Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/10/2018

La foi

"Agenouillez-vous et priez. Alors viendra la foi",  disait Pascal. C’est ainsi que furent fabriquées des générations de croyants qui n’avaient pas la foi.

On peut passer des années à prier gentiment le dimanche ou même tous les jours sans que vienne la foi. Et la prière ne sera qu’une contrainte qu’on s’impose à soi-même alors qu’elle doit être don total de soi et création.

On peut aussi, avec beaucoup de patience et un peu d’imagination exaltée, croire qu’on croit. La foi vient avec la prière, mais disparait après elle, s’éteignant, comme si le monde tous les jours n’avait rien à voir avec elle. Cette foi est une pure invention psychologique que l’imagination fabrique elle-même, par échauffement pourrait-on dire.

La foi ne peut venir de l’habitude. L’habitude de prier ne peut donner la foi, elle ne peut que l’empêcher de venir, car la prière n’est alors qu’une machine bien remontée qui fonctionne mécaniquement. La foi vient quand toute habitude est abandonnée.

Cependant, n’oublions pas, à chaque jour suffit sa peine. Il est des jours où rien ne vient, où la présence est absence, où la sécheresse vous dessèche. Alors, oui, agenouillez-vous et priez. Mais ce n’est plus la foi que vous cherchez. C’est vous-même que vous avez perdu.

 

29/10/2018

Envers ou endroit

Parfois, il s’enferme dans l’envers
Il s’y trouve bien, c’est son refuge
Devant l’ampleur du monde
Et la somme des découvertes à faire

Rien pourtant ne l’oblige
A bailler sans cesse devant ses souvenirs
Ou à errer devant son avenir

Il est bien là, las de son être
Et emprunté de sa distance
Il lève la tête quand il faut
Mais rares sont les lieux
Où le repos accompagne la fête

L’endroit pourtant est étayé
Construit selon les règles de l’art
Trop bien pour lui, sans doute
Mais c’est en fait une lassitude interne
Qui disjoncte la machine
Et la rend si instable et imprévisible

Il cherche le juste milieu
En équilibre sur le pic, mort ou vif
Rien ne va plus !

Il s’enfuit en courant
Vers le lac sans fond
Dans lequel l’ombre ne pénètre pas

©  Loup Francart

28/10/2018

Ephistole Tecque (13)

Ce jour-là, Ephistole Tecque avait vécu une de ces journées habituelles, pas plus fatigantes que d'habitude, pas moins non plus, une de ces journées où l'atmosphère grisâtre des ciels d'automne répand jusque dans les esprits un égal mélange d'amertume et d'acceptation, comme le faisait la semonce d'un de nos professeurs lorsque, enfants, nous avions insuffisamment appris une leçon. Il s'était levé à l'heure habituelle, sept heures pour être précis, encore un peu engourdi par le sommeil, la paupière lourde (il l'avait décongestionné à l'eau chaude). Il s'était lavé et rasé sans avoir remarqué quoi que ce soit d'anormal dans le dessin de son visage ou dans son expression, même après avoir tiré sur sa peau pour passer un énergique coup de rasoir. Peut-être avait-il dans le regard une lueur d'ennui atténuée par l'habitude, mais rien d'autre et c'était somme toute normal. De même, le trajet entre sa chambre et l'usine s'était déroulé comme à l'accoutumée, banal même dans les propos échangés avec son voisin dans le métro, un vieillard de quarante ans, employé de bureau, qui lui avait déjà raconté au moins dix fois les malheurs qui l'avaient accablé durant sa courte vie. Sigalène, sa secrétaire, était restée égale à elle-même, jeune fille un peu vieille fille, insuffisamment belle pour être aimée, mais pas assez laide pour s'exhiber dans quelque baraque foraine et faire de son malheur un gagne-pain qui eût pu lui procurer un bonheur compensateur. Il s'était au fil des jours habitué à elle, comme on s'habitue à un vieux meuble qu'on a toujours vu dans une pièce et dont la laideur ne choque plus. Il avait même appris à l'aimer d'un semblant d'amour ou plutôt de sympathie créés par l'habitude du travail en commun et la compréhension qu'elle avait pour le soulager des problèmes secondaires qui occupent toujours une grande partie du temps et ne servent pas à grand-chose si ce n'est à retarder le véritable travail qu'on lui avait confié. Il avait ce jour-là travaillé avec la même application, un peu scolaire, un peu trop sérieuse, faisant de cette tâche l'unique préoccupation de la journée, comme si rien d'autre ne comptait pour lui en dehors des chiffres et des résultats accumulés en bas de page, entourés d'un trait noir comme le sont dans les livres d'école les diverses formules permettant à l'élève apprenti sorcier de résoudre divers petits problèmes concernant la fréquence d'un mouvement ou la trajectoire d'un projectile.

27/10/2018

Faire de la vie une symphonie

https://www.youtube.com/watch?v=4uX-5HOx2Wc


 

L’amour  au-delà de la compréhension logique : alors la vie devient une symphonie qui se passe de chef d’orchestre. Nous cherchons trop souvent à être le chef d’orchestre, nous agitons notre petite baguette, tapotant le pupitre, battant l’air de gestes démesurés et avides qui n’arrivent pas régler l’harmonie des sons. L'orchestre se dérègle et pendant que l’on s’attache au jeu d’un instrument, nous ignorons les autres.

Sentir les choses dans leur ensemble, c’est déjà transformer leur potentiel d’harmonie simultanée en symphonie. Faire de la vie ce que sont les fugues de Bach qui se déroulent sans heurt, dont la mélodie s’enroule peu à peu sur elle-même, chacune des voix s’harmonisant parfaitement avec les autres parce qu’elles savent reprendre des premières leur ligne mélodique et la parer de nouvelles aptitudes sonores, jusqu’à ce qu’éclatent un final majestueux où s’enchevêtrent  tous les instants précédents en un point d’orgue vertical brisant la fuite du temps et accédant à l’éternité.

26/10/2018

Mariage

L’autre jour, j’étais à un mariage. Un scarabée épousait une grenouille. Elle était d’ailleurs très petite !

Le scarabée, très noir, hésitait lourdement avant la cérémonie en ce qui concernait l’emploi de ses ailes. Si l’une d’elles venait à se décrocher, quelle histoire à raconter pour les invités ! Aussi se promenait-il avec inquiétude et discrétion dans l’entre-deux rangs des convives. On s’y interrogeait sans vergogne sur l’objet de la cérémonie. Quelle fleur allait-on de nouveau immoler ? Déjà, la foule des curieux amassait ses regards par-dessus la tête des plus proches pour s'apercevoir qu’il n’y avait rien à voir. Qu’est-ce que c’est ? Distinguait-on dans ce chant modulé en divers tons, des tons très bas et d’autres plus hauts, des tons très chers aussi. La mariée agitait avec élégance et le charme de la jeunesse ses longues et minces cuisses et faisait admirer à ses demoiselles d’honneur, de charmants têtards, l’éclat incomparable de la peau de son ventre, d’une blancheur veloutée qui s’inspirait de la porcelaine qu’elle avait découverte un jour dans la mare natale. De vieilles grenouilles à la peau flétrie et distendue par les frottements de l’herbe élaguaient les ongles de la mariée qui minaudait de la tête. Elle ne disait rien et trouvait bien suffisant de se faire admirer sans avoir rien à ajouter. Peut-être n’aurait-elle pu dire grand-chose, les grenouilles ont le foie si léger !

Chacun pour la cérémonie, c’était l’usage, s’empara de son ancien cocon dont certains, traînant au fond des armoires depuis des années, étaient un peu défraîchis. Nantis de cet encombrant fardeau, les membres de la famille se trainèrent au lieu de la cérémonie. Le scarabée voulut mettre son aile sur le dos de la grenouille pour montrer que désormais il assurait son logis. La grenouille voulut bien poser une de ses mains sur l’antenne du scarabée pour montrer qu’elle prendrait part aux décisions du ménage. Ils étaient mariés. Les invités se débarrassèrent de leur cocon et s’amusèrent jusqu’à l’aube.

25/10/2018

Point de vue

 

La terre a mille faces.

Elle n'a qu'une seule gueule,

d'où veux-tu la voir ?

 

18-10-23 bis (Figures impossibles carrés 3 plans).jpg

 

24/10/2018

Ephistole Tecque (12)

Ainsi Ephistole avait pendant quelques instants séparé de lui-même l’idée qu’il avait de sa conscience, la transférant involontairement sur l’image de son corps qui semblait à son tour régler chacun de ses mouvements. Cette découverte l’avait séduit, intrigué aussi, car il eut été incapable de saisir ce qu’il était lui-même. Mais elle ne l’intéressait pas. Aussi cessa-t-il complètement cette épreuve de la glace qui, tout bien réfléchi, lui semblait inutile. Il reprit le rythme monotone des jours ; se lever à sept heures, se raser, se laver en faisant chauffer sur son petit réchaud l’eau dans laquelle il  infuserait un sachet de thé, enfiler un imperméable en buvant la tasse trop chaude, et traverser la ville, une partie de la ville, dans la tiédeur du petit matin, pour ouvrir d’un geste décidé la porte du bureau et se plonger dans d’invraisemblables calculs qui s’accumuleront dans les chemises entrouvertes sur une table.

La vie est faite de renoncement, avait-il lu un jour dans une des pages de son journal quotidien à propos d’un sportif célèbre qui avait dû se reconvertir dans des occupations plus intellectuelles à la suite d’une maladie. Il avait trouvé dans cette phrase une certaine résonance intime qui l’avait ému, bien qu’il se fut rendu compte, après s’être interrogé plus longuement sur sa signification, que ce renoncement n’était pas ressenti en tant que renoncement douloureux, mais comme une chose naturelle survenant parallèlement à un certain dégoût d’être envers la chose considérée. Aussi est-ce pour l’ensemble de ces raisons rassemblées, de ces déceptions ignorées, que Madame Irmide n’avait pu, malgré le bon cœur qui la caractérisait, un cœur de bonté curieuse, et sans doute était-ce plus par curiosité pure des réactions d’Ephistole que par générosité pure, lui faire accepter cette nouvelle glace à installer au-dessus de son lavabo ou un petit meuble rustique qu’elle avait alors chez elle et qui l’encombrait plus qu’il ne lui servait. Ces deux refus, espacés de quelques semaines, furent suivis d’un petit froid entre deux personnages, créé par Madame Irmide qui avait été vexée par le dédain de son locataire et entretenu volontairement par Monsieur Tecque qui n’avait pas pris garde à cette saute d’humeur, ignorant à son tour celle qui faisait mine de l’ignorer. Ils avaient même échangé quelques paroles amères le lendemain d’un de ces jours où il avait amené dans sa chambre une étudiante anglaise qui s’était assise sur le même banc que lui dans les jardins du centre et avait désiré se faire expliquer l’importance de la symétrie dans le plan de la ville. Puis Madame Irmide, les jours s’écoulant, s’était fait une raison, avait en quelque sorte renoncé, et leurs relations avaient repris comme par le passé, en dehors du fait qu’elle avait maintenant compris la véritable façon d’être de son locataire.

23/10/2018

La recherche du bonheur

 

Notre époque a le bonheur de s’apercevoir de l’insuffisance de la satisfaction du corps et de l’esprit. Elle redécouvre l’ascèse. Elle cherche la plénitude de l’être au-delà de la possession, dans l’accès à la beauté du monde.

Son malheur est de croire que cette plénitude est un état second, une sorte de rêve éveillé que l’homme peut atteindre par des moyens artificiels.

 

22/10/2018

Pictoème

 

Une larme

Ensanglantée,

Fouette l’azur.

 dussoottierjf.jpg

En prise au vent,

Hurlant sans fin,

Elle s’évade,

Désintégrée,

Vers l’infini.

 

21/10/2018

Ephistole Tecque (12)

Quand cet apprentissage d’une révision du sens spatial lui parut satisfaisant, étant arrivé à un certain automatisme dans la symétrie de ses gestes, il étudia une technique plus compliquée présentant un second plan de symétrie réfléchie, en l’occurrence une feuille de papier blanc posée à plat sur laquelle il dessinait en regardant la glace. Il n’avait pas imaginé qu’on put être aussi malhabile lorsque est déréglé le sens que nous avons de l’éloignement ou du rapprochement des objets, quand il tentait de tracer une ligne droite s’éloignant réellement de lui sur la véritable surface de la feuille, sa main machinalement, irrésistiblement, sous l’impulsion du réflexe établi en lui depuis son enfance, depuis les premiers instants où, enfant, il tentait d’établir la place de l’objet par rapport à son corps, sa main involontairement traçait une droite dans sa direction. Cette droite ostensiblement, comme par moquerie, se rapprochait de lui. Encore plus difficile était de tracer une courbe oblique se rapprochant de lui par la gauche comme s’il eut voulu qu’elle forma autour de son corps une barrière symbolique le séparant de cette image qu’il avait de lui-même dans le miroir. A chaque tentative apparaissait sur sa feuille la courbe inverse, une courbe oblique, ébauche d’une ceinture involontaire de lui-même, mais qui sur la surface de la feuille véritable, seul vestige de ses gestes après un éloignement de la glace, s’écartait en fait de lui en une courbe divergente. Il lui fallut de nombreuses expériences poursuivies avec assiduité  pour assimiler la distinction entre cette image de lui-même à laquelle chaque mouvement réel de sa main se rapportait et son corps propre qui semblait alors se dégager de sa volonté. Le problème en fait n’était pas un problème d’origine du mouvement, mais celui de sa direction. Il le résolut finalement en observant le mouvement de son avant-bras qui indiquait seul la véritable direction au trait tracé sur la feuille.

20/10/2018

Créer

Il y a deux manières de créer : soit créer pour être remarqué et prétendre à devenir remarquable, soit créer pour agrandir, améliorer le monde physique (la matière) ou psychique (la noosphère) selon une vision humaniste.

La création ne crée pas ex nihilo, elle procède du connu vers l’inconnu. Elle est un agencement nouveau des idées, des concepts, des faits qui déclenche en certains une nouvelle vision qui devient créative. Elle agrandit l’espace de l’homme, qu’il soit physique ou psychique, sans toutefois créer un autre espace.

Maquiller l’absence de créativité en imitant les créateurs n’est cependant pas vénal si cela conduit à une véritable création. Ce n'est qu'un apprentissage indispensable.

Persévérez et vous serez récompensé.

19/10/2018

Danse sans oubli

As-tu un souvenir qui ne vient pas à toi
Quand dans la nuit noire souffle le vent du soir ?
Connais-tu la joie et l’ivresse de la foi
Quand balance l’encensoir et dort le reposoir ?

T’arrive-t-il parfois d’entendre l’air narquois,
Quand le ciel rejoint la terre et gèle la carrière ?
Vois-tu les villageois danser comme des siamois
Et dresser des barrières pour pleurer sans manière ?

La coupure de la glace à la fontaine de la place
A fait fuir l’angoisse et les idées fugaces.
Danse le guilledou et embrasse les cous.

Dans l’aigreur du froid et la tristesse de l’effroi,
Tu découvres l’endroit où tu connus François,
Le vagabond sans tabou, amateur d’igloo.

Danse encore une fois.
Mais n’oublie pas toutefois,
Le miséreux qui larmoie
En cherchant un emploi.

  ©  Loup Francart

18/10/2018

Aimer sans imaginer

“Essayer d’aimer sans imaginer”, susurre Simone Weil. Cherchant la vérité dans les actes et non dans la parole, elle a fait de la philosophie une manière de vivre non pour acquérir des connaissances, mais pour être dans la vérité.

L’amour est en effet toujours un peu imagination intérieure. On crée l’être aimé à son amour, car l’amour naît de la différence entre l’être aimé et celui ou celle qu’on aime réellement dans son imagination. Trop d’imagination nuit à l’amour durable, mais sans imagination l’amour n’existe pas.

Pourtant Simone Weil nous dit bien « sans imaginer ». Ne parlerait-elle de l’amour divin qui seul permet d’aller au-delà de l’imagination, dans la transparence d’une réalité palpable et divine ?

L’homme a besoin d’imaginer. Mais au-delà, l’imagination n’a plus lieu d’être !

17/10/2018

Ephistole Tecque (11)

N’allez cependant pas croire que Monsieur Tecque ne connut pas, ou n’ait pas connu, de plaisirs plus subtils dans l’échelle des sensations indirectes, des plaisirs mettant en jeu non seulement une certaine participation de la nature de l’être, mais également une technique appropriée impliquant un apprentissage poussé. Il en avait puisé toute la joie par ce constant effort de découverte et de mécanisation qu’ils impliquaient, avec une patience et une volonté à toute épreuve. Mais le jour où cette tension de l’être tout entier avait abouti, était arrivée à ce but tant souhaité, le plaisir c’était évanoui, volatilisé, sans même qu’il ait eu le temps d’y goûter et tous ces efforts lui avaient paru d’une vaine utilité.

Il avait pendant quelque temps  tenté de mettre au point une occupation raffinée, au plaisir impalpable, demandant une égale tension du corps et de l’esprit, une domination absolue de ses gestes depuis le contrôle du réflexe jusqu’à la mobilité consciente de chaque doigt par rapport à l’autre. L’idée lui en était venue un matin, quand après s’être rasé et lavé, après avoir bu une tasse de thé fade, il s’était habillé devant l’armoire à glace de sa chambre qui occupait une partie du pan de mur situé à gauche de la porte en entrant. Il s’habillait, encore un peu engourdi par le sommeil malgré le contact de l’eau chaude, ou plutôt tiède, qu’il récupérait en un mince filet au bout du robinet à pastille rouge et regardait ses doigts courir de bouton en bouton pour fermer prestement sa chemise, quand, par hasard, à la suite d’une erreur dans ce travail inconscient, il constata que voulant régler le mouvement de sa main dans la glace, il était incapable de passer le bouton dans la boutonnière. Il cherchait désespérément à placer le pouce sur le biais du bouton et à y exercer une pression tandis que l’index et le majeur s’entrouvraient légèrement pour permettre son passage sans toutefois entraîner avec lui l’étoffe où était bâtie la boutonnière. Une telle mésaventure vous est bien arrivée un jour ou l’autre, à la suite d’un dérèglement de vos gestes habituels pour lesquels vous aviez perdu l’habitude de réfléchir. Vous avez été profondément déçu de ne pouvoir aussitôt, par l’emploi de votre intelligence, résoudre une difficulté que l’automatisme vous avait cachée. Je vous ai vu d’ailleurs hésiter quelques secondes pour lacer convenablement une de vos chaussures après avoir été bousculé en pleine rue par une bande de gamins courant après un chien, bien que vous ayez pris la peine pour vous faciliter la tâche qui semblait plus difficile sous le choc de l’énervement, de poser votre pied sur un banc suffisamment haut. Amusé par cette constatation insolite, Ephistole avait décidé au cours du trajet de sa chambre au bureau, d’inaugurer un divertissement consistant à s’habiller devant la glace sans jamais jeter un coup d’œil sur la véritable dispersion dans l’espace de ses vêtements et de ses membres, c’est-à-dire de ne considérer ses mouvements que par symétrie à la réalité. Difficile apprentissage qui l’obligea pendant un temps à se laver quelques minutes plus tôt, mais qui eût l’avantage de lui interdire ce demi-sommeil qui succédait aux premiers pas en dehors du lit jusqu’à l’instant où il posait le pied sur le palier obscur au-delà de la porte close de sa chambre.

16/10/2018

Haïku

 

Un plein de choses

Ne comble pas l’absence.

Débarrasse-toi !

 

15/10/2018

Entre dans la danse

Entre dans la danse de la vie
Ne te laisse pas écarter de l’amitié
Ne dédaigne pas la caresse d’une main
La douceur des baisers célestes
L’entente des chants du monde !

Vois la chaleur des couleurs
Et l’ombre portée par les souvenirs
Que les cris des présents n’écartent pas
La faiblesse de ceux qui ne sont plus
Que jaillissent sans vergogne
L’ivresse des profondeurs
Où le vide emplit ton être
Et court dans tes artères
Pour danser sans cesse la vie

poème,écriture,poésie,littérature

Non, ne te retire pas de la danse
Au contraire, mène la danse
Mets ton cœur en danse
Et danse nuits et jours
Jusqu’à la danse funèbre
Qui te prendra un jour

Adieu le bal des vivants,
Vers quelle nouvelle danse allons-nous ?

 ©  Loup Francart

14/10/2018

Foule

 

On ne convainc pas une foule avec un raisonnement,

mais avec des images contenues dans des mots.

 

13/10/2018

Ephistole Tecque (10)

Ignorant quelle attitude il devait adopter, Ephistole lui avait montré quelques cailloux pesants et lui avait fait remarquer les nervures bleutées ainsi que l’imperceptible bosse dans le contour quasi symétrique des deux pôles. Il avait rapproché sa tête de la sienne pour mieux lui faire percevoir la particularité de la pierre, puis avait déposé le caillou sur le meuble qu’il avait devant lui. Il avait vu ce corps abandonné, inerte comme la matière du caillou, et l’avait porté sur le lit pour qu’il s’éveille, se meuve, s’essouffle avec une ardeur jusque-là insoupçonnée. Il s’était longtemps souvenu de ce visage aux yeux clos, les lèvres légèrement entrouvertes, le cou tendu rejetant en arrière le menton, comme si cette extension de la tête eut mieux permis la tension du corps, de la gorge offerte et des jambes entrouvertes. Souvenir plus tactile aussi de cette zone de chaleur moite qu’il avait découvert d’une caresse descendant de la forme symétrique des seins vers la forme plus apaisante et maternelle du ventre. Il se souvenait aussi, et ce souvenir évolua au fil des diverses expériences qu’il avait pu faire par la suite, d’un cri, ou deux, inhumain, presque animal, bestial dirais-je, suivi d’un long et profond soupir rauque et enfin d’une sorte de halètement apaisé comme celui du coureur à pied quelques instants après avoir passé la ligne d’arrivée.

Plaisir simple, me direz-vous, si simple qu’il semble naturel et que par là même il peut être classé parmi ces plaisirs anodins dont vous nous avez parlé plus haut. Peut-être ? Mais qui d’entre nous n’a jamais éprouvé à cet instant son illusoire puissance. Ephistole, comme vous, crut un temps avoir atteint une sorte d’idéal écologique et social. Puis son exaltation s’était faite de plus en plus brève, jusqu’à ne plus être par la suite qu’une sorte d’indifférence vis-à-vis de ces fonctions intimes. Il avait alors espacé ces moments de plaisir pour être à même d’en goûter plus profondément le charme illusoire.

12/10/2018

Belle

Elle était belle comme la mort.
Elle connaissait la vie,
Mais préférait l’inertie
Et les lieux insonores.

Elle souriait sans cesse,
Courait d’un bout à l’autre.
Elle faisait des apôtres,
Prodiguant ses largesses.

Elle pouvait pleurer aussi.
Elle se terrait dans l’ombre,
Cachée dans les décombres,
Occultant sa gaucherie.

poème,écriture,poésie,littérature

Jusqu’au jour où elle s’anima,
Sortit de son silence,
Fit preuve de magnificence
Et, subtilement, le fascina.

Alors l’air devint plus léger,
Les cœurs moins lourds,
Les corps de velours,
L’intimité protégée.

Il se présenta sans honte,
Raviva les désirs,
Restaurant le délire
Et lui bâtit un conte.

Elle était belle comme la mort.
Elle connaissait la vie,
Mais préféra ses envies
Et la plénitude du matamore.

 ©  Loup Francart

11/10/2018

Improvisation de Gert van Hoef - Cathédrale St. Baafs à Gand

Une improvisation sur le choral de Bach : "Jésus, que ma joie demeure".

Délirant !


10/10/2018

Reflets

 

L’avenir trouble
Un plongeon dans le néant
Plus rien n’est sans Toi

 

silhouettes 3.jpg

09/10/2018

Ephistole Tecque (9)

En dehors de ces plaisirs anodins, tel celui de la collection de cailloux, Ephistole avait cherché, ou plutôt avait trouvé par hasard, sans même en avoir ressenti le besoin puissant, sans même avoir sciemment puisé à cette force venant du bas-ventre et qui fait de nous pour quelques instants un être vulnérable, un plaisir nouveau, plus personnel, plus humain peut-être ou tout au moins plus biologique, le plaisir de l’amour. Il ne semble pas pourtant, à bien observer Monsieur Tecque, qu’il ait connu l’amour, c’est-à-dire cette communion intime de l’esprit et du corps avec l’autre face de votre moule, mais plutôt ce qu’on a coutume d’appeler le plaisir de la chair, plaisir de consommation, à la mode de notre époque, seul plaisir où la production vient après la consommation.

Ce plaisir, il l’avait en fait pris parce qu’il le fallait, comme une nécessité biologique. Il lui avait été offert par une de ces jeunes filles, jeune peut-être, fille sûrement pas, qu’il vous a probablement été donné de rencontrer un soir, alors que la solitude vous pesait ou que la compagnie d’une femme quotidienne vous fût à ce moment insupportable. Vous l’avez sans doute rencontrée dans un café bruyant, illuminé, trop, par des lustres de cuivre jaune, assise devant le bar, devant un verre, devant le garçon du bar avec qui elle semblait en excellent terme. Et vous-même vous asseyant sur le seul tabouret libre comme par hasard à côté d’elle, vous-même commandant par une étrange ironie du sort le même breuvage glacé et répondant par politesse à l’une de ces questions idiotes qu’elle a l’habitude de poser pour engager la conversation, jusqu’à ce qu’enfin, las de discourir, vous avez proposé à cette jeune fille de lui montrer votre collection de cailloux et qu’elle vous ai répondu bêtement qu’elle avait également dans sa jeunesse collectionnée les timbres. Alors elle vous avait suivi, ou plutôt vous l’aviez précédé comme le fit d’ailleurs Ephistole jusqu’à votre chambre un peu sale, désordonnée, que vous vous êtes efforcé de ranger en quelques secondes dès votre arrivée et en particulier le lit sur lequel vous aviez laissé traîner une pile de linge.

08/10/2018

Maxime

 

Être simple en esprit et non simple d'esprit.

Avoir l'esprit d'enfance et non l'esprit d'enfantillage.

 

07/10/2018

Pictoème

 

Jusqu’au dernier jour

Ils "nuagèrent" dans le bonheur...

Finir, œil dans l’œil !

 

Hypocampe3.jpg

 

06/10/2018

Jardin public, à Laval

Le soleil est là. Enfin !

Tout d’abord, le bourdonnement :
Une multitude de sons amalgamés les uns aux autres
Qui forment une bouillie épaisse et pâteuse
D’où sort parfois une voix ou un cri

Puis, le soleil, chaleureux, accueillant
Trop, trop chaud, trop brillant, trop puissant
Peu restent en sa présence, préférant l’ombre
Bienfaisante, enjôleuse, caressante

Enfin, le vif, le cru, le rebelle, encombrant
Telle la verdure qui descend des rangs carrés
Ou ces deux amies, bavardes et inconscientes
Du calme qui émane du jardin encerclé

Et, encore un fait, les ombres sous les arbres
Fantômes avançant parcimonieusement comme flottant sur les eaux
Et contemplant silencieusement l’épaisseur de l’après-midi

L’automne cette année n’avance qu’à petits pas
Préférant se cacher au fond des frondaisons
Et se dire : « Encore un rayon ou deux ! »

 

05/10/2018

Ephistole Tecque (8)

Il avait passé de nombreuses heures à contempler, toucher et retourner chaque nouvelle pièce de sa collection. Il en connaissait parfaitement le volume et pouvait de mémoire en reproduire les formes diluées dans la masse. Cette connaissance faisait appel à l’espace visuel du caillou et à son espace tactile. Il savait qu’il devait écarter le pouce de l’index d’une distance qui correspondait à une certaine tension de la peau et des muscles se profilant au-dessous. Il apprenait à connaître chaque contour des veines bleutées ou rosâtres qui courraient à la surface du caillou. Il y trouvait la preuve de la vitalité interne de la pierre et de sa possibilité de rayonnement sur l’environnement. Il y attachait une grande importance, malgré la difficulté qu’il ressentait à ne pas s’identifier complètement à la perception qu’il avait du caillou. Plaisir anodin, car au fond, qui de nous n’a pas éprouvé un tel ravissement à contempler un objet quelconque, le plus simple soit-il, le plus rapproché même de la neutralité de la matière, jusqu’à s’en imprégner les sens et épuiser le pouvoir illégitime qu’il a parfois sur nous.

Ne vous êtes-vous pas surpris un jour, sans pouvoir en analyser parfaitement les mobiles, à ramasser le matin d’un jour semblable aux autres un de ces galets amenés dans la nuit par les vagues jusqu’aux limites de la marée sur le rivage et que la mer aurait abandonné comme un objet font elle n’a plus besoin ? Ce galet, vous l’avez inconsciemment mis dans votre poche et vous en avez moulé les formes avec votre paume dans les profondeurs du vêtement jusqu’à votre retour chez vous pour le poser quand vous avez eu besoin de votre main ou quand vous avez voulu mettre un objet plus utile dans votre poche. Vous l’avez déposé dans un endroit quelconque et ne l’avez retrouvé que quelques jours plus tard pour le jeter dans la poubelle ou l’enfouir dans un fond de tiroir où il repose encore.

04/10/2018

Le mode d'habiter

Hier, dans une soirée du « Cercle du sens » que nous organisons tous les mois nous avons parlé du mode d’habiter. Le Cercle du sens a pour but de réfléchir ensemble à ce qui nous motive et nous renouvelle. Aussi, plutôt que de travailler directement à l’évolution de notre société, nous cherchons plutôt à nous poser la question du sens de notre vie pour améliorer notre propre compréhension de nos buts de vie dans la société et notre environnement. Ainsi c’est tout naturellement posé la question du mode d’habiter, concept surgi récemment dans les recherches en géographie.

 

La notion de mode d’habiter a fait peu à peu son apparition chez les universitaires, dont en particulier les géographes. De manière grossière, on peut dire que les lieux, d’un côté,  et les personnes, de l’autre, s’influencent les uns les autres et constituent ainsi une manière unique et locale de vivre, créant de nouveaux rapports entre les êtres et les lieux. Si, comme le dit Heidegger, « habiter est un trait fondamental de l’être humain », on constate des habitudes différentes dans la vie de tous les jours et même des façons de bâtir et d’utiliser l’espace également différenciées. Ceci est vrai tant pour les sociétés que pour les personnes individuelles et leur lieu de vie, de travail, de loisirs, bref de tout lieu utilisé. L’homme des grandes métropoles a évidemment des modes d’habiter très différents de l’homme de la terre, l’homme de régions froides se distingue de l’homme de pays chauds, etc. Mais pour sortir d’un contexte trop théorique, interrogeons-nous plus profondément sur le concept et son intérêt.

Le mode vie concerne les lieux qui nous marquent et que nous marquons, c’est-à-dire les lieux  qui permettent d’initier des relations et des échanges entre les personnes et les lieux qu’ils habitent, et de créer ainsi une fusion entre l’homme et le lieu qui donne à cet ensemble des particularités propres géographiquement, socialement, professionnellement, intimement pourrait-on ajouter. Le mode d’habiter permet le passage d’une conception géographique trop objective et scientifique à une vision plus humaine et personnelle à définir, entretenir, développer pour se sentir à l’aide dans son environnement. L’idée de mode d’habitat n’a de valeur que parce qu’il permet de développer un contexte d’amélioration des rapports entre l’homme  et ses lieux de vie.

03/10/2018

Être

 

« Je suis celui qui est »

 Ramener toute chose à l’être, car, s’il n’y avait pas d’être, il n’y aurait pas de pensée.

C’est pourquoi il est nécessaire de se dire en face de chaque personne : « Il est », de la même manière, avec la même intensité que l’on se dit : « Je suis ».

En poursuivant cette démarche, on en viendra à dire :

« Je suis parce qu’il est ».

 

02/10/2018

Coup de froid

Il sortit, les pas sur la tête
Une bouche de chaleur dans l’oreille
Sans bruit ni trompette
Il émergea d’un tunnel sans fin
La rosée sur le nez
Appesanti par un silence fiévreux
Il se sentit extrait d’un coffre
Avec retour vaniteux à la lumière
Pfuit… Expulsé comme un pet
Et remisé sur la place publique
L’œil encore chavirant
« D’où sort-il celui-là ? »
S’exclama un gamin passant par là

Il est vrai qu’il ne sait
Cela tape dans sa tête
Comme un tambour entre deux immeubles
Suivi d’une claque, puis d’une caresse
Il ouvre avec patience les yeux
Déclenchant des ronds bronzés
Et des notes cristallines
Il cherche le cœur entre ses souliers
Et le remet à sa place
Le temps est arrêté dans sa fuite
Il surnage sur l’horizon
Flottant dans l’air vaporeux
Il contemple le visage de l’aimée
Derrière sa toile d’embaumement
L’œil ouvert, souriant et pâle
Comme une biche en forêt
Ou un pousse-pied en mer
Il n’a plus à, sans cesse, se grandir

Le sommeil se glisse en lui subrepticement
Et envahit son personnage
Il part, en toute tranquillité d’esprit
Dans les collines du rêve éveillé 

  ©  Loup Francart

01/10/2018

Ephistole Tecque (7)

Ce n’était pas cependant qu’Ephistole n’aima rien et n’éprouva pas de plaisir, quel que fut l’objet de ses divertissements. Mais ce plaisir, cette petite joie qu’on éprouve chaque jour à propos d’un rien, il la considérait comme normale, faisant partie de sa vie, se mêlant dans l’ordre logique des choses aux déceptions et déboires habituels. Il se laissait aller entre deux eaux, sans effort de sa part, comme un noyé qui, après avoir rempli ses poumons d’eau, s’est aperçu qu’il est impossible de respirer en subtilisant à l’eau trouble les quelques bulles d’oxygène qu’elle transporte. Sa seule préoccupation était de s’attacher à rester aux abords de cette ligne de démarcation impalpable, mais sensible, qui sépare les eaux en fonction de leur densité.

En fait, ses plaisirs n’étaient que passagers et plus dus à certaines circonstances extérieures qu’à une véritable conviction personnelle de leur agréable possibilité et des bienfaits qu’ils pourraient lui procurer de façon durable. Il prenait le plaisir comme il venait, inéluctablement, avec la simplicité de l’acceptation, car aucun détachement ne s’y mêlait (si ce n’est une sorte d’inertie à participer). Il le laissait repartir, non pas comme un être anormalement repu de jouissances de toutes sortes, mais comme s’il acceptait l’ordre inévitable du temps, ce va-et-vient continuel de contradictions qu’éprouve chaque homme au cours de sa vie. Il avait éprouvé des plaisirs banals qui sont peut-être les seuls vrais plaisirs intimes parce qu’ils semblent parfaitement anodins et injustifiés à autrui quoique celui-ci en éprouva de semblables pour d’autres choses. C’était par exemple la collection de cailloux qu’il avait patiemment accumulée au cours de plusieurs années de recherche dans les différents lieux qui l’avaient accueilli. Elle gisait maintenant éparse dans un tiroir de son armoire, ou, pour les plus belles pièces, sous son lit, comme si la matière des cailloux eût pu lui transmettre durant son sommeil l’inertie qu’il opposait aux évènements quotidiens.