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20/12/2017

La tendresse présente : location à Lisbonne

Que retenir ?
Le masque sur le poêle
Chinoise au sourire rougi
La course au mouton sauvage
De Muraki, écrivain étrange
Mais d’un réalisme absolu
La fenêtre de la salle de bain
Baignée de lumière au matin
L’autre fenêtre sous la table
Où l’on s’encastre pour réfléchir
Le grenier blanc soleil
Qui s’endort au déjeuner
Et la présence invisible
De l’hôtesse toujours là, dans ces objets
Doucement offerts au creux des mains
Lorsque, les locataires endormis
La maison reprend vie, la vraie
Celle du jeu de cache-cache
L’ignorance de cette danse dans la nuit
Comme le cosmologue face au mur quantique
Laisse percer des anomalies incompréhensibles
Derrière les certitudes du juste raisonnable
C’est un feu bouillonnant et indéfinissable
Qui engendre en l’être humain allégé
La conviction d’un infini invisible
Plus prégnant que le temps et l’espace

 ©  Loup Francart

19/12/2017

L'homme sans ombre (41)

Quelques jours plus tard, paraît dans la presse française un article intitulé « Étrange affaire de succession dans une secte bouddhiste » : Une étrange affaire s’est déroulée à Paris dans les milieux tibétains. La secte Pingya venait d’installer un monastère dans le quartier du 13ème arrondissement et commençait à s’étoffer sous la conduite d’un tulkou qui serait d’origine française. C’est cette origine qui a suscité des jalousies, puis des antagonismes au sein des lamas de la secte. Ils leurs semblent inconcevables qu’un grand maître puisse se réincarner dans un enfant étranger aux traditions tibétaines. De plus, pour se justifier, ces adversaires font état de comportement tout à fait contraire aux coutumes du Tibet. Les tulkous sont et doivent rester célibataires. Ils ont, comme nos prêtres catholiques, une obligation de renoncement à la chair pour se consacrer à l’amour divin qui se porte vers tous les hommes et les femmes. Or celui-ci (nous n’avons encore pas réussi à identifier son nom réel) prétend se marier avec une française qui n’est même pas bouddhiste. Un sacrilège que les contestataires mettent en avant pour refuser dorénavant l’exercice du pouvoir par le rimpoché [1]. Ce n’est cependant pas un fait nouveau. Plusieurs Rimpoché se sont mariés tout en demeurant à la tête de leur secte. Ainsi le Sakyong Mipham Rinpoché s’est marié récemment avec la fille d’un autre Rimpoché et est devenu un véritable occidental. On constate d’ailleurs que les problèmes sexuelles sont aussi nombreuses dans le bouddhisme que dans le catholicisme. Ainsi, en novembre 1994, en Californie, Sogyal Rimpoché  a fait l'objet d'une plainte pour « mauvais traitements physiques, psychiques et sexuels ». Après de nombreuses polémiques entre les deux parties, Sugyal Rimpoché démissionne de la direction spirituelle de Rigpa, laissant celle-ci à un groupe d'anciens étudiants et de lamas tibétains.

Que va-t-il se passer pour cette  nouvelle secte bouddhiste qui jusque-là n’avait pas fait parler d’elle ? Nous n’avons pu approcher le jeune Rimpoché. Celui-ci a bien, en effet, été désigné tulkou par une commission de recherche d’un successeur. Ces parents se trouvaient en Inde où le père, ingénieur, dirigeait la construction d’un pont. Cette désignation ne posa pas de problème auprès des populations locales et il fut pris en main par les lamas de la secte sans difficulté. Devenu jeune homme, il décida de se rendre en Occident et d’y créer un monastère comme d’autres sectes bouddhistes ont pris l’habitude de le faire depuis plusieurs décennies. C’est au cours de ce retour dans sa patrie d’origine que le tulkou a rencontré une jeune fille qui, semble-t-il, embrouilla ses relations avec sa secte. Rien ne va plus au sein des fidèles et la rupture semble proche entre le maître et ses fidèles. »

 

[1] Rimpoché est une épithète honorifique propre au bouddhisme tibétain. Employé comme adjectif, il signifie littéralement « précieux ». Le titre Rimpoché est le plus souvent réservé à un lama incarné.

18/12/2017

Le mur quantique de la noosphère (1)

La poésie et l’imagination peuvent amener à des découvertes surprenantes. Cette nuit, devisant avec moi-même dans la cuisine devant un bol de café, s’assimilèrent en un éclair le monde physique et le monde des idées, c’est-à-dire la noosphère. Dans ce dernier monde, on navigue entre des idées, des impressions, des sentiments, des réactions, bref, en un univers ordonné et cohérent dès l’instant où l’on a su le découvrir avec rationalité et en tirer quelques règles relativement simples. Cette cohérence est donnée par la parole qui lie entre elles les représentations visuelles, sonores, tactiles, gustatives, odorantes et qui permet de les exprimer et de les partager. On pourrait dire que la parole est comme la gravité, elle maintient en cohérence le monde des idées qui nous entoure et nous permet d’appréhender la vie.

L’homme a toujours senti une attirance pour aller au-delà de notre monde physique. Tous les grands mystiques, chercheurs, artistes ont tenté de faire comprendre à leurs contemporains cette vision d’un monde tout autre qui les a transformés. Ils se sont exprimés selon l’objet de leurs recherches, mais derrière les apparences, c’est bien une même présence qui les attire et à laquelle ils consacrent leur vie. Certes, ce nouveau monde n’est pas perceptible directement et ne se dévoile jamais clairement. Mais des éclairs d’intuitions ont fait franchi le mur à ces élus et pénétrer dans le calme et la tempête, là où le temps et l’espace n’existe plus. On pourrait comparer cela à un trou noir du monde de la matière, mais c’est ici un trou blanc qui éclaire et guide la vision. Quelle exaltation les saisit ! Ces éclairs les transforment, les allègent, les enchantent. Revenu dans le monde habituel, ils ont contemplé leur vie et décidé d’approfondir cette surprise stupéfiante : il y a un monde invisible derrière le monde visible.

De même qu’il y a une frontière conceptuelle entre le monde de la physique gravitationnelle et le monde de la physique quantique, l’un et l’autre se comportant avec des lois différentes, on constate, par expérience personnelle, l’existence d’une frontière entre le moi bien ancré dans notre monde physique habituel et le soi appartenant au monde du sacré ou monde des symboles dont parle Jung. Peut-être même peut-on dire que ce monde qui se dévoile à nous est en lui-même une frontière qui mène au monde spirituel, frontière entre le moi et l’âme. Disons frontière parce que cet état est trouble et fait vivre dans les deux mondes sans que le choix soit fait définitivement par celui qui l’expérimente. Numineux, tel est le terme que certains emploient. Et ce terme est volontairement à double sens : d’une part, fascination à l’égard de la perception du divin et séduction  par cette présence immatérielle, d’autre part effroi et terreur  face à l’incompréhensible et au mystère. L’expérience de ce numineux est donc trouble et difficilement définissable, de même que l’expérience entre le monde physique géré par la gravitation et le monde quantique dont les lois sont fondamentalement différentes. Ainsi, dans le monde quantique, on peut être et ne pas être en même temps, comme l’a mis en évidence l’expérience du chat de Schrödinger à laquelle le physicien Everett a donné une étrange explication. L’univers serait une immense onde quantique, somme des possibilités et impossibilités de tout ce qu’il contient, imaginables ou non, toutes ces possibilités existant simultanément, comme autant de chats à la fois morts ou vivants. Toutes les possibilités existent à chaque instant, mais elles ne sont pas visibles. Il existerait donc une inconcevable multitude d’univers parallèles où toutes les possibilités sont réalité.

Pour ce qui est du monde de la pensée que l’on pourrait également appelé monde de l’information, on constate la même frontière entre le monde du rationnel (celui de la noosphère, somme des pensées sur le monde physique) et le monde spirituel ou monde du sacré, seul accessible par le numineux, état trouble et indéfinissable qui contraint l’être à revoir sa vision de l’univers et de la vie. Mais ce n’est que l’ouverture sur plusieurs mondes : le soi permet d’accéder à la connaissance de l’âme, entité du monde spirituel, puis, au-delà, au monde du Tout divin que certains appellent le Tout autre pour ne pas employer un terme rappelant celui de "Dieu", trop empli d'appropriations exclusives.

17/12/2017

Il est encore temps

Oui, il est encore temps de commander "Un sourire et quelques mots" pour vos cadeaux de Noël ou de nouvel an.

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« C’est justement lorsque nous abandonnons notre histoire personnelle que nous découvrons la vraie vie. »

 

Sourire aux autres, au monde et à soi-même reste la meilleure thérapie contre la morosité et l’amertume. Dans de brefs textes, l’auteur s’interroge sur le mystère de la vie individuelle (notre histoire personnelle, le destin, le bonheur, l’au-delà du moi), l’avenir collectif (la politique, la culture, la communication, l’art), l’univers (le Big Bang, l’infini, la noosphère), ainsi que d’autres sujets plus terre à terre (la danse de la Parisienne, le bain de mer, courir la nuit).

Ces anecdotes et réflexions sont drôles, provocantes, parfois intimes, à méditer, au lit, sur la plage ou dans le métro.

 

 

Livre broché : 18,90 € TTC
E-book : 7.99 €
298 pages
ISBN 979-10-326-0249-2

 

A vous qui errez dans votre être sans le comprendre,
A vous qui cherchez la lumière au-delà du moi,
A vous qui entrevoyez derrière votre histoire personnelle
Ce vide qui possède avec sobriété l’attrait du plein,
Ouvrez ce livre et laissez-vous prendre
Par ses anecdotes, réflexions, interrogations
Qui vous ouvrent la voie et incitent au retournement.

 

https://www.youtube.com/watch?v=OodjVwXH1Co


  Les commandes peuvent être passées :
- Sur le site internet de l'éditeur : http://7ecrit.com/livre/sourire-quelques-mots 
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16/12/2017

La peur du condamné

 

La grande peur du condamné n’est pas la crainte de mourir.

C’est la connaissance du fait qu’il ne vivra plus.

 

15/12/2017

L'homme sans ombre (40)

Mathis envisage de démissionner et de rompre définitivement avec ses fonctions religieuses. Il ne sera pas le premier. Très récemment, Jamgon Kongtrul Rinpoche s’est démis de ses activités après une cabale de plusieurs années. Il se souvient encore de ce que celui-ci a écrit lors de sa démission en 2016 : « Les choses paraissent si bien et correctes en façade mais par derrière c’est un chaos, et je ne puis vivre une vie telle que cela, montrant un visage radieux mais à l’intérieur je me sens incapable et indigne de ce nom. (…) Ceux qui pensent uniquement à leur image et solennité en public risquent d’être déçus et seront ceux qui vraiment sont centrés sur leur ego, et égoïstes. Plutôt que de m’accuser vous feriez mieux de regarder les problèmes et voir clairement quelles circonstances me poussent à partir. »[1]

Cependant, Mathis ne rejette pas le bouddhisme. Il continuera à progresser sur le chemin de l’éveil, mais ce sera en s’appuyant sur l’amour et non sur la connaissance. De plus, sa position de tulkou l’engage et il ne peut rompre sans résoudre le problème. Il se réfère  à sa Sainteté le Dalaï Lama pour qui la chose essentielle qu’un tulkou doit garder à l’esprit est de ne jamais abandonner les enseignements du Bouddha. Terminant son allocution lors du départ de Jamgon Kongtrul Rinpoche, le Dalaï Lama dit qu’un tulkou ne doit jamais cesser de travailler pour les êtres, quelle que soit sa situation : "C’est tout ce que j’ai à dire. J’ai fait tout ce que j’ai pu jusque-là. Je ne suis pas débarrassé de tous les défauts, je n’ai pas développé toutes les qualités. Mais quoi qu’il arrive, je continue de penser que je ne renoncerai pas à mon activité bénéfique envers le bouddhisme et les êtres. Gardez bien ceci à l’esprit."

Alors, il lui faut encore franchir quelques étapes envers la hiérarchie tibétaine, dans la rage des hommes à acquérir le pouvoir. Et celui-ci ne l’intéresse plus. Il n’aspire qu’à l’amour, un amour universel qui se porte vers tous.

 

[1] https://www.larbredesrefuges.com/t11165-jamgon-kongtrul-lodro-chokyi-nyima-quitte-ses-fonctions

14/12/2017

Solitude et révolte

L’homme d’aujourd’hui se meurt hors de la société et il n’a jamais été aussi seul dans la société.

L’apprentissage de la solitude volontaire est l’apprentissage de la connaissance de soi, alors que la solitude dans la société entraîne la révolte ou l’inaction. Le monde d’aujourd’hui est un monde de solitaires par obligation, aussi n’y a-t-on jamais autant vu de révoltés et d’inactifs.

Le seul moyen de lutter contre la révolte ou l’inaction est de résister à la solitude involontaire. Elle est plus souvent morale que matérielle et est due au mouvement.

 

Redonner à la vie corporelle et spirituelle, la stabilité qu’elle a perdue,

Retrouver les valeurs immuables.

 

13/12/2017

Femme

Toi, femme, origine et avenir de l’univers
Ignorée de la force destructrice de l’évolution
Assise dans l’éternel repos du cœur
En mouvement discret entre les êtres
Reliant les uns aux autres avec aménité
Emplissant l’âme d’absence rayonnante

Comment ne pas te dire, en toute fraîcheur :
« En toi, je suis ; par toi j’étais ; avec toi, je serai »

Coule-toi dans sa quiétude tranquille
Épouse ces courbes chaleureuses
Immerge-toi dans l’être chéri et revivifiant
Laisse parler en elle la vie et l’amour
Et considère-toi chanceux de côtoyer
L’origine de ton être dans sa pleine lumière

La femme n’est rien pour être tout
La femme est l’avenir du monde
Éveillant la vie entre les entités
Leur donnant élasticité et reliance
Mettant en convergence les sons
Pour devenir contrepoint et harmonie

Oui, tu es belle, femme parmi les femmes
Amour donnant ton amour à tous
Centre de l’être, infini par humilité
Tout en recherche de l’unité
Et pourtant rien aux yeux du cri sauvage
Sur le pouvoir et l’arrogance de la force

 ©  Loup Francart

12/12/2017

Bouteilles vertes échappées de l’oubli

 

Bouteilles vertes échappées de l’oubli
Qui dorent leurs liquides au soleil de l’oubli
Bienfaisantes, chaudes, dépouillées
Vous êtes ce que nous sommes au regard
La consistance et la racine de la gaité
Vides, ignorées, vous sombrez dans l’oubli
De nos corps gorgés et repus

 ©  Loup Francart 

10/12/2017

Le professeur de philosophie et de physique

Ce professeur était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philosophie. Sa salle de classe était une toute petite pièce disposant d’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Les élèves étaient serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir derrière des tables en fer gondolées. Mais peu leur importait, ils entraient dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Ils l’avaient surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme le célèbre savant des cheveux crépus en envol autour de sa tête et se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe.

Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Ses camarades jeunes filles en rosissaient, quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur.

Il éclairait sur l’origine du monde, leur parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il les initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et ses élèves ne soupçonnaient pas les trésors qu’il leur divulguait. Ils l’ont tous remercié à la fin de l’année.

Il n’a qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.

09/12/2017

L'homme sans ombre (39)

Que doit-il faire ? Il ressent maintenant les difficultés de ce qu’il a entrepris. Il discerne dans le même temps, toute la joie apportée par sa rencontre avec Noémie et la libération intense de ses préoccupations. Il comprend qu’il n’atteindra pas le nirvana en poursuivant dans cette voie. Il comprend également que l’amour humain seul ne peut lui permettre de l’atteindre. Mais il sait d’instinct qu’il constitue une aide pour le conduire à l’amour universel et au bonheur suprême. Que de chemins encore à parcourir, mais cette fois-ci sans recherche d’un but matériel,  lié à des désirs personnels, mêlés, il est vrai, à des préoccupations mystiques. Il n’est pas encore éveillé et sa connaissance ne lui sert à rien. Il doit maintenant s’efforcer de franchir la dernière barrière : passer de l’amour humain à l’amour divin. Il sait qu’il ne pourra le faire que dans la joie que lui donne Noémie qui le précède dans cette compréhension de l’amour. Redevenir le petit enfant et suivre celle qui l’a précédé. Enfin, il s’éveille, non à la manière du bouddha, car il n’a pas encore accédé au nirvana, mais à une voie autre qui pourrait l’y conduire.

Il dit alors adieu au compagnon qui l’a aidé et prend le chemin de Paris. Il est prêt à envisager une autre vie, plus libre, plus réelle, moins tendue et, finalement, moins fausse. Il part le nez au vent, sans souci, sans interrogation, sans l’ombre d’un regret. Il sait où il va, ce qu’il veut et plus rien ne l’en fera démordre. Il a détruit les barrières qu’il s’était érigées et s’ouvre à l’inconnu, sans aucune crainte. Il sait qu’il perd ce qu’il a mis tant de temps à acquérir, mais peu importe. Il est libre. Il va perdre ses pouvoirs, tous ses pouvoirs : matériels, psychologiques, spirituels. Cela ne le bloque plus. Il est libéré.

08/12/2017

Souvenirs

Parfois reviennent des bribes de souvenirs
Elles sont ténues, orphelines et soumises au vent
Elles errent comme les atomes dans l’espace quantique
Apparaissent où on ne les attend pas, indiscrètes
Et mêlent leur irruption d’un parfum de déjà vu
Mais te souviens-tu de leur lieu et du moment
Où elles frappèrent de surprise ton attention
Jusqu’au bout de tes certitudes et désolations
L’effet produit, elles repartent aussi vite que possible
Et s’oublie cet instant, béni ou non, de l’apparition
Dans l’horizon des possibles et le ciel du probable
D’une certitude d’un fait sans rappel de sa naissance

Le jour où la larme rappela ta détresse sans motif
La nuit où ton corps fut mon dernier refuge
Le matin quand la fraîcheur des vies t’enivre
Le soir quand l’espoir endort tes défenses
Et tous ces entre-deux, de surprise en surprise
Qui frappent à ta porte et enfoncent leurs doigts
Dans le cerveau brûlant des jours d’antan

 ©  Loup Francart

07/12/2017

Ecoulement

Seul,
Il est.
Il frémit.
Est-il parti ?
Rien ne le retient
Au bord de l’abime.
Quel voyage cahotant…
La chute en sera plus rude.
Plonge et surnage dans les vagues !

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06/12/2017

Aimez-vous Brahms ?

Un film franco-américain d'Anatole Litvak, vieux certes, inspiré du roman du même nom de Françoise Sagan et sorti en 1961. Une histoire très banale qui, au fond, manquerait d'intérêt si Ingrid Bergman ne jouait merveilleusement. Les dialogues possèdent  parfois la saveur de la vérité, en particulier une phrase qui semble banale à première vue : "J'ai rencontré une femme. Une vraie. Elle est gaie, elle est triste aussi." Une autre, moins belle : "La pire des condamnations: vivre seul et sans amour". Mais c'est un lieu commun.

http://www.dailymotion.com/video/xalcae




05/12/2017

L'homme sans ombre (38)

Il lui revient à la mémoire qu’au-delà de la compassion (karunâ) mise en avant par le bouddhisme, l’essentiel est bien l’amour (sanskrit maitrî), sentiment qui vise à procurer le bonheur à tous les êtres : « Que tous les êtres soient heureux ! Qu'ils soient en joie et en sûreté ! Toute chose qui est vivante, faible ou forte, longue, grande ou moyenne, courte ou petite, visible ou invisible, proche ou lointaine, née ou à naître, que tous ces êtres soient heureux ! Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être si peu que ce soit ; que nul, par colère ou par haine, ne souhaite de mal à un autre. Ainsi qu'une mère au péril de sa vie surveille et protège son unique enfant, ainsi avec un esprit sans limites doit-on chérir toute chose vivante, aimer le monde en son entier, au-dessus, au-dessous et tout autour, sans limitation, avec une bonté bienveillante infinie. Étant debout ou marchant, assis ou couché, tant que l'on est éveillé, on doit cultiver cette pensée. Ceci est appelé la suprême manière de vivre[1]. » Il se souvient que l’homme est sur terre pour être heureux et que le rôle d’un véritable tulkou est bien sûr de faire vivre une communauté ou une école de méditation, mais surtout d’incarner la compassion et l’amour. Il prend conscience de cet oubli et de son acharnement à ne se pencher que sur la renaissance de la secte. Il a perdu la joie (muditâ). S’il n’y a pas de joie dans l’amour, il ne s’agit pas d’amour véritable. De même, s’il n’y a pas de liberté (upékshâ), il n’y a pas d’amour véritable. Quand on aime, on offre la liberté à celui ou à celle qu’on aime, une liberté tant extérieure dans le monde matériel qu’intérieure dans son être le plus profond[2].

 

[1] Suttanipâta, I, 8. Cité in Rahula, p. 125.

[2] Thich Nhat Hanh, l’amour veritable, in http://www.buddhaline.net/L-amour-veritable  

04/12/2017

Comment ?

Comment s’épousent mes angles droits
Avec tes courbes et tes douceurs ?

Comment encore peux-tu dormir sans douleur
Auprès du paillard ronflement des organes outranciers ?

Comment tes exclamations rafraîchissantes
Rivalisent-elles avec la profondeur de nos vitalités ?

Comment ton rire et ta joie de vivre
Se concilient-ils avec l’éclat de nos moqueries ?

Comment la tendresse envoûtante de ta nudité
Accepte-t-elle la gaillarde prétention de nos manifestes dressés ?

C’est un miracle bien léger, mais si débordant
Que chaque jour l’homme et la femme se retrouvent
Serrent ensemble leurs peines et leurs espoirs
Dans une félicité conjointe et revivifiante
Qui chante joyeusement l’amour et la filiation
Et contemplent du haut de leur union le mystère humain
Deux en un, divergents et pourtant étroitement emboîtés

 ©  Loup Francart

03/12/2017

La création artistique

 

Il faut un thème à chaque création artistique, sinon l'art tombe dans la facilité de certains surréalistes et devient une sorte d'automatisme psychologique qui, bien que naissant d'une même aptitude à saisir les rapports, est opposé à l'art, car il ne possède pas cette réflexion qui doit épauler la création.

 

02/12/2017

L’annulaire, un roman de Yoko Ogawa

Le livre pourrait s’appeler le mystère du laboratoire de spécimens. La jeune filroman,japon,littérature fantastiquele qui y travaille a eu un accident dans la société qui l’employait auparavant. Elle a perdu le bout d’un doigt dans un engrenage. Ici le travail est plus simple, mais sait-elle réellement à quoi il sert ? Son propriétaire recueille des spécimens qu’amènent les gens et les conserve avec une préparation en laboratoire auquel elle n’a pas accès. Ils sont ensuite étiquetés et placés sur des étagères dans diverses salles. A quoi servent ces spécimens ? Il est difficile de leur trouver un but commun. Les raisons qui poussent à souhaiter un spécimen sont différentes pour chacun. Il s’agit d’’un problème personnel. Cela n’a rien à voir avec la politique, l’économie ou l’art. En préparant les spécimens, nous apportons un réponse à ces problèmes personnels. Vous comprenez ? explique M. Deshimaru, le propriétaire du magasin laboratoire.  Un visiteur arrive avec l’objet qu’il veut faire naturaliser. Après les formalités d’usage, vous le prenez et j’en fais un spécimen.

C’est ainsi qu’un jour, une jeune fille vient faire naturaliser un morceau de musique. Pas la partition, la musique elle-même. Pour cela, M. Deshimaru fait appel à une vieille demoiselle qui jouera la partition et le tout sera enfermé dans un tube de verre fermé par un bouchon de liège. Le même jour, M. Deshimaru lui offre une magnifique paire de chaussures qui s’ajuste parfaitement à ses pieds et les lui met aux pieds avec des mains caressantes. Elle doit les garder et il détruit les anciennes chaussures. Ils prennent l’habitude de se retrouver dans la salle de bain du magasin pour discuter, puis pour s’aimer étroitement dans la baignoire. Une autre jeune fille débarque un matin. Elle veut conserver un spécimen de sa brûlure sur une joue. Elle passe dans le laboratoire avec le propriétaire, mais ne ressort jamais. Qu’est-elle devenue ?

D’autres péripéties s’échelonnent au long des pages. Laissons-les là pour que vous les découvriez. La fin est-elle une fin ? L'assistante veut aussi son spécimen, c’est-à-dire le bout de son doigt. Elle prépare le tube, les étiquettes et va frapper à la porte du laboratoire. C’est ensuite à votre imagination de finir le roman selon votre personnalité.

Une atmosphère pleine de mystère au travers de descriptions très matérielles et pratiques. C’est une sorte de rêve éveillée, une histoire simple, si simple que l’on se demande ce qui transforme le récit en un conte énigmatique dont le déroulement vous envoûte.

 

01/12/2017

L'homme sans ombre (37)

Voilà pourquoi il s’est enflammé pour la jeune fille merveilleuse qu’est Noémie. Cette expérience nouvelle lui ouvrait des horizons inconnus. Il avait senti en lui naître des perceptions mystérieuses, des sensations ignorées, des impressions étranges, des sentiments cachés qu’il avait du mal à analyser. Une faille était apparue dans l’être auquel il était habitué, une dimension jusqu’ici non perçue s’était ouverte. Il avait découvert sa part de féminité, une vision adoucie de l’univers se surajoutant à sa propre vision. Il connaît maintenant non seulement la consistance et le poids des choses, mais également ce qui les relie entre elles, ces ondes colorées qui tissent l’harmonie et la sérénité, le mariage du plein dans le vide. C’est une libération. Il ne connaissait les choses qu’une à une, les analysait dans leur forme, leur couleur, leur senteur, leur toucher, et il en découvre l’envers, ce qui leur permet d’être pleinement ce qu’elles sont au milieu des autres, leur particularité, leur infinitude, leur extraordinaire plénitude. Le langage de l’amour est en toute chose, il suffit de se mettre en condition pour le recevoir, de s’abandonner à cette mélodie des frissons, caresses, baisers.

Pendant environ une année, ces deux appréhensions de la vie se sont côtoyées, tantôt orientées vers une plus grande connaissance,  tantôt vers un plus grand amour. La présence de Noémie l’emplissait de bonheur, mais il ne pouvait dans le même temps, s’empêcher de penser à son monastère et à son rôle. Un jour, il découvrit qu’un certain nombre de Rinpoché s’étaient mariés et que cela ne les avait pas empêchés d’exercer leur fonction. Cela le tranquillisa et lui donna la force de poser le problème au sein de la secte. Ce fut alors que commencèrent ses ennuis. Une importante minorité s’opposait à ce mariage, en particulier parce que la fiancée était européenne et non tibétaine. Il est maintenant au stade du choix. Il ne peut plus reculer : l’amour ou les pouvoirs spirituels ! Il a maintenant entrevu que la connaissance, même d’ordre supérieur, c’est-à-dire une connaissance mystique, mal comprise et mal dirigée, est une impasse dont il faut sortir. Mais il a également compris que l’amour humain entre un homme et une femme ne permet pas non plus la connaissance de l’amour mystique. Sa durabilité est trop souvent insuffisante. Seuls quelques êtres accomplissent pleinement une vie d’amour jusqu’au bout. D’ailleurs la littérature met en scène non pas des couples ayant accompli leur vie dans l’amour mutuel, mais ceux qui ont eu des difficultés et qui, le plus souvent, n’ont pas tenu jusqu’au bout ou encore sont morts avant d’avoir connu la félicité de cet amour.

 

30/11/2017

Concupiscence

Surréaliste ce dessin ! Un monde imaginaire qui vogue dans la noosphère en mélangeant des notions différenciées à commencer par les règnes du minéral, du végétal, de l'animal et de l'humain. Est-ce possible? Oui, mais uniquement dans l'imagination qui transforme la réalité en un vaste champ de possibilités.

 

Concupiscence 1.JPG

Concupiscence
Encre de Chine
1969

29/11/2017

Maxime

L'homme reste encore attaché à l'esprit de possession, même dans le renoncement.

Il n'a pas le droit de savoir qu'en renonçant à tout il le possède, car s'il le sait, il s'attache encore à cette possession dans le renoncement et ne possède rien.

On ne possède vraiment que lorsqu'on croit ne rien posséder.

28/11/2017

Haïku

 

Las et délaissé,

Il se terre, essoufflé.

N’a-t-il plus de foi ?

 

27/11/2017

L'homme sans ombre (36)

Plongé en lui-même, Mathis regarde son personnage. Il se perçoit tel qu’il est et non tel qu’il croit être. Il observe l’être impulsif et dissimulateur qu’il peut devenir à certains moments. Que veut-il ? Il ne sait plus. Faire grandir en lui le tulkou et faire briller l’école de méditation qu’il a créée ? Rassembler de nombreux disciples et recevoir leurs hommages ininterrompus ? Il comprend soudainement la vanité de ce destin : les cérémonies interminables où il doit s’imposer une dignité qui n’existe pas en lui, les heures passées en lotus pour paraître et être admiré, la pauvreté d’une vie réelle, bien à lui, qu’il ne peut développer par peur d’être démasqué.

Plus profondément, Mathis entrevoit les désordres de ses pratiques de méditation : la pratique du calme mental, appelé Chiné au Tibet, où l’on place l'esprit dans un état de vigilance, sans distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans tension. Il saisit ses erreurs conduisant à un état de frustration et de culpabilisation inutiles : sa « crainte des pensées, son irritation ou son inquiétude de leur apparition, sa croyance que l'absence de pensées est une bonne chose en soi. Lorsqu'il médite, le plus grand empêchement vient véritablement des productions mentales surajoutées, des commentaires sur soi-même et des préconceptions[1]. »  Alors il tente la pratique de « Lhaktong » qui conduit à la vision supérieure : exploration du corps comme support de méditation, examen de la nature qui parfois l’a conduit à un nihilisme exagéré, observation de l’esprit qui met en évidence que celui-ci n’est qu’une continuité d’instants.

Il découvre brutalement que toute sa recherche mystique ne porte que sur la connaissance. Certes, une connaissance supérieure à la connaissance rationnelle des chercheurs en cosmologie, mathématiciens et physiciens, une connaissance du domaine du fonctionnement de l’esprit, mais dont l’objet a pour but la croissance du moi et non l’expérience de la vacuité du soi. La seule connaissance de l’amour qu’il ait est son attachement à Noémie. Il n’a expérimenté que l’amour humain et la connaissance mystique. Il ne sait rien de la connaissance savante des hommes et de l’amour mystique des chercheurs de Dieu.

Un intense découragement le saisit. Aurait-il raté sa vie, poursuivi une chimère, développé des pouvoirs plus ou moins occultes sans aucun bénéfice réel ? Il essaie de se souvenir comment s’est passé le choix des envoyés du monastère pour désigner le Toulkou. Oui, certes, il avait « reconnu » certains objets qui appartenaient à l’ancien rimpoché. Il les avait désignés sans peine, mais pourquoi ? Il ne savait pas. Pas d’hésitation, mais pas de certitudes non plus. Il avait fait plaisir à ces gens, mais sans comprendre les enjeux que cela représentait. Il était fier d’être la cible de tous les regards, des sous-entendus que cela impliquait, de l’attention de l’ensemble du monastère à ce qu’il faisait ou disait. Il tint son rôle sans peine, mais qu’était-il, lui, derrière son personnage ? Il a grandi en prenant garde à ce que pourraient penser les gens, ce qu’ils pourraient dire, ce qu’ils pourraient ressentir. Il s’est coulé dans le personnage d’un Toulkou et il l’a tellement bien joué qu’il ne voyait pas ce qu’il aurait pu être d’autre. Et pourtant, était-il satisfait ? Il est maintenant conscient de son manque de détachement intérieur, de son défaut d’intériorité réelle. Tout ce qu’il a fait s’effectuait dans le domaine de la connaissance et non de l’amour. Il était, il est encore le maître de pensée, mais il ne connait rien à l’amour, à ce qui lie les humains entre eux plus fort que l’intérêt quel qu’il soit.

 

[1] Bokar Rimpoché, La méditation, conseil aux débutants, Editions Claire lumière, 2007

 

26/11/2017

L'invisible

 La matière, rationnelle, organisée, connaissable
Satisfaisante pour l’esprit curieux et logique…
Elle est là, fidèle, présente, toujours au même endroit
Elle barre la route aux démons de l’imagination
Elle s’oppose aux tourbillons de la pensée
A l’illusion d’une échappatoire impalpable
Aux vertiges d’une création personnelle

Refus de la lessiveuse tournoyante
Au profit de la solidité définitive !

17-11-24 L'invisible derrière le visible +LF.JPG

Mais derrière ce monde visible
Derrière cette évidence maquillée
Quelle certitude sans fondement
Et pourtant si forte et prenante
S’empare de votre être et lui donne
L’énergie, l’espoir et la joie
Ce vide au creux de l’aine
Qui pèse plus lourd que la poussière
Et conduit vers une autre totalité

Elle vous accompagne vers la lumière
Entraperçue derrière le visible
Suggérée par le tremblement
De l’être vidé de lui-même
Nu devant la grandeur ineffable
De ce rien qui devient tout
Derrière l’infini de l’univers
Qui emplit le visible
Sans satisfaire l’esprit

 ©  Loup Francart

 

Acrylique sur bois, avec kapla ; 70x70 cm; novembre 2017

25/11/2017

Louange

Des couleurs à la non couleur… du bruit au silence bienfaisant…. Du mouvement à l’immobilité…

Et ces mouvements infimes de l’action à l’être ébranlent progressivement la certitude. Qu’est-ce que la vie ? Une étincelle. Entre les yeux, ce vide intense qui éclaire tout. Ce n’est pas le néant. Ce n’est pas le rien. C’est l’infini imaginaire, encore plus puissant que l’infini matériel. Une tornade impalpable qui tourbillonne, puis se calme pour devenir aussi tendre qu’un baiser. Et c’est la jonction entre ces deux infinis, quels qu’ils soient, qui produit l’étincelle.

 

L’émotion éprouvée par l’âme est faite de rires et de sanglots,

Parce que seule l’âme est sensible aux contraires

Et perçoit les différents aspects des choses.

24/11/2017

Maxime

 

Renoncement à soi, même au don de soi !

Donner peut être le fait de l’égoïsme

Qui consisterait à s’aimer en tant qu’on se donne

 

 

23/11/2017

Affection

Trois jours de folie… Dans mon lit…
Étendu sur ma couche, sans volonté…
Un rat crevé, la bouche de fièvre embellie…
Rien ne pouvait m’en faire bouger…

Les vagues bruits de la circulation
Les cris d’une cour de récréation
L’automne sale qui coule aux murs
Et rend la traversée d’une rue si peu sûre

Et moi, engoncé dans mon cocon
L’oreille pâle et l’œil hagard
Clignotant à l’ombre du balcon
Ecrasé dans les draps du placard

Seul, perdu dans la chaste défaite
De l’être gaillard et sûr de lui
Je me laisse partir, nu, sans fête
Glissant jusqu’au bout des nuits

J’entends les voix des jeunes filles
Qui devisent et courent dans la rue
Esquivant à l’image des anguilles
Regards et gestes des malotrus

Pourtant que ferais-je sans relève
Sans ces rappels incessants
De la vie, des corps et de la sève
Qui gonfle un sommeil rayonnant

L’être encore maintient son rire
Et évacue sa torpeur envahissante
L’œil agite son iris pour s’enquérir
De toute originalité resplendissante

Les jours s’écoulent, sans répit
Pour celui qui git, sourit, pâlit
Se caresse les joues rêches
Et rêve d’un verre d’eau fraîche

 ©  Loup Francart

22/11/2017

L'homme sans ombre (35)

Plongé en lui-même, Mathis regarde son personnage. Il se perçoit tel qu’il est et non tel qu’il croit être. Il observe l’être impulsif et dissimulateur qu’il peut devenir à certains moments. Que veut-il ? Il ne sait plus. Faire grandir en lui le tulkou et faire briller l’école de méditation qu’il a créée ? Rassembler de nombreux disciples et recevoir leurs hommages ininterrompus ? Il comprend soudainement la vanité de ce destin : les cérémonies interminables où il doit s’imposer une dignité qui n’existe pas en lui, les heures passées en lotus pour paraître et être admiré, la pauvreté d’une vie réelle, bien à lui, qu’il ne peut développer par peur d’être démasqué.

Plus profondément, Mathis entrevoit les désordres de ses pratiques de méditation : la pratique du calme mental, appelé Chiné au Tibet, où l’on place l'esprit dans un état de vigilance, sans distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans tension. Il saisit ses erreurs conduisant à un état de frustration et de culpabilisation inutiles : sa « crainte des pensées, son irritation ou son inquiétude de leur apparition, sa croyance que l'absence de pensées est une bonne chose en soi. Lorsqu'il médite, le plus grand empêchement vient véritablement des productions mentales surajoutées, des commentaires sur soi-même et des préconceptions[1]. »  Alors il tente la pratique de « Lhaktong » qui conduit à la vision supérieure : exploration du corps comme support de méditation, examen de la nature qui parfois l’a conduit à un nihilisme exagéré, observation de l’esprit qui met en évidence que celui-ci n’est qu’une continuité d’instants.

Il découvre brutalement que toute sa recherche mystique ne porte que sur la connaissance. Certes, une connaissance supérieure à la connaissance rationnelle des chercheurs en cosmologie, mathématiciens et physiciens, une connaissance du domaine du fonctionnement de l’esprit, mais dont l’objet a pour but la croissance du moi et non l’expérience de la vacuité du soi. La seule connaissance de l’amour qu’il ait est son attachement à Noémie. Il n’a expérimenté que l’amour humain et la connaissance mystique. Il ne sait rien de la connaissance savante des hommes et de l’amour mystique des chercheurs de Dieu.

 

[1] Bokar Rimpoché, La méditation, conseil aux débutants, Editions Claire lumière, 2007

 

21/11/2017

Détruire, dit-elle, de Marguerite Duras (2)

Alissa n’est pas encore allée au-delà de la folie, de cette folie apparente engendrée par la destruction. Elle est la destruction (détruire, dit-elle) et en fait elle qui déclenche le drame, car rien ne serait arrivé ans elle. Alissa sait, dit Max Thor, mais que sait-elle, se demande-t-il. Sans doute, ne le sait-elle pas elle-même, n’est pas capable de le formuler. Seul Stein pourrait le faire, mais Stein ne répond pas. Alissa comprend Stein d’instinct, intuitivement. Elle le sent fémininement et Stein la comprend, c’est pourquoi l’amour naît aussitôt entre eux, ontologiquement pourrait-on dire.

Max thor n’est pas encore du même camp. Il cherche. Il s’interroge, il regarde de la même manière dont regarde Elisabeth Alione. « Quelque chose le fascine et le bouleverse dont il n’arrive pas à connaître la nature », aussi bien chez Elisabeth que chez Alissa. Il ne connaît pas Alissa, sa femme. Il la cherche, car il sait que c’est en elle que doit être la réponse ; et ce problème, le seul qui le touche vraiment, s’effacera de lui-même, sans qu’il ait besoin d’en avoir la réponse, au cours du troisième temps du livre, au cours de l’affrontement. Alors il saura ce qu’est Alissa et Stein. Elisabeth Alione le fascine également. Il l’aime d’un amour différent de celui qu’il éprouve pour Alissa (amour inquiet et interrogateur, tourné vers l’avenir), d’un amour tourné vers le passé qu’il ne peut encore quitter tout à fait, ne connaissant pas l’avenir.

Enfin, il y a Elisabeth Alione, qui, en fait, n’existe pas en elle-même, c’est-à-dire en tant qu’être propre, individuel et personnel. Elle croît à ce que les autres disent d’elle. « Elle est à celui qui la veut, elle éprouve ce que l’autre éprouve. Elisabeth Alione, c’est le passé. Tout n’existe pour elle que par le passé et l’avenir lui fait peur car aucun passé ne s’y rattache. Aussi a-t-elle peur des trois autres et surtout d’Alissa, peur d’eux qu’elle ne comprend pas parce qu’elle ne sait rien d’eux alors qu’eux savent tout d’elle. Une fois dans sa vie, Elisabeth aurait pu être en tant qu’être véritable, mais elle a eu peur de cette lettre du médecin qu’elle a montré à son mari parce que, là encore, elle avait peur d’un avenir différent du passé, inconnu. Puis elle a regretté son geste parce que quelque chose en elle disait oui à la lettre. Sa maladie véritable venait en fait de cette contradiction entre ce qu’elle croyait être et ce qu’elle était réellement, intérieurement. La destruction de l’ancienne Elisabeth commence le jour où elle rencontre Alissa, puis Stein. Elle découvre par l’intermédiaire d’Alissa la véritable cause de sa maladie. Elle ne peut plus redevenir ce qu’elle était auparavant, bien qu’elle ne s’en rende pas compte, et au-delà de la peur qu’elle a éprouvée, elle découvre le dégoût (ces nausées… Ce n’est qu’un début, dit Mas Thor. Bien… Bien… dit Stein).

« Il y a eu un commencement de… comme un frisson… non... un craquement de… du corps », dit Stein.

« Ce sera terrible, ce sera épouvantable, et déjà, elle le sait un peu ».

La destruction a fonctionné comme cette musique, cette fugue de Bach qui s’arrête, reprend, s’arrête à nouveau, repart jusqu’à ce qu’elle passe la forêt, fracasse les arbres, foudroie les murs.

20/11/2017

Détruire, dit-elle, de Marguerite Duras (1)

Le décor : un périmètre dans la forêt où les gens viennent s’isoler, s’apprendre à vivre eux-mêmes dans le repos. Ici les livres, qu’ils soient à lui, Max Thor, ou à elle, Elisabeth Alione, ne servent à rien. Ils font partis du décor. Rien ne se passe dans cet hôtel, tout commence et rien ne s’achève, car aujourd’hui n’a plus de rapport avec hier. Le temps ne soule plus, ou coule sans souvenirs, sans souvenirs d’impressions durables, sauf, peut-être, le souvenir de ce qui est et non pas de ce qui arrive.

C’est dans ce monde où rien ne compte qu’être, que fonctionne la destruction comme cette musique des dernières pages, cette fugue de Bach, qui s’arrête, reprend, s’arrête à nouveau, repart, jusqu’à ce qu’elle fracasse les arbres, foudroie les murs. Elle arrive en trois temps, trois actes du livre. Sans un premier temps, il n’y a rien, rien ne se passe, on regarde, Marguerite Duras pose le décor et ses personnages, puis arrive Alissa qui est la destruction à l’œuvre et cette destruction plante ses racines et les enfonce dans le décor, imperceptiblement. Enfin, dans un troisième temps, les deux forces opposées, l’avenir avec le groupe d’Alissa de Stein et Max Thor et le passé avec Bernard et Elisabeth Alione, s’affrontent et se déchirent, enracinant la destruction chez Elisabeth Alione sans même qu’elle s’en soit rendu compte, sans toutefois aller jusqu’au bout de l’acte, jusqu’à ce qu’il y a au bout de la destruction, c’est-à-dire la folie. La folie, c’est Alissa, l’inacceptation de tout état de fait, la destruction de tout le passé, c’est-à-dire de toutes les habitudes.

Les personnages maintenant : qui sont-ils ? Il y a en fait deux forces en action, deux clans qui s’opposent, ceux qui sont tournés vers l’avenir, qui savent ce que les autres ne savent pas, qui ne savent même pas qu’il y a à savoir, qui sont leurs habitudes.

Stein sait. Il sait au-delà de la folie, vers ce vide qui est au-delà. C’est un sage, une sorte de moine, pourrait-on dire. Il se refuse à tout, à tout ce qui semble constituer la vie de chacun, le mariage, un métier, des projets. Il peut se permettre de faire des choses que les autres ne feraient pas, qu’ils appelleraient indiscrètes. Les autres ne l’intéressent pas vraiment. Il les regarde comme on regarde un troupeau. Lui-même ne l’intéresse pas, il se regarde comme il regarde les autres, sans retenue aucune (quelques fois j’entends ma voix, dit-il).