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04/06/2016

Renouveau

L’eau emplit les caniveaux
Puis, très vite, déborde ce niveau
S’enfile dans les caveaux
Enjambe les barreaux
Se transforme en bourreau

L’eau envahit les boqueteaux
S’enroule autour des roseaux
Grimpe aux jambes des puceaux
Jette un regard aux jouvenceaux
Et pépie sans cesse tel un moineau

L’enfant assis dans son vaisseau
Va de village en hameau
A l’imitation des chemineaux
Et rassemble son troupeau
Portant haut et fier son drapeau

L’eau est partout, dans ce tombeau
Le froid congèle même les bigorneaux
Y nagent encore quelques barbeaux
Et les cris effarouchés des damoiseaux
Proclame le jour du renouveau

©  Loup Francart

31/05/2016

Décision

L’indécision est une faille dans le roc.
Un coin s’enfonce et ouvre les lèvres
Qui s’entrebâillent et sourient devant le troc.
Être ou ne pas être donne la fièvre.

Comment te parer des meilleurs raisonnements ?
Es-tu de conviction ou d’humeur batailleuse ?
L’opinion est plus facile que l’argument,
Mais contraint à la défense laborieuse.

Seul devant tous, tu recherches le ralliement.
Ce n’est pas l’affrontement mais la caresse
De l’amitié qui penche vers la tendresse.

Alors tu pèses dans ton cœur, habilement,
L’impact et la vigueur de ta résolution
Et jettes au caniveau ton irrésolution.

©  Loup Francart

 

 

27/05/2016

Guerre des mots

Ahiyaoua ! Ahiyaoua !
Ils se défient en onomatopées
Les unes sont connues, tellement
Qu’il est vrai, elles ne sont plus entendues
D’autres sont des inventions
Germées tout droit de l’exaltation
En réplique à une interjection

L’enfance rêve de nouveaux mots
Pour paver la marche vers la gloire
Ils sortent du chapeau envoûté
En cris d’apprenti sorcier

Hikedonk, hikedonk, le héros
Courant aux bords de l’univers
S’en est allé et s’est perdu
Dans la mer des lettres
Un plouf retentissant, mais muet
Visible à mille lieux comme un feu

Aussi le plus souvent possible
Les apocopes deviennent légions
Ils colocent dans la bizarrerie
Tels les paons en majesté
Sous la surveillance des profs

L’acronyme fait la sourde oreille
Les garçons sont sensibles à la Nasa
Les filles se voient dans une belle auto
Mais tous devant le Manneken-Pis
sont mdr quoi qu’il arrive

Quant aux sigles, réservés aux adultes
Ils commencent à fleurir à la cité U
Ils s’épanouissent dans les NTIC
Et les BD regorgent de lettres sans suite
Que l’enfant attentif et studieux
Cherche en vain dans le dictionnaire

Oui, c’est la foire du trône des mots
Une gélatine odorante aux oreilles
Que l’on brasse à pleines mains
Et que l’on s’envoie à la figure
Pour le plus grand plaisir des sourds 

©  Loup Francart

21/05/2016

Le temps

Elle prit le temps d’avoir le temps
Ce ne fut pas sans peine ni courage
Elle avait tant de choses à faire, à dire
Et toujours elle n’avait pas le temps

Jamais elle n’aurait pu abandonner
Elle n’avait que deux mains et pieds
Ils étaient constamment en mouvement
Remuant jour et nuit, bien huilés

Etait-elle hagarde ou épuisée ?
Elle avait les paupières closes
Sans pleurs ni regard mêlés
Elle reposait à terre, en tas

Aurait-elle perdue la tête, cette enfant ?
Pourra-t-elle à nouveau s’adonner
A la souffrance du repos et de l’errance
Et se laisser glisser dans l’inconscience ?

Elle erre dans le désert de son esprit
N’y rencontre aucun être connu
Quelques cailloux et plantes sauvages
Pas une âme qui vive ou meurt

Dans ce refuge improvisé et stérile
Elle n’a rien à opposer au spleen
Qui l’a pris de vive force, sans un mot
Et projeté dans le vide sans parole

Ainsi elle perdit son temps
Pour prendre le temps
D’avoir le temps
Tant qu’il était encore temps

©  Loup Francart

18/05/2016

Vacances

Les vacances de l’enfance sont douces.
Elles exhalent le foin et les marais,
Ont la nostalgie du dictionnaire Larousse
Et des petites filles courant en mollets.

Nous avons tous rêvé de ces moments lointains
Où, ensemble, attablés dans la cuisine,
Nous attendions la sortie du four de ces pains
Que nous nous disputions avec nos cousines.

Souviens-toi de ces poulets hirsutes et mi-fous,
Poursuivis de bâtons maladroits mais mortels,
Puis déposés en trophée au pied de l’autel.

Et ces orages lointains de fin du mois d’août,
Quand nous nous réfugions dans les bras des parents,
D’où nous pouvions crier « j’ai pas peur », bravement…

L’enfance est belle parce que sans soucis.
Elle a l’arrière-goût des prunes cueillies sur l’arbre,
Des baignades défendues au retour transi
Et des adieux émus au mois de septembre.

Depuis, les cousins et cousines dispersés,
Nous avons vécu notre vie vaille que vaille,
Toujours en souvenance de ces jours d’été
Où nous étions indifféremment la marmaille…

©  Loup Francart

17/05/2016

Il est sorti de presse : Le souffle des jours

C'est un souffle léger qui ne décoiffe pas, mais qui fait frissonner l'âme et donne à chaque chose sa juste pesanteur.

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Le temps te presse… Et tu résistes
À l’appel de la fin des temps
Le temps te presse… Ne te presse pas...

Le poète n’est pas un être à part. Modestement, il dépeint ce qu’il ressent et tente de le partager avec les autres. Cet échange établit un pont entre deux êtres au-delà du langage rationnel. La poésie, ensorceleuse et généreuse, en est le véhicule, contraignant le poète à sortir de lui-même pour découvrir la vie, l’amour, la mort. Elle dévoile l’invisible qui se cache derrière le monde visible.

 200 pages
Prix du livre avec envoi par la poste compris : 15 €
A commander directement auprès de Loup Francart sur galavent@gmail.com

Il n'est pour l'instant pas diffusé dans le commerce, car il a été publié en autoédition.

Vous y retrouverez certains poèmes publiés dans ce blog. Alors... Bonne lecture...

13/05/2016

Délire

J’ai deux cornes, il en a trois
Qu’ai-je à faire de cet homme
Qui pirouette chaque jour
Au spectacle des éléphants

La nouvelle bohème arrive
Elle est pleine de sarcasmes
Et survole habilement les trous
Où s’épanchent les petits noirs

Partie un matin d’avril sans un fil
Elle découvrit son fils dans la rue
Pêchant une sardine aux pieds
Des touristes ébahis et gogos

Lui resta de marbre, solitaire
Pris dans la glaise chaude
Les mains ruisselantes de baisers
Et le cœur large comme un camion

Où donc courraient-ils tous deux ?
Restez avec nous pour rire encore
Des vers mirifiques mangés de papier
Qui tombent  des échafaudages

Nuit… La poubelle passe devant nous
Où va-t-elle donc, cette chérie ?
Court-elle après l’azur et la paille
Qui encombrent les pas de porte ?

Jour… L’orage est passé, vert
Comme le gnome du divan
Qui décide de rompre ses fiançailles
Et de boire la ciguë au goût de fraises

Midi… Rien ne nous oblige
A prédire la vertu et la pétulance
Court au plus profond de toi-même
Regarde l’obscure dans ton giron

Minuit… tout est là, immobile
Au sein de la ville perdue
Dans le grain de sable
Et l’immensité des tours

Le fini n’a plus la force
De saisir sa chance
L’infini est là, hirsute
Et prend la main

Le vide ne remplit pas les pleins
L’absence ne remplace pas la vie
Qui s’en va au creux de l’ignorance
Et poursuit sa quête fatale

Est-il possible qu’un plus un
Ne soit pas un résultat
Mais une question essentielle
Pour atteindre la connaissance ?

Je ne sais plus rien, ni le vent
Ni la mer, ni les verts pâturages
Mes yeux sont tombés, mûrs
A côté de mes chausses fermées

Merci mon Dieu pour cette détente
Qui ne signifie rien que la joie
De parler pour ne rien dire
Et de chanter l’ivresse du pouvoir

©  Loup Francart

09/05/2016

Domitille

Elle est vive comme une truite dans le ruisseau
Elle rit aux éclats ou s’affaisse en pleurant
Sa fossette vous fait du charme et vous étreint

Fraiche d’exaltation, elle vient vous embrasser
Le sourire aux lèvres et l’œil lumineux
Et sa joue fraîche rafraîchie votre inspiration

C’est Domitille, dont l’entrain vous submerge
Et dont le corps danse de mille feux endiablés
Dans un scintillement de paillettes dorées

L’ange au regard clair et joyeux, parfois buté,
Toujours prête à courir ou s’arrêter, méditative
Et vous dispenser une goutte de rosée telle une vérité

Domitille, c’est une source ardente et innocente
Qui vient poser son enfance contre votre cœur
Et vous dire son bonheur de vivre et d’aimer

©  Loup Francart

05/05/2016

Femmes

Ces êtres aux cheveux longs²
S’en vont dans les couloirs
A la recherche de l’âme sœur
Qui les contemplent, attendrie

Leurs ondulations sont l’expression
De la fatalité de leurs suggestions
Un monde de courbes doucereuses
Qui enlacent l’esprit et le déposent
Dans un berceau de roses

Alors elles ouvrent leurs mains
Et humectent leurs lèvres rouges
Encourageant la folie passagère
D’une caresse frissonnante
Qui fait tomber les apparences

Le feu brûle ces êtres
Dont les longs cheveux
T’emportent au paradis
Et te condamnent à l’oubli

 

 ² Rémy de Gourmont, « Les petits ennuis et les difficultés du démarquage », Epilogues 1895-1898.

©  Loup Francart

01/05/2016

Île de Ré

Île de Ré, île dorée, île leurrée
Chahutée par les vagues de l’opprobre
Elle valse entre ses rêves et dérive sans vergogne
Rien ne nous fera oublier ces étés mérités
Ni la raison ni le souvenir des coques s’entrechoquant
Ni même les cris des maraîchers sur les marchés
La marée monte et descend à satiété
Vous emprisonnant dans sa ronde infernale
Qui joue à cloche-pied entre le jour et la nuit
Terrassée de chaleur, elle agite ses pieds rocheux
Et les crabes divergent sur ses doigts de pied
Tel un doigt levé, son phare à la face rouge
Montre aux passants le lieu de trépas du soleil
 Et dans cette symphonie de la lumière et de l’eau
Nous contemplons émerveillés, la fin des temps
L’évanouissement des airs et des mers
Dans le trou blanc dévoilé par le doigt de Dieu
L’île ne s’empêtre pas des apparences
Elle fait peau neuve et se rit d’elle-même
La verdeur des rayons l’entoure d’une protection
Qui en fait un refuge qu’on ne peut signaler
Du haut du pont, on contemple ce nid
Dont on nous dit l’écrasement des jours d’été

©  Loup Francart

22/04/2016

Haïku

 

Le chameau a-t-il deux bosses
Ou le boss a-t-il un cerveau ?
La folie a bon dos...

16/04/2016

Mieux

C’est une journée heureuse et bien partie
Réveil sous le soleil de l’imagination
Petit déjeuner sans scrupule
Autour d’un président du pays
Dont la déroute s’avère complète
Ce qui ne l’empêche pas de pavoiser
Et d’oser dire que tout va mieux
A l’écouter, c’est le meilleur président
Depuis longtemps pour la France
Pauvre d’elle-même, cette patrie
Noyée dans un verbiage calamiteux
Accompagnée d’une horde de journalistes
Dont le seul effet est de brouiller
Les jeux enchevêtrés des uns et des autres
Ils sont agressifs avec tous
Mais gentils envers ceux qui les font vivre
Dans tous les cas, ils font semblant
D’être pugnaces avec tous sur tout
Où allons-nous ? Dieu seul le sait !
Et encore, je n’en suis pas sûr.
Le seul point de mire est l’an prochain
Après, peu importe. Battez-vous
Pour emporter la coupe de l’Élysée
Mais y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Nous devrions être écrasés au sol
Dans un amas de ferraille et de plastique
Et nos âmes tout à coup envolées
Iront pleurer dans les cieux effarés
La vie si belle ici-bas transformée
Tout va très bien, Madame la Marquise…

©  Loup Francart

11/04/2016

Trou noir

J’ai erré longtemps dans un vide collant
Je n’en sortais pas, attaché à mon personnage :
Que lui arrive-t-il, que devient-il ?
Les jours passèrent, lentement, rageusement
Je ne trouvais pas la sortie
J’ai tenté plusieurs fois diverses hypothèses :
Meurt-il maintenant ou plus tard ?
Part-il sous d’autres cieux ou d’autres temps ?
Je revenais au point de départ
Sans comprendre quels étaient les enjeux
Rien. Toujours rien.  Encore rien.
Puis un jour, le personnage prit la parole :
« Laisse-moi faire ! Je sais ce qu’il m’advint »
Alors, sans hésiter il s’empara de mes doigts
Les mit en mouvement au-dessus du clavier
Et écrivit sans réfléchir la fin de l’histoire
C’était bon de se laisser faire
Cela coulait de source, une vraie fontaine
L’eau débordait de ses conduits
Coulait à flots dans les vasques sèches
Et mouillait de larmes de bonheur
Mes joues enfiévrées et creuses
Je ne pouvais pas crier : « J’ai trouvé ! »
Il avait pris ma plume, guidé ma pensée
Soulagé ma tension, ouvert mes yeux
Désormais, je ne dirai plus « je »
Le récit s’impose parfois en dehors de soi
Il te précède dans l’obscurité froide
Et chauffe ton corps d’un doux élixir
Qui perce la lourdeur de l’inconnu
La route s’éclaire bien que tu ne saches pas
Où te conduit ta main
Mais qu’il est bon de se faire guider
Et d’arriver avec soulagement
A la fin de l’histoire et du cauchemar
Dans un ravissement porteur
Des plus belles promesses
Qu’un écrivain puisse rêver et vivre

©  Loup Francart

08/04/2016

Anniversaire de mariage

Ils s'assoient côte à côte, ensemble
Étroitement mêlés de corps et d'esprit
L'âme en paix, le cœur dilaté
Ils se sourient et s'envolent

Les souvenirs défilent dans le désordre
Mais toujours ils se revoient, si jeunes
Encore nourris de l'amour de leurs parents
Elle, en robe blanche, irréelle
Le regard illuminé et le visage étonné
Lui, si plein de désirs amoureux
Devant l'espace de leurs corps purs

Ensemble embrassant l'avenir
Et jetant leur cœur au-delà d'eux
Courant vers leur destin
Ils sautèrent à pieds joints
Sans parachute et hoquetèrent
Devant la tendresse de ce quotidien

Ils n'avaient que leurs mains
Pour caresser le déroulé des jours
Ils n'avaient que leurs lèvres
Pour deviner l'avenir
Ils n'avaient que leur corps
Pour occuper leur nuit

Aujourd'hui ils se souviennent encore
Et se regardent amoureusement
Leurs enfants ont leurs enfants
Ils sont à mi-chemin et en sont fiers
Ils peuvent également rêver
A un destin sans fin
Où leurs enfants deviendront parents

Pour les premiers, assis sur leur nuage
La piste s'ouvre vers l'infini
Elle reste si belle à deux
Qu'ils n'en voient pas la fin
Leurs lèvres se rapprochent
S'étreignent avec douceur
C'est si bon d'être ensemble
Et de vivre encore et toujours
A deux qui ne font qu'un

©  Loup Francart

03/04/2016

Toujours

Lorsque nous serons vieux, nous disions-nous
Et nous le sommes ou… presque…

Mais à nos yeux, nous avons encore vingt ans…

Tu restes ma fiancée éternelle
Celle qui m’accompagnera au-delà de la vie
Dans cet étrange univers rêvé
Où l’amour n’a plus de limites

Ta fragilité est devenue un lien
Les fils se sont bâties entre nous
Ils sont devenus lumineux, mais si fins
Qu’un jour l’un d’eux cédera

Celui qui restera traînera son amour
Comme une robe de mariée
Et ramassera la poussière des souvenirs
Qu’il dispersera aux quatre vents

L’autre l’appellera de toute éternité
Jusqu’au jour où viendra l’absent

Alors, nous deviendrons Un
Et ce Un sera l’Infini…

30/03/2016

Féminité

Je suis la femme fidèle et bienveillante
Les enfants m’entourent de leurs bras
Les hommes me serrent contre leur torse
L’oiseau vient picorer dans ma main
L’écureuil saute mon épaule et va

J’aime contempler l’innocence du monde
Éprouver la bruine sur mes paupières
Baigner mon corps à la fontaine
Réchauffer celui qui m’a donné sa vie
Et border les petits dans leur lit

Et quand vient l’heure de la mort
Je couvre de mon ombre leur souvenir
Et rend l’hommage affectueux et sincère
A ceux qui attendent pour partir
Qu’un baiser recueille leur dernier souffle

Oui, je suis la femme fidèle et affable
Je suis la caresse avenante et ferme
Je parcours l’univers éperdu et cruel
Et lui donne son attente persistante :
L’amour inépuisable de la féminité !

©  Loup Francart

29/03/2016

Liberté

Il partit un jour, droit devant. Nul ne pouvait l’en empêcher, même pas le seigneur du lieu. Il emportait un mouchoir qu’il avait noué sur un bâton. Il contenait ses trésors : une pipe, un paquet de tabac, un briquet, ses papiers, un livre, un seul. Il marchait vers l’ouest, vers cette mer dont il avait entendu parler. Il ne l’avait jamais vu : un ruban argenté qui bleuissait vers l’horizon. Certains s’y étaient noyés de curiosité. Ils avaient marché jusqu’à l’eau, puis avaient continué, sans se réveiller.

En marchant, il se souvenait. Ils étaient deux, lui et l’autre. Qui était-il ? Il ne sait. Ils s’étaient rencontrés un soir, marchant côte à côte dans une montée. Ils s’étaient échangé une cigarette, avaient parlé, s’étaient apprécié pour leur aptitude au silence. Ils ne s’étaient échangés que trois mots et il ne savait plus lesquels. Mais peu importe, ils marchaient côte à côte et cet effort commun les avait rapproché. Ils avaient dormi sur le bord du chemin, serrés l’un contre l’autre. La nuit est froide en altitude. Ils étaient repartis le lendemain et ne s’étaient plus quittés.

Le troisième jour, ils étaient proches du col. La liberté de l’autre côté. Ils avaient observé les mouvements des patrouilles. Une toutes les deux heures. Cela leur laissait le temps de passer. Ils avaient tenté leur chance, avaient coupé les barbelés, s’était engagé au-delà, dans cette campagne perdue qui leur offrait sa virginité. Un coup de feu ! Un seul. Le compagnon s’était écroulé. Mort sur le coup. Un regard terne, un sourire aux lèvres, le V de la victoire au bout des doigts. Il avait récupéré ses papiers et une lettre que l’homme portait sur lui. Il avait repris sa route, très vite, sans se retourner, après avoir glissé la lettre dans son mouchoir. Il s’était caché dans les fourrés, avait franchi la frontière par une vallée étroite et s’était retrouvé libre, mais seul.

Alors il avait ouvert la lettre. Elle était couverte d’une écriture étroite, les lettres entassées les unes sur les autres au point de se confondre. Le geste était délié, arrondi, poétique. Il finit par pouvoir lire :

Je te suis depuis des jours
Ta silhouette, mon guide
Me devance au carrefour
Et me fait apatride

Rien d’autre. Mais cela avait suffi à le motiver. Il avait marché des semaines, rompu avec la société, ne tendant que vers son but, l’océan. Il ne l’avait pas atteint. C’était son destin.

La liberté, c’est ne rien avoir pour être pleinement.
La liberté peut-elle se vivre seule ?

 

26/03/2016

Demain

La ville se prélassait derrière la vitre :
Des tours,  des barres, des hublots,
Des immeubles, des maisons, des taudis ;
Tout cela devant le moutonnement des nuages,
L’épaisse couche de ouate salie.
Elle le regardait, redevenue enfant,
Le visage détendu, le regard lavé,
L’inquiétude se lisait dans ses yeux
Mais le cœur restait calme et léger.
Elle mit son front dans le creux de l’épaule
Elle hoqueta une fois, doucement,
Pleine de sa sérénité royale,
Donnant le change, bonne comédienne,
Enfant jouant les adultes,
La tendresse au bout des doigts,
La pesanteur de son corps
Remplaçant sa liberté apprise.
Elle lui tendit ses lèvres, chaudes,
Ruisselantes de bonheur promis,
Lui caressa la joue, l’enveloppant
De fragrances pénétrantes.
Son souffle... comme un vent d’air frais
Sur la plaine ouverte devant eux.
Ils joignirent leurs aspirations,
S’enivrèrent l’un de l’autre,
Mêlant la source de leur être
Et se réfugièrent, enlacés
Là où plus rien n’existe,
Que la vie, indéfectible.

Demain sera un jour nouveau !

©  Loup Francart

22/03/2016

Noyade

Ouvre tes mains
Laisse-toi pénétrer de lumière
Lâche ta tension pesante
Cesse tes plaintes
Souris à la fourmi sur le gravier
Observe le plongeon de l’oiseau
Vers le moucheron suspendu
Écoute le bruit d’ailes
Des abeilles bourdonnantes
Vide ton cœur de ses trésors
Remplace-les par la résonance
Tremble devant l’inertie
Des hommes qui n’agissent pas
La parole est leur action
Elle est improductive
Sans odeur ni saveur
Elle harangue sans effet
Ils sont gonflés de mots
De verbes inoffensifs
De hurlements sauvages
Qui se retournent contre eux
Ils sont dans l’immédiat
Alors que l’expression
N’est que de longue portée
Claque les doigts
Marche avec tes pieds
Courent sur tes jambes
Foncent vers l’espoir
De tes remuements
Ne dis rien
Laisse-les parler
Remuer leurs lèvres desséchées
Garde ton cœur vierge
Sans une larme, sans un regard
Avance sur la scène de la vie
Ne regarde pas en arrière
Noie-toi dans l’absolu
Et prend ta jumelle
Pour contempler les mouches
Sur l’orange malmenée…

©  Loup Francart

19/03/2016

Etonnement

S’étonner, c’est toujours détonner
Tout dépend, bien sûr, du ton donné
Cela conduit à une franche adhésion
Ou peut provoquer une âcre division

Mais d’où naît cet éclair sagace ?
Pour certains c’est un trou noir fugace
Pour d’autres, un soleil jaillissant
Une explosion dans un silence angoissant

Et cet éblouissement soudain
Utilisé par d’inhabituels aigrefins
Devient un déclic judicieux

Il crée soudain un état d’objectivité
Fait naître l’étincelle de la créativité
Et ouvre un passage, sublime et malicieux

©  Loup Francart

15/03/2016

Nocturne

Le pied léger, elle courait dans la rue
Ce n’est pas qu’elle était pressée, non
Juste une envie de se défouler
Et d’exhiber ce corps, menu et flexible
Il était neuf heures, la nuit tombait
Les passants fuyaient le vent aigre
Le nez enfoui dans un foulard
Les mains de glace dans la poche
Ils virent passer l’orage. Nue
Elle courait sans contradicteurs
Peu pressée d’en finir, y prenant plaisir
Elle souriait aux étoiles qui ouvraient
Leurs froides et célestes rondeurs
Cours, cours, la belle, il le faut
Voici celui qui vient, l’enjôleur
Souple et ferme, il divague
Entre les pavés, il te remarque
La flèche blanche sur les portes
Les fils d’argent flottant au vent
Il est pris dans le filet pervers
Et se dresse derrière elle
Tendu comme un aimant
Ils courent ensemble sans savoir
Qui suit qui, qui est qui
Ce n’est plus qu’un seul corps
Qui se rejoint pour exister
Leurs ombres s’ajustent
Leurs regards se dédoublent
L’effort les revêt de rosées
Le souffle s’accélère

Soudain il aboie, une fois…
Il s’approche et lèche
Le poil hérissé. Tremblante
Elle se tourne vers lui
Et s’offre en pleine rue
Aux yeux des passants
Qui assistent, impuissants
A la danse de l’amour

©  Loup Francart

11/03/2016

Concert

Dans leur montée en intensité
Les sons pénètrent ton opacité
Transpercent l’apparence funeste
Et te conduisent au vide céleste

L’harmonie est fleuve, puis mer
Envahissant l’être et ses recoins amers
Emportant cœur et esprit en ballade
Te ceignant d’une aimable accolade

Viens à l’horizon, dit la mélodie
Viens danser sur la ligne hardie
Déploie tes ailes ankylosées
Et plane sans plus te reposer

Les sons huilés des violons
Enferment tes appréhensions
L’aigre discours de la clarinette
T’incline au repos dans la dunette

Le chant solitaire de la soprane
Te fait franchir la membrane
Qui contient ton être intérieur
Il te confie à l’auguste prieur

La porte est franchie sans peur
Vient l’intense moment de stupeur
Quand l’œil vacille et plonge
Dans les eaux translucides des songes

©  Loup Francart

07/03/2016

Numériser

Je numérise
Tu numérises…
Quelle menue risée !

C'est un haïku !
Certes, il manque d'élégance
Est-il possible de s’esbaudir
D’un vilain jeu de mots
Prolongé en mauvais jeu de mains

Mais où en est-on ?

Le chameau a-t-il trois bosses
Ou le boss a-t-il un cerveau ?

Qui tire les vers à la ligne
Et quel poisson d’avril
Les rend rectiligne ?

C’est bien ainsi le délire !

©  Loup Francart

03/03/2016

Aspiration

Quel est ce feu bouillonnant
Qui monte de tes entrailles
Tel le trop-plein d’un volcan
Déversé en pluie de mitraille

A peine sorti de la nuit sans fond
Il t’entraîne dans sa danse
T’étourdit, te promène sur le pont
T’étreint et sans cesse te relance

Pourquoi cette aspiration vers le large
Sans lieu ni durée, qui t’entraîne
Vers cette promenade inhumaine

Tu te tiens, de toi-même, à la marge
Et tu contemples ce double, hagard
Qui t’emporte, sans aucun égard

©  Loup Francart

28/02/2016

Firmament

Dans le vert firmament
Au pied des monts feuillus
Court la belle salamandre
Qui étincelle sous la lune

Rien ne trouble la quiétude
De cette nuit maigre et froide
Qui récite ses salamalecs
Au son de l’eau qui passe

Trois heures, bien sûr
L’heure de la renaissance
De l’ouverture à l’autre monde
Un écart et tu tombes
De Charybde en Scylla
Les genoux couronnés
Les larmes aux yeux vaillants
Le corps tremblant de caresses
Entre les mains de la nuit

Le voici le trou sans fin
Il avance à grands pas
T’envole, te prend, te vide
Tu n’es plus toi, tu n’es plus moi
Rien que ce gouffre ouvert
Qui te regarde, attendri
Et t’appelle de sa voix douce

Viens, viens dans ma moiteur
Couvre-moi de baisers
Ensevelie-moi dans l’ombre
De mon innocence perdue

Alors tu te laisses tenter
Tu ouvres cet élan sincère
Qui te fera dire ensuite
J’étais mort et je vivais…
Je suis vivant et la vie s’en va…

©  Loup Francart

25/02/2016

Impression

L’amitié tient à peu de chose
Une rencontre… Une parole… Un regard…
Parfois même, une plaisanterie…
Juste un signal de reconnaissance

L’amour tient-il à plus ?
Un doigt effleuré sans penser à mal
Un parfum qui tressaille dans le corps
Le frisson d’une chevelure sur la peau

L’indifférence existe-t-elle sous le soleil ?
Une ombre incertaine sous un réverbère
Le dépit d’un alcool sans arôme
L’attente, tous, dans le métro

Le mépris est-il naturel ?
Une main sur l’épaule d’une autre
Un rire plus puissant que nature
Un contentement dans la voix

Dieu que ces petits riens
Façonnent un avenir incertain
Et répandent sur une vie sans faste
Un onguent mirifique ou néfaste

©  Loup Francart

22/02/2016

La vente de livres

Que les livres s’étonnent
D’être ainsi rassemblés.
Même si aucun de détonne,
Pourquoi les vouloir mêler ?

Ils sont dans leurs cagots,
Au garde-à-vous des vaincus,
Sur la tranche, l’air vieillots,
A l’inventaire des invendus.

La couleur ne manque pas ;
Ils se repoussent bigarrés.
C’est leur manière d’élever la voix
Et de se désolidariser.

Les auteurs s’égrainent.
Inconscients, ils flottent devant vos yeux.
Chateaubriand côtoie Verlaine,
Hugo devient plus soyeux.

Les titres divaguent à pleins poumons.
Ils crient la chaleur du soir,
Les après-midis sans fond,
Les blancs matins d'espoir.

Seuls les éditeurs sont sans rébellion.
Ils s’alignent sagement, heureux
De figurer en couverture,
Même en bas, comme des peureux.

Derrière, à voix basse, fusent les éloges.
C’est si dithyrambique, que le silence règne.
Oui, c’est un bien triste épilogue
Que de finir en telle enseigne.

Pourtant, ce soir, à la veillée,
Vous ouvrirez l’un d’eux
Et du bon temps vous passerez
Pour oublier ce jour cafardeux.

©  Loup Francart

14/02/2016

Sous la lame

Sous la lame ronde du vent et de l’eau
Je glisse sur la planche en déhanché
Tel un fil dans le trou d’une aiguille
Qui ressort au bout de ce déroulé

Environné de gouttes et de paillettes
Mon esprit s’enchante de ce bain forcé
Qui nettoie la rouille de l’inertie
Et conduit heureusement  au bonheur

C’est vrai, la rosée n’est plus ce qu’elle était
Elle ouvre son parapluie et coule des jours heureux
Pendant que tu vis, petitement, en solitaire

Repu, tu cours sous la pluie froide
Et te laisses pénétrer des glaçons coupants…
Adieu. Le pôle m’attend, au centre de la croix…

©  Loup Francart

10/02/2016

Beauté

La beauté peut être tendresse
Comme le cou d’un enfant qui vous presse
Et s’endort sans pudeur dans vos bras
Pour encore dire son amour sans embarras

La beauté peut être innocence
Elle va pieds nus sur le sable des sens
Et éveille en vous l’effervescence fatale
Qu’éprouve le marin avant chaque escale

La beauté peut être frivole
Comme la femme avide qui se pose en symbole
Et va au-devant de la gente masculine
Revêtue du mouvement de ses crinolines

La beauté peut être profondeur
Elle vous suit de ses yeux enchanteurs
Et le brouillard divin de son regard offert
Ouvre en votre âme la porte de l’univers

La beauté peut être harmonie
Tel un château fantôme à l’ordre établi
Par la symétrie des sons, des lignes et des couleurs
Qui vous revêt soudain d’une insolite splendeur

La beauté peut être magicienne
Elle vous berce de surprises quotidiennes
Vous retourne d’un doigt habile
Et fait de vous un être étonné et immobile

La beauté peut être légèreté
Et seule vous conduire vers la pureté
Que vous respirez en coup de vent
Et qui vous détourne de vos serments

La beauté peut être vide
Elle installe en vous un poids avide
Et vous conduit dans les affres de l’absence
A la révélation de votre quintessence

La beauté c’est ce rien
Qui, par son parcours aérien
Vous conduit au plus que le tout
Là où l’humain se dissout

©  Loup Francart

06/02/2016

Suis-je réel ?

Suis-je réel ?

Cela vous arrive-t-il de vous demander
Si vous-même n’êtes qu’une seule conscience
Sans limitation ni précise consistance
Errant dans un univers sans finalité

Ou encore, avez-vous imaginé
Que ce que vous voyez est bien réel
Mais que votre personne, elle
N’est qu’une idée effleurant la vérité

Pire encore, ces deux chimères
Se côtoient-elles dans la danse charnelle
Tel un sucre dans la boisson mortelle
Qui refroidit au fond d’une théière ?

Peut-être êtes-vous le non-être
Face à l’autre si plein de volonté
Ou cet autre est-il vierge de réalité
Une amibe transparente dans l’éther ?

Qu’importe ! Vous pouvez être seul
A vous heurter à la matière persistante
Ou, parmi la multitude chatoyante
N’avoir jamais été de chair et de gueule

Votre seule conviction, si floue
Est cette lumière, une petite fenêtre
Qui flotte autour de votre être
Et fait de vous l’unique dans le tout

©  Loup Francart