descendant d’un ton, un silence, renouvellement mais un ton plus bas, fa dièse, fa, un demi-ton seulement. Quelle étrange mélodie. Le frôlement des vagues à leur arrivée sur le sable d’une plage pendant que l’on contemple le coucher de soleil sur le trait imperceptible de l’horizon. C’est l’heure où plus rien ne bouge, où l’homme se fige dans le sommeil. Et vous êtes là, sans pensée, sans sentiment, une simple sensation qui s’échappe de vous et court sur les flots.

Pas de changement de rythme, quelques notes de plus, puis un retour à la détresse de l’heure avant que ne s’échappe la dissonance voulue, espérée, recherchée, avant qu’elle ne vous éclate au visage. De la surface de l’océan surgissent de nouvelles images, des feux d’artifice qui papillonnent devant vos yeux avant de s’éteindre pour le retour à l’accompagnement : un ton, puis un demi-ton descendant. Une complainte terne en apparence, un leitmotiv obsédant qui vous rappelle à vous-même. Et tout à coup vous partez en rêve, dans un tourbillon de sons, d’éclairs, de lumière, plus doux qu’un orage, mais pressant. Il ouvre à l’inconnu. Oui, c’est une porte ouverte sur un monde différent, que vous ne pouvez qualifier.

http://www.youtube.com/watch?v=lweHrE8XXSs&feature=related


Le deuxième morceau reprend le thème de fond qui lui permet d'improviser une véritable tempête de sons. Vous coulez, vous vous laissez couler, engloutir dans cette eau calme pour rejoindre le monde invisible des grands fonds. Et vous vous laissez dériver au gré des courants marins comme un immense cétacé. Vous respirez la senteur ineffable d’une vie autre que vous ne pouvez comparer à aucune autre.

Retour à l’homme, au monde physique, à l’agitation débordante. Oui, l’humain est là, toujours présent, encombrant la nature de ses désordres fantasmagoriques.

21/06/2015

Vert

Les matins de cinq heures sont les plus beaux…
La brume encore noie les couleurs :
Le pastel domine, mêlant les verts.
Sortir à cette heure, c’est se baigner
Dans l’eau vive de la résurrection.
Les senteurs se font plus ardentes
Et les bruits plus discrets,
Vos caresses dans l’air frais plus vibrantes.
Vous marchez sur la soie
En toute discrétion, humblement,
Attentif à ne pas dépareiller l’ordonnancement
De ce jardin délicatement posé
Qui s’impose désormais à vos yeux.
Verts tendres des dernières feuilles,
Verts rouillés des premières,
Verts profonds de l’intérieur,
Verts assoiffés des jeunes pousses,
Verts bleutés sous la haie,
Verts jaunissants de la prairie,
Verts orangés du marronnier malade,
Verts transparents du verre
Que vous tenez en main
Pour célébrer ce jour et fêter
La fin d’une nuit si petite
Qu’elle est passée en catimini
Ouverte à tous les vents.
Et baissant le regard sur le vert gazon,
Vous remarquez ce vers qui coule
Entre les brins d’herbe sa vie paisible.

Vers quoi allez-vous donc aujourd’hui ?
Je m’applique à versifier la montée du jour
Pour réjouir l’esprit de l’abondance
Et que ces vers bercent ceux qui ne voient
Que maisons, trottoirs et autobus.

©  Loup Francart 

20/06/2015

Matinales (13 et fin)

Le lendemain, Amélie avait hâte de plonger et de retrouver ce monde qui s’offrait à elle. Elle avait eu du mal à s’endormir, pensant à sa propre vie. Oui, le jeune homme avait raison. Elle avait un problème et elle venait juste de comprendre lequel. Désormais elle se consacrerait à cette recherche, quitte à délaisser la vie quotidienne.

Elle s’habilla, prépara son sac à dos et prit le chemin de la piscine en courant. Cette course la réveilla. Les gens croisés avaient l’air heureux. Elle fit signe à une vieille dame qui lui répondit aimablement. Elle posa sa main sur les cheveux d’une petite fille qui lui sourit. Oui, le monde était transformé. Ou plutôt, elle était transformée. Lorsqu’elle arriva dans la rue de la piscine, elle vit de nombreux véhicules stationnés n’importe comment, des voitures de police et de pompiers dont les gyrophares tournaient sans cesse. Les habitants étaient aux fenêtres contemplant ce spectacle sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Elle s’approcha du policier qui semblait filtrer les personnes autorisées à pénétrer dans le cercle fermé par une bande d’interdiction rouge et blanche.

– Je suis une habituée. Je viens tous les jours et j’ai oublié quelque chose hier dans le vestiaire. Puis-je aller le chercher ?

– Vous ne pouvez entrer dans le bâtiment. Il risque de s’écrouler. Mais allez donc voir le maître-nageur, il vous dira ce qu’il en est.

– Merci.

Amélie avança, vit le maître-nageur, le salua et lui demanda ce qu’il se passait.

– Hier soir avant la fermeture, mais heureusement il n’y avait plus personne dans le bassin, j’ai vu un énorme bouillonnement se former à la surface de l’eau. Beaucoup plus fort que l’autre fois. Et progressivement, le bassin a commencé à se vider. Il a perdu un mètre en quelques minutes, puis deux, laissant à découvert le petit bain. Une sorte de siphon aspirait l’eau qui restait dans le grand bain, mais l’eau ne baissait plus. J’ai fait venir les pompiers, la police est arrivée. On craint que le bâtiment n’ait subi des dommages irréversibles. La piscine est bien sûr fermée. Elle ne rouvrira peut-être jamais. Les experts sont en train de l’examiner. Vous allez mieux ?

– Oui, je suis remise. Merci. Quel dommage. Il va falloir que je trouve une autre piscine.

Elle n’en dit pas plus, assommée par cette nouvelle qui la coupait de ce monde captivant dans lequel elle avait été plongée pendant quelques jours. Plus de contact. Plus jamais, probablement, se dit-elle.

Elle dit au revoir au maître-nageur, franchit en sens inverse la bande d’interdiction et partit en courant, souriant au monde des hommes, au soleil du matin et à cette vie nouvelle qui s’offrait à elle en ce jour nouveau. Elle savait que ce serait dur, qu’elle trébucherait. Mais elle avait désormais une certitude que personne ne pourrait lui enlever. Sa vie avait un sens.

19/06/2015

Matinales (12)

La femme l’attendait, flottant entre deux eaux. Elle n’avait pas bougé et elle souriait comme si elle voyait sa famille.

– Pourquoi dites-vous que votre petit garçon sait ? Lui demanda Amélie.

– Les enfants ont des capacités insoupçonnées. Ils gardent en eux le souvenir du vrai monde. Les adultes les trouvent affabulateurs, mais ils savent. Cela s’estompe progressivement entre la deuxième et la troisième année, lorsqu’ils commencent à s’ancrer dans l’univers. C’est à cet âge que commence leur mission, comme pour tous les hommes et les femmes sur terre. Cette transition est nécessaire. Elle met en eux la certitude d’un autre monde, même s’ils l’oublient ensuite. Cela reste en arrière-fond dans leur inconscient. Ils peuvent en rêver ou, lors d’un moment difficile, en avoir une faible réminiscence qui les aidera à se dépasser. Ils peuvent aussi, à moitié de leur vie, s’interroger sur eux-mêmes et se mettre à chercher. Ils se mettent en quête d’une autre vie, plus intime, plus tournée sur leur propre réalisation. Chacun réagit différemment, mais beaucoup d’entre eux sont travaillés par ce rappel à soi qui peut être brutal ou tout à fait inoffensif.

– Vous me parlez d’une mission que chaque homme doit accomplir. Mais c’est quoi cette mission ?

– Nous sommes tous uniques, dotés d’une personnalité intime et différente qu’il nous faut développer et qui nous rendra heureux pleinement si nous y arrivons. Celle-ci n’a rien à voir avec la réussite matérielle que la société met en avant et que beaucoup donnent en exemple. Non, c’est une sorte de contentement intérieur, un soleil secret qui éclaire au fil des jours le quotidien et qui sent le vrai monde. Vous avez déjà entendu cette expression, « en odeur de sainteté ». Et bien, elle est réelle et votre vie bascule, vous vivez déjà de l’autre côté en étant toujours de ce monde. Certes, il vous arrive très souvent de redevenir comme les autres, ceux qui n’ont pas fait cette expérience, mais vous savez et vous vous efforcez de la revivre.

– Moi aussi, j’ai donc cette expérience à faire ?

– Oui, bien sûr ! Tous, même les plus pauvres, même les plus handicapés, même les plus méchants ou les plus intelligents ont cette mission. Tous nous portons en nous ce trésor à découvrir et à exploiter. C’est le but de ce passage sur terre, le but de la vie.

– Et vous, l’avez-vous vécu cette expérience ?

– Oui et non. Cela s’est passé tellement vite. J’étais préoccupé par le fait que je ne pouvais avoir d’enfant. Cela devenait une obsession. Lorsqu’enfin nous en avons attendu un, je me suis entièrement consacré à lui. Mais je n’ai pas compris que cet intérêt était personnel et obsessionnel. J’ai ennuyé mon mari, mes parents, par cette attention permanente au fait qu’il grandisse en moi, qu’il allait voir le jour grâce à moi. Trois jours avant sa naissance j’ai commencé à ressentir les premières douleurs. Ce n’était pas encore le moment. Je n’ai rien dit, à personne. J’ai poursuivi mon travail et côtoyé mes proches sans rien leur dévoiler de mes douleurs. Un soir, mon mari est rentré du travail et m’a trouvé évanouie dans la cuisine. Je me suis réveillé sur la table d’accouchement, environnée de blouses blanches, ressentant une violente douleur au bas du ventre. J’ai en un instant compris mon erreur. Le soleil dont je vous parlais est apparu et a éclairé mes derniers moments. Cela m’a sauvé.

– C’est pour cela que vous cherchez à contacter votre famille ?

– Oui, je dois leur faire part de mon bonheur alors qu’ils s’imaginent que la fin de ma vie a été un cauchemar.

Amélie fit signe à la femme qu’elle devait remonter, manquant d’air. Elle lui promit d’aller voir sa famille et de lui faire part de ses derniers moments où elle rencontra le bonheur, puis remonta. Les scolaires étaient déjà là. Il était l’heure. Elle devait sortir du bassin. Je reviendrai demain, se dit-elle avant de s’essuyer avec sa serviette de bain.

18/06/2015

Matinales (11)

Alors elle prit la décision d’agir. Elle sortit, regarda l’eau claire et plongea. Ils étaient là !

Elle chercha la jeune fille, en vain. Sans doute avait-elle quitté le monde des tangentiels. Emilie le regretta, car elle aurait pu lui expliquer. Il fallait trouver un autre partenaire avec qui entrer en contact. Nageant doucement, elle passait devant chaque personne, leur faisant un signe, tentant de se faire remarquer. Ceux-ci ne la voyaient pas, continuant leur dialogue à deux ou trois. Enfin ! Une femme, la quarantaine, encore jolie, lui décocha un sourire. Elle l’avait vue. Elle mit du temps à entrer en relation avec Emilie. Celle-ci entendit sa voix, une voix faible, douce, qui naissait dans sa tête et entamait le dialogue intérieurement avec elle.

– Vous devriez rassembler vos cheveux, lui dit-elle. Nous n’aimons pas ces filaments qui flottent autour de vous. Ils risquent de nous capturer et de nous attirer vers la surface.

Amélie ne comprit pas et ne put rien faire. Elle n’avait pas d’élastique sous la main. Elle avait plongé sans réfléchir, mue par instinct et curiosité. Elle se rappela la mission qu’elle s’était donnée.

– En quoi puis-je vous être utile ?

– Je suis morte en couche. J’ai pu sauver mon bébé, mais le médecin n’a rien pu faire, je perdais mon sang et il n’a pas pu savoir pourquoi. Mon mari est seul maintenant avec mon petit garçon. Je les vois de temps en temps et cela me suffit pour être en paix malgré la position inconfortable de tangentielle. Je ne peux communiquer avec eux et il faut qu’ils sachent que je les vois et que je suis heureuse d’être là, près d’eux. Pour qu’ils soient sûrs que c’est bien moi, dites-leur que vous venez de la part de Mouche. Ils sauront que c’est moi. C’est le surnom que mon mari m’avait donné lorsque nous nous sommes mariés. Nous n’avons jamais divulgué ce surnom. Ils sauront ainsi que c’est bien moi.

– Mais pourquoi dites-vous nous ? Votre petit garçon ne parle pas et ne sait même pas que vous êtes morte.

– Si. Il vient de l’autre monde et il en est parfaitement conscient. Il ne sait pas encore communiquer avec l’univers matériel. Il faut qu’il fasse son apprentissage. Mais il sait parfaitement où il est et pourquoi. Ce n’est que progressivement qu’il oubliera notre monde pour ne plus connaître que le vôtre.

L’esprit d’Amélie s’ouvrit. Elle se souvint qu’étant petite, elle s’échappait en rêve et flottait au-dessus d’elle-même. Elle arrivait parfois à partir et à visiter les alentours en volant par le seul fait de sa volonté. Concentre-toi, se disait-elle. Elle bandait son cerveau et ses muscles et s’extrayait de la pesanteur. Lorsqu’elle était en forme, elle planait et écoutait les conversations, pénétrant au travers des maisons. Progressivement tout cela s’est estompé, puis complètement arrêté. Elle n’avait plus aucun souvenir de ces possibilités. Elle fit part de ces réflexions à la femme.

– Oui, beaucoup d’entre nous, très jeunes, ont des réminiscences d’une autre vie. La plupart les oublie très vite et n’en conserve aucun souvenir. Quelques-uns n’ont rien de précis, mais savent au fond d’eux-mêmes qu’il existe un autre monde. Ils ne savent pas pourquoi, ni ce qu’il est. Mais dans certaines circonstances de la vie, ils s’en souviennent et savent qu’ils ne peuvent faire telle ou telle chose. Très peu conservent des faits précis en mémoire. Ceux-là sont forts. Ils ne font peut-être rien de leur vie matérielle, mais ils sont de roc pour les autres grâce à leur certitude d’un au-delà.

Amélie se sentit très vite en harmonie avec cette femme, malgré leur différence d’âge, presque vingt ans. Elle parlait posément, de manière très vivante, non pas passionnée, mais pleine de certitude. Elle lui promit de contacter son mari et son fils de leur dire qu’elle veillait sur eux. Puis elle la questionna.

– Je ne comprends vraiment pas pourquoi à certains moments vous êtes là et à d’autres rien. Il y a bien une règle à cela ?

– Oui. Nous devons prendre contact avec nos anciennes connaissances pour diverses raisons. Cela est fatiguant, épuisant même. Alors nous avons besoin de repos. Même si nous n’avons plus notre corps réel, nous revêtons notre ancien corps pour quelques minutes, voire quelques heures. Puis nous repartons dans l’autre monde pour nous refaire des forces.

– De quel monde parlez-vous ? Comment est-il fait, que voyez-vous, que ressentez-vous ?

– Vous touchez une interdiction. Nous ne pouvons en parler. Sinon nous perdons le privilège de pouvoir entrer en contact avec vous et de faire passer notre message qui est notre seule motivation. Alors aucun de nous ne vous dira ce qu’il en est de cet autre monde. Mais rassurez-vous, vous êtes un des rares humains à voir des tangentiels. C’est déjà beaucoup.

– Comment faites-vous pour apparaître dans cette piscine ?

– Il existe d’autres lieux qui permettent d’établir le contact. Par exemple, au fin fond d’une forêt ou encore dans une grotte où les hommes ont vécu il y a très longtemps.

Amélie dut remonter respirer. Le maître-nageur lui fit le signe de sortir de l'eau, mais elle plongea à nouveau.

17/06/2015

L'échappée belle, un film d'Emilie Cherpitel

cinéma,femme,enfant,société,fraicheurLéon n’est qu’un petit garçon,
Eva a un sourire charmant,
Les autres ne sont là que pour eux
Et eux ne savent pas qu’ils sont là pour nous.

Ce serait trop beau si c’était vrai,
Mais on veut y croire malgré tout
Et eux y croient tant, qu’ils y arrivent.

C’est un conte, à la manière de…
Mais c’est une manière personnelle
Qui donne à l’ensemble une fraicheur nouvelle.

Enfin un film qui raconte simplement
L’amour qui naît entre deux êtres,
Cette étincelle vivante comme les papillons
Qui s’échappent de la boite
Et qui montent vers un ciel dégagé,
Espérance d’un avenir meilleur.

Ce n’est pas un amour d’adultes,
De caresses entre femme et homme.
C’est celui d’un enfant orphelin,
D’une sagesse précoce, aux réparties fulgurantes,
Et d’une femme-enfant, fantasque,
Qui découvre dans cette rencontre
Que l’amour naît d’un regard, d’une parole
Et couve en bulles transparentes
Derrière une banalité apparente
A laquelle les critiques se laissent prendre.

Alors bravo à Clothilde Hesme
Qui prend de la consistance au fil de la projection ;
Bravo également à Florian Lemaire,
Plus vrai que nature et loin des artifices
De la vision socialisante et figée
D’une société emprunte de clichés à la mode ;
Enfin, bien sûr, bravo à l’énergie de la réalisatrice
Qui, sachant probablement ce qu’on allait en dire
N’a pas hésité à poursuivre son idée
D’un monde frais et vrai
Qui raconte l’invisible
Dans un envol de papillons.

16/06/2015

Eglise de Looz (Belgique)

 Mais, est-ce une église ?

C'est une église qui selon le point de vue s'effacerait du paysage. Le projet du duo d'architectes belges, Pieterjan Gijs et Arnout Van Vaerenbergh, baptisé « Reading between the lines » -Lire entre les lignes- est plus esthétique que spirituel. Édifier une église dont les murs composés de lattes d'acier horizontales modifieraient la perception du bâtiment.

La collaboration entre les deux remonte à 2007, quand Gijs et Van Vaerenbergh décident de réaliser plusieurs projets dans l'espace public avec une portée architecturale et artistique.

Gijs Van Vaerenbergh ont dévoilé leur construction en milieu rural, reproduction exacte de l'église locale. Leur œuvre d'art est composée de 30 tonnes d'aciers et de 2000 colonnes construites sur une base en béton. À travers les lattes horizontales, le concept d'église traditionnelle laisse sa place à un objet presque transparent.

Selon la perspective de l'observateur, l'église peut être perçue comme une construction massive ou au contraire, se dissoudre, partiellement ou complètement, dans le paysage. Les curieux qui regarderont de l'intérieur de l'église vers l'extérieur seront les témoins d'un jeu de lignes jouant sur les abstractions et qui devraient modifier leur perception de l'environnement. L'église et le paysage font partie inhérente de l'œuvre.

From : http://www.huffingtonpost.fr/2012/12/03/photos-eglise-tro...

15/06/2015

Matinale (10)

Pendant deux jours, Amélie ne put prendre le chemin de la piscine. Ce n’est pas qu’elle avait peur, mais elle n’était pas prête à affronter à nouveau ce monde venant d’elle ne savait d’où. Il lui fallait être en pleine forme si elle voulait percer le mystère. La troisième nuit, elle fit un rêve. Elle était dans le train, regardant le paysage qui se déroulait tranquillement. La voie ferrée suivait une route. Elle vit la route s’éloigner légèrement, semblant prendre la tangente, puis s’ouvrir en deux routes plus petites. Un poteau indicateur donnait bien les directions, mais celui-ci se trouvait devant, sur la route principale, plus large, et était planté au milieu de la chaussée. Chaque automobiliste devait presque s’arrêter pour l’éviter. On voyait sur le poteau de nombreuses traces montrant à l’évidence qu’il était fréquemment percuté. Mais il restait là, vraisemblablement par la volonté de quelqu’un qui avait le pouvoir de ne rien changer malgré la forte occurrence des accidents. Au moment où le train allait passer à proximité, une voiture, roulant à vive allure, arriva. Elle dut freiner puissamment et ne s’arrêta qu’à quelques centimètres du poteau. Son conducteur émergea de l’habitacle, regarda le poteau, alla dans le coffre de sa voiture, en sortit une tronçonneuse, la mit en route et coupa l’épieu. Il le poussa non sans difficulté dans le fossé, puis remit l’appareil dans le coffre et démarra. Emilie ne sut jamais quelle route la voiture avait prise, car elle fut réveillée par le sifflet du train. A quel moment avait- elle commencé à rêver dans le songe qu’elle faisait ? Il n’était pas possible que le train ait suffisamment ralenti pour lui laisser voir toute la séquence de l’incident. Elle avait dû s’endormir à un moment quelconque, probablement lorsque la voiture s’était arrêtée devant le poteau indicateur. Elle avait rêvé la suite et se réveillait en raison de la stridence de l’avertisseur du train. Cependant elle comprit bien vite qu’il se passait quelque chose de bizarre. Elle aurait dû se réveiller dans le train. Or elle se trouvait dans son lit. Pourquoi avait-elle entendu le sifflet de la locomotive alors qu’il n’y avait pourtant aucune voie ferrée à proximité de sa maison ? Elle entrevue un décalage entre son rêve et ce qu’elle vivait. S’était-elle éveillée ? A quel moment l’avait-elle fait ? Avait-t-elle rêvé l’ensemble de la séquence ? Elle ne savait plus. Rêver qu’elle rêvait. Quelle bizarrerie ! Quand avait-elle pris la tangente ? Elle passa une partie de la nuit à tenter de comprendre, mais rien ne vint. Elle s’endormit tard, mais se réveilla de bonne humeur, reposé et entreprenante.

Ainsi le troisième matin, elle fut prête à prendre le chemin de la piscine. Elle emplit son sac de son maillot, de sa serviette de bain et d’un petit sandwich qu’elle dégusterait après s’être rhabillée. Puis elle sortit.

Arrivée devant la piscine, elle eut un moment d’hésitation. Encore une fois, l’inconnu ! Ai-je vraiment envie de savoir. Ne vaut-il pas mieux rester dans l’ignorance ? Ne risques-tu pas d’être aspirée dans cet enfer et ne plus pouvoir remonter ? Mais, vous commencez maintenant à la connaître, elle ne put résister à l’appel de ce monde délirant. Elle entra. Elle prit sa cabine habituelle, se changea en pensant à ce qui l’attendait, oublia de vérifier sa tenue, prit sa douche et courut vers le bassin. Elle allait plonger lorsqu’un frémissement parcouru la surface de l’eau, habituellement calme. C’étaient de petites vaguelettes qui ridaient la partie centrale du bassin et qui, rapidement, se transformèrent en turbulences. De grosses bulles crevaient la surface comme si l’eau se mettait à bouillir. Le maître-nageur se leva, les yeux écarquillés, bégayant et montrant du doigt le phénomène :

– Là… Là… Re-regardez… Que… Que se passe-t-il ?

Emilie contemplait cette étrangeté, se demandant si elle allait pouvoir ou non plonger. Elle regarda le fond. L’eau était transparente, de petites rides couraient vers les bords, créant des interférences qui empêchaient de bien distinguer le carrelage et les couloirs divisant la longueur. Rien ne semblait flotter dans le liquide, seules des bulles crevaient la surface, semblant sortir du fond. Très vite, cela s’arrêta. Les dernières bulles montèrent doucement, tremblantes, comme des larmes sortant d’un regard ouvert sur un autre monde. Le maître-nageur semblait subjugué. Il s’était penché sur l’eau, se tenant cependant à distance du bord. Il était effrayé et ne savait que faire. Il en oublia Emilie et se précipita vers son bureau. Elle le vit prendre le téléphone et composer un numéro, le doigt tremblant. La communication établit, il parla d’une voix forte, mais bredouillante, les mots se bousculant dans sa bouche. Ses émotions l’empêchaient de se faire comprendre. Il montrait d’un doigt tremblant le bassin, sans parvenir à être clair. Après un moment de silence pendant lequel il écouta son interlocuteur, il raccrocha, puis s’effondra sur sa table, la tête entre ses bras, secoué de sanglots qu’il ne maîtrisait pas. Emilie, impassible, le regardait, sans rien dire.

14/06/2015

Alain Pontecorvo à la Galerie de l’Europe

Il expose à nouveau à la Galerie de l’Europe (voir le 05/07/2014). Sa peinture n’a pas changé : originale, mais classique, avec une pointe de modernisme dans le choix des sujets, des couleurs et des perspectives.

Admirons la Volkswagen, les têtes derrière et le paysage linéaire au fond. Est-ce vrai, est-ce inventé, est-ce un rêve ? Nul ne le sait. Peut-être pas le peintre lui-même ?

Cette gare (Montparnasse ?) avec sa lumière surréaliste tombant d’un ciel feutré :

Là une vue quotidienne urbaine, mais qui baigne dans une luminosité sans pareille.

Et, toujours, ces ombres qui s’allongent avec un angle de prise de vue (oui, on peut le dire ainsi) insolite qui donne aux ombres une impression de réalité par rapport aux personnages qui semblent irréels.

 

 

GALERIE DE L'EUROPE 

Du 10 juin au 11 juillet 2015

Alain PONTECORVO

Peintures

13/06/2015

Trou noir

Dieu, quel trou !
Mais en est-ce bien un ?
 Il t’enveloppe et te prend
Sans autre forme de procès

Tu dérives dans ce tourbillon
Tu confonds le haut et le bas
Y a-t-il même une dimension
Dans cet espace illimité

Tu ne sais, car tu tombes
De Charybde en Scylla
Et tu ne t’écrases pas
Y a-t-il même une pesanteur ?

As-tu d’ailleurs un corps
Un vrai, que tu ressens
Et que tu aimes encore ?
Tu ne sais où il se trouve

Seule ta pensée est là
Bien seule dans cet entourage
Où rien ne te raccroche
A ce que tu connaissais

Flotte tel un drapeau au vent
Joue la fusée et fuis l’horreur
De cette absence de présence

Reviens en arrière, va le chercher
Ce corps si mignon
Que tu ne peux t’en passer

Regagne ta carapace et protège-toi
Des malveillances de l’univers

Ces trous sont des passages
Mais où mènent-ils ?
Quel labyrinthe Dieu a-t-il inventé ?

Je suis las de ces échappées
Qui me donne le tournis

Garde-moi mon corps
Mais efface mes pensées
Pour plonger purifié
Dans le trou sans fin
De la miséricorde

©  Loup Francart 

12/06/2015

Une prison de rêve

Prisonnier du ciel.

Des barreaux qui ouvrent sur l’invisible et donnent vie au néant.

Rien de tout cela n’est fermé.

Ce n’est pas une délivrance, mais un début de libération.

Qu’y a-t-il au-delà : l’admirable ignorance d’un avenir certain.

 

 

11/06/2015

Nora Douady

 Nora Douady exposait à la galerie Felli du 23 avril au 23 mai. Que peint-elle ? On ne sait. Il faut s’habituer à sa peinture pour entrer progressivement dans sa vision, celle d’un monde insolite et, malgré tout, proche de la réalité.

C’est un monde merveilleux de beauté, une féérie visuelle faite d’émotion et de sensations qui ne peuvent d’exprimer autrement que dans des fondus et des effets de couleurs.

C’est un monde d’avant notre ère, en construction, encore vierge de la main de l’homme :

On croit lire la bible à ciel ouvert, sans mot et on contemple l’univers avec la joie d’un enfant. On ne s’étonnerait pas de voir la main de Dieu nous faire découvrir sa création.

« Observé de près, le travail pictural de Nora Douady résulte de toutes les façons d’appliquer et d’utiliser la peinture sur un même champ : projections, travail au pinceau, coulées, transparences, "tachisme" délicat. De ses fonds, aux apparences aquarellées, jaillissent ses lumières issues d’une application subtile de couleurs vives, attractives, réparties aux abords des zones de ciel qui traversent le tableau pour illuminer et modeler les végétaux : "Je travaille sur la répulsion de l’huile et de l’eau qui créent naturellement des matières vivantes. Ces matières, on ne peut pas les produire au pinceau. Quand on laisse la peinture se répandre au hasard, elle peut reproduire d’elle-même, par exemple, un lichen qu’il serait impossible de rendre aussi vraisemblable avec un pinceau." Elle crée en peinture par effet de transparences, par le hasard de ces coulées "maîtrisées", la substance même de ce qui est alors l’objet de son choix ; l’eau, les feuillages, les arbres, la roche. Alchimie qui la situe sur une quête d’équilibre à atteindre particulièrement sensible. » (http://galeriefelli.com/nora-douady/)

On part loin de la réalité, mais dans le même temps si proche qu’elle semble le lieu de tous les refuges, de toutes les absences, de tous les rêves.

Chaque tableau est un poème dont la force tient au fait qu’il nous conduit au-delà de l’image, vers des horizons entrevus, mais impalpables.

Un magnifique travail, une ouverture inédite sur la spiritualité !

Une galerie à suivre et à fréquenter, ses choix sont toujours heureux (127 rue Vieille du Temple 75003 Paris).

10/06/2015

Matinale (9)

Elle remonta pour respirer. Elle ne pouvait faire autrement. Reprenant son souffle, elle fut tout à coup secouée en tous sens par un tremblement de l’eau, à la fois aspiration et propulsion d’une autre masse de liquide. Le maître-nageur lisait son journal, ne voyant pas cet orage venant du fond de la piscine. Elle eut envie de nager très vite jusqu’à l’échelle permettant de sortir de l’eau et de fuir cette masse fluide. Mais elle se dit que c’était peut-être l’unique occasion de savoir de quoi il s’agissait. Alors, elle prit de l’air et plongea.

C’était une véritable tornade. Les tangentiels se laissaient faire et paressaient habitués. Ils roulaient entre les bulles d’air, emportés comme des fétus de paille. Leurs bras et leurs jambes semblaient indépendants de leur corps, formant de véritables tentacules se mouvant d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas l’air effrayés. Ils semblaient presque heureux, comme les gens sous l’emprise d’une drogue. Ils ne pensaient plus, libres de toute attache, de tout souvenir, de toute crainte. Amélie était elle-même secouée, emportée par cette furie qui se passait à l’intérieur de la piscine. Elle vit la jeune fille la regarder, lui crier quelque chose. Mais elle ne sut ce qu’elle voulait dire. Plusieurs tangentiels passèrent à travers elle, sans effort, comme si elle n’existait pas, sans un mot d’excuse. Les deux mondes se côtoyaient sans réellement se rencontrer, à la façon des allumettes frottées sur le grattoir. Cette friction formait une étincelle qui devenait flamme après la fin de la combustion instantanée. Ici, elle durait. Elle semblait ne pas vouloir ou ne pas pouvoir s’arrêter. Amélie perdait pied, se sentait impuissante à réagir et se laissait engourdir par ce tsunami. A un moment donné, elle fut aspirée vers le fond. Elle vit celui-ci s’ouvrir à la manière d’un trou fait par une balle de pistolet dans la carrosserie d’une voiture, un trou bien rond, au rebord déchiré vers l’extérieur tout noir, mais avec un reflet lumineux attirant l’œil. Elle se sentit dégrisée et lutta pour sortir de l’attraction que ce trou exerçait sur son propre corps. Elle fut prise dans une bulle d’air assez grande pour lui permettre de respirer, la sauvant ainsi de la noyade. Celle-ci l’entraîna vers la surface sans qu’elle eût besoin de nager. Elle regardait les tangentiels faire le chemin inverse, emportés par l’aspiration, et s’engouffrer dans la plaie ouvert du fond de la piscine.

L’eau se calma, la blessure se referma progressivement, laissant passer les retardataires, les dernières bulles s’échappèrent et firent surface avec Amélie. Elle se retrouva nageant tranquillement dans une eau parfaitement calme, comme si de rien n’était. Elle crut qu’elle avait rêvé. Même le maître-nageur n’avait rien vu, préoccupé par la lecture de son journal. Elle était seule et se dirigea vers l’échelle de sortie, calme en apparence. Son cœur battait vite cependant. Elle n’arrivait pas à reprendre ses esprits. Elle voyait la surface tourner et ne savait plus si elle était encore sous l’eau ou si l’horizontal devenait vertical. Elle atteignit l’échelle, s’y agrippa et s’efforça de monter. Elle s’assit sur le carrelage froid qui lui fit du bien, tenta de prendre sa serviette, mais s’évanouit avec un petit râle qui alerta le maître-nageur. Celui-ci se précipita, lui donna légèrement quelques claques, la couvrit d’un peignoir très épais et la conduisit vers une sorte de petite infirmerie. Etendue sur un lit d’examen médical, elle se laissait faire, ne pensant à rien, continuant de contempler le trou noir et lumineux qui s’était formé au fond de l’eau. Elle avait vu sa mort dans cette blessure et n’avait pas eu peur, loin de là. Elle avait même eu une attirance irréfléchie pour ce mélange d’obscurité et de luminosité, de noir et de blanc qui ne formaient pas du gris. C’était une autre couleur, inconnue, indéfinissable, attirante, qui semblait vous arracher le cœur et vous aspirer en elle. Amélie s’endormit sans en avoir conscience, un sourire béat sur ses lèvres.

09/06/2015

Regrets

Avez-vous de ces regrets cachés
Qui empoisonnent l’existence ?
Tous en ont, même les non-vivants
Ils se cachent dans la confusion
Des émotions et des souvenirs

Impossible de s’en débarrasser
Ils persistent à être présents
Comme les vagues d’un destin
Fait de tissus effilochés
A force de patience et d’attention

Il vous arrive de les oublier
Mais ils se rappellent à vous
Comme un mal de cœur incessant
Vous dormez et croyez en réchapper

Non ! Ils chatouillent votre mémoire
Jusqu’à vous réveiller de votre quiétude
Seul le vide immense de l’avenir
Peut vous guérir de cette seconde nature

Je marche vers mon futur inconnu
Comme l’oiseau entre en cage

©  Loup Francart

08/06/2015

Les communes nouvelles

La création de communes nouvelles favorise le regroupement des communes. Les communes nouvelles ont été créées par l'article 21 de la loi n° 2010-1653 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. La loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, a été adoptée le 16 mars 2015, donc tout récemment.

Les raisons annoncées sont simples : simplification administrative, économie budgétaire, alignement sur le reste de l’Europe : Avec ses trente-six mille six cent quatre-vingt-une communes, la France recense à elle seule 40 % des mairies des vingt-huit pays de l'Union européenne. Un maillage administratif qui tient de la dentelle : 86 % de ces municipalités comptent moins de deux mille habitants, et ne regroupent que 24,5 % de la population française.                          (http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/01/27/le-regroupement-des-villages-prochaine-etape-de-la-reforme-territoriale_4562477_823448.html)

La première loi n’avait guère enthousiasmé les représentants des communes. Pense-t-on que cette deuxième loi va favoriser le regroupement ? L’Etat change de tactique. On nous impose ce regroupement par le portefeuille. Sans regroupement perte réelle des dotations des communes, avec regroupement, gain. Il est évident que cette transformation devient alléchante. Mais est-ce là le véritable problème de cette réticence au regroupement ?

Le poids de l’histoire pèse lourd. Chaque commune possède son nom depuis des centaines d’années pour la plupart. Que veut la loi ? L’adoption d’un nouveau nom symbolisant ce regroupement. Ainsi votre commune perdra son nom qui est un des éléments constructifs de l’identité de beaucoup de Français. Derrière le nom se cache la psychologie du Français si bien décrite par Gabriel Chevallier dans Clochemerle.

Le problème n’est pas d’organiser administrativement ces regroupements, mais de créer une réflexion réelle sur ceux-ci. Il existe dans de nombreuses régions de France de petites régions historiques et culturelles qui n’ont pas grand-chose à voir avec les départements. Pourquoi ne pas s’en inspirer et redévelopper d’abord une culture commune, puis des intérêts communs et enfin une organisation commune. Le plus souvent ces petites régions (rien à voir avec les régions actuelles toujours plus regroupées) ont des raisons géographiques, historiques, culturelles, économiques qu’il faut mettre en valeur plutôt que d’imposer des structures administratives sans contexte patrimonial. Nos élus sont trop préoccupés de leur avenir dans le prochain système. Ils négocient entre eux ces futurs partages. Ne serait-il pas plus judicieux au contraire d’organiser une réflexion sur la place publique, encouragée par un organisme dont le but serait de chercher ce qui rassemble les habitants d’une région au sens où nous l’entendons plutôt que de discourir sur ce qui nous individualise et crée donc obstacle au regroupement.

Premier point totalement contestable : la déculturation des Français. Ces réformes séparent les Français de leur identité qui est historique, géographique, économique, architecturale, artistique (et bien d'autres choses encore!). Pourquoi détruire ce qui fait la particularité d’un pays, d’une région, d’un village, sinon pour atteindre les bases même de la société. Sans attache, le Français sera plus malléable.

Mais le pire est l’absence de démocratie dans l’ensemble de ses réformes. Disons plutôt que la démocratie est confisquée par le gouvernement et les élus qui jugent que le peuple n’est pas capable de comprendre l’importance de ces regroupements et qu’il les refusera. Bref, la population ne sait pas ce qui se prépare, cela se passe entre élus locaux et préfets et tout n’est qu’affaire de sièges et de subventions.

Triste France où la démocratie et la république, ces mots si convoités par tous les politiques, sont la propriété de quelques-uns.

07/06/2015

Matinale 8

Scrupuleusement, elle accomplit son devoir. Elle chercha l’adresse de la jeune femme, s’y rendit et lui remit le mot de passe sans toutefois lui dire qu’elle avait vu son mari. C’était une belle femme, pas forcément une beauté ; mais elle possédait un certain charme. Elle écouta ce que lui dit Emilie, mais ne lui demanda pas comment elle connaissait l’existence de ce mot de passe. Elles cherchèrent ensemble dans l’ordinateur d’Adrien, son mari, et trouvèrent effectivement tout ce qui concernait les actions de la SOC. La jeune femme la remercia chaleureusement, lui dit qu’elle pouvait revenir quand elle voulait, qu’elle serait toujours la bienvenue. Elle n’eut pas une fois une interrogation quant à sa connaissance d’Adrien. Emilie repartit, heureuse d’avoir pu rendre ce service à une famille éplorée. Elle allait pouvoir passer à ce qui l’intéressait particulièrement : qu’en est-il de cette tangente dont avait parlé Adrien ?

Le lendemain, elle prit à nouveau le chemin de la piscine. Elle ne savait pas ce qui allait se passer. Les tangentiels seraient-ils là ? Elle ne comprenait pas qu’elles étaient les raisons de ces apparitions ou de ces disparitions. Un jour ils étaient là, un autre jour ils étaient absents. Adrien n’avait rien dévoilé de ce mystère et elle-même, malgré ses interrogations, continuait à n’y rien comprendre. Elle décida de se rendre à la piscine en courant. Elle prépara un petit sac à dos, y mit sa serviette de bain, son peigne, son maillot évidemment, enfila un short de sport, un tee-shirt et sortit. Dehors, il faisait frais. Elle courut doucement, puis accéléra en se laissant bercer par le rythme de sa course. Elle aimait cette cadence régulière qui lui permettait de réfléchir sans peine. Les idées lui venaient, indépendantes d’une démarche rationnelle et lui donnaient des réponses, parfois insolites, aux questions qu’elle se posait. Elle prolongea sa course en prenant un chemin de traverse et fit deux kilomètres de plus. Mais rien ne vint. La question de ce monde tangentiel restait inabordable à son esprit pourtant enfiévré.

Elle transpirait légèrement lorsqu’elle monta les marches de l’entrée à la piscine. Elle dut s’essuyer avec sa serviette avant de pouvoir enfiler son maillot. L’eau fraiche me fera du bien, pensa-t-elle. Tout ceci fut fait mécaniquement, sa pensée toujours fixée sur le monde tangentiel. Elle oublia de vérifier sa touffe et plongea aussitôt dans le bassin sans réfléchir. L’immersion fut brutale. Elle eut l’impression de se réveiller d’un long sommeil. Plus de pensée… La froideur de l’eau, le frisson du contact, la chair de poule du saisissement. Les yeux fermés elle se laissa glisser comme si elle était entraînée entre les gouttes. Puis elle ouvrit les yeux. Ils étaient là. Ils ne la voyaient pas, ne se préoccupaient que d’eux, discourant à deux ou trois sans attention à ce qui les entouraient. Elle eut envie de leur crier « Regardez-moi, je suis là, prenez contact ! » Mais rien. Elle chercha alors Adrien. Il n’était pas là. Il était probablement délivré et était passé de l’autre côté du miroir sans possibilité de retour. Déçue de ne plus avoir de contact, elle était néanmoins heureuse de constater qu’elle avait aidé quelqu’un à franchir la ligne. Elle nageait, remontant périodiquement pour respirer, puis replonger et se laisser glisser entre les spectres. « Tiens ! Là… Une jeune fille qui me regarde. Oui… Elle me fait un signe. J’ai un nouveau contact. » Elle la contourna pour montrer son intérêt et s’arrêta en face d’elle, attendant qu’elle lui parle. Le contact fut établi sans qu’elle sache comment. La jeune fille lui parlait et les sons venaient de sa tête à elle et jaillissaient en dehors, leur donnant une résonance qui les rendant compréhensibles.

– Qui êtes-vous  et que faites-vous ici ? demanda la jeune fille.

– Je viens tous les jours m’entraîner. Un jour, j’ai aperçu vos compagnons. Cela m’a fait un coup. On ne s’attend pas à voir des êtres humains discourir tranquillement au fond d’une piscine comme si de rien n’était. Quelqu’un de chez vous m’a contacté et confié une mission. Je l’ai accompli, mais je n’ai pu retrouver cette personne. Je suppose qu’elle est partie dans l’autre monde ?

– Oui, c’est plus que vraisemblable. Moi, je vous ai remarqué à votre ombre, plus fluide et franche en même temps. La lumière que nous émettons ne passe généralement pas à travers vos corps. Vous ne la voyez pas, mais nous nous savons qui la capte et y est sensible. Vous l’êtes, aussi votre ombre apparaît à nos regards et nous parle de votre sensibilité. C’est pour cela que je vous ai remarqué lorsque vous êtes passé près de moi. Beaucoup parmi nous ne prenne pas garde à ce qui est insolite. Ils sont pour la plupart encombrés dans leurs pensées ou leurs conversations qui tournent toujours autour des mêmes thèmes : comment sortir de cette tangente dans laquelle nous sommes enfermés. Ils n’ont pas compris qu’il faut d’abord sortir de ses propres pensées. On ne le comprend que difficilement, par lassitude de parler et de penser.

– Vous, alors, que vous est-il arrivé ? demanda Amélie.

Elle vit la jeune fille fondre en larmes, puis, au bout d’un moment, lui sourire béatement.

– Vous vous intéressez à moi. Enfin ! Quelqu’un qui me voit et qui me parle. Je vais enfin pouvoir sortir de cette existence sans réelle vie. Merci mon Dieu. Merci.

Et la jeune fille sembla perdre sa consistance et se dissoudre dans l’eau. Dans une minute elle ne sera plus.

Comment la rattraper pour qu’elle m’explique, pensa Amélie.

06/06/2015

Pavage de Penrose

Penrose toujours…

« Mathématicien et physicien anglais de très grand talent, né le 8 Août 1931 certains diront génial. Il est connu pour avoir révolutionné l'étude de la relativité générale dans les années 60 en introduisant de puissantes techniques de topologie différentielle et de géométrie algébrique.

On lui doit les premiers théorèmes de singularité pour l'effondrement des étoiles, les théorèmes de singularité en cosmologie conjointement avec Hawking, le premier processus d'extraction de l'énergie d'un trou noir en rotation et bien d'autres contributions à la physique des trous noirs. Moins connus sont ses travaux en gravitation quantique comme sa théorie des « torseurs » (Twistors) ou des réseaux de spins (Spin networks). Toutefois leurs implications en théorie des systèmes intégrables et pour l'approche dite de gravitation en boucles (LQG) sont unanimement appréciées, Witten, Smolin et Rovelli en font un usage intensif depuis quelques années.

Enfin, il s'est illustré avec sa théorie des pavages quasi-périodiques du plan anticipant la découverte des quasi-cristaux et par ses livres où il expose ses théories sur la modification de la mécanique quantique en liaison avec la physique spéculative de la conscience. »

(http://www.futura-sciences.com/magazines/matiere/infos/personnalites/d/physique-roger-penrose-260/)

15-06-05 Penrose pentagramme2.jpg

05/06/2015

Rêve

Courir dans un pré sous le soleil
Sentir la vie bouillonner d’aisance
Dans la pâleur des fins d’après-midi
Transpercé par un éclair de bien-être

Tu te couches sur les nuages
Et tu danses dans l’air pur et divin
Les yeux ouverts sur le monde
Qui tremble du bonheur d’exister

Et le soir dans l’herbe sèche
Tu pleures d’émotions contenues
Au passage d’un bourdon
Errant dans la paille odorante

Ferme tes paupières alourdies
Berce-toi de l’illusion de rêver
Laisse errer ton esprit endiablé
Repose en paix sur ta terre chérie

©  Loup Francart

04/06/2015

Matinale 7

Elle redescendit aussitôt, se retrouva à côté du jeune homme et lui fit signe. Il parut soulagé.

– J’ai cru que je vous avais perdu et m’en inquiétais. Vous êtes vraiment la première à qui je peux parler. Je suis enfin délivré ou plutôt je le serai lorsque vous aurez parlé à ma femme. Je pourrai alors m’éloigner de cette zone difficile à mi-chemin entre notre destination après la mort et le monde matériel dans lequel vous vivez. J’ai l’impression d’être écartelé et de tomber dans le vide. On y voit très peu de gens, qui tous, comme moi, attendent un possible contact avec le monde terrestre pour être délivré. Vous connaissez les fantômes bien sûr. Mais il n’y a pas qu’eux. Nombreux sont ceux qui tentent d’entrer en contact avec leurs anciennes connaissances. Chacun choisit sa stratégie. Ici, ce sont les tangentiels, comme on nous appelle de l’autre côté. Nous avons choisi de rester dans cette zone quasi matérielle jusqu’à ce que l’un de nous entre en contact avec un humain. En fait c’est un choix. Il se fait après le tunnel conduisant vers le lieu de lumière. Après l’examen de notre vie, il nous est donné de choisir ce que nous voulons faire en fonction de ce que nous avons fait dans notre vie : avancer sur le chemin, temporiser et réfléchir, laisser un signe à ses proches. C’est ce que j’ai choisi. Nous sommes en attente en un lieu difficile à définir, car nous ne sommes pas toujours conscients. De temps en temps, nous sommes propulsés aux abords du monde matériel, sans jamais cependant pouvoir y pénétrer entièrement. Il nous appartient de trouver le moyen de le contacter. On peut laisser un signe, déplacer des objets, parler de manière déguisée à quelqu’un, se montrer tout simplement sous forme de spectres, de fantômes, d’ectoplasmes. Mais cela suppose que de votre côté, quelqu’un soit attentif à ces signes, soit parce qu’il cherche, soit parce qu’il est curieux de nature, soit parce qu’il est dans une période psychologique difficile. Je pense que vous avez une difficulté dans la vie. Laquelle, je ne sais. Mais il faut la résoudre et vous n’aurez plus cette incertitude chronique qui vous conduit vous aussi près de cette tangente. C’est probablement pour cette raison que nous pouvons nous parler aujourd’hui. Ce ne sera peut-être plus possible demain.

– Et bien merci, s’exclama-t-elle. Ce n’est pas très gentil de me dire que j’ai un problème et que je dois le résoudre. Pourquoi en êtes-vous si sûr ? Cela va-t-il m’aider que vous me le disiez ? J’avoue ne pas comprendre. Je vous rends service, je vous délivre de vos cauchemars et pour me remercier vous me donnez une tâche à laquelle je ne m’attendais pas et qui va peser sur mon existence jusqu’à ce que je l’accomplisse. De quel droit faites-vous cela ?

– C’est plus qu’un droit. C’est un devoir auquel je ne peux me soustraire. Ceux qui s’engagent dans le choix d’être en tangente doivent prêter un serment moral. Dire la vérité à ceux qui leur viennent en aide, quelle qu’en soit les conséquences terrestres. Cela les sauvera probablement d’une vie post-mortelle pénible et incertaine.

Emilie ne sut que dire. Elle avait beaucoup de mal à suivre tout ce que lui expliquait l’homme. Cela lui paraissait à la fois extraordinaire et familier. Oui, quelque chose comme si l’on grattait une surface peinte pour dévoiler la vraie nature de l’objet. Tout à coup, elle se rappela :

– Attendez, il faut que je remonte.

Un coup de pied lui permit de repasser en surface pour respirer. Il lui semblait qu’elle avait oublié de le faire depuis un bon moment. Et pourtant cela ne lui avait pas manqué.

Elle replongea aussitôt, mais l’homme n’était plus là. Elle le chercha parmi les promeneurs qui discutaient entre eux. Elle parcourut la piscine, se rendit aux quatre coins. Il avait bel et bien disparu. Elle dut remonter à nouveau. Son souffle s’était accéléré, elle ne tenait plus la durée. Elle eut une impression d’étouffement qui la contraignit à regagner les bords de la piscine et à reprendre pied. Au même moment le maître-nageur siffla. C’était l’heure des scolaires qui entraient bruyamment en s’agitant. Elle vit à la surface une sorte de bouillonnement assez bref. « Ils sont repartis ! », se dit-elle, « et je suis la seule à le savoir ».

03/06/2015

Matinale 6

Reprenons la nouvelle "Matinale" dont la dernière parution date du 3 mars 2015. Elle était laissée pour compte, car je ne savais comment finir. La patience et l'application des phases de la recherche ont produit leurs fruits. Nous pouvons poursuivre.

 

Emilie reprit le lendemain le chemin de la piscine. Elle était quelque peu angoissée. Qu’allait-elle trouver dans cette piscine mystérieuse ? De nouveaux êtres insaisissables ou le vide normal de toute piscine sans humain. Arrivée à l’entrée, elle hésita, puis paya son entrée, se rendit au vestiaire, se déshabilla et enfila son maillot. Préoccupée par ses pensées, elle oublia de vérifier son entre-jambes. Elle se dirigea vers les douches, pressée d’en avoir le cœur net. Comme à son habitude, elle contempla un moment la surface de l’eau, limpide et sans une ride, puis elle plongea.

Le monde des morts était là, bien vivant, animé de personnages.

– Mais, pourquoi ?, se demanda-t-elle.

Remontant à la surface pour respirer, elle regarda l’au-dehors, puis l’au-dedans. Aucune rupture. Elle n’éprouva aucun changement d’impression, un léger décalage entre les deux regards, un déclic inaudible. Rien, un monde lisse et pourtant ô combien différent.

– Quelle superposition existe-t-il entre les mondes ? Et d’abord, y a-t-il deux mondes, celui des vivants et celui des morts ? Mes lectures ne m’ont rien appris. Je n’aurais sans doute jamais de réponse, mais je ne peux rester ainsi. Que faire ?

Plonger, jusqu’à savoir.

Elle se laissa couler, passant entre les spectres ou les morts ou les fantômes ou les personnes présentes, elle ne savait. Elle les regardait en face, les yeux dans les yeux. Et tout à coup, l’un d’eux lui donna un signe de reconnaissance. Ses yeux s’éclaircirent, il battit des paupières et ouvrit la bouche comme pour parler. Craintivement, elle s’approcha de lui. Elle ne pouvait parler, mais elle manifesta un grand intérêt à cette personne, comme si elle la connaissait. Elle n’avait aucun souvenir de lui, mais peu importait. Enfin, elle communiquait. Elle entendit alors, au plus profond d’elle-même, la voix de cet homme encore jeune. Il l’appelait et lui demandait de l’aider. Elle le regarda et vit sa détresse dans ses yeux. Elle lui fit signe qu’elle l’écoutait.

– Je ne sais qui vous êtes, mais vous êtes la première avec qui je peux entrer en contact. Pourquoi en est-il ainsi, je ne sais. Je ne sais non plus si cela durera, alors écoutez-moi, je vous en supplie. Je suis mort il y a trois mois dans un accident : une voiture folle dont les freins avaient lâché, qui a percuté le trottoir et m’a écrasé contre le mur d’une maison. Je n’étais pas beau à voir, une masse de chair sanguinolente mêlée à des habits déchirés. Ruth, ma femme, que j’aime toujours, n’a même pas pu me voir une dernière fois. Elle et mes trois enfants n’ont plus rien de moi, que l’appartement que je leur ai laissé. Pourtant, j’étais riche. J’avais acheté des actions de la Standard Oil Compagny et, suite à la découverte d’un immense gisement de pétrole en Alaska, le prix de celles-ci a été multiplié par dix. Ruth a bien regardé dans mon ordinateur, car elle savait que j’y tenais mes comptes. Mais j’avais mis un mot de passe qu’elle ignorait. Elle n’a plus d’avance et cherche du travail alors qu’elle pourrait vivre sans problème. Pouvez-vous lui donner le mot de passe ? Cela me permettrait de franchir réellement la ligne et de l’attendre de l’autre côté dans la sérénité pour une nouvelle vie.

Amélie fut interloquée. Tout s’embrouillait dans sa tête. Qui est cet homme ? Comment peut-il me parler ? Que signifie cette nouvelle vie dont il me parle ? Elle ne savait quoi répondre. Mais la question était pressante. Il semblait tellement mal en point. N’écoutant que son cœur, elle lui répondit qu’elle était prête à l’aider.

– Donnez-moi l’adresse de votre famille, j’irai la trouver, lui dirai l’intérêt de vos actions et lui donnerai votre mot de passe. Mais, en échange, je veux que vous m’expliquiez ce que je suis en train de vivre : ce monde imprévu qui s’ouvre devant moi, ces êtres que je vois au fond de cette piscine, tous morts et pourtant si vivants. Pourquoi à certains moments ils se dévoilent et à d’autres rien n’apparaît ?

 Elle avait dicté ses conditions sans y penser. Celles-ci étaient venues toutes seules et elle en fut heureuse. Elle ne sut pas comment elle lui avait répondu. Etant sous l’eau, elle ne pouvait parler. Ces paroles s’échangeaient par la pensée, beaucoup plus vite que dans la réalité, quasi instantanément. Elle commençait à être à court d’air et fit signe au jeune homme qu’elle remontait s’approvisionner en air, puis redescendrait. Un coup de talon la projeta dans l’autre monde, le vrai. Elle ouvrit les yeux, reprit son souffle, contempla la surface parfaitement lisse de la piscine, reconnu le maître-nageur assis sur sa chaise qui ne se doutait de rien. « Est-ce possible ? », se demanda-t-elle.

02/06/2015

Les villages Hakka et les Tulous

(Une création de Daniel S.)

Les maisons de terre désignent les bâtisses construites en terre et en bois. Les villages Hakka du sud-ouest de la province du Fujian située en Chine du Sud sont très réputés pour leurs bâtiments en terre et en bois. Ainsi appelle-t-on ces dernières « Maison de terre Hakka ».

Ces maisons traditionnelles se divisent en plusieurs catégories : les maisons rondes, carrées, rectangulaires, demi-circulaires, ovales, pentagonales, de forme des Huit Trigrammes, et autres formes irrégulières.

Les maisons hakka construites autour d’une grande cour de forme ronde n’ayant qu’une seule porte d’entrée ont ainsi été organisées dans le but de mieux se défendre et de résister aux agressions. Les murs de plus d’un mètre d’épaisseur faits en terre battue sont hauts d’un, deux ou trois étages. Ceux de deux étages sont les plus nombreux. Au centre des maisons, c’est à dire, au milieu de la cour ronde, on trouve dans la plupart des cas un puit. Le rez-de-chaussée sert de salle à manger ; les pièces au deuxième étage sont les chambres à coucher ; et les autres servent à déposer les réserves de grain et les outils agraires.

La construction des murs nécessite une technique très élaborée. La conception de l’ensemble de la maison est rationnelle et ingénieuse. Dans le tableau, cette construction est très représentative de la région.

01/06/2015

Entre deux

Le chaos des pensées et des songes
Sont une glue collante et répandue
Pas un souffle d’air dans la tête
Le poids du passé enseveli
Contre l’éclaircie de l’absence
Vaut-il mieux ne plus être
Et s’échapper dans l’air
Ou errer comme l’escargot
Lent et fier de sa majesté ?
Le silence… Il est prenant...
Tant de bras m’ont porté jusqu’à présent...
Aujourd’hui, plus rien
Une mince lueur entre les deux yeux
Qui seule guide l’autre
Celui que je ne suis pas
Et que je voudrai être

©  Loup Francart