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24/09/2015

Perdue

Son but à portée de main, elle plongea,
Nue et vierge du passage des eaux.
Elle sourit aux crêtes blanches des vagues.
Elle n’en ressortit pas…
Parvenue au centre de la sphère,
Elle se tourna vers le ciel.
Mais il était loin, voilé et discret
Comme le vol de l’oiseau.
Elle avait découvert le pli
Dans l’espace intérieur
Et s’y installa sournoisement
En attente d’un occupant.
Plus rien ne lui permettait
De courir derrière les ondes
Et d’en tirer profit.
Quelle écervelée !

21/09/2015

Odeur

Le paradis… ce lilas qui touche l’âme
Entre deux souffles de brise discrète
Coin de ciel entre les nuages gris
Qui dit : « Respire et va sans but ! »

Le nez au vent tu vas…
Cours aux senteurs du matin
Grise-toi des nuées du raisin
Rampant en pourritures nobles

En passant au pied du ruisseau
Jette ton appendice entre les herbes
Que le barbeau opère son demi-tour
Vers le marais putride

En odeur de sainteté il est parti…
C’est tout ce qu’on en retient
Un brouillard de sentiments
Et la tristesse d’un flacon vide

Combien de fioles as-tu usées
De la senteur des champignons
A celle des bouses animales
Jusqu’à l’acidité des rencontres

Et de toutes ces émanations
Ne manque que celle du paradis
Un bouquet léger mais grisant
Qui emporte l’âme dans l’au-delà

17/09/2015

Hôpital

Un hôpital a de grands yeux
Qui s’ouvrent sur la folie des infirmes,
De ceux pour qui le monde n’a pas d’odeur,
De ceux pour qui le monde est un trou noir,
De ceux pour qui les bruits restent secrets.
C’est une plaie béante sur la pauvreté,
Non de l’argent mais des humains déprimés.
Des flacons, des odeurs, des couleurs
Y vivent en harmonie
Pour complaire au malheur.
Du haut des plafonds
Arrive l’écho des plaintes
De douleur ou d’orgueil.
Il s’y imbibe en cercles ronds
Qui s’élargissent en ondes
Et se contredisent en préséance.
Seul le muet ne peut rien dire,
Mais ses convulsions montrent bien
Qu’il veut défendre son droit.
La douleur reste indifférente
A qui la côtoie chaque jour.
J’ai vu des hommes
Rire de la forme d’une blessure,
D’autres pincer pour entendre crier.
Seul reste, avec sa tristesse,
Le pinson suspendu dans sa cage,
A l’entrée de l’hôpital.

©  Loup Francart

12/09/2015

Trou noir

Il enserre dans ses griffes l’espace
Il le chiffonne de ses soubresauts
Et crée des perturbations incontrôlées
Le puits s’ouvre dans la courbure
Il tombe selon sa densité
Et se referme sur lui-même
Plus rien n’en sort
Même pas une parole divine
Le mystère reste entier
Où donc est passé le temps ?
Ce trou dans l’espace est-il
Creusé par le doigt de Dieu
Dans une motte de beurre ?
Même la matière a disparu
Plus rien n’est apparent
Et cet invisible est pourtant
Aussi surement que je suis
Immatériel, dans un corps matériel

©  Loup Francart

05/09/2015

Attente

Ne rien chercher ! Ne pas penser !
C’est ainsi que viennent les idées
Quelle drôle de façon de trouver.
Y a-t-il des possibilités d’avancer ?

Laisse travailler en roue libre.
Ne te perd pas en recherche fébrile.
Retrouve un propice équilibre
Et soupèse arme et calibre.

L’idée vient lorsqu’elle est prête.
Elle dévoile sa fumée joliette
Et signale sa venue dans l’oreillette.
De pique-assiette, elle devient rondouillette.

Alors détend-toi, le regard à l’horizon.
Peux-tu te croire  ainsi en prison ?
Rien. Ne pense à rien. Pas de trahison.
Juste : attend la prochaine lunaison.

Tout viendra sans peine ni reproche.
Nul besoin d’engeance ou de taloches,
Tout se passe dans la caboche.
Et quel bonheur que cette approche !

©  Loup Francart

01/09/2015

Pleine lune

Le rayon m’atteint l’œil…
Réveil et illumination !

Les astres sont bouleversés
Ou mon horloge interne
Fait preuve d’ivresse…

Regard au bras : deux heures…
Jour comme dans un four,
Je brûle d’un coup de lune…

L’esprit bouleversé, je m’étonne.
Est-ce le don de voir sans soleil ?
Comme l’ange, je courre
Dans l’herbe mouillée des prés
Et m’étonne de cette glisse
Dans les nuages de la nuit…

Ainsi le blanc de l’œil
Est seule partie visible
Des corps en perdition
Dans cette "ouateur" incertaine…

Avance aux yeux de l’éternité…
Et, envole-toi plus loin
Dans la chaleur du rien…

©  Loup Francart

25/08/2015

Zéro

Est-ce un chiffre ?
Est-ce un concept ou un mirage ?
Il est attirant, comme l’hypnose.
On se concentre dessus et on flotte.
Rien ne peut vous occuper autant l’esprit
Que ce Zéro qui est sans exister.

Indiquer qu’il n’est rien, est-ce une solution ?
Cela peut, mais Zéro, virgule, quelque chose
Qu’est-ce ? Un souffle d’inepties.
S’il y a quelque chose, c’est forcément Un.
Peut-il y avoir moins que Un ?
S’il n’y a pas Un, il y a Zéro, c’est-à-dire rien.
Il y a soit une chose, soit son contraire,
Mais pas les deux qui feraient trois.
Supposons qu’entre le Un et le Zéro,
Il y ait la moitié d’un Un.
C’est bien une chose en soi cette moitié !
C’est donc bien un Un appartenant à un Deux.
Toute chose divisible fabrique une autre chose
Qui est pleine et entière, donc Un
Et ce Un appartient bien à un autre Un
Pour former un Deux plein et entier
Le Un devient alors Trois et ce nouveau chiffre
Est un ensemble qui forme un autre Un
Différent de tous les Uns existant.

Ah, quelle migraine !

On peut additionner le Zéro à un Un
Voire Deux ou mille
Cela donne un, deux ou mille.
Mais Un plus Zéro égale Un,
Et Un plus Un plus Zéro égale deux,
Alors que Un multiplié par Zéro égale Zéro.
Quant à Un divisé par Zéro, n’en parlons pas,
C’est un néant inimaginable !

Mais revenons à 0,5 ?
Est-ce quelque chose que cette moitié de chose ?
Soit cela n’existe pas, et c’est bien Zéro ;
Soit cela est, et c’est Un, puisqu’il existe.
Compter, c’est commencer par Un,
Puis deux, puis trois, puis mille,
Jusqu’à un Infini inimaginable
Qui ne forme qu’un Un pour le Créateur.
Lui-même est un autre Un,
Et ces deux Un ne font pas deux,
Ils font même plus que l’Infini.
Ils sont Tout, comprenant le Rien qui n’existe
Que parce qu’il y a au moins un Un.

Dieu, quelle migraine multipliée !

Et que dire lorsqu’on pense aux contraires
Moins Un est-il le pendant de Un ?
Peut-il y avoir moins quelque chose
Qui fasse un quelque chose inversé ?
Le Zéro n’est alors qu’un col ou un canyon
Qui permet à la nature
D’assouvir sa soif d’exister.
Si je ne suis pas, je suis malgré tout.
Si l’infini est là, y a-t-il un autre infini
Qu’on ne peut saisir ou imaginer ?
Quand je pense qu’il y a un moi-même
Qui me regarde et me juge et rit
Et s’amuse de ces incompréhensions.
Qu’est-il pour se moquer ainsi ?

Oui, c’est faux. De vrais maux de tête !

Il est trois heures.
Tient, là aussi, quelle bizarrerie !
Trois heures, c’est une heure dans la nuit,
Une seule. Il n’y a pas deux trois heures.
Et pourtant on n’écrit pas trois heure.
On ajoute un s à heure parce qu’il y en a plusieurs.
Mais plusieurs quoi ? Plusieurs heures
Ou une seule trois heures ?
Trois heure (s) est bien seule,
Mais elle est trois.

Ce n’est plus la migraine,
Mais l’anéantissement…

Dormons !

©  Loup Francart

21/08/2015

Une vie

Une vie : faire le tour de la scène
A trois cent soixante degrés
Tout contempler, tout tâter
Rien ne doit être oublié
La vie est là pour nous ouvrir
Nous façonner, nous propulser
Vers une autre connaissance
Après l’épuisement de celle du monde
Votre motivation ?
Non, pas le succès auprès des hommes
Mais cet éclair sur le tout
Qui vous ouvre au rien
Et ce rien devient l’infini
Un fini multiple et fuyant
Qui s’écarte et donne à voir
L'abîme d’inconnaissance
Le cosmos lui-même ne peut
Expliciter ce vide immense
Qui envahit le cerveau
Et donne la chair de poule
Suspendu dans l’éther
Vous naviguez au gré des courants
Joie, crainte, bonheur même parfois…
Mais peu importe ces ressentis
Au fond de vous se cache
Ce Soi qui vous n’arrivez pas à saisir
Mais que vous entrevoyez là
A portée de main
Minuscule
Grandiose
Soi et Lui
Ensemble
Un…

©  Loup Francart

17/08/2015

Vieillard

C’est un tas de chair, ramassé sur lui-même,
Aux jambes jadis allègres, mais fatiguées,
Qui regarde vivre, germer les baptêmes,
Les yeux las, la main tremblante, l’espoir volé.

Il croît encore en lui, cet être rhumatisant.
La rosée le réveille, il précède la nuit,
Et pendant l’ivresse du repos bienfaisant,
Il danse, offert aux douze coups de minuit.

Le futur se rapetisse et s’envole.
L’ombre des amours perdus devient frivole.
Où donc as-tu la tête, toi, l’émasculé ?

Crédule, tu confonds infini et néant…
La seconde s’étire en se déjugeant.
Le grand Tout ouvre son manteau immaculé.

©  Loup Francart

13/08/2015

Pages poétiques

Dimanche dernier, pages poétiques au château de Bourgon dans la grande salle.

Au menu, introduction des textes (poèmes ou récits) par quelques morceaux de musique :

* une improvisation sur les touches noires, suivis du poème « Absurde » ;

* une improvisation de jazz suivi d’un texte humoristique « Les hérons » ;

* le poème « Désir » :

* la valse n°2 de Beethoven suivie du texte « Musique et émotion » ;

* le poème « Instant » ;

* La sonate n°  de Mozart, suivie de l’ « Eté » ;

* le poème « Loup » ;

* Le texte « La dernière traque » ;

* une improvisation classique andante, suivie du poème « Enfant » ;

* le texte « Homme et femme » ;

* le poème « Nuit » ;

* le texte « Le chat » ;

* l’Aria des variations Goldberg de JS Bach, suivie du poème « Ame » ;

* le texte « Le pianiste » ;

* Le poème « Un instant d’éternité »

* la valse n°3 de Beethoven, suivie du poème « Merci ».

 

Quelques photos :

 

 

11/08/2015

Néant

As-tu considéré les pleins qui t’entourent ?
Entiers, ils se multiplient par identité.
Il existe aussi son contraire, l’absence
D’une multiplication incontrôlée.
L’unique reste l’unique, sans partage.
Et ces uniques sont cependant milliards.
Dans ce cas, l’existence n’est que mort et déclin
Puisque l’unique meurt aussi parce qu'humain.
Est-ce possible ?
Peut-il exister cette tension vers le néant
Qui se traduit par le vide spatial,
Mais dans lequel le temps et l’espace
Restent présents, immuables.
Mieux encore, peut-on imaginer,
Au-delà du vide impensable,
Ce néant mythique qu’aucun être,
Plein de lui-même et de chair,
Ne peut concevoir sans dissolution ?
Plus que le vide, le néant envahissant
Peut-il détruire toute velléité
D’engendrement par identité
Ou de remplacement par son contraire ?
Imaginer le néant c’est mourir à soi-même
Et franchir la ligne d’un autre monde
Où rien n’est semblable au tout.
Qui gagne à ce jeu stupide ?
Nul ne le sait. Tout contre rien,
La lutte du Un contre le Zéro,
Du désirable contre l’indésiré,
De la vie face à la mort,
Ou un simple changement d’état
Comme un éternel recommencement.

©  Loup Francart

06/08/2015

Pellicule

Il y a longtemps que je n’ai exploré et franchi
Ce qui sépare la vie extérieure de la vie intérieure
Ce no man’s land  où la pensée n’est plus
Où seuls comptent les sensations et sentiments
Qui courent comme un courant électrique
A la surface interne de sa paroi transparente
Frissons et sérénité, que choisir ?
Pour les uns, seul l’extérieur est tangible
Pour les autres la vie est en dedans, unique
Dans ce désert inqualifiable de vide
Brille un feu follet servant de guide
Suis-le… Va tranquille et meurt au monde
Pour renaître solitaire à toi-même
Et sacrifier le vieil homme. A mort,
Celui qui se pare de mille propriétés
Et de brillance d’allure et de paroles
Plus rien ne doit désormais flotter
Dans l’espace où l’homme se dénude
Et laisse voir sa condition humaine
Offerte à tous sans distinction
Cette pellicule de verre incassable
Laissant passer la lumière de part et d’autre
Seule une fausse pudeur et la crainte
Empêche le mouvement de l’extérieur
Vers l’intérieur, secret et ouvert à tous
Mais n’oubliez pas votre parachute
Car la chute est libre et l’atterrissage violent
Votre amour propre en prend un coup
Alors… Bon voyage !

©  Loup Francart 

02/08/2015

Retour

Elle est de retour, celle qui partit
Un jour d’avril au fil de l’indifférence.
A-t-elle dit pourquoi elle a fui,
Pourquoi elle s’écarta de la bienveillance ?

Nul ne le sait si ce n’est elle.
Elle est rentrée la tête haute,
Vêtue comme une demoiselle,
Propre et vierge de toute faute.

Le mystère reste entier.
Où donc est-elle allée,
A qui s’est-elle offerte ?

Nul ne connaît son destin.
Ne l'a-t-elle pas pris en main?
Debout et grandit, elle est ouverte.

©  Loup Francart 

28/07/2015

Festival International du Livre Militaire

Errance entre les piles
L’œil attiré par la couleur
Plutôt que par un titre.
Ça parle, ça parle
Et ça regarde, compulse…
Acheter que nenni.
Discrètement refermé
Le livre retourne à la pile
Qui monte, descend, remonte.
Certains cependant ont les bras chargés
D’un échafaudage inconsidéré
Qui tombe inutilement entre leurs pieds.

Temps mort…
On parle entre nous, de nos efforts, de nos peurs,
Rarement de nos joies.
On ne retient que les difficultés.
Et pourtant… Qu’il est bon d’écrire
Au petit matin quand tout dort,
De dire le monde et les autres
Et sans doute un peu de soi-même

Ecrire : oui…
Ecrivain… Non…

Quel ennui cette foule
Qui passe et repasse sans voir,
Jette un œil miséreux sur vos piles,
N’entrouvre même pas un livre.
Vous êtes devenu transparent,
Un objet derrière les livres
Que l’on contemple sans le voir.
Y a-t-il un auteur dans la salle ?

 Coëtquidan, le samedi 25 juillet 2015.

 

 

 

 

25/07/2015

L'été

Le lent écoulement des jours d’été
S’étire entre mouvement et mémoire

Le soleil n’arrête pas de tourner
Au-dessus des têtes chargées de rire

Les gestes soupirent de lenteur
L’œil clair regarde l’éclat tendre
D’un enfant courant sur le pré

Les mères sourient d’indulgence
Les pères regardent l’avenir immobile

Tout est figé, blanc et moite

Seuls quelques oiseaux s’étirent
Dans la douce glissade du souffle
D’un jour comme les autres

Et ce ralenti dure… dure… pur
D’absence de vie et de paroles

Chacun se regarde vivre
Clos dans son enveloppe corporelle
Comme un cocon résonant
Des sons perdus d’autrefois

Suis-je encore ? Et elle, est-elle ?

On se confond d’un air familial
Le cœur en un azur unique
Vide de toute prétention

Combien est-on ? On ne sait
Le nombre importe peu
Seul compte la présence multiple
D’un amour tranquille
Dans le tremblement perceptible
De l’air d'un jour d’été

©  Loup Francart 

21/07/2015

Opprobre

Ici, rien n’est semblable
Le poil devient plume
La tonne est légère comme l’air
Le papier transparent
Est carreau aux fenêtres
Toi-même as-tu encore un visage ?

Oui, toujours je resterai
Semblable à la vigie
De marbre blanc, tendue comme un arc
Le doigt pointé sur toi
Accusant nos passions communes
Et la froideur de nos rencontres

Sommes-nous condamnés
A vivre en un monde déjanté
Où le blanc devient noir
Le chaud aux pôles
La glacière sous les pieds
La gorge emplie de fiel

Elle est là, à portée de mains
Environnée de vertus
Elle court en toute liberté
Et chante d’une voix claire
« Délivrance, délivrance
Partons en d’autres lieux ! »

Il est mort l’enfant sauvage !
Le policé a revêtu sa robe
Il encourt mille peines
Mais n’a pas peur de l’opprobre
Applaudi, il court vers l’horizon
Pour s’évanouir sur sa ligne

Le monde s’en est allé
L’amertume gagne nos lèvres
Pourquoi mêler nos doigts
Pourquoi baiser nos lèvres
Si déjà finit cette page d’histoire
Dans la marche du temps

17/07/2015

Envol

Entre en toi !
Quitte le nuage de tes opinions
Et plonge entier et nu
Dans le vide céleste

Plus rien ne te retient
Ni l’oiseau au réveil
Ni le bâton de feu à midi
Ni la crème rosée du soir

Entre en toi !
Franchis la grille de ton apparence
Laisse le nombril de ton personnage
Et choit jusqu’à la délivrance

Dépasse ce cercle de chair
Aspire à la chute vertigineuse
Au fond de ton être un brasier
Suspendu à ton abandon

Entre en toi !
Fais-toi fugace, entre ta clé
Dans l’œilleton de ta suffisance
Et plane sur les eaux primordiales

L’air frais du renouvellement
Réveille tes sens endoloris
Le parfum iodé du large
Te prend à la gorge

Entre en toi !
Saute dans l’azur imprécis
Et, d’une ivresse sans fin
Noie ton être dans la lumière

©  Loup Francart 

13/07/2015

Pourquoi ?

Dis Maman, pourquoi les canards ont des plumes ?
Dis Maman, pourquoi n’ai-je pas des écailles ?
Dis Maman, pourquoi les singes sont poilus ?

Dis Papa, pourquoi les étoiles sont brillantes ?
Dis Papa, pourquoi le jour se lève ?
Dis Papa, pourquoi la nuit est noire ?

Que de questions se bousculent dans sa bouche
Que d’interrogations devant le monde
Que d’étonnement dans ce qui est naturel

Combien les adultes sont heureux et fiers
De ne plus se poser ces questions
Ils en rient entre eux, moqueurs

Ils ont perdu leur innocence
Ils n’ont plus l’esprit curieux
Mais... Pourquoi ne s'émerveillent-ils plus ?

©  Loup Francart

09/07/2015

Sommeil

L’air reste lourd, chargé de poussières.
Une à une, les voitures passent.
Puis un silence... A nouveau...
Un bourdonnement imperceptible
Qui grandit jusqu’au hoquet ombrageux
De son passage au bout de la rue.
Là... Elle est passée... Plus rien…
Et, encore, le bourdonnement,
Comme une étrange horloge
Pénétrant sournoisement dans notre univers.
Un bruit de vagues sur la plage
Rythmé par le feu rouge passant au vert
Situé plus en arrière, maître de ces intermittences.
Et maintenant, j’attends…
J’attends que revienne l’entendement
D’une situation si quotidienne
Qu’elle procure un engourdissement naturel.
Les pensées se brouillent dans la voûte
Elles deviennent confuses.
Seul le bourdonnement les réveille.
Broo… â…âm. Je n’ai plus la force
De les écarter. Elles emplissent le noir
Et retombent à plat, sans préavis.
Tous marchent dessus.
Le trottoir est couvert de feuilles de papier
Emplies d’une écriture fine
Qui ne va jamais au bout d’une phrase.
Cela porte un poème, parait-il.
Des kilomètres qui ne s’arrêtent
Que lorsque les paupières closes
Immobilisent leur tremblement.
Plus d’image, plus de sons.
Quel étrange monde que celui du sommeil…

©  Loup Francart

04/07/2015

Fièvre

Jour et nuit…
L’étouffoir…

Vous respirez...
Mais sous une bâche

Les bruits vous parviennent
Ralentis par la moiteur
 
Vous n’avez pas la force
De tendre le bras...
Vous le laissez retomber
Entre les draps brûlants

Votre front ruisselle…
Nu, souhaitez-vous aller…
Mais est-ce possible ?

Vous enviez les filles…
Petite robe, très petite
Qui flotte au vent
Elles vont partout
Où se presse l’ombre
Et étirent leurs jambes
Sur la terrasse d’un café

Les enfants jouent toujours
Mais ils se sont amollis
Ils ne crient plus pointu
Une somnolence les imprègne
Ils ne peuvent se serrer
Contre le cou de leur mère…
Trop collant…

L’homme, digne de lui-même
Se réfugie dans le glaçon
D’un verre au bar bruyant
A l’odeur aigre de promiscuité

Le garçon n’en peut mais…
Il ploie sous le fardeau tintant
De ses verres enchevêtrés
Qu’il jette distraitement
Dans l’eau fraîche du bar

Ah, vous glisser dans cet évier
Et vous laisser couler dans la bonde
En mille perles d’eau fraîche
Jusqu’à complète dissolution !

Blup… Blup…
Puis…
Le savez-vous ?

©  Loup Francart

30/06/2015

Transe

Il courut longuement dans la plaine
Sans savoir où aller et se réfugier
Il fuyait ses cauchemars et ses rêves
Et ne savait comment les effacer
Autrefois, il avait appris l’égarement
Et pratiquait l’oubli et la désinvolture
Mais toujours on lui dit : « Souviens-toi ! »

Alors aujourd’hui sa mémoire est pleine
Et déborde de présupposés gris
Sa course s’alourdit et colle
Au palais qui ne peut que bégayer
Devant les mots qui veulent sortir
Aucun ne veut céder sa place
Et tous se bousculent et grincent
Si bien que rien ne vient d’intelligible
D’une bouche si bien faite

Il la vit sur le pont, venant vers lui
Sa chevelure au vent, l’œil ouvert
La joue rosie d’une course récente
Elle poursuivait mots et images
Mais sa jeunesse était un poids
Elle le vit, oublia sa poursuite
Son seul regard enfiévré tourné
Vers cet homme qui venait vers elle

Elle ouvrit les bras, tremblante
D’un désir imperceptible et nouveau
Il se réfugia dans cette immensité
Et ils partirent à deux, légers
Sans autre bagage que leurs corps
La tête vide de désirs
L’âme en transe

Elève-moi…

©  Loup Francart

28/06/2015

Le temps

Le temps te presse… Rien ne va plus
Le cerveau dévide sa faiblesse...
En jaillissent des  pourritures nobles
Mais rien de sérieux ne vient
A peine couché, tu te lèves, hagard…
Qu’ai-je dormi dans ce brouhaha
D’odeurs délavés et rugueuses…

Le temps te presse… tout va bien
Le corps étire sa force, en extase
Plus de sommeil, ni de repos
Tout entre en jeu, à fleur de peau
Devant l’inique débordement
Et la langueur des nuits d’été
A la poursuite du temps qui passe…

Le temps te presse…. Rien ne reste
Ni le souvenir des culbutes enfantines
Ni l’épais éclair des chutes de l’ange
Ni le chaud enveloppement de bras
Des femmes aux baisers profonds
Ni même cet étrange songe lisse
D’un trou noir s’emparant de tes rêves
  
Le  temps te presse… Et tu résistes
A l’appel de la fin des temps
Oublie tout,  ne crois en rien
Que l’absence s’installe au centre
De ton être et t’aide à descendre
Vers le puit sans fond et lumineux
Seule colonne qui doit rester debout…

Le temps te presse… Ne te presse pas...

25/06/2015

Haïku

Un haïkiste a le désir de retenir ce qui fuit, de ne pas laisser échapper ce qui passe. Désir surtout de manifester son assentiment  à tout ce qui survient : à tout ce qui bonnement est. Un haïku, c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment. (Fourmis sans ombre, le livre du haïku, Anthologie-promenade par Maurice Coyaud, Libretto,1978)

 

Lever de soleil, il est cinq heures. J’émerge de la houle des draps. Je me lève, ferme la porte de la chambre et regarde au dehors.

Le haïku surgit :

 

Regard rosé de l’aurore
L’ombre se noie entre les immeubles
Comment les empêcher de tomber ? 
 

21/06/2015

Vert

Les matins de cinq heures sont les plus beaux…
La brume encore noie les couleurs :
Le pastel domine, mêlant les verts.
Sortir à cette heure, c’est se baigner
Dans l’eau vive de la résurrection.
Les senteurs se font plus ardentes
Et les bruits plus discrets,
Vos caresses dans l’air frais plus vibrantes.
Vous marchez sur la soie
En toute discrétion, humblement,
Attentif à ne pas dépareiller l’ordonnancement
De ce jardin délicatement posé
Qui s’impose désormais à vos yeux.
Verts tendres des dernières feuilles,
Verts rouillés des premières,
Verts profonds de l’intérieur,
Verts assoiffés des jeunes pousses,
Verts bleutés sous la haie,
Verts jaunissants de la prairie,
Verts orangés du marronnier malade,
Verts transparents du verre
Que vous tenez en main
Pour célébrer ce jour et fêter
La fin d’une nuit si petite
Qu’elle est passée en catimini
Ouverte à tous les vents.
Et baissant le regard sur le vert gazon,
Vous remarquez ce vers qui coule
Entre les brins d’herbe sa vie paisible.

Vers quoi allez-vous donc aujourd’hui ?
Je m’applique à versifier la montée du jour
Pour réjouir l’esprit de l’abondance
Et que ces vers bercent ceux qui ne voient
Que maisons, trottoirs et autobus.

©  Loup Francart 

20/06/2015

Matinales (13 et fin)

Le lendemain, Amélie avait hâte de plonger et de retrouver ce monde qui s’offrait à elle. Elle avait eu du mal à s’endormir, pensant à sa propre vie. Oui, le jeune homme avait raison. Elle avait un problème et elle venait juste de comprendre lequel. Désormais elle se consacrerait à cette recherche, quitte à délaisser la vie quotidienne.

Elle s’habilla, prépara son sac à dos et prit le chemin de la piscine en courant. Cette course la réveilla. Les gens croisés avaient l’air heureux. Elle fit signe à une vieille dame qui lui répondit aimablement. Elle posa sa main sur les cheveux d’une petite fille qui lui sourit. Oui, le monde était transformé. Ou plutôt, elle était transformée. Lorsqu’elle arriva dans la rue de la piscine, elle vit de nombreux véhicules stationnés n’importe comment, des voitures de police et de pompiers dont les gyrophares tournaient sans cesse. Les habitants étaient aux fenêtres contemplant ce spectacle sans vraiment comprendre ce qu’il se passait. Elle s’approcha du policier qui semblait filtrer les personnes autorisées à pénétrer dans le cercle fermé par une bande d’interdiction rouge et blanche.

– Je suis une habituée. Je viens tous les jours et j’ai oublié quelque chose hier dans le vestiaire. Puis-je aller le chercher ?

– Vous ne pouvez entrer dans le bâtiment. Il risque de s’écrouler. Mais allez donc voir le maître-nageur, il vous dira ce qu’il en est.

– Merci.

Amélie avança, vit le maître-nageur, le salua et lui demanda ce qu’il se passait.

– Hier soir avant la fermeture, mais heureusement il n’y avait plus personne dans le bassin, j’ai vu un énorme bouillonnement se former à la surface de l’eau. Beaucoup plus fort que l’autre fois. Et progressivement, le bassin a commencé à se vider. Il a perdu un mètre en quelques minutes, puis deux, laissant à découvert le petit bain. Une sorte de siphon aspirait l’eau qui restait dans le grand bain, mais l’eau ne baissait plus. J’ai fait venir les pompiers, la police est arrivée. On craint que le bâtiment n’ait subi des dommages irréversibles. La piscine est bien sûr fermée. Elle ne rouvrira peut-être jamais. Les experts sont en train de l’examiner. Vous allez mieux ?

– Oui, je suis remise. Merci. Quel dommage. Il va falloir que je trouve une autre piscine.

Elle n’en dit pas plus, assommée par cette nouvelle qui la coupait de ce monde captivant dans lequel elle avait été plongée pendant quelques jours. Plus de contact. Plus jamais, probablement, se dit-elle.

Elle dit au revoir au maître-nageur, franchit en sens inverse la bande d’interdiction et partit en courant, souriant au monde des hommes, au soleil du matin et à cette vie nouvelle qui s’offrait à elle en ce jour nouveau. Elle savait que ce serait dur, qu’elle trébucherait. Mais elle avait désormais une certitude que personne ne pourrait lui enlever. Sa vie avait un sens.

19/06/2015

Matinales (12)

La femme l’attendait, flottant entre deux eaux. Elle n’avait pas bougé et elle souriait comme si elle voyait sa famille.

– Pourquoi dites-vous que votre petit garçon sait ? Lui demanda Amélie.

– Les enfants ont des capacités insoupçonnées. Ils gardent en eux le souvenir du vrai monde. Les adultes les trouvent affabulateurs, mais ils savent. Cela s’estompe progressivement entre la deuxième et la troisième année, lorsqu’ils commencent à s’ancrer dans l’univers. C’est à cet âge que commence leur mission, comme pour tous les hommes et les femmes sur terre. Cette transition est nécessaire. Elle met en eux la certitude d’un autre monde, même s’ils l’oublient ensuite. Cela reste en arrière-fond dans leur inconscient. Ils peuvent en rêver ou, lors d’un moment difficile, en avoir une faible réminiscence qui les aidera à se dépasser. Ils peuvent aussi, à moitié de leur vie, s’interroger sur eux-mêmes et se mettre à chercher. Ils se mettent en quête d’une autre vie, plus intime, plus tournée sur leur propre réalisation. Chacun réagit différemment, mais beaucoup d’entre eux sont travaillés par ce rappel à soi qui peut être brutal ou tout à fait inoffensif.

– Vous me parlez d’une mission que chaque homme doit accomplir. Mais c’est quoi cette mission ?

– Nous sommes tous uniques, dotés d’une personnalité intime et différente qu’il nous faut développer et qui nous rendra heureux pleinement si nous y arrivons. Celle-ci n’a rien à voir avec la réussite matérielle que la société met en avant et que beaucoup donnent en exemple. Non, c’est une sorte de contentement intérieur, un soleil secret qui éclaire au fil des jours le quotidien et qui sent le vrai monde. Vous avez déjà entendu cette expression, « en odeur de sainteté ». Et bien, elle est réelle et votre vie bascule, vous vivez déjà de l’autre côté en étant toujours de ce monde. Certes, il vous arrive très souvent de redevenir comme les autres, ceux qui n’ont pas fait cette expérience, mais vous savez et vous vous efforcez de la revivre.

– Moi aussi, j’ai donc cette expérience à faire ?

– Oui, bien sûr ! Tous, même les plus pauvres, même les plus handicapés, même les plus méchants ou les plus intelligents ont cette mission. Tous nous portons en nous ce trésor à découvrir et à exploiter. C’est le but de ce passage sur terre, le but de la vie.

– Et vous, l’avez-vous vécu cette expérience ?

– Oui et non. Cela s’est passé tellement vite. J’étais préoccupé par le fait que je ne pouvais avoir d’enfant. Cela devenait une obsession. Lorsqu’enfin nous en avons attendu un, je me suis entièrement consacré à lui. Mais je n’ai pas compris que cet intérêt était personnel et obsessionnel. J’ai ennuyé mon mari, mes parents, par cette attention permanente au fait qu’il grandisse en moi, qu’il allait voir le jour grâce à moi. Trois jours avant sa naissance j’ai commencé à ressentir les premières douleurs. Ce n’était pas encore le moment. Je n’ai rien dit, à personne. J’ai poursuivi mon travail et côtoyé mes proches sans rien leur dévoiler de mes douleurs. Un soir, mon mari est rentré du travail et m’a trouvé évanouie dans la cuisine. Je me suis réveillé sur la table d’accouchement, environnée de blouses blanches, ressentant une violente douleur au bas du ventre. J’ai en un instant compris mon erreur. Le soleil dont je vous parlais est apparu et a éclairé mes derniers moments. Cela m’a sauvé.

– C’est pour cela que vous cherchez à contacter votre famille ?

– Oui, je dois leur faire part de mon bonheur alors qu’ils s’imaginent que la fin de ma vie a été un cauchemar.

Amélie fit signe à la femme qu’elle devait remonter, manquant d’air. Elle lui promit d’aller voir sa famille et de lui faire part de ses derniers moments où elle rencontra le bonheur, puis remonta. Les scolaires étaient déjà là. Il était l’heure. Elle devait sortir du bassin. Je reviendrai demain, se dit-elle avant de s’essuyer avec sa serviette de bain.

18/06/2015

Matinales (11)

Alors elle prit la décision d’agir. Elle sortit, regarda l’eau claire et plongea. Ils étaient là !

Elle chercha la jeune fille, en vain. Sans doute avait-elle quitté le monde des tangentiels. Emilie le regretta, car elle aurait pu lui expliquer. Il fallait trouver un autre partenaire avec qui entrer en contact. Nageant doucement, elle passait devant chaque personne, leur faisant un signe, tentant de se faire remarquer. Ceux-ci ne la voyaient pas, continuant leur dialogue à deux ou trois. Enfin ! Une femme, la quarantaine, encore jolie, lui décocha un sourire. Elle l’avait vue. Elle mit du temps à entrer en relation avec Emilie. Celle-ci entendit sa voix, une voix faible, douce, qui naissait dans sa tête et entamait le dialogue intérieurement avec elle.

– Vous devriez rassembler vos cheveux, lui dit-elle. Nous n’aimons pas ces filaments qui flottent autour de vous. Ils risquent de nous capturer et de nous attirer vers la surface.

Amélie ne comprit pas et ne put rien faire. Elle n’avait pas d’élastique sous la main. Elle avait plongé sans réfléchir, mue par instinct et curiosité. Elle se rappela la mission qu’elle s’était donnée.

– En quoi puis-je vous être utile ?

– Je suis morte en couche. J’ai pu sauver mon bébé, mais le médecin n’a rien pu faire, je perdais mon sang et il n’a pas pu savoir pourquoi. Mon mari est seul maintenant avec mon petit garçon. Je les vois de temps en temps et cela me suffit pour être en paix malgré la position inconfortable de tangentielle. Je ne peux communiquer avec eux et il faut qu’ils sachent que je les vois et que je suis heureuse d’être là, près d’eux. Pour qu’ils soient sûrs que c’est bien moi, dites-leur que vous venez de la part de Mouche. Ils sauront que c’est moi. C’est le surnom que mon mari m’avait donné lorsque nous nous sommes mariés. Nous n’avons jamais divulgué ce surnom. Ils sauront ainsi que c’est bien moi.

– Mais pourquoi dites-vous nous ? Votre petit garçon ne parle pas et ne sait même pas que vous êtes morte.

– Si. Il vient de l’autre monde et il en est parfaitement conscient. Il ne sait pas encore communiquer avec l’univers matériel. Il faut qu’il fasse son apprentissage. Mais il sait parfaitement où il est et pourquoi. Ce n’est que progressivement qu’il oubliera notre monde pour ne plus connaître que le vôtre.

L’esprit d’Amélie s’ouvrit. Elle se souvint qu’étant petite, elle s’échappait en rêve et flottait au-dessus d’elle-même. Elle arrivait parfois à partir et à visiter les alentours en volant par le seul fait de sa volonté. Concentre-toi, se disait-elle. Elle bandait son cerveau et ses muscles et s’extrayait de la pesanteur. Lorsqu’elle était en forme, elle planait et écoutait les conversations, pénétrant au travers des maisons. Progressivement tout cela s’est estompé, puis complètement arrêté. Elle n’avait plus aucun souvenir de ces possibilités. Elle fit part de ces réflexions à la femme.

– Oui, beaucoup d’entre nous, très jeunes, ont des réminiscences d’une autre vie. La plupart les oublie très vite et n’en conserve aucun souvenir. Quelques-uns n’ont rien de précis, mais savent au fond d’eux-mêmes qu’il existe un autre monde. Ils ne savent pas pourquoi, ni ce qu’il est. Mais dans certaines circonstances de la vie, ils s’en souviennent et savent qu’ils ne peuvent faire telle ou telle chose. Très peu conservent des faits précis en mémoire. Ceux-là sont forts. Ils ne font peut-être rien de leur vie matérielle, mais ils sont de roc pour les autres grâce à leur certitude d’un au-delà.

Amélie se sentit très vite en harmonie avec cette femme, malgré leur différence d’âge, presque vingt ans. Elle parlait posément, de manière très vivante, non pas passionnée, mais pleine de certitude. Elle lui promit de contacter son mari et son fils de leur dire qu’elle veillait sur eux. Puis elle la questionna.

– Je ne comprends vraiment pas pourquoi à certains moments vous êtes là et à d’autres rien. Il y a bien une règle à cela ?

– Oui. Nous devons prendre contact avec nos anciennes connaissances pour diverses raisons. Cela est fatiguant, épuisant même. Alors nous avons besoin de repos. Même si nous n’avons plus notre corps réel, nous revêtons notre ancien corps pour quelques minutes, voire quelques heures. Puis nous repartons dans l’autre monde pour nous refaire des forces.

– De quel monde parlez-vous ? Comment est-il fait, que voyez-vous, que ressentez-vous ?

– Vous touchez une interdiction. Nous ne pouvons en parler. Sinon nous perdons le privilège de pouvoir entrer en contact avec vous et de faire passer notre message qui est notre seule motivation. Alors aucun de nous ne vous dira ce qu’il en est de cet autre monde. Mais rassurez-vous, vous êtes un des rares humains à voir des tangentiels. C’est déjà beaucoup.

– Comment faites-vous pour apparaître dans cette piscine ?

– Il existe d’autres lieux qui permettent d’établir le contact. Par exemple, au fin fond d’une forêt ou encore dans une grotte où les hommes ont vécu il y a très longtemps.

Amélie dut remonter respirer. Le maître-nageur lui fit le signe de sortir de l'eau, mais elle plongea à nouveau.

15/06/2015

Matinale (10)

Pendant deux jours, Amélie ne put prendre le chemin de la piscine. Ce n’est pas qu’elle avait peur, mais elle n’était pas prête à affronter à nouveau ce monde venant d’elle ne savait d’où. Il lui fallait être en pleine forme si elle voulait percer le mystère. La troisième nuit, elle fit un rêve. Elle était dans le train, regardant le paysage qui se déroulait tranquillement. La voie ferrée suivait une route. Elle vit la route s’éloigner légèrement, semblant prendre la tangente, puis s’ouvrir en deux routes plus petites. Un poteau indicateur donnait bien les directions, mais celui-ci se trouvait devant, sur la route principale, plus large, et était planté au milieu de la chaussée. Chaque automobiliste devait presque s’arrêter pour l’éviter. On voyait sur le poteau de nombreuses traces montrant à l’évidence qu’il était fréquemment percuté. Mais il restait là, vraisemblablement par la volonté de quelqu’un qui avait le pouvoir de ne rien changer malgré la forte occurrence des accidents. Au moment où le train allait passer à proximité, une voiture, roulant à vive allure, arriva. Elle dut freiner puissamment et ne s’arrêta qu’à quelques centimètres du poteau. Son conducteur émergea de l’habitacle, regarda le poteau, alla dans le coffre de sa voiture, en sortit une tronçonneuse, la mit en route et coupa l’épieu. Il le poussa non sans difficulté dans le fossé, puis remit l’appareil dans le coffre et démarra. Emilie ne sut jamais quelle route la voiture avait prise, car elle fut réveillée par le sifflet du train. A quel moment avait- elle commencé à rêver dans le songe qu’elle faisait ? Il n’était pas possible que le train ait suffisamment ralenti pour lui laisser voir toute la séquence de l’incident. Elle avait dû s’endormir à un moment quelconque, probablement lorsque la voiture s’était arrêtée devant le poteau indicateur. Elle avait rêvé la suite et se réveillait en raison de la stridence de l’avertisseur du train. Cependant elle comprit bien vite qu’il se passait quelque chose de bizarre. Elle aurait dû se réveiller dans le train. Or elle se trouvait dans son lit. Pourquoi avait-elle entendu le sifflet de la locomotive alors qu’il n’y avait pourtant aucune voie ferrée à proximité de sa maison ? Elle entrevue un décalage entre son rêve et ce qu’elle vivait. S’était-elle éveillée ? A quel moment l’avait-elle fait ? Avait-t-elle rêvé l’ensemble de la séquence ? Elle ne savait plus. Rêver qu’elle rêvait. Quelle bizarrerie ! Quand avait-elle pris la tangente ? Elle passa une partie de la nuit à tenter de comprendre, mais rien ne vint. Elle s’endormit tard, mais se réveilla de bonne humeur, reposé et entreprenante.

Ainsi le troisième matin, elle fut prête à prendre le chemin de la piscine. Elle emplit son sac de son maillot, de sa serviette de bain et d’un petit sandwich qu’elle dégusterait après s’être rhabillée. Puis elle sortit.

Arrivée devant la piscine, elle eut un moment d’hésitation. Encore une fois, l’inconnu ! Ai-je vraiment envie de savoir. Ne vaut-il pas mieux rester dans l’ignorance ? Ne risques-tu pas d’être aspirée dans cet enfer et ne plus pouvoir remonter ? Mais, vous commencez maintenant à la connaître, elle ne put résister à l’appel de ce monde délirant. Elle entra. Elle prit sa cabine habituelle, se changea en pensant à ce qui l’attendait, oublia de vérifier sa tenue, prit sa douche et courut vers le bassin. Elle allait plonger lorsqu’un frémissement parcouru la surface de l’eau, habituellement calme. C’étaient de petites vaguelettes qui ridaient la partie centrale du bassin et qui, rapidement, se transformèrent en turbulences. De grosses bulles crevaient la surface comme si l’eau se mettait à bouillir. Le maître-nageur se leva, les yeux écarquillés, bégayant et montrant du doigt le phénomène :

– Là… Là… Re-regardez… Que… Que se passe-t-il ?

Emilie contemplait cette étrangeté, se demandant si elle allait pouvoir ou non plonger. Elle regarda le fond. L’eau était transparente, de petites rides couraient vers les bords, créant des interférences qui empêchaient de bien distinguer le carrelage et les couloirs divisant la longueur. Rien ne semblait flotter dans le liquide, seules des bulles crevaient la surface, semblant sortir du fond. Très vite, cela s’arrêta. Les dernières bulles montèrent doucement, tremblantes, comme des larmes sortant d’un regard ouvert sur un autre monde. Le maître-nageur semblait subjugué. Il s’était penché sur l’eau, se tenant cependant à distance du bord. Il était effrayé et ne savait que faire. Il en oublia Emilie et se précipita vers son bureau. Elle le vit prendre le téléphone et composer un numéro, le doigt tremblant. La communication établit, il parla d’une voix forte, mais bredouillante, les mots se bousculant dans sa bouche. Ses émotions l’empêchaient de se faire comprendre. Il montrait d’un doigt tremblant le bassin, sans parvenir à être clair. Après un moment de silence pendant lequel il écouta son interlocuteur, il raccrocha, puis s’effondra sur sa table, la tête entre ses bras, secoué de sanglots qu’il ne maîtrisait pas. Emilie, impassible, le regardait, sans rien dire.

13/06/2015

Trou noir

Dieu, quel trou !
Mais en est-ce bien un ?
 Il t’enveloppe et te prend
Sans autre forme de procès

Tu dérives dans ce tourbillon
Tu confonds le haut et le bas
Y a-t-il même une dimension
Dans cet espace illimité

Tu ne sais, car tu tombes
De Charybde en Scylla
Et tu ne t’écrases pas
Y a-t-il même une pesanteur ?

As-tu d’ailleurs un corps
Un vrai, que tu ressens
Et que tu aimes encore ?
Tu ne sais où il se trouve

Seule ta pensée est là
Bien seule dans cet entourage
Où rien ne te raccroche
A ce que tu connaissais

Flotte tel un drapeau au vent
Joue la fusée et fuis l’horreur
De cette absence de présence

Reviens en arrière, va le chercher
Ce corps si mignon
Que tu ne peux t’en passer

Regagne ta carapace et protège-toi
Des malveillances de l’univers

Ces trous sont des passages
Mais où mènent-ils ?
Quel labyrinthe Dieu a-t-il inventé ?

Je suis las de ces échappées
Qui me donne le tournis

Garde-moi mon corps
Mais efface mes pensées
Pour plonger purifié
Dans le trou sans fin
De la miséricorde

©  Loup Francart 

10/06/2015

Matinale (9)

Elle remonta pour respirer. Elle ne pouvait faire autrement. Reprenant son souffle, elle fut tout à coup secouée en tous sens par un tremblement de l’eau, à la fois aspiration et propulsion d’une autre masse de liquide. Le maître-nageur lisait son journal, ne voyant pas cet orage venant du fond de la piscine. Elle eut envie de nager très vite jusqu’à l’échelle permettant de sortir de l’eau et de fuir cette masse fluide. Mais elle se dit que c’était peut-être l’unique occasion de savoir de quoi il s’agissait. Alors, elle prit de l’air et plongea.

C’était une véritable tornade. Les tangentiels se laissaient faire et paressaient habitués. Ils roulaient entre les bulles d’air, emportés comme des fétus de paille. Leurs bras et leurs jambes semblaient indépendants de leur corps, formant de véritables tentacules se mouvant d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas l’air effrayés. Ils semblaient presque heureux, comme les gens sous l’emprise d’une drogue. Ils ne pensaient plus, libres de toute attache, de tout souvenir, de toute crainte. Amélie était elle-même secouée, emportée par cette furie qui se passait à l’intérieur de la piscine. Elle vit la jeune fille la regarder, lui crier quelque chose. Mais elle ne sut ce qu’elle voulait dire. Plusieurs tangentiels passèrent à travers elle, sans effort, comme si elle n’existait pas, sans un mot d’excuse. Les deux mondes se côtoyaient sans réellement se rencontrer, à la façon des allumettes frottées sur le grattoir. Cette friction formait une étincelle qui devenait flamme après la fin de la combustion instantanée. Ici, elle durait. Elle semblait ne pas vouloir ou ne pas pouvoir s’arrêter. Amélie perdait pied, se sentait impuissante à réagir et se laissait engourdir par ce tsunami. A un moment donné, elle fut aspirée vers le fond. Elle vit celui-ci s’ouvrir à la manière d’un trou fait par une balle de pistolet dans la carrosserie d’une voiture, un trou bien rond, au rebord déchiré vers l’extérieur tout noir, mais avec un reflet lumineux attirant l’œil. Elle se sentit dégrisée et lutta pour sortir de l’attraction que ce trou exerçait sur son propre corps. Elle fut prise dans une bulle d’air assez grande pour lui permettre de respirer, la sauvant ainsi de la noyade. Celle-ci l’entraîna vers la surface sans qu’elle eût besoin de nager. Elle regardait les tangentiels faire le chemin inverse, emportés par l’aspiration, et s’engouffrer dans la plaie ouvert du fond de la piscine.

L’eau se calma, la blessure se referma progressivement, laissant passer les retardataires, les dernières bulles s’échappèrent et firent surface avec Amélie. Elle se retrouva nageant tranquillement dans une eau parfaitement calme, comme si de rien n’était. Elle crut qu’elle avait rêvé. Même le maître-nageur n’avait rien vu, préoccupé par la lecture de son journal. Elle était seule et se dirigea vers l’échelle de sortie, calme en apparence. Son cœur battait vite cependant. Elle n’arrivait pas à reprendre ses esprits. Elle voyait la surface tourner et ne savait plus si elle était encore sous l’eau ou si l’horizontal devenait vertical. Elle atteignit l’échelle, s’y agrippa et s’efforça de monter. Elle s’assit sur le carrelage froid qui lui fit du bien, tenta de prendre sa serviette, mais s’évanouit avec un petit râle qui alerta le maître-nageur. Celui-ci se précipita, lui donna légèrement quelques claques, la couvrit d’un peignoir très épais et la conduisit vers une sorte de petite infirmerie. Etendue sur un lit d’examen médical, elle se laissait faire, ne pensant à rien, continuant de contempler le trou noir et lumineux qui s’était formé au fond de l’eau. Elle avait vu sa mort dans cette blessure et n’avait pas eu peur, loin de là. Elle avait même eu une attirance irréfléchie pour ce mélange d’obscurité et de luminosité, de noir et de blanc qui ne formaient pas du gris. C’était une autre couleur, inconnue, indéfinissable, attirante, qui semblait vous arracher le cœur et vous aspirer en elle. Amélie s’endormit sans en avoir conscience, un sourire béat sur ses lèvres.