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30/11/2018

Nombres (3/3)

D’autres jeux de cache-cache existent et existeront
C’est ainsi qu’on inventa les pourcentages
Cela permit de renforcer les impressions
Et de mesurer les différences entre les produits
Quel pourcentage entre les nombres de bergères et de moutons ?
Quel pourcentage de taille entre la puce et l’éléphant ?
Ce comptage devint un changement d’horizon
Des plaines on passait aux montagnes
Les différences s’accentuèrent selon les administrés
Et l’on visait bien sûr les plus hauts ou les plus bas
Les moutons regardaient au plus terre à terre
Les jeunes bergères levaient les yeux aux cieux
Les uns restaient périssables pour le bien de l’homme
Les autres exaltaient le bonheur d’être humain

Puis, de bataille on passa à la guerre
Elle dure toujours. Le pourcentage en devint le nerf
On spécula sur la différence entre deux pourcentages
Non sur la réalité de l’évolution des sujets ou objets réels
Cela renforça le pouvoir des politiques
Commodément, ils avaient découvert la tromperie :
Passer de cinq pour cent à dix pour cent
N’est qu’une augmentation de 5 points de pourcentage
C’est une façon très utile pour ne pas dévoiler
Le doublement des impôts et des taxes

Mais on n’en resta pas là dans la duperie
On inventa l’analogique et le numérique
L’analogique reproduit les variations au plus près
Et reste le plus fidèle à l’état du sujet
Le numérique transforme le signal
En une suite de zéro et de un, soit deux amplitudes
Au lieu d’une multitude dans l’analogique
Le premier représente la danseuse idéalisée
L’image dans la tête du sculpteur
Le second n’est que l’essence du mouvement
Succession de sauts entre ciel et terre

Bon, on arrête ! Il n’y a ni moutons ni bergères
Il n’y a que des êtres diaphanes
Errant dans les mondes des nombres
Auquel s’ajoutent maintenant des lettres
Qui représentent des nombres
C’est l’invasion ! Sauve qui peut
Les migrants sont là, ils avancent
Les mots étouffent et la poésie s’effondre
Le numérique nous étrangle
Mayday… Mayday… Mayday…

©  Loup Francart

29/11/2018

Nombres (2/3)

Pythagore, un petit malin, découvrit les nombres irrationnels
On ne peut les écrire sous forme d’une fraction :
La diagonale d’un carré n’est pas exprimable
En un nombre rationnel qu’il soit entier ou fractionnaire
Tel est le nombre Pi, illimité en décimales
Serait-ce un nombre fini qui s’exprime en infini ?
Archimède en montra la transcendance
C’est un nombre non algébrique et non constructible
Pi serait-il un nombre univers, c’est-à-dire un nombre réel
Contenant n'importe quelle succession de chiffres de longueur finie ?
Si la bibliothèque de Jorge Luis Borges était de chiffres
Il en remplirait sans aucun doute la totalité, et même plus

Mais heureusement on s’aperçut qu’il n’était pas seul
On aurait pu penser que la transcendance est Une
(Au même titre que Dieu en tant qu’indénombrable)
Eh bien non ! Le nombre d’Euler, découvert bien plus tard
Est noté e, nombre dont le logarithme est l’unité
Il est irrationnel et transcendant
Et c’est un nombre réel et normal
Avouons que là moutons et bergères
Sont singulièrement coupés de la réalité
Jusqu’au moindre poil ou cheveux
Dommage, on aime bien les nombres de tous les jours !
Enfin on appela, parce qu’il faut bien les nommer
Les ensembles précédents des nombres réels
Soit le total de ces nombres, avec  ou sans virgule
Positifs ou négatifs, qu’ils soient rationnels ou non
Le nombre réel est un nombre représenté
Par une partie entière et une liste finie ou infinie de décimales
Les moutons en gains ou en pertes
Les bergères qu’elles soient vierges ou déjà femmes
les deux, même morts et coupés en morceaux
Font partie de cette foule infinie des nombres

Aurait-on fini cette énumération des types de nombres
Qui sont bien réels et manipulables ?
Au fond, y a-t-il des nombres non réels
Des nombres à part entière qui tirent leur existence
De la pensée sans réalité palpable ?
Eh bien oui ! Ce sont les nombres imaginaires
Et, encore, les nombres complexes
Une famille qui s’agrandit presque chaque jour
Les moutons créent des agneaux
Et les bergères deviennent mères de famille
Les prénoms y sont bizarres :
Quaternions, octavions, sédénions
Et même cyclotomiques
Mais là, ne m’en demandez pas trop
Mon imagination ne va pas jusque là
Car la complexité devient virtuelle

28/11/2018

Nombres (1/3)

L'homme, dans sa maison, n'habite pas l'escalier, mais il s'en sert pour monter et pénétrer partout ; ainsi l'esprit humain ne séjourne pas dans les nombres, mais il arrive par eux à la science et à tous les arts. (Comte de Rivarol)

 

De nos jours, tout se fait avec des nombres
Le mot n’est rien, il est fait de lettres
Et les lettres ne sont que des sons
Certes, les chiffres sont parfois écrits en lettres
Et ne constituent qu’un élément d’écriture    
Mais le chiffre est aussi un signe
Qui sert à l’écriture d’un nombre
Une lettre n’a pas de sens en soi
Tandis que le nombre engage qui l’utilise
Et peut le précipiter dans le tout ou le rien
Le chiffre a un poids que la lettre n’a pas

Auparavant la famille des nombres était simple
De zéro à neuf, puis mélange cousins cousines
On comptait les moutons avant de dormir
Et les jeunes bergères croisées dans la journée
Il suffisait de savoir compter pour vivre bien
La famille des nombres entiers naturels
Ce sont les nombres de tous les jours qui servent à compter.
Ils pèsent plus ou moins lourds et sont toujours positifs

Mais un jour la tartine tomba à l’envers
Dévoilant les cuisses de dame numéro
Alors on compara les nombres entre eux
Certains en sortirent gonflés d’orgueil
D’autres se tournèrent vers la pauvreté
Et descendirent aux enfers
De plus, il arrive qu’il y ait des pertes
Les moutons se font manger par les loups
Les bergères perdent leur virginité
Alors, d’un coup de doigt, on conçut le moins
Les nombres pouvaient devenir négatifs
On comptait à l’envers et ce fut l’enfer
Il y eut ainsi les nombres entiers négatifs
On les plaça aux côtés des nombres positifs
Créant ainsi les nombres entiers relatifs

Mais on prit conscience, en toute innocence
Que si l’on multiplie deux nombres entiers
On obtient en toute logique un autre nombre entier
Alors que si on le divise peut surgir une fraction
Le nombre ainsi trouvé devient fractionnaire
Pourquoi l’appelle-t-on couramment nombre rationnel
Alors qu’il peut être totalement irrationnel :
La moitié de cinq jeunes bergères ne peut être deux et demie
Il faudra en ajouter ou en retrancher une
Si belle ou si riche soit-elle, dans l’une ou l’autre union

 

27/11/2018

Ephistole Tecque (20)

Il haletait étrangement dans son lit, brassant l'air de ses deux bras libérés des couvertures, cherchant désespérément son souffle, cherchant vainement à sortir de cet incompréhensible enroulement du temps qui semblait ne plus vouloir aller au-delà du geste vers la fenêtre, au-delà du contact de sa poignée elliptique, comme s'il venait buter contre un obstacle et était renvoyé en arrière avant de pouvoir reprendre son déroulement normal et venir à nouveau buter contre cet obstacle. Ephistole Tecque suffoquait et tentait de sortir de cette angoisse cotonneuse qui l'étouffait peu à peu, lui permettant pendant une fraction de seconde de reprendre son souffle avant de replonger dans les déferlements de l'éternité.

Il faut que je ferme cette fenêtre ! Il faut que je ferme cette fenêtre ! se répétait-il sans cesse, se raccrochant à cette unique pensée qui paraissait pouvoir l'empêcher de sombrer complètement dans cet arrêt infernal de la temporalité, dans ce tourbillonnement invraisemblable qui l'engloutissait lentement, éteignant en lui toute capacité de faire un geste et même toute volonté de commander à son corps un mouvement quelconque qui fut ordonné en vue de l'action bien précise d'ouvrir la fenêtre.

Il n'aurait su dire combien de temps dura cet étrange débat qui devint une véritable lutte contre la congélation consciente du corps et de l'esprit. Était-il condamné à faire ces mêmes mouvements pendant des heures, des années, peut-être pendant l'éternité ? Il pensa à ces esclaves qu'on enfermait à l'intérieur d'une roue munie de barreaux et qui devaient marcher sans arrêt pour la faire tourner et alimenter en eau les jardins du maître. Il pensa à Sisyphe condamné au même geste, au même effort infernal. Il vit aussi ces abeilles qui pendant la durée de leur courte vie accomplissent le même trajet entre les fleurs et la ruche pour alimenter leur reine. Il aperçut encore les coolies chinois transportant inlassablement, dans un grouillement inextricable, mais ordonné, des pierres dans un panier fixé sur leur dos pour bâtir cet immense édifice, ce long serpent d'architecture guerrière cheminant à travers la montagne qu'est la muraille de Chine. Cet ouvrier aussi qu'il allait voir parfois dans les vastes bâtiments situés au-delà de la cour de l'usine, lui apparut, accomplissant inlassablement le même geste réglé mathématiquement : lever une poignée, glisser une pièce de métal sur la forme de la machine, abaisser la grille, appuyer sur la poignée et la relever quelques instants après pour recommencer, avec la même patience, le même dégoût, la même obscure volonté pendant des heures, pendant des jours, jusqu'à celui tant mérité du repos.

26/11/2018

Métamorphose

Il vécut comme il mourut, prestement
En étoile filante, comme un souffle silencieux

Dieu, que d’arrogance dans cet entrefilet
Où l’homme devient singe hirsute
Baillant aux corneilles étonnées
L'histoire d’une femme délaissée

Quelle pitié que cette jeunesse enfermée
Dans un corps sans contour ni forme
L’homme saisit un bout de chair
Tâta prestement du doigt son élasticité

Puis, délaissant la fraîcheur odorante
Se tourna vers l’ombre vivifiante
Où donc vas-tu aller, toi l’autocrate
Aux poils longs et vigoureux ?

Rien ne va plus ! La mort entre
Pliée en deux, le regard avide
Elle ne dit mot, mais d’un doigt
Ouvrit le cœur de l’homme ébahi

Un filet d’air se glissa dans la fente
Ouvrant sur une couleur inédite
Le pincrol, mélange surchargé
Qui fait pleurer les yeux fatigués

Le sang gicla comme une fontaine
Mais la couleur âcre et inodore
Étalait la tache sur son corps
Et l’emplissait de dédicaces

L’être allait et venait en lui
Sans jamais s’écarter du sujet
Proche de l’impossible vengeance
Prononçant trop tôt le mot fin

Sous la lampe blafarde
Sous l’ombre vivifiante
Devant cette statue irradiante
Il perdit pied et ouvrit les mains

Plus rien ne va dans sa tête
Enveloppé de contentement
Il regarde le ciel, bouche ouverte
Et pousse le seul cri qui soit possible

« Dieu, rejoins-moi, soutiens-moi
Berce-moi, embrasse-moi
Et rend ce passage insensible
Me voici, plus vivant que jamais »

 ©  Loup Francart

25/11/2018

Un clin d'oeil sur la 5ème de Beethoven

Un clin d'oeil sur la 5ème de Beethoven :

https://www.youtube.com/watch?v=vcBn04IyELc


N'est-ce pas une idée désopilante !

 

24/11/2018

Changement

 

Il est vain de vouloir changer les choses, car l’homme a horreur du changement. Transformer le monde progressivement sans que les gens en prennent conscience et sans que cette transformation leur semble venir de lui.

 

23/11/2018

Ephistole Tecque (19)

C'est la pluie qui m'a réveillé, pensa-t-il. Elle m'a fait rêver qu'il pleuvait, que j'avais froid et qu'il fallait fermer la fenêtre. Il faut fermer la fenêtre, mais comme il fait froid !

Il avait froid, très froid, ses pieds lui parurent glacés au toucher. Il eut conscience qu'il fallait sortir de cette zone tiède que formait encore le lit pour se plonger dans l'obscurité glacée, mais il pensa qu'il était préférable de fermer la fenêtre plutôt que d'attendre qu'il fasse encore plus froid. Il écarta donc les couvertures d'un bras, s'incurvant légèrement sur lui-même pour extraire du lit ses deux jambes et prolongeant ce mouvement d’incurvation horizontal en flexion verticale du rein, se mit à quatre pattes pour marcher vers l'extrémité droite du lit, située à côté de l'armoire à glace qu'il lui fallut enjamber après avoir posé les pieds sur le plancher glacial parce qu'il avait la veille oublié d'en fermer le tiroir d'en bas. Deux pas après le pas plus ample de l'enjambement, il allongea le bras droit, cherchant le contact du métal de la poignée qu'il trouva instantanément. Mais à peine allait-il la tourner qu'un vide étrange l'étreignit et qu'il prit dans son lit, entre les couvertures, conscience qu'il pleuvait au dehors et que le froid avait pénétré dans la pièce.

Alors Ephistole eut peur. Il avait rêvé et crut être éveillé, et il était maintenant éveillé par le froid qui avait pénétré jusqu'à son corps à travers les couches successives qui le recouvraient, c'est-à-dire le mince drap de toile, les deux couvertures de laine blanche et l'épais couvre-lit en tissu écossais à prédominance rouge. Il entendait la pluie tomber sur la verrière et il avait froid, surtout aux pieds. Il fallait fermer la fenêtre et retrouver le sommeil dans la chaleur et le silence. Écartant les couvertures et voussant fortement le rein, il réussit à extraire ses deux jambes et se mit à quatre pattes progressant ainsi jusqu'à hauteur du pied droit du lit pour finalement poser ses deux pieds sur le plancher dont la cire semblait congelée. Grâce à l'habitude qu'il avait d'évoluer dans sa chambre, ce lui fut un jeu d'enfant d'enjamber le tiroir de l'armoire à glace, de prolonger cet enjambement par deux pas jusqu'à trouver du bout des doigts la poignée métallique de la fenêtre. Une incroyable angoisse s'empara alors d'Ephistole quand il eut conscience d'avoir encore rêvé, de ne pas être réveillé.

22/11/2018

Un instant

Instant subtil et fragile
Que ce passage du brouhaha
Au silence intérieur

C’est un flash de compréhension
Inaccessible au moi
Qui tourne dans la tête
Comme une lune indestructible

Certes il a ce désir tendre
Du silence indéfinissable
Mais celui-ci ne vient qu’à son heure
Espérée, sans qu’on la choisisse

Il regarde en lui
Il s’efforce de nager à contre-courant
Il tente de bloquer
Cet être qui le domine

D’un coup les défenses tombent
Décollage imperceptible
Les roues quittent le sol
Il largue ce moi encombrant

État d’apesanteur, consolant
Des efforts entrepris vainement
Il passe à travers lui
Et ne rencontre rien

Mais ce rien devient tout
Et même plus encore :
Un matelas d’air frais
Qui porte l’espérance

Le noir de la conscience
Devient l’éclair de la lumière
Un flash intérieur qui survient
Sans que l’on puisse le prédire

Son carburant est l’absence
Devenue présence inconnue
A conserver les mains en coupe
Sans le moindre courant d’air

Il vole dans un azur infini
Franchit les collines
Atteint ce lieu indéfini
Qui s’ouvre sur le néant

Et ce néant devient le tout
Qui pénètre le cœur
Et rend la transparence
A ce moi qui n’est plus

Il est
En pleine conscience
Hors de toute connaissance
En plénitude du soi

©  Loup Francart

21/11/2018

Contact avec l'autre

 

L’amour est le seul contact véritable avec les autres :
osmose des âmes
et non superposition temporaire.

 

20/11/2018

Le plaisr d'essence

Publié le par

 

Dans ce monde de brut,
de moins en moins raffiné,
nous passons Leclerc de notre temps
à faire l’Esso sur des routes, pour,
au Total, quel Mobil ?
On se plaint d’être à sec,
tandis que le moteur économique,
en ce temps peu ordinaire,
est au bord de l’explosion,
dans un avenir qui semble citerne.
Il conviendrait de rester sur sa réserve,
voire, jauger de l’indécence de ces bouchons
qu’on pousse un peu trop loin.
Il y a des coups de pompes
ou des coûts de pompes
qui se perdent…


La vérité de tout cela sortira-t-elle du puits de pétrole ?
Qu’en pensent nos huiles ?
Peut-on choisir entre L’éthanol et l’État nul,
voilà qui est super inquiétant !
C’est en dégainant le pistolet de la pompe
qu’on prend un fameux coup de fusil.
Je vous laisse réfléchir sur cet axe-là ou sur ces taxes-là...
Bonne route à tous !

19/11/2018

Ephistole Tecque (18)

Ephistole dormit une heure ou deux, presque profondément, étreignant de ses bras pliés un des coins de son oreiller, la tête légèrement enfoncée au-dessous comme pour se protéger des bruits extérieurs. Mais cette position ne l'empêcha pas d'entendre tomber la pluie qui se précipitait sur la verrière installée sous sa fenêtre pour abriter le tas de charbon de madame Irmide, avec un bruit de roulement de tambour dont les baguettes auraient cependant été entourées de chiffons. Depuis quand la pluie tombait-elle ? Il ne savait pas exactement. Il avait rêvé que cette cour, minuscule puisqu'elle ne faisait que cinq mètres sur quatre, était l'objet de terrassements compliqués afin d'édifier un nouvel immeuble, plus impressionnant et grandiose que celui dans lequel se trouvait son lit, puisque ce dernier aurait servi de cour à l'édifice en construction. Il avait vu les plans et en avait conçu une sorte d'étouffement qui l'avait réveillé avec le bruit des marteaux-piqueurs. Il hésita un moment dans la chaleur de son lit à se lever pour fermer la fenêtre, car il craignait que la pluie ne coule à l'intérieur et n'inonde la chambre. Mais comme ce n'était jamais arrivé, même au cours d'une journée particulièrement pluvieuse, il se dit qu'il pouvait rester au chaud et cultiver à nouveau la recherche du sommeil. Celui-ci vint à nouveau, un peu agité, distrait, car la pièce avait été refroidie par l'air frais entrant par la fenêtre entrouverte et le corps d'Ephistole s'était recroquevillé sur lui-même, les jambes se rassemblant à hauteur des genoux à proximité de la poitrine, les deux bras encerclant soigneusement le nid de chaleur moite existant à hauteur du ventre.

Alors vint l'enroulement. Ephistole n'aurait su dire s'il rêvait qu'il était éveillé ou s'il était véritablement éveillé. Il avait froid, très froid. Ses pieds lui parurent glacés au toucher, comme s'il avait pris dans ses mains un de ces animaux à sang froid qui provoquent toujours un sentiment incontrôlable de dégoût. Il eut conscience qu'il devait fermer la fenêtre, car c'était elle qui était la cause de ce froid insupportable. Mais il fallait sortir de cette zone tiède que formait encore le lit pour se plonger dans l'obscurité glacée qu'il envisageait à travers les couvertures. Après réflexion, il préféra fermer la fenêtre et se réchauffer au radiateur plutôt que d'attendre qu'il fasse encore plus froid. Il écarta les couvertures d'un bras, s'incurvant légèrement sur lui-même pour extraire du lit la jambe gauche, puis la droite presque en même temps d'un même mouvement prolongé et redressa le buste jusqu'à être assis sur le lit, puis aussitôt après à quatre pattes, marchant vers le pied du lit ou plutôt l'extrémité du côté droit. Il lui fallut encore poser les pieds par terre, sur le plancher rugueux dont le contact glacé après la tiédeur des draps lui parut insupportable, allonger le bras droit dans l'obscurité jusqu'à toucher un des côtés de l'armoire à glace devant laquelle il avait l'habitude de se raser le matin et enjamber le rebord du lit parce qu'il avait oublié de repousser le tiroir du bas. Deux pas encore et tendant les bras, il chercha le contact du métal de la poignée, légèrement différent de celui du verre, d'un froid plus métallique et aigre que le froid lisse et mat de la vitre. Il tenait la poignée et allait la tournait pour ouvrir le battant fermé, puis le rabattre à nouveau en l'imbriquant dans celui qui était resté ouvert, quand il eut soudain l'étrange impression de ne plus rien tenir, d'étreindre le vide, et l'instant suivant, conscience d'être dans son lit, conscience de la pluie qui tombait sur la verrière comme un roulement de tambour atténué.

18/11/2018

La cave

L’agent du sous-sol, un homme épais à l’haleine peu fraîche, l’attendait en bas des escaliers. Elle n’avait que onze ans, une figure ronde et joyeuse, un sourire aux lèvres. Mais ce matin, elle avait peur. De quoi ? Elle ne savait. Peut-être le froid qui l’avait prise en descendant les marches ou encore en raison de la mission qu’elle venait de recevoir : chercher une bouteille de vin à la cave. Elle était pourtant déjà descendue, le plus souvent accompagnée, parfois uniquement de sa petite sœur, Emilie. Elle lui tenait la main et lui disait : « N’aie pas peur. C’est là, en bas, à droite. On ouvre la porte, on tend la main, on prend le goulot d’une bouteille et on tire en prenant garde de ne pas en faire tomber d’autres. » Aujourd’hui, elle était seule. Elle avait été moquée par son père qui avait dit au reste de la famille : « Laissez-la faire. Elle doit maintenant se débrouiller seule ! » Alors, pour ne pas paraître peureuse, elle avait regardé sa maman qui avait souri et avait ouvert la porte de la cave. Elle ne savait pas qu’il y avait un employé qui y travaillait. Personne ne l’avait prévenue. La lumière était insuffisante et l’homme se reposait, assis sur des sacs vides. Lui aussi fut surpris d’entendre quelqu’un descendre. Juste de petits pas discrets et incertains. Elle s’accrochait à la rampe froide, tâta quelque chose de gluant, poussa un petit cri en s’arrêtant, puis se rappela que les toiles d’araignée encombraient la descente. Elle se força à poursuivre, essuyant sa main gauche dans son tablier, et s’obligea, tremblante, à avancer une jambe sur le vide, pliant l’autre jusqu’à ce qu’elle touche la marche inférieure. Cela lui parut long, interminable et elle vit l’homme bouger. Elle poussa un cri, sentit ses jambes se dérober sous elle et tomba mollement sur le sol de terre. Elle était arrivée en bas. Elle vit l’homme se pencher vers elle, sentit ses mains la prendre par les épaules et les jambes et la déposer sur les sacs. Ils sentaient la carotte, une odeur doucereuse et persistante qui lui redonna confiance. Elle ouvrit les yeux et le regarda.

– Que faites-vous là ? Qui êtes-vous ? osa-t-elle lui demander, tremblante de peur.

– Je travaille à la réparation de la cave d’à côté. Le mur entre les deux maisons s’est écroulé, il le refaire.

En effet, un trou béant se remarquait au fond de la pièce, laissant passer la lueur des ampoules de la pièce à côté.

– C’était donc çà, le bruit que j’ai entendu au milieu de la nuit dernière.

– Tiens, regarde, tu saignes !

Effectivement, Olga s’était écorchée le genou en tombant. L’homme sortit un mouchoir de sa poche et tamponna avec douceur la partie ensanglantée de sa jambe.

– As-tu mal ? lui demanda-t-il.

– Ça pique un peu. Des larmes perlaient maintenant de ses yeux. L’homme écarta un bras et la coinça contre son buste, l’entourant de ses bras. Elle se sentit bien.

–  Mais que viens-tu faire à la cave ?

– Je venais chercher une bouteille de vin.

–  Toute seule ?

– Oui, mon papa veut que je sache me débrouiller toute seule, sans avoir peur.

– Et pour cela il t’envoie dans le noir pour te guérir de ta peur ?

– Oui. Il dit que je finirai par avoir l’habitude de ne plus avoir peur.

– Et c’est le cas ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas, c’est la première fois que je le fais.

– Et tu n’as pas eu peur lorsque tu m’as vu ?

– Si, un peu, mais il était trop tard. La porte était déjà fermée là-haut. Alors il fallait faire face.

Et maintenant, as-tu peur ?

– Oui, encore un peu. Je ne vous connais pas et c’est la première fois que je vous vois. Mais en même temps, je me sens bien. Je suis protégée.

– Viens voir de l’autre côté.

Elle avança vers le trou se sentant attiré vers la lueur dorée qui luisait au-delà. L’homme l’accompagnait, la main sur son épaule, une main rassurante qui la poussait quelque peu. Elle entra dans une vaste pièce éclairée par d’immenses lustres qui diffusaient une lumière irréelle, trop artificielle. Rien, il n’y avait rien, même pas une porte. Elle se tourna vers lui sans comprendre. Il mit son doigt sur ses lèvres et lui fit signe d’avancer. La lumière changea, devint plus diaphane et des étoiles apparurent quand elle leva les yeux. C’est vrai, il n’y avait rien, mais qu’elle était bien. Une douce tiédeur l’entourait. Elle fit un pas, puis deux, seule, puis courut, tendant les bras pour s’appuyer sur quelque chose. Elle poussa un petit cri de joie, puis se tourna vers l’homme. Mais il n’y avait plus personne. Elle était seule, seule avec elle-même, et se sentait bien. Elle courut encore et sentit le sol rebondir sous ses pieds. Elle courait sans effort. Elle s’arrêta, s’assit sur le sol, se sentit lasse et finit par s’endormir.

Elle se réveilla dans le salon de sa maison, derrière ses parents qui la cherchaient. Ils parlaient entre eux, s’interrogeant :

– Mais enfin, où est-elle passée ? disait son père.

– Voilà ce que c’est d’envoyer seule une enfant à la cave, commentait sa mère.

– Mais je suis là, tentait-elle de dire sans que ses parents réagissent.

Enfin, sa mère se retourna, la vit, l’enserra dans ses bras :

– Ma fille, comme tu as grandi. Je ne te reconnais plus. Que s’est-il passé ?

– J’ai vu le paradis. Il n’y a rien, mais qu’on y est bien ! Elle n’en dit pas plus. Elle monta se coucher et dormit jusqu’au matin.

À son réveil, elle avait tout oublié, mais elle n'eut plus jamais peur.

17/11/2018

Ecoulement

L’eau morte coule le long des tuyaux
J’entends son gazouillis dans le creux de ma main

Goutte à goutte le temps s’écoule

Les gens dans leur bêtise hautaine
Glissent le long des trottoirs embués
Tandis que l’œil morne des fenêtres les observe

Les vents poussent la brume et les franges des manteaux
Traînant dans la boue houleuse de nos pas

Une main fine a essuyé les larmes qui creusent l’œil
D’un geste mouillé et gémissant

Les rues fuient les rues sans se séparer
Et la nuit abat sa longue cape de deuil

L’eau ruisselle et éponge le son des pas
Et les passants cachent leur misère
Derrière un col ou sous un parapluie

Marche continuelle et pressée
Qui ne finira jamais sa danse effrénée

Le fer de mon balcon a perdu sa beauté
Comme les volets ont fermé leur bras

Les ombres regagnent la clarté enfermée
Dans le sein des flancs de ces rues
Pendant que s’étend la grande bête noire

Goutte à goutte le temps s’écoule

©  Loup Francart

16/11/2018

Le parfum de Dieu

Chercher Dieu dans les bois, la mer, les montagnes ou les plaines est un jeu aussi vain que de le chercher dans les églises et les livres, y compris ceux écrits par Dieu lui-même comme le prétendent leurs adeptes. Vous n'y trouvez que ce que l'on dit de lui, alors que l'important est d'en faire l'expérience.

Plusieurs fois, il vous est arrivé de humer l’air et de sentir ce parfum subtil, inconnu jusqu’à maintenant, qui ouvre en un instant votre être au ravissement. Vous vous contemplez suspendu au parachute, poussé par les vents contraires de la grâce, petit grain d’homme dans le tourbillon de la vie et du monde. C’est un parfum prenant qui vous décoiffe comme un ouragan : Dieu passe ses doigts dans vos cheveux et vous allège du poids du monde. Ce parfum, vous ne pouvez ni le saisir ni le voir. Mais si vous fermez les yeux, il peut vous envahir en une seconde, disparaître en un clin d’œil et vous laisser au cœur la douceur des amandes, la caresse du chat, le chatouillement de l’écoulement de la rivière, le murmure de l’être aimé(e). Vous voulez garder en vous ce parfum décisif et marcher droit devant en humant la beauté du monde, mais peu à peu s’impose l’autre réalité.

Vous redescendez vers les odeurs journalières, vers la morne quotidienneté du chou et du cambouis. Le nuage s’est envolé. Il ne vous reste plus que cet élan vers lequel vous tendez les bras. Oui, courrez derrière lui. Mais ne vous rompez pas les os en larguant vos suspentes.

 

15/11/2018

Ephistole Tecque (17)

Quelle heure était-il ? L'insuffisance de la lumière l'empêchait de regarder sa montre comme il l'aurait fait en plein jour, et la lumière diffuse du réverbère de la rue, deux immeubles plus loin, interdisait l'effet de phosphorescence qui lui eut permis de voir les aiguilles dans l'obscurité. Tant pis. L'essentiel est de dormir, d'arriver à dormir, à sombrer dans le sommeil réparateur qui lui ferait oublier les pensées qui grouillaient dans sa tête comme des fourmis à l'intérieur d'une fourmilière.

L'air frais lui fit du bien. Il ouvrit complètement la fenêtre, respira l'odeur moite de la nuit, s'inquiéta aussi, car ce changement d'atmosphère allait chasser de lui cette trouble somnolence qui précède le sommeil et qu'il s'efforçait d'entretenir depuis qu'il avait fermé son livre et éteint la lumière crue venant de sa table de nuit. Songeant qu'il pourrait avoir froid pendant la nuit et qu'il lui faudrait à nouveau se lever et abandonner le coussin d'air chaud entretenu par son corps sous les couvertures, il referma un des battants, laissant l'autre légèrement entrouvert et maintenu par la poignée inclinée horizontalement. Il revint vers son lit, se glissant entre les draps, remontant les couvertures jusque sous le menton. Il avait froid maintenant. Cherchant le sommeil à nouveau, cela lui parut plus facile d'abord, car la fraicheur extérieure semblait avoir endormi, ralenti quelque peu le cheminement rectiligne des pensées, faisant de celui-ci une sinusoïde imparfaite, imprévisible, parfois interrompue par un vide insaisissable qui était le seuil même du sommeil. Enfin, Ephistole, dans un glissement imperceptible pour lui, sombra lentement dans le puits du sommeil, vers des régions de la pensée qui lui étaient inconnues, dont il ne pouvait pas avoir conscience, descendant toujours plus profondément dans cet océan trouble, jusqu'à s'enfoncer mollement dans la vase impalpable des fonds.

14/11/2018

Sentence

 

Ce qui perd l’homme, c’est cet immense orgueil

qui lui fait croire que parce qu’il pense, il est, face au reste.

 

13/11/2018

Libre

Libre…
Que crois-tu être ?
La pesanteur te pèse-t-elle ?
Elle te tire vers le bas
Pour mieux t’élever
Ne pas bouger
N’est pas une solution
Lance-toi derrière tes pensées
Cours après la vie
Réjouis-toi de cette attirance
Vers la lourdeur des mots
Là-bas, plus loin… Très loin
Dans la clarté obscure
Au-delà de ton entendement
En ce lieu inconnu et sans poids
Qui t’attire et te rejette
Erre l’absence des modèles
Des règles et de la morale
Oui, la vie est sans fin
Ouverte sur le monde
Ne traîne pas ce bagage inutile
Que tu t’efforces de gonfler
Laisse-le au bord du chemin
Et va libre de contraintes…
Mais ne te trompe pas de direction
Ne va ni à gauche ni à droite
Ni en haut ni en bas
Ouvre ton cœur
Et marche vers toi
Là où rien ne guide tes pas…

  ©  Loup Francart

12/11/2018

La dernière fois que j’ai rencontré Dieu, de Franz-Olivier Giesbert

« Dieu est une chose trop importante pour être confiée aux religions », annonce Franz-Olivier Giesbert dans son avant-propos. Mieux même, il énonce que « l’existence de Dieu ne se prouve pas, elle se sent ». Et il renonce à trouver Dieu dans la théologie et même l’intellect. Alors il nous raconte ses tentatives pour rencontrer Dieu : l’eau qui coule et qui emmène loin de soi, le bouillonnement de la vie, l’harmonie des après-midis dans l’infini du monde. « J’ailittérature,publication,éditeur,dieu,nature,monde cosmos retrouvé Dieu au sommet d’un tas de foin qui sentait le caramel cuit ». Mais sa première rencontre avec le Dieu d’amour se fit dans les yeux de sa mère, « le regard maternel l’emmena très loin, dans une danse effrénée jusqu’au bout de l’azur ».

Depuis lors, sa conviction est que Dieu c’est la nature. Il comprend l’antispécisme comme une égalité qui lui fait dire que la condition animale, voire celle des plantes, est égale à celle de l’homme. Il fait pour cela appel aux religions orientales, en particulier à l’hindouisme et au bouddhisme. « Le bouddhisme est un panthéisme où Dieu et tout et tout est Dieu, le bien, le mal, le vrai, le faux, l’amour, la haine, la bête, l’homme, la part d’ombre, de lumière, etc. l’hindouisme ne voit pas les choses de la même façon. L’un de ses textes fondateurs, l’Advaita Vedanta de Brahma-Siddhi stipule : le Brahman est tout mais tout n’est pas le Brahman ».

L’auteur, après cinquante pages de poétique vision du monde entre dans sa vision des religions. L’effet sur le lecteur n’est pas le même. Les poètes regretteront sa verve campagnarde. Les philosophes se dotent d'un langage scientifique, les scientifiques manque d’approfondissement. Le livre alors s’ouvre en deux : le visible évalué par la science, la rationalité, l’analyse ; l’invisible discerné par le cœur, les sentiments, la beauté et la bonté. Le pont entre les deux ? Le panthéisme qui unifie le monde et Dieu. Alors, tout au long du livre, il oscille entre les deux approches, par l’intellect et les sentiments. Il nous parle du regard d’une chèvre, Rosette, et explique que « notre moi humain nous a bouché la vue sur le monde. Elle nous a empêchés d’approcher Dieu, de le toucher et d’être en sympathie avec lui, c’est-à-dire vous, nous, tous les autres. Il dévoile des ponts entre les deux : François d’Assise, saint et voyou ; les avancées cosmologiques qui mettent en évidence que nous ne sommes pas au centre du monde.

Mais ne dévoilons pas l’ensemble du livre. Ne retenons qu’un conseil : « Merci est ma prière » (chap. 33), merci la vie, merci le monde, merci la nature. Et pourtant, « notre vieux monde vit sous la dictature de la déploration et de la mélancolie… Tout va mal, même quand tout va mieux… C’est pourquoi il n’est pas de bon ton, aujourd’hui, d’admirer, de célébrer, de dire merci.

Et dans l’épilogue, Franz-Olivier Giesbert ajoute : « Même si j’ai pensé que la mort se rappelait à moi, je suis sûr que j’ai gardé mon sourire con : alors que l’âge venait, elle ne me gâcherait jamais la vie que j’ai passé à mourir de joie en attendant de murmurer, l’instant fatal, ce vers d’Aragon qui résume notre destin ici-bas : Ce serait vivre pour bien peu s’il fallait pour soi que l’on vive… »

11/11/2018

Ephistole Tecque (16)

Cela dura des heures. Peut-être ne fut-ce qu'une heure ou deux, mais déjà la nuit lui semblait plus qu'à moitié écoulée et cette absence de sommeil, cette impossibilité de trouver le sommeil, le faisait enrager, car il savait qu'au réveil, si jamais il parvenait à s'endormir, ce sommeil l'assiègerait, rendant la journée maussade, insupportable, pire encore que ces journées d'automne, brumeuses et froides. Peut-être avait-il trop chaud, peut-être même en dehors de ce lit qui était devenu une étuve, faisait-il trop chaud dans la pièce. Oui, sans doute, la vieille Irmide avait encore dû pousser le chauffage de quelques degrés, n'arrivant pas à réchauffer son vieux corps fatigué, malgré les édredons et les couvertures. Il faut que j'ouvre la fenêtre, pensa-t-il. Hais il avait beau le penser, il n'arrivait pas à bouger suffisamment ses membres, à leur donner un mouvement coordonné tendu vers la fenêtre. Non pas qu'il en fut incapable, mais quelque chose en lui s'y refusait. Il préférait la chaleur suffocante du lit à l'effort des mouvements qu'il aurait voulu s'imposer. Enfin, au bout de quelque temps, faisant taire cette partie de lui-même qui ne voulait pas, il écarta les couvertures d'un bras, s'incurvant légèrement sur lui-même pour extraire du lit la jambe gauche, puis la droite, presque en même temps, d'un même mouvement prolongé, et redressa le buste jusqu'à être assis sur le lit, puis aussitôt après à quatre pattes, marchant vers le pied du lit ou plutôt l'extrémité du côté droit. Il lui fallut encore poser les pieds par terre, sur le plancher rugueux dont le contact tiède après la chaleur des draps lui parut insupportablement froid, allonger le bras droit dans l'obscurité jusqu'à toucher un des côtés de l'armoire à glace devant laquelle il avait l'habitude de se raser le matin et enjamber le rebord du lit qui, en raison de l'exigüité de la pièce venait presque toucher l'armoire, d'autant plus qu'il avait avant de se coucher oublié de repousser le tiroir du bas dans lequel il enfermait une partie de son linge. Deux pas encore et la chaleur étouffante du radiateur dont il perçut du bout des doigts les courbes aiguës des éléments, jusqu'au dernier au-dessus duquel, logiquement, si sa mémoire était bonne, et elle l'était, car le geste était pratiquement automatique, il devait trouver le milieu de la fenêtre avec la poignée qu'il faudrait tourner de droite à gauche, en sens inverse des aiguilles d'une montre.

10/11/2018

Folie enfantine

 

L’enfant n’est qu’un adulte en formation
Ou l’adulte est-il un enfant devenu vieux ?
Nul ne le sait, ni lui ni moi
Parfois il me regarde et sourit benoîtement
Il m’arrive aussi de ne pas savoir
Où et quand je change de personnalité
D’émotion, je passe du rire aux pleurs
Indifféremment, du mal au bien
De l’impulsion à la réflexion
De l’absence à la présence
Du tout au rien, ou presque
L’enfant est là, inconnu, sans souvenirs
L’adulte n’est déjà plus présent
Il erre dans son passé sans avenir
Figé et ployé sous le harnais
Il lui arrive de se contempler
Alors il rit de ne plus savoir
Si l’endroit est bien à l’envers
Ou si la droite est en haut ou en bas
Comment délimiter ma place dans la vie
Si je ne sais quelles sont les limites
Qui me permettront de me connaître ?
À moins que ces limites soient sans fin
Ou que je sois enfermé dans le rien
Comme l’oiseau qui vole et tombe
Au moment fatidique de sa mort
Ah, je ne sais où je suis
Mais, au fond, suis-je ?
Je crois que je ne pense pas suffisamment
Et qu’à l’inverse de Descartes
Je suis sans penser, donc sans être
Plein et entier…

 ©  Loup Francart

09/11/2018

Larme (atelier de poésie 1)

 

Une larme

ensanglantée

fouette l’azur

dussoottierjf.jpg

en prise au vent

hurlant sans fin

elle s’évade

désintégrée

vers l’infini

 

08/11/2018

Recherche philosophique de Dieu

Ambiguïté de la recherche philosophique de Dieu : atteindre le principe premier qui est à la fois la cause, l’exemplaire et la fin de tout ce qui est. Le principe s’appelle Dieu.

Elle y parvient par une exigence d’intelligibilité. Mais elle veut alors appliquer à Dieu la méthode qui l’a conduite à lui, elle le veut aussi intelligible. C’est alors qu’elle le perd.

Dieu est l’intelligible par lequel tout le reste est intelligible. Mais lui-même n’est pas intelligible par la raison. Seul le soi, hors du moi, ouvre l’homme à la compréhension de Dieu. Mais il reste toujours un brouillard à explorer et à perdre à chaque instant.

 

07/11/2018

Ephistole Tecque (15)

Parfois cependant, pour quelques instants, quelques très courts instants, une sorte de trou vague, comme une descente vertigineuse, une baisse instantanée de tension, pendant lesquelles le déroulement rectiligne du mécanisme cervical s'incurvait sur lui-même brusquement, en spirale descendante jusqu'au sommeil. Mais avant d'en toucher la frontière et de s'y introduire, il revenait au point d'incurvation en une tangente asymptotique. Ayant alors repris une nouvelle position, soit qu’il se fût tourné vers l'autre côté du lit faisant face au mur jaune crème dont la peinture formait par endroits quelques cloques, soit qu'il se fût allongé sur le ventre, les deux jambes écartées symétriquement vers la fraicheur des bords du lit, les deux bras reposant perpendiculairement à la longueur du matelas, il cherchait à distraire ses idées. Il les forçait à s'appesantir sur un même point fixe, à tourner autour, de plus en plus proche jusqu'à s'y confondre dans le sommeil. Mais avant d'avoir pu emprisonner dans cette satellisation elliptique une idée très simple,comme la façon dont on pourrait compter des pièces de deux euros avec un double décimètre, celle-ci s'était déjà enfuie vers un autre point, puis un autre encore, inlassablement.

Parfois, à nouveau, pour quelques instants, quelques très courts instants, une sorte de trou vague, une descente vertigineuse, puis l'éclat insupportable de la conscience, comme l'émergence d'une bulle d'air à la surface de l'eau.

06/11/2018

Maxime

 

La création est le propre de l’homme :

Créé, tu deviens créateur, pour le meilleur ou le pire.

 

05/11/2018

Rapace


L’œil en recherche, les mains aux ongles crispés,
Les lèvres avides et le cœur de pierre,
Il regarda passer une femme dissipée
Qui serait consentante et s’offrirait aux serres.

Elle marchait hagarde, titubant de bonheur.
Pour la première fois, elle vivait la caresse.
Elle n’avait aucunement peur du déshonneur,
Seul importait le don de soi sans maladresse.

Et la rencontre fut telle qu’imaginée.
Que dire de ces instants perçut le cœur battant.
Consentante, elle les vécut en combattant.

Elle vit l’homme rapace à terre, inanimé.
Qu’avait-elle fait, la glorieuse, en un seul geste,
Les doigts recourbés dans le regard céleste ?

 ©  Loup Francart

03/11/2018

Forteresse

 

 Du bout des lèvres,

Elle ne goûtait que la vie.

Un espoir sans fin...

 

vie,fin,retour,éternité,passage

 

02/11/2018

Ephistole Tecque (14)

Abrégeons malgré tout, car les jours se suivent et se ressemblent malgré l'adage.

Il avait donc travaillé, était rentré chez lui, s'était déshabillé et couché comme vous le faites vous-même chaque jour, malgré quelques entorses à la règle de la continuité. Après avoir lu pendant quelque temps, car il ne pouvait s'endormir sans lire, comme s'il était indispensable de nourrir son cerveau avant de le faire sombrer dans les divagations du sommeil, comme si une lecture saine pouvait mettre un peu d'ordre dans ces cheminements anormaux de la pensée durant le sommeil, il éteignit et chercha une position avantageuse pour permettre à son corps de reposer en toute quiétude. Ephistole n'aimait pas cette heure difficile entre le besoin de sommeil de son corps et le déroulement incessant de souvenirs et de tracas que son cerveau était incapable d'arrêter ou même de freiner. Le fait de s'attarder plus longuement sur une pensée, comme s'il allait pouvoir épuiser toutes les images qu'elle devait suggérer à son esprit, ne l'empêchait pas, malgré lui, d'enchaîner sur d'autres faits, sur d'autres souvenirs ou d'autres préoccupations. Et les minutes semblaient s'allonger démesurément, se transformant en heures, bien que lorsqu'il y portait attention, conscient de ce ralentissement intempestif du temps, le tic-tac mécanique de son réveil ne paraissait pas avoir varié. Alors, pour calmer un peu cette fièvre dévorante de l'esprit d'autant plus ennuyeuse qu'elle ne lui apportait rien de constructif, toutes les images s'enchevêtrant imperceptiblement sans qu'il puisse à l'envers en reprendre le fil conducteur, il changeait la position de son corps qui peu à peu était gagné par l'échauffement inéluctable des pensées, remontant légèrement la jambe gauche jusqu'à trouver un emplacement moins chaud à hauteur de son nombril, déplaçant le bras droit jusqu'à le glisser dans le nid de fraîcheur sous l'oreiller, étreignant de l'autre bras le volume un peu mou d'un des quatre coins de ce même oreiller. Et à nouveau cette recherche du sommeil après une accalmie de quelques minutes, de quelques secondes peut-être, puis ce même déchaînement logique et inexorable de pensées absurdes, indésirables.

01/11/2018

Neige

La neige tombait dans la nuit
Et s’amoncelait devant l’huis.
La nuit avait revêtu sa robe de mariée,
Le monde en était changé.
Les rues de toujours
Devenaient les rues d’un jour.
La lumière des réverbères,
Qui, souvent, désespère,
S’estompait en l’air
Et scintillait par terre.
Seule, de mes enjambées la cadence
Troublait l’émouvant silence.
Par mes pas imprimés,
Je la sentais violée.
Mais bientôt l’aurore, enfant de la nuit obscure,
Fera rougir sa blanche parure.
Mettant au monde la lumière, elle s’éteindra
Et l’homme du jour s’étonnera :
« Quel est ce voile
Laissé par une nuit sans étoiles ? »

 ©  Loup Francart