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21/04/2014

Question... Réponse

La nuit porte conseil
Que faire ?
Se vider de soi-même
Mettre sur son autel
L’absence et la question
Attendre au creux de la nuit

La mécanique cognitive
Déroule ses procédures
Vous ne le savez pas
Qu’y a-t-il derrière les neurones
Les connections s’établissent
Le pays des rêves règne
Sur la chair assoupie

Matin, comme au premier jour
Le regard vers l’autel
Vous espérez la réponse
Et derrière la brume du sommeil
Apparaît l’insensé
Comme une fleur odorante
Ce vide immense que tu contemplais
Te donne la connaissance intégrale
L’intuition menue  d’une avancée

Quel est donc ce mouvement
Qui t’entraîne au-delà de toi
Afin d'extraire l’ineffable
Et mourir pour vivre ?

© Loup Francart

17/04/2014

Il est fini le temps

Il est fini le temps où nous allions ensemble
Etroitement, contempler l’étendue verte
Des eaux glacées de l’étang sauvage

La brume se coulait en épaisses couches
Entre les arbrisseaux et les cris d’oiseaux
Jusqu’à pénétrer l’oreille d’un pâle son
Celui des troncs de bois s’entrechoquant

Était-ce le soir, ou à l’aurore, que nous nous regardions
Tu portais l’ombre pâle de tes jours maladifs
Et je caressais lentement ton visage
Jusqu’au dévoilement de ta seconde peau

Alors tu t’enflammais d’émerveillement
Tu parlais sans cesse de notre amour
Qui n’en finissait pas de vivre
Une glissade ininterrompue sur la surface de verre

J’aurais voulu courir jusqu’à l’horizon
Là où la cime des arbres rejoint le ciel
Et chanter le chant celte du fond des bois
Pour remettre en route l’étouffement du paysage

Je posais la main sur ton épaule
Je caressais la courbure tendre de ta nuque
Je m’approchais de ton parfum sacré
Embrassant ainsi la naissance du monde

© Loup Francart

13/04/2014

Le parc Monceau

Ce parc immense aux longs bras déliés
De feuillages enchevêtrés et vert pâle
Ouvre ses allées aux passants à pas menus

Il est midi bien que le soleil ne soit pas au zénith
Une légère brume encombre encore ses pelouses
Les mères passent, poussant leur landau
Où repose, les yeux fermés, l’enfant chéri

Un homme, assis, revêtu d’un manteau noir
Mange à pleine fourchette dans un pot cartonné
Jusqu’à quelle errance des ventres peut-on aller !

Les enfants des écoles ne sont pas là. Que des adultes
Assis ou couchés dans l’herbe grasse des parterres
Parlant, dormant, grignotant, seul ou en groupe

Et douze petits coups résonnent, imperceptiblement
Perdus dans le brouhaha incessant de la circulation

L’heure avance. Voici les enfants enfiévrés
Courant sous les frondaisons en gestes étirés
La vie dans l’instant, pas une seconde en place

Tiens, un kangourou ! L’homme court en hauteur
Il n’avance pratiquement pas. Il monte
Il descend, au rythme sautillant de ses pas. Où va-t-il ainsi ?

Le ciel bleu gris, ouaté, s’abaisse jusqu’au sol
De maigres rayons émergent, blancs comme le feu

Ferme les yeux, que la machine à laver les idées
Ronronne autour de toi. Tu n’es plus là
Englouti dans ce trou béant de verdure
Au milieu des immeubles, sentinelles impitoyables
Ton fantôme erre dans les feuillages, la poussière et le soleil

© Loup Francart

09/04/2014

Faut-il sacrifier aux rites ?

Faut-il sacrifier aux rites ?
L’encens s’écoule en volutes
Les chasubles s’ébrouent
La parole envoûte les sens…
Une confusion décourageante
S’empare des corps et des esprits

Ombre et lumière
Foi et raison
Sincérité et habitude...
Enferme-toi en toi-même
Délivre-toi de cette pesanteur
Balaie la poussière de tes pensées
Et danse sur la flamme
Rougeoyante et tenace
De l’expérience inconnue…
Les charbons ardents
De l’indécision t’enchaînent ?
Fais sauter le cadenas
Et gambade librement
Dans l’éclaircie qui vient…
Que le corps est léger
Lorsque l’œil se regarde
Et ne voit que l’espace
Qui monte tel un ballon
Entre les gouttes de souvenir…

Enfant j’aimais entendre
Les voix mâles des hommes
Au fond du chœur, en écho
Aux voix grêles des femmes
Et d’une assemblée bigarrée
Et le prêtre délivrait
Du haut de la chaire
La parole sacrée et bienfaisante:
« Paix sur la terre »

Mais y a-t-il des hommes de bonne volonté
Des hommes libres et consentants
Le cœur ouvert et l’âme vierge ?
Les gestes séculaires rassurent
Ils plongent dans le rituel
Et délivre la conscience
Des choix qui restent à faire
Et qui se renouvellent
Instant après instant

Une goutte d’encens
Sur la lame brûlante
Du couperet du temps…
La chute… percutante !

A terre les anges l’enlevèrent
Il monta droit aux cieux
Ses lunettes terrestres tombèrent
Mes amis, quel adieu !

Ici ne reste que le poids
Des souvenirs d’un être
En recherche de soi
Et d’un applaudimètre !

© Loup Francart

05/04/2014

Le poète fou

Cette nuit lui vint une idée farfelue. Comment faire côtoyer l’ensemble de règles concrètes et rationnelles devant régir la production poétique avec la réflexion esthétique c’est-à-dire la perception de la beauté ? C’est toute l’évolution poétique des XVIIIème et XIXème siècles. En effet, soit le poète met l’accent sur la règle et avant tout sur la rime, soit il écrit en vers libre et recherche les images plutôt que la forme. Comme il laissait encore errer sa pensée, et c’était bien normal en raison de l’heure, lui vint cette idée stupide : la rime est toujours à la fin de deux ou plusieurs vers, pourquoi n’y a-t-il pas de rime en début de vers ? Serait-ce plus choquant d’établir la musique des mots d’emblée plutôt que de la noyer dans le brouhaha de l’expression ? En musique, le plus souvent, la mélodie est exprimée de prime abord, puis modifiée au fur et à mesure du développement du génie du compositeur. Elle est courte, simple et donne la mesure de celui-ci.

Alors, essayons-nous à ces rimes à l’envers ! Il note d’abord que c’est plus simple à faire : lorsque la rime ne vient pas, il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour trouver de nombreux mots qui commence par les mêmes sons : ainsi le mot abeille, poétique en soi, rimerait avec abécédaire, aberrance ou même abêtissant. L’image créée par la conjonction des deux termes manque certes d’attrait, mais on peut trouver mieux : loup, louvoyer, loufoque, louper, louer, louange, loupe, etc. En tentant de vérifier cette évidence de rime à l’envers, il en vint à chercher une strophe.

Il lui apparut aussitôt que ce n’était pas aussi simple que cela, parce que la plupart des phrases commence par un article : un, le, la, des, etc. Leur suppression laisse une impression bizarre sur la langue, comme un petit caillou dans un plat de lentilles. Il est certes possible de commencer par un verbe et d’en faire des injonctions telles que sautez… chantez…, mais cela limite déjà singulièrement l’usage de la langue française. Il aussi possible de commencer par un adjectif : lumineux était le soleil du matin. C’est une forme poétique assez courante, alors pourquoi pas ? On peut même aborder un vers par un nom : Crépuscule combien de poètes exploitent ton nom ! Mais tous ces subterfuges ne sont que des tromperies de langage. Comment parler d’images évocatrices en n’utilisant que ces formes désuètes ?

Pacte tenu un jour

Pactole assuré toujours !

Ah oui ! C’est une forme de langage qui convient bien au proverbe. Le vers frappe, mais s’agit-il d’une image poétique ? C’est moins sûr.

Il est encore possible de compliquer un peu cette réflexion. Un rime au début et à la fin d’un vers. Cela nécessite une gymnastique plus périlleuse, mais combien plus captivante :

Glauque est l’océan

Global le mécréant

Mais on reste dans le proverbe maquillé ou dans l’injonction désordonnée.

 

Là-dessus, il endossa le vêtement du sommeil

Lapidaire, il s’endormit en rêvant à l’abeille

© Loup Francart

01/04/2014

L'absurde... un premier avril

Quel mot délirant
Il n’a qu’une seule rime :
Kurde !
Un mot sans existence légale…

Abs… Cela commence mal
Comme l’absence ou l’abstrait
Joignez-les ensemble
Abs…urde… est-ce une langue
Oui, peut-être, mais qui fourche
C’est normal
L’absurdité est contraire à la raison
Alors… abs…tinence !

C’est ainsi qu’il se trouve seul
Environné de pommiers
Une couronne sur la tête
Pour déclamer les vers
D’un peintre en bâtiment...
L’entourent des êtres chers
Le renard sans queue
L’agneau poêlé bêlant bêtement
La jeune fille, encore jeune
Mais sûrement plus fille
L’enfant roi sans casquette
Qui hurle par plaisir

Rien n’existe, mais c’est là
Dans la tête, comme un gong
Quelle fièvre vous prend ?
Mais l’abs…urde n’est-il pas
Proche de l’abs…olu ?

On raisonne sur l’absolu
Mais on agit dans la réalité
La frontière des deux mondes
N’est-elle pas un absurde raisonnable
Entrer dans l’absurde irrationnel
Ou demeurer dans l’abs…sens
N’est-ce pas une frontière vague ?

Un système royal l’ABS
L’anti-blocage des roues
La raison s’en porte mieux
Les dents courent le long de la roue
Et empêchent la catastrophe
La raison tourne, dans le vide
Elle existe toujours, inutilement
Alors que l’absurde ne peut exister

Le fou n’existe pas dans l’absurde
Il a sa raison à lui
Elle court dans ses rouages
Qui tournent parfois à l’envers
Vous puisez dans le sac à idées
Mais rien de logique
Ne sort du broyage…
Quelle ineptie !

L’imaginaire n’est pas le non-sens
 C’est la voie royale
Pour pouvoir voler
Et s’évader d’un monde raisonnable…
En avril, découvre-toi
de tous les fils de la raison
et entre dans la fournaise
de l'absolu chimérique

© Loup Francart

29/03/2014

Autre peinture

Elle se tient debout, perchée sur l’échelle. Rien ne saurait la déranger. Elle manie son pinceau avec sérieux, enduisant de noirceur le portail défraichi. Il la revoie jeune fille, riante, le regardant d’un air effronté, comme disant : « Moi aussi, je peux faire ! » Elle y met tout son cœur, décidée à aller jusqu’au bout, à ne pas abandonner son pinceau à la main secouriste. Il la regarde et admire cette volonté subite, ce retour pour éblouir et danser ensuite de joie à l’idée d’un enjolivement dû à elle seule.

Elle se tient debout, perchée sur l’échelle. Ses cheveux flottent autour de sa tête. Elle écarte d’un geste de l’avant-bras ceux qui lui tombent dans les yeux. Elle vient de voir un barreau sans peinture, avance une main agile et presse les poils barbouillés sur la partie encore vierge. Elle est comme un dentiste devant une bouche ouverte. Elle glisse son instrument entre les dents du portail et lui assène sa couche de noir luisant jusqu’à l’étouffement. « Voilà, c’est fini ! »

Alors elle le regarde et il voit sa souffrance dans son corps. Perchée sur l’échelle, elle s’est donnée sans retenue. La main ankylosée, les reins vrillés, les pieds compressés par la minceur des barreaux, elle réserve encore sa fatigue pour tout à l’heure, lorsque pinceaux nettoyés, bidon de peinture rangé, échelle remisée, elle pourra enfin se laisser tomber sur une chaise et contempler son œuvre qui la comblera de bonheur.

Elle se tient assise et il est debout devant elle, attendri de sa constance et de sa joie enfantine. Elle a les larmes aux yeux, de fatigue, de satisfaction,  d’amour aussi. Quel beau cadeau lui a-t-elle fait ! Il lui prend la taille et l’entraine vers la maison. Qu’il est bon de rentrer chez soi, ensemble, après l’épreuve et les preuves d’un amour toujours vivant.

28/03/2014

Quelle différence ?

– Je suis femme et donc lasse
De n’avoir que mes yeux
Pour parler à ceux qui m’ignorent
Tout en me contemplant

– Je suis homme et donc prêt
A toute tentative de charme
Quand déjà ses yeux me fixent
Et me disent : Oserez-vous ?

– Adolescente, je contemplais sans honte
Les efforts sportifs des jeunes hommes
Et riais de les voir, rougeauds
Encore pleins de force virile

– Enfant, je me taisais
A quoi pensais-je donc
Lorsque la cousine me serrait
Et me pressait contre ses seins

– Tu m’as charmé de tes chants
Tu m’as donné ta vigueur
Et je suis devenue un rêve
Que je poursuis toute seule

– Et maintenant, après ces années
Je me gonfle d’importance
Pour croire encore à la vie
Et me dresser malgré moi

Oui, la vie est ainsi faite
Rien ne peut la changer
Surtout pas cette différence
Entre douceur et force

© Loup Francart

24/03/2014

L'heure sauvage

Trois heures trente, l’heure sauvage
Celle où rien ne pousse dans la tête…
Silence... On tourne autour de soi
Sans consistance et sans résultats…

C’est un autre monde, inédit
Qui ressort des pages bouleversantes
De cet entre-deux prenant la gorge…
Rien ne s’offre gratuitement…

Chaque nuit le même récit voilé
Le retournement des principes
Et la sûreté des geôles d’antan…
Un volcan sorti de la glace…

Mais toujours, simultanément
Vous prend cet immense désir
D’une évasion hors du monde
Jusqu’aux confins de vos songes…

A grandes enjambées vous parcourez
Les étendues désertiques de la pensée
Toujours plus loin, dans le lointain
Jusqu’au vide immuable de l’absence

Rien ne vous arrête… Un trou
Sans fin et sans parachute…
Vous fermez les yeux morts
Et ouvrez l’esprit au rêve…

© Loup Francart

 

20/03/2014

Hiver ou été ?

L’astre vous bourre de ses rayons
Tourné vers lui le visage s’ouvre
Chaque pore dégorge son eau
Vous ruisselez dans le froid de l’hiver

Les cris des enfants du village
Entament comme une scie obscure
Le solo patient et quotidien
D’une journée écrasée de rouge

Le portail ouvert, béant de fureur
Dont on nettoie les dents noires
Laisse passer les géants de la route
Ombres parasites et fugitives

Oui, c’est une après-midi soft
Un air de déjà vu et si bon
Vos genoux dissous dans la poitrine
Vous baignez dans votre jus amer

Vous ne bougez plus, le front altier
Vous laissez le temps s’en aller
Et vous regardez sans les voir
Ces arbres aux doigts tendus

La nature vous donne sa foi
Laissez-vous faire, ignares
Laissez votre intelligence au placard
Et croulez de bons sentiments

Encore quelques temps
Quelques pas de danse
Pour profiter de cette huile
Que donne la lumière du soir

Tout à l’heure, refroidi
Roulé en boule, respirant
La morsure de la glace
Le feu du soir vous ravivera

© Loup Francart

16/03/2014

Sa chambre est une gare

Sa chambre est une gare, une gare de province
Où l’on entre pour faire un long voyage
Aux pays ignorés de nouveaux princes
Qui règnent sur la géométrie de l’esprit de leurs pages.

On y voit des affiches couvertes de couleurs
Où l’Espagne s’ombre sur le sable des arènes d’or,
Où l’Escorial étale ses vertus de l’honneur
Dans la nuit des étoiles et des nébuleuses de la mort.

© Loup Francart

12/03/2014

Les formes

Les formes lui courraient dans la tête
Carrés noirs, ronds blancs, lignes
Points, rien… Quel mélange…
Une symphonie muette et colorée
Qui danse pour lui seul !
Dans son sommeil il les voit
Elles se dressent au pied du lit
Elles envahissent ses songes
Et ne lui accordent aucun repos…
Il les assemble au gré de la pensée
Du crayon sur le papier quadrillé
Elles se gonflent en trois dimensions
Prennent leur aise… Elles enflent…
Parfois elles détonnent… Douleur…
Comme une explosion dans la tête
Un vaisseau qui éclate…
Alors le sommeil vient
Il s’ouvre à l’esprit dérangé
Il balaye tout sur son passage
Et le vide s’installe, bienfaisant…
L’artiste flotte entre deux nuages
Eperdu de reconnaissance
Avant de retomber sur terre
Se cognant aux formes et aux couleurs…

© Loup Francart

08/03/2014

Elle s’élevait haut sur la scène

Elle s’élevait haut sur la scène
La danseuse aux pieds agiles.
Elle ne manifestait pas de gène
Seule, perdue sur cette île.

Parfois d’un saut plus truculent
Avant de redescendre d’un geste ample,
Elle dévoilait ses pauvres flancs
Et même un blanc triangle.

Sais-tu pourquoi les hommes
Se pressent au premier rang ?
Ils contemplent ses pommes
Et rêvent au noir sang.

© Loup Francart

04/03/2014

Elle était belle

Elle était belle, elle avait vingt ans…
Elle court maintenant vers sa fin
De ses pieds menus et désespérés
Elle pousse un cri de désespoir
Mais se réjouit des jours passés

Elle était belle, elle avait vingt ans…
Elle va vers son destin tragique
La tête couverte d’un cache noir
Elle sait le drame qui l’attend
Mais elle chante pour le courage

Elle était belle, elle avait vingt ans…
Elle s’agenouille humblement
Tendant son cou fragile à la lame
Elle prie dans son cœur d’enfant
Mais pleure sur la vie à venir

Elle était belle, elle avait vingt ans...
Admirez sa superbe innocente
Elle vous regarde et vous n’êtes plus là
Vous avez peur de la voir, nue
Mais plus vivante que jamais

Elle était belle, elle avait vingt ans…
Mais qu’avait-elle fait ?

Elle était belle

© Loup Francart

28/02/2014

L'eau dans tous ses états

L’eau, dans tous ces états
Remonte à la source
En vertu d’une équation :
Plus de cent pour cent
De hauteur de barrages
Par rapport à la dénivelée

L’eau n’est plus ce qu’elle était…
Qu’a-t-elle de moins ?
Non c’est en plus, invisible
Dilué dans la masse d’eau…
Cela donne des boutons,
Et fait des buveurs d’eau
Des rats courant en tous sens

Mais on trouve aussi dans cette eau
Des bouchons monstrueux
Qui nivellent à des hauteurs de noyade…
Il faut les faire sauter
Pas question de les manœuvrer !

Adieu long fleuve tranquille
Désormais cours jusqu’à la mer…
Personne ne peut t’attraper
Ni tremper ses doigts de pied
Dans cette eau désormais sacrée

© Loup Francart

24/02/2014

Le consternant silence de la nuit

Le consternant silence de la nuit
Quand l’œil ouvert promène sa caméra
Sur la chambre agrandie d’obscurité...
Un reflet dans la glace… Froid dans le dos
Un grincement de meuble… Mal aux dents
Le vol d’un moustique… Attente sans fin

La nuit n’est plus ce qu’elle était...
Elle court sans savoir où elle va
A l’aveugle, en femme échevelée
Elle me tient de sa main gantée
Et m’entraîne dans les précipices
En farandoles inlassables et vertueuses
Jusqu’au réveil hurlant

Premières lueurs de l’aube...
Les cheveux se dressent sur la tête
Rien d’autres ne te retient
Love-toi sur toi-même
Et sois comme le juste…
Endormi...

© Loup Francart

20/02/2014

Le virtuel et le réel

Oui, c’est vrai, comment distinguer
La réalité de la virtualité ?
Certes, je palpe la première
Et ne goûte que des yeux la seconde
Je me baigne dans le réel
Et nuage dans le virtuel…

On me dit que le virtuel
Existe sans se manifester
Pourtant les réseaux sont bien là
Pour signifier le mécontentement

On me dit que la parole est réelle
Mais la langue virtuelle
Ah ! Parler est vrai
Mais le Français n’est pas révélé ?

Le virtuel est le réel en puissance
Le réel possède-t-il tant de force ?
La mémoire virtuelle se déconnecte
Mais ma mémoire ne fait-elle jamais défaut ?

Oui, c’est vrai, quelle potentialité
Que ce plus qui vous accompagne
Et vous tire par la manche
Pour vous noyer d’une brume d’informations !

© Loup Francart

16/02/2014

Le corps et l'âme

Je fouille en moi vainement
Pas une trace de l’âme
Descente dans l’obscurité du corps…
J’ai le vertige des vierges…
Le noir et rien, sans palier…
Un nœud lâche, puis deux...
Détente de la carcasse
Les défenses s’évanouissent…
Une lueur apparaît, lointaine
Je la perds, je la retrouve
Je m’allège et je me perds
Il reste toujours cette pellicule
Qui colle à l’être, tenace
Et qui empêche le départ…
Soudain, éclaircie, directement
Le blanc succède au noir
Le ying au yang
La hauteur à la profondeur
En descendant je monte
Et cette montée me ravit
Je perds mon poids
Je ne suis plus qu’une colonne
D’air purifié et rafraichissant
Et cela me suffit…
Ouverte à tous vents
Seule l’âme subsiste

 © Loup Francart

12/02/2014

Un poème

Un poème, c’est un rond dans l’eau
Créé par l’impact d’une ivresse soudaine
Une gifle décoiffante d’un fait insolite…
Les sens en alerte tu guettes l’éveil
Aujourd’hui il ne vient pas, pourquoi ?
Remue la tête, déménage tes poussières
Souffle sur le décor et entame la valse
De la folie des mots qui s’enchaînent…
Laisse-toi bercer par la cathédrale
Et les résonances  de ses fils de verre…
L’orgue se tait, l’organiste est mort
D’une crise de larmes et d’étincelles
Le chien aboie dans la tribune
Quoi de plus naturel !
Le fumet des mots d’antan a disparu…
Odeur des greniers ou des caves
Un relent de moisi ou de renfermé
Qui saute à la gorge étonnée…
Et tu poursuis en tournant à la main
Ta perceuse, fouillant dans le sable
Et la pierre jaunie d’écume
Jusqu’à l’étincelle attendue divinement
Qui met le feu aux poudres
Et chavire tes perceptions latentes…
Sautez le chat huant et l’éléphant rose
Ça clignote dans l’ellipse grammaticale…
Secoue la caisse de résonance…
Extrais le jus de l’ignorance
Et couche-le sur le papier 
Laisse-le baver sur la feuille blanche
Qu’il se dessine seul en noir
Tache bienfaisante et fertile
Qui fait rire l’innocent
Et ricaner l’averti…
La mer des mots n’en finit pas de déborder…

 © Loup Francart

08/02/2014

Tempête

J’émerge et respire un grand bol d’air
Quel bruit ! Un grondement incessant
Une autoroute de départ en vacances
Ecrasé sous les roues et asphyxié de gaz
J’ouvre un œil. Où suis-je ?
Dans quelle machine à laver suis-je tombé ?
Un  incessant mouvement de grains de sable
Qui balaye les toits, entre par les fenêtres
Et passe le plumeau sur toute surface nue…
Levons-nous puisque le néant nous refuse…
Le sol est froid, l’air est moite
Collé contre le carreau glacé
Je contemple la danse du vent
On ne le voit pas. Certes on l’entend.
Les arbres s’agitent et se plient
Ils frémissent et gémissent de crainte...
En gros bouillons irascibles
La rivière charrie sa boue jaune
Entraînant toutes sortes de brindilles
De branches, d’herbes et de malheur…
Le vent ne se démonte pas, il s’amplifie
Je suis assis sur la bande médiane de l’autoroute
Et les véhicules passent à droite et à gauche
Hurlant indistinctement : écarte-toi, écarte-toi !
Alors, las de cette agitation non maîtrisée
Je ferme les yeux, ouvre mes paumes
Lève les bras à la force du souffle…
Je me dénude de mon immodestie
Et crie.
Les sons se perdent dans les branches
Mais quel bienfait ce passage hors du temps
Je suis sourd aux gesticulations
Assis sur mon tonneau, balloté par les flots
Je m’envole vers je ne sais où
Je perds mon identité pour redevenir
Celui qui a toujours été, qui n’est rien
Et qui devient le tout, par absence…
Je suis le vent et je caresse la terre
Montant dans les cieux, passant sous les portes
Et je regarde éberlué et chagrin
Celle qui se met nue dans les caresses…
Elle est parce que je ne suis plus…
Je suis par absence, courant d’air…
La mort guette l’inquiet, le modèle
Avant de s’enfuir sans rien
Ricanant de l’absurde et du bonheur

© Loup Francart

04/02/2014

L’artichaut

Effeuille-toi tel l’artichaut
La première feuille est la plus difficile
Tire un petit coup sec
Et lâche la feuille dans le vide...
Allons prend-en une seconde...
Bien. Laisse-la partir...
Tu t’allèges, courage !
Ah, tu as perdu du poids
Tu affines ta silhouette
Déjà tu vois au-delà de l’horizon
Des soucis et contraintes
L’aube approche, encore une feuille
Tu arrives au cœur
Dans cette chair tendre
Qui coule son miel parfumé...
Elles sont si petites
Les dernières feuilles, rouges
Ou violacées et pâles
Que tes doigts ne peuvent les saisir
Et puis ces poils au bout sucré
Qui suggèrent plutôt que nourrissent
Avant de pouvoir entamer
La surface jaune beige
Piquée de pointes imperceptibles
Avec ton couteau aiguisé
Et prendre ta part de rêve
Et d’ortolans vivaces...
Le parfum, le goût et la couleur
S’allient pour conjuguer
Un mariage délicieux
Qui t’ouvrira les portes
De l’éternité désirée

 © Loup Francart

03/02/2014

Un barrage contre le Pacifique, roman de Marguerite Duras

Il m’a fallu attendre la page 115 pour que s’éveille en moi un intérêt pour ce roman. Auparavant, je me demandais ce que chaque personnage faisait de sa vie et en quoi ce livre dépeignait une vision particulière du monde qui valait la peine d’être contée. Et tout à coup, les enfants : Il y avait beaucoup d’enfants14-012-03 Un barrage contre le Pacifique.jpg dans la plaine. C’était une sorte de calamité. Il y en avait partout, perchés sur les arbres, sur les barrières, sur les buffles, qui rêvaient, ou accroupis au bord des marigots, qui pêchaient, ou vautrés dans la vase à la recherche des crabes nains des rizières. Dans la rivière aussi on en trouvait qui pataugeaient, jouaient ou nageaient. Et à la pointe des jonques qui descendaient vers la grande mer, vers les îles vertes du Pacifique, il y en avait aussi qui souriaient, ravis, enfermés jusqu’au cou dans de grands paniers d’osier, qui souriaient mieux que personne n’a jamais souri au monde. (…)

Dès le coucher du soleil les enfants disparaissaient à l’intérieur des paillotes où ils s’endormaient sur les planchers de lattes de bambous, après avoir mangé leur bol de riz. Et dès le jour ils envahissaient de nouveau la plaine, toujours suivis par les chiens errants qui les attendaient toute la nuit, blottis entre les pilotis des cases, dans la boue chaude et pestilentielle de la plaine. Il en était de ces enfants comme des pluies des fruits, des inondations. Ils arrivaient chaque année, par marée régulière, ou si l’on veut, par récolte ou par floraison. Chaque femme de la plaine, tant qu’elle était assez jeune pour être désirée par son mari, avait son enfant chaque année. A la saison sèche, lorsque les travaux des rizières se relâchaient, les hommes pensaient davantage à l’amour et les femmes étaient prises naturellement à cette saison-là. Et dans les mois suivants les ventres grossissaient. Cela continuait régulièrement, à un rythme végétal, comme si d’une longue et profonde respiration, chaque année, le ventre de chaque femme se gonflait d’un enfant, le rejetait, pour ensuite reprendre souffle d’un autre.

Et ce fut l’illumination. La magie de l’écriture pour l’écriture. L’histoire est simple, si simple qu’elle n’a que peu d’intérêt. Une vieille femme, deux enfants déjà grands, dans une concession qu’elle a achetée à des fonctionnaires véreux. Elle s’épuise à construire un barrage contre le Pacifique et contre la société qui la rejette parce que trop pauvre. Seules comptent les descriptions merveilleuses de ce monde absurde et les personnages plus ou moins atypiques qui côtoient de près ou de loin la famille. Ainsi les jambes de Carmen : Ce qui faisait que Carmen était Carmen, ce qui faisait sa personne irremplaçable c’était ses jambes. Carmen avait en effet des jambes d’une extraordinaire beauté. (…) Carme, passait le plus clair de ses journées à se déplacer dans le très long couloir de l’hôtel qui donnait à une extrémité sur la salle à manger, à l’autre sur une terrasse ouverte, et de chaque côté duquel s’alignait les chambres. Ce couloir, ce long tuyau nu éclairé seulement à ses extrémités, était naturellement destiné aux jambes nues de Carmen et ces jambes y profilaient toute la journée durant leur galbe magnifique. (…) On pouvait coucher avec Carmen rien que pour ce jambes-là, pour leur beauté, leur intelligente manière de s’articuler, de se plier, de se déplier, de se poser, de fonctionner. D’ailleurs on le faisait…

Le récit s’émaille de ces descriptions merveilleuses qui laissent un arrière-goût de perfection dans la mémoire du lecteur. L’histoire continue, mais peu importe, seules comptent ces illuminations dans lesquelles nous plonge Marguerite Duras, l’ensorceleuse. Allez ! Encore une description avant de vous laisser : La première fois que Suzanne se promena dans le haut quartier, ce fut donc un peu sur le conseil de Carmen. Elle n’avait pas imaginé que ce devait être un jour qui compterait dans sa vie que celui où, pour la première fois, seule à dix-sept ans, elle irait à la découverte d’une grande ville coloniale. (…) Suzanne s’appliquait à marcher avec naturel. Il était cinq heures. Il faisait encore chaud mais déjà la torpeur de l’après-midi était passée. Les rues, peu à peu, s’emplissaient de blancs reposés par la sieste et rafraîchis par la douche du soir. On la regardait. On se retournait, on souriait. Aucune jeune fille blanche de son âge ne marchait seule dans les rues du haut quartier. Celles qu’on rencontrait passaient en bande, en robe de sport. Certaines, une raquette de tennis sous le bras. Elles se retournaient. On se retournait. En se  retournant on souriait. « D’où sort-elle cette malheureuse égarée sur nos trottoirs. » Même les femmes étaient rarement seules. Suzanne les croisaient. Les groupes étaient tous environnés du parfum des cigarettes américaines, des odeurs fraiches de l’argent…

Le livre se lit comme un rêve ou se parcourt comme une marche dans la brume d’un pays lointain si différent de ceux que l’on connaît. Les deux adolescents découvrent la vie, l’amour ; la mère se tasse dans son lit, pleure devant sa concession inutile et finit par mourir, harassée.  Alors ils partent.  La nuit était tout à fait venue. Les paysans étaient toujours là, attendant qu’ils s’en aillent pour s’en aller à leur tour. Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases.

31/01/2014

Pétard !

Nous connaissons un homme
Qui sait jurer noblement :
« Pétard ! »
Et cette explosion subite
A une féérie de significations

Juron d’inefficacité : Je n’y arrive pas
Quelle saloperie cette mécanique !

Omniscience : J’ai raison, pétard
Et personne ne m’en fera démordre !

Ou l’inverse : pétard, que je suis mauvais !
Mais utilisé rarement…

Ebahissement : « quel pétard ! »
Signifiant par là un dérèglement total

« Pétard de pétard » traduit un égarement
Il ne peut en croire ses yeux

Il peut aussi être en pétard
Mieux vaut ne pas tenter d’éteindre la mèche

Cependant il ne parle pas de gros pétard
Devant l’élégante démarche d’un surpoids

Ces pétards ne simulent pas un coup de feu
Et ne signifient pas une rupture de dialogue

Les pétards dispersés dans la conversation
Sont l’expression de ce qui ne s’exprime pas

Parfois même il suffit de le dire des lèvres
Sans le prononcer ouvertement
Tous comprennent et sourient

Pétard, quelle douce expression
Pour dire son mécontentement
Son affolement, sa rage
Sa colère ou son étonnement

Mais, pétard, quel silencieux manifeste !

© Loup Francart

27/01/2014

Portrait

C’est ton portrait tout craché !
Qu’est-ce à dire ?
Ces traits tracés sur une feuille
D’une main sûre, avec facilité
Serait-ce toi, serait-ce moi ?
Et derrière ces couleurs pâles
Où se trouve nos âmes ?
Je ne vois qu’un morceau d’être
Au visage tendu dans la nuit
Les yeux ouverts et le cœur vierge...
Il contemple les astres
Sans connaissance de l’au-delà...
L’incertitude se lit sur le portrait...
Je ne sais qui je suis
Tu ne sais qui tu es
Pourtant tous te disent que c’est toi
Cette figure oblongue sans reflet
Tu as la consistance du verre
Transparence inutile et perverse
Et l’image du monde déformé
T’écarquille le regard
Et secoue ta passivité...
Et toi, que disent ces formes tendres
Ces fils mouillés de tes larmes
Cette bouche rouge offerte
Et tes cils se mouvant dans la froideur
D’un hiver sans fin ni soif...
Tu me tends la main
Vierge, tu  me regardes
Et alignes tes doigts tendres
Sur mon visage égaré...
Oui, nous sommes deux
Sur ce portrait d’un seul
Réconciliés pour la vie et la mort
Dans l’étonnante tiédeur
D’une retraite forcée...
Toi, et moi, seuls dans l’immensité
D’une vie ouverte sur le monde
Soudain trop petit
Pour nous satisfaire...
Alors, une dernière fois,
Saluons-nous
Laissons-nous monter
Et flotter dans l’air pur
Pour devenir une seule âme...

23/01/2014

Les souvenirs

Il est des jours où les souvenirs affluent
Oubliés, ils reviennent en masse
Ils cognent contre la vitre du présent
Et font sentir leur rage d’inexistence

Pourtant un lien invisible les rattache
Au moment présent. Une chaîne d’or
Les fait sortir de leur boîte

Ce n’est qu’un son discordant et pauvre
Qui ravive la solitude du garçon
Que vous avez été à quinze ans

C’est aussi le cri d’un passant pressé
Un autobus majestueux lui écrase le pied
Et vos doigts se rétractent à l’évocation
Du sabot d’un cheval sur la semelle de votre botte

Ce peut aussi être une brise tiède
Qui relance la caresse d’une main de femme
Et fait frissonner tout votre corps

Et ces liens sont présence
Ils entraînent votre être
Dans la ronde de la vie
En éternel retour
D’un passé révolu
Et vous tourne vers l’avenir
Qui reste encore ouvert
Pour tous les drames
Tous les rires
Tout ce qui un jour
Se ravivera
Par le grattement d’une araignée
Sur la transparence
De la mémoire

22/01/2014

La liberté de l’eau (suite de La planche et le canoë)

Depuis ce temps des batailles d’eau (ainsi appelaient-ils parfois ces joutes singulières au fil des flots), Jérôme ne peut s’asseoir au bord d’une rivière ou d’un étang sans sentir dans sa mémoire interne non pas le souvenir de guerres mouillées, mais un pincement au cœur, une amplitude soudaine de l’esprit, comme un gaz hilarant envahissant son cerveau et donnant aux images aperçues une divine odeur de liberté. L’eau s’en va, coule, défile en toute indépendance.

Chaque goutte de ce liquide a le pouvoir de s’infiltrer où bon lui semble, entre deux planches, dans un trou de taupe, dans le terrier des rats d’eau, dans l’étendue des champs, sous les genoux des veaux, sous l’œil du héron qui en profite. Vous n’en êtes pas propriétaires, ni même l’Etat contrairement à ce que l’administration affiche. Elle passe et fout le camp vers la mer, arrêtée parfois par un étang aux eaux mortes. Mais très vite, elle reprend le dessus, déborde le passage ou se laisse couler dans un trou prévu à cet effet. Et l’ensemble de ces gouttes coulantes que l’on appelle ondes repart vers la mère des eaux ou paradis des courants pour former des vagues rondes, féminines et câlines, bruyantes de douceur, dans lesquelles on se laisse bercer un soir d’été lorsque le soleil atteint l’horizon.

20/01/2014

L'odeur du thé et de la biscotte

Il fait nuit. C’est le matin, tôt encore. Il se lève dans le noir. La lueur blafarde du réverbère accroché à la maison lui suffit. Moment du retour. Une heure plus tard, il monte dans sa voiture et roule vers la gare. Il est réveillé. Mais en lui sommeille une nostalgie, celle de la campagne sur laquelle se lève doucement le soleil dans un ciel nuageux. Oui, retour à la ville. Arrivé au parking, il ferme sa voiture. Il aperçoit un couple de vieilles personnes qui font de même, avec un peu moins d’énergie. Il redresse la tête, heureux de se sentir encore jeune. S’il s’écoutait, il partirait en courant. Prendre son billet télépayé au guichet automatique, sortir de la gare, faire quelques pas dehors, puis revenir parce qu’il fait froid malgré tout. Il va s’assoir à côté de la marchande de journaux.

Il y a peu de gens. Le couple rencontré sur le parking est là, en attente du même train, probablement. La lueur crue des néons forme une auréole pâle. Un léger bruit de moteur dans une pièce voisine l’assourdit légèrement. Cette ambiance contribue à son endormissement. Il est dans une coquille de verre. Il regarde comme dans un film les mouvements dans la gare. Va et vient des voyageurs, peu nombreux. Premier regard pour le tableau d’affichage, électronique maintenant. Puis vers le guichet où deux personnes attendent pendant que la troisième fait face à l’employé. Tiens, un nouveau couple entre. Lui, encapuchonné dans un K-way, sombre. On ne voit que deux yeux noirs et une barbe grise. Il laisse tomber ses bagages, pose son sac à dos, retire sa capuche pendant que sa compagne s’installe. Il est mince, plus qu’il ne le pensait. Il sort un téléphone, écoute le répondeur, et vient s’assoir à ses côtés.

Une odeur de thé, mêlée à celle d’une biscotte sans doute. Elle l’envahit, le réveille, aiguise ses sens, le plonge dans des images d’enfance et dans une présence renforcée. Là, dans cette gare, il renaît aux odeurs, comme si depuis longtemps il ne savait plus  l’odeur de la vie. Peut-être est-ce parce qu’il a lu il y a deux jours une nouvelle de Tonino Benacquista intitulé le parfum des femmes (Tonino Benacquista, Nos gloires secrètes, Gallimard, 2013, p.111). Le narrateur en est un nez, très agé, seul, désemparé, qui fait connaissance avec sa voisine, une petite jeunesse, charmante. Elle sonne chez lui pour l’inviter et faire connaissance. Il parle, elle l’écoute. Elle parle, il l’écoute. Et chaque jour, lorsqu’elle descend l’escalier pour se rendre à son travail, il est derrière la porte,  ouvre et lui dit bonjour. Un jour il lui donne un flacon de parfum qu’il a fait à son intention. Elle descend tous les matins avec son odeur. Quelques jours plus tard, elle lui demande :   

– Dites, Monsieur Pierre, comment était Coco Chanel, dans la vie ? »

– J’ai envie de vous sentir, Louise.

–… Me sentir ?

–Vous sentir.

Elle sourit, interloquée. Innocente. Elle ne sait pas ce que le mot sentir recouvre. Quand, en fait, il recouvre tout. (…) Elle se lève, défait le premier bouton de son corsage, s’approche de moi. Et m’offre sa gorge.

– Ça, je l’ai depuis longtemps. Ce que je veux, c’est votre odeur brute. Votre essence même. L’essence de Louise. Celle qu’aucune fragrance n’a jamais altérée. C’est tout votre être que je veux.

– … ?

– Qu’avez-vous à craindre d’un vieillard comme moi ? Je ne vous toucherai même pas, ça ne prendra qu’un instant, et plus personne au monde ne vous sentira comme je l’aurai fait. Je vous aurai sentie.

Elle se lève, abasourdie, et quitte le salon en claquant la porte.

Elle évite maintenant de descendre le matin à la même heure. Elle passe plus tôt, discrètement. Il comprend. Trois jours plus tard, elle sonne à la porte. Elle entre vêtue d’une robe blanche. Elle se tint debout au milieu du salon. Elle laisse tomber sa robe à ses pieds, et s’étend sur le canapé. (…) J’approche mon visage, les yeux clos et, sans doute pour la dernière fois de mon existence, je rassemble toute ma science, toute la ferveur qu’il me reste.

Tout commence par une note de tête à forte tonalité ambrée, au départ boisée, puis balsamique. Suivie d’une variation de jasmins intenses, avec une trace de benjoin de Siam, suave, d’une grande ténacité. Puis une pointe de bois de santal stabilise un étrange mélange de civette, animale, intense, et un trait de vanilline qui constitue déjà la note de cœur. La note du fond, irisée, se prolonge dans un juste équilibre de cardamone et d’essence de litsea persistante.

Une éternité plus tard, j’ouvre les yeux.

Encore ivre d’elle, je la vois saisir sa robe au passage et disparaître.

19/01/2014

Mourir de rire

Un oiseau gris sur un toit vert
N’est pas un pivert !

Un chapeau rouge sur une tête blonde
Ne fait pas une femme exquise !

Un éléphant rose dans un pré jaune
C’est un costume beige à un enterrement !

Un cheval blanc sur une neige molle
C’est un tableau de Malevitch !

Mais ces idées bizarres
Qui courent seules dans la tête
Sont-elles aussi à toi ?

Point n’est besoin d’études
Et de certificats
Pour regarder le monde
Et mourir de rire !

© Loup Francart

18/01/2014

La planche et le canoë

Un jour fut ramené de chez les grands-parents un canoë, vaste embarcation à fond plat, très instable, qui prenait plaisir à se renverser au milieu de la rivière, en hiver plus particulièrement. Jérôme se souvient encore d’une messe de minuit pendant les vacances de Noël où il ne portait qu’une culotte courte, ses deux pantalons étant trempés par des explorations brutales du fond de la rivière en crue, dans une Amazonie inhospitalière. Ils partaient à deux sur cette périssoire, l’un tenant son arme vers l’avant, prêt à frapper quelque ennemi qui se présenterait, l’autre pagayant sans bruit, faisant glisser l’embarcation entre les branches d’arbres, remontant ainsi le canal clôturant l’île, étroite de deux mètres maximum et encombré de racines de saules, d’aulnes ou de frênes qui s’enchevêtraient pour ne laisser qu’un étroit passage au canot. Il suffisait d’une mauvaise manœuvre de l’embarcation pour que celle-ci, déséquilibrée, laisse tomber leurs voyageurs dans une eau boueuse et froide.

De façon à pouvoir jouer à leurs jeux dans lesquels il y a toujours un personnage ou un groupe contre un autre, ils avaient découvert une grande planche de quatre mètres de long sur trente centimètres de large, qui, grâce à son épaisseur  tenait sur l’eau. Un enfant tenait debout au milieu et pouvait ainsi naviguer plus ou moins à son gré. Mais quelle instabilité ! Au moindre faux mouvement, c’était la chute assurée et redoutée. Mais cette embarcation improvisée, extraordinaire de délicatesse d’utilisation, permettait de conduire de véritables batailles navales en aval du moulin, là où les flots se font plus calmes et la profondeur moindre. Ceux qui tombaient ne se mouillaient que jusqu’à la taille, donc de manière insignifiante, sauf s’ils devaient empêcher la pirogue (c’était un terme plus authentique que planche) de partir avec le courant vers l’entrée dans les marais. Alors, ils devaient courir dans l’eau pour la rattraper et remonter dessus. Des après-midis entiers pouvaient se passer sans avoir besoin de se changer. Miracle du sens de l’équilibre ou miracle du jeu qui, malgré un bain forcé, continuait comme si de rien n’était.

Ils s’amusèrent longtemps avec ces deux engins jusqu’au jour où une crue plus importante les emporta. Leurs recherches restèrent vaines. Ils partirent avec leurs jeunes années, au moment de l’adolescence où les préoccupations prennent des orientations différentes. Mais Jérôme, en fermant les yeux, conserve dans sa mémoire trouée, l’odeur de marais qui imprégnait leurs vêtements en fin de journée, le bruit sourd de la pagaie contre la coque de bois du canoë, les gouttes de rosée qui coulaient dans son cou au passage d’un arbre dont il fallait soulever les branches pour poursuivre leur chemin, les battements de son cœur à l’approche de l’ennemi qui lui-même les cherchait dans leur canot pour une bataille finale et définitive. Quelle journée de cris, de fureur, de courage et d’amertume lorsqu’ils étaient perdants. Le soir, le repas se faisait en silence et aussitôt ils allaient se coucher pour s’endormir en s’imaginant toujours pirates, explorateurs ou guerriers. Une des belles images que Jérôme garde dans sa mémoire défaillante est celle d’un nid de poules d’eau déniché près d’une racine, dans lequel reposait quatre petits œufs dorés, à ne toucher sous aucun prétexte. C’était l’écologie de l’époque, qui valait bien celle de maintenant : respecter la nature et non la restaurer, comme le disent les écologistes des villes qui la détruisent pour la reconstruire à leur vision.

15/01/2014

Elle sortit dans la nuit noire

Elle sortit dans la nuit noire
Vêtue d’une simple chemise
Ouverte sur ses seins
Fraicheur bienfaisante du soir
Enveloppée de ses cheveux
Elle court sur la plage ruisselante
Que le sable est bon
Lorsqu’il est foulé au pied
Nu et vierge du passage des eaux
Elle sourit aux crêtes blanches des vagues
Et se laisse emporter par le flux
Qui aspire ses pieds et le sable
Tombe… Tombe dans ce vide
Qui se dissout en toi
Ouvre-toi aux vents et aux marées
Laisse flotter le drapeau blanc
De ton abdication au monde
Et de ta révolte désordonnée
Tu n’es plus, tu deviens
Tu vis de cette vie interne
Qui trouve dans ses espaces
De quoi déployer tes ailes
Et tu prends ton envol
Au-dessus des lamentations
Du peuple encapuchonné
Tu as laissé tomber tes lentilles
Tu vois à des kilomètres
Et ce nouveau pays
N’est rien qu’un champ
D’espoir vers lequel tu voles
Bats encore des ailes
Et plane maintenant
Dans la brume céleste
Ton but est à portée de la main
Cesse tes battements
Et plonge tête la première
Dans l’horizon subtil de l’ignorance

© Loup Francart