24/07/2015
Le nombre manquant (récit insolite 6)
Je décidais d’en savoir plus. Ayant entendu parler d’une sorte de secte taoïste et encouragé par Mathias à qui j’avais fait part de mes trouvailles, je cherchai à m’introduire auprès de celle-ci. Il existait une boutique dans le 3ème arrondissement qui vendait des ouvrages de ce genre. Avec beaucoup de diplomatie, je commençai à m’intéresser aux livres, puis suis entré en conversation avec le libraire, un homme d’une cinquantaine d’années, l’air vif et l’œil acerbe.
– Auriez-vous en magasin L’espace du rêve de François Cheng, aux éditions Phébus ? Lui demandai-je.
En réalité, peu importait ce livre dont j’avais entendu parler par un ami amateur de peinture orientale. Je voulais entrer en contact avec quelqu’un qui connaissait cette secte.
– Non, mais je peux vous le procurer pour après-demain si vous le désirez.
– Je m’intéresse à la tradition chinoise et au taoïsme. J’ai lu l’importance du trait accompagné du vide dans lequel il se dessine. Cette vision insolite m’intéresse. Elle est à rapprocher de l’importance du vide dans la sculpture. Voir le vide pour imaginer le plein et donner aux formes leur signification.
– Il est vrai que François Cheng est un des seuls orientalistes à pouvoir expliquer cette vision du monde spécifique à la pensée chinoise. Je me souviens d’une seule phrase qui résume si bien cette pensée : "Dans la peinture comme dans l'Univers, sans le Vide, les souffles ne circuleraient pas, le Yin-Yang n'opérerait pas".
– Connaissez-vous une école ou un lieu de réflexion sur cette forme de pensée ?
– Non, pas directement. Mais je peux vous conseiller un livre assez intéressant intitulé « Méditation taoïste », d’Isabelle Robinet, qui explicite la méditation taoïste jusqu’à la dissolution libératrice.
– Vous ne connaissez vraiment personne qui puisse m’aider à m’introduire dans ce genre de société ?
– Hélas, non. Malgré la présence de nombreux chinois en France depuis quelques années, je n’ai jamais entendu parler de secte chinoise taoïste enseignant en France. Je ne dis pas qu’il n’en existe pas. Je sais qu’il existe quelques communautés en Europe, mais quant à vous dire où elles se trouvent et ce qu’elles font, j’en suis incapable.
Je repartis sans en savoir plus. Il m’avait également expliqué que la vision principale du taoïsme est celle d’une unité primordiale. Le tout est Un. Les hommes distinguent la plupart du temps le monde divin et spirituel et le monde humain et matériel. Le taoïsme prétend que tout est en relation avec tout, que tout est à la fois cause et conséquences de tout. Mieux même, on avançait que le Tout est plus que la somme de ses parties, que le Un est plus que tout. Un contient le Tout et tout exprime le Un puisque tout émane du Un.
Il me renvoya au Tao To King, ce livre dont les interprétations sont multiples. Je ne pus en obtenir plus, malgré mes interrogations pressantes. Il prit le livre qu’il avait en rayon et me lut quelques extraits :
Car l'être et le néant s'engendrent.
Le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l'un par l'autre.
Le haut et le bas se touchent.
La voix et le son s'harmonisent.
L'avant et l'après se suivent.
C'est pourquoi le sage adopte la tactique du non-agir,
et pratique l'enseignement sans parole.
Toutes choses du monde surgissent
sans qu'il en soit l'auteur.
Et le Tao s’achève presque sur ces paroles :
C'est par le non-faire
que l'on gagne l'univers.
Celui qui veut faire
ne peut gagner l'univers.
Rien d’autres.
Une nouvelle porte s’ouvrait à nos recherches. Mais était-ce la bonne ? Cela nous sembla un peu trop énigmatique pour que nous puissions nous intéresser de beaucoup plus prêt à une secte qui n’existait sans doute pas. Cependant, nous avions appris qu’effectivement les contraires peuvent non s’opposer, mais au contraire se rejoindre dans une sorte de synthèse ou de transformation intérieure et ouvrir à un autre monde, différent, où les règles et les comportements n’ont plus rien à voie avec la vision habituelle. Mais cela avait-il à voir avec notre problème : le chiffre manquant, résumant les autres chiffres en une synthèse percutante qui ouvre à l’inconnu ?
Une fois de plus, nous nous trouvions devant une impasse. Il fallait rebrousser chemin et chercher au travers d’autres voies. Mais lesquelles ?
07:04 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme | Imprimer
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