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31/01/2012

L'appréhension de la réalité

 

Le mot « réalité » désigne, dans le langage courant, ce qui existe effectivement. Pour chacun d’entre nous, le réel est le contenu même de notre expérience. Ce réel peut être objet, sujet ou événement. La réalité, c’est l’ensemble des choses et des êtres qui sont et l’ensemble des faits en rapport avec ces choses et ces êtres. Un objet, un sujet et un événement sont des faits. Les pensées ne sont pas des faits, car elles n’existent qu’en nous et ne sont pas perceptibles par les sens. Mais une pensée exprimée est aussi un fait. La parole, l’écrit, l’attitude, tout moyen d’exprimer nos pensées sont des faits et constituent une partie de la réalité.

La notion de réalité est liée à l’actuel. Cependant le passé aussi a été réel. Il a existé et on le connaît à travers les preuves de cette existence. C’est la présence de traces et d’objets ayant existé à un moment dans le temps qui nous permet de dire que telle chose ou tel être ou tel événement ont existé et de les décrire par extrapolation.

La réalité en soi est indicible et inconnaissable. Aussi lorsque l’on évoque la réalité, on se place délibérément dans ce qu’Husserl appelle la science naturelle et l’attitude d’esprit naturelle, auxquelles il oppose la science et l’attitude d’esprit philosophique.

Dans l’attitude d’esprit naturelle, nous sommes tournés, par l’intuition et par la pensée, vers les choses qui, dans chaque cas, nous sont données. Qu’elles le soient, cela va pour nous de soi, même si elles le sont de diverses manières et avec de divers modes d’être, selon la source et le niveau de connaissance. (…)
A ce monde se rapportent nos jugements. Nous énonçons des propositions, en partie singulières, en partie générales, sur les choses, sur leurs relations, sur leurs transformations, sur les dépendances et les lois fonctionnelles de ces transformations. Nous exprimons ce que nous offre notre expérience directe. 
(Edmund Husserl, L’idée de la phénoménologie, Paris, PUF, 1970, p. 37.)

 

Nous n’appréhendons donc la réalité, dans l’attitude d’esprit naturelle qui est celle de l’homme d’action politique, économique, militaire, qu’à travers un processus complexe intégrant les notions d’information et de communication qui nous amènent à sa connaissance toujours partielle. La réalité est ainsi une construction du mental, un savoir accumulé par l’expérience, qu’on réactualise en permanence en fonction d’informations nouvelles.

(Suite demain : Comment appréhende-t-on la réalité ?)

 

30/01/2012

Muriel ou le temps d’un retour, film d’Alain Resnais (1963)

 

Les deux titres du film, Muriel ou le temps d’un retour, sont les deux thèmes principaux du film : Muriel, un personnage qui n’existe pas et qui traduit l’incompréhension des êtres dans leurs rapports entre eux ; le temps à qui chaque être donne une signification personnelle.

 Muriel-A Resnay.jpg

L’histoire d’abord : « Hélène Aughain souhaite changer son existence normée en revoyant celui qui fut le grand amour de son adolescence. Séparés par la guerre, Hélène et Alphonse se retrouvent à Boulogne. Ce dernier est un faible qui aime plaire, ayant exercé tous les métiers, il accepte cette rencontre sans enthousiasme. Alphonse arrive avec sa maîtresse Françoise qu’il présente comme sa nièce. Hélène a pour amant de Smoke, un chef d’entreprise. Elle vit également avec Bernard, son beau-fils, qui, traumatisé par la guerre d’Algérie, s’enferme dans le souvenir pathétique de Muriel. Celui-ci retrouve un semblant de bonheur aux côtés de son amie Marie-Do. » (Muriel, par Gilles Visy, Université de Limoges).

 

Alain Resnais traite le temps sur trois plans, et, en premier, le temps perceptible dans sa réalité psychologique, ce temps infini, insupportable à chacun et pour tant si court quand, dans un silence parfait, Bernard croque des chips dont le bruit rempli l’espace temporel. En second, le temps émotionnel, cette perception accrue de chaque objet par l’attente et l’angoisse d’Hélène, qui montre mieux que l’expression d’un visage qui peut rester serein, l’émotion de l’attente. En troisième, le temps réel qui, insaisissable, n’en existe pas moins et rythme les événements dans sa cadence incontrôlable : le soir de l’arrivée des visiteurs, Hélène et Alphonse parlent de leur amour et vont peut-être arriver à démêler leurs sentiments. Mais inexorablement, le temps se resserre sur leur conversation quand on voit Roland prendre l’ascenseur, monter, puis sonner à la porte, empêchant ainsi de clore l’explication. De même dans ce dialogue dans un café des habitants de Boulogne qui n’arrivent plus à situer l’emplacement exact de leur ancienne maison sur le nouveau tracé des rues.

 

La construction du film, d’une rigueur et d’une adresse incomparable, est celle du temps réel qui s’écroule, mais son originalité est de nous le montrer dans l’espace, en plusieurs endroits à la fois, et avec des accélérations ou des ralentissements de l’image en fonction de l’émotion des personnages. Elle est comparable à un faisceau convergent de plusieurs lignes en un point qui sera le centre du film et de l’action et qui divergent ensuite. Pendant la première partie du film, en dehors des personnages principaux, les autres sont évoqués brièvement et l’image parait incompréhensible alors qu’elle montre la situation dans l’espace de chacun d’eux à mesure que le temps s’écoule. C’est ainsi qu’apparaît Ernest adossé à la porte d’un café, Claudie qui remonte vers le casino avec Hélène après le coup de fil de celle-ci, puis qu’Alphonse interroge dans son salon de coiffure à nouveau Ernest interrogeant le patron d’un café à son comptoir. De même Alain Resnais, dans cette première partie, situe l’espace dans lequel évoluent les personnages par une précipitation d’images au moment où Hélène ramène ses invités chez elle, images qui paraissent incompréhensibles et qui ont toutes un rapport avec l’histoire : la gare, la voie ferrée vers Paris, le HLM qui risque de s’écrouler et don parlera Roland, l’entrée de l’atelier de Bernard. Le faisceau du drame se resserre alors quand tous les personnages apparaissent et cet instant est indiqué par l’image de la serveuse du café à qui une dame demande où se trouve le centre et qui répond : « Ben, vous y êtes ! », mais déjà certaines images font pressentir l’ouverture du faisceau comme par exemple l’apparition d’une voiture distribuant des tracts sur lesquels est écrit « l’avenir est à nous ». Lorsque tous les personnages sont rassemblés dans le même temps en un même lieu (l’appartement d’Hélène), le magnétophone déclenche le drame introduit par les révélations d’Ernest. Après le drame, celui de Bernard qui tue Robert, les personnages vont s’écarter à nouveau dans le temps et dans l’espace : fuite d’Alphonse vers la Belgique, départ de Bernard, départ de Claudie, et, les dernières images, avec l’arrivée d’un personnage dont on avait beaucoup entendu parler, mais jamais vu, Simone, la femme d’Alphonse, referme le cercle du thème sur l’appartement vide.

 

L’autre thème, incéré parfaitement dans le premier et rehaussé justement par le défilement des images qui donne au spectateur le même sentiment d’incompréhension que celui des personnages dans leurs rapports entre eux (cette incompréhension va peut-être s’effacer au centre du film comme l’annonce l’images d’un couple à la gare qui s’interroge : « Crois-tu qu’on arrivera à les convaincre ? ») est celui de la solitude de la conscience humaine. Chacun des personnages ne vit  que pour soi et en fonction de son souvenir et ce souvenir qui n’est en fait qu’un mensonge pour les autres, devient une réalité intérieure à chacun : Muriel est devenue pour Bernard une sorte de mythe à l’existence duquel croît Hélène puisqu’elle demande à Bernard de ses nouvelles, et Bernard répond : « Elle est malade en ce moment », puis, « Non, elle n’est pas malade », mettant ainsi en valeur sa propre contradiction et ce mythe de Muriel se cristallise dans les yeux qu’il a sans doute dû regarder avec attention pendant qu’elle était torturée (deux fois dans le film, on le voit dire à Marie-Do : « ne ferme pas les yeux », et Robert, dans  sa conversation, lui parle aussi de Muriel). Alphonse est un grand enfant et s’est inventé une histoire passée, ses quinze ans d’Algérie, alors qu’il a vécu à Paris. Il brode sur cette existence un amour emprunté à Ernest, jusqu’à dire à Hélène qu’il lui avait écris, ce qui fut fait en réalité par Ernest. Les dialogues eux-mêmes font partager cette incompréhension : « Pourquoi me regardez-vous ainsi », dit Alphonse à Hélène. Et, plus loin : « Je vous en veux, Hélène. Pourquoi tous ces souvenirs »… « Déjà une heure ». Cette incompréhension est symbolisée par l’image du vieux fou sur la falaise : « Trouvez-moi un mari… un mari pour ma chèvre ». Mais c’est une incompréhension de l’instant qui s’élargit avec l’éloignement du temps et de l’espace, ce qu’a compris Bernard quand il quitte Hélène en lui disant : « On s’aimera mieux séparés ». Le temps d’un retour est bien le retour au passé des personnages, mais le passé va se matérialiser dans le présent en un défoulement des sentiments : l’amour d’Hélène, Muriel pour Bernard, le déjà de la chanson d’Ernest.

 

 

29/01/2012

La peur du vide

 

« La seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensées, c’est la peur de n’être rien. Parce que chaque individu a éprouvé ceci, ne fût-ce qu’une seconde au cours d’une journée : se rendre compte que, par nature, ne lui appartient aucune des identités qui le définissent, qu’il aurait pu ne pas être doté de ce qui le caractérise. (…)

Moi ; le clandestin, je leur rappelle cela. Le vide. Le hasard qui les fonde. A tous. C’est pour çà qu’ils me haïssent. (…)

Car les hommes tentent, pour oublier le vide, de se donner de la consistance, de croire qu’ils appartiennent pour des raisons profondes, immuables, à une langue, une nation, une région, une race, une morale, une histoire, une idéologie, une religion. Or, malgré ces maquillages, chaque fois que l’homme s’analyse, ou chaque fois qu’un clandestin s’approche de lui, les illusions s’effacent. Il aperçoit le vide : il aurait pu ne pas être ainsi, ne pas être italien, ne pas être chrétien, ne pas… Les identités qu’il cumule et qui lui accordent de la densité, il sait au fond de lui qu’il s’est borné à les recevoir, puis à les transmettre. Il n’est que le sable qu’on a versé en lui ; de lui-même, il n’est rien. »

(Eric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad, Albin Michel, 2008)

 

Si l’on se place d’un point de vue purement humain, tout ceci est vrai. Sans son contexte sociétal, l’homme est dénué de fondements. En fait, c’est son environnement qui crée l’homme. Certes, cet environnement, il le construit plus ou moins selon son pays, sa famille, son éducation, mais il lui est grandement imposé.

Dans "les leçons de Don Juan", de Carlos Castaneda, Don Juan Matus, le sorcier, explique qu’il faut effacer sa propre histoire :

.       Je n’ai plus d’histoire personnelle. Lorsque j’ai eu la sensation qu’elle n’était plus nécessaire, je l’ai laissé tomber.

.       Tu es obligé de renouveler ton histoire personnelle en racontant tout ce que tu fais. Si tu n’avais pas d’histoire personnelle, il n’y aurait pas une seule explication à fournir à qui que ce soit, personne ne serait déçu ou irrité par tes actes. Mais surtout, personne n’essaie de te contraindre avec ses propres pensées.

.       Effacer sa propre histoire libère des encombrantes pensées de nos semblables.

.       Actuellement ton problème réside en ce que tu es trop réel. Ne prends absolument rien comme allant de soi. Il faut que tu commence par t’effacer toi-même. Ou bien nous prenons tout comme réel et nous parvenons à l’ennui mortel du monde et de nous-mêmes ; ou bien nous adoptons le point de vue contraire et en effaçant notre propre histoire nous créons le brouillard autour de nous.

 

Oui, il nous arrive de nous retrouver nu. Quel soulagement ! Mais quelle peur aussi...

 

 

28/01/2012

Vous vous envolez...

 

C’est le matin, après un réveil ordinaire
Et l’ingestion d’un café ou d’un thé
Lorsque vous vous fixez sur une activité
Et descendez en vous-mêmes
Que la grâce vous frappe, comme un coup de poing

Brutalement, en un instant, vous sentez en vous
Comme une porte qui s’ouvre subrepticement
Et un air frais vous envahit, exaltant

Si vous n’y prenez pas garde
La porte se referme, sans plus
Et vous avez perdu cet instant de grâce
Que vous vous efforcez depuis longtemps
De faire naître en vous naturellement
A volonté, sans grand succès

Si cependant vous prenez conscience
De ce joyau qui vous est donné
Que vous devez conserver en vous-même
Alors vous vivez des minutes inimaginables
Aucun souvenir n’y est mêlé
Un vide bienfaisant vous submerge
Et vous flottez dans une obscurité
Nourricière, impalpable et sensible

Regardant en vous-même
Vous découvrez ce vide attirant
Cette caverne de beauté assoiffante
Qui vous retourne complètement
Et s’emplit de lumière palpable

Attentif toujours à ne pas perdre
Cet élan vital et bénéfique
Vous vous sentez allongé et allégé
Votre corps perd sa consistance
Devient un fil ténu et lumineux
Qui monte vers les cieux
Et descend sur la matière
Elle-même devenue vide

Distendu entre ces deux extrêmes
Vous laissez une chaleur tendre
Envahir votre corps
Se concentrer en vous
S’épancher dans ce globe transparent
Que vous vous efforcez de nettoyer
Pour voir au-delà de cette inexistence
Un monde merveilleux et inconnu
Que vous ne pouvez définir

Il est, vous êtes
Il est lié à vous,
Mais il est autre
Il vous contente
Vous vous envolez…

 

 

27/01/2012

Les chemins de l’amour, de Francis Poulenc

 

Le poème Léocadia, de Jean Anouilh, a été mis en musique par Francis Poulenc. 

 

Ecoutons-le d’abord chanté par Jessye Norman :

http://www.youtube.com/watch?v=ueD33sF3be8&feature=endscreen&NR=1

 

Les chemins qui vont a la mer
Ont garde de notre passage
Des fleurs effeuillées et l'écho sous leurs arbres
de nos deux rires clairs
Hélas, des jours de bonheur
Radieuses joies envolées
Je vais sans retrouver traces dans mon cœur

Chemins de mon amour
Je vous cherche toujours
Chemins perdus, vous n'êtes plus
Et vos échos sont sourds
Chemins du désespoir
Chemins du souvenir
Chemins du premier jour
Divins chemins d'amour

Si je dois l'oublier un jour
La vie effaçant toute chose
Je veux dans mon cœur qu'un souvenir repose
plus fort que notre amour
Le souvenir du chemin
Ou tremblante et toute éperdue
Un jour j'ai senti sur moi bruler tes mains

Chemins de mon amour
Je vous cherche toujours
Chemins perdus, vous n'êtes plus
Et vos échos sont sourds
Chemins du désespoir
Chemins du souvenir
Chemins du premier jour
Divins chemins d'amour

 

Oui, c’est vrai, c’est un style un peu usé, voire pompier, mais c’est tellement bien chanté que progressivement on se laisse ensorceler.

 

Et maintenant écoutons l’improvisation de Jacky Terrasson.

http://www.youtube.com/watch?v=FYbfRZnY0mg

 

C'est une véritable ballade, voire une méditation. Elle débute sur un rythme lent joué sur une note, au pouce de la main droite avec des accords qui vont permettre d’entrer dans la mélodie de Poulenc. Celle-ci s’infiltre dans cette méditation, doucement, tendrement. On entrevoit la valse lente prudemment introduite, qui se dilue dans des rythmes de jazz, mais est bien présente, en style syncopé. Retour au rythme initial, à la ballade, au rêve. Vous repartez dans un autre monde, bousculé par les changements de cadence, mais gardant toujours en arrière plan la mélodie.

Quelle improvisation ! On pourrait presque dire quelle modernisation de la mélodie. Elle reste à arrière plan, mais elle est entourée d’un nouveau charme, actualisée par ce style cher à Jacky Terrasson.

 

 

26/01/2012

Musée national Gustave Moreau (1826-1898)

 

Ce musée a upeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismene particularité, il fut construit du vivant de l’artiste.

 

A la maison initiale furent ajoutés deux étages d’atelier couvrant en peinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismepièces uniques la surface de la maison.

 

Un contraste incroyable entre le premier étage, très petit bourgeois, et les deux étages supérieurs quelque peu prétentieux en raison de leur taille, mais disposant d’un magnifique escalier les reliant.

 

 

 

 

L’art de Gustave Moreau est singulier. Il fut pourtant très apprécié des milieux parisiens, même si la critique ne le ménagea pas lors de sa première expositionpeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolisme au Salon. Il commença par s’initier aux sources de l’art, l’Italie avec la peinture de la Renaissance et de l’antiquité. Ces années resteront sa référence artistique : Raphaël, Léonard de Vinci, le Titien, Botticelli. Conforté dans ses certitudes, il revient à Paris. Gustave Moreau considère que la peinture, miroir des beautés physiques, réfléchit également les grands élans de l'âme, de l'esprit, du cœur et de l'imagination et répond à ces besoins divins de l'être humain de tous les temps. C'est la langue de Dieu ! Un jour viendra où l'on comprendra l'éloquence de cet art muet ; c'est cette éloquence dont le caractère et la puissance sur l'esprit n'ont pu être défini, à laquelle j'ai donné tous mes soins, tous mes efforts : l'évocation de la pensée par la ligne, l'arabesque et les moyens plastiques, voilà mon but. peinture, dessin, gravure, abstrait, symbolisme

Pour lui, la peinture, et d’abord le dessin, sont œuvres de l’esprit avant d’être exécuté par le corps. Ces tableaux avaient pour ambition de condenser toutes les aspirations de rêve, de tendresse, d'amour, d'enthousiasme, et d'élévation religieuse vers les sphères supérieures, tout y étant haut, puisant, moral, bienfaisant, tout y étant joie d'imagination de caprices et d'envolées lointaines aux pays sacrés, inconnus, mystérieux.

 

 

 

Moreau est avant tout un dessinateur hpeinture, dessin, gravure, abstrait, symbolismeors pair. Ce n’est pas un coloriste. Tous ses tableaux demandent de longues esquisses et le dessin final est très précis, empruntant à David ou Ingres et s’inspirant de nombreux modèles antiques, tant italiens qu’indiens ou persans. De plus il annote ses dessins pour se souvenir de ce qu’il veut faire. Pour ses dessins, il emploie le crayon, mais également le fusain et la sanguine, et même la plume et l’encre. Il réserve l’aquarelle à sa peinture intime.

 

 

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C’est à la fois un symboliste qui s’intéresse au mysticisme, un précurseur du fauvisme et même un abstrait : "N'étant plus en goût ni de me défendre, ni de rien vouloir rien prouver à qui que ce soit, j'en suis arrivé à cet état bienfaisant d'une humilité délicieuse vis-à-vis de mes vieux maîtres du passé et de cette unique joie de pouvoir m'exprimer librement et en dehors de toute juridiction".

 

 

 

 

Sa peinture cependant laisse perplexe. Elle est triste, inachevée le plus souvent, quelque peu barbouillée de marron et de noir. On a parfois l’impression d’un peintre débutant. Mais le Prométhée exposé au Salon de 1868  est magnifique d’imagination et de conception.

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25/01/2012

La sorcière de Portobello, roman de Paulo Coelho (Flammarion, 2007)

 12-01-25 couv La sorcière de Portobello.jpg

« Personne n’allume une lampe pour la cacher derrière la porte : le but de la lumière, c’est d’apporter davantage de clarté autour de vous, de vous ouvrir les yeux, de vous montrer les merveilles qui vous entourent. Personne n’offre en sacrifice son bien le plus précieux : l’amour. Personne ne confie ses rêves à des individus destructeurs. Sauf Athéna. »

Athéna est la fille adoptive d’un couple libanais qui l’a recueillie dans un orphelinat en Roumanie et qui est tzigane. Son histoire n’est racontée qu’au travers des récits faits par les gens qui la connaissaient et qui parle à tour de rôle. Certains en disent : « Elle voulait vivre, danser, faire l’amour, voyager, réunir des gens autour d’elle pour montrer qu’elle était savante, exhiber ses dons, provoquer les voisins, profiter de tout ce que nous avons de plus profane – même si elle cherchait à donner un vernis spirituel à sa quête. »

Une autre en dit que : « Athéna a mis au jour le monde richissime que nous tous portons dans l’âme, sans se rendre compte que les gens n’étaient pas prêts à accepter leurs pouvoirs. Nous, les femmes, quand nous cherchons un sens à note vie, ou le chemin de la connaissance, nous nous identifions toujours à l’un des quatre archétypes classiques. La Vierge (…), la Martyre (…), la Sainte (…), enfin la Sorcière qui recherche le plaisir total et illimité – donnant ainsi une justification à son existence. Athéna a été les quatre à la fois… »

L’âme religieuse, Athéna se tourne d’abord vers la musique, et celui qui l’écoute dit : « J’étais là tout entier, sans passé, sans avenir, vivant uniquement cette matinée, cette musique, cette douceur, ma prière inattendue. Je suis entré dans une sorte d’adoration, d’extase, reconnaissant l’être en ce monde… Mais très vite Athéna se fixe une seconde mission : « Cette mission, c’est la maternité. Je dois l’accomplir ou je deviendrai folle. Si je ne vois pas la vie se développer en moi, je ne pourrai plus accepter la vie qui est à l’extérieur. » Elle se marie, a un enfant, divorce et quitte l’église parce qu’on lui refuse la communion.

Alors elle se consacre à la danse. « Quand je danse, je suis une femme libre. Plus exactement, je suis un esprit libre, qui peut voyager dans l’univers, regarder le présent, deviner l’avenir, se transformer en énergie pure. » Un voisin l’initie à la danse et à la recherche du Sommet qui est caché en chacun de nous. Elle entre en extase, c’est-à-dire est capable de sortir d’elle-même. Elle prend un emploi dans une banque, et, peu à peu, la banque change d’état d’esprit. Tout devient plus coulant, plus naturel.

Son directeur de banque l’envoie dans les pays arabes pour faire des affaires. Elle fait connaissance avec Nabil Alaihi, un bédouin, qui l’initie à la calligraphie et lui révèle le sens du mot maître : un maître n’est pas celui qui enseigne quelque chose, mais celui qui pousse son élève à donner le meilleur de lui-même afin de découvrir ce qu’il sait déjà.

Ayant reçu l’aval de son maître, elle part en Transylvanie à la rencontre de sa véritable mère qui lui explique ses convictions : Nous en possédons pas la terre, c’est elle qui nous possède. (…) Nous ne croyons pas que Dieu ait fait l’univers ; Dieu est l’univers, nous sommes en lui, et il est en nous. (…) Nous n’adorons rien, nous communions seulement avec la création. – Et pourquoi faites-vous cela en groupe, puisque nous pouvons célébrer seul notre contact avec l’univers ? – Parce que les autres sont moi. Et moi, je suis les autres.

Athéna repart à Londres et s’intéresse au culte de la Mère, de l’Unité divine. Son amie Edda lui dit alors : J’adorerais pouvoir te voir donner des leçons sur ce que tu apprends ; c’est çà l’objectif de la vie – la révélation. (…) Maintenant, rentre et va à la rencontre de tous ces gens qui pensent  que tu sais tout. Convaincs-toi qu’ils ont raison, parce que nous tous savons tout, il s’agit seulement d’y croire.

Et Athéna commence à enseigner et se laisse guider par la voix : Va à l’encontre de tout ce que tu as appris jusqu’à présent – toi qui es maîtresse du rythme, laisse le passer par ton corps, mais ne lui obéit pas. (…) Et soudain, j’ai senti un vide immense, qui a été rempli par une présence chaleureuse, aimante, amicale. Autour de moi tout était différent. (…) Au bout d’un certain temps, l’âme s’est détachée du corps, un espace s’est ouvert, et la Mère a enfin pu entrer. (…) Je suis contente que, à  ce moment, la Mère ait gagné la bataille. Un homme a été sauvé du cancer, un autre a accepté sa sexualité, un troisième a cessé de prendre des pilules pour dormir.

Athéna rassemble les foules, elle fait des disciples, mais dans le même temps se fait des ennemis. Alors elle disparaît.

L’épilogue est assez équivoque. On la retrouve dans un quartier de Londres, assassinée. Mais le dernier chapitre met en scène un policier qui aurait organisé son départ en maquillant un crime. Elle est vivante et poursuit sa mission : préparer le chemin de la Mère, poursuivre une tradition qui a été abolie pendant des siècles, mais qui à présent commence à resurgir. Et l’on revient au commencement du livre, à sa première phrase : Personne n’allume une lampe pour la cacher derrière la porte : le but de la lumière, c’est d’apporter davantage de clarté autour de vous, de vous ouvrir les yeux, de vous montrer les merveilles qui vous entourent.

 

 La construction du livre est assez intéressante. Les chapitres sont constitués des écrits de chaque personne qui a connu Athéna à un moment de sa vie. Ainsi l’on ne connait d’elle que ce que l’on en a dit ou que ce que ces intimes en ont vu : Heron Ryan, journaliste ; Edda, son amie, médecin ; sa mère adoptive ; le directeur de la banque ; le bédouin et bien d’autres encore. Sorcière, elle ne s’exprime pas elle-même. Mais est-elle vraiment sorcière ?

Cependant l’objet même du livre est ambigu : l’auteur a-t-il développé cette histoire sans pour autant croire aux propos qu’il tient sur ses aspects spirituels, ou, au contraire, pense-t-il réellement à cette connaissance immanente qui conduit à la réalisation personnelle ? Paulo Cuelho s’est-il laissé entraîner par sa célébrité qui le contraint à écrire toujours plus de livres qui traitent de spiritualité ?

On pourrait le penser lorsqu’on ouvre un autre livre écrit par celui-ci en 2008 qui se nomme « La solitude du vainqueur » et qui m’a rappelé le livre de Houellebecq « La carte et le territoire » par ses descriptions d’une société du paraître et de la célébrité, qui seule compte de nos jours. Et les deux auteurs semblent s’y complaire, malgré le maquillage nécessaire à ce genre de propos.

 

 

24/01/2012

Nos ancêtres, un peu bornés ou mathématiciens

 

Nos ancêtres, un peu bornés ou mathématiciens
Ont tenté d’établir en quelques mots pesants
En quelques faits que la loi semble soutenir
Une rationnelle limite à l’écoulement du temps
Cette frontière, jour de fête pour son aboutissement logique
Leur échappait comme l’eau entre les doigts
Que l’on tente vainement de retenir pour sa fraicheur
Le passé n’avait pas fini de mourir à petits feux
Que déjà l’avenir dans ses espérances contradictoires
Avait façonné le paysage de nouvelles perspectives
Plus nobles, plus harmonieuses, plus imaginaires aussi
Qui semblaient l’annonce des temps nouveaux
Et comme ils avançaient dans ce palais promis
Au-delà des colonnes et des chapiteaux grandioses
Apparaissaient encore les mêmes faubourgs bancals
Qu’ils avaient traversés des jours durant
Et nous persévérons aussi car le mirage du palais
S’édifie des mêmes pierres que les faubourgs traversés

 

23/01/2012

Un récital pas comme les autres.

 

Les Marx Brothers : piano récital 2

http://www.dailymotion.com/video/xlvpb_marx-brothers-piano-recital-2_fun

 

Quelques minutes extraordinaires de personnes hors du commun.

En fait, les Marx étaient cinq frères et leur mère, Minnie Marx, « issue du monde du spectacle, prend très tôt en main l'éducation artistique de ses enfants, encouragés, très jeunes, à développer divers talents : le théâtre, la musique, la danse, et tout particulièrement le chant. Chico devient un excellent pianiste, tandis que Harpo se consacre à l'instrument qui lui donnera son nom de scène : la harpe. Groucho s'exerce à la guitare, mais il commence par être chanteur soliste, domaine dans lequel ses compétences lui valent d'être le premier de la famille à monter sur les planches. Gummo et Zeppo, quand ils accompagnent leurs frères, sont également de bons chanteurs. Les talents musicaux des frères Marx seront un atout très exploité dans leurs futurs films. » (From Wikipédia)

 

Admirons ces artistes qui savent faire rire en utilisant des talents qui, normalement, ne prêtent pas à s’esclaffer. Certes ce n’est pas de la musique de hautes qualité, mais ce n’est pas le but : il s’agit de rire. Mais faire rire ainsi suppose de grands talents, même en musique.

 

 

22/01/2012

Croisillons décoratifs

 

Simple et décoratif. Et pourtant… Regardez de plus près.

Le motif est effectivement simple :

 

12-01-22 Motif 1 croisillon.jpg

 

Mais chaque motif s’emboite dans le précédent et le suivant, de tous côtés, en 3 dimensions, et ce de deux manières :

 

12-01-22 Motif 2 croisillon.jpg

12-01-22 Motif 3 croisillon.jpg

 

Pour finir on arrive à un effet d’ensemble assez inédit, en incorporant deux fonds :

 

12-01-22 Croisillons1.jpg

 

Ce n'est cependant que décoratif !

 

 

21/01/2012

Maria Perello, peintre espagnole

 

La galerie Sibman (28 place des Vosges 75003 Paris), toujours elle, expose des toiles insolites : vues de bain d’enfants dans des piscines.

 

peinture, dessin, art pictural

 

Quel sujet, me direz-vous ? Oui l’image est banale (une piscine depeinture, dessin, art pictural ville !), mais c’est magnifique. Il ne s’agit pas seulement de réalisme, mais de lumière de l’eau. Elle bouge, elle tremble la surface de l’eau. Elle donne à voir son âme en toute transparence. On a envie de tendre la main et de goûter sa fraicheur.

 

Pas une faute de goût dans ce regard sur le bain d’un enfant ou d’une toute jeune fille. Ce ne sont pas les baignades bruyantes habituelles aux adolescents, peinture, dessin, art picturalquand l’émulation naturelle de garçons et filles mélangés contraint le spectateur à fuir la résonance des cris. La baignade est individuelle, personnelle pourrait-on dire, comme hésitante, presque philosophique. Seules les têtes sortent de l’eau. Les corps, dans le tremblement léger de la surface, sont discernables, mais malgré tout sans forme vive, comme alanguis, en apesanteur. Les gestes sont ralentis par l’inertie aquatique, prenant des allures fantomatiques, mais toujours émouvants de fraicheur et d’impulsion.

 

 

peinture, dessin, art pictural

 

 

Quelle leçon de peinture. D’un sujet très bateau (sans jeu de mots), l’artiste donne un rendu grandiose de bleu et de mouvement, la couleur et le trait se marient intimement, probablement parce qu’il n’y a pas de visibilité du dessin.

 

 

20/01/2012

La carte et le territoire, roman de Michel Houellebecq

 

On lit l’introduction ou le prélude avec circonspection : où va-t-on ? Le problème du chauffe-eau ne peut constituer un roman, même de Michel Houellebecq. Alors on poursuit sur la première partie : les dessins de Jed, puis la photographie, tout cela à travers son enfance, son adolescence et le début de sa vie adulte. J’avoue que je n’ai rien saisi d’intéressant avant la page 62 (1ère partie, chapitre 3), car là : Jed acheta une carte routière « Michelin Départements » de la Creuse, Haute-Vienne. C’est là, en dépliant sa carte, à deux pas des sandwiches pain de mie sous cellophane, qu’il connut sa seconde grande révélation esthétique. Cette carte était sublime. Bouleversé, il se mit à trembler devant le présentoir. Jamais il n’avait contemplé d’objet aussi magnifique, aussi riche d’émotion et de sens que cette carte Michelin au 1/150 000 de la Creuse, Haute-Vienne. L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale. Le dessin était complexe et beau, d’une clarté absolue, n’utilisant qu’un code restreint de couleurs. Mais dans chacun des hameaux, des villages représentés suivant leur importance, on sentait la palpitation, l’appel, de dizaine de vies humaines, de dizaines ou de centaines d’âmes – les  unes promises à la damnation, les autres à la vie éternelle. (p.54)

Jed fait connaissance avec Olga, une russe travaillant en France chez Michelin, pour le guide. On commence à entrevoir le sujet d’un roman qui jusque là se résumait au chauffe-eau et à toutes sortes d’évènements sans beaucoup de cohésion. Très vite, on tombe dans le milieu dit artistique : romanciers, peintres, photographes. Le voilà lancé par Olga qui organise sa deuxième exposition : Jed avait affiché côte à côte une photo satellite prise aux alentours du ballon de Guebwiller et l’agrandissement d’ne carte Michelin « départements » de la même zone. Le contraste était frappant : alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’n soupe de vers plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis  de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols. Au dessus des deux agrandissements, en capitales noires, figurait le titre de l’exposition « la carte est plus intéressante que le territoire ».

Et l’on retombe dans les aventures d’un artiste contemporain dans son milieu branché, jusqu’au départ d’Olga qui est envoyée par Michelin en Russie. Alors il abandonne la photo et se lance dans la peinture. Il peint les métiers simples pendant sept ans, telle sa toile « Claude Vorilhon, gérant de bar-tabac », puis élargit ses travaux : « Aimée, escorte-girl », « Bill Gates et Steve Job s’entretenant du futur de l’informatique ». Il lui manque bientôt le portrait d’un écrivain.

 

C’est l’objet de la deuxième partie du roman, qui concerne sa rencontre avec Michel Houellebecq, romancier. Houellebecq décrit Houellebecq. Il fallait avoir l’idée de ce jeu de miroir. On trouve dans cette partie des réflexions intéressantes :

Quelques mots drôles et caricaturaux : « C’est l’inconvénient avec les polytechniciens, ils reviennent un peu moins cher que les énarques à l’embauche, mais ils mettent d’avantage de temps à trouver leurs mots. » (p.91)

Quelques affirmations qui ne manquent pas de clairvoyance : Etre artiste, à ses yeux (de Jed, le peintre) c’était avant tout être quelqu’un de soumis. Soumis à des messages mystérieux, imprévisibles, qu’on devait donc faute de mieux et en l’absence de toute croyance religieuse qualifier d’intuitions ; messages qui n’en commandaient pas moins de manière impérieuse, catégorique, sans laisser la moindre possibilité de s’y soustraire – sauf à perdre toute notion d’intégrité et tout respect de soi-même.

Quelques analyses intéressantes comme celle sur l’architecture du milieu du XXème siècle : Le courant dominant quand j’étais jeune était le fonctionnalisme. Il ne s’était rien passé depuis Le Corbusier et Van der Rohe. (…) Comme les marxistes, comme les libéraux, Le Corbusier était un productiviste. Ce qu’il imaginait pour l’homme, c’était des immeubles de bureaux, carrés, utilitaires, sans décoration d’aucune sorte ; et des immeubles d’habitation à peu près identiques, avec quelques fonctions supplémentaires – garderies, gymnase, piscine ; entre les deux, des voies rapides. Dans sa cellule d’habitation, l’homme devait bénéficier d’air pur et de lumière, c’était très important à ses yeux ; et entre les structures de travail et les structures d’habitation, l’espace libre était réservé à la nature sauvage. (…) C’était une sorte d’écologiste avant la lettre, pour lui l’humanité devait se limiter à des modules d’habitation circonscrits au milieu de la nature, mais qui ne devait en aucun cas la modifier.

Mais inversement, l’auteur a tendance à décrire avec force détails des choses sans intérêt, telle la description d’un appareil de photo (p.161 à 164), l’histoire de Beauvais (p.180-181). Il meuble le chapitre par de longues discussions entre Jed et son père. Celui-ci peint le portrait de Houellebecq, son chef d’œuvre. Enfin, il retrouve Olga de retour de Russie. Nouvelles mondanités avec Jean-Pierre Pernaut, Patrick Le Lay, Claire Chazal. Il couche avec Olga, mais repart voir Houellebecq, parle longuement avec lui et le quitte en fin de nuit, marquant ainsi la fin de la 2ème partie.

 

La troisième partie est un roman policier avec pour personnage principal le commissaire Jasselin : Houellebecq a été assassiné dans des conditions atroces. Description du crime, des efforts de Jasselin, sa rencontre avec Jed, quelques réflexions sur la criminalité quand Jasselin cherche à briser la glace avec Jed : Ce type l’intriguait (…) Son travail à lui était de pister le gibier, puis de le rapporter afin de le déposer aux pieds des juges, et plus généralement du peuple français (…) Dans le cadre d’une enquête policière, le coupable était à peu près vivant – ce qui permettait à la France de demeurer bien notée dans les enquêtes sur les droits de l’homme régulièrement publiés par Amnesty International.

Le roman se poursuit avec la mort du père de Jed qui se fait euthanasié en Suisse, la résolution de l’affaire Houellebecq, sans intérêt, et la décision de Jed de s’installer dans l’ancienne maison de ses grands-parents, dans la Creuse. Puis, il meurt, dans une certaine sénilité.

 


 Que penser de ce livre ? J’avoue que je ne suis pas séduit par Houellebecq, bien qu’il soit encensé partout. Prix Goncourt 2010, l’écrivain est maintenant bien connu du grand public. Est-il pour autant réellement apprécié ?

Il faut reconnaître que la manière de raconter de Michel Houellebecq est surprenante. Il y a des digressions sans intérêt et très pointues sur tel ou tel sujet et l’on se demande ce qu’elles viennent faire dans le texte, n’apportant aucun élément au récit. Il y a également des descriptions éprouvantes sur, par exemple, la manière de faire cuire des spaghettis, mais sans aucun humour, brut de fonderie. Peu de sentiments : l’amour de Jed pour Olga est si brièvement évoqué qu’on se demande s’il y a réellement un amour entre eux. Tout reste froid et dépassionné. Bref, Houellebecq nous parle d’argent, d’art, de la vie mondaine qui contente les personnes médiatisées. Rien de bien encourageant pour en faire un souvenir de lecture enchanteresse. Quant à en faire un manuel de sociologie, ce serait exagéré.

 

 

19/01/2012

Les hommes, comme d’éternels esclaves

 

Les hommes, comme d’éternels esclaves,
Entraînent  chaque jour la roue du passé,
N’agissant que sur ce point de tangence
Qui imprègne dans le sol l’instant de sa présence.
Derrière ne restent que les traces du regret du passé
Et au devant l’espoir du futur dans un jardin sauvage.

 

18/01/2012

Albert Vidal, peintre

 peinture, ville

Regardez, ouvrez le fichier, puis vos yeux et admirez :

A Vidal-catalogue.pdf

 

Il peint, principalement des villes, vue de haut, d’avion ou des immeubles les plus hauts. Et la ville devient lointaine, se noie dans l’horizon, s’ébroue sous un ciel bas, parfois sans perspective du tout. Ce qui l’intéresse ce sont ces immeubles, bâtiments, maisons, édifices, monuments qui voilent des alignements de rues, de boulevards qui se croisent, s’entrecroisent, tantôt en longues lignes droites, tantôt en ruelles biscornues au dessin inconnaissable. Cela pourrait être triste, délavé, mortellement ennuyeux. Et pourtant, ces villes sont optimistes, elles respirent la gaîté, le bon vivre, la joie d’être ensemble. Comme elles sont bien toutes ces constructions qui se serrent les unes contre les autres, protégeant ainsi leur intimité. Elles ne laissent apercevoir que leurs toits, petits carrés de goudrons, de tuiles ou de ciments. On sent pourtant le grouillement dans les rues, l’agitation dans les bâtisses, une vie quasi souterraine, tranchant avec la sérénité des quartiers dans leur totalité.

  

 peinture, ville

 

Ce n’est pas de la peinture à thème, il n’y a pas non plus de quoi former un nouveau mouvement d’art pictural, mais il y a un charme discret, étincelant qui frappe l’œil et enchante l’âme, une rigueur joyeuse qui aide à comprendre la ville dans ces aspects esthétiques.

 

 

 

 

Albert Vidal expose à la galerie Sibman, une excellente galerie par le choix de ses artistes, tous différents, mais possédant la distinction de la véritable peinture, du retournement de l’âme pour faire frémir de joie celui qui y entre.

Regardez son site internet, vous y verrez de magnifiques compositions :

www.sibmangallery.com

 

Et si c’est possible, allez-y, car qu'y a-t-il de plus fabuleux que de toucher, par la vue et presque l’odeur, des tableaux où l’on admire le trait, la pâte, l’englobement des couleurs dans un coup de couteau, l’étalement diaphane d’un pinceau manié par une main sûre.

 

 

 

17/01/2012

Musée de la vie romantique (16 Rue Chaptal 75009 Paris)

 

On y entre par un ancien chemin qui se glisse maintenant entre les immeubles. C’est un peu le chemin d’une prison qui mène vers le paradis que l’on aperçoit au fond, dans une brume de soleil. On s’arrête quelques instant pour payer sa participation à l’entretien du musée et l’on est immergé dans un Paris ancien, celui du siècle dernier, voire d’il y a deux siècles : une charmante petite cour pavée, une petite maison de style restauration, aux volets verts d’eau, un jardin certes petit, mais empli de feuillages et de fleurs (plus trop en ce moment !).

 

 

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On s’atta12-01-15 Perron red.jpgrde bien sûr dans cette petite place des autres siècles, se réchauffant au soleil, sans regarder les immeubles environnants. Il y a encore du bois sous l’escalier de la porte d’entrée.

 

Quelle paix ! Les bruits de la ville arrivent estompés, les couleurs prennent des tons efféminés, quelques personnes se promènent en se tenant par le bras  dans ce jardin de poche. Tout est ralenti, attentif à une lumière tamisée par les arbres. On s’installe quelques instants sur le banc et on laisse le rêve envahir son esprit. On se voit à cheval arrivant par l’allée, descendant sur le perron et pénétrant dans la maison pour se réchauffer. Alors on se dit qu’il est temps d’entrer. Quelle déception ! C’est bienun musée. Mais il évoque la vie romantique de Paris au XIXème siècle, cette époque où le tout Paris se voulait artiste : peintre, sculpteur, poète, musicien, danseuse et bien d’autres choses encore.

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Cela n’a plus rien à voir avec l’intérieur habité d’une propriété presque de campagne. C’est un patchwork d’objets rassemblés là qui inspire le respect, mais intimide également par son aspect passé figé. On est plongé dans un monde étrange, un peu poussiéreux, avec de belles fioritures, de beaux cadres, mais persiennes closes. C’est une sorte d’intérieur de château bien que les pièces soient toutes petites, au décor endormi sur un passé révolu. On y admire de beaux meubles et surtout des tableaux évocateurs de cette période :

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Georges Sand enfant, peinte par Aurore de Saxe ;

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un enfant rêveur et fatigué (je ne sais plus qui il est et qui l’a peint) ;

 

 

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Les litanies de la vierge, d’un classicisme à toute épreuve, mais de belle facture, peint par Auguste Legras.

 

 

 

On étouffe un peu dans cet univers clos, mais qui permet de revivre avec un réalisme parfait ce que nos arrières grands parents ont connu.

 

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On visite la serre avec une très curieuse fontaine-grotte où pousse une verdure abondante, comme au menton d’un homme qui ne s’est pas rasé depuis quelques temps. Rococo du meilleur aloi !

 

 

 

 

Alors repris par la fièvre du parisien du XXIème siècle, vous laissez là votre imagination et une partie de votre cœur, pour revenir dans une rue où passent les camions, dans laquelle les personnes sont habillées comme vous et qui, eux aussi, sont pressés parce qu’il faut être pressé quand on vit dans un avenir indéfinissable.

 

 

16/01/2012

Orphée, film de Jean Cocteau (1950), avec Jean Marais (Orphée), François Périer (Heurtebise), Maria Casarès (La princesse), Marie Déa (Eurydice)

 

Orphée 1 :

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=F3T4nEuHnlM

La suite, jusqu'à Orphée 10, sera indiquée sur la page d'ouverture.

 

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Lorsque les sirènes chantèrent, pour attirer les marins
Orphée se mit à chanter en donnant la cadence aux rameurs
Et les belles en furent pour leur frais, perdues à jamais,
Sans homme, ni humain, ni même une âme.

Orphée se maria avec la belle Eurydice qu’il aimait.
Elle fut piquée par un serpent et mourut.
Alors Orphée, muni de sa lyre à neuf cordes,
Descendit aux enfers pour la délivrer.
Hadès, ému de tant d’amour éperdu,
Lui accorda à nouveau la possession d’Eurydice
Mais avec l’interdiction de la regarder.
Ce qui devait arriver arriva.
Orphée se retourna pour voir Eurydice,
N’embrassa qu’un courant d’air et la perdit définitivement.
Alors, désespéré, il se livra aux Bacchantes
Et sa tête de poète repose sur la terre des arts.
Elle chante parfois dans l’orage
Et inspire les poètes et les musiciens.

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Jean Cocteau, nouvel Orphée, reprit le mythe,
Transformé en histoire d’amour avec la mort.
Celle-ci, sous les traits d’une princesse,
Attire Orphée dans l’autre monde
Par des messages radio semblables à ceux de la Résistance.
Elle fait tuer Eurydice par ses motards,
Véritables soldats de la mort, muets et obéissants.
Orphée passe les gants de caoutchouc,
Secouru par Heurtebise, le chauffeur de la dame,
Et pénètre par le miroir dans l’autre monde,
Car les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va.
La princesse avoue qu’elle aime Orphée
Et celui-ci ne peut s’empêcher de l’aimer à son tour.
Orphée est autorisé à repartir avec Eurydice ;
Bien sûr il la regarde et la perd à nouveau.
Il retourne alors au royaume des morts.
Mais la mort va se sacrifier pour rendre Orphée à son monde.
Orphée et Eurydice poursuivent leur vie sur terre.
Ô mort, où est ta victoire ?
L’amour est plus fort que la vie, et, bien sûr, que la mort !

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Plongé dans la poésie du film, on ne perçoit pas que sa fin est également celle de la poésie. La réalité transformée en passage d’un monde à l’autre, par l’intermédiaire d’objets les plus courants : les gants de caoutchouc, les miroirs, la radio, les motards, etc. Au-delà, le monde de l’absolu arbitraire sous les dehors d’une logique implacable faisant fi de l’amour et de la mort. Le retour au vrai monde des humains est la perte d’un amour poétique contre un amour plus pauvre, mais vivant, à la mesure de l’homme.

La poésie et le rêve se sacrifient pour que vive le réel. Bravo au poète éternel qu'est Jean Cocteau !

 

 

 

15/01/2012

Je regardais passer les piquets noirs

 

Je regardais passer les piquets noirs comme des corps de garde
Qui fuyaient à mon approche comme de grande harde.
Les chemins ont l’odeur du cristal et du papier peint
Et s’écroulent au passage de mes yeux insolites et lointains.

Je laisse derrière des rivages de souffrance où la joie brille
De ne plus voir la chevelure déconfite des quadrilles.
Et les lumières perdues dansent une étrange sarabande
Sur les flancs grisâtres et pauvres d’une ignorante lande.

Plus rien ne retient mes pas au long de ce voyage
Si ce n’est la chaleur sans clarté de ce paysage.
Noirs et blancs, je brode ma chevauchée au fil des cailloux
Tout en gardant l’image de l’araignée qui se tord le cou.

La poussière écrase sa crinière d’or sur l’aubépine
Qui parle en clins d’œil aux vestiges de ces ruines.
Plus rien ne me retient si ce n’est ce crapaud
Qui bêle au fond des trompes comme au sortir de l’eau.

 

14/01/2012

Le sabotage amoureux, roman d’Amélie Nothomb (Albin Michel, 1993)

 

Livre fou de drôlerie, d’humour décapant, de sauvage frénésie, d’une fille de diplomate dont la famille est mutée à Pékin dans les années 70.

Au grand galop de mon cheval, je paradais parmi les ventilateurs. J’avais sept ans. Rien n’était plus agréable que d’avoir trop d’air dans le cerveau. Plus la vitesse sifflait, plus l’oxygène entrait et vidait les meubles… L’élégance de mon assiette suffoquait les passants, les crachats, les ânes et les ventilateurs… Dès le premier jour, j’avais compris l’axiome : dans la Cité des Ventilateurs, tout ce qui n’était pas splendide est hideux.Le sabotage amoureux A Nothomb.gif

Et le roman commence par une guerre contre les Allemands de l’Est. Elle est la benjamine. On la nomme éclaireur. La mission de l’éclaireur est d’éclairer, dans les multiples acceptions du terme. Et éclairer, ça m’irait comme un gant : je serais un flambeau humain. Elle raconte leurs luttes contre les petits Allemands, luttes d’abord verbales, puis physiques, puis avec l’arme secrète : un pot d’urine. Mais elle fait connaissance avec Elena, une italienne qui devint le centre du monde. Elle était belle comme un ange qui poserait pour une photo d’art. Elle avait les yeux sombres, immenses et fixes, la peau couleur de sable mouillé. Ses cheveux d’un noir de bakélite brillaient comme si on les avait cirés un à un et n’en finissaient pas de lui dévaler le dos et les fesses. Son nez ravissant eût frappé Pascal d’amnésie… Décrire Elena renvoyait le Cantique des Cantiques au rang des inventaires de boucherie.

Or Elena ne veut pas jouer à la guerre. Une seule chose lui importe : être regardée. Mais cet amour que lui déclare l’auteur la laisse froide : Que tu es bête ! Alors Amélie se noie dans des courses à cheval, bolide lâché dans la Cité des Ventilateurs. Elle lui explique qu’elle a un cheval. Mais cela ne touche pas la belle Elena.

Quand je vis Elena accorder de l’attention à un ridicule, je fus scandalisée… Il s’appelait Fabrice et paraissait le meneur de la classe des petits. Ma bien-aimée avait choisie le pouvoir : j’avais honte pour elle.

Après une intensification des hostilités, la guerre fut lutte à mort et Amélie devint célèbre pour le faire debout, sans les mains, entre les deux yeux du général allemand, un garçon. L’enfant contracta la bronchite du siècle. Elena commence alors à s’intéresser à Amélie, mais celle-ci, sur les conseils de sa mère, fait semblant de la dédaigner. Après la signature d’un armistice avec les Allemands de l’Est, imposée par les parents, sa seule préoccupation est toujours Elena qu’elle continue à dédaigner, jusqu’au jour où elle craque, se sabote (d’où le titre du livre) et lui avoue : « Je t’aime. Je n’ai pas arrêté de t’aimer… Maintenant je ne ferai plus semblant. Ou peut-être que je recommencerai, mais alors tu sauras que je fais semblant. » Elena dit avec une indifférence écrasante que confirmait son regard : C’est tout ce que je voulais savoir. Elle tourna les talons et partit à pas lents qui s’enfonçaient à peine dans la boue. Alors Amélie poursuit la belle : Et toi, Elena, tu m’aimes ? Elle me regarda, l’air poli et absent, ce qui constituait une réponse éloquente, et continua à marcher. Je le ressentis comme une gifle. Mes joues cuisaient de colère, de désespoir et d’humiliation.

Ainsi finit le livre avec pour épilogue une lettre de son père qui rencontra un jour le diplomate italien et qui lui apprit qu’Elena était devenue une beauté fatale. Merci à Elena, parce qu’elle m’a tout appris de l’amour.

 

Entrée sur un cheval en Chine, Emilie repart amoureuse. Mais à New York, l’affectation suivante de son père, dix petites filles tombèrent folles amoureuses d’elle. Elle les fit souffrir abominablement. Livre délirant d’images et de rêves mêlés à la réalité, il se lit d’un seul jet, avec des sourires et souvent des rires, rappelant le monde de l’enfance que nous avons quitté un jour, pour notre plus grand regret.

Merci à l’auteur de nous faire revivre par son imagination abracadabrantesque ces moments merveilleux de guerre enfantine et d’amour méconnu.

 

13/01/2012

Exposition Polyphonies des œuvres de Paul Klee à la Cité de la musique

 

Attente, comme une phase impérative avant d’entrer dans le sanctuaire. La route est longue, ou plutôt, l’attente est longue alors que le trajet de la queue ne s’étend que sur quelques dizaines de mètres. C’est sans doute un prélude de réflexion à ce que nous allons voir : le mariage de la peinture qui utilise l’espace et de la musique qui se sert du temps. L’exposition n’est pas consacrée à l’ensemble de l’œuvre de Klee, mais à tout ce qui chez Klee touche à la musique. Il était musicien, violoniste d’orchestre et même critique musical. Il connaît très bien la musique de chambre, il est passionné par l’opéra, et joue les grands compositeurs classiques : Bach, Mozart, Beethoven, mais aussi Schumann, Wagner, Debussy, Dvorak, etc. Cependant, il choisit l’art pictural, le dessin et la peinture.monumentklee red.png

L’exposition distingue 6 périodes, en fait 5 si l’on retire sa jeunesse indécise de la voie à suivre. J’avoue ne pas aimer follement la peinture et les dessins de Klee. Ceux-ci sont enfantins, d’un tracé incertain, comme hésitants. Sa recherche de simplification des formes manque de rigueur. Quant à la peinture, on a souvent l’impression qu’elle consiste à mettre de la couleur sur le dessin. Malgré l’utilisation de couleurs gaies comme le rouge, le jaune, ces tableaux s’accompagnent souvent de brun, de bleu ou encore d’autres couleurs vives, mais un peu délavées. Certains tableaux sont cependant lumineux et joyeux tel « Monument in the Fertile country » de 1929, ci-contre.

Ce qui est par contre très intéressant chez cet artiste est le parallèle qu’il s’efforce d’établir entre deux arts qui semblent assez opposés : la peinture et la musique. Klee est un chercheur. Il cherche des assemblages de formes et de couleurs qui permettent d’établir des similitudes difficiles entre le son et la couleur. Il invente des modèles de compréhension rapprochant les deux arts. C’est ainsi qu’il s’attaque à un projet de construction polyphonique de la couleur, puis il se penche sur l’abstraction dans un processus partant de la nature, pour la transformer en champ de signes, comme une partition. Il conçoit le projet d’un monument à la mémoire de Bach à partir des quatre premières mesures de la fugue en sib mineur du Clavecin bien tempéré, les formes du monument étant réglées sur la hauteur des notes indiquées sur la partition.

A partir de 1930 il entreprend d’autres recherches de langage polyphonique sur le rythme, la mesure, les modes musicaux. Mais c’est une construction qui reste très libre d’inspiration. Il s’agit pour lui, de « transposer dans la peinture les notions propres au langage musical : la polyphonie par le travail de la transparence, notamment à l’aquarelle, l’harmonie par les effets conjugués de couleurs mates posées en grilles souples et aérées, le rythme par la scansion régulière de la surface picturale. » Un bon exemple de ces recherches est le tableau fait à l’huile et intitulé « en rythme », peint en 1930.

Paul_KLEE_En_rythme_1930.jpg


Sur un fond brun, assez habituel chez lui, il a établi une grille (très approximative, pour laisser la liberté) et peint au couteau une alternance de quadrilatères noirs, blancs et gris. Seul le noir est vraiment noir. Le blanc et le gris laissent encore entrevoir le fond marron sur certaines parties. Enfin, il a alterné l’étalement de la peinture en horizontal et en vertical. L’objet du tableau est de mettre en évidence l’importance du rythme grâce à une représentation picturale tant par le choix de la forme que par celui de la couleur. Par ce tableau, Paul Klee rejoint complètement la peinture abstraite, voire cinétique grâce au rythme imprimé par la succession de noir, blanc, gris, que l’on imagine défilant comme une bande de cinéma.

 
Dans l’ensemble de son œuvre, Klee devance les surréalistes par son abandon à l’irrationnel, sa liberté rêveuse, ses visions. Enfin, ne l’oublions pas, il aime la facétie, le portrait comique, la représentation simplifiée, voire la caricature d’une idée, d’un concept. Il n’y a pas un personnage Paul Klee, mais une multitude de personnages qui se côtoient sans difficulté tous les jours pour le plus grand bonheur de ceux qui l’écoutaient jouer du violon ou qui regardent ses tableaux.

 

12/01/2012

Les effets de la mondialisation

 

La famille et les groupes primaires, qui ont un rôle fonctionnel et identitaire, forment le premier ensemble dans lequel s’inscrit toute action humaine, de la collectivité vers l’individu et inversement.

Au delà de ceux-ci qui ne sont que des micro-ensembles, on trouve des ensembles sociologiques plus larges que l’on peut identifier par leur fonction et leur étendue dans le temps et dans l’espace.

 

La notion de communauté :

La communauté a plutôt un rôle culturel et éthique. C’est « une collectivité sociale caractérisée par le fait de vivre ensemble, de posséder des biens communs, d’avoir des intérêts et un but communs ». La notion de communauté, universelle, se rattache à des liens divers et souvent plus larges : l’ethnie, l’idéologie, la religion, la zone géographique, la forme de travail, le niveau social, etc. Une communauté se caractérise par une culture commune.

 

La notion de culture :

Les cultures sont des sous-ensembles des civilisations. Elles se sont développées sur des bases historiques, linguistiques, géographiques et ont engendré des modes de vie, des coutumes et des particularismes religieux.

 

La notion de société :

La société aurait plutôt un rôle politique et idéologique, au sens moderne du terme. En fait, les communautés se regroupent en sociétés qui constituent des ensembles culturels, économiques, sociologiques, et politiques, dans lesquels s’inscrivent toutes leurs pratiques, individuelles ou collectives, et toutes les représentations.

 

La notion de civilisation :

Une civilisation constitue le plus large ensemble collectif dans lequel s’inscrit la vie d’un individu. Elle remplit un rôle métaphysique, car une civilisation représente un ensemble de valeurs intégrantes qui, dans un tout géographique et historique très large, rassemblent des hommes autour d’une même vision du sens de la vie. Ses origines sont liées à une vision religieuse et à une démarche sacrée qui modèle la vie. La notion de civilisation est source de sens et d’existence personnelle.

 

La mondialisation a cependant tendance à atténuer l’importance des différenciations et de la hiérarchisation évoquées. Les notions de culture et de communauté ne sont plus aussi liées qu’auparavant. La notion de société est proche de la notion d’Etat-nation. La civilisation universelle masque l’empreinte des civilisations.

Bientôt peut-être, considérera-t-on les civilisations comme des résurgences d’un passé révolu, les sociétés deviendront la société mondiale, les cultures ne seront que des épiphénomènes folkloriques, seules les communautés existeront, plus à un niveau de prétention que de réalité, en tant qu’affichage pour se démarquer des autres. Mais ce ne sera qu’une triste comédie qui n’aura rien à voir avec la vie vécue tous les jours.

 

11/01/2012

Le pianiste du centre commercial

 

Tirée du livre de Paulo Coelho, Comme un fleuve qui coule (2006), cette rencontre entre l’auteur et un pianiste jouant dans un supermarché pour gagner un peu d’argent, relate la finalité humaine de faire et bien faire ce pour quoi nous sommes nés : De ses mains, il partage avec tous son amour, son âme, son enthousiasme, le meilleur de lui-même, ses années d’études, de concentration, de discipline.

Et de conclure :

Je suis saisi d’une sensation de profonde révérence, de respect pour un homme qui, à ce moment, me rappelle une leçon très importante : vous avez une légende personnelle à accomplir, point final. Peu importe si les autres soutiennent, critiquent, ignorent, tolèrent – vous faites cela parce que c’est votre destin sur cette Terre, et la source de toute joie. (…) Quand nous pensons que personne ne prête attention à ce que nous faisons, pensons à ce pianiste : il conversait avec Dieu à travers son travail, et le reste n’avait pas la moindre importance.

Cependant, n’oublions pas qu’auparavant il faut trouver pour quoi nous sommes nés, quel est le destin qui nous est imparti. Ce devrait être le rôle des parents, des enseignants et des amis. Le rôle des parents est d’apporter à l’enfant la confiance en soi, sans excès. Le rôle des enseignants est, au travers des diverses disciplines, de l’aider à distinguer celle qui parle à son corps, son cœur et son intelligence. Le rôle des amis est dans le soutien aux moments difficiles de sa vie, et il y en a toujours.

Il y a ensuite l’étape du discernement personnel par rapport au discernement social. Le plus souvent, à l’adolescence, on se laisse entraîner par ce que les gens attendent de vous et le choix de votre métier est le choix de la société, de votre milieu social, de vos parents ou des circonstances. Comment savoir si c’est vraiment votre destin ? Seule l’adversité vous le dira. Si, malgré critiques ou ignorance, vous êtes prêts à poursuivre, persévérer, être ingénieux et créatif, envers et contre tous, alors vous avez trouvé votre voie. Elle est dure, peu encourageante, demande des efforts permanents, mais lorsque vous l’exercez, quel bonheur.

 

 

10/01/2012

Je ne sais plus que dire

 

Je ne sais plus que dire
Souvenir de ces chevauchées
Lorsque tendresse égale caresse

Je ne sais plus que dire
Image de ces voyages
Au lointain délire des ruines de Palmyre

Je ne sais plus que dire
Devant ton altière présence
Le matin, au réveil des sources enivrantes

Je ne sais plus que dire
Quand ton sourire s’épanouit
Et m’incite à partager ton émerveillement

Je ne sais plus que dire
Mais je sais toujours rêver
Devant ton visage illuminé par l’amour

 

09/01/2012

Pentaèdre

 

Cet enchevêtrement de pentaèdres (polyèdre à cinq faces) est impossible dans la réalité. Il commence au centre sur une étoile, engendrée par un croisement entre les faces quadrilatérales avec les faces triangulaires. Puis chacune des faces quadrilatérales engendre le départ d’une des faces triangulaires d’un nouveau polyèdre, parce que de la même longueur, et ainsi de suite. Ce qui donne une véritable composition de pentaèdres qui devient difficile à suivre plus l’on s’éloigne du centre.

Mais où va-t-il chercher cela ?

La géométrie est un des aspects les plus intéressants des mathématiques, probablement en raison des facéties que l’on peut introduire dans ses représentations.

 

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08/01/2012

La couleur

 

Noir et blanc. Un vrai kaléidoscope. Des cubes entassés, les uns sur les autres, dans tous les sens, dessinant des sculptures géométriques impossibles, laissant des passages entre eux qui semblent s’enfoncer loin, très loin. J’avançai, me glissant entre deux arêtes pour pénétrer dans une anfractuosité. Elle s’agrandit, devenant plus lumineuse, et j’entrai dans un jeu de couleurs magnifiques, organisées en formes fluctuantes, mobiles et profondes. Une forêt aux arbres rouges, aux chemins bleutés, au ciel vert diaphane. Une lueur venait d’un soleil blanc entouré d’un halo qui recouvrait le paysage d’une sorte de voile mystérieux. J’avançai prudemment dans cette forêt magique qui, chaque fois que je heurtai une branche, émettait un son de flute, comme un air inconnu, mais d’une beauté étourdissante. Alors, je pris une branche et la secouai. Ce fut une véritable symphonie, calme, tendre, reposante. J’eus envie de m’arrêter là et de m’endormir au pied de l’arbre. Mais une voix me commanda de poursuivre. Je repartis et je vis apparaître un homme, jeune, beau, souriant, qui me regarda et me parla sans ouvrir la bouche. Je l’entendais dans ma tête, comme s’il me parlait en moi, intimement. Il me dit :

– Le noir est le néant. Et pourtant, il façonne la matière sur une toile et sépare les couleurs. Il n’existe que parce qu’il s’oppose au blanc. Mais si la page est vide, le blanc est néant. C’est le noir qui lui donne une forme et remplit sa clarté, le fait lumineux, le rend divin. Il n’y a pas de blanc s’il n’y a pas une autre couleur à côté. Le noir complète, met en valeur le blanc, lui donne son élégance, sa pureté, sa virginité.

D’un mouvement du bras, il fit disparaître la forêt et je dus fermer les yeux, car il n’y avait plus rien, qu’un aveuglement sans fin. Au moins le noir s’oppose aux autres couleurs, mais le blanc, c’est l’absence de couleur, c’est un trou dans la trame du monde, une porte vers l’inconnu.

– Oui, le monde est coloré et la couleur est son vêtement. Elle lui donne une apparence remarquable de nuances et en fait une symphonie merveilleuse. Mais l’art du peintre va au-delà. Il est d’aider celui qui contemple ses tableaux à découvrir le monde, à y voir l’empreinte du divin. Tu regardes un tableau et tu y aspires à un merveilleux repos, fait de mouvements synchronisés et parfaits. Car la couleur, c’est un mouvement dans l’espace qui s’imprime dans l’œil et réjouit le corps.

Et pour contredire ce qu’il venait de proférer, l’homme d’un autre mouvement du bras, plongea l’espace dans un noir absolu. Même sentiment que le blanc. Les deux extrêmes s’assemblent et, entre eux, la ronde des couleurs, l’arc en ciel divin.

 

 

07/01/2012

Modes majeur et mineur

 

Quelqu’un, bien intentionné, m’a l’autre jour demandé d’expliquer ce qu'étaient, pour la musique classique, les modes mineur et majeur, au-delà de l’explication simpliste (à caractère triste ou joyeux), sans entrer dans des explications de physique acoustique que l’interlocuteur, lassé d'une laborieuse explication technique, abrégerait par un désintérêt progressif.

Question apparemment simple. Mais dès l’instant où vous commencez à y réfléchir, vous éprouvez une réelle difficulté à trouver une explication juste. Comment les définir ?

L’idée m’est venue de remonter avant l’élaboration de la musique classique, c’est-à-dire la période précédant la Renaissance. Le début d’une musique polyphonique, c’est-à-dire à plusieurs voix, est la construction d’un contre-chant, en introduisant une deuxième voix, parallèle à la première. C’est ce qu’on appelait, au Moyen Âge, organum (du grec organom : orgue), voix d’accompagnement. Le cantus pouvait être accompagné par la voix organale en quintes inférieures parallèles ou en quarte parallèles en introduisant des intervalles plus petits pour éviter la dissonance de triton (intervalle de quarte augmentée ou de quinte diminuée).

Lorsque l’on inventa une troisième voix, on commença à utiliser l’accord de tierce pour compléter la deuxième voix chantée le plus souvent en quinte, avec deux possibilités naturelles, selon le mode dans lequel on se trouvait : mode de Do, à la tierce majeure (Mi), ou mode de La à la tierce mineure (diminuée d’un demi-ton par rapport à la tierce majeure, soit, en mode de Do un mi bémol).

Entrent alors les notions de dissonance et de consonance. Qu’est-ce qu’une consonance ? Elle marque, derrière la tension d’une dissonance, l’aboutissement d’une détente. L’esprit se sent reposé par la consonance qui succède à une ou plusieurs dissonances. Les musicologues distinguent la consonance parfaite (octave et quinte), la consonance mixte (quarte) et la consonance imparfaite sixte et tierce, pouvant toutes les deux être majeure ou mineure. Ceci est vrai pour les accords de deux notes, mais qu’en est-il pour les accords de trois notes ?

Si vous écoutez vous-même, en dehors de toute théorie musicale, vous ne percevez pas de la même manière l’accord basique de trois notes (Do, Mi, Sol) si le Mi est majeur ou mineur (Mi bémol). Dans les deux cas, la consonance parfaite (Do, Sol) est complétée par une tierce apportant une consonance imparfaite d’après la théorie. En réalité, à l’écoute, la tierce majeure apporte une consonance quasi parfaite alors que la tierce mineure laisse entendre une consonance plus imparfaite.

Ainsi, malgré tout, la question de l’intervalle joue, puisque dans un cas il est deux tons entiers (majeur) alors que dans l’autre, il est d’un ton et un demi-ton. Mais, à mon avis, ce n’est pas cela qui fait la différence. La différence est dans l’écoute et non dans la théorie quasi mathématique des intervalles. Dans les deux cas, ces deux accords, majeur ou mineur, apportent une plénitude, c’est-à-dire un contentement de l’être qui se sent bien en lui-même, après l’audition d’accords imparfaits ou dissonants. C’est un relâchement de l’attention qui détend l’oreille et donc le corps et ne demande qu’à être prolongé. Mais la qualité de ce relâchement est différente selon qu’elle se joue en majeur ou en mineur.

L’accord majeur vous élève vers le haut, vous appelant à la joie et la liberté, à une légèreté qui transcende. Il vous permet de vous échapper de votre condition physique par la perception d’un grand frisson, celui de l’esprit. L’accord mineur, inversement, vous fait descendre dans votre origine physique et vous amène à un retour aux fondamentaux, la terre, la mère, la naissance, le nombril. Il vous conduit à une perception de l’immanence du divin alors que le majeur vous conduit à une perception de sa transcendance. Le majeur est masculin dans sa tension élévatrice. Le mineur est féminin dans son accueil protecteur. Les deux modes sont donc indispensables à l’Humain, ils sont, tous les deux, finitude, mais d’une manière différente.

En reprenant certaines traditions, on peut penser que les modes majeur et mineur sont à l’image du Yang et du Ying, les deux aspects de tout ce qui est manifesté. Ils s’opposent et se complètent dans une danse perpétuelle. Le Yang tend à être plus dynamique, séparateur, actif et masculin. Le Ying tend à être plus stable, structurant, passif et féminin. On pourrait également dire que le majeur est la vision verticale de l’univers, symbolisée par l’arbre qui dresse ses bras vers le ciel, ou la montagne que l’homme doit escalader pour s’accomplir. Inversement, le mineur est sa vision horizontale, symbolisée par l’eau à la surface d’un lac ou la terre, retournée par la charrue.

L’accomplissement humain participe des deux perceptions. Selon votre état d’être dans la durée (votre sexe et votre caractère) ou du moment (le contexte), vous choisirez l’écoute d’une pièce en tonalité majeure ou mineure, parce qu’elle vous convient le mieux à cet instant. Il faudra, dans tous les cas, assimiler les deux. La musique facilite cet accomplissement en favorisant la perception de l’immanence et de la transcendance.

C’est en cela que la musique classique est une école du juste milieu. Elle ne choisit pas, elle n'impose pas. Elle donne à ressentir, penser, vivre, sans contrainte entre l’un ou l’autre mode d'accomplissement. Il appartient à l'auditeur d'accorder son choix à son état d'être. Mais attention, se laisser envahir par un seul mode ne peut conduire à la réalisation personnelle. Seule l'expérience de la plénitude des deux modes, majeur et mineur, conduit à cette réalisation.

 

 Ecoutez, en sol mineur, l'adagio d'Albinoni :

http://www.youtube.com/watch?v=1AHRDRp_4zY 

 Ecoutez, toujours en sol, mais majeur, de Johann Bernhard BACH, des extraits d'une Suite :

http://www.youtube.com/watch?v=X65eGKylnvM 

 

 

06/01/2012

Rien, et surtout pas Monsieur (suite du 28 décembre)

 

La mode du bonjour sec, relativement récente, s’accompagne inéluctablement, par construction, de celle de ne jamais nommer quelqu’un Monsieur. Ainsi un représentant en aspirateur ou un préposé au téléphone s’introduira chez vous avec un bonjour sans autre spécificité. On peut penser que cette mode date des années 80, époque à laquelle Yves Mourousi se singularise par cette injonction brève et cinglante, avec, pour se faire pardonner, un accent délicat. Adoptée bien sûr par les journalistes, elle fut très vite suivie par l’habitude, que les médias considéraient tout aussi légitime, d’user du prénom et du nom de toute personne s’il tient une place intéressante dans la société.

Seul le petit peuple doit être appelé Monsieur ou Madame. On retrouve là l’arrogance trop polie des grands. Dire « Madame Enditrop » à sa concierge lui signifie la différence de classe. Ainsi fut divulgué cet usage médiatique de commencer une interview, même pour les personnes les plus hauts placées, en ces termes : « Nicolas Sartovsky, vous… ». C’est probablement par suffisance que nombre d’hommes politiques répondent aux journalistes en disant « Madame Chazel », et non Claire Chazel, signifiant par là la différence de classe. Certes, nous n’en sommes pas encore au tutoiement révolutionnaire, mais cela devrait arriver sans trop tarder. En ceci, nous rejoindront les pays non pas les plus démocratiques, mais les plus habiles à masquer les différences, telles les dictatures prolétariennes.

Par une voie totalement différente, cette horreur de nommer quiconque Monsieur ou Madame fut amplifiée, indirectement, et toujours par les médias, en raison des traductions des feuilletons américains si prolixes d’aventures militaires. Avez-vous remarqué que ceux-ci sont tous appelés Monsieur et non, comme c’est la coutume en France, par leur grade. Il en est de même des personnes ayant un certain rang social dans cette société égalitaire. Le terme Monsieur implique donc chez les Américains, ou du moins c’est l’impression qu’ils donnent au travers des traductions qui en sont faites par des Français, une déférence implicite que ne saurait admettre le peuple républicain. Dire Monsieur à quelqu’un c’est humiliant, dégradant, vieux jeu, voire hors jeu. Quelle déchéance que de devoir dire Monsieur à une autre personne. Jamais !

Voilà pourquoi (et non « c’est la raison pour laquelle », formule dans laquelle se complaisent également de nos jours les personnages en quête d’audience médiatique), le peuple français est maintenant condamné, même s’il s’adresse à une seule personne, à ne dire qu’un bonjour sec, impérativement, sous peine d’incivilité.

Peu importe ce qu’il dira par la suite, le mot de passe est donné et ouvre la porte à l’infinité des situations, y compris le manque de civisme et l’absence de citoyenneté.

Certes, cette interprétation fait de nombreux raccourcis et est quelque peu outrancière, mais n’y a-t-il pas un fond de vérité dans tout cela ?

 

 

05/01/2012

A force de patience et d’attention

 

A force de patience et d’attention
J’ai fait grandir le vide en moi
Et mon corps résonne étrangement
A tous les coups portés par la vie

Comme une grotte ouverte à tous les sons
L’écho des plaintes humaines m’envahit
Mêlé aux cris de joie de l’enfant nu
Qui s’éveille à la fragilité des choses

Et ce vide fut comblé de ton amour
De cet amour que tu détiens en toi
Comme une présence nouvelle
 Tournée vers la beauté du monde

Cet amour est devenu mon amour
Porté vers d’autres amours à venir
Comme une vague annonce une autre vague
Jusqu’au dernier jour de la vie

 

04/01/2012

L’art du roman (suite du 31 décembre)

 

L’art du roman est avant tout dans le style et non dans l’histoire qui a moins d’importance qu’on ne lui accorde. Revenons à nos propos précédents. Etaient opposés deux constructions d’un roman : soit sur les souvenirs (qu’ils soient personnels ou publics, inspirés par un fait), soit sur l’imagination.

Mais comment se décrivent les souvenirs qui ne sont que le reflet d’une réalité ayant existé ? Par l’imagination du choix des mots pour décrire ce que vous avez vécu. Et comment se décrit l’imaginaire ? Par la réalité des mots qui transforment l’imagination en structure cohérente qui donne du poids et de la vérité à ce que votre cerveau a concocté. Ce qui signifie que dans tous les cas, c’est votre art de conter, produit de votre culture et de votre personnalité, qui fait la qualité d’un roman.

Or qu’est-ce que l’art de conter ? C’est faire partager sa vision en se servant des mots pour décrire, émouvoir, faire naître des sentiments chez le lecteur (et non forcément décrire des sentiments), qu’ils soient de plaisir, de crainte, de drôlerie, de tristesse, etc. Plus réellement, c’est le choix des mots et leur rythme à travers les phrases qui créent le style.

La première étape consiste à choisir les mots que l’on souhaite utiliser pour arriver au résultat affiché ci-dessus. Un même auteur peut avoir plusieurs registres à sa disposition, selon le sujet sur lequel il écrit. D’autres n’en ont qu’un jeu, toujours le même. Enfin, bien sûr, l’inventaire des mots évolue dans la durée de l’écrivain, avec généralement une augmentation de la pertinence du choix au fur et à mesure de l’écoulement de sa carrière. Ces mots peuvent être simples, précieux, châtiés, recherchés, drôles, etc. L’association des mots entre eux procure également des effets divers, particulièrement lorsque les genres sont mélangés. On ne parle pas là des dialogues et du caractère donné à chaque personnage, mais bien de l’ensemble du récit et du choix du vocabulaire utilisé pour le décrire.

La seconde étape est plus complexe. Il s’agit d’imprimer un rythme aux mots, une musique particulière qui donne la qualité de l’écriture. Le rythme n’est pas seulement fondé sur la longueur de la phrase ou l’emploi différencié de la ponctuation. Il est musique, c’est-à-dire non seulement sons, mais également silence. La syncope donne une tonalité magique à la musique. Quelle est la syncope en écriture ? Probablement dans l’alternance de phrase aux sons variés et qui se lisent avec une respiration différente. A travers le halètement de l’écriture, le lecteur ressent des variations insoupçonnées. Mais ce n’est peut-être qu’une illusion.

En cela le roman rejoint la poésie, mais en cela seulement. Apporter trop de comparaisons, trop de détours dans ce que l’on exprime, fait du roman un chewin gum difficilement digeste. La simplicité, adaptée à l’histoire, est sans doute la meilleure manière de faire passer les idées. Et pourtant, on ne peut qu’admirer, par exemple, le style contorsionné de Marcel Proust ; on ne peut que se régaler du style de Marcel Aimé ou de Jean Giono. Bref, chaque écrivain a son style et celui-ci est sa marque, son flambeau, qui restera dans l’éternité. Ainsi des mémoires de Saint Simon, des écrits de Voltaire ou de Chateaubriand, et, plus récemment, de Marguerite Duras ou de Jorge Luis Borges.

Dieu merci, comme en musique, en peinture et tout autre art, l’infinité des combinaisons et des styles laissent encore de nombreux chefs d’œuvre à écrire et à découvrir.

 

 

03/01/2012

Enlacement

 

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Il tourne, danse, seul ou à deux, selon l’angle sous lequel on le regarde. Il a l'air pataud. Il manie un énorme madrier. Mais, dans le même temps, il enlace tellement bien sa partenaire !

 

« Savez-vous ce que j’ai découvert ? Que si l’extase est la capacité de sortir de soi-même, la danse est une manière de s’élever dans l’espace. Découvrir de nouvelles dimensions, et cependant rester en contact avec son corps. Avec la danse, le monde spirituel et le monde réel parviennent à cohabiter sans conflits. Je pense que les danseurs classiques restent sur la pointe des pieds parce qu’ils touchent la terre et en même temps atteignent les cieux. »

(Paulo Coelho, La sorcière de Portobello, Flammarion, 2007, p.90)

 

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02/01/2012

L'ignorance, roman de Milan Kundera

 

« Qu’est-ce que tu fais encore ici ! » Sa voix n’était pas méchante, mais elle n’était pas gentille non plus ; Sylvie se fâchait. « Et où devrais-je être ? demanda Irena. « Chez toi ! ». « Tu veux dire qu’ici je ne suis plus chez moi ? ». « C’est la révolution chez vous ! » (…) Elle le dit sur un ton qui ne supportait pas lalittérature, écriture, roman, immigration contestation. Puis elle se tut. Par ce silence, elle voulait dire à Irena qu’il ne faut pas déserter quand de grandes choses se passent. (…) Irena vit des larmes d’émotion dans les yeux de Sylvie et elle lui serra la main : « Ce sera ton grand retour ». Et encore une fois : « Ton grand retour ».

C’est un livre entre deux : entre deux types de livres de Kundera, les livres anecdotiques, tels que « Risibles amours », et les livres philosophiques tels que « L’immortalité », voire « L’insoutenable légèreté de l’être » ; entre le retour au pays après l’exil et le retour au pays d’exil devenu le vrai pays. D’ailleurs ce livre fut écrit directement en français et non en Tchèque comme les autres cités. Peut-être pour se prouver que maintenant sa vraie patrie est là, en France.

Il raconte l’histoire de deux émigrés : Iréna, d’abord mariée à Martin, puis, après sa mort, vivant avec Gustaf. Elle rencontre à l’aéroport un homme, Josef, qu’elle avait connu autrefois, à Prague. Elle le reconnaît, engage la conversation avec lui. Mais lui ne se souvient pas d’elle et n’ose le lui dire. Il lui laisse le numéro de téléphone de son hôtel. Le livre raconte alors les retrouvailles avec leurs parents et connaissances d’avant l’émigration. Elle convoque ses amies au restaurant, prépare de bonnes bouteilles de vin français. Mais elles lui font comprendre qu’elles préfèrent ce qui vient de chez eux, des chopes de bière. Elles parlent toutes de ce qu’elles vivent, de ce qui se passe à Prague. Elle prend conscience que sa vie en France ne les intéresse pas. Quant à Josef, il refait connaissance avec son frère qui l’accueille chaleureusement. Mais peu à peu il ressent une gêne. Le frère s’est approprié leur maison familiale, s’est emparé de tous les biens, comme si Josef était mort. – Nous avons essayé de te joindre, en vain. – Comment ? Tu connais pourtant mon adresse !   Seul un tableau semble encore l’intéresser, cadeau d’un peintre qui l’avait même dédicacé. Progressivement, il regrette cette visite à son frère et surtout sa belle-sœur. Il souhaite au moins emporter le tableau, mais ceux-ci ne semblent pas le comprendre. Alors il part, sans rien, sauf un cahier qu’il avait écrit lorsqu’il était jeune. Et il revit une scène dans laquelle il ment à une jeune fille qui était amoureuse de lui. Elle tente de se suicider. Elle garde comme un fétiche un cendrier qu’il avait volé dans un hôtel. Il revit également les années passées avec sa femme, avant qu’elle ne meurt.

A la fin du roman (mais est-ce vraiment un roman qui raconte une histoire ou des réminiscences d’une réalité vécue ?), Josef retrouve Irena à l’hôtel. – Alors, comment te plais-tu ? Tu voudrais rester ? – Non, dit-il. Puis il demande à son tour : Et toi ? Qu’et-ce qui te retient ici, toi ? –Rien. Alors ils parlent, parlent encore de tout et de rien. Et ils boivent, ils boivent encore, du vin, de la bière, de l’alcool. Elle se donne à lui, dans une entente totale, avec des mots obscènes. Dans la tête d’Irena, l’alcool joue un double rôle : il libère sa fantaisie, encourage son audace, la rend sensuelle et, en même temps, il voile sa mémoire. Sauvagement, lascivement, elle fait l’amour et, en même temps, le rideau de l’oubli enveloppe ses lubricités dans une nuit qui efface tout. Comme si un poète écrivait son plus grand poème avec une encre qui, immédiatement, disparaît.

Pris d’une impulsion soudaine, elle sort de son sac le cendrier. Tu le reconnais ? Et elle comprend qu’il ne se souvient pas, qu’il ne sait même pas qui elle est. Elle finit par s’endormir. Il part, en laissant un mot sur le tapis : Dors bien. La chambre est à toi jusqu’à demain midi… Ma sœur. Il prend la route de l’aéroport et quitte Prague.

 

Pourquoi l’ignorance ? Pourquoi pas la nostalgie, souffrance causée par le désir inassouvi de retourner au pays. Kundera l’explique au chapitre 2 de son roman. La nostalgie est la souffrance de l’ignorance. Tu es loin et  je ne sais pas ce que tu deviens. Mon pays est loin, et je ne sais pas ce qui s’y passe. (…) Il faudrait ajouter un complément : le désir du passé, de l’enfance perdue, du premier amour.

C’est le roman de ce désir qui s’écroule progressivement au fur et à mesure qu’il devient réalité, jusqu’à ne laisser qu’un goût d’amertume face à l’ignorance des autres qui font comme si l’émigré n’existait pas et comme s’il ne s’était rien passé. Il n’est plus. Il est mort à leurs yeux, ou plutôt, son existence hors du pays ne s’incarne pas dans ce retour. Alors le retour devient un nouveau départ ou un vrai retour dans le pays élu librement.