Bélard et Loïse, roman de Jean Guerreschi (06/02/2013)

Un roman, un récit de mœurs, un livre érotique ? On ne sait comment qualifier ce livre de Jean Guerreschi et, de plus, on ne sait comment le lire. Doit-il être lu vite, en impatience de nouveaux incidents palpitants, ou doit-il être savouré13-02-02 Bélard et Loïse.jpg lentement, avec toute l’attention qu’il réclame, en raison de la qualité du style et de la narration ? Ce fut selon les moments. Mais plus l’on avance, plus on tente de profiter de cette lecture, s’intéressant plus à l’écriture de l’auteur qu’à l’histoire qui s’allonge, sans doute un peu trop.

C’est une histoire qui pourrait être banale. L’amour d’une étudiante pour son professeur qui pourrait être son père. Elle a choqué certains critiques : « Jean Guerreschi a beaucoup d'imagination. On ne saurait le lui reprocher. On ne peut pas non plus lui reprocher de nous livrer ses frustrations en décrivant ses fantasmes. » (François Jardin, Pour les amateurs de mélo, A-lire.info)

Mais les prémices de cet amour sont enchanteresses : e-mail à double-sens,  messages codés, et le désir qui monte intensément : Ils se trouvèrent soudainement tout près, trop proches l’un de l’autre. Loïse l’éprouva la première. Je suis trop près de lui, se dit-elle, je sens la rétraction de sa zone intime, mais je ne peux faire autrement que de rester là. Elle ne bougea donc pas. (…) Il était si près d’elle qu’il voyait le duvet de ses phalanges. Elle était si proche de lui qu’elle serra la main sur l’étagère pour ne pas verser. S’il me touche, je crie, pensa Loïse. S’il ne me touche pas, je hurle, pensa-t-elle l’instant d’après. Si je la touchais, songeait Bélard, elle ne me repousserait pas. De cela il était sûr. Puis il pensa au futur simple. Si je la touche, je l’aurai dans les bras toute la vie.

La narration de leurs aventures amoureuses est hors du commun : tendre, extatique, mais aussi érotique, sinon pornographique. Mais écrit avec une langue merveilleuse, pleine de justesse, de délicatesse également : Bélard vit Loïse nue. Il oublia son âge. Bélard oublia son âge. Il s’étonna de sa jeune faim. Loïse goûta au corps de Bélard. Elle le trouva bon. Son appétit d’elle surprit Loïse. Son appétit de lui la troubla. Bélard s’étonna de sa jeune faim. Que si jeune faim eût appétit de lui le surprit.

Lorsqu’il se retrouve seul, Bélard s’extasie : Je suis comme un bœuf amoureux… Elle répondit qu’elle serait volontiers sa génisse. Il protesta qu’ils étaient au milieu du carrefour, que la morale publique les écraserait plus vite et plus certainement qu’un semi-remorque. (Il pensait : m’écrasera moi, mais il ne l’écrivit pas.) Elle répondit que, sous lui, elle ne sentirait pas le semi-remorque.

Ne poursuivons pas ce récit. Laissons au futur lecteur le soin de le découvrir. Il se tire un peu en longueur, en étrangeté (mêler l’actualité du 11 septembre à cette histoire forte). Le livre ne vaut en fait que par la langue, le style, la justesse des comparaisons. La crudité du compte-rendu des ébats des deux amants pourra choquer, mais c'est écrit avec une telle délicatesse.

Le livre fait penser à « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen. Même art de la narration juste, même hymne à la femme, même délectation de ces rencontres, étreintes, tensions et détentes amoureuses. Mais : Le plus étrange, c’est qu’un tel roman fasse aujourd’hui scandale — au point qu’une œuvre constamment maîtrisée, souvent admirablement écrite, soit boycottée par des journalistes plus pressés de rendre compte des pauvretés nothombiennes ou houelbecquiennes, écrit Jean-Paul Brighelli sur le site de Marianne.

07:27 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, littérature, femme |  Imprimer