Ephistole Tecque (13) (28/10/2018)
Ce jour-là, Ephistole Tecque avait vécu une de ces journées habituelles, pas plus fatigantes que d'habitude, pas moins non plus, une de ces journées où l'atmosphère grisâtre des ciels d'automne répand jusque dans les esprits un égal mélange d'amertume et d'acceptation, comme le faisait la semonce d'un de nos professeurs lorsque, enfants, nous avions insuffisamment appris une leçon. Il s'était levé à l'heure habituelle, sept heures pour être précis, encore un peu engourdi par le sommeil, la paupière lourde (il l'avait décongestionné à l'eau chaude). Il s'était lavé et rasé sans avoir remarqué quoi que ce soit d'anormal dans le dessin de son visage ou dans son expression, même après avoir tiré sur sa peau pour passer un énergique coup de rasoir. Peut-être avait-il dans le regard une lueur d'ennui atténuée par l'habitude, mais rien d'autre et c'était somme toute normal. De même, le trajet entre sa chambre et l'usine s'était déroulé comme à l'accoutumée, banal même dans les propos échangés avec son voisin dans le métro, un vieillard de quarante ans, employé de bureau, qui lui avait déjà raconté au moins dix fois les malheurs qui l'avaient accablé durant sa courte vie. Sigalène, sa secrétaire, était restée égale à elle-même, jeune fille un peu vieille fille, insuffisamment belle pour être aimée, mais pas assez laide pour s'exhiber dans quelque baraque foraine et faire de son malheur un gagne-pain qui eût pu lui procurer un bonheur compensateur. Il s'était au fil des jours habitué à elle, comme on s'habitue à un vieux meuble qu'on a toujours vu dans une pièce et dont la laideur ne choque plus. Il avait même appris à l'aimer d'un semblant d'amour ou plutôt de sympathie créés par l'habitude du travail en commun et la compréhension qu'elle avait pour le soulager des problèmes secondaires qui occupent toujours une grande partie du temps et ne servent pas à grand-chose si ce n'est à retarder le véritable travail qu'on lui avait confié. Il avait ce jour-là travaillé avec la même application, un peu scolaire, un peu trop sérieuse, faisant de cette tâche l'unique préoccupation de la journée, comme si rien d'autre ne comptait pour lui en dehors des chiffres et des résultats accumulés en bas de page, entourés d'un trait noir comme le sont dans les livres d'école les diverses formules permettant à l'élève apprenti sorcier de résoudre divers petits problèmes concernant la fréquence d'un mouvement ou la trajectoire d'un projectile.
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