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18/11/2014

Cosmos

Où cours-tu ? Ne peux-tu rester calme ?
Entre en toi-même et admire cet espace
La liberté est là, présente et enchanteresse
Une brise douce sous un soleil radieux
Tel le bouchon de champagne qui saute
Tu changes de monde et de portage
La grande classe du cosmos est ouverte
Tu t’y promènes les mains au dos
Et contemples les croisements galactiques
Le siphon du monde ancien vers le nouveau
Te rend plus léger. Le liquide devient gaz
Qui t’élève en toi-même. La vie s’écoule
Les secondes résonnent en toi patiemment
Le temps s’arrête ou, au moins, ralentit
Les images se dédoublent en louchant
Qu’emporterai-je dans cette nouvelle destinée ?
Quelques miettes d’amour, un brin d’amitié
Un trou d’air à la surface des pensées
Et le passage émouvant de mes turpitudes
Aux yeux de ceux qui restent

Merci la terre, le cosmos m’appelle
Désormais je me glisse, mince et serein
Dans l’espace virtuel de la page blanche
Pour y déposer la tache de l’immortalité

© Loup Francart 

13/11/2014

La chambre à grâce

Il arrive que je sente en moi des fuites.
Quelques temps je regonfle mon fond,
Puis, flottant au vent de l’inconduite,
Je repars, à nouveau, vêtu en caméléon.

D’autres fois, le cœur n’y est plus.
La fuite s’accentue jusqu’au trou d’air.
Ce n’est pas que je me sente exclu,
Mais je n’ai plus l’allant de l’écuyère.

Les batteries usées de la tempérance
M’inclinent à la modestie. Trou noir !
Je n’attends pas cette panne de conscience.
Elle survient comme un coup de tranchoir.

L’air me manque, j’étouffe et suffoque ;
Je panique telle la grenouille mal à l’aise
Dans l’eau qui chauffe et la rend équivoque.
Sur mon véhicule, je ne suis plus qu’un obèse.

Sans s’annoncer, elle survient en catimini.
La chute s’accentue, mais je me regonfle
A cette bouffée rafraichissante de paradis,
Telle une caresse vers l’homme qui ronfle.

Je m’éveille à moi-même, l’esprit purifié.
J’aborde cette étape avec circonspection.
Suis-je certain de pouvoir m’évader ?
Je redoute encore une nouvelle crevaison.

Pourtant je repars les naseaux ouverts,
Humant ce ciel limpide en amoureux,
Appréciant ces mouvements de l’air
Qui m’agitent et me font un être radieux.

L’audace revient à grands coups de pagaie.
J’ai chassé en une pensée mes angoisses.
Gonflé à bloc, enivré et béat, je me recrée. 
Au fond de l'être, j'ai trouvé la chambre à grâce…

© Loup Francart 

09/11/2014

Lui

Longtemps elle l’a rêvé, il est là l’homme radieux.
Qu’est-il devant elle, la charmante résolue ?
Il vient, se sachant découvert et craignant Dieu.
Elle le regarde, mais signifie-t-il l’absolu ?

Lui qui n’a jamais rêvé devant une femme nue,
S’interroge sur son destin d’homme délétère.
Le guerrier a-t-il encore le pouvoir malvenu
D’outrepasser son rôle et passer la frontière ?

Elle est pourtant ténue cette limite imaginée.
Tendre le bras, pailleté d’or… Vêtue de nuée...
Elle ouvre son regard d’ange et le contemple.

L’homme n’est qu’un double incertain d’elle-même.
Il a moins de forme et se peut-il qu’il m’aime ?
Elle le reconnait et, seule, le conduit au temple.

© Loup Francart 

08/11/2014

Parution de "Dictionnaire poétique"

poème, écritre, recueil de poésie, édition

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Faites rêver... Offrez donc un recueil de poésie en cadeau de Noël. L'heureux élu vous en sera gré, il pourra rêver pendant ces jours où la réalité dépasse parfois la fiction. Avec cet ouvrage, la fiction n'est jamais dépassée.

Un mot, c'est une image, un son, un picotement qui étire un fil ténu qui, s'il est suivi, vous entraîne au bout du monde et de l'imagination. Vous fermez le livre et cela se poursuit en vous inconsciemment. Alors, vous devenez vous-même poète.

Détails du Livre

Pages :

186 pages

Genre :

Poésie

Paru le :

07/11/2014

Référence :

ISBN 978-2-7547-2626-9

Format :

13x20 Broché

07/11/2014

Prodigieux (3)

J’avançais d’un pas. Ce me fut fatal. Je partis et tombais dans un vide effrayant, le cœur soulevé, les cheveux en bataille, la nausée aux lèvres. J’ouvrais vite mon parapluie, ce qui me ralentit quelque peu, mais pas suffisamment pour pouvoir m’accrocher au balcon que je vis défiler devant moi. La ville s’était creusé un espace supplémentaire à 90°. Non je n’ai pas bu d’alcool pharmaceutique, juste un peu de ce thé divin qu’elle m’avait offert. M’a-t-il tourné la tête ? Je ne sais.

Mon regard révolutionné, mes bras étendus pour planer je tourne autour des réverbères et passe au-dessus des gens qui me contemplent le nez en l’air. Certains même me font des signes comme on dit au revoir à ceux qui s’éloignent du quai, montés sur le grand bateau blanc. Je retrouve les rues de mon enfance quand j’allais chercher le lait sorti des pis gonflés ; je revois l’usine gigantesque où j’errais, seul, dans la fraicheur du matin ; je conteste ce passage indélicat d’une fille courant dans le noir et sautant la barrière de la retenue. Ah, cela ralentit, le vent ne s’engouffre plus dans mes oreilles surchargées de bruit. Bientôt ce n’est plus que le silence qui m’accueille. Serait-ce parce que j’ai pris de l’altitude ? J’aperçois au loin une tache sombre, un trou noir vers lequel je me dirige sans même pouvoir dévier ma route. Ça y est ! Entrée dans cette boule flasque et gélatineuse. Les oreilles se bouchent, les yeux s’obscurcissent. Elle a un goût sucrée, l’odeur des barbe-à-papa d’une enfance malheureuse. Les bras tendus, j’erre sans rien voir ni rien entendre. Je me mets en boule, recroquevillé, un point dans le désert d’un monde inconnu qui tourbillonne dans le silence de la perte de repères.

– As-tu trouvé le bonheur ? me demanda-t-elle doucement.

J’émergeai lentement de ce cauchemar visqueux, les yeux encore écarquillés, les mains en avant pour me protéger. J’entendais toujours le sifflement du vent, et me voici étendu à ses pieds. Elle se penche vers moi, passe une main légère sur mon front et m’aide à retrouver mes esprits.

– Sais-tu ce que j’ai vécu ?

– Oui, je connais cette errance dans la ville distendue. C’est une cachette que peu connaissent, bien commode pour échapper à la langueur des nuits.

– Mais où sommes-nous maintenant ? Demandai-je à la charmante enjôleuse.

– Je ne sais. Nous avons franchi le rubicond et errons dans les plis du temps qui recèle de multiples vies. Ainsi s’allonge le destin de ceux qui font ce premier pas terrible. Plusieurs destinées les attendent, mais ils perdent l’équilibre et peu reviennent sain d’esprit et de corps.

Je la regardai et perçu que sa peau avait bleui, d’un bleu pâle comme la mer en été ou un ciel sans nuage. Ses lèvres charnues rosissaient, son œil étincelait, ses cheveux devenus rouges lançaient des éclairs luminescents. Elle se pencha vers moi et murmura :

– Bienvenue au royaume des apatrides. Tu es libéré de ton passé et libre de tout avenir. Désormais tu erreras solitaire dans ce monde sans attache jusqu’à ce que tu trouves le pli du temps qui te ramènera dans l’ancien monde. Elle se pencha vers moi, déposa un baiser sur mes lèvres, enfoui sa main  sous ma chemise jusqu’à ce point sous la poitrine qui fit bondir le rythme de mon cœur. Peut-être allait-elle se donner maintenant ? Je mis ma tête entre ses seins, respirait fortement ce parfum entêtant émanent de ses aisselles et sombrai dans un sommeil profond, un anéantissement de ma personne, une absence douce après ce que j’avais vécu.

Elle murmura pour elle seule :

– Prodigieux ! Il s’est endormi et j’en dispose pour moi seule sans qu’il le sache.

Elle s’étendit à mes côtés et mon rêve devint réalité.

04/11/2014

Annonce

Hier, couché sans sentiments ni appréhension
L’aménité de l’air incitait à l’absence.
Tu sombras dans un sommeil englué et profond.
Rien ne viendrait troubler ta béate défaillance.

Tu te levas dans la nuit, l’œil encore endormi.
Au dehors la douceur assassinait l’automne.
Noir d’encre, sans couleur, hors de toute académie,
La furie sans parole, perverse et tatillonne.

Qui vit ce ciel encombré, serré sous la lune
D’une éclaircie parcimonieuse et tendre,
Mariage du jour, mêlée de l’infortune ?
Jusqu’au cœur de l’obscurité, rien à attendre.

De lourds nuages volaient très bas. Levant le doigt,
Tu les comptas entiers sans pouvoir les partager.
Ils annonçaient les eaux promises, avec la joie,
Sans incision, d’une mort de l’été annoncée.

C’est bien le dernier jour des rêves alanguis,
Reposant dans l’océan, bercé par la vague,
Avant les cataractes qui te laissent groggy,
Sans soutien solide ni même au doigt une bague.

© Loup Francart 

02/11/2014

Prodigieux (2)

Elle ne me laissa pas entrer le premier et me demanda d’attendre quelques minutes, le temps de ranger un désordre indescriptible, disait-elle. Enfin, elle m’appela. Je poussai la porte, excité, intrigué par la personnalité de cette femme qui ne ressemblait à rien de connu. J’entrai dans une grande pièce qui ressemblait à un atelier de peintre. De grandes toiles pendaient aux murs. Elles couvraient quasiment tout l’espace. Certaines ressemblaient à des annonces nécrologiques : du noir et du blanc, ordonnés, tirés au cordon, géométriques et harmonieux comme un service funèbre, d’une beauté fatale qui donnait à rêver. Ils étaient là, mais en absence, statufiés, vivant hors du temps. D’autres, en couleur, étincelaient de lueurs inédites, revêtus de bleus sombres virant au vert émeraude, toujours aussi ordonnés, plus apaisants que les noir et blanc. Deux mondes qui se côtoyaient sans se toucher, contrastés, déchirants, mais emplis de majesté sereine et intemporelle. Elle me regardait, le visage tendue, recherchant une trace d’approbation. Ses yeux se troublèrent. J’y décelais une rosée d’inquiétude. Que dire ? Rien pour l’instant. La surprise était trop importante et me laissait sans voix. Pour calmer mon esprit, je reportais mon regard sur le reste de l’atelier. D’autres toiles étaient alignées contre les murs, entassées, protégées par des couvertures défraichies, certaines étaient même nues, couvertes de traits, de cercles, de rectangles qui s’enchevêtraient les uns dans les autres pour former une jungle impossible dans laquelle le regard se perdait. Au centre se trouvait une oasis, deux canapés face à face, séparés par une table basse de verre montée sur des sculptures bizarres faites de fer assemblés vraisemblablement à l’arc électrique. Plusieurs petits meubles contenait des livres, d’autres des pots de peinture, certains des pinceaux, entassés les poils en l’air, tout cela dans un désordre organisé qui, finalement, donnait presque un air mondain à la pièce encombrée. Je tournais plusieurs fois sur moi-même, quelque peu éberlué et revenait vers son visage qui semblait attendre une parole, un son, un étonnement, bref une approbation ou un rejet.

– Prodigieux, m’exclamais-je.

M’étais-je suffisamment exprimé ? Elle me regarda gravement et me dit :

– C’est tout ?

– Que voulez-vous que je vous dise. Il faut me laisser le temps de m’acclimater. Il faut aussi laisser le temps aux tableaux de m’apprivoiser. Nous devrions finir par copiner, mais cela ne se fait pas en deux minutes.

– Ah ! Une parole raisonnable. Prend ton temps. Imprègne-toi, je vais préparer quelque chose.

Elle entra dans une autre pièce, très vraisemblablement la cuisine. Je l’entendis faire couler de l’eau, sortir de la porcelaine. Une cafetière lançait des jets de vapeur dans son circuit. Elle finit par revenir, portant un plateau avec une cafetière, deux tasses, un sucrier. Elle le posa sur la table basse et remplit les tasses, sans rien dire, me regardant à la dérobée, curieuse de mes réactions. Elle s’approcha de moi et, en tendant le bras vers un des canapés, m’invita à m’assoir.

– Nous serons mieux assis.

Elle me tendit une tasse que je pris mécaniquement, l’esprit toujours préoccupé par ces tableaux qui m’invitaient au silence. Ils avaient quelque chose d’envoûtant. Elle ne semblait pas le remarquer, ou, peut-être, en avait-elle trop l’habitude. Elle ne parlait pas, attendant mes réactions. Comme je restais silencieux, elle posa doucement sa main sur mon bras, tendit ses lèvres vers mon visage et posa un baiser sur ma joue, presqu’au pli de la commissure des lèvres.  Que voulait-elle ? Je passais mon bras derrière elle, lui prit l’épaule opposée et la serrait contre moi. Elle se pelotonna contre mon aisselle, sans rien dire, les yeux fermés. Elle semblait bien et ne rien désirer de plus. Nous restâmes ainsi plusieurs minutes, semblant oublier le café qui refroidissant dans les tasses. Elle ouvrit à nouveau les yeux, les laissant errer sur la pièce sans rien chercher de particulier, puis me regarda.

– Tu fais très bien dans le décor. Grand, mince, brun, distingué… Quel amphitryon ! Viens plus près de moi, là.

Elle me montra le haut de sa poitrine toujours vêtue du corsage acheté dans la boutique dont elle déboutonna la dernière attache, tout ceci le plus naturellement du monde. Je me laissais faire, m’inclinant sur ses seins dressés, tournant la tête vers ses lèvres qui me laissèrent un goût sucré-salé qui ne m’étonna pas. Elles étaient fines, un peu pulpeuses cependant, et laissaient passer son souffle tiède, enivrant. Elle me prit la tête à deux mains, ouvrit ses lèvres, m’invitant à pénétrer dans son intimité. Je ne résistais plus. Rien ne pouvait maintenant m’empêcher de découvrir son visage, d’en chercher tous les recoins, de baiser ses cils élancés, d’enfouir mon nez dans son cou à l’odeur de cannelle citronnée, d’entrouvrir ses lèvres chaudes d’une bouche sûre et avide.

– Attends, me dit-elle. Laisse-moi reprendre mes esprits. Ne nous précipitons pas dans une volupté dispendieuse. Laisse monter en moi un début d’extase et que plus tard il nous comble de ses félicités. Que penses-tu de mes tableaux ?

Ne sachant si elle peignait ou ceux-ci était l’œuvre d’un auteur inconnu, je n’avais rien dit qui les concernait. Me redressant, laissant s’échapper les effluves émanant de sa personne, je me lançais dans un constat dithyrambique.

– Tes tableaux sont avant tout toi-même. Non pas celle qui se promène dans les rues de Paris, auscultant les magasins, admirant les voitures, reluquant les jeunes hommes. Mais toi-même en tant qu’inconnue. Voilà pourquoi je suis resté dans voix en entrant. Je ne te reconnaissais pas. Pourtant j’étais également troublé par une similitude, une apparence qui ne voulait pas se dévoiler. Il y avait la face colorée, mais derrière apparaissait l’irrésolution de ton regard qui est beau. Cette beauté cache quelque chose. Quoi ? Je ne le sais pas encore, mais dans les instants qui vont suivre, peut-être découvrirai-je, à travers ton extase, le secret que tu caches à toi-même.

Elle me regarda, étonnée. Elle semblait avoir été mise à nue. Je vis sa bouche s’entrouvrir, ses yeux vaciller et s’embuer d’une rosée visible. Elle me tendit sa main.

– Voilà qui est parlé. Je suis surprise de ta perspicacité. A croire que tu me connais bien.

Elle n’en dit pas plus, me reprit la tête, se pencha vers moi, m’embrassa moins sauvagement, avec tendresse et tout à coup éclata en sanglots. Cela dura moins d’une minute. Je ne savais que faire. Je lui caressais la nuque. Je sentais toute sa personnalité en alerte. Elle se détendit, me regarda encore une fois, ouvrit son corsage et me montra une poitrine jeune, haute, enrobée dans un soutien-gorge blanc qui la serrait un peu, à tel point que l’on voyait une partie de ses auréoles au-dessus de la ligne brodée des bonnets. Je ne pus m’empêcher de les contempler, puis de rapprocher mes lèvres de cette chair offerte, tendre et chaude, d’une douceur incomparable. Elle sentait le savon frais parfumé à la lavande. Je m’enfouis dans ce champ odorant, cherchant à attraper d’un baiser la pointe érigée d’un de ses seins. Elle me reprit, m’écarta d’elle et, tout en soupirant, referma les deux boutons de son corsage. Elle se mit debout et me dit brusquement :

– Je ne t’ais pas tout montré.

Elle me prit la main et m’entraîna vers la porte du fond. En l’ouvrant, elle s’effaça et me dit d’entrer. La pièce était noire, un peu moite, baignant dans une atmosphère très différente.

31/10/2014

Vitalité

Laisse monter en toi le délire de mots
Ferme les yeux à l’apostat !

Elle partit d’un jet, courant sur le pré
Encombrée de sa robe de mariée
Elle nous quitta sans bruit
Pfuit… Plus rien devant nous

J’eus beau chercher sa taille
Je ne trouvais que le bruissement
Des fils de soie de sa ceinture
Qui se dévidaient entre mes doigts

Alors moi aussi je me mis à courir
Derrière les courants d’air
Prenant garde de ne pas m’enrhumer
Jamais je ne pus la rattraper

Nous parcourûmes le monde
Puissant dans nos besaces
L’espoir de nous retrouver
Et de nous jeter dans les bras l’un de l’autre

Mais elle s’échappait plus vite
Allez savoir pourquoi
Elle sentait le stupre et la caresse
Mais volait comme une princesse

Nous passâmes au pôle nord
Refroidis jusque sous les aisselles
Nous parcourûmes le désert
Pleurant de soif derrière l’ombre

Nous naviguâmes toutes voiles dehors
Jusqu’aux confins de la terre
L’œil sur l’horizon, la main sur la barre
Sans jamais rencontrer un être vivant

Aujourd’hui, je poursuis nos fantasmes
Seul, sans pilote ni moteur
Ronronnant petitement, nu sous le soleil
Et me brûle au rêve de mes prédécesseurs

Où donc es-tu passé sous ta robe de taffetas ?
Ton fantôme court-il encore, invisible
Aux regards des hommes en attente
D’un plus grand désespoir ou abandon

Fuis-tu toujours sous l’opprobre
De cette matinée aérienne
Quand tu te levas avant de dire oui
Et sortis sereine sans un pleur

Plus rien ne pourra cacher
Cette blessure béante à ton flanc
Celle de la séparation mortelle
D’avec l’homme d’une vie morose

Altière tu nous quittas, tête haute
Les larmes aux yeux, mais souriante
Et marchas vers ton destin
L’adoration sans faille de la vitalité

© Loup Francart 

28/10/2014

Prodigieux (1)

Prodigieux ! Elle s’éveilla, se dressa sur le lit, me regarda et me dit :

– Quelle pâle lueur au fond des yeux.

Et je voyais danser dans ce miroir intense les diables délurés des jours de colère. Elle ne me voyait plus. Ce n’était que bagarres et scènes. Rien ne nous rapprochait. Elle échappait à toute logique. Ses cheveux en bataille, son sourire charmant, sa lèvre enfiévrée, tout son corps tendu vers le souvenir, elle se repliait sur elle-même. C’était pourtant bien la même qui deux nuits auparavant avait revêtu sa nudité et s’était glissé dans le lit avec candeur. Elle s’était laissé étreindre en toute connaissance de cause, souriant à l’aventure, s’amusant de caresses insolites. Je vis pourtant dans ses yeux sa folie. Un éclair d’acier parcouru sa rêverie. Ce fut bref, mais intense. Je pris de la distance, prenant garde aux palpations malveillantes. Elle les prodiguait sans retenue, laissant errer ses mains au-delà de la décence. Mais toujours ce visage impassible, beau d’ailleurs, mais si lointain qu’il en devenait gênant. Je m’habituais, osant la regarder, contemplant ses cils qui palpitaient silencieusement et qui disaient tout bas ce qu’elle ne pouvait dire, la folie et l’inconscience.

Je l’avais rencontré dans une boutique obscure, encombrée de vêtements défraichis, derrière un présentoir. Elle essayait un corsage. Elle disposait d’une pile bigarrée et puisait dedans : trop petit, rugueux, enlaçant, verdâtre, ruisselant. Elle ponctuait chaque essai d’un mot dur, apostrophant. Je la regardais depuis un moment lorsqu’elle m’aperçut. Elle n’était nullement troublée. Elle me prit à témoin :

– Tenez, aidez-moi. Je ne sais quoi choisir. Aucun ne me semble destiné. Mais ce soir j’ai un diner et me dois d’être brillante.

Je lui répondis que le seul tissu pour cela était cette soie légère, de couleur lie de vin, aux épaules bouffantes, qui se cachait à moitié sous le tas diffus. Elle retira sans aucune gêne l’élégante blouse qu’elle avait mise en la passant par-dessus sa tête, les bras levés, les seins dressés. Elle prit le corsage, l’enfila, enfouit sous sa jupe étroite les pans resserrés et se montra dans toute sa beauté de femme qui sait ce qu’elle veut.

– Oui, ton goût est sûr. Cela me va mieux que tous ces salmigondis.

Elle le garda sur elle demandant à la vendeuse d’enfouir dans le sac d’achat son chemisier mis à mal, paya d’une carte orange et sortit promptement me regardant réellement pour la première fois.

– quel beau jeune homme, s’exclama-t-elle d’un air enchanté.

Elle partit le nez, qu’elle avait rectiligne, au vent d’automne, marchant aisément parmi la foule, portant son sac haut sous le bras, retenu par l’anse au creux de l’épaule. Elle fit une petite grimace lorsqu’elle vit son reflet dans la glace d’un magasin, redressa une mèche de cheveux, se sourit et engagea une longue conversation sur les faux chefs d’œuvre de la FIAC qu’elle venait de quitter.

– Une honte, je te le dis. J’ai vu trois pâles crottes rouges étalés sur le sol fait d’un morceau de linoléum dans un espace immense étincelant de propreté. Le galeriste vantait précautionneusement l’élégance de la scène qui se prénommait « Destitution ». Une vieille bigote de l’église d’art conceptuel pérorait à ses côtés, voulant comprendre pour quelle raison elle ne sentait rien. Et l’autre de lui dire que c’était normal. Il fallait laisser le travail de l’imagination faire son chemin, monter lentement dans l’enchevêtrement des souvenirs pour à un moment inattendu laisser venir au nez l’odeur délicate du chef d’œuvre.

Elle se mit tout à coup à courir en petits pas chassés, leva un bras impératif, s’engouffra dans un taxi noir et élégant. Eh bien, viens donc, qu’est-ce que tu attends, s’exclama-t-elle devant mon hésitation. Je montais derrière elle sans hésiter, déjà enjôlé par cette fille, non cette femme, à l’éclair vif argent. Elle ne cessa de bavarder en me montrant les rues, les gens, les chiens, les marchands de journaux. Tu as vu… Regarde… je suis folle de cela… Un tourbillon. Mais un visage de marbre.

A l’arrivée, elle me mit dans les mains ses paquets, fouilla longuement dans son sac boursouflé, en sortit  un trousseau et ouvrit avec précaution une porte si lourde qu’elle dut pousser fortement avec l’épaule pour la faire pivoter.

Monté jusqu’au cinquième dans une cage d’escalier rutilante, sur un tapis rouge grenat, dans un silence impressionnant. Je peinais avec les paquets sans toutefois me demander ce que je faisais là. Tout ceci me semblait naturel, dans l’ordre des choses, comme une conclusion lentement mûrie. Elle, elle ne voyait rien. Elle pérorait, mais sans chaleur. Elle dévidait ses propos avec distance, comme un sage. Elle avait l’art des contrastes. Détachée, mais active, voire enfiévrée. Tenant toujours à la main ses clés, elle tendit le bras et d’un geste sûr entra dans le pêne une sorte de passe-partout. J’étais dans l’antre d’une sorcière et je ne le savais pas.

27/10/2014

Danse

Ils étaient trois
Trois pigeons sur le bord d’un toit
Dans le carreau de ma fenêtre
Ils dansaient la valse des pigeons

Non… Il était seul, sans autre aide
Que celui du rebord de pierre
Sur lequel il s’épanchait
Sous l’œil impavide des deux autres

La gorge haute, il se dressait
Et avançait à petits pas
Puis deux tours sur lui-même
Sans autre forme de procès

Il revenait vers eux, crânement
Reprenait ses deux tours
En sens inverse, en métronome
Puis repartait en riant

Vraisemblablement, il délivrait
Aux deux autres un message
Que je ne compris pas
Je le voyais, aller et venir

Il poursuivit sa complainte
Devant le manque de réaction
De ces compagnons ahuris
Et s’arrêta, interrogatif

Ne voyez-vous pas, compatriotes
Que j’esquisse la danse sacrée
Des pigeons délurés
Jamais je ne tombe ni m’étourdis

Oui, il est temps de partir
Devant tant d’incrédulité
D’ailleurs l’un d’eux
Se jeta dans le vide

L’autre, penaud et embarrassé
Voulut conclure ce message
Il se redressa courroucé
Et monta droit dans les cieux

Le danseur resta unique
Sur le bord du toit
Là où toi et moi
Ouvrons nos cœurs de chair

Alors il partit lui aussi
D’un coup d’aile, un froufrou
Qui traversa la rue
Et vint frapper l’attente

Oui, trois pigeons au coin du toit
Dont un dansait la valse
Pour les deux autres
Qui ne virent rien

© Loup Francart

22/10/2014

Double

Il est parti celui qui est plus que moi-même
Et je ne sais même plus qui je suis devenu

Un grand noir s’est installé, froid de marbre
Je m’y cogne la tête. Elle est toute cabossée

Où es-tu passé mon frère, toi qui m’accompagnais
Au cours du périple inhumain de la vie ?

Dans un brouillard intense, j’erre, solitaire
Je marche les yeux fermés, les oreilles bouchées
Le nez au vent, les mains en avant
Sans revivre ces jours intenses et rafraîchissants
D’une présence personnelle et troublante

Moi-même devenu autre et pourtant moi
Errant dans l’absurdité du monde déchu
Percé de courants d’air et de gaz purulent

Quel malheur ce départ !

Il est parti celui qui est plus que moi-même
Et je ne sais même plus si je suis.

© Loup Francart

19/10/2014

L'ombre

Longtemps, je ne l’ai pas remarquée
Elle passait inaperçue à mes yeux
Peut-être ne voyais-je pas le soleil ?
Un jour cependant, ou plutôt un soir
Elle m’est apparue, fragile
Comme une ombre d’elle-même
C’était bien mon ombre à moi

Oui, elle me ressemblait
Même profil, encore que j’ai du mal
A contempler mon profil altier
Sans utiliser une glace fraiche
Embuée à sa sortie du frigo
Depuis elle ne m’a plus quitté
Je la trimbale avec moi
C’est ma sœur, encombrante
Elle veut parfois passer devant moi
Elle me pousse vers le chambranle
Et se propulse en courant d’air
Pour entrer la première, rosissant
Devant les regards acérés

Oui, elle me fait de l’ombre
Cette enveloppe sombre
 Qui se détache de moi
Sans avoir le courage de me quitter
Parfois elle me sourit
– Qu’en penses-tu ?
Semble-t-elle me demander
J’avoue ne plus savoir
Si elle est mon double
Ou si elle se joue de mes hésitations
Je la contemple se mouvoir
Et sourire à tous, enchantée
De ce subterfuge honteux
Et je dois moi-même sourire
Pour ne pas délier ce mariage
Hors nature avec mon double

Oui, il lui arrive de se coucher
A mes pieds, vers midi,
Et de me dire – Ne bouge plus
Je suis bien près de toi
Laisse-moi reposer contre toi
Me réchauffer à ton corps brûlé
Enflamme-moi dans tes bras
Et courre plonger dans l’eau
Là où les rayons de l’astre
Ne peuvent m’atteindre
Je pourrai alors te laisser en paix
Blottie dans ton corps refroidi
Jusqu’à devenir transparente
– Quelle idée, lui ai-je répondu
Sans toi je ne serai plus
Si tu deviens invisible
C’est que moi-même ne suis plus
Même dans l’eau claire
J’ai besoin de ma consistance
Comment pourrai-je nager ?
Je coulerai et disparaîtrai
A jamais aux yeux de tous

Et c’est ainsi qu’un jour
Il y a déjà longtemps
Je devins transparent
Invisible
Nu
Comme une amibe
Même au microscope
Mes voisins ne m’ont pas trouvé
Ils pleurèrent quelques jours
Puis, de guerre lasse
Me laissèrent partir vers d’autres cieux
Dans ce pays où la lumière
Envahit tout, y compris les êtres
Là l’ombre n’existe pas
Et ne fait plus peur aux femmes
Elles ne se remaquillent plus
Sûres de leur effet sur l’unique
Sans doublure vertueuse
Qui les regarde béatement
Volant de ses petites ailes
Autour de leur personne
Qui rayonne de bonheur
Sans l’ombre d’un doute

© Loup Francart

15/10/2014

Ange

Quelle expression ! Il est aux anges.
Serait-il confit de sucre et d’olives
Dans un sourire figé et malheureux
Comme le chevalier du ciel

Certains en font le saut
Ils s’élancent de la falaise
De leurs idées préconçues
Et plongent dans la folie

D’autres, en cheveux fins
Enlacent leur possession
D’un filet protecteur
Pour mieux les conserver

Les anges de mer
Planent dans les eaux
Et font de l’ombre
Aux plongeurs ensommeillés

Ils se mangent également
Ces fins vermicelles argentés
Flottant dans leur potage
Comme des bras de poulpe

Peut-être vivront-ils assez longtemps
Pour entreprendre l’estomac
Et vous courber en deux
Dans une crampe dithyrambique

Avec une patience d’ange
Elle contourne le viril
Et le retourne sur le gril
Pour convertir son égo

Les enfants comme les anges
Volent en paquets rieurs
Ils s’amusent de l’effroi
Qu’ils causent inconsciemment

Parfois même, ils se moquent
Des remontrances outragées
Que font dans le village
Les guetteurs de scandale

Pourtant ils existent ces anges
Qui protègent la victime
De l’inlassable opprobre
Des veilleuses à la fenêtre

Mon ange s’exclame la mère
Mais ange est-il celui-ci
Qui court en sabots
Dans la neige de l’innocence

L’ange est fidèle et serein
Il ne cache pas sa préférence
Pour le meilleur de l’homme
Il l’enrobe de ses bras protecteurs

Certains cependant se sont révoltés
Et on acquit l’indépendance
Mais pour quoi faire ?
Ils errent dans le noir et le froid

Déchus, ils recherchent compagnie
Et tendent leur bâton sucré
A ceux qui méditent en silence
Sans savoir vers quoi pencher

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse
Ministres de la vengeance divine
Epuisent en rond leurs montures
Pour assurer une victoire amère

Mais il est des anges féminins
Qui font craquer l’homme quel qu’il soit
D’un regard assuré et d’une caresse maligne
Le cœur retourné, le baiser sur la bouche

L’ange de lumière ne se dévoile
Qu'à ceux qui se laisse aller
Dans les bras de l’absence
En toute innocence

Toi, mon ange,
Qu’es-tu pour m’attirer à toi
Ouvrir mon âme asséchée
Et la couvrir de baisers ?

© Loup Francart

11/10/2014

Moi et Toi

Moi et Toi. Qui de nous deux ?
Serais-tu celle que je suis ?
Suis-je celui que tu es ?

Nous sommes deux ou un
Selon le cas, selon l’heure.
La nuit, dans l’obscurité,
Je prends ta main pour la mienne.
Tu me caresses le visage
Et ton souffle veille sur mon corps.
Enveloppé de douceur
Je ne sais plus où je suis.
Suis-je même encore moi-même ?

Je m’approche de ton être.
Tu deviens ce que je suis
Et je suis ce que tu es.
Ensemble nous marchons
Dans notre tête enrubannée
Et portons haut et fort
Notre volonté de vaincre
Ceux qui ne savent pas
Qu’ils sont un en étant deux.

Moi et Toi. Qui sommes-nous ?
Nous sommes l’un multiple
Et rien ne nous détachera.

Si ! Sans doute… la mort.
Mais qu’est-elle finalement
Au regard de l’amour.

© Loup Francart

07/10/2014

Elle avait des bagues

Elle avait des bagues plein les doigts
Peut-être pour cacher leur fragilité?
Des bagues en poils d’éléphant.
D’autres en eussent fait un manteau,
Le chameau est si commun.
Il eut sans doute été trop lourd
A soutenir par la tige d’acier
Où repose la pyramide de verre.
La tête, comme les doigts, entourée de bagues
Se tisse une couronne d’innocence volontaire.

© Loup Francart

03/10/2014

Qu'es-tu, toi qui n'es rien

Qu’es-tu, toi qui n’es rien ?
D’où viens-tu, toi qui n’as pas été ?
Où vas-tu, toi qui deviens tout ?

Je me cherche à l’extérieur de moi-même
Je me trouve derrière la frontière
Elle est de verre, invisible, incolore
Je la trouve en un clin d’œil
Mais cette enveloppe est vide
Et d’une richesse infinie
Rien ne vient la troubler
Enfermé dans cette coquille de noix
Je promène mon inexistence
Au-delà des planètes et des galaxies

Tu es ce que je ne suis pas
Je suis de chair et d’os
Tu me donnes l’inexistence
Un être sans squelette
Je flotte entre les strates
Des univers cloisonnés
La lumière se dévoile
Et me rend aveugle

Oui, qui est-il lui qui est tout ?

© Loup Francart

29/09/2014

L'huître

Ce n’est qu’une sorte de caillou
Très grossier et difficile à saisir
Transpirant des larmes vertes
Ouvrant parfois un sourire
Et riant béatement d’une bouche
Sans lèvres ni douceur

Il sent la marée des matins d’été
Quand vous partez à peine levé
Vers l’écailler du port fantôme
Et que vous entendez les cris
Des marins partant vers le large

Vous éprouvez l’irrésistible envie
De vous immerger dans l’iode
Rugueuse et foisonnante
Et d’éclater en les pressant
Les bourgeons des algues noires
Alors vous quittez vous aussi le port
Et voguez librement dans vos rêves
Secoué par les ondulations
D’un bateau qui vous emporte
Dans le monde inconnu et cruel
Des sirènes et des dauphins

Réveil !

Le couteau à la main, vous cherchez
Cette lèvre émincée qui suinte
Son odeur subtile et froide
Ne vous laissez pas charmer
Prenez l’air du tueur à gage
Fouillez dans ce corps dur
Pour d’une pression de la pointe
Enfoncer la lame aiguisée
Et d’un revers du poignet
Forcer l’animal à se dévoiler

Il résiste encore faiblement
Et du tranchant cette fois
Vous achevez votre sinistre besogne
Coupant le lien ténu, maintenant
Fermement le couvercle
Encore un effort pour désolidariser
Ce contenant aux reflets voilés
Du liquide clair et transparent
Qui sent le fond des mers
La folie des grouillements obscurs
La vie sans mouvement des pierres
Qui se révèlent fécondes

Baignant dans ce désir palpable
Elle est là, légèrement rosée
Et dévoilant son corps nu
Offerte au regard concupiscent
De l’amateur éclairé et enfiévré
Elle n’est parcourue que d’un frémissement
De ses membranes ondulées
Comme les amants avant l’amour

Avec douceur et respect
Vous approchez vos lèvres de sa froideur
Pour y trouver ce surplus de vie
Que vous guettiez dans l’inertie
D’un caillou fermé sur lui-même
Ce baiser glacé, au goût de mort
Envahi votre bouche et la réveille
Vous montez dans l’air du matin
Et vous êtes à la porte du paradis

Délicatement, avec soin, avec intérêt
Vous détachez cette chair offerte
De son point d’encrage
Pour la laisser une dernière fois
Baigner dans son élément fluide
Et s’épanouir avant de mourir

Vous portez cette coupe improvisée
 A vos lèvres avides et aspirantes
Et goûtez toute la subtilité
La fraicheur, l’innocence,
De cette chair qui s’offre
En toute impudicité et bravement
A vos dents qui la tranche
Pour en goûter intimement
Le suc ailé de l’éternité

Etes-vous au ciel ou sous les eaux ?
Vous ne le savez
Englobé de fraicheur acide
Vous n’êtes plus sur terre
Vous flottez à nouveau
Dans le liquide amniotique
Du commencement du monde
Lorsque vous n’étiez qu’en devenir
En espérance de volupté
Prêt à mourir ou à vivre
De cette expérience inqualifiable

© Loup Francart

25/09/2014

Neuf heures

Neuf heures…
La ville dort, l’ombre veille
Les yeux ouverts sur ton image
Je t’entends ébaucher de tes lèvres vivantes
Mon nom comme un murmure insaisissable

Au-delà des collines
Derrière l’amas de fer et de béton
Qui crée notre séparation
Tous les mots prononcés
Tous les rires jetés en l’air
Rebondissent sur le miroir
De ton regard tourné vers moi

Neuf heures encore…
Comme un sourire inépuisable
Lorsque le soleil apparaissant
Sur tes cheveux épars
Parmi les aiguilles de pin

Proche et lointaine
Vivante ou morte
Ton absence évanouie sur cette heure
 Cerne mon visage attentif

Encore quelques secondes
Quelques minutes volées
Une caresse rêvée et malhabile
Et la nuit reprendra son bien
Pour l’ensevelir parmi les étoiles

© Loup Francart

21/09/2014

Abstrait

Le regard éperdu, il courre
Il échappe ainsi à l’abjection
Ils le poursuivent sans le prendre
Il s’est caché entre leurs jambes

Va-t-il arriver à s’en sortir ?
A-t-il encore le souffle
Du lutteur ou du coureur
Ou s’épuise-t-il sans fin ?

Ils le guettent sur la plage
Ils savent qu’il viendra
Savourer sa victoire
Dans l’eau bénie des mers

Pourtant il ne vint pas
Il se glissa dans le tuyau
De l’infamie, discrètement
Jusqu’à disparaître de leur vue

Où donc est l’artiste
Qui s’est moqué de nous ?
Comment croire un instant
Qu’il sait tenir un crayon ?

Non, il n’a rien dessiné
Que quatre traits et un rond
Qui forment la seule forme
Digne d’être contemplée

Ainsi naquit en un seul jour
Par distraction ou crainte
Le trait de génie
De l’abstrait pur et simple

© Loup Francart

17/09/2014

Perte

Quelle perte ! Rien n’égale cette disparition
Qu’avait-il besoin de partir en toute liberté
Et de laisser derrière lui la porte ouverte
Les objets se sont envolés, en rangs serrés
Sans autre forme de procès que leur adieu
Et le vide laissé derrière eux, gonflé d’air
Empli de senteur molle de putréfaction
Laisse un goût de défaite sur la corde à linge
Toujours tendue entre les colonnes vertes
Soutenant le balcon du premier étage

Oui, c’est la perte de notre identité
Le reproche toujours vif des petits chefs
Qui cherchent encore à assurer leur pouvoir
Sur les gens, insensibles à leurs cris
Gonflés de prétention absurde et voyante
Les papiers de reconnaissance citoyenne
N’existent que pour maîtriser
Les aller et retour des mouvements de la vie
Au-delà d’une obéissance apparente

Il est parti sans rien laisser et rien prendre
Le vide s’est installé. Les bras tendus
Il erre dans le temple de la sagesse
A la recherche de l’’inconnu ailé
Qui parfois lui prend la main et l’emmène
Si loin qu’il se dissout dans le cosmos
Qui n’est que la prison de l’existence

De l’autre côté, le calme sans nom
De l’absence, du repos préparé et conquis
Sur les ans qui s’étirent comme un élastique
Et rompent le destin inachevé de chacun
Pour revêtir l’uniforme des mortels

© Loup Francart

14/09/2014

Chroniques enfantines, récits de Nathalie Bouvy (Edilivre 2014)

Ce sont des moments épars dans la vie d’une jeune enfant ou même des sensations, des impressions sans suite, des instants d’émotion dans la fuite du temps et des souvenirs. On saisit les incompréhensions des grandes personnes devant ces récits sans rationalité, mais également celles de la petite fille qui s’exprime. Pourquoi tel adulte se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi fait-il semblant de ne pas ressentir ce qu’elle même ressent ? Mystère des grandes personnes à l’opposé de la transparence enfantine.

Elle fait des visites à une multitude de tantes. Elles sont vieilles pour la plupart, majestueuses de dignité, dans de grandes maisons cirées, pleines de beaux meubles. L’enfant n’en retire que de petites impressions, le bonbon dans la coupe de verre, les bas mal tourbichonnés de l’une d’entre elles, l’odeur de la vieillesse.

Souvenirs… Souvenirs : Le poêle abandonné sous un auvent qui a aiguisé sa curiosité et fait frémir les grandes personnes. L’autre petite fille, également en barboteuse, avec laquelle elle n’a jamais joué, mais qui la fascine au-delà du talus raide fraîchement biné et parsemé de plantes et arbustes piquants les jambes nues. Les convenances du divan vers lequel elle avance à quatre pattes : dans mon souvenir, le divan est en arc-de-cercle. En passant devant les dames, mon regard arrive juste à hauteur de leurs genoux. J’aime observer leurs boucles d’oreilles et leurs belles robes. Je regarde aussi entre leurs jambes qui se referment brusquement comme les pages d’un livre. J’avance un peu plus vite pour voir si mon regard a bien cet effet inattendu. Les genoux se resserrent rapidement, instinctivement, impulsivement comme si ils se recollaient. Le cadeau de Monsieur Bertholet : une guêpe-cendrier en cuivre. J’étais émerveillée par le cadeau et par l’objet. On pouvait soulever les ailes de la guêpe et on découvrait son ventre creux. Ce fut mon premier cadeau de grande personne, car ce n’était pas un jouet. J’en étais très fière.

Des réminiscences précises dans leurs sensations, auréolées du flou du contexte de l’enfance. Le toucher d’un objet, sa dangerosité, les désirs d’une petite fille, sa lucidité devant les adultes, mais toujours environnée du brouillard d’une réalité ressentie ou inversement de récits racontés plus tard par les uns ou les autres. Les deux sont désormais liés dans la cage des souvenances à n’ouvrir qu'en cas de spleen.  

13/09/2014

L’art du phare

D’une part, elle fait la part du feu ;
D’autre part, elle lui fait la part belle.
Mais de quelle part parle-t-on ?

S’agit-il du départ de Gaspard,
L’homme-léopard fumant des boyards
Et courant d’un air égrillard
Vers d’anciens Louis-Philippards
Pour, gaillardement, leur faire part
Des gares éparses de Montbéliard.
Il se déclare grenouillard
Et tente comme les braillards
De s’en prendre aux Magyars.

Participer c’est prendre part,
Avec quel écart, au rempart
De la plupart des salopards,
De tristes vieillards en retard,
Errant dans le brouillard
Et guettant le nasillard renard 
Avec l’art d’un franchouillard.

Sans art et sans antibrouillard,
Elle s’empare de milliards
Et se pare de rondouillards gaillards
Pour noyer son cafard
Dans le lupanar de Kandjar.
Mais elle repart vers le corbillard
Qu’elle déclare vasouillard.
Par quel hasard la bagarre
Barre-t-elle aux scribouillards
Le départ du tortillard ?

Ah, la plus grande part
Des pillards accaparent
Le billard qui effare
Le regard des paillards.
Où part-il ce canard
Qui s’autodéclare débrouillard ?

Départ hasardeux des chevillards
Vers une partie de colin-maillard.
Fini, je le déclare, ce retard
Des couards qui s’effarent
Des déboires sans espoir.

Edouard le bavard, tais-toi ! 

© Loup Francart

09/09/2014

Au fil des heures

Au fil des heures, au fil des jours
Dans la pâleur de ma solitude
Je retrouve l’ignorance et l’absence
Je perds mon manteau de lumière

Le monde s’endort et pèse
La pesanteur reprend ses droits
J’en ressens le poids intense
Et le pouvoir de son enracinement

Pourtant, je le sais, présente,
Elle est encore au rivage
Le corps tendu vers l’amour
 Le cœur noyé de bonheur

Les heures et les jours passent
Le ciel descend sur son image
Ensevelie de sa certitude
Elle s’épanouit en moi.

© Loup Francart

05/09/2014

L’assassin des idées nouvelles

Qui es-tu, toi l’assassin des belles idées ?
Et nous sommes tous des assassins !
Qui d’entre nous n’a pas médit
A l’annonce d’une idée nouvelle ?
La France n’a pas de pétrole,
Elle a des idées. Oui, certes,
Mais personne n’en veut de ces idées.
Le Français est un homme ou une femme
Qui vit sur un lit d’idées toutes faites
Il se bauge dans sa vision du monde
Sans tenter même d’y trouver satisfaction
Car, de plus, il vitupère sur celle-ci…
Mais en changer, jamais !
Cependant il a l’avantage inusité
De répondre toujours présent
Aux sollicitations de la mode
A condition qu’elle ait déjà été expérimentée
Et de préférence aux Etats-Unis
Ainsi un bon quart des Français marche
Le derrière à l’air, comme un prisonnier
De cette mode idiote apportée des Amériques
Plus je montre mon slip
Plus je suis décontracté…
Curieux non ? Heureusement
Les femmes ne s’y sont pas encore mises.
Il est vrai que libres du haut comme du bas
Elles pourraient très vite abandonner
Toute idée de s’habiller…
Oui, le Français est un être plein de contradiction
Pour le prestige et non pour le plaisir
Il construit une ligne à grande vitesse
Et il sait qu’elle ne sera pas rentable
Peu importe, le décideur aura laissé sa marque
L’empreinte de son pouvoir sur le sol
Cela se passe à tous les niveaux
Le président du Conseil général
Veut son musée dans le désert
Le maire veut sa piscine chauffante
Un gouffre à faire monter les impôts…
Mais ceci fait-il avancer les idées nouvelles ?
Non, une idée nouvelle assaille le cerveau
Et est rejetée derrière la haie, vulgairement
Elle enhardit la critique…
Alors lorsqu’une idée nouvelle
Germe dans la tête d’un Français
Il la garde bien au chaud et attend
Un moment favorable pour qu’elle fasse mode…
En faisant un tour au dépôt des idées nouvelles
J’ai rencontré des auteurs et des inventeurs
J’ai vu des femmes merveilleuses
J’ai vu des hommes entreprenants
Tous venaient déposer leur enfant
Sur l’hôtel de la déficience…
Oui, le Français et un assassin
De la France inventive et généreuse
Au nom de l’égalité et de la fraternité
Où se trouve la liberté ?
Que produire dans un pays
Où tous veulent être l’égal de tous ?

© Loup Francart

01/09/2014

Grandeur

Chacun se veut grand, mais grand de quoi ?
Les rêves ont-ils le pouvoir de faire grandir ?
La grenouille sauteuse rêve au kangourou
La puce à l’éléphant qu’elle ne peut même pas voir
Quel univers sans dimension si ce n’est celle
De l’imagination débridée, insolite et impossible
Chacun de nous se peuple d’ambitions
Est prêt à échanger sa montre
Contre un baladeur de secondes vides
Qui le fera gonfler jusqu’à l’éclatement
Suis-je plus grand que vous ?
Et je regarde ce malotru gonflable
Qui tente de jouer dans la cour des grands
Mais moi-même, je ne sais si je suis
Sur le dos d’un éléphant ou d’un poisson pilote
Ma taille importe peu au fond
Ce qui compte c’est l’univers qui nous reçoit
Si je n’en vois l’horizon et ne peux me rendre
Au-delà des collines qui barrent la visibilité
Je reste le freluquet qui achète des échasses
Qui tombe bien souvent dans la boue
Collant à ses bâtons et entravant ses pas
Mais si d’un coup d’œil j’admire
Ma grandeur dans le paysage étroit
Je m’abuse moi-même et ne peux bouger
Pour rire et m’esclaffer de cette immensité
Prisonnier de mon regard désenchanté
Je m’interpelle moi-même en un clin d’œil
Fait le tour du pâté de maison
Et me réfugie dans ma faconde vertueuse

Oui, la grandeur est le propre des petits hommes
Elle leur permet d’attendre le jour
Où rien ne sera comparable à rien

© Loup Francart

28/08/2014

La vérité ?

Le soleil revient, il écarte le manteau,
Et les nuages fuient, volés au soleil par le vent.
Chacun s’affaire, avec sérénité,
Dans une maison où passe la vie.

Hier, longue discussion :
Qu’est-ce que la vérité ?
Cela me rappelle Ponce-Pilate !
Elle n’est ni blanche, ni noire, elle n’est pas grise non plus.
Elle n’a pas de couleurs, et pourtant
C’est la couleur !
Elle n’a pas de VE majuscule,
Elle ne RIt pas,
Elle TE parle, à toi seule,
Au fond de toi et tu la connaîtras,
Un jour d’abandon, une nuit d’espoir.
Alléluia !

© Loup Francart

24/08/2014

Indolence

Il a longtemps hésité : que faire ?
Et encore, faire est un bien grand mot
Que devenir ? Trop volontaire...
Qu’être ? Quelle surenchère...
Que penser ?

Stop ! C’est fini...
Plus rien ne sera comme avant
Le chat longe la gouttière
L’écureuil valse sur la branche
Et lui que fait-il ?

Rien, tel est son charme...
Peut-être caresser l’étoffe
D’un lit défait sur la nuit
Ou la remonter sur le corps
Par crainte de l’invasion

Le jour se lève
Quel chaos ! La chambre,
Qu’est-elle ? Le refuge
De son indolence

Eperdu, il se regarde
Et ne voit rien
Qu’un trou, noir
Comme la braise éteinte

© Loup Francart

20/08/2014

Bague

Et cet autre univers s’offre à moi sans pudeur
Cette plaine caressante que j’approfondis
Du bout du doigt devenu élégant habilleur
D’un voile d’innocence et de beauté recueillie

Quelle autre plage serait si sûre et sensible
J’atteins le feston de l’eau vive, émerveillé
Un embrasement coloré de vie indicible
Que l’on hume le nez au vent du désir rentré

Glissement vers cette dénivelée tangible
Centre de l’amour exalté ouvert à la flamme
Qui monte et déborde tressaillant dans l’âme

Le feu me brûle dans cette possession subtile
Délicieusement je m’engloutis dans la vague…
Oui, c’est certain, cela mérite bien une bague

© Loup Francart

16/08/2014

Parenthèses

Deux petits signes comme la lune
Ou le sourire d’une femme endormie
Presque rien à dire, juste un mot
Mais ce mot explique, ravit, ensorcelle
Il ouvre l’horizon vers le large
Le vent s’engouffre dans la voile
Larguez les amarres, moussaillon !
C’est une matinée de plus à vivre

Entre parenthèses : un départ à la dérive
Spontanément, sur un coup de tête
On agite les mains, voire les bras
A la monotonie et la morosité
On sourit à l’imaginaire
Protégé par les fentes courbées
Comme dans une coque de noix
Enrobé de coton, la tête sortie…
La terre s’éloigne, devient ligne
Puis, plus rien, le vide à l’entour…
Quelle plénitude dévorante
Un plongeon dans le bouillonnement
D’une multitude de bulles odoriférantes
Le parfum de la liberté enrobé
De l’espoir de jours meilleurs

Introduire une parenthèse
C’est ouvrir la porte à un inconnu
Vous-même, ne savez pas encore
Ce que vous allez écrire dans ce trou
Mais une fois ouvert, béant
Comment le refermer si ce n’est
Le remplir d’autres matériaux
Légers de rêves colorés et sucrés
L’inconnu s’introduit, invisible
Pousse un cri délirant
« Eh, n’oublie pas de refermer ! »
Ouvrant la barrière du souvenir
Il passe tel un spectre rose
Dans le cabinet des curiosités
Fouille dans le quotidien
Se revêt de fanfreluches
Et s’assied entre les demi-sphères
Hautain et béat de bonheur

Le contenu entre ces gifles ?
Un mot quelque peu poil à gratter
Une expression qui en dit plus en moins
Trois syllabes et deux voyelles
Ouvrez vos oreilles, murmurent-elles
Mais vous n’entendez que le vent
Qui gonfle les voiles de l’étonnement
Que va-t-il chercher là ?
La dévoration de l’insolite
L’obscure certitude de l’aventure
Dans ce noir absolu de l’entre deux
Comme un sandwich moelleux
Dont le contenu reste incertain
Pouah ! Sucré salé amer
Un éclair de l’autre monde
L’étincelle de la connaissance
Mais de quoi ?

La parenthèse est assassine
Mais cette vie entre deux
Est le réconfort des faibles
Choyez ces instants de lumière
Qui ne sont que des fantômes
Pour passer un moment
Face à face avec vous-même

© Loup Francart

12/08/2014

Evasion

Toujours cette image insolite
D’une pluie d’astres qui tombent
Au pied de Jézabel éperdue
Contemplant le cosmos endormi

Pourtant dehors tout est calme
Rien ne vient troubler la quiétude
Des nuits chaleureuses de l’été
Veillées par l’éclair des chauves-souris

Retour aux campagnes d’antan
Quand déjà le sel arasait la terre
Et lui donnait des neiges impérissables
Montre-nous ton visage, Toi, l’Eternel !

L’éléphant rose montre son nez
Eteignant l’incendie couvant
Dans la cour des idées neuves
Tel le serpent frêle et mirifique

Oui, aujourd’hui est un jour nouveau
Le rêve défie la morne réalité
Il entrouvre le voile de la nuit
Et conduit aux délires entraperçus

Plus rien ne m’empêchera
De contempler une fois encore
Cette terre d’un œil frais
Pour y percer le visible

Mais l’imprévision des possibilités
Ouvertes par les dés jetés
Empêche toute prédiction
Le monde va et vient, riant

Et l’homme jette le cri du néant
Aux chiens voraces de l’avenir
Il ne sait où il va, ni d’où il vient
Mais il poursuit sa route, sûr de lui

© Loup Francart