19/11/2018
Ephistole Tecque (18)
Ephistole dormit une heure ou deux, presque profondément, étreignant de ses bras pliés un des coins de son oreiller, la tête légèrement enfoncée au-dessous comme pour se protéger des bruits extérieurs. Mais cette position ne l'empêcha pas d'entendre tomber la pluie qui se précipitait sur la verrière installée sous sa fenêtre pour abriter le tas de charbon de madame Irmide, avec un bruit de roulement de tambour dont les baguettes auraient cependant été entourées de chiffons. Depuis quand la pluie tombait-elle ? Il ne savait pas exactement. Il avait rêvé que cette cour, minuscule puisqu'elle ne faisait que cinq mètres sur quatre, était l'objet de terrassements compliqués afin d'édifier un nouvel immeuble, plus impressionnant et grandiose que celui dans lequel se trouvait son lit, puisque ce dernier aurait servi de cour à l'édifice en construction. Il avait vu les plans et en avait conçu une sorte d'étouffement qui l'avait réveillé avec le bruit des marteaux-piqueurs. Il hésita un moment dans la chaleur de son lit à se lever pour fermer la fenêtre, car il craignait que la pluie ne coule à l'intérieur et n'inonde la chambre. Mais comme ce n'était jamais arrivé, même au cours d'une journée particulièrement pluvieuse, il se dit qu'il pouvait rester au chaud et cultiver à nouveau la recherche du sommeil. Celui-ci vint à nouveau, un peu agité, distrait, car la pièce avait été refroidie par l'air frais entrant par la fenêtre entrouverte et le corps d'Ephistole s'était recroquevillé sur lui-même, les jambes se rassemblant à hauteur des genoux à proximité de la poitrine, les deux bras encerclant soigneusement le nid de chaleur moite existant à hauteur du ventre.
Alors vint l'enroulement. Ephistole n'aurait su dire s'il rêvait qu'il était éveillé ou s'il était véritablement éveillé. Il avait froid, très froid. Ses pieds lui parurent glacés au toucher, comme s'il avait pris dans ses mains un de ces animaux à sang froid qui provoquent toujours un sentiment incontrôlable de dégoût. Il eut conscience qu'il devait fermer la fenêtre, car c'était elle qui était la cause de ce froid insupportable. Mais il fallait sortir de cette zone tiède que formait encore le lit pour se plonger dans l'obscurité glacée qu'il envisageait à travers les couvertures. Après réflexion, il préféra fermer la fenêtre et se réchauffer au radiateur plutôt que d'attendre qu'il fasse encore plus froid. Il écarta les couvertures d'un bras, s'incurvant légèrement sur lui-même pour extraire du lit la jambe gauche, puis la droite presque en même temps d'un même mouvement prolongé et redressa le buste jusqu'à être assis sur le lit, puis aussitôt après à quatre pattes, marchant vers le pied du lit ou plutôt l'extrémité du côté droit. Il lui fallut encore poser les pieds par terre, sur le plancher rugueux dont le contact glacé après la tiédeur des draps lui parut insupportable, allonger le bras droit dans l'obscurité jusqu'à toucher un des côtés de l'armoire à glace devant laquelle il avait l'habitude de se raser le matin et enjamber le rebord du lit parce qu'il avait oublié de repousser le tiroir du bas. Deux pas encore et tendant les bras, il chercha le contact du métal de la poignée, légèrement différent de celui du verre, d'un froid plus métallique et aigre que le froid lisse et mat de la vitre. Il tenait la poignée et allait la tournait pour ouvrir le battant fermé, puis le rabattre à nouveau en l'imbriquant dans celui qui était resté ouvert, quand il eut soudain l'étrange impression de ne plus rien tenir, d'étreindre le vide, et l'instant suivant, conscience d'être dans son lit, conscience de la pluie qui tombait sur la verrière comme un roulement de tambour atténué.
07:54 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, récit, vie, vacuité, mal-être | Imprimer
Les commentaires sont fermés.