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25/06/2015

Haïku

Un haïkiste a le désir de retenir ce qui fuit, de ne pas laisser échapper ce qui passe. Désir surtout de manifester son assentiment  à tout ce qui survient : à tout ce qui bonnement est. Un haïku, c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment. (Fourmis sans ombre, le livre du haïku, Anthologie-promenade par Maurice Coyaud, Libretto,1978)

 

Lever de soleil, il est cinq heures. J’émerge de la houle des draps. Je me lève, ferme la porte de la chambre et regarde au dehors.

Le haïku surgit :

 

Regard rosé de l’aurore
L’ombre se noie entre les immeubles
Comment les empêcher de tomber ? 
 

21/06/2015

Vert

Les matins de cinq heures sont les plus beaux…
La brume encore noie les couleurs :
Le pastel domine, mêlant les verts.
Sortir à cette heure, c’est se baigner
Dans l’eau vive de la résurrection.
Les senteurs se font plus ardentes
Et les bruits plus discrets,
Vos caresses dans l’air frais plus vibrantes.
Vous marchez sur la soie
En toute discrétion, humblement,
Attentif à ne pas dépareiller l’ordonnancement
De ce jardin délicatement posé
Qui s’impose désormais à vos yeux.
Verts tendres des dernières feuilles,
Verts rouillés des premières,
Verts profonds de l’intérieur,
Verts assoiffés des jeunes pousses,
Verts bleutés sous la haie,
Verts jaunissants de la prairie,
Verts orangés du marronnier malade,
Verts transparents du verre
Que vous tenez en main
Pour célébrer ce jour et fêter
La fin d’une nuit si petite
Qu’elle est passée en catimini
Ouverte à tous les vents.
Et baissant le regard sur le vert gazon,
Vous remarquez ce vers qui coule
Entre les brins d’herbe sa vie paisible.

Vers quoi allez-vous donc aujourd’hui ?
Je m’applique à versifier la montée du jour
Pour réjouir l’esprit de l’abondance
Et que ces vers bercent ceux qui ne voient
Que maisons, trottoirs et autobus.

©  Loup Francart 

20/06/2015

Matinales (13 et fin)

Le lendemain, Amélie avait hâte de plonger et de retrouver ce monde qui s’offrait à elle. Elle avait eu du mal à s’endormir, pensant à sa propre vie. Oui, le jeune homme avait raison. Elle avait un problème et elle venait juste de comprendre lequel. Désormais elle se consacrerait à cette recherche, quitte à délaisser la vie quotidienne.

Elle s’habilla, prépara son sac à dos et prit le chemin de la piscine en courant. Cette course la réveilla. Les gens croisés avaient l’air heureux. Elle fit signe à une vieille dame qui lui répondit aimablement. Elle posa sa main sur les cheveux d’une petite fille qui lui sourit. Oui, le monde était transformé. Ou plutôt, elle était transformée. Lorsqu’elle arriva dans la rue de la piscine, elle vit de nombreux véhicules stationnés n’importe comment, des voitures de police et de pompiers dont les gyrophares tournaient sans cesse. Les habitants étaient aux fenêtres contemplant ce spectacle sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Elle s’approcha du policier qui semblait filtrer les personnes autorisées à pénétrer dans le cercle fermé par une bande d’interdiction rouge et blanche.

– Je suis une habituée. Je viens tous les jours et j’ai oublié quelque chose hier dans le vestiaire. Puis-je aller le chercher ?

– Vous ne pouvez entrer dans le bâtiment. Il risque de s’écrouler. Mais allez donc voir le maître-nageur, il vous dira ce qu’il en est.

– Merci.

Amélie avança, vit le maître-nageur, le salua et lui demanda ce qu’il se passait.

– Hier soir avant la fermeture, mais heureusement il n’y avait plus personne dans le bassin, j’ai vu un énorme bouillonnement se former à la surface de l’eau. Beaucoup plus fort que l’autre fois. Et progressivement, le bassin a commencé à se vider. Il a perdu un mètre en quelques minutes, puis deux, laissant à découvert le petit bain. Une sorte de siphon aspirait l’eau qui restait dans le grand bain, mais l’eau ne baissait plus. J’ai fait venir les pompiers, la police est arrivée. On craint que le bâtiment n’ait subi des dommages irréversibles. La piscine est bien sûr fermée. Elle ne rouvrira peut-être jamais. Les experts sont en train de l’examiner. Vous allez mieux ?

– Oui, je suis remise. Merci. Quel dommage. Il va falloir que je trouve une autre piscine.

Elle n’en dit pas plus, assommée par cette nouvelle qui la coupait de ce monde captivant dans lequel elle avait été plongée pendant quelques jours. Plus de contact. Plus jamais, probablement, se dit-elle.

Elle dit au revoir au maître-nageur, franchit en sens inverse la bande d’interdiction et partit en courant, souriant au monde des hommes, au soleil du matin et à cette vie nouvelle qui s’offrait à elle en ce jour nouveau. Elle savait que ce serait dur, qu’elle trébucherait. Mais elle avait désormais une certitude que personne ne pourrait lui enlever. Sa vie avait un sens.

19/06/2015

Matinales (12)

La femme l’attendait, flottant entre deux eaux. Elle n’avait pas bougé et elle souriait comme si elle voyait sa famille.

– Pourquoi dites-vous que votre petit garçon sait ? Lui demanda Amélie.

– Les enfants ont des capacités insoupçonnées. Ils gardent en eux le souvenir du vrai monde. Les adultes les trouvent affabulateurs, mais ils savent. Cela s’estompe progressivement entre la deuxième et la troisième année, lorsqu’ils commencent à s’ancrer dans l’univers. C’est à cet âge que commence leur mission, comme pour tous les hommes et les femmes sur terre. Cette transition est nécessaire. Elle met en eux la certitude d’un autre monde, même s’ils l’oublient ensuite. Cela reste en arrière-fond dans leur inconscient. Ils peuvent en rêver ou, lors d’un moment difficile, en avoir une faible réminiscence qui les aidera à se dépasser. Ils peuvent aussi, à moitié de leur vie, s’interroger sur eux-mêmes et se mettre à chercher. Ils se mettent en quête d’une autre vie, plus intime, plus tournée sur leur propre réalisation. Chacun réagit différemment, mais beaucoup d’entre eux sont travaillés par ce rappel à soi qui peut être brutal ou tout à fait inoffensif.

– Vous me parlez d’une mission que chaque homme doit accomplir. Mais c’est quoi cette mission ?

– Nous sommes tous uniques, dotés d’une personnalité intime et différente qu’il nous faut développer et qui nous rendra heureux pleinement si nous y arrivons. Celle-ci n’a rien à voir avec la réussite matérielle que la société met en avant et que beaucoup donnent en exemple. Non, c’est une sorte de contentement intérieur, un soleil secret qui éclaire au fil des jours le quotidien et qui sent le vrai monde. Vous avez déjà entendu cette expression, « en odeur de sainteté ». Et bien, elle est réelle et votre vie bascule, vous vivez déjà de l’autre côté en étant toujours de ce monde. Certes, il vous arrive très souvent de redevenir comme les autres, ceux qui n’ont pas fait cette expérience, mais vous savez et vous vous efforcez de la revivre.

– Moi aussi, j’ai donc cette expérience à faire ?

– Oui, bien sûr ! Tous, même les plus pauvres, même les plus handicapés, même les plus méchants ou les plus intelligents ont cette mission. Tous nous portons en nous ce trésor à découvrir et à exploiter. C’est le but de ce passage sur terre, le but de la vie.

– Et vous, l’avez-vous vécu cette expérience ?

– Oui et non. Cela s’est passé tellement vite. J’étais préoccupé par le fait que je ne pouvais avoir d’enfant. Cela devenait une obsession. Lorsqu’enfin nous en avons attendu un, je me suis entièrement consacré à lui. Mais je n’ai pas compris que cet intérêt était personnel et obsessionnel. J’ai ennuyé mon mari, mes parents, par cette attention permanente au fait qu’il grandisse en moi, qu’il allait voir le jour grâce à moi. Trois jours avant sa naissance j’ai commencé à ressentir les premières douleurs. Ce n’était pas encore le moment. Je n’ai rien dit, à personne. J’ai poursuivi mon travail et côtoyé mes proches sans rien leur dévoiler de mes douleurs. Un soir, mon mari est rentré du travail et m’a trouvé évanouie dans la cuisine. Je me suis réveillé sur la table d’accouchement, environnée de blouses blanches, ressentant une violente douleur au bas du ventre. J’ai en un instant compris mon erreur. Le soleil dont je vous parlais est apparu et a éclairé mes derniers moments. Cela m’a sauvé.

– C’est pour cela que vous cherchez à contacter votre famille ?

– Oui, je dois leur faire part de mon bonheur alors qu’ils s’imaginent que la fin de ma vie a été un cauchemar.

Amélie fit signe à la femme qu’elle devait remonter, manquant d’air. Elle lui promit d’aller voir sa famille et de lui faire part de ses derniers moments où elle rencontra le bonheur, puis remonta. Les scolaires étaient déjà là. Il était l’heure. Elle devait sortir du bassin. Je reviendrai demain, se dit-elle avant de s’essuyer avec sa serviette de bain.

18/06/2015

Matinales (11)

Alors elle prit la décision d’agir. Elle sortit, regarda l’eau claire et plongea. Ils étaient là !

Elle chercha la jeune fille, en vain. Sans doute avait-elle quitté le monde des tangentiels. Emilie le regretta, car elle aurait pu lui expliquer. Il fallait trouver un autre partenaire avec qui entrer en contact. Nageant doucement, elle passait devant chaque personne, leur faisant un signe, tentant de se faire remarquer. Ceux-ci ne la voyaient pas, continuant leur dialogue à deux ou trois. Enfin ! Une femme, la quarantaine, encore jolie, lui décocha un sourire. Elle l’avait vue. Elle mit du temps à entrer en relation avec Emilie. Celle-ci entendit sa voix, une voix faible, douce, qui naissait dans sa tête et entamait le dialogue intérieurement avec elle.

– Vous devriez rassembler vos cheveux, lui dit-elle. Nous n’aimons pas ces filaments qui flottent autour de vous. Ils risquent de nous capturer et de nous attirer vers la surface.

Amélie ne comprit pas et ne put rien faire. Elle n’avait pas d’élastique sous la main. Elle avait plongé sans réfléchir, mue par instinct et curiosité. Elle se rappela la mission qu’elle s’était donnée.

– En quoi puis-je vous être utile ?

– Je suis morte en couche. J’ai pu sauver mon bébé, mais le médecin n’a rien pu faire, je perdais mon sang et il n’a pas pu savoir pourquoi. Mon mari est seul maintenant avec mon petit garçon. Je les vois de temps en temps et cela me suffit pour être en paix malgré la position inconfortable de tangentielle. Je ne peux communiquer avec eux et il faut qu’ils sachent que je les vois et que je suis heureuse d’être là, près d’eux. Pour qu’ils soient sûrs que c’est bien moi, dites-leur que vous venez de la part de Mouche. Ils sauront que c’est moi. C’est le surnom que mon mari m’avait donné lorsque nous nous sommes mariés. Nous n’avons jamais divulgué ce surnom. Ils sauront ainsi que c’est bien moi.

– Mais pourquoi dites-vous nous ? Votre petit garçon ne parle pas et ne sait même pas que vous êtes morte.

– Si. Il vient de l’autre monde et il en est parfaitement conscient. Il ne sait pas encore communiquer avec l’univers matériel. Il faut qu’il fasse son apprentissage. Mais il sait parfaitement où il est et pourquoi. Ce n’est que progressivement qu’il oubliera notre monde pour ne plus connaître que le vôtre.

L’esprit d’Amélie s’ouvrit. Elle se souvint qu’étant petite, elle s’échappait en rêve et flottait au-dessus d’elle-même. Elle arrivait parfois à partir et à visiter les alentours en volant par le seul fait de sa volonté. Concentre-toi, se disait-elle. Elle bandait son cerveau et ses muscles et s’extrayait de la pesanteur. Lorsqu’elle était en forme, elle planait et écoutait les conversations, pénétrant au travers des maisons. Progressivement tout cela s’est estompé, puis complètement arrêté. Elle n’avait plus aucun souvenir de ces possibilités. Elle fit part de ces réflexions à la femme.

– Oui, beaucoup d’entre nous, très jeunes, ont des réminiscences d’une autre vie. La plupart les oublie très vite et n’en conserve aucun souvenir. Quelques-uns n’ont rien de précis, mais savent au fond d’eux-mêmes qu’il existe un autre monde. Ils ne savent pas pourquoi, ni ce qu’il est. Mais dans certaines circonstances de la vie, ils s’en souviennent et savent qu’ils ne peuvent faire telle ou telle chose. Très peu conservent des faits précis en mémoire. Ceux-là sont forts. Ils ne font peut-être rien de leur vie matérielle, mais ils sont de roc pour les autres grâce à leur certitude d’un au-delà.

Amélie se sentit très vite en harmonie avec cette femme, malgré leur différence d’âge, presque vingt ans. Elle parlait posément, de manière très vivante, non pas passionnée, mais pleine de certitude. Elle lui promit de contacter son mari et son fils de leur dire qu’elle veillait sur eux. Puis elle la questionna.

– Je ne comprends vraiment pas pourquoi à certains moments vous êtes là et à d’autres rien. Il y a bien une règle à cela ?

– Oui. Nous devons prendre contact avec nos anciennes connaissances pour diverses raisons. Cela est fatiguant, épuisant même. Alors nous avons besoin de repos. Même si nous n’avons plus notre corps réel, nous revêtons notre ancien corps pour quelques minutes, voire quelques heures. Puis nous repartons dans l’autre monde pour nous refaire des forces.

– De quel monde parlez-vous ? Comment est-il fait, que voyez-vous, que ressentez-vous ?

– Vous touchez une interdiction. Nous ne pouvons en parler. Sinon nous perdons le privilège de pouvoir entrer en contact avec vous et de faire passer notre message qui est notre seule motivation. Alors aucun de nous ne vous dira ce qu’il en est de cet autre monde. Mais rassurez-vous, vous êtes un des rares humains à voir des tangentiels. C’est déjà beaucoup.

– Comment faites-vous pour apparaître dans cette piscine ?

– Il existe d’autres lieux qui permettent d’établir le contact. Par exemple, au fin fond d’une forêt ou encore dans une grotte où les hommes ont vécu il y a très longtemps.

Amélie dut remonter respirer. Le maître-nageur lui fit le signe de sortir de l'eau, mais elle plongea à nouveau.

15/06/2015

Matinale (10)

Pendant deux jours, Amélie ne put prendre le chemin de la piscine. Ce n’est pas qu’elle avait peur, mais elle n’était pas prête à affronter à nouveau ce monde venant d’elle ne savait d’où. Il lui fallait être en pleine forme si elle voulait percer le mystère. La troisième nuit, elle fit un rêve. Elle était dans le train, regardant le paysage qui se déroulait tranquillement. La voie ferrée suivait une route. Elle vit la route s’éloigner légèrement, semblant prendre la tangente, puis s’ouvrir en deux routes plus petites. Un poteau indicateur donnait bien les directions, mais celui-ci se trouvait devant, sur la route principale, plus large, et était planté au milieu de la chaussée. Chaque automobiliste devait presque s’arrêter pour l’éviter. On voyait sur le poteau de nombreuses traces montrant à l’évidence qu’il était fréquemment percuté. Mais il restait là, vraisemblablement par la volonté de quelqu’un qui avait le pouvoir de ne rien changer malgré la forte occurrence des accidents. Au moment où le train allait passer à proximité, une voiture, roulant à vive allure, arriva. Elle dut freiner puissamment et ne s’arrêta qu’à quelques centimètres du poteau. Son conducteur émergea de l’habitacle, regarda le poteau, alla dans le coffre de sa voiture, en sortit une tronçonneuse, la mit en route et coupa l’épieu. Il le poussa non sans difficulté dans le fossé, puis remit l’appareil dans le coffre et démarra. Emilie ne sut jamais quelle route la voiture avait prise, car elle fut réveillée par le sifflet du train. A quel moment avait- elle commencé à rêver dans le songe qu’elle faisait ? Il n’était pas possible que le train ait suffisamment ralenti pour lui laisser voir toute la séquence de l’incident. Elle avait dû s’endormir à un moment quelconque, probablement lorsque la voiture s’était arrêtée devant le poteau indicateur. Elle avait rêvé la suite et se réveillait en raison de la stridence de l’avertisseur du train. Cependant elle comprit bien vite qu’il se passait quelque chose de bizarre. Elle aurait dû se réveiller dans le train. Or elle se trouvait dans son lit. Pourquoi avait-elle entendu le sifflet de la locomotive alors qu’il n’y avait pourtant aucune voie ferrée à proximité de sa maison ? Elle entrevue un décalage entre son rêve et ce qu’elle vivait. S’était-elle éveillée ? A quel moment l’avait-elle fait ? Avait-t-elle rêvé l’ensemble de la séquence ? Elle ne savait plus. Rêver qu’elle rêvait. Quelle bizarrerie ! Quand avait-elle pris la tangente ? Elle passa une partie de la nuit à tenter de comprendre, mais rien ne vint. Elle s’endormit tard, mais se réveilla de bonne humeur, reposé et entreprenante.

Ainsi le troisième matin, elle fut prête à prendre le chemin de la piscine. Elle emplit son sac de son maillot, de sa serviette de bain et d’un petit sandwich qu’elle dégusterait après s’être rhabillée. Puis elle sortit.

Arrivée devant la piscine, elle eut un moment d’hésitation. Encore une fois, l’inconnu ! Ai-je vraiment envie de savoir. Ne vaut-il pas mieux rester dans l’ignorance ? Ne risques-tu pas d’être aspirée dans cet enfer et ne plus pouvoir remonter ? Mais, vous commencez maintenant à la connaître, elle ne put résister à l’appel de ce monde délirant. Elle entra. Elle prit sa cabine habituelle, se changea en pensant à ce qui l’attendait, oublia de vérifier sa tenue, prit sa douche et courut vers le bassin. Elle allait plonger lorsqu’un frémissement parcouru la surface de l’eau, habituellement calme. C’étaient de petites vaguelettes qui ridaient la partie centrale du bassin et qui, rapidement, se transformèrent en turbulences. De grosses bulles crevaient la surface comme si l’eau se mettait à bouillir. Le maître-nageur se leva, les yeux écarquillés, bégayant et montrant du doigt le phénomène :

– Là… Là… Re-regardez… Que… Que se passe-t-il ?

Emilie contemplait cette étrangeté, se demandant si elle allait pouvoir ou non plonger. Elle regarda le fond. L’eau était transparente, de petites rides couraient vers les bords, créant des interférences qui empêchaient de bien distinguer le carrelage et les couloirs divisant la longueur. Rien ne semblait flotter dans le liquide, seules des bulles crevaient la surface, semblant sortir du fond. Très vite, cela s’arrêta. Les dernières bulles montèrent doucement, tremblantes, comme des larmes sortant d’un regard ouvert sur un autre monde. Le maître-nageur semblait subjugué. Il s’était penché sur l’eau, se tenant cependant à distance du bord. Il était effrayé et ne savait que faire. Il en oublia Emilie et se précipita vers son bureau. Elle le vit prendre le téléphone et composer un numéro, le doigt tremblant. La communication établit, il parla d’une voix forte, mais bredouillante, les mots se bousculant dans sa bouche. Ses émotions l’empêchaient de se faire comprendre. Il montrait d’un doigt tremblant le bassin, sans parvenir à être clair. Après un moment de silence pendant lequel il écouta son interlocuteur, il raccrocha, puis s’effondra sur sa table, la tête entre ses bras, secoué de sanglots qu’il ne maîtrisait pas. Emilie, impassible, le regardait, sans rien dire.

13/06/2015

Trou noir

Dieu, quel trou !
Mais en est-ce bien un ?
 Il t’enveloppe et te prend
Sans autre forme de procès

Tu dérives dans ce tourbillon
Tu confonds le haut et le bas
Y a-t-il même une dimension
Dans cet espace illimité

Tu ne sais, car tu tombes
De Charybde en Scylla
Et tu ne t’écrases pas
Y a-t-il même une pesanteur ?

As-tu d’ailleurs un corps
Un vrai, que tu ressens
Et que tu aimes encore ?
Tu ne sais où il se trouve

Seule ta pensée est là
Bien seule dans cet entourage
Où rien ne te raccroche
A ce que tu connaissais

Flotte tel un drapeau au vent
Joue la fusée et fuis l’horreur
De cette absence de présence

Reviens en arrière, va le chercher
Ce corps si mignon
Que tu ne peux t’en passer

Regagne ta carapace et protège-toi
Des malveillances de l’univers

Ces trous sont des passages
Mais où mènent-ils ?
Quel labyrinthe Dieu a-t-il inventé ?

Je suis las de ces échappées
Qui me donne le tournis

Garde-moi mon corps
Mais efface mes pensées
Pour plonger purifié
Dans le trou sans fin
De la miséricorde

©  Loup Francart 

10/06/2015

Matinale (9)

Elle remonta pour respirer. Elle ne pouvait faire autrement. Reprenant son souffle, elle fut tout à coup secouée en tous sens par un tremblement de l’eau, à la fois aspiration et propulsion d’une autre masse de liquide. Le maître-nageur lisait son journal, ne voyant pas cet orage venant du fond de la piscine. Elle eut envie de nager très vite jusqu’à l’échelle permettant de sortir de l’eau et de fuir cette masse fluide. Mais elle se dit que c’était peut-être l’unique occasion de savoir de quoi il s’agissait. Alors, elle prit de l’air et plongea.

C’était une véritable tornade. Les tangentiels se laissaient faire et paressaient habitués. Ils roulaient entre les bulles d’air, emportés comme des fétus de paille. Leurs bras et leurs jambes semblaient indépendants de leur corps, formant de véritables tentacules se mouvant d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas l’air effrayés. Ils semblaient presque heureux, comme les gens sous l’emprise d’une drogue. Ils ne pensaient plus, libres de toute attache, de tout souvenir, de toute crainte. Amélie était elle-même secouée, emportée par cette furie qui se passait à l’intérieur de la piscine. Elle vit la jeune fille la regarder, lui crier quelque chose. Mais elle ne sut ce qu’elle voulait dire. Plusieurs tangentiels passèrent à travers elle, sans effort, comme si elle n’existait pas, sans un mot d’excuse. Les deux mondes se côtoyaient sans réellement se rencontrer, à la façon des allumettes frottées sur le grattoir. Cette friction formait une étincelle qui devenait flamme après la fin de la combustion instantanée. Ici, elle durait. Elle semblait ne pas vouloir ou ne pas pouvoir s’arrêter. Amélie perdait pied, se sentait impuissante à réagir et se laissait engourdir par ce tsunami. A un moment donné, elle fut aspirée vers le fond. Elle vit celui-ci s’ouvrir à la manière d’un trou fait par une balle de pistolet dans la carrosserie d’une voiture, un trou bien rond, au rebord déchiré vers l’extérieur tout noir, mais avec un reflet lumineux attirant l’œil. Elle se sentit dégrisée et lutta pour sortir de l’attraction que ce trou exerçait sur son propre corps. Elle fut prise dans une bulle d’air assez grande pour lui permettre de respirer, la sauvant ainsi de la noyade. Celle-ci l’entraîna vers la surface sans qu’elle eût besoin de nager. Elle regardait les tangentiels faire le chemin inverse, emportés par l’aspiration, et s’engouffrer dans la plaie ouvert du fond de la piscine.

L’eau se calma, la blessure se referma progressivement, laissant passer les retardataires, les dernières bulles s’échappèrent et firent surface avec Amélie. Elle se retrouva nageant tranquillement dans une eau parfaitement calme, comme si de rien n’était. Elle crut qu’elle avait rêvé. Même le maître-nageur n’avait rien vu, préoccupé par la lecture de son journal. Elle était seule et se dirigea vers l’échelle de sortie, calme en apparence. Son cœur battait vite cependant. Elle n’arrivait pas à reprendre ses esprits. Elle voyait la surface tourner et ne savait plus si elle était encore sous l’eau ou si l’horizontal devenait vertical. Elle atteignit l’échelle, s’y agrippa et s’efforça de monter. Elle s’assit sur le carrelage froid qui lui fit du bien, tenta de prendre sa serviette, mais s’évanouit avec un petit râle qui alerta le maître-nageur. Celui-ci se précipita, lui donna légèrement quelques claques, la couvrit d’un peignoir très épais et la conduisit vers une sorte de petite infirmerie. Etendue sur un lit d’examen médical, elle se laissait faire, ne pensant à rien, continuant de contempler le trou noir et lumineux qui s’était formé au fond de l’eau. Elle avait vu sa mort dans cette blessure et n’avait pas eu peur, loin de là. Elle avait même eu une attirance irréfléchie pour ce mélange d’obscurité et de luminosité, de noir et de blanc qui ne formaient pas du gris. C’était une autre couleur, inconnue, indéfinissable, attirante, qui semblait vous arracher le cœur et vous aspirer en elle. Amélie s’endormit sans en avoir conscience, un sourire béat sur ses lèvres.

09/06/2015

Regrets

Avez-vous de ces regrets cachés
Qui empoisonnent l’existence ?
Tous en ont, même les non-vivants
Ils se cachent dans la confusion
Des émotions et des souvenirs

Impossible de s’en débarrasser
Ils persistent à être présents
Comme les vagues d’un destin
Fait de tissus effilochés
A force de patience et d’attention

Il vous arrive de les oublier
Mais ils se rappellent à vous
Comme un mal de cœur incessant
Vous dormez et croyez en réchapper

Non ! Ils chatouillent votre mémoire
Jusqu’à vous réveiller de votre quiétude
Seul le vide immense de l’avenir
Peut vous guérir de cette seconde nature

Je marche vers mon futur inconnu
Comme l’oiseau entre en cage

©  Loup Francart

07/06/2015

Matinale 8

Scrupuleusement, elle accomplit son devoir. Elle chercha l’adresse de la jeune femme, s’y rendit et lui remit le mot de passe sans toutefois lui dire qu’elle avait vu son mari. C’était une belle femme, pas forcément une beauté ; mais elle possédait un certain charme. Elle écouta ce que lui dit Emilie, mais ne lui demanda pas comment elle connaissait l’existence de ce mot de passe. Elles cherchèrent ensemble dans l’ordinateur d’Adrien, son mari, et trouvèrent effectivement tout ce qui concernait les actions de la SOC. La jeune femme la remercia chaleureusement, lui dit qu’elle pouvait revenir quand elle voulait, qu’elle serait toujours la bienvenue. Elle n’eut pas une fois une interrogation quant à sa connaissance d’Adrien. Emilie repartit, heureuse d’avoir pu rendre ce service à une famille éplorée. Elle allait pouvoir passer à ce qui l’intéressait particulièrement : qu’en est-il de cette tangente dont avait parlé Adrien ?

Le lendemain, elle prit à nouveau le chemin de la piscine. Elle ne savait pas ce qui allait se passer. Les tangentiels seraient-ils là ? Elle ne comprenait pas qu’elles étaient les raisons de ces apparitions ou de ces disparitions. Un jour ils étaient là, un autre jour ils étaient absents. Adrien n’avait rien dévoilé de ce mystère et elle-même, malgré ses interrogations, continuait à n’y rien comprendre. Elle décida de se rendre à la piscine en courant. Elle prépara un petit sac à dos, y mit sa serviette de bain, son peigne, son maillot évidemment, enfila un short de sport, un tee-shirt et sortit. Dehors, il faisait frais. Elle courut doucement, puis accéléra en se laissant bercer par le rythme de sa course. Elle aimait cette cadence régulière qui lui permettait de réfléchir sans peine. Les idées lui venaient, indépendantes d’une démarche rationnelle et lui donnaient des réponses, parfois insolites, aux questions qu’elle se posait. Elle prolongea sa course en prenant un chemin de traverse et fit deux kilomètres de plus. Mais rien ne vint. La question de ce monde tangentiel restait inabordable à son esprit pourtant enfiévré.

Elle transpirait légèrement lorsqu’elle monta les marches de l’entrée à la piscine. Elle dut s’essuyer avec sa serviette avant de pouvoir enfiler son maillot. L’eau fraiche me fera du bien, pensa-t-elle. Tout ceci fut fait mécaniquement, sa pensée toujours fixée sur le monde tangentiel. Elle oublia de vérifier sa touffe et plongea aussitôt dans le bassin sans réfléchir. L’immersion fut brutale. Elle eut l’impression de se réveiller d’un long sommeil. Plus de pensée… La froideur de l’eau, le frisson du contact, la chair de poule du saisissement. Les yeux fermés elle se laissa glisser comme si elle était entraînée entre les gouttes. Puis elle ouvrit les yeux. Ils étaient là. Ils ne la voyaient pas, ne se préoccupaient que d’eux, discourant à deux ou trois sans attention à ce qui les entouraient. Elle eut envie de leur crier « Regardez-moi, je suis là, prenez contact ! » Mais rien. Elle chercha alors Adrien. Il n’était pas là. Il était probablement délivré et était passé de l’autre côté du miroir sans possibilité de retour. Déçue de ne plus avoir de contact, elle était néanmoins heureuse de constater qu’elle avait aidé quelqu’un à franchir la ligne. Elle nageait, remontant périodiquement pour respirer, puis replonger et se laisser glisser entre les spectres. « Tiens ! Là… Une jeune fille qui me regarde. Oui… Elle me fait un signe. J’ai un nouveau contact. » Elle la contourna pour montrer son intérêt et s’arrêta en face d’elle, attendant qu’elle lui parle. Le contact fut établi sans qu’elle sache comment. La jeune fille lui parlait et les sons venaient de sa tête à elle et jaillissaient en dehors, leur donnant une résonance qui les rendant compréhensibles.

– Qui êtes-vous  et que faites-vous ici ? demanda la jeune fille.

– Je viens tous les jours m’entraîner. Un jour, j’ai aperçu vos compagnons. Cela m’a fait un coup. On ne s’attend pas à voir des êtres humains discourir tranquillement au fond d’une piscine comme si de rien n’était. Quelqu’un de chez vous m’a contacté et confié une mission. Je l’ai accompli, mais je n’ai pu retrouver cette personne. Je suppose qu’elle est partie dans l’autre monde ?

– Oui, c’est plus que vraisemblable. Moi, je vous ai remarqué à votre ombre, plus fluide et franche en même temps. La lumière que nous émettons ne passe généralement pas à travers vos corps. Vous ne la voyez pas, mais nous nous savons qui la capte et y est sensible. Vous l’êtes, aussi votre ombre apparaît à nos regards et nous parle de votre sensibilité. C’est pour cela que je vous ai remarqué lorsque vous êtes passé près de moi. Beaucoup parmi nous ne prenne pas garde à ce qui est insolite. Ils sont pour la plupart encombrés dans leurs pensées ou leurs conversations qui tournent toujours autour des mêmes thèmes : comment sortir de cette tangente dans laquelle nous sommes enfermés. Ils n’ont pas compris qu’il faut d’abord sortir de ses propres pensées. On ne le comprend que difficilement, par lassitude de parler et de penser.

– Vous, alors, que vous est-il arrivé ? demanda Amélie.

Elle vit la jeune fille fondre en larmes, puis, au bout d’un moment, lui sourire béatement.

– Vous vous intéressez à moi. Enfin ! Quelqu’un qui me voit et qui me parle. Je vais enfin pouvoir sortir de cette existence sans réelle vie. Merci mon Dieu. Merci.

Et la jeune fille sembla perdre sa consistance et se dissoudre dans l’eau. Dans une minute elle ne sera plus.

Comment la rattraper pour qu’elle m’explique, pensa Amélie.

05/06/2015

Rêve

Courir dans un pré sous le soleil
Sentir la vie bouillonner d’aisance
Dans la pâleur des fins d’après-midi
Transpercé par un éclair de bien-être

Tu te couches sur les nuages
Et tu danses dans l’air pur et divin
Les yeux ouverts sur le monde
Qui tremble du bonheur d’exister

Et le soir dans l’herbe sèche
Tu pleures d’émotions contenues
Au passage d’un bourdon
Errant dans la paille odorante

Ferme tes paupières alourdies
Berce-toi de l’illusion de rêver
Laisse errer ton esprit endiablé
Repose en paix sur ta terre chérie

©  Loup Francart

04/06/2015

Matinale 7

Elle redescendit aussitôt, se retrouva à côté du jeune homme et lui fit signe. Il parut soulagé.

– J’ai cru que je vous avais perdu et m’en inquiétais. Vous êtes vraiment la première à qui je peux parler. Je suis enfin délivré ou plutôt je le serai lorsque vous aurez parlé à ma femme. Je pourrai alors m’éloigner de cette zone difficile à mi-chemin entre notre destination après la mort et le monde matériel dans lequel vous vivez. J’ai l’impression d’être écartelé et de tomber dans le vide. On y voit très peu de gens, qui tous, comme moi, attendent un possible contact avec le monde terrestre pour être délivré. Vous connaissez les fantômes bien sûr. Mais il n’y a pas qu’eux. Nombreux sont ceux qui tentent d’entrer en contact avec leurs anciennes connaissances. Chacun choisit sa stratégie. Ici, ce sont les tangentiels, comme on nous appelle de l’autre côté. Nous avons choisi de rester dans cette zone quasi matérielle jusqu’à ce que l’un de nous entre en contact avec un humain. En fait c’est un choix. Il se fait après le tunnel conduisant vers le lieu de lumière. Après l’examen de notre vie, il nous est donné de choisir ce que nous voulons faire en fonction de ce que nous avons fait dans notre vie : avancer sur le chemin, temporiser et réfléchir, laisser un signe à ses proches. C’est ce que j’ai choisi. Nous sommes en attente en un lieu difficile à définir, car nous ne sommes pas toujours conscients. De temps en temps, nous sommes propulsés aux abords du monde matériel, sans jamais cependant pouvoir y pénétrer entièrement. Il nous appartient de trouver le moyen de le contacter. On peut laisser un signe, déplacer des objets, parler de manière déguisée à quelqu’un, se montrer tout simplement sous forme de spectres, de fantômes, d’ectoplasmes. Mais cela suppose que de votre côté, quelqu’un soit attentif à ces signes, soit parce qu’il cherche, soit parce qu’il est curieux de nature, soit parce qu’il est dans une période psychologique difficile. Je pense que vous avez une difficulté dans la vie. Laquelle, je ne sais. Mais il faut la résoudre et vous n’aurez plus cette incertitude chronique qui vous conduit vous aussi près de cette tangente. C’est probablement pour cette raison que nous pouvons nous parler aujourd’hui. Ce ne sera peut-être plus possible demain.

– Et bien merci, s’exclama-t-elle. Ce n’est pas très gentil de me dire que j’ai un problème et que je dois le résoudre. Pourquoi en êtes-vous si sûr ? Cela va-t-il m’aider que vous me le disiez ? J’avoue ne pas comprendre. Je vous rends service, je vous délivre de vos cauchemars et pour me remercier vous me donnez une tâche à laquelle je ne m’attendais pas et qui va peser sur mon existence jusqu’à ce que je l’accomplisse. De quel droit faites-vous cela ?

– C’est plus qu’un droit. C’est un devoir auquel je ne peux me soustraire. Ceux qui s’engagent dans le choix d’être en tangente doivent prêter un serment moral. Dire la vérité à ceux qui leur viennent en aide, quelle qu’en soit les conséquences terrestres. Cela les sauvera probablement d’une vie post-mortelle pénible et incertaine.

Emilie ne sut que dire. Elle avait beaucoup de mal à suivre tout ce que lui expliquait l’homme. Cela lui paraissait à la fois extraordinaire et familier. Oui, quelque chose comme si l’on grattait une surface peinte pour dévoiler la vraie nature de l’objet. Tout à coup, elle se rappela :

– Attendez, il faut que je remonte.

Un coup de pied lui permit de repasser en surface pour respirer. Il lui semblait qu’elle avait oublié de le faire depuis un bon moment. Et pourtant cela ne lui avait pas manqué.

Elle replongea aussitôt, mais l’homme n’était plus là. Elle le chercha parmi les promeneurs qui discutaient entre eux. Elle parcourut la piscine, se rendit aux quatre coins. Il avait bel et bien disparu. Elle dut remonter à nouveau. Son souffle s’était accéléré, elle ne tenait plus la durée. Elle eut une impression d’étouffement qui la contraignit à regagner les bords de la piscine et à reprendre pied. Au même moment le maître-nageur siffla. C’était l’heure des scolaires qui entraient bruyamment en s’agitant. Elle vit à la surface une sorte de bouillonnement assez bref. « Ils sont repartis ! », se dit-elle, « et je suis la seule à le savoir ».

03/06/2015

Matinale 6

Reprenons la nouvelle "Matinale" dont la dernière parution date du 3 mars 2015. Elle était laissée pour compte, car je ne savais comment finir. La patience et l'application des phases de la recherche ont produit leurs fruits. Nous pouvons poursuivre.

 

Emilie reprit le lendemain le chemin de la piscine. Elle était quelque peu angoissée. Qu’allait-elle trouver dans cette piscine mystérieuse ? De nouveaux êtres insaisissables ou le vide normal de toute piscine sans humain. Arrivée à l’entrée, elle hésita, puis paya son entrée, se rendit au vestiaire, se déshabilla et enfila son maillot. Préoccupée par ses pensées, elle oublia de vérifier son entre-jambes. Elle se dirigea vers les douches, pressée d’en avoir le cœur net. Comme à son habitude, elle contempla un moment la surface de l’eau, limpide et sans une ride, puis elle plongea.

Le monde des morts était là, bien vivant, animé de personnages.

– Mais, pourquoi ?, se demanda-t-elle.

Remontant à la surface pour respirer, elle regarda l’au-dehors, puis l’au-dedans. Aucune rupture. Elle n’éprouva aucun changement d’impression, un léger décalage entre les deux regards, un déclic inaudible. Rien, un monde lisse et pourtant ô combien différent.

– Quelle superposition existe-t-il entre les mondes ? Et d’abord, y a-t-il deux mondes, celui des vivants et celui des morts ? Mes lectures ne m’ont rien appris. Je n’aurais sans doute jamais de réponse, mais je ne peux rester ainsi. Que faire ?

Plonger, jusqu’à savoir.

Elle se laissa couler, passant entre les spectres ou les morts ou les fantômes ou les personnes présentes, elle ne savait. Elle les regardait en face, les yeux dans les yeux. Et tout à coup, l’un d’eux lui donna un signe de reconnaissance. Ses yeux s’éclaircirent, il battit des paupières et ouvrit la bouche comme pour parler. Craintivement, elle s’approcha de lui. Elle ne pouvait parler, mais elle manifesta un grand intérêt à cette personne, comme si elle la connaissait. Elle n’avait aucun souvenir de lui, mais peu importait. Enfin, elle communiquait. Elle entendit alors, au plus profond d’elle-même, la voix de cet homme encore jeune. Il l’appelait et lui demandait de l’aider. Elle le regarda et vit sa détresse dans ses yeux. Elle lui fit signe qu’elle l’écoutait.

– Je ne sais qui vous êtes, mais vous êtes la première avec qui je peux entrer en contact. Pourquoi en est-il ainsi, je ne sais. Je ne sais non plus si cela durera, alors écoutez-moi, je vous en supplie. Je suis mort il y a trois mois dans un accident : une voiture folle dont les freins avaient lâché, qui a percuté le trottoir et m’a écrasé contre le mur d’une maison. Je n’étais pas beau à voir, une masse de chair sanguinolente mêlée à des habits déchirés. Ruth, ma femme, que j’aime toujours, n’a même pas pu me voir une dernière fois. Elle et mes trois enfants n’ont plus rien de moi, que l’appartement que je leur ai laissé. Pourtant, j’étais riche. J’avais acheté des actions de la Standard Oil Compagny et, suite à la découverte d’un immense gisement de pétrole en Alaska, le prix de celles-ci a été multiplié par dix. Ruth a bien regardé dans mon ordinateur, car elle savait que j’y tenais mes comptes. Mais j’avais mis un mot de passe qu’elle ignorait. Elle n’a plus d’avance et cherche du travail alors qu’elle pourrait vivre sans problème. Pouvez-vous lui donner le mot de passe ? Cela me permettrait de franchir réellement la ligne et de l’attendre de l’autre côté dans la sérénité pour une nouvelle vie.

Amélie fut interloquée. Tout s’embrouillait dans sa tête. Qui est cet homme ? Comment peut-il me parler ? Que signifie cette nouvelle vie dont il me parle ? Elle ne savait quoi répondre. Mais la question était pressante. Il semblait tellement mal en point. N’écoutant que son cœur, elle lui répondit qu’elle était prête à l’aider.

– Donnez-moi l’adresse de votre famille, j’irai la trouver, lui dirai l’intérêt de vos actions et lui donnerai votre mot de passe. Mais, en échange, je veux que vous m’expliquiez ce que je suis en train de vivre : ce monde imprévu qui s’ouvre devant moi, ces êtres que je vois au fond de cette piscine, tous morts et pourtant si vivants. Pourquoi à certains moments ils se dévoilent et à d’autres rien n’apparaît ?

 Elle avait dicté ses conditions sans y penser. Celles-ci étaient venues toutes seules et elle en fut heureuse. Elle ne sut pas comment elle lui avait répondu. Etant sous l’eau, elle ne pouvait parler. Ces paroles s’échangeaient par la pensée, beaucoup plus vite que dans la réalité, quasi instantanément. Elle commençait à être à court d’air et fit signe au jeune homme qu’elle remontait s’approvisionner en air, puis redescendrait. Un coup de talon la projeta dans l’autre monde, le vrai. Elle ouvrit les yeux, reprit son souffle, contempla la surface parfaitement lisse de la piscine, reconnu le maître-nageur assis sur sa chaise qui ne se doutait de rien. « Est-ce possible ? », se demanda-t-elle.

01/06/2015

Entre deux

Le chaos des pensées et des songes
Sont une glue collante et répandue
Pas un souffle d’air dans la tête
Le poids du passé enseveli
Contre l’éclaircie de l’absence
Vaut-il mieux ne plus être
Et s’échapper dans l’air
Ou errer comme l’escargot
Lent et fier de sa majesté ?
Le silence… Il est prenant...
Tant de bras m’ont porté jusqu’à présent...
Aujourd’hui, plus rien
Une mince lueur entre les deux yeux
Qui seule guide l’autre
Celui que je ne suis pas
Et que je voudrai être

©  Loup Francart

28/05/2015

L'enfer

Avez-vous déjà marché dans la géhenne
Les pieds lourds et la tête pleine de néant ?
Une course épuisante après soi-même
Sans trouver autre chose que l’inanité

Et celle-ci est un véritable bazar
Tout s’y trouve de ce que vous abhorrez
Empli de vous-même vous étouffez
Le sac plein de votre être jusqu’à la gueule

Vous ne pouvez rejeter ce moi avide
Qui toujours vous a entraîné
Dans des turpitudes sans fin
Vers votre deuxième face de Janus

Quelle souffrance que de marcher
Avec sa forêt tassée sur le dos courbé
Les jambes flageolantes et les pieds désunis
Sans aucun secours de la tête dévissée

Pas espoir, pas d’aide, pas d’avenir
Le quotidien et l’habitude à vie
Vous tournez en rond et ressassez
Vos insuffisances et vos erreurs

Et vous ne pouvez même plus
Penser à cette délivrance physique
Que la douceur de la mort
Vous fait envisager et même rêver

Non, l’enfer ce n’est pas les autres
C’est vous-même, c’est ce Moi
Qui ne peut devenir Soi
C’est le rat qui court en Toi

©  Loup Francart

24/05/2015

Nostalgie

Noce… (T)... Algie…
Quelle douleur douce au toucher…
Et cette caresse de l’âme, vous y revenez
Vous ne pouvez vous empêcher
De la renouveler…
C’est un baume sublime
Entretenu comme une démangeaison…
C’est la noce du mieux et du pire
Qui produit cette peine sensible
Et vos poils se hérissent
Au plumeau de souvenirs
Au son d’une voix perdue
Au goût d’une madeleine
A la vue d’un livre d’autrefois
Au toucher d’un être disparu…
Mais le T qu’en faites-vous ?
Celui qui relie ce mariage à l’affliction…
Le T c’est le Toi
C’est ta noce et ton ressenti
Instant délicat où l’autre se mêle à toi
Jusqu’à ne plus faire qu’un…
Alors tu lis dans l’autre tes pensées
Tu retrouves tes sensations d’antan
Ce pincement des émotions
Qui t’envoie valser
Dans un souvenir figé…
Arrêt sur image...
Le film est cassé...
Blanc… La page blanche se déroule
Elle tourne dans le vide et s’étire
Et votre rêve s’arrête
Incapable de poursuivre
Cette plongée en eau douce
Il ne vous reste que les battements
D’un cœur fragile et nu
Qui vous donne la chair de poule…
Le poing de Dieu se resserre
Et étreint votre âme
D’un joyeux Shake-hand…
A bientôt…

©  Loup Francart

20/05/2015

Espoir

Ce filet d’air entre en tête
Tu sens juste un vague souffle
Tu ne perçois pas encore
L’espoir qui surgit en toi...
Ton horizon s’élargit cependant...
La prison ouvre ses portes
Située haut sur le cap
Elle est placée pour contempler
L’océan immense et vide
Mais souvent… une brume empêche
Le cœur de porter aussi loin...
Tu n’entends que les flots
Qui voyagent en train
Et s’écrasent à leur rythme
Sur les lèvres blondes de la berge
Il y fait chaud sur cet observatoire
L’œil faibli en luminosité
Perdu dans l’étoupe tiède
Pour tout horizon…
Cette maigre caresse légère
Profite de ton ignorance…
Elle emprunte la route
Des départs imprévus
Tu montes dans la barque
Qui tangue de colère
Qui agite ses bras de bois
Au rythme des ondulations
Tu peines à t’assoir, mal vêtue
Ta robe de pourpre éblouissante
Entre en conflit avec le gris vautour…
Simultanément, tu observes
Cette glissade lente et majestueuse
Vers le trou de l’enfer
Ou, peut-être, du paradis…
Sais-tu le lieu de ce pays
Où vêtue de papier crépon
Tu agites les mains en tous sens...
Personne ne vient à ton aide…
Sur la pointe de la caresse ailée
Tu divagues et balances
Et les espoirs déçus
Lancés comme des grains de semis
Deviennent geyser à la surface
Tu t’allèges pour être prête
A aborder l’avenir sans fin
Dont tu ignores encore
Le moment qu’il choisira
Pour couper le cordon
Qui te relie au monde...
Tu partiras vaillamment
Ramant de toutes tes forces
Puis, bientôt, cesseras même
Le mouvement des bras
Pour te laisser prendre
Dans la douce froideur
Du souffle divin

16/05/2015

Le vol du bourdon

L’entends-tu ? Il bourdonne puissamment
Son diesel fonctionne à plein régime
Et pourtant, il est léger, empli d’allant
Sautant de fleurs en senteurs allègrement
Rien ne peut le distraire, ni le vent
Ni la pluie, ni le bec d’un oiseau
Il change de régime, accélère, ralentit
Selon sa position et celle de la convoité
Parfois, il s’accroche et meut ses hélices
Pour extraire d’une aspiration sans fin
Le suc vénéré et délectable d’une pâquerette

Tendant ses pétales, elle aspire également
A ce mariage forcé. Elle dresse son bouton
Le faisant moelleux et plus chatoyant
Aiguisant ses phéromones, battant des ailes
Toutes de blanc vêtue telle une jeune marié

Sous le poids de l’être frémissant qui l’aborde
Elle ploie et baisse la tête, gênée et heureuse
Et lui, un peu rustaud, mal embouché
Se jette sur l’or offert, d’une douceur inespérée
Il n’a pas le temps, ne serait-ce qu’un instant,
D’arrêter son manège et de contempler
De ses yeux bigarrés la dorure enchantée
Entourée de ses demoiselles d’honneur
Blanches et recourbées, riant entre elles

C’est fait et déjà il repart, plein gaz
Son moteur à plein régime, un peu plus lourd
Des reproches muets de l’aimée en extase
Elle se redresse, jaunit, plus étincelante
Mais rien n’y fait, il est parti, seul

Tiens, en voici un autre, plus bourdonnant
Plus majestueux. Mais il est déjà passé
Elle a reçu le pollen sacré. Cela suffit

Vas-t-en ! Cours ta vie ailleurs !
Et préserve ta trompe des tentations…

©  Loup Francart

12/05/2015

Grignotement

La nuit… Moment d’incertitude…
Quand le vent devient coupant…
Quand le noir est vouloir
Sans rien savoir du pouvoir…

Tel un fantôme déchu
L’esprit s’évade et fuit
Plus rien ne court et fouille
Dans une mémoire sans fond

Oui, ce sera la dernière fois
Que tu contempleras le tissu
D’un ensevelissement précaire
Voile funéraire de l’éternité

Mais bientôt pointe le crayon…
Coloré… trait magique…
Au fil de l’horizontal…
Entre nuit aérienne et terre durcie

Plus rien ne viendra entendre
Les cris de désolation solitaire
Poussés par l’escargot
Qui déroule sa traine

La chanson a surgi, lente…
Repue des repos d’une âme
Qui danse au matin frais
Et se couvre de rougeur…

Réveillez-vous, que diable…
Remettez en branle la course
Des grignotements infernaux
Ne cessant qu’au retour de la nuit !

© Loup Francart

08/05/2015

Froid

Peut-on palper le froid ?
Il arrive que les doigts collent
Et que la peau ne fasse plus qu’un
Avec l’objet de sa convoitise

Peut-on sentir le froid ?
Lorsque vous ne sentez plus rien
Et que votre corps, nu, tremble
Sous le vent aigre du petit matin

Peut-on goûter le froid ?
La langue acide crie l’amertume
Et vos dents hurlent l’injure
De l’explosion en bouche

Peut-on entendre le froid ?
Quand l’oreille devient porcelaine
Et que vous passez vos mains
Sur le silence de leur crispation

Peut-on surprendre le froid ?
Certains se dénudent dans l’adversité
Et plongent dans l’eau glacée
Des remords qui les hantent

Peut-on rêver du froid ?
Le blanc seul surnage
Et recouvre toute rationalité
Même le rêve ne délie le cerveau

Peut-on ne plus avoir froid ?
Viens dans ma vallée profonde
Et donne-moi ta force virile
Jusqu’à brûler d’amour

© Loup Francart

04/05/2015

Douleur

Douleur,
Comme une étoile irradiée, tu éclates.
Plus rien n’existe.
Le soleil devenu fer rouge
Pénètre habilement la chair
Et le lit devenu enfer
Prend les dimensions d’un cachot.

Douleur,
Je ne sais plus te contempler,
Ni rire de mes contorsions animales.
Pourtant j’ai ri,
Ri de ce corps abandonné
D’où l’esprit puisait sa vigueur.

Maintenant je suis las.
Mon vieux corps aplati
S’accroche à moi et se plaint.
Descente, lente et malhabile,
Dans les ténèbres de la douleur.

© Loup Francart

30/04/2015

Les mardis littéraires, de Jean-Lou Guérin

Mardi dernier, présentation par l'auteur du livre « Conte d’asphalte », d’Anne Calife, Albin Michel, 2007 :

Un très beau livre qui conte la rue lorsqu’au bout de l’effort de maintenir une vie sociale et personnelle, il n’y a plus d’autre issue que celle de finir dans la rue. Comment fait-on pour en arriver là ? A la rue ? semble-t-il dire. En glissant, vilain petit canard, en glissant. (p.14)

http://lesmardisdejeanlou.blogspirit.com/ 

 

Echanges, mais de quoi ?
Des mots assemblés en idées
Des idées assemblées en sentiments
Des sentiments organisés rationnellement
Et à la fin, un poème-texte
Retour des mots à l’origine
Une conversation à deux
Dans laquelle trois se perdent
Mais comment organiser l’ensemble
Serait-ce sur les mots, les phrases
Les sons, les couleurs, les caresses
Faut-il lier les émotions
Les sentiments, les pensées
Les silences même ?
Elle lit, parle, elle converse
L’autre fait de même, où vont-elles ?
Elles babillent, elles papillonnent
Elles se laissent aller, jusqu’où ?
Elles se rendent heureuses
Par cet échange façonné
L’une cherche la conciliation
L’autre veut la rendre nue
Mais rien ne vient, le vide
Le bavardage conduit-il à quelque chose ?
Je ne sais
Et peu à peu tout s’éteint
Les cerveaux ne parlent plus
Seule la sensation reste
Plane dans l’air, flotte
En un instant nous partons
Et nous retombons, inertes
Le brouhaha des commentaires
Une dernière lecture…
Un silence… C’est la fin…
La fin d’un rêve simple
celui d’une vie décrite…

© Loup Francart 

26/04/2015

Soi

Au fond de toi, il y a le Soi
Mais celui-ci n’est pas toi
Tu crois au Moi qui le cache
Et ne vas au-delà que je sache
Ce Moi n’est pas un, mais cent
C’est un choix angoissant
Dont tu n’es pas maître
Il entretient ton mal-être
Laisse partir ces brisures
Qui ne sont que poussière de sciure
Le vent les pousse au large
Envoie tout à la décharge
Alors dans cet immense désert
Apparaîtra l’unique et le sincère
Ce Soi qui n’est plus toi
Qui ne court plus aux abois
Celui que tu cherchas longtemps
Offert à toi en tout temps
La paix de l’âme enfin
Dont tu perçois le parfum

© Loup Francart

22/04/2015

Soir

Le jour entame sa dernière heure
Illumination…

Sur un ciel de mer, bleu pâle et rayonnant
Comme une fiancée pudique et frêle
Se détache la ramure d'or d’un peuplier
Ses lignes imprévues se déploient
Ouvrent leurs ailes à l’azur
S’évadent en dentelles et bigoudis
Avant de se mettre au lit dans le noir
Cette montée orchestrée des rameaux
Parfumés de liberté, d’évasion et de rêve
Accompagne ma nuit : jaune sur fond bleu
Une forêt vue par Maurice Denis
Un cri paisible vers le noir tombant
Tel un tableau du groupe des nabis

Le jaune étincelant de tous ces doigts
Reposant sur le tissu bleu du ciel
Devient la porte de l’illumination…

© Loup Francart

18/04/2015

Attitude

Vois l'or fascinant des navettes
Regarde le soleil dans les yeux
Lave-toi la face devant la lune
Plonge dans ces verts ombragés
Suffoque dans le bleu des mers
Souris à l’enfant qui te regarde
Pleure de joie devant ta belle
Ferme les yeux sur ces présents
Et marche environné de beauté
Jusqu’au vide infini et attirant
Qui t’engloutira de tendresse...
Tu n’auras plus besoin de rien !

© Loup Francart

14/04/2015

Ombre (poème pour rire)

Tout se trame dans l’ombre
Et sombres sont les nombres
S’échappant de la pénombre

Sorti de l’ombre, tu luis
A l’ombre, tu palis
Dans l’ombre, tu survis

Pourquoi faire de l’ombre aux rieurs ?
De ton ombre as-tu peur ?
Supprime l’ombre, dit le hâbleur

Sans une ombre de requiem
Tu es l’ombre de toi-même
L’ombre portée d’un zérotième

Si différent, tu nous encombres
Serais-tu en surnombre
Sorti, pâle, des décombres ?

Hombre, quel drôle de concombre !

© Loup Francart

10/04/2015

Pourquoi j'écris ?

Pourquoi j’écris ?
Pour éclairer le monde !

Comme les vers luisants
Un seul n’est pas éclairant
Mais si les écrivains
Se donnaient la main
Quelle magnificence
Dans la luminescence

Certains aiment s’éclairer
Le monde peut en profiter

D’autres éclairent en faisceau
Pointant un lieu falot

La plupart luisent pour eux
Et se regardent comme des dieux

Seuls quelques-uns, enfin
Distillent un lumineux parfum
 
Ils ne sont que les mots
Qui deviennent brûlot
Ils embrasent nos cœurs
Et enflamment nos ardeurs
Alors, dans notre émerveillement
S’ouvre les vannes de l’amant
Un filet d’air frais
Dans la fange des marais

L’écriture, un animal de compagnie
Qui engendre l’harmonie

06/04/2015

Miroir

Pourquoi me regardes-tu ainsi ?
Ai-je heurté ta conscience au point de la briser ?
T’ai-je vidé de l’écume de tes pensées ?

Tu ne peux me voir
Car moi-même, ineffable et serein
Erre dans les plis de mon aventure terrestre
Sans en connaître la sortie

Je vois bien cet œil jaune
Au bout du couloir de l’inconnaissance
Mais que vient-il faire ici
Dans ce fatras encombré

J’ai beau remuer le passé
Envisager l’avenir
Etreindre le présent
Je ne sais rien
Que la légèreté d’une caresse
Que la douceur de sa peau
Que l’ombre de son sourire

Alors je ne suis que le rêve
Qu’on ne contemple qu’une fois

La dernière…

© Loup Francart

01/04/2015

Premier avril

Lorsqu’enfant vous vous amusiez de ce poisson scotché dans le dos de votre mère et que celle-ci, par amour, faisait semblant de ne pas voir…
Lorsque, plus tard, glacé de terreur, vous figiez votre vie en attente de reproches…
Lorsqu’enfin vous découvriez la pâle tiédeur d’un amour malheureux…
C’était hier…

Aujourd’hui, c’est fini... Le poisson a quitté sa ficelle…
Vous n’avez plus peur de rien... Vous n’avez plus d’attente…
Vos amours sont partis... Seule reste l'aimée…
De quoi demain sera-t-il fait ?

Il vous reste le rire, plus que le sourire
Il n’y a plus de crainte, qu’un peu d’angoisse
Et toujours la présence caressante…
La vie n’est-elle qu’une impression ?

27/03/2015

Avatar

Qu’est-il cet avatar ?
Un homme ou un assemblage de 1 et 0 ?
Vient-il du fond des âges
Incarnant les dieux d’une Inde exubérante
Ou est-il un objet dans un univers virtuel ?
Une métamorphose de la fonction
Ou une mésaventure fonctionnelle ?

Tu as toujours rêvé devenir autre
Plus puissant, plus beau, moins timoré
Elle s’est toujours vue plus charmante
Et pourtant ce ne sont que des vivants
Qui peinent sous le poids de l’existence

Et qu’en est-il des avatars d’avatar
Ces incarnations successives en politique ?
Tel le papillon volage, ils courent
Après la fortune des voix qui crient
Toutes contre un système désuet

L’avatar implique un changement de nature
Mais cette métamorphose peut être intérieure
Tu es autre et, pourtant, le même
Brume de l’ignorance dans un même paysage
Ton destin est scellé, tu ne peux te changer

Enfin te voici,
Femme de toujours
Unique et véridique
Un sourire aux lèvres
L’œil aiguisé
Il se penche sur elle
Et ne trouve que le vide
Car il n’est rien lui-même
Qu’un morceau de chair
Dans le désert imaginaire

© Loup Francart