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30/04/2013

Chapeau !

Quelle engeance, cet étrange galurin
Sur la tête d’une aussi jolie statue
Immobile, elle s’égare dans son indolence
Et pique un fard au bain-marie 

Haut de forme, serrant le crâne
Il permet de se distinguer des autres
Par une étrange stature rehaussée
Mais quel malheur lorsqu’il faut saluer

Certains aspirent au chapeau
Rouge cardinal, il attire l’œil
Dans la foule des prétendants
Et fait ressortir la majesté du personnage

D’autres les préfèrent ruisselants
De fruits débordants et veloutés
Elles imaginent la bouche ronde
D’amants gobant les cerises

Il peut arriver que l’on en bave
Comme les ronds de fumée
Qui sortent de la bouche du fumeur
Et font trembler l’air d’extase irréelle

On peut le tirer jusqu’à terre
Et saluer ainsi une inconsolable
Qui au sortir d’une relation
Entre au purgatoire des amours

Chinois il ne pèse pas la paille
Qui le garnit en conque ouvragée
Vissé sur le caillou par son attache
Il peut devenir le toit des humbles

Certains le mettent en tête
D’articles énigmatiques
Pour atténuer l’impression désobligeante
De savantes et vaines recherches

Mais lorsque celui-ci commence à travailler
Il est temps de tremper sa tête dans l’eau fraiche
Pschitt ! Quel dessalement d’enfer !
Mais quelle idée de vouloir se couvrir ?

29/04/2013

La contrainte de la liberté

L’artiste moderne est un solitaire qui écrit pour lui-même ou pour un public dont il n’a aucune idée précise. Lié à une époque, il s’efforce d’en exprimer les traits ; mais cette époque est sans visage. Il ignore à qui il s’adresse, il ne se représente pas son lecteur. (…)La terreur du goût a cessé, et, avec elle, la superstition du style. S’en plaindre serait aussi ridicule qu’inefficace. (…) Ecrire pour tout le monde ou pour personne, à chacun d’en décider, selon sa nature. Quel que soit le parti que nous prenions, nous sommes sûrs de ne plus rencontrer sur notre chemin cet épouvantail qu’était autrefois la faute de goût.

(E.M. Cioran, La tentation d’exister, Gallimard, 1956, Le style comme aventure, p.131)

 

La liberté enfin, mais quelle contrainte introduit-elle ! Ce n’est plus l’autre qui constitue l’approbation ou le rejet, mais soi-même. Et comme il est difficile de se juger soi-même. On a toujours tendance à au moins chosifier ses créations, sinon à les choyer. Ce recul d’un pas est celui des grandes âmes. Peu sont capables de le faire.

28/04/2013

Interprétation

Glenn Gould - Bach Partita N.6 in E mino

http://www.dailymotion.com/video/xr7f7_glenn-gould-bach-partita-n-6-in-e-m_music


 

Sokolov - Bach Partita VI BWV.830.wmv

http://www.youtube.com/watch?v=MR-RnegtUeo&list=PL437D87E43BBC9E5D


 

Le même morceau, par deux musiciens virtuoses. Un régal. Et pourtant, quelle différence de jeu et d’interprétation ! Lequel a raison ? Ou encore, ont-ils raison tous les deux ?

L’introduction est bien différente entre les deux pianistes. La virtuosité technique de Sokolov lui permet d’adopter une interprétation « coup de vent ». Mais les deux premières phrases restent plates. Elles ne font que préparer la troisième où le musicien excelle et démontre sa faconde. Glenn Gould trace ces deux premières phrases comme une mélodie en soi où l’on distingue bien, en fin de phrase, la doublure de la main gauche par rapport à la main droite. Sokolov n’en fait qu’un apéritif sur le pouce. Gould en fait un hors d’œuvre exquis dont toutes les saveurs sont mises en évidence.

Puis vient la puissante montée du clavier, comme un éclair de compréhension et d’explication des deux premières phrases. Mais on ne le sent que lorsqu’on écoute Glenn Gould. Cette montée se coule dans les précédents énoncés, comme un prolongement et un développement. Elle est marquée d’une grande expression par un ralentissement dans chaque épisode de la montée et cette pause discrète est le rappel de l’entrée dans la mélodie. Pour Sokolov, il s’agit plutôt de mettre en évidence la brillance de son jeu. Pas de différence entre les notes, pas de ralentissement qui rappelle le début de la pièce. Une échappée, une éclatante montée, mais qui ne nous dit rien sur le développement de la partition. Elle apparaît comme des notes surajoutées à la ligne mélodique, à la manière de Chopin, et non comme un épanouissement de la mélodie. Détachées du contexte, elles tombent, insolites et étrangères, surprenant l’oreille et la compréhension. Romantiques certes, mais décalés.

Cette première partie du prélude semble une longue interrogation, comme un pèlerin qui, à la croisée des routes, ne sait où aller. Il regarde le paysage, se laisse aller à quelques réflexions, s’enchante des détails de la nature. Tout à coup, il se décide et la mélodie se transforme en une sorte de marche qui monte à la main droite, puis est reprise par la gauche, en écho, inversée. Et cette petite dentelle est majestueuse, resplendissante de bonheur d’avoir trouvé le chemin. Elle semble partie vers les cieux, mais s’arrête très vite pour revenir aux interrogations. Elle reprend alors (1:11) avec des prolongations. Sokolov excelle dans son interprétation. Quelle belle montée, pleine d’assurance et d’espoir, si droite, comme la vision d’un but mêlée à la joie de l’arrivée. C’est émouvant de régularité et de paix et vous vous sentez mieux, reposé par cette tranquille quiétude d’une captivité unique, d’une montée persévérante vers un ciel dégagé de tout nuage. Le jeu de Glenn Gould est vraiment différent (2:10). Le voyageur monte en méditant. Ce n’est pas la joie qui l’anime, mais une vision de la vie différente, une sorte de retour sur soi-même pour mieux contempler cette montée exemplaire et lui donner son poids réel. La régularité est également là, mais elle est d’une autre qualité, emprunte de majesté et d’interrogation.

 

Remercions ces deux musiciens, si différents, qui nous donnent deux versions contradictoires et pourtant magnifiques toutes les deux. La musique, avec la danse,  est le seul art qui permet une telle diversité. Cela tient à cet intermédiaire supplémentaire qu’est l’interprète. Pour l’art graphique, la peinture, c’est au spectateur de réaliser en lui ces différentes visions de l’œuvre et cela demande un effort d'imagination qu’ici le pianiste fait pour vous.

27/04/2013

Lorsque j’étais une œuvre d’art, roman d’Eric-Emmanuel Schmitt

Tazio non seulement a raté sa vie, mais rate également ses 13-04-26 Oeuvre d'art EE Schmitt.jpgsuicides. Il est laid et inintelligent au contraire de ses deux frères, les plus beaux hommes du monde. Il trouve enfin le lieu idéal pour en finir, la falaise de Palomba Sol. Au moment où il va prendre son appel, une voix lui demande vingt-quatre heures. L’artiste Zeus-Peter Lama lui propose de changer de vie en lui abandonnant sa volonté pour qu’il devienne une sculpture vivante dénommé Adam bis.

 

Zeus-Peter est un artiste contemporain très médiatique, qui manipule les gens et dispose d’une grande autorité. Opéré, Adam devient une sculpture que tous s’arrachent.

– Suis-je beau demande-t-il à Zeus-Peter.

– Je t’ai créé pour embellir le monde.

– Suis-je beau ? Cesse ces banalités.

– Je n’ai pas voulu que tu sois beau, je t’en avais prévenu, j’ai voulu que tu sois unique, bizarre, singulier, différent ! Quelle réussite grisante.

Tazio a interdiction de se regarder dans une glace et de parler. Il se soumet. Tous veulent le voir et particulièrement les femmes, car l’artiste a transformé son sexe en sonomégaphore, la plus réussie des métaphores, prototype unique. Mélinda s’essaye, le démaillote et s’exclame :

– Incroyable !

Elle s’approcha, le contempla et le manipula avec légèreté.

– Une idée de génie !

Ses paupières et sa bouche en restèrent grandes ouvertes. (…)

Au troisième moment de repos, alors que nous reprenions notre souffle en fixant le plafond, Mélinda bondit à califourchon sur moi pour recommencer.

– Ah non, ça suffit ! Je n’en peux plus !

Les mots avaient jailli de ma bouche sans que je m’en rendre compte. (…) Elle me regarda avec effroi et poussa un cri de bête.

– Qui a-t-il Mélinda ?

Elle courut au fond de la pièce et se réfugia derrière un fauteuil, épouvantée. (…)

– Tu parles ?

– Naturellement je parle.

– C’est horrible. Je ne le savais pas.

 

Il se met à boire. Il fuit Zeus et se retrouve sur la plage et voit un groupe de silhouettes. Devant lui, un homme et une femme. Lui, assis. Elle debout. Ils regardaient le monde – ciel, mer, nuages, oiseaux – à travers la fenêtre du tableau. Inconscients de constituer eux-mêmes un tableau par la noblesse de leur attitude, attentifs, immobiles, elle se tenant derrière lui en appuyant ses mains sur ses épaules, ils fixaient le carré de toile dans lequel l’univers tout entier accourait pour se figer et s’organiser. Ils semblaient attendre devant le cadre que le tableau se fît.

Et cette rencontre va transformer Tazio. Zeus le vendra comme une œuvre d’art, de nombreux péripéties lui arriveront, mais tout se joue à cet instant, la rencontre d’un homme avec la beauté naturelle et la beauté artistique, si loin des beautés artificielles des femmes et de l’art médiatique de Zeus : Sa carrière ; il ne la fait pas dans son atelier, il la fait dans les médias ; ses pigments, ce sont les journalistes, et là, il est, sinon un grand artiste, un grand manipulateur. Avec cette sculpture, sa dernière, il se poursuit et en même temps il se dépasse, il franchit une frontière, il s’installe dans le terrorisme, il devient criminel.

 

Histoire de Faust qui conclut un pacte avec Méphistophélès, inspirée à l’auteur par un homme qui se faisait opérer sans cesse pour devenir plus beau. Histoire drôle, inquiétante et malgré tout romantique grâce à Fiona, la femme rencontrée sur la plage.

26/04/2013

Quand donc viendra le printemps ?

Quand donc viendra le printemps
Ce titilleur de notre humanité
Parfois bourgeonnent en nous
D’étranges sentiments
Divisés, nous ressentons l’appel
Des jours sans fin et enivrants
Mais notre léthargie reste tenace
Et paralyse nos élans
Quelle danse ! Passer du rien au tout
Puis revenir en arrière
L’ange de la paix s’est transformé
En diablotin qui chatouille
Le vivant en vous
Découvrez-vous, braves gens !
Bientôt viendra l’orgueilleuse
Dont le direct est un hommage
A votre éternité cachée
Le sang s’agite et bout
Mais les extrémités refroidies
Ne peuvent émouvoir
Ce corps grippé de rouille
Bouger est un calvaire
Pourtant, le grincement des sentiments
Laisse place au rire débridé
Lorsque pointe la langue rose
Sur le minois de la nature

Quand donc viendra le printemps
Cet éveilleur des corps
Cet agitateur de l’esprit
Ce marchand de rêve qui ensorcelle

Les cheveux dressés sur la tête
Vous chantez le renouveau
Réveil oublié, qu’attends-tu ?

25/04/2013

Papier et parfum

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Une fois encore, le jardin du Palais royal et ses galeries s’efforcent de relancer l’attention des passants par d’extravagantes présentations. Malgré la beauté et l’élégance de son péristyle, il n’offre que peu de promeneurs à ses boutiques. Seuls les clients fortunés ou curieux ouvrent la porte de celles-ci pour découvrir divers objets attrayants ou fanés.
Admirons aujourd’hui ce parfumeur qui a trouvé le moyen d’attirer l’œil avec des décors insolites et gracieux. Peu de moyens, de l’imagination à revendre, des éclairages tamisés, qui conduisent le spectateur dans un monde féérique.

La première devanture, de boules et de papier journal, vous introduit dans la peau d’une princesse inca. Pourquoi inca ? Me demanderez-vous. Ah, je me souviens, elle me rappelle la sculpture bouchant l’entrée d’une galerie dans Le temple du soleil, une des aventures de Tintin. Ce regard fixe et inquiétant de la princesse aide à mieux sentir les délices olfactifs de son parfum.

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La seconde devanture rappelle les corridas espagnoles et les señoritas qui cachent leur visage à l’ombre des plis de leur éventail. La chaleur aidant, ceux-ci vous voilent la réalité jusqu’à ne vous montrer que des frémissements de plis et de ronds. Le parfum aidant, vous succombez à leurs charmes.

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La troisième, que l’on pourrait intituler « l’information », est bien aussi une charmante. Mais elle est enfouie dans la profusion médiatique et ne respire que l’encre et le papier. Elle n’a pas droit au parfum qui pourtant se sert d’elle pour se vendre.

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Enfin la dernière ouverture sur ce magasin magique est cubiste tout en restant informationnelle. Mourir enfouie sous les paquets-cadeaux, quelle belle fin, n’est-ce pas ?

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24/04/2013

Le beau et l'art abstrait

Dans son livre « Du spirituel dans l’art », Kandinsky proclamait que nous commençons à peine à être libérés de notre dépendance par rapport à la nature. Il écrivait : « La subordination de la composition à la forme géométrique n’est pas une idée nouvelle. La construction des fondements purement spirituels est une chose lente, et qui paraît au début aveugle et sans méthode. L’artiste doit éduquer non seulement son œil mais aussi son âme, de façon à pouvoir juger les couleurs d’après leur propre échelle, et à faire d’elles un facteur déterminant dans la création artistique. (…) La beauté de la forme et de la couleur n’est pas un but suffisant en soi. (…) »

Pour Kandinsky, l’expression finale abstraite de tout art est le nombre. Il signifie par là qu’une œuvre d’art est une construction cachée, au-delà d’un simple effet de décoration géométrique. Il écrit en 1912 que le siècle approche d’un temps de composition raisonnée et consciente, où le peintre sera fier de dire de son œuvre qu’elle est construite.

Un siècle plus tard, qu’en est-il ? Ce mystère de la construction de l’abstrait est-il toujours vrai ?

Non, probablement. Prenons l’exemple du tachisme, de l’action painting, de l’abstraction lyrique. C’est une peinture qui est en réaction par rapport au cubisme et à la géométrie en général. Le choc du spectateur qui lui fait dire c’est bien une œuvre d’art ne tient pas à la construction du tableau, mais à l’impression visuelle immédiate qui introduit un déclic dans son esprit.

Oui, sûrement. Cette construction quasi inconsciente est essentielle pour démarquer le peintre du décorateur, l’artisan de l’artiste. Elle n’est pas raisonnée. C’est par expérience, échecs et succès, que progressivement peintre découvre cette différence. Tout son art est dans cette construction qui produit des effets calculées, sans qu’il soit réellement capable d’en dire les causes et d’en tirer des principes de construction suffisamment élaborés pour promouvoir plus qu’une simple école. Parfois, ce n’est que lorsque le tableau est fini que l’artiste est déçu : il croyait faire œuvre d’art et n’a fait qu’un objet de décoration. Quelle déception ! Mais dans le même temps, quel apprentissage vers le beau !

23/04/2013

Matin

Ce matin, la couleur était dehors. Elle inondait la fenêtre, s’épandait sur la toile du ciel et pénétrait le regard d’une couche d’extase. Quel assemblage : bleu et rose !

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Les grands arbres noirs découpent leurs silhouettes élancées, levant leurs dizaines de bras et leurs centaines de doigts. Ils prennent leur bain de lumière et de couleurs avant de redevenir chaleureux et dorés.

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Peu à peu cette féérie s’assagie, se clarifie. Les parapluies ouverts se délectent de lumière plus crue. On respire mieux, la journée peut commencer.

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22/04/2013

Où sont parties les larmes qui mouillaient ton corps ?

Où sont parties les larmes qui mouillaient ton corps ?
Je me suis mise au soleil pour oublier mon sort.

D’où vient que tes yeux brillent ainsi sans pleurs ?
Je ris de voir que j’avais en moi tant de rancœur.

Pourquoi n’entends-je plus ton pied léger caresser le gravier ?
J’ai donc perdu toute envie de voir la lune se lever.

Pourquoi cours-tu tout le jour après les éphémères ?
Pour qu’un jour enfin tu puisses te taire !

21/04/2013

Colonail song, de Percy Grainger

http://www.youtube.com/watch?v=E7gRmzw3hQA


 

Sirupeuse, cette chanson coloniale n’en est pas moins le reflet d’une époque, romantique et campagnarde à la fois. C’est l’Australie de son enfance que Percy Grainger, pianiste, saxophoniste et compositeur, tente de traduire dans cette composition d’abord écrite pour piano.

C’est une musique passée de mode. Elle rappelle les premiers films américains muets. Elle est caractéristique de sa conception de la vie : la même année, en 1928, il se marie avec la poétesse suédoise Ella Viola Ström, au cours  d’une cérémonie spectaculaire qui prend la forme d'un concert donné à l'Hollywood Bowl devant 20.000 personnes, avec un orchestre composé de 126 musiciens et un chœur.

Amateur de traditions, il étudia les musiques irlandaises, scandinaves, mais également extrême-orientales, en utilisant des instruments insolites.

 

Voici une autre belle version de cette chanson coloniale :

http://www.youtube.com/watch?v=IwmIDzxdMC8


Elle est interprétée de manière plus classique par ces trois artistes. Mais cela tient peut-être aux instruments qui ne peuvent donner l’impression d’un orchestre.

 Vous fermez les yeux et vous êtes tranporté dans le monde du cinéma hollowoodien, dansant avec une star, ou encore dans la campagne australienne, assis dans un rocking chair sous l'auvent d'une belle maison coloniale !

20/04/2013

Myriades

Lancées à la vitesse de la lumière, ces myriades se ruent vers l’espace, avides de néant.

 

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19/04/2013

La valse aux adieux, de Milan Kundera

Les cinq derniers jours de la vie d’une femme : Ruzena, belle, désirable et désirée. A tel point qu’elle passe une nuit avec un trompettiste de renom, Klima, venu donner un concert dans la ville d’eau où elle est employée aux bains. Elleroman,littérature est enceinte, sans exactement savoir de qui, du trompettiste ou de son amant Frantisek. Frantisek est plus jeune que Ruzena, il est donc, malheureusement pour lui, très jeune. Quand il sera plus mûr il découvrira la fugacité des choses et il saura que, derrière l’horizon d’une femme, s’ouvre encore l’horizon d’autres femmes. Seulement Frantisek ignore ce que c’est que le temps. Il vit depuis l’enfance dans un monde qui dure et qui ne change pas, il vit dans une sorte d’éternité immobile, il a toujours le même père et la même mère aussi, et Ruzena, qui a fait de lui un homme, est au-dessus de lui comme le couvercle du firmament, du seul firmament possible.

Klima est marié avec une très belle femme, Kalima. Mais sa jalousie lui gâche la vie. Elle mit trop de sel. Elle faisait toujours la cuisine avec plaisir et fort bien et Klima savait que si ,ce soir-là, le repas n’était pas réussi, c’était uniquement parce qu’elle se tourmentait. Il la voyait en pensée verser dans les aliments, d’un geste douloureux, violent, une dose excessive de sel, et son cœur se serrait. Il lui semblait, dans les bouchées trop salées, reconnaître la saveur des larmes de Kalima, et c’était sa propre culpabilité qu’il avalait.

Comme dans tous les romans de Kundera, d’autres personnages se mêlent à l’intrigue principale. Olga d’abord, une collègue de travail de Ruzena. Olga était une de ces femmes modernes qui se dédoublent volontiers en une personne qui vit et une personne qui observe. Jakub, père adoptif d’Olga parce que son ami, le père d’Olga, avait été condamné ses pairs dont lui-même. Je vais te dire la plus triste découverte de ma vie : les persécutés ne valent pas mieux que les persécuteurs. Je peux fort bien imaginer les rôles inversés. Toi, tu peux voir dans ce raisonnement le désir d’effacer sa  Uoiresponsabilité et de la faire endosser au créateur qui a fait l’homme tel qu’il est. Et c’est peut-être bien que tu voies les choses comme ça. Parce que, parvenir à la conclusion qu’il n’y a pas de différence entre le coupable et la victime, c’est laisser toute espérance. Et c’est ça qu’on appelle l’enfer, ma petite. Enfin, il y a Bertlef, l’américain, amoureux de Ruzena, riche, piquant des colères plus ou moins légitimes : je voudrais en trinquant marier le passé et le présent et le soleil de 1922 au soleil de cet instant. Elle est, sur la toile de fond de cette ville d’eaux, comme un diamant sur l’habit du mendiant. Elle et comme un croissant de lune oublié sur le ciel pâli du jour. Elle est comme un papillon qui voltige sur la neige. Le caméraman rit d’un rire forcé : « Vous l’exagérez pas, directeur ? » « Non, je n’exagère pas. Vous en avez l’impression parce que vous n’habitez que le sous-sol de l’être, vous, vinaigre anthropomorphisé ! Vous débordez d’acides qui bouillonnent en vous comme dans la marmite d’un alchimiste !. Vous donneriez votre vie pour découvrir autour de vous la laideur  que vous portez à l’intérieur de vous-même.

Quelques autres personnages : le docteur Skreta, les épouses des deux derniers. Mais le décor est planté, le drame peut survenir, imprévisible dans ses causes et ses conséquences, jusqu’à la mort.

 

Une fois encore, ce qui intéresse Kundera, ce sont les femmes, leur personnalité, leur originalité. Les hommes ne sont là que pour les dévoiler. Ainsi de Klima et Lalima : Elle était allongée sur le dos, la tête enfoncée dans l’oreiller, le menton légèrement levé et les yeux fixés au plafond et, dans cette extrême tension de son corps (elle le faisait toujours songer à la corde d’un instrument de musique, il lui disait qu’elle avait l’âme d’une corde), il vit soudain, en un seul instant, toute son essence. Oui, il lui arrivait parfois (c’étaient des moments miraculeux) de saisir soudain, dans un seul de ses gestes ou de ses mouvements, toute l’histoire de son corps et de son âme. Ou encore, d’Olga et de Jakub : Et elle fut soudain nue devant lui et il se disait que son visage était noble et doux. Mais c’était une piètre consolation quand il voyait le visage d’un seul tenant avec le corps qui ressemblait à une longue et mince tige à l’extrémité de laquelle était plantée, démesurément grosse,  une fleur chevelue.

Cependant, on se lasse de cette histoire de ville d’eaux, d’amantes et de jalousie, et même du devenir de Ruzena qui n’est qu’un pion balloté par les opinions des autres. La langue est belle, les analyses des personnalités intéressantes, le style de Kundera toujours aussi mordant, mais l’intrigue est au fond mortellement ennuyeuse.

18/04/2013

Suis-je bien là où je suis ?

Suis-je bien là où je suis ?
Vivre dans deux lieux sans savoir
Activités ou méditation, que choisir
La solitude ou la gare de voyageurs
L’évaporation ou la noyade humaine ?
C’est la corde raide de l’inconnu
Le voyage sans fin de l’Entre deux
(et pourquoi pas Antre ?)
Un lieu qui n’en est pas un
Une aspiration immatérielle
Qui vous vide le cerveau

Agité, je cours à l’action
Empli de bon sens et d’escampette
Je mouille ma chemise
Pour la tordre dans le no man’s land
J’arrive dénué de désirs
Dans le jardin des folies conceptuelles
Et plonge à grandes brasses
Dans l’orgie des idées sans fin
Elles gonflent, ces pensées malhabiles
Elles se trouent de bulles odorantes
Elles envahissent l’espace vierge
Et le peuplent de chaleur nocive
Le rêve devient réalité

Alors surgit la pâle résurgence
De la fébrilité de l’autre monde
Des rendez-vous diserts
Des réunions fantomatiques
De colloques envoûtants et creux
Fièvre ou apathie, je ne sais

Oui, suis-je bien là où je suis ?
D’ailleurs, où suis-je
Et que suis-je moi-même ?

17/04/2013

Eurydice mourante, de L. Nanteuil

La galerie Colbert, rue Vivienne, ainsi dénommée parce qu’elle fut, à ses débuts, propriété de la famille du même nom, est splendide de néo-classicisme.

« Dans la première moitié du XIXe siècle, le quartier, profitant de l’animation des cafés, commerces et maisons de jeu du Palais-Royal, change de dimension : la rue Vivienne prolongée jusqu’aux grands boulevards assure désormais le lien avec ce secteur en développement. Il devient un des lieux privilégiés d’implantation des passages couverts, nouveaux espaces, à la fois publics et privés, offrant aux piétons des chemins protégés et aux marchands de nouveautés des vitrines. Les galeries Colbert et Vivienne constituent le premier maillon du réseau de passages qui relient le Palais- Royal au boulevard Montmartre. Sans raccourcir le chemin, elles permettent d’éviter les encombrements de la rue Vivienne, une des plus fréquentées de la capitale, ainsi que la boue et les crevasses qui sont alors courantes. » (Source : http://www.inha.fr/spip.php?rubrique273).

Elle abrite l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA). Elle est souvent déserte, alors que sa voisine, la galerie Vivienne, est un lieu de passage et d’achats.

 

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 Sous la grande verrière, au centre de la rotonde, se tient une reproduction d’Eurydice mourante, mais encore bien en vie puisqu’elle se tient debout. L’original est au Louvre et en marbre. Elle émeut d’être là, seule dans cette galerie déserte, n’ayant plus la force de lever la tête vers cette verrière qui donne sur le ciel bleu.

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Son sculpteur est Charles-François Lebœuf dit Nanteuil ou Lebœuf-Nanteuil, né à Paris en 1792. Il est l'élève de Pierre Cartellier (1757-1831). Son marbre, "Eurydice mourante", réalisé à Rome en 1822 et présenté au Salon de 1824, est acheté par le roi pour le jardin du Palais Royal. A l'exposition de 1827, Lebœuf-Nanteuil obtient la médaille d'or de première classe. Il reçoit de nombreuses commandes pour Paris, notamment le fronton de Notre-Dame de Lorette, les bas-reliefs situés au-dessus des portes du péristyle du Panthéon et plusieurs sculptures pour la décoration du Louvre.

En aviez-vous entendu parler ? Et pourtant, elle est belle cette Eurydice. Elle n’a pas le corps parfait tel qu’on l’entend actuellement, mais elle a la grâce de sa pose et la singularité de son attitude. Statue classique, elle donne néanmoins une impression de modernité indéfinissable. Allez la voir, cela lui fera plaisir !

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16/04/2013

Maurice Estève, au salon du dessin 2013

Manifestation de renommée internationale, ce salon rassemble galeristLithographie1 ME.jpges français et étrangers, experts, collectionneurs, amateurs ou simples spectateurs au palais de la Bourse à Paris. Le décor est soigné, les personnes présentes sont élégantes, les dessins fins et racés. La grande majorité vient des XVIII et XIXème siècles. Mais quelques stands sont dédiés au XXème.

 

Une fois encore, la galerie Applicat-Prazan se distingue. Son stand se situe à droite en entrant et se remarque immédiatement par la couleur inimitable des tableaux de Maurice Estève (1904-2001). Une féérie qui tranche avec les autres exposants. Comme pour la FIAC, son propriétaire, Franck Prazan, consacre son exposition à un seul artiste, un merveilleux coloriste, dont l’agencement des formes n’a d’autres buts que de mettre en valeur les ajustements de couleurs.

 xl_affiche-maurice-esteve-n-a-1175-1985.jpgEstève a reçu la reconnaissance du monde entier à travers de nombreuses expositions. Son œuvre, très tôt dans son parcours, fût remarqué par ses aînés : Braque, Matisse, Delaunay ou Picasso.

Ses admirables dessins, ses non moins étonnantes aquarelles et ses savoureux papiers collés sont présentés dans la galerie Lejuge en lumière tamisée et, dans un souci de conservation, sont renouvelés tous les trois mois. » (source : http://www.ville-bourges.fr/site/culture--loisirs_musee-esteve)

 

Sur sa façon de travailler, Estève précise: «…Je ne me sers jamais d’esquisse, je peins directement sur la toile, sans dessin préalable. La couleur s’organise en même temps que les formes. Tout se cherche dans le format en chantier… Chaque œuvre est une suite de métamorphoses… En vérité une toile est pour moi une somme de reprises incessantes qui dure jusqu’à ce que je me trouve devant un organisme que je sens vivant. Seule ma sensibilité peut me dire si j’ai atteint ou non cette reconnaissance…

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Une des choses qui me caractérise le plus est qu’il n’y a pas chez moi d’image préétablie, pas de forme que je souhaite obtenir à priori sur une toile. Au moment même où je peins, il s’opère un échange, une conversation s’établit entre moi et le tableau au fur et à mesure que celui-ci s’organise… N’ayant plus le spectacle de la nature sous les yeux, ni son souvenir, je me trouve en face de l’art, d’une réalité, d’un objet qui a grandi et qui est plus tyrannique encore qu’un sujet, mais en même temps plus souple, obstiné et ouvert.»

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Estève n’a pas de style, ou plutôt il a son style, inimitable de formes entremêlées sans but apparent, composition d’objets disparates, ronds, carrés, allongés, entortillés les uns dans les autres. Il peint sur la toile ou le papier, à l’aquarelle, au fusain, à l’encre, aux crayons de couleurs, au crayon gras. Parfois il colle les morceaux pour réaliser de véritables fééries. Et de la couleur naît l’âme du tableau, vive, transcendante, des rouges sublimes, des bleus profonds ou voilés, des verts tendres et transparents.

Vous vous concentrez sur un tableau et vous vous sentez transformé, dans un état de soulagement qui vous fait oublier les lourdeurs de la vie. Le peintre de la liberté retrouvée : un coup d’œil et vous êtes mieux, libre et enchanté. N’est-ce pas un peintre unique ?

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15/04/2013

Création et liberté

« J’ai quitté la société il y a trente ans pour être libre et le seul territoire où la liberté ait encore un sens est celui de la création. » (Jean-Pierre Raynaud, artiste assembleur)

Oui, sans doute, beaucoup s’étonnent de la profusion de créateurs artistes en cette transition de début du siècle. Les plus grandes manifestations françaises d’art contemporain, dont la FIAC et Art Paris, montrent une quantité de créateurs en tout genre. Il faut du temps pour y trouver de véritables œuvres artistiques. Nombreuses sont celles dont le seul intérêt est la provocation ou même la laideur. Mais au détour d’un stand, vous vous trouvez devant une création pleine de vie et de beauté.  Ne dissertons pas sur la beauté. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la création et la liberté de créer.

J’aime assez la définition, concernant la liberté, du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : État d'une personne ou d'une chose dont l'action ou la manifestation ne rencontre pas d'obstacle. Cette vision de la liberté se rapproche par l’esprit de la création. L’artiste est celui qui ose et qui échoue ou qui triomphe. Et il remet en cause sa liberté de créer à chaque nouvelle œuvre. Ce n’est que lorsqu’il se copie lui-même qu’il cesse d’être un artiste pour devenir un fantoche médiatique. Certains le recherchent dès le départ. Ils ont trouvé une idée, l’exploitent à fond, font des pieds et des mains pour se faire connaître, faire parler, écrire sur eux.

Le vrai artiste est un homme libre dont la seule liberté est le pouvoir de créer.

14/04/2013

Le bonheur

Un ver de terre sort du sol
S’est-il rompu le cou pour la vacuité
Ou découvre-t-il l’absence de souci ?

Il chemine sur la surface
A la frontière de l’inconnu
Quelle ivresse et quelle arrogance !
Comment ce misérable vermisseau
Peut-il tout seul goûter le bonheur ?

Et contrairement à l’idée que l’on s’en fait
Ce n’est pas la satiété qui le réjouit
Mais le vide indolore de l’air
Plus d’exercices et d’efforts

Je vais et viens comme je l’entends
Exerçant mon autocritique pleinement
Et cela me procure un allégement
Qui me donne un frisson élégant

Le bonheur, n’est-ce pas cette goutte d’ivresse
Au creux des courbes du corps
Ce chatouillement inédit qui prend le rein
Cette absence de raison raisonnable
Qui ouvre les portes du paradis

Alors je déploie mes ailes
Et part loin de tous
Vers des horizons ignorés
Là où rien ne limite
Cette aspiration  à être

13/04/2013

Judith Albarès, roman de Simone Jacquemard

Etrange figure de femme apparemment que cette Judith qui, dans sa ma13-04-13 Judith Alabarès.jpgison d’Arvelinghen, dans les dunes au bord de la mer, garde comme une proie le jeune Nicolas Servain à peine sorti de l’adolescence et qu’elle a arraché par la ruse à sa jeune amie. Judith a plus de quarante ans. Qu’a été sa vie pour la rendre ainsi « amoureuse de l’amour dans le trouble de ses commencements » ? Et où la conduira cette quête forcenée ?

Pas à pas, à travers la mémoire de Judith, nous parcourons le chemin qu’elle a suivi depuis ce jour où, adolescente elle-même, elle a fait sur la place la rencontre d’un garçon de son âge, ce Romain Brienne, qui l’a révélée à elle-même et dont le souvenir, aussi profondément enfoui qu’il soit, ne cessera de la brûler. Philippe Estavayé, Claude Gombert, Ugo Scharfenberg et tant de jeunes inconnus poursuivis à grand risque, à travers le scandale toujours prêt à éclore et la honte pressentie et l’émerveillement renouvelé, autant d’étapes vers l’abîme où lucidement elle va se jeter.

 

« Simonne Jacquemart est née à Paris en 1924. Elle a passé son enfance dans la baie de Somme. Elle suit des études de grec à la Sorbonne, études qu’elle reprendra au fil des années. Très tôt elle se passionne pour les arts : le piano, dès l’âge de 5 ans, la guitare classique, la danse indienne, le flamenco. Elle donnera des spectacles à Paris, Bordeaux, Sens, Chinon et à Cordes (Tarn) pour les fêtes médiévales de 1982 à 2000.

Elle s’intéresse également au tissage, dont elle a une longue pratique, et à l’ornithologie au quotidien. Elle élève des chevaux arabes et anglo-arabes depuis 1968, ainsi que des chèvres alpines chamoisées. Pendant dix ans, elle vit en intimité avec vingt-cinq renards, souvent nés à la maison, pour l’étude scientifique et l’apprivoisement. Elle cultive la marche à pied en solitaire, sac au dos, à travers toute la France.

En marge de toutes ces activités, elle a publié depuis 1945 une cinquantaine d’ouvrages : romans, nouvelles, récits, essais, poésie, traductions. Elle a obtenu différents prix littéraires dont le prix Renaudot, en 1962.

Elle vit, depuis près de vingt ans, dans le Périgord, avec l'écrivain, peintre et naturaliste Jacques Brosse, décédé le 3 janvier 2008. »

(source : http://www.arfuyen.fr/html/ficheauteur.asp?id_aut=1197)

 

12/04/2013

La petite chartreuse, roman de Pierre Péju

Deux destins marchent l’un vers l’autre. Une petite fille perdue qui attend sa maman et un libraire, Etienne Vollard, ours mal léché, qui conduit sa camionnette : six cents kilos de ferraille, deux cent kilos de livres, cent dix kilos de Vollard, bref une tonne de choses mécaniques, humaines et littéraires. (…)13-04-12 La petite Chartreuse.jpg Vollard voit successivement  le petit anorak rouge, la pâleur, la terreur soudaine dans deux yeux immenses, démesurés, deux yeux incrédules plongeant dans les siens. Longtemps il restera persuadé d’avoir nettement distingué ce visage à travers le pare-brise, un visage d’enfant qui n’était séparé de sa vieille tête à lui que par l’écran transparent contre lequel il se brisait.

Il n’est pas responsable. L’enfant s’est jeté sous ses roues. Mais il ne peut s’empêcher de penser à sa victime.

Alors il va la voir à l’hôpital, un corps environné de tuyaux, avec une mère, Thérèse, qui fuit sa fille, inefficace. Il va la prendre en charge, cette Eva qui est dans le coma. Il lui parle dans le creux de l’oreille. Il lui raconte ses histoires de livres. Il lui récite des livres entiers. Il abandonne sa librairie à son assistante et passe des jours entiers près d’elle.

Bientôt Eva put quitter l’hôpital. Habillée de neuf, elle ressemblait à n’importe quelle petite fille, yeux noirs, duvet noir. (…) Elle ne disait rien, absolument rien, mais elle ne paraissait pas en éprouver le besoin.

Thérèse fuit, une fois de plus, et signe les papiers autorisant Vollard à s’occuper de sa fille qui se trouve maintenant dans une maison de santé de la Chartreuse. Celui-ci y va et fuit lui aussi. Il n’a pas le courage d’affronter cette chose pétrifiée. Il reviendra pourtant. Ils partent dans la campagne de la Chartreuse, dans ses bois, ses massifs, ses rivières. Et il  raconte ses livres. Pour Vollard, Eva devenait la petite chartreuse. Silencieuse sans en avoir fait le vœu. La très pâle moniale. L’enfant cloîtrée. L’enfant privée de voix et de joie, privée d’enfance. Mais au fil de ces errances dans la Chartreuse, bizarrement, ce n’était pas le poids écrasant et absurde de l’accident que Vollard ressentait en compagnie de la petite fille, mais un inexplicable allégement, un soulagement, un apaisement dû à ce rituel de marche lente, de silence, de contemplation de choses infimes. Comment un si petit être, émettant si peu de signes, pouvait-il lui donner cette impression de discret équilibre, de nécessité fragile, mais heureuse ?

Un beau livre, discret, réfléchi, qui parle de cet amour entre le libraire et sa victime et qui conduit malgré tout à une fin terrible des personnages, comme si inéluctablement leur destin se poursuivait jusqu’à l’anéantissement.

11/04/2013

Les voisins de dieu, film de Meni Yaesh

C’est un film ambigu : que veut le réalisateur ? Dépeindre les petites frappes d’une banlieue de Tel Aviv qui font la loi dans leur quartier à coup de battes de base-ball, ou montrer le passage de la violence à la vie et de la jeunesse à l’âge adulte, par la naissance du sentiment amoureux. 13-04-10 Les voisins de Dieu.jpg

Il nous plonge dans une communauté religieuse qui entretient des rapports troubles avec la religion. Fondés sur des slogans bibliques, la haine des autres la conduit à des comportements aussi barbares que ceux des islamistes radicaux. Dans le cœur de l’un des plus extrémistes surgit la flamme de l’amour qui va modifier son attitude : Miri, jeune fille moderne, conquiert le cœur d’Avi. La haine et la fausse virilité sont balayées par des sentiments qui dépassent le héros. Va-t-il poursuivre dans ses résolutions de pourfendeur de Yahvé ou être contraint de changer sa vision des choses ?

On ne sait si c’est un bon film : des scènes dignes de nos banlieues, des personnages haut en couleurs et en lâcheté jusqu’au moment où Avi, pour ne pas se parjurer, tire à côté de l’arabe qu’il tient dans sa ligne de mire. La vie l’emporte sur la fausse morale, l’amour sur le ressentiment.

Les machos ont perdu une brebis. La bête est devenue homme. Mais le sujet fait-il un bon film ?

10/04/2013

Rêverie

Le dimanche se perd dans l’aquarium
Dont la solitude verte
Fait aux fenêtres dorées
Une rosée de pleurs

L’avenue bordée de pieds ronds
S’enfonce, infinie et chaude,
Vers la porte qui ne mène nulle part
Large tapis qui s’allonge, rigide

Les êtres s’étirent doucement
Vers trois coins opposés
Puis se laisse bercer
Par les vagues de leur lit

Parfois le soleil étale ses rayons
Jusque dans l’aquarium
Et cherche à détruire
Les ombres et la quiétude de l’air

Zébrée d’auréoles blondes
La cire ronronne et languit
Et des visages sans voix
Fuient leur cruelle engeance

L’aquarium émet des sons étranges
Rires alourdis de mains ouvertes
Où chaque doigt cache
Un souffle de fumée

Les lits ouvrent leurs bat-flancs
À des jambes solitaires
Qui glissent dans leur ombre
Vers de longs tabourets

Et ceux-ci campés fièrement
Sur quatre pieds aux pattes décharnées
Offrent leur solitude
Au monde de chaleur

Une rangée de hallebardes
Dresse leur cache-flamme
À la brume prisonnière
Qui s’y attarde gaiement

Le soleil aussi semble profiter
De leur miroir d’huile
Pour caresser doucement sa longue chevelure d’or

Univers clos
Monde parmi le monde
À la recherche d’une âme
Dans les brumes de son corps

09/04/2013

Silouans Song, composée par Arvo Pärt

ttp://www.youtube.com/watch?v=_hUEKapz9cE

 

 

Ce n’est pas de la musique religieuse, destinée à accompagner une cérémonie. Mais c’est certainement de la musique sacrée, au sens où elle vous transforme et devient preuve du numineux. Composée pour un orchestre à cordes en 1991, elle s’insinue en vous et contraint à l’écoute, au calme, à la méditation. C’est bien un chant qui naît dans la cathédrale intérieure de votre être. Il est ténu, presqu’inaudible parfois, envahissant à d’autres moments. Il va finir sans qu’on s’en aperçoive. Il se poursuit en écho et résonne en vous bien après s’être arrêté. Il vous laisse le silence, un vrai silence intérieur, comme celui de la neige qui tombe sans bruit dans la forêt.

Arvo Pärt est vraiment un grand compositeur dont l’inspiration profondément spirituelle conduit à une musique prophétique. Il s’inspire ici du Staretz Silouane, moine du Mont Athos. Mon âme languit après le Seigneur… Et toutes les nuits, Silouane cherchait celui-ci dans le silence de sa cellule.

08/04/2013

Jardin des serres d’Auteuil : voyage équatorial

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Ce jardin date de Louis XIV qui le fit construire en 1761. Organisées autour d’un parterre à la Française, cinq serres donnent sur cet espace dégagé.

 

Malheureusement, le boulevard périphérique l’ampute d’un tiers en 1968. Le projet d’agrandissement des stades de Roland-Garros le remet en cause P1010129.JPGà nouveau.

Que deviendront les collections de plantes rares (plus de 6000 végétaux organisés en collections thématiques) ? Et démolira-on les deux pavillons aux portes curieusement chinoises pour faire place au sport lucratif ?

 

Hier, promenade dans les jardins et visite des serres, chaudes, encombrées, parfois fermées, toujours impeccablement tenues. Au dehors l’air est frais. Vous entrez dans une serre et vous vous sentez serré (logique, n'est-ce pas?),P1010005.JPG voire oppressé, par la moiteur étouffante de plantes qui vous narguent : « Entre si tu le souhaites dans notre antre, mais tu restes un étranger qui n’a droit à aucun mouvement intempestif ! » Elles foisonnent ces plantes. Elles semblent s'être développées au-delà des limites possibles, envahissant leurs supports, se mélangeant les unes aux autres, exhumant des senteurs sourdes et occultes qui font monter au cerveau le souvenir d’une vie végétative et tenace, celle des premiers hommes emprisonnés dans les forêts primaires.

 

P1010018.JPGLa grande serre, majestueuse, dresse ses arceaux de fer et de verre sur les carpes du Japon qui baignent dans l’eau trouble d’un bassin : rencontre en un point des trois dimensions où la vie s’écoule au rythme des battements de queue. Une vraie forêt vierge, mangrove miniature aux racines entrecroisées. Vous êtes happé par la mP1010036.JPGarée végétale qui envahit votre espace vital. Vous ne respirez plus. Vous devenez plante !

Sous la grande verrière, le palmier déploie ses membres en arabesque. Celle-ci semble grandir avec l’arbre.

 

Un jardin zen, dans une autre chapelle (c’est ainsi que sont P1010056.JPGbaptisés certaines serres. Pourquoi ?), amoureusement ratissé, vierge de prolifération, insolite dans cet envahissement de feuilles, troncs, racines et senteurs. On y respire avec aisance, on s’y promène avec charme, on admire cette luxuriance organisée qui laisse place au vide créé pour mieux l’admirer. Le minéral côtoie le végétal. C’est un plus appréciable !

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La chapelle des orchidées : choyées, elles vous accueillent tendrement, sous leur meilleur jour, dans la lueur diffuse des brumes du soleil levant. Oui, vous êtes bien sur une autre planète, sauvage et inquiétante.

 

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En un instant, vous suffoquez. Trop, c’est trop ! Quel envahissement. Vous mangez la verdure, elle pénètre dans vos poumons, elle vous entoure de ses bras puissants, elle entre dans votre système olfactif, elle obstrue votre système auditif, elle trouble votre vision de gouttelettes qui coulent le long des vitres. C’est assez, sortons !

 

Vous vous retrouvez dehors, décalé, perdu, refroidi, respirant à grandes ventilations un air pur malgré les voitures qui passent à proximité du parc. Quelle drôle d'échappée sous d’autres horizons !

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07/04/2013

Imbroglio

Construction invraisemblable, mais qui trouve son équilibre en elle-même. Elle suffit au regard et donne un contentement simple, mais réel. Elle flotte dans le vide sidéral car aucun environnement ne peut la combler. Pure création de l’esprit, elle s’épanouit seule.

 

 

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06/04/2013

Ecume

L’écume des nuages dans les flots
Secoués de tremblements

L’écume de chaleur des chevaux
Après une course effrénée

L’écume de colère que profère
Celui qui noue la violence

L’écume des individus méprisables
Qui portent leur aigreur rentrée

L’écume de mer des pipes
Dont la magnésite se culotte

L’écume de l’épileptique
Prenant par surprise l’humain

L’écume de terre de l’aphrophore
Protégée par son crachat de coucou

L’écume de résidus de la chauffe
Regorgeant d’impuretés

L’écume des jours, de littérature
Emportée par le déclin du temps

Toutes ces écumes sont-elles
Signe de vie ou de mort
L’écume n’est-elle qu’une éphémère
Excroissance de renoncement
Ou preuve de résurrection ?

L’écume des mots seule
Peut le dire en bulles
Et pétillements sauvages
Sortant de la bouche d’innocents
Frêles, vierges et extasiés

 

poème,écriture,poésie,littérature

05/04/2013

Un garçon en l’air, roman de Didier Martin

Raphaël, le narrateur, vole. Non ce n’est pas un voleur. Il vole réellement comme un oiseau, mais sans battre des ailes. On pourrait dire qu’il lévite, mais la lévitation ne permet pas de se déplacer dans13-04-05 Un garçon en l’air, Didier Martin.jpg les airs. Il le peut. Il le fait depuis sa tendre enfance.

A l’école, il rencontre François qui vole également. Et il vole mieux, de manière plus décontracté, comme si cela était naturel chez lui. François envisageait le vol d’une tout autre façon que moi. A vrai dire, il avait des idées sur la question. Il en regorgeait même, fussent-elles négatives, tandis que j’en étais entièrement dépourvu, du moins jusqu’à son apparition au-dessus de la cour de l’école. Mais tout ce qu’il me disait depuis ce jour-là me trouvait réticent : je volais par plaisir et lui par habitude ; je tenais le vol pour une sorte de supériorité, et lui pour un mauvais tour que le sort lui avait joué ; je croyais de tout mon cœur à une raison profonde et encore secrète d’être pourvu d’un don qu’il regardait comme une absurdité de la nature.

Un jour, François lui donne rendez-vous pour le lendemain. Il va voler devant quelqu’un qui ne vole pas et qui ne peut pas le voir. Et il explique les raisons : disons qu’ils ne peuvent pas en croire leurs yeux. C’est trop fort pour eux, tellement fort que cela n’existe pas. Pour ceux qui ne croient pas en Dieu, Dieu n’existe pas. Et ils volent devant la mère de François sans que celle-ci s’en rende compte. Plus tard, ils constatent dans les jardins du champ de Mars qu’il y a d’autres êtres volants qui les environnaient.

François lui présente Catherine, l’amie d’une amie et Raphaël en tombe amoureux. Mais il ne lui dévoile pas son secret. Bientôt, c’est l’alternative : Catherine ou le vol. Après bien des péripéties, il lui préfère le vol et Catherine repart. Elle épousera un homme normal. Et lui : Je volerai tous les jours. Je peux voler n’importe où et n’importe quand désormais : cela n’a aucune importance et ne présente aucun risque, plus aucun risque. Dès demain…

Quel beau roman dans lequel le fantastique côtoie la réalité sans que jamais on ressente un instant de gêne.

04/04/2013

A Paghjella di l’impiccati, chant corse par le groupe A Filetta

Le chant corse est avant tout un chant de tradition oral, sans partition écrite, à la manière du Moyen-Age ou des chants populaires de Bulgarie. Les familles se rassemblaient et chantaient spontanément, établissant un lien social ou même sociétal très fort. Il y avait des chants pour toutes les occasions de la vie en société et chaque famille avait sa manière de chanter. Mais la multitude des enregistrements a tué cette spontanéité qu’il convient maintenant de retrouver. Comme l’écrivait Félix Quilici en 1962 : «Une chose est certaine, c’est que, de nos jours, la source musicale est à peu près tarie car la véritable tradition orale est devenue presque impossible, tant sont abondantes, variées et accessibles les sources d’information remaniées. »

Le groupe A Filetta est né en 1978. Pour eux, « la pratique de la polyphonie est absolument liée à l’établissement d’un lien social. » Le chant corse est une musique de partage. On chante ensemble comme on mange ensemble. Le chant devient complicité.

« Chanter c'est, aussi et peut-être surtout, dire tendrement des choses puissantes et puissamment des choses tendres.

Notre chant est de pierre et d'eau. Dans ses plis et replis, dans ses arcanes, il épouse les contours de l'âme de ce rocher tumultueux qui nous a engendrés.

Notre chant est un chant qui consacre la mémoire, il est aussi un chant qui prône l’ouverture, l’accès à l’autre. Surtout, il traduit le besoin profond de n’être que ce que nous sommes, mais à l’être pleinement, sans complexes, en authenticité et généreusement. Pas en essayant d’en faire un sanctuaire. Le sanctuaire, cela sent déjà la mort. »

(source : http://cguelfucci.free.fr/Html/afiletta.htm)

Maintenant place à ces chants forts, virils, humains et tendres, émouvants, intimes. N’écoutez que celui-ci si vous le voulez, mais écoutez-le jusqu’au bout, non pour les chanteurs, mais par respect pour la tradition du fond des âges et pour la beauté simple de l’improvisation si profondément authentique.

 

http://www.youtube.com/watch?v=FU-wBJ4r3f0&feature=related


 

 

 

03/04/2013

Art Paris (28 mars au 1er avril 2013)

Le temps du week-end de Pâques, de nombreuses galeries se sont données rendez-vous au grand palais. Assez semblable à la FIAC, Art Paris Art Fair « affirme son identité singulière de foire européenne orientée vers la promotion des scènes de l’Est (Europe Centrale et Orientale, Moyen-Orient et Asie). Avec 74 nouvelles participations, 20 pays représentés et 43% de participation étrangère, la sélection 2013 est profondément renouvelée et internationale. » (source : http://www.artparis.fr/fr/)

Mais au fond, relisez l’article sur la FIAC (voir note du 21 octobre 2012), l’impression est la même. Cherchons donc le mouton à cinq pattes. Il y en a et pas tous de la même famille.

 

Jean-Pierre Le Bars :

Art concret, géométrique, abstrait. Ce qui différencie Jean-Pierre Le Bars des autres peintres cinétiques tient aux supports qu’il utilise. Ce ne sont pas de simples toiles, mais un ensemble toile-relief élémentaire qui se fond dans la géométrie du tableau.

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Il a réalisé ces premiers supports en 1996. Il aime l’incertitude  que donne le mélange de la troisième dimension et de la géométrie constituée de formes rectangulaires qu’il affectionne. Alors il construit des séries homogènes composées de contrastes, de vides et de pleins, la plupart du temps verticales, comme un découpage organisé de l’espace, reproduction sans lassitude d’éléments répétitifs très simples.

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Certains s’en lasseront vite. Mais il y a le charme de la symétrie, la simplicité de l'organisation du tableau et des formes reproduites, le repos que chaque œuvre procure d’abord au regard, puis à l’impression ressenti et enfin à l’esprit. Insolite, n’est-ce pas, cet appel au noir dans l’opposition des deux autres couleurs !

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Ce peintre a exposé lors des journées d’Art Paris et il expose également à la galerie Vieille du Temple, 23 rue Vieille du Temple, 75003 Paris.

02/04/2013

Inexorablement, se déversent du ciel

Inexorablement, se déversent du ciel
Les gouttes d’une froide solitude
Le temps s’est divisé, recroquevillé
En nuages noirs et denses
Comme les bourres de poussière
Sous les meubles de votre passivité

Autour de vous, au pied de votre île
L’eau monte en écume blanchâtre
Et file sous vos yeux inquiets
Elle atteint sa côte d’alerte
Et envahit votre esprit occupé
Jusqu’à faire dériver vos pensées

Les gouttes sont devenues flots
Les flots deviennent fleuves
Les fleuves emplissent l’immensité
Des eaux des mers bordant la terre

Observons cet étrange ballet
Une goutte tombe, se perd
Se fraye un chemin dans la végétation
Ruisselle avec ses compagnes
Vers d’étranges récipients
Qui déversent leur bouillonnement
En vomissures permanentes
Dans des canalisations saturées
Jusqu’aux rives des ondes courantes

Là s’arrête son aventure
Elle meurt de trop de gouttes
Elle laisse la place à plus épais qu’elle

Adieu goutte fraîche et caressante
Qui m’honora de sa présence
Avant de finir engloutie
Dans les affres de la nature débordante

01/04/2013

Quelques pas dans les pas d’un ange, récits de David Mc Neil

L’auteur raconte ses premiers pas aux côtés de son père, le peintre Marc Chagall. Ce sont des souvenirs brefs, mais accompagnés de l’amour filial qui éduque et met du sel dans les aventures d’un enfant. Il s’émerveille :13-03-31 Pas d'un ange.jpg

Il trouvait fastidieux de couvrir de peinture deux bons mètres carrés alors il m’a demandé de préparer le fond. Je commençais à comprendre que n’importe qui aurait payé pour avoir ma place, alors j’ai mis presque une journée à le peindre, travaillant lentement, sensuellement, m’imprégnant de l’odeur enivrante de la térébenthine, je soupçonne les peintres de s’asperger le soir de térébenthine comme d(‘autres d’un after-shave, ça attire les jeunes filles que fascinent les artistes. Une journée de bonheur. Le matin arriva où la couleur fut sèche. Alors il a préparé des fusains, les tenant dans son poing comme un petit bouquet, il s’est assis dans un large fauteuil en paille et a regardé longuement la tache bleue en plissant les yeux et se pinçant les lèvres comme il le faisait souvent quand il se concentrait. Il attendait l’idée. Picasso disait, peut-être avec humour : « Je ne cherche pas, je trouve », « Moi j’attends » répondait mon père très faux-modestement. Je l’ai souvent vu qui fixait une toile blanche, un carton, une feuille vierge, il prenait un de ses fusains et le cassait en deux, le tenant dans sa main, parallèle à son pouce. Alors il commençait et tout allait très vite.

Autre histoire, dans un bistrot populaire rue Saint Louis en l’Ile :

On ne dépareillait pas du tout dans le restaurant où, très vite, on avait trouvé à s’assoir. Les deux ouvriers à la table à côté ont regardé les mains de papa, tachées de couleurs diverses, ces mains dont il disait souvent qu’elles étaient imprégnés jusqu’à l’os. Il avait plus de soixante-dix ans, mais avec son allure énergique et l’impression de puissance qui émanait de lui, il pouvait très bien passer pour un peintre en bâtiment.

« Vous avez un chantier dans le coin ? demanda l’un d’eux.

Je refais un plafond à l’Opéra, répondit mon père en attaquant son œuf dur mayonnaise.

C’est un livre sans prétention. En prologue, il est écrit :

Ce livre est court, beaucoup trop court. Il raconte les rares moments que j’ai pu passer avec celui qu’autour de moi tout le monde appelait « maître » et que moi j’appelais simplement papa…