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04/06/2015

Matinale 7

Elle redescendit aussitôt, se retrouva à côté du jeune homme et lui fit signe. Il parut soulagé.

– J’ai cru que je vous avais perdu et m’en inquiétais. Vous êtes vraiment la première à qui je peux parler. Je suis enfin délivré ou plutôt je le serai lorsque vous aurez parlé à ma femme. Je pourrai alors m’éloigner de cette zone difficile à mi-chemin entre notre destination après la mort et le monde matériel dans lequel vous vivez. J’ai l’impression d’être écartelé et de tomber dans le vide. On y voit très peu de gens, qui tous, comme moi, attendent un possible contact avec le monde terrestre pour être délivré. Vous connaissez les fantômes bien sûr. Mais il n’y a pas qu’eux. Nombreux sont ceux qui tentent d’entrer en contact avec leurs anciennes connaissances. Chacun choisit sa stratégie. Ici, ce sont les tangentiels, comme on nous appelle de l’autre côté. Nous avons choisi de rester dans cette zone quasi matérielle jusqu’à ce que l’un de nous entre en contact avec un humain. En fait c’est un choix. Il se fait après le tunnel conduisant vers le lieu de lumière. Après l’examen de notre vie, il nous est donné de choisir ce que nous voulons faire en fonction de ce que nous avons fait dans notre vie : avancer sur le chemin, temporiser et réfléchir, laisser un signe à ses proches. C’est ce que j’ai choisi. Nous sommes en attente en un lieu difficile à définir, car nous ne sommes pas toujours conscients. De temps en temps, nous sommes propulsés aux abords du monde matériel, sans jamais cependant pouvoir y pénétrer entièrement. Il nous appartient de trouver le moyen de le contacter. On peut laisser un signe, déplacer des objets, parler de manière déguisée à quelqu’un, se montrer tout simplement sous forme de spectres, de fantômes, d’ectoplasmes. Mais cela suppose que de votre côté, quelqu’un soit attentif à ces signes, soit parce qu’il cherche, soit parce qu’il est curieux de nature, soit parce qu’il est dans une période psychologique difficile. Je pense que vous avez une difficulté dans la vie. Laquelle, je ne sais. Mais il faut la résoudre et vous n’aurez plus cette incertitude chronique qui vous conduit vous aussi près de cette tangente. C’est probablement pour cette raison que nous pouvons nous parler aujourd’hui. Ce ne sera peut-être plus possible demain.

– Et bien merci, s’exclama-t-elle. Ce n’est pas très gentil de me dire que j’ai un problème et que je dois le résoudre. Pourquoi en êtes-vous si sûr ? Cela va-t-il m’aider que vous me le disiez ? J’avoue ne pas comprendre. Je vous rends service, je vous délivre de vos cauchemars et pour me remercier vous me donnez une tâche à laquelle je ne m’attendais pas et qui va peser sur mon existence jusqu’à ce que je l’accomplisse. De quel droit faites-vous cela ?

– C’est plus qu’un droit. C’est un devoir auquel je ne peux me soustraire. Ceux qui s’engagent dans le choix d’être en tangente doivent prêter un serment moral. Dire la vérité à ceux qui leur viennent en aide, quelle qu’en soit les conséquences terrestres. Cela les sauvera probablement d’une vie post-mortelle pénible et incertaine.

Emilie ne sut que dire. Elle avait beaucoup de mal à suivre tout ce que lui expliquait l’homme. Cela lui paraissait à la fois extraordinaire et familier. Oui, quelque chose comme si l’on grattait une surface peinte pour dévoiler la vraie nature de l’objet. Tout à coup, elle se rappela :

– Attendez, il faut que je remonte.

Un coup de pied lui permit de repasser en surface pour respirer. Il lui semblait qu’elle avait oublié de le faire depuis un bon moment. Et pourtant cela ne lui avait pas manqué.

Elle replongea aussitôt, mais l’homme n’était plus là. Elle le chercha parmi les promeneurs qui discutaient entre eux. Elle parcourut la piscine, se rendit aux quatre coins. Il avait bel et bien disparu. Elle dut remonter à nouveau. Son souffle s’était accéléré, elle ne tenait plus la durée. Elle eut une impression d’étouffement qui la contraignit à regagner les bords de la piscine et à reprendre pied. Au même moment le maître-nageur siffla. C’était l’heure des scolaires qui entraient bruyamment en s’agitant. Elle vit à la surface une sorte de bouillonnement assez bref. « Ils sont repartis ! », se dit-elle, « et je suis la seule à le savoir ».

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