Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/10/2017

L'homme sans ombre (31)

 – Si nous revenions à nos soucis présents, dit Noémie un peu gênée. Devant cette menace déclarée, que comptes-tu faire ?

– Tout d’abord, et cela te semble évident, ne pas renoncer à notre mariage. Peut-être revoir la façon dont il va se dérouler, un point c’est tout. Mais cela ne résout pas notre problème et les dissidents du monastère peuvent s’en prendre à chacun d’entre nous. Et, croyez-moi, ils le feront s’ils en ont la possibilité. Alors il ne faut pas leur en laisser l’occasion.

– Oui, mais comment ?

– On pourrait, dans un premier temps, se marier dans l’intimité, sans l’annoncer officiellement. Mais cela risque fort de transparaître à un moment ou un autre. Et puis, ce n’est pas dans la tradition bouddhiste de faire les choses en cachette. Je pourrais également renoncer à ma vocation et redevenir un simple adepte civil. Mais ce serait également trahir mon idéal. Je compte donc marcher sur les pas de mes deux illustres prédécesseurs et exercer  en toute transparence mon aide à ceux qui attendent de moi quelque chose.

– Cela nous l’avions compris. Mais alors que vas-tu faire de nous, et même de toi, devant la menace.

– Il est possible de fuir et de nous cacher dans une autre partie du monde. Mais c’est également renoncer. En réfléchissant, le seul moyen de concilier les deux aspirations est de se cacher au sein même des adeptes de notre tradition bouddhiste. Nous rejoignions le monastère en Inde où je suis reconnu comme tulkou et je reprendrai ma fonction de Rimpoché. Ainsi les adeptes actuels du monastère parisien seront délaissés et rejetés par l’ensemble des écoles tibétaines.

– N’est-ce pas un peu hasardeux ? interrogea Lauranne qui avait bien vu les interrogations de son amie. Et de plus, il me semble qu’il faudrait demander à Noémie ce qu’elle en pense. Est-elle prête à épouser un lama tibétain, même si celui-ci a des origines européennes ?

Tout cela était trop nouveau pour la jeune fiancé, trop exotique, trop inattendu. Elle regardait Mathis avec un air implorant et ses yeux voilés de larmes traduisaient à la fois sa panique et son amour. Mathis se tourna vers elle, la regarda droit dans les yeux, sentit cette interpellation, sourit et, lui passant la main derrière le cou, l’attira à lui avec tendresse.

– Noémie, tu vas décider à ma place. Tu sais mon amour pour toi. Tu sais maintenant ce à quoi je suis prêt à renoncer et je ne crois pas que je le regretterai. Je te laisse réfléchir jusqu’à demain. Nous nous retrouverons ici, avec Patrick et nous prendrons notre décision tous ensemble, car si nous disons oui, nous aurons besoin de nos amis pour faire face.

– Oui, tu as raison, répondit Noémie les yeux mouillés et les lèvres tremblantes. Elle ne put rien ajouter, trop émue.

– Au fait Lauranne, quand dois-tu donner ta réponse au monastère ?

– Je ne sais pas. Rien ne m’a été dit là-dessus.

– On peut estimer qu’ils vont te laisser quelques jours, observer tes déplacements et apprécier les évolutions de situation. Disons quatre jours maximum. Il nous faudra bien deux jours pour mettre au point notre projet, puis commencer à passer à son exécution. Alors demain soir au plus tard, nous devons savoir ce que nous voulons faire.

Là-dessus, Lauranne les laissa partir, serrés l’un contre l’autre comme deux oiseaux tombés du nid. Elle attendit Patrick qui rentra du travail vers 19 heures 30 et lui raconta les événements de la journée. Après un repas frugal, ils s’étendirent sur leur lit, se serrèrent l’un contre l’autre et s’endormirent épuisés.

30/10/2017

Coucher et marcher à la belle étoile

L’arbre pénètre de sa solitude la terre dénudée, l’herbe rare siffle entre les jambes, le soleil huppe de gaîté la cime des pins.

Dans ma tente, une maison de toile à l’ombre gigantesque au matin, je devine la nuit le bruit de l’arbre qui se gratte l’écorce, de la fleur qui minaude à l’ombre de la lune. J’entends aussi la quiétude des respirations, un dormeur qui se retourne sur son lit de paille, la toux d’un inquiet sous ses couvertures.

Souvenirs de manœuvre, quand dans la poussière, tu rêvais au calme d’une vallée où coule l’eau fraîche.

Brusquement, réveil. « Vite, debout, nous partons ! » Où, je ne sais. Pourquoi, encore moins. Mais c’est ainsi. Déjà les derniers hommes quittent le campement. Voilà, c’est bouclé ! Le sac arrimé sur le dos, la marche reprend dans la nuit. Il fait frais, mais bon. Je sens la fraîcheur de l’aurore qui sommeille encore avant de naître en douceur. Je ferme la marche. Devant, mon prédécesseur enfonce ses grandes jambes dans les herbes hautes. Je ne vois plus que son buste s’agitant bravement. Une route qui s’étire mollement entre les ombres arborescentes. C’est bruyant, mais la marche est simplifiée. On sait où le pied va, car sa résistance est toujours semblable. Elle berce la volonté et lui donne un fond de vérité tranquille, doucereux, plutôt qu’un combat permanent contre soi-même.

Je m’éveille complètement, léger, attendri par l’air rafraîchissant, allégé des miasmes de la nuit, aux aguets d’un jour nouveau, exaltant parce que différent des habituels matins. Les sens exacerbés, je vais au bout de moi-même, ouvert à tous les vents, délivré de ce moi qui me pèse et m’empêche de marcher. Le ciel est étoilé et un sentiment de profonde reconnaissance naît dans l’intimité de la solitude. Je pourrais marcher des jours dans cet état second où le rien devient tout.

29/10/2017

Maxime

 

En se cherchant soi-même

On finit par trouver l’autre

 

28/10/2017

Délire doux

Retour aux prémices de l’horloge
Là où rien ne frotte ni ne pèle
Ça gratte la tête jusqu’à la sortie
Et ça crie plus fort que toi-même
D’où vient ce froid plaisir
Qui obscurcit la douceur de l’avenir
Une boule dans la gorge, pesante
T’empêche de délirer sans raison
Mais est-ce si logique que cela
Je ne sais d’où tu viens ni où tu vas
Mais je pars avec toi, t’accompagnant
Dans ce délire de mots et de cris
Jusqu’à ne plus dire tout haut
Ce que je pense tout bas
Seul reste l’air pur et envoûtant
Des matins d’automne, pesant
Sur le ventre écarlate des enfants
Jusqu’à les faire rire de peu
Et même parfois de rien
Réjouis, ils attendent de toi-même
Ce que tu as toujours su faire
Ce personnage insolite et burlesque
Qui pleure le soir dans le noir
Et fait rire le jour sans vergogne
Nous sommes bien au creux de la nuit
Là où l’ombre devient l’unique objet
D’une attention soutenue et molle
Évanescent, tu divagues sous les pierres
Et cries de trop de divergences
Les mots sortent en chapelets,
Parfois hésitants, toujours bêlants
Tu ne peux les retenir
Même en fermant les doigts
Sur leurs plaintes et regrets
Non, rien ne vient
Que l’obscur dédain des mites
Qui transpercent les vêtements
Et rient de te voir dénudé
Alors tu cours au-devant des autres
Quémandant un mot aimable
Pour t’enorgueillir de si peu :
Va et ne dis rien
Car le peu que tu dis
N’a que l’apparence de la déraison
Mais qu’importe cet espoir
De divaguer sans fin ni soif
Seul compte le silence des agneaux
Un soir d’automne dans le frais
Et la chaleur d’un regard
Elle est là, belle au pied de l’escalier
Attendant ta venue, souriante
Et te regarde amoureusement
Te tendant les mains
Ouvrant les doigts, la poitrine en avant
Plus rien ne t’intéresse que ce silence
Sans fin qui t’angoisse et te glace
Tu gèles sur place, ouvre ton stylo
Avant de mourir dans le froid
Et note tes derniers souhaits
Même s’ils ne valent plus la peine
D’être vécus ni même évoqués

 ©  Loup Francart

27/10/2017

L'homme sans ombre (30)

– Nous comprenons maintenant ce qui nous a tant intrigués dans ta manière d’être et ce qui m’a séduite. Mais pourquoi ne jamais m’en avoir parlé ?

 – Tout simplement parce que lorsque, après avoir satisfait à l’ensemble des épreuves, je fus nommé responsable du monastère, j’eus alors une crise psychologique, due probablement à l’excès de méditation au cours de la dernière année. J’ai eu une vision qui m’a conduite en France avec une partie de mes fidèles et j’ai fondé six mois plus tard le monastère que tu connais maintenant, Lauranne. L’autre partie des moines est restée en Inde, près du Tibet. Ce fut une période difficile, tendue, orageuse, qui m’apporta beaucoup de soucis et peu de bienfaits bien que je sentais en moi l’irrésistible nécessité de ce voyage. Puis je connus Noémie. Ce fut le coup de foudre. Je sentais que je pouvais réaliser la fusion entre le monde oriental et le monde occidental grâce à ce mariage. Non, ce n’était pas le fruit d’une réflexion intellectuelle, mais quelque chose de plus profond, de plus ancré en moi, comme une résurgence d’un ailleurs qui s’imposait à moi.

– Mais c’est complètement contraire à la tradition bouddhiste ! s’exclame Noémie. Les moines doivent s’abstenir de toute relation sexuelle.

– Oui, c’est vrai. Néanmoins je ne suis pas le premier à prétendre et à mettre en pratique ce statut inusité dans le bouddhisme. Ainsi Son Éminence le Sakyong Mipham Rinpoché a étudié avec les plus grands maîtres tels que Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché, maître de Sa Sainteté Le Dalaï-Lama, et avec Sa Sainteté Penor Rinpoché, l’actuel détenteur de la lignée Kagyü. Il est cependant devenu un véritable Occidental. Il est poète, artiste, cavalier, marathonien, tireur à l’arc. Il s’est marié à Tseyang Palmo, fille de Namkha Drimed Rabjam Rinpoche, détenteur de la lignée Ripa. Avant lui, Chögyam Trungpa Rinpoché est l’un des premiers Lamas à avoir introduit le Bouddhisme tibétain en Occident. En 1959, il fuit le Tibet vers le nord de l’Inde, en traversant l’Himalaya accompagné de 300 personnes. Comme le Dalaï-Lama et de nombreux maîtres tibétains en exil, il continue à enseigner et transmettre la sagesse du dharma. Dans les années 70, après avoir quitté sa robe de moine, il se marie à une jeune Anglaise. Il devient en Occident l’un des maîtres et artistes bouddhistes les plus reconnus, notamment pour avoir compris et réuni avec succès et authenticité la sagesse des cultures orientales et occidentales.

– si je comprends bien, dit Lauranne, on pourrait distinguer d’une part les relations sexuelles et d’autre part le mariage !

– Cela, je ne sais, rétorqua Mathis. C’est possible. Mais je doute cependant que cette distinction tienne au cours de la première année du mariage. Quoi qu’on dise, le mariage et l’amour humain en général ont pour aiguillon des relations physiques qui ne peuvent être purement platoniques. Je pense que tout être normalement constitué y pense et le rêve avec son ou sa fiancé(e). N’est-ce pas Noémie ?

– Je ne dirai pas le contraire ou alors tu ne me croirais pas.

– D’ailleurs, les rimpoché qui se sont mariés eurent des enfants dont certains d’ailleurs ont pris leur succession comme ce fut le cas pour Chögyam Trungpa Rinpoché, même si ces pratiques semblaient non conformes à la tradition de nombreux Tibétains.

26/10/2017

Vestale

Vestale flamboyante, tu joues avec le feu et danses sur les braises. Peut-être un jour saurons-nous briser la barrière de glace de l’aquarium et mêler leurs éléments divisés ? Le combat des chevaux contre les hydres marines prendra fin au lever du jour.

Ici, "pâlement" dépendant des murs gris de l’ennui, je rêve à une icône qui possède tes yeux. Elle éclaire le coin le plus sombre de la pièce où je réfugie parfois mon regard de souvenirs. Mais si j’allonge le bras vers elle, elle disparaît subitement à l’éclat des ongles qui sont autant de petits miroirs, vestiges de la réalité.

25/10/2017

Clinique

 

L’odeur lisse et sans parfum

Des cliniques d’un jour ou d’une nuit

Vous entrez dans la chambre, éteint

Pour sortir vert comme un fruit

 

©  Loup Francart 

24/10/2017

Maxime

 

Trop de milieux divers nuisent au sensible qui s’adapte.

Il était (une fois) un caméléon.

Son maître pour lui tenir chaud

Le déposa sur un plaid bariolé.

Le caméléon mourut de fatigue.

 

23/10/2017

L'homme sans ombre (29)

Lauranne ne sait que faire. Elle mesure sa responsabilité. Elle ne peut trahir son amie en demandant à Mathis de rompre avec elle. Elle ne peut, non plus, demander à Noémie de ne plus voir Mathis. Elle peut encore moins ne rien dire et attendre une catastrophe provoquée par les Tibétains. Elle pourrait éventuellement aller voir la police et porter plainte, mais elle doute que la police soit capable d’empêcher toutes les représailles possibles. Non, aucune de ces solutions n’est viable. Au fond ne serait-il pas préférable d’en parler directement à Noémie et Mathis et de réfléchir ensemble à ce qu’ils pourraient faire. Oui, c’est sans doute une solution. Peut-être pas la meilleure, mais sûrement une des moins mauvaises. Pleine de cette résolution, elle rentre chez elle, téléphone à Noémie, puis à Mathis et leur fixe rendez-vous chez elle, le soir même.

Elle est certes très gênée de raconter ce qui lui est arrivé. Cela révèle une surveillance autour de Mathis qui n’a pas lieu d’être et elle ne peut parler de la complicité de Noémie à cette curiosité. Mais ne rien dire lui paraît suicidaire. Mieux vaut être déchue que risquer l’anéantissement. Mathis sera très certainement furieux et elle l’aura mérité. Mais, sans tenir compte de ses problèmes personnels, elle doit considérer l’ensemble de la situation. Comment échapper à cette condamnation de Noémie et à sa rupture avec Mathis. Mais tout d’abord pourquoi rupture ? N’est-il pas possible d’être à la fois maître et marié ? Il faut qu’elle en parle avec Mathis. Le problème est d’aborder la vie de Mathis que Noémie ne connaît vraisemblablement pas.

En présence de Mathis et Noémie, Lauranne expliqua les menaces de l’Asiatique et son souhait ou, plutôt, sa volonté de séparer Mathis de sa fiancée. Elle ne raconta pas ce qu’il lui avait révélé sur son passé, mais Mathis devina vite ce qu’elle avait pu entendre et comprendre. Elle finit par lui demander ce qu’il voulait devenir et ce qu’il comptait faire vis-à-vis des Tibétains. Noémie était quelque peu anéantie, mais elle fit comme si de rien n’était et laissa Mathis s’exprimer sans dire un mot. Alors il parla :

– Ma vie te fut révélée de manière très leste par des personnes qui recherchent la poursuite d’un statut qu’ils ont acquis avec patience, ténacité et ardeur. Ils t’ont parlé selon leur cœur, sans tenir compte de ce que tu pourrais toi-même ressentir et de la difficulté dans laquelle ils te mettaient. Ce ne sont pas de mauvais bougres, mais des gens qui sentent qu’ils vont perdre quelqu’un de cher, qui leur est utile, un maître qui les soutient dans leurs efforts vers la vérité. Oui, Noémie, ce que l’homme que tu appelles l’Asiatique a révélé est vrai. Je ne peux dire le contraire. Et pour vous prouver ma bonne foi, je vais vous dévoiler mon histoire quelque peu insolite. Mes parents étaient en Inde du Nord pour affaire. Ma mère fréquentait plus ou moins un monastère bouddhiste. Lorsque je suis né, elle pressentit que je serai attiré par le bouddhisme. Effectivement à l’âge de deux ans, je fus reconnu comme tulkou, c’est-à-dire réincarnation du Lama du monastère Palthang. Je reçus l’éducation renforcée des futurs rimpochés : levée 6 heures, méditation personnelle, puis en groupe, études de textes, puis grammaire, littérature tibétaine, jusque vers 7 heures du soir, et, à nouveau, méditation. À 22 heures, je m’endormais épuisé. Cependant, pas une fois je n’ai regretté mon choix. Je progressais sans difficulté dans la concentration et la méditation. Je ne voyais plus mes parents et devins un véritable Tibétain. À l’âge de 13 ans, déjà très avancé dans les techniques spirituelles, on me donna des professeurs particuliers qui m’enseignèrent l’art du vide par la pratique d’une méditation intensive. C’est ainsi que j’acquis les prémices de la lévitation, puis une pratique réservée à de rares initiés.

22/10/2017

Homme assis et haïku

 

Assis, observant

Il juge et se révolte

Passe l'oiseau de paix

 

17-05- 02 Homme assis regardant.jpg

 

21/10/2017

Devenir

Un rêve me poursuit
Comme un orage le long d’une vallée
Il revient à tout moment
Sans jamais me séduire
Ce n’est pas qu’il ne le cherche pas
Il emprunte les voies délaissées
Me tend la main derrière le mur
Il ne barre pas la route du bonheur
Il ne crie pas pour me faire peur
Il m’enveloppe de brume
Et je marche dans la poudreuse
Levant haut les genoux
Sous son toit, j’enrage
Qu’attend-il de moi ?
Un sourire complaisant
Une plaisanterie fine
Ou le silence des agneaux
Il est là, derrière moi
Me poussant à la faute
M’ouvrant le placard de la complaisance
Enfermant mon esprit
Aspirant mon âme
Dans sa bouteille vide
Pour me conserver vivant
Mais peu, un semblant de vivant
Qui devient le fantôme de l’être que je fus
Et de celui en devenir
Mi-mort, mi-vivant
Ne laissant que quelques pas
Dans la neige qui fond
Et dont les dernières gouttes
Réclament plus d’efforts
Et moins de vérité
C’est vrai, je deviens…
Quoi ?
Je ne sais…

 ©  Loup Francart

20/10/2017

Envolée

D'un battement d'ailes

ignorant la pesanteur

Entrée en lui-même

16-01-14 Envolée.jpg

19/10/2017

L'homme sans ombre (28)

Arrivé en France avec une dizaine de moines, il s’installa à Paris et un an après, avec l’aide de quelques émules fortunés, put fonder ce lieu qui nous est maintenant cher. Dans le même temps, il développait des capacités hors du commun dans le domaine spirituel, pouvant s’abstraire de son environnement en un clin d’œil, méditant pendant des heures et même, lévitant parfois dans le dojo aux vues et sus de tous.

– C’est donc pour vous un saint, non, un éveillé pour qui vous avez le plus grand respect, alors que pour moi, ce n’est qu’ami charmant, sympathique, respectable certes, parfois intimidant.

– Un jour, il revint d’une promenade dans Paris transformé. Il n’était plus exactement le même. Il devint rêveur, distrait, préférant les conférences en dehors du monastère aux leçons qu’il conduisait auparavant. Tous se demandaient ce qui lui arrivait. Ce n’est qu’un mois plus tard qu’on découvrit qu’il était amoureux. Depuis, il néglige ses fonctions, se laisse aller et les adeptes du monastère s’inquiètent. L’aura qu’il possédait a disparu. Il continue d’exercer ses devoirs, mais sans entrain ni enthousiasme. C’est pourquoi nous voulons que vous le contraigniez à se séparer de cette jeune fille afin qu’il redevienne le grand Rimpoché que nous connaissons.

– Et vous vous imaginez qu’il va abandonner sa fiancée uniquement parce que je lui demanderais. C’est impossible.

– Nous vous laissons le choix des moyens que vous pourrez utiliser pour le convaincre. Ce que nous voulons c’est qu’il arrête de voir sa prétendue fiancée, quel que soit le moyen employé.

– Et si j’échoue ?

– Nous aurons les moyens de les contraindre par la force, lui ou elle.

– C’est-à-dire ?

– je ne vous dévoilerai pas toutes nos possibilités. Ce serait trop simple.

– J’avoue vraiment que je doute que je puisse faire quelque chose pour vous. Je veux bien essayer, mais sans aucune garantie de succès.

– Nous suivrons vos efforts et aviserons le moment venu. Au revoir, Madame, et n’oubliez pas que nous savons ce que vous faites.

L’homme s’inclina, fit demi-tour et sortit sans rien ajouter. Lauranne regarda une dernière fois par la fenêtre. L’Asiatique vint la chercher et la reconduisit à la porte par laquelle elle était entrée.

– Et ne vous avisez plus de passer par là, lui recommanda-t-il avant de refermer.

 

18/10/2017

Musica et Carmina

 

17-11-12 Envolée2.jpg

Patricio Cadena Pèrez, interprète de musiques baroques, classiques et contemporaines, est aussi fin connaisseur du répertoire folklorique latino-américain : malambo, chacarera, tango, candombe argentins, valses, marineras péruviennes ; bossa, choros, choriño, brésiliens ou encore pasillo, yumbo, sanjuanito, albazo équatoriens…Son répertoire est riche et dense. Le chant fait aussi partie de son expression artistique et l'accompagne dans ses explorations de l'univers musical populaire latino américain. 


Les textes sont extraits du dernier livre de Loup Francart "Un sourire et quelques mots" ou de poèmes non encore publiés.


 

17/10/2017

Créativité

L’ombre plane dans la nuit
Elle se meut avec patience et conviction
Elle éclaire par intermittence
Une route sans indicateurs
Elle peut parfois précéder l’être
Mais le plus souvent elle folâtre
Pour éviter de donner de la voix
Tu ne ressens que sa nostalgie
Ce pincement excitant de clairvoyance
Qui donne compréhension et légèreté
Comme l’ouverture d’une bonde
Qui vide le lac du quotidien
Et le remplace par le vide
Qui prend les pas et te conduit
Vers une noyade transcendante

Tu sors d’une routine hospitalière
Par petites touches affriolantes
Tu pénètres hors de ton existence
En équilibre sur la pointe du raisonnement
Sur le plongeoir de la créativité
Et tu te lances dans le néant
Sans connaître ton avenir
Tu te laisses guider dans la lumière
Tu te revêts de chaleur bienfaisante
Et tu nages à contre-courant
De ceux qui ne se fient
Qu’à ce qu’on leur a appris

Tel le sanglier dans sa bauge
Sors de ton humide savoir
Et marche vers l’inconnu
Lumière jamais déçue
Qui éclaire ta tendresse
Et t’offre le meilleur de toi-même
Dans le papier de soie
Qui cache la lueur de l’être
Qui souffle en toi la liberté
Et une transcendance bienheureuse

L’ombre alors te rejoint et t’enveloppe
Enfin tu respires l’éther de la créativité
Tes poumons se dilatent et s’embrasent
Tu montes, libéré de toi-même
Et contemples le paysage dénudé
Il n’y a rien, c’est à toi de trouver
De puiser dans le limon fertile
Pour le rendre productif
Cela demande effort et persévérance
C’est la rançon du pouvoir
Transformer l’éther en matière
Qu’elle devienne poésie, dessin, peinture
Ou essai, invention, voire vision
Ou même imagination pure
Ou encore insomnie et turbulence

Ne laisse pas s’éteindre ta fièvre
Entretiens-la, fais la gonfler
Qu’elle obscurcisse ton horizon
Et t’emporte loin du connu
Ne t’occupe pas du succès
Tu crées pour toi-même
Les autres mettront du temps
A reconnaître ta créativité
Peu importe, ta vie vaut ce sacrifice
Tu t’endormiras dans l’éther
Et tu rejoindras tous ceux
Qui apportent à l’autre
La lumière de l’inconnu
Et l’intuition du tout

©  Loup Francart

16/10/2017

Créateur

 

La création est le propre de l’homme :

Créé, tu deviens créateur,

pour le meilleur et pour le pire.

 

15/10/2017

L'homme sans ombre (27)

– peu importe, si c’est pour nous le moyen de sauver notre monastère. Je vais vous raconter l’histoire de Dhondup. Ses parents sont bien européens, français même. Il n’a aucun sang tibétain. Ses parents étaient en poste en Inde proche de la frontière tibétaine lorsqu’un groupe de Tibétains passèrent dans la ville pour rechercher une réincarnation du Rimpoché d’un grand monastère. Passant dans les rues en portant un manteau du défunt, le jeune européen s’adressa à celui qui avait revêtu le vêtement et lui expliqua qu’il ne lui appartenait pas. Intrigué, un des Tibétains sortit de sa poche un étui à lunettes et fit mine de les chausser. Le jeune garçon les aperçut, reconnut l’étui et les lunettes. Il s’en empara, mit les lunettes et déclara qu’il voyait beaucoup mieux ainsi. Il put lire une enseigne dans la rue à une distance telle qu’une vue normale ne peut apercevoir de caractères. Enfin, l’un d’eux sortit des photos de sa poche. Elle représentait des monastères tibétains, dont celui du Rimpoché. Dès que sa photo lui fut montrée, l’enfant montra la fenêtre où vivait le Rimpoché.

– C’est possible votre histoire ? interrogea Lauranne qui ignorait la doctrine de la  réincarnation.

– C’est plus que possible. C’est ainsi que se passent les successions à la tête des grands monastères. L’enfant qui identifie des objets ayant appartenu à l’ancien Rimpoché est reconnu comme son successeur et éduqué au monastère dès son plus jeune âge. Il n’était jamais arrivé qu’un étranger au pays soit identifié. Les Tibétains convoquèrent le conseil du monastère qui finit par annoncer que l’enfant était bien la réincarnation du Rimpoché.  Une délégation fut envoyée auprès des parents du garçon. Ils contestèrent d’abord ce qui leur fut expliqué, mais ils finirent par céder devant les insistances de l’enfant qui faisait preuve de connaissances certaines de la culture tibétaine sans en avoir jamais entendu parler. Arrivé au monastère, il eut les honneurs du père Abbé et commença son apprentissage avec un vieux lama qui ne le quittait pas d’une semelle. Il fit des progrès étonnants. Il apprit sans difficulté le Tibétain, enregistra les rituels propres au monastère, entreprit facilement les exercices de concentration, puis se plongea dans la méditation. C’était maintenant un jeune homme  particulièrement doué qui semblait avoir oublié totalement sa vie antérieure européenne. Mais un jour, alors qu’il venait d’être nommé lama Rimpoché, il déclara qu’il devait se rendre en France et y fonder un nouveau monastère. Les moines furent choqués d’entendre cette décision, mais ne firent rien pour la contrer.

14/10/2017

Manque

Tout est là !
Mais que te manque-t-il ?
Le sang bat dans tes veines
La conceptualisation prolifère
Le mollet reste fier
Le cœur pleure à tout va
Tu t’émeus de rien
Tu ris de tout
Tu souris de peu
Tu exploses d’émotion
Sans savoir pourquoi

Ainsi va le monde
A fleur de peau
A rebrousse-poil
Dans la chair de poule...
Quels bruits pour si peu !

Silence, on tourne !
Grise-toi d’images
De cris, de faits divers

Mais oui,
Ce qui te manque
C’est toi !

13/10/2017

Jeunesse

 

La jeunesse avoue plus facilement l’attirance du sexe plutôt que l’amour.

L’amour la fait rougir. Elle a peur d’être vieux jeu.

Heureusement, il demeure une jeunesse sans compromis

Qui croît en l’amour et la parole donnée.

 

12/10/2017

In the Mood for Love, musique de Shigeru Umebayashi

https://www.youtube.com/watch?v=gw9fKuymA0I


Shigeru Umebayashi fut l'un des leaders du groupe de rock new wave japonais. Qui eut pensé à l’époque qu’il composerait de tels monuments musicaux ?

Laissons-nous bercer par cette musique d’une simplicité sans égale, en particulier pour l’accompagnement sur deux notes qui donne à la mélodie cette liberté.

Comme quoi, la prison apparente de l’accompagnement prodigue au morceau son charme et permet au violon d’errer dans fin dans un coin du cerveau sans aucune contrainte.

11/10/2017

L'homme sans ombre (26)

Après un très long moment, un Asiatique entre et lui ordonne de le suivre. Elle n’a guère envie de lui obéir, mais cela devrait lui permettre de savoir où elle se trouve et ce qu’on attend d’elle. De plus, elle a une envie pressante d’aller aux toilettes et, sitôt sortie, elle lui demande où ils se trouvent. Il l’accompagne et reste devant sa porte jusqu’à ce qu’elle ressorte. Elle se sent mieux, ragaillardie et prête à combattre, au moins verbalement. Mais elle se souvient qu’elle ne doit pas parler de Mathis. Elle est introduite dans une pièce emplie de meubles asiatiques anciens, une sorte de bureau dans lequel vraisemblablement travaillait, il n’y a pas encore longtemps, un homme. L’Asiatique lui dit d’attendre que quelqu’un vienne et la laisse là. Elle regarde par la fenêtre qui donne sur une cour, une sorte de cloître où circulent des gens vêtus à l’orientale.

  Elle entend la porte s’ouvrir et voit entrer un petit homme, fragile, maigre sans plus, l’air espiègle, qui marche avec grâce sans aucune exagération. Il s’arrête devant elle et s’incline en joignant les mains.

– Bonjour Mademoiselle. Je suis Gudak Bhatang, en charge du monastère. Nous n’avons pas l’habitude d’être dérangés comme vous l’avez pratiqué. D’habitude, les personnes désireuses de nous connaître en font la demande au portier et reviennent le lendemain. Puis-je néanmoins savoir quelle est la raison de votre venue dans notre modeste monastère ?

– Pardonnez cette irruption qui est insolite, je le conçois. Voilà la raison de ma venue. J’ai un ami qui est passionné par la culture tibétaine et le bouddhisme. Il médite chaque jour et vient fréquemment ici. Alors, par curiosité, je cherche à comprendre son intérêt pour ce monastère. Je crois que vous avez de nombreux adeptes européens et je suis curieuse de savoir ce qu’ils trouvent de nouveau ici plutôt que dans nos églises.

– Une réponse serait sans doute la bienvenue pour vous. Mais il me semble impossible de répondre à une telle question en peu de temps. Il ne s’agit pas de satisfaire une curiosité peut-être légitime, mais de s’immerger dans la méditation. Pour vous, la religion est l’adhésion à une croyance et une doctrine. Elle est intellectuelle ou, au moins, émotionnelle. Pour nous, la religion est avant tout un fait d’expérience et une pratique de vie. Si vous désirez en apprendre plus, il faut vous inscrire auprès du portier dans les stages de débutants où l’on pratique d’abord la concentration, puis la méditation et enfin des techniques plus élaborées réservées aux initiés. Mais trêve de plaisanterie, vous savez comme je le sais que vous n’êtes pas venue pour cela. Et cette irruption n’avait d’autres buts que de connaître la disposition des lieux et les dirigeants du monastère, ce que je suis. Vous connaissez Mathis Préau…

– Comment le savez-vous ?

– Nous sommes bien renseignés et je peux vous montrer une photo où vous êtes avec lui et sa fiancée. Vous avez probablement observé certains faits étranges qui environnent Mathis, puisque c’est ainsi que vous l’appeler. Nous, nous l’appelons Dhondup, c’est-à-dire l’accomplissement. Pour nous, il est rimpoché, accompli, et nous ne voulons pas le perdre. Alors, je vous mets un marché en main. Soit vous nous aidez à le maintenir à nos côtés en écartant de ses fréquentations sa fiancée, soit nous serons contraints d’employer d’autres méthodes plus dures vis-à-vis de lui et vous ne le reverrez plus.

– Mais vous n’avez pas le droit de faire cela. Je croyais que le bouddhisme est une religion de paix. C’est illégal et pas moral !

10/10/2017

Le séquoia

Le séquoia tire la langue à tous les autres
Il s’élève seul vers les cieux grands ouverts
Et fait maintenant concurrence au clocher
Certes, il ne sait pas faire résonner
Une cloche d’airain en vibrations magiques
Mais la nuit, tel un fantôme caché
Il fait frissonner ses ailes déployées
Pour veiller sons son monde apeuré
Parfois même, le souffle de sa vitalité
Semble soulever ses genoux enterrés
Peut-être un jour prendra-t-il son bâton de pèlerin
Franchira-t-il l’océan et s’en ira-t-il vers ses frères
Dans la forêt primaire, repeupler ce territoire
Du génocide arboricole perpétré par la modernité
Et l’homme repenti contemplera peut-être
La grandeur et la magnificence de ces êtres de bois
Qui chaque année laisse en souvenir un anneau
Une bague à sa taille sans pour autant grossir
Puisqu’il multiplie en hauteur ce qu’il prend en largeur
Dans ce jardin, il n’a pas la meilleure place
Au sein des tilleuls proliférants et des pins du Liban
Tordant leur bras de désespoirs enjoués
Mais il règne en douceur et grandeur
Caresse gentiment d’un geste amoureux
Le feuillage lourd et chatoyant
De ceux qui le regardent sans pouvoir l’égaler

Tu es beau mon roi, perdu en cette terre inhospitalière
Tirant tes congénères vers l’extase de la lumière
Rêvant aux mers verdoyantes affrontant l’eau meurtrière

 

09/10/2017

Musique

 

La musique doit faire jaillir le feu de l’esprit des hommes.

 

08/10/2017

Salon du livre

 

17-10-08 Salon du livre Brétigny.jpg

07/10/2017

L'homme sans ombre (25)

– Dieu que c’est noir ! s’exclame-t-elle à voix basse.

Elle doit porter ses mains devant ses yeux pour distinguer la lueur de son bracelet. Elle avance timidement vers un faible rayon de lumière qui semble loin. Elle progresse lentement, tâtant du pied l’espace devant elle pour ne pas heurter un meuble et être dévoilée. Arrivée à hauteur de la raie de lumière, elle tend sa main et sent une poignée de porte. "Que faire ? " s’interroge-t-elle. "N’hésitons pas. Allons-y ! " Elle tourne la poignée et, n’entendant rien, entrouvre la porte et passe la tête. Elle aperçoit une quinzaine de personnes, des hommes pour la plupart, le nez face aux murs, immobiles. Un homme se tient debout, les observant et portant un bâton de bois plat à l’une des extrémités[1]. Il marche justement vers un adepte, lui touche l’épaule, puis, après le salut du méditant, lui porte un coup sur la nuque. Lauranne s’en étonne tellement qu’elle émet une interjection de surprise et de protestation, ce qui fait se retourner l’homme. Celui-ci aussitôt se précipite vers elle, lui prend les poignées et appelle à l’aide. Trois adeptes se lèvent, l’encerclent et l’entraînent vers une porte opposée. Elle passe un corridor, traverse une autre pièce qu’elle n’a pas le temps de voir et se retrouve dans une sorte de cagibi avant d’avoir pu reprendre ses esprits. La porte est fermée à clé, une faible lueur est projetée par une applique au mur, la pièce est vide, pas un siège, pas un meuble. Aucun bruit ne vient de l’extérieur, les murs sont de couleur crème, comme le plafond et même le sol. Un espace sans caractéristiques, fermé aux hommes et ouvert sur le vide.

Lauranne reprend peu à peu ses esprits. Tout s’est passé trop vite. Elle n’a rien compris et tente maintenant de se remémorer l’événement. Elle a certes déjà entendu parler des dojos bouddhistes zen. Elle pensait qu’il s’agissait de pièce où l’on pratique les arts martiaux avec des règles précises d’utilisation de l’espace et de placement des élèves selon leur ancienneté. Elle avait même entendu parler du kyôsaku. Mais elle ne se doutait pas que son emploi est rigoureux  et pouvait même être douloureux. Sous des apparences pédagogiques, la pratique bouddhiste pourrait être assez brutale. Mais peut-être s’agit-il d’une spécificité d’une secte qui sous des apparences contrôlées endoctrine ses pratiquants ?

Bientôt Lauranne se lasse de réfléchir et commence à s’impatienter. Rien. Pas un bruit, pas un mouvement ne viennent troubler la sérénité du lieu. S’agit-il réellement de sérénité ou plutôt d’une prison, ce qui crée une violence insupportable ? Elle n’ose appeler, ne sachant pas les réactions que pourraient avoir ses geôliers. Elle marche en rond, pour s’occuper et réfléchir calmement. Depuis combien de temps est-elle là ? Elle ne sait plus. Tiens, oui, on m’a enlevé ma montre ! Elle ne sait quand. Mais c’est bien sûr volontairement. Elle ne s’en est pas aperçue. Décidément, ces gens sont organisés. Ce n’est probablement pas la première fois qu’ils utilisent de tels procédés.

 

[1] Il s’agit du « kyôsaku » (de « kyô » = attention, et « saku » = bâton) qui sert à la correction du zazen et avec lequel le maître donne, à l’occasion, un ou deux coups sur les muscles de la nuque, à droite et à gauche du cou. Ce n’est pas un châtiment ou une humiliation, mais un encouragement ou une libération.

06/10/2017

Frederic Mompou: Canciones y danzas (1921/63)

https://www.youtube.com/watch?v=RZeLaY3Vp54&index=1&list=RDRZeLaY3Vp54


 

FEDERICO MOMPOU (1893-1987), a écrit des pièces de piano d'un raffinement exquis dans leur simplicité et d'une étonnante puissance d'évocation. Ses Chants magiques contiennent des sortilèges inanalysables qui possèdent de mystérieuses vertus incantatoires. Ses Faubourgs, ses Charmes, ses Fêtes lointaines, ses Scènes d'Enfants révèlent chez cet inspiré une aptitude singulière à traduire l'intraduisible et à transposer dans le domaine des sons des sensations et des impressions qui semblaient devoir échapper par définition à toute notation musicale. Ses oeuvres de poète et de visionnaire présentent une élégance et une distinction rares dans une forme dont la concision et la liberté sont très caractéristiques. (ÉMILE VUILLERMOZ, Histoire de la musique. Fayard, Paris 1949, p. 422).

 

05/10/2017

Méditation

 

Même dans l’amour le plus authentique,

On ne peut se confondre avec l’autre.

Chacun demeure ce qu’il est.

Il reste toujours en soi-même

Une partie de l’âme qu’on ne peut communiquer.

 

 

04/10/2017

Le poids

D’un geste grandiloquent, en un tour de passe-passe
Il engouffra le monde et même l’univers
Dans ce sac de plastique bariolé et froissé
Dont  la pauvreté se charge au sortir d’un supermarché

Et il partit, le nez au vent, dans l’ombre
La poussière et le bruit, avec pour seul bagage
Le contenu de son cerveau, c’est-à-dire rien

Il pesait lourd ce sac de rien
Mais il contenait tout, ses espoirs et ses craintes
Le film d’une vie et le cri d’un oiseau

Et pendant qu’il marchait, il se remémorait
Les heures où le ciel s’ouvrait et laissait percevoir
La goutte de rosée, le pépiement du moineau
Les pleurs d’un enfant au seuil de la vie
La plainte du vieillard qui au moment de partir
Appelle les muses et chante l’éclaircie

Partir le monde dans son sac, plein de trésors
À piocher aux moments opportuns
Sans l’ombre d’un remord, ni même d’un recul
Puisant dans le grand livre de la vie
Où tout bascule du rêve à la réalité
Dans le fracas des événements et de la fureur
Des humains en mal d’exister et de jouir

Et lui, petitement, récolte imperturbable
Dans son cabas de pauvre les trous noirs
D’un renouveau étiqueté et plein de charme

La destinée d’un humain a bon dos
Pour être portée à bout de bras
Puis abandonnée au fond de la mémoire
Dans ce mélange de bien et de mal
Gélatine pesant moins lourd qu’un courant d’air

Mais comme il avance sur le chemin
Le sac devient ballon d’air chaud et tendre
Il monte sans cesser de vivre
Et l’homme s’accroche à ses poignées

Bientôt tiré vers le ciel il se déplie
Dans l’azur ensoleillé et silencieux
Pour contempler ce rien qui emplit tout
Et devient le tout contenu dans son sac

Alors, d’un coup de dents, il crève l’artifice
Et se retrouve seul dans les bras
D’un Dieu inconnu, si semblable à lui-même
Et pourtant si différent de ce qu’il fut !

 

03/10/2017

L'homme sans ombre (24)

Le lendemain, Lauranne invite Noémie à déjeuner. Après avoir raconté son entrevue avec Mathis, elle lui demande ce qu’elle doit faire : arrêter ses recherches ou continuer. Noémie hésite : elle risque de perdre Mathis si elles insistent. Mais elle a besoin de savoir et se dit que sa vie sera gâchée si elle n’arrive pas à éclaircir ce point noir. Alors elle donne le feu vert à Lauranne.

Celle-ci décide, avant de parler avec Mathis, de refaire un tour du côté du temple. Elle a besoin d’en savoir un peu plus sur ceux qui le fréquentent et ceux qui le dirigent, dont probablement Mathis. Est-ce une religion, une secte, une association secrète ? Poser directement la question à Mathis lui semble un peu maladroit si elle n’en sait pas plus. Alors, elle décide d’adopter un déguisement et de tenter de pénétrer dans le temple. Elle passe sa soirée à se teindre les cheveux, achète une paire de lunettes, va chez Tati et rassemble un chemisier mauve, une jupe blanche et une paire de baskets passe-partout. Elle modifie sa coiffure et se met des boucles d’oreille un peu voyante. Ainsi revêtue, elle a du mal à se reconnaître. Mais elle prend soin de tester malgré tout sa tenue. Elle descend l’escalier de l’immeuble et va sonner chez la concierge. Celle-ci entrouvre sa porte :

– Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle avec son accent normand de fille de la campagne.

Elle ne me reconnaît pas, pense Lauranne. Alors elle lui demande Monsieur Le franc qui, bien sûr, n’existe pas.

– Non, y a pas de Monsieur Le Franc ici, vous vous trompez.

Lauranne alors repart en direction de la porte d’entrée pendant que la concierge ferme sa porte, puis elle remonte sans faire de bruit les marches pourvues d’une moquette rouge et moelleuse. "Ça marche", pense-t-elle.

Le lendemain, elle se prépare, se maquille avec soin comme elle l’avait fait la veille, prend son cabas qui lui sert à faire son marché, le remplit de vieux papier (c’est moins lourd qu’un objet) et marche jusqu’à la station de métro. En une demi-heure, elle atteint sa destination et se noie dans la foule bigarrée du XIIIe arrondissement. Elle reconnaît les petites rues tordues et la place où se trouve l’entrée du temple ou ce qu’elle croît être un temple. La porte-cochère est fermée. Elle s’approche en faisant mine de poursuivre sa route et aperçoit le gardien dans sa petite pièce qui regarde au-dehors. Elle détourne les yeux et poursuit sa route, l’air de rien. "Que faire", se dit-elle. "Oui, je peux essayer par-derrière, il y a peut-être une porte d’accès dans l’immeuble". Elle contourne le bloc d’immeubles et tombe sur une petite impasse déserte avec quelques portes donnant vers le temple. Elle ne sait laquelle choisir. Elle en essaie une première qui donne sur les portes d’appartement où les noms des locataires sont indiqués. Rien qui ne manifeste l’existence d’un lieu public ou même privé dans lequel les gens ont l’habitude de se rendre. Elle ressort et choisit la suivante. Elle est plus large, engageante, surtout au niveau du premier étage. Rien n’indique que c’est l’entrée d’autre chose qu’un appartement. Mais elle sent que c’est très probablement là. Alors elle attend. Pas très longtemps. Quelqu’un ouvre la porte de l’intérieur, parle à une personne invisible et sort en vitesse, sans même le voir. Avant que la porte ne se referme, Lauranne glisse son pied dans l’ouverture et empêche la porte de se refermer. "Allons-y !", pense-t-elle, tout en ressentant une certaine appréhension.

02/10/2017

Dieu et ma vie

Dieu n’est que dans la mesure où il est en moi et je ne suis que dans la mesure où Dieu est en moi.

En effet :

* Dieu est une réalité vivante. Pour la nommer, je l’appelle Dieu parce que j’ai fait l’expérience de cette réalité vivante. Tant que je ne l’ai pas faite, Dieu n’est pas. Il n’est qu’un mot que j’emploie.

* C’est cette expérience de la réalité vivante qui existe en moi, qui fait que je découvre ma propre réalité. Je peux alors, et seulement alors, dire que je suis.

Dieu, c’est la vie. C’est ma vie. Tant que Dieu est pour moi une abstraction, un mot, je ne vis pas. C’est dans ma vie que doit être cherché Dieu, pas en dehors.

Et c’est pour chacun la même expérience, car Dieu est en tous. Mais je ne peux le voir chez l’autre que lorsque je l’ai perçu en moi.