Ephistole Tecque (10) (13/10/2018)

Ignorant quelle attitude il devait adopter, Ephistole lui avait montré quelques cailloux pesants et lui avait fait remarquer les nervures bleutées ainsi que l’imperceptible bosse dans le contour quasi symétrique des deux pôles. Il avait rapproché sa tête de la sienne pour mieux lui faire percevoir la particularité de la pierre, puis avait déposé le caillou sur le meuble qu’il avait devant lui. Il avait vu ce corps abandonné, inerte comme la matière du caillou, et l’avait porté sur le lit pour qu’il s’éveille, se meuve, s’essouffle avec une ardeur jusque-là insoupçonnée. Il s’était longtemps souvenu de ce visage aux yeux clos, les lèvres légèrement entrouvertes, le cou tendu rejetant en arrière le menton, comme si cette extension de la tête eut mieux permis la tension du corps, de la gorge offerte et des jambes entrouvertes. Souvenir plus tactile aussi de cette zone de chaleur moite qu’il avait découvert d’une caresse descendant de la forme symétrique des seins vers la forme plus apaisante et maternelle du ventre. Il se souvenait aussi, et ce souvenir évolua au fil des diverses expériences qu’il avait pu faire par la suite, d’un cri, ou deux, inhumain, presque animal, bestial dirais-je, suivi d’un long et profond soupir rauque et enfin d’une sorte de halètement apaisé comme celui du coureur à pied quelques instants après avoir passé la ligne d’arrivée.

Plaisir simple, me direz-vous, si simple qu’il semble naturel et que par là même il peut être classé parmi ces plaisirs anodins dont vous nous avez parlé plus haut. Peut-être ? Mais qui d’entre nous n’a jamais éprouvé à cet instant son illusoire puissance. Ephistole, comme vous, crut un temps avoir atteint une sorte d’idéal écologique et social. Puis son exaltation s’était faite de plus en plus brève, jusqu’à ne plus être par la suite qu’une sorte d’indifférence vis-à-vis de ces fonctions intimes. Il avait alors espacé ces moments de plaisir pour être à même d’en goûter plus profondément le charme illusoire.

07:24 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, récit, vie, vacuité, mal-être |  Imprimer