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22/11/2013

Le médecin de famille

En fait il ne s’agit nullement d’un médecin de famille, mais d’un criminel nazi réfugié en Patagonie. Josef Mengele était bien médecin, mais exerçant dans des conditions particulières puisqu’il est connu sous le pseudonyme d’« ange de la mort ». Mais en 1960, à San Carlos de Bariloche, il est inconnu. Il se réfugie13-11-19 Le medecin de famille.jpg dans un hôtel qui vient de rouvrir et s’intéresse à une des enfants du propriétaire, qui a des problèmes de croissance. Il la soigne contre le gré du père, puis s’intéresse aux jumeaux attendus par la mère. Repéré par des informateurs, il doit fuir avant que ses projets n’aboutissent.

L’histoire en elle-même ne retient pas l’attention. Mais le film revendique un intérêt en raison de trois facteurs. Le premier : l’incertitude, puis l’implication de certains membres de la famille qui s’opposent à d’autres, plus particulièrement le père, créant un climat de tension imperceptible qui donne au film une ambiance spécifique.  Lillith, la fille, soignée par Mengele, fait confiance à ce dernier, malgré certains signes qui pourraient la faire douter. Le deuxième facteur bienveillant, moins psychologique, consiste en un environnement grandiose, un hôtel sur les rives d’un lac splendide, entouré de montagnes enneigées. Le troisième est l’acteur qui joue Mengele. Il est sobre, à la fois charismatique et modeste. Il joue le jeu subtil de la séduction tant vis-à-vis de Lillith que vis-à-vis de sa mère.

Ces trois facteurs, travaillés par un réalisateur qui n’insiste jamais sur l'aspect obsessionnel du personnage de Mengele, donne à ce film une qualité que n’a pas l’histoire en elle-même. On en finit par oublier, contrairement à ce que prétendent les critiques, le passé et le présent criminel de Mengele. Mais l’acteur, plus encore que le réalisateur, y est pour beaucoup.

20/06/2013

Shokuzai (Celles qui voulaient oublier), de Kiyoshi Kurosawa (deuxième partie)

C'est la suite du film évoqué le 16 juin 2013, que beaucoup de critiques ont trouvé moins génial. Pour ma part, je l’ai trouvé aussi bon que le premier, sinon meilleur.

J’ai avant tout été frappé par la justesse du jeu de la mère d’Emili, Asako, en13-06-20 Shokuzai 2.jpg réalité l’actrice Kyoko Koizumi. Elle est belle, non pas au sens physique du terme (mais elle l’est également), mais au sens moral. Elle a une dignité indéracinable, même lorsqu’à la fin du film son monde s’écroule. Cette dignité est exprimée principalement par sa manière de se déplacer. Elle marche comme très peu d’actrices peuvent le faire, avec une lenteur et un basculement des hanches imperceptibles, regardant au-delà du présent, dans un passé toujours là, derrière elle, à fleur de peau. Elle est à la fois la femme fatale et la mère courage qui va jusqu’au bout de ses intentions : retrouver et tuer l’auteur du meurtre de sa fille. Dans la troisième et dernière partie de ce deuxième film, elle sera renvoyé à son passé trouble avec le meurtrier qu’elle a d’abord aimé lorsqu’elle était à l’université.

Auparavant on suit le destin des deux dernières jeunes femmes victimes du traumatisme du meurtre d’Emili : Akiko (épisode 3) et Yuka (épisode 4). Akiko tente de respecter le pacte de pénitence imposé par la mère d’Emili, mais sa vie est détruite par le meurtre et la condamnation d’Asako. Elle est perturbée et se prend pour un ours. Elle tente de réconcilier son avenir par un dialogue avec Asako, sans succès. Yuka, elle, a oublié, mais est étrangement perturbée. Elle manipule les hommes pour réussir sa vie et finit par détruire le couple de sa sœur.

 

Shokusai constitue un excellent regard sur la société nippone, très guindée, organisée, inflexible. Les femmes sont des femmes-objets et les hommes n’ont aucune consistance psychologique. Et pourtant, tous ont quelque chose d’inconscient à exprimer en raison justement de cette prédominance de la société. Shokusai est un très beau film dans lequel l’actrice Kyoko Koizumi est sublime.

16/06/2013

Shokuzai (Celles qui voulaient se souvenir), de Kiyoshi Kurosawa (Première partie)

Le film se contente de rapporter l’histoire d’un fait divers, le meurtre d’une petite fille dans une école. Il fait vivre l’événement, puis montre ce que sont devenues les quatre camarades de l’écolière quinze ans après. Toutes sont13-06-15 Shokuzaï.jpg marquées, en partie parce que la mère d’Emilie, la victime, les a menacées (elles ne se souviennent pas de la tête du meurtrier) : « « Je ne vous pardonnerai jamais. Trouvez-le ou donnez-moi une compensation. Sinon vous n’échapperez pas à la pénitence. »

Ce premier film évoque celles qui se souviennent de l’affaire et qui ont pris au sérieux l’avertissement de la mère d’Emilie, Osako. Sae habite Tokio et rencontre un jeune homme qui veut l’épouser. Il est lié à l’affaire. Après quelques rencontres, elle consent à convoler. Mais leur relation tourne au drame, car l’homme est pervers ou, au moins, détraqué. Nous vivrons leur drame jusqu’au meurtre du mari par Sae. Elle n’en pouvait plus.

Maki est institutrice. Les parents la juge trop sévère. Elle est sauvée de l’opprobre par le professeur de gymnastique. Peu après, elle fait face à un homme armé d’un couteau pendant un cours de natation. D’abord saluée comme un héros, elle est ensuite à nouveau attaquée par les parents.

Pourquoi ce film est si prégnant ? Il ne comporte aucun effet de caméra spécifique, aucune recherche cinématographique, aucun artifice psychologique, pas d’émotion excessive, rien qui ne permet de le remarquer particulièrement. Un film de juste milieu, qui semble ordinaire. Et pourtant, il est remarquable. Pourquoi ? C’est difficile à définir de manière nette. L’atmosphère que dégage chaque histoire en fait la beauté. La manière simple de raconter l’événement et sa suite nous conduit à y adhérer. Enfin, admirons le jeu des acteurs sans artifice, sans recherche, qui semblent nus devant la réalité de la vie.

http://www.youtube.com/watch?v=GpuU93k6g08 

Allons voir la seconde partie avant de poursuivre.

 

12/06/2013

La grande Bellezza, film de Paolo Sorrentino

« Quand je suis arrivé à Rome, à 26 ans, je ne voulais pas être simplement un mondain, je voulais devenir le roi des mondains. » Il l’est devenu. On l’écoute, on l'imite, on recherche sa compagnie. Jep Gambardella est un séducteur, mais ilcinéma, Cannes, Italie, Rome, réalisateur atteint 65 ans. C'est un vieux beau, blasé de ces soirées romaines, toujours les mêmes, dans lesquels chacun rivalise de paroles fantasques, d’attitudes effrontées, de comportements scandaleux. Il a écrit un livre dans sa jeunesse, « l’appareil humain », et il joue la comédie du néant, même s’il rêve qu’il recommence à écrire. Il est le número uno. « Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher. », fanfaronne-t-il. Il fait des rencontres : celui pour qui «  le seul jazz intéressant est le jazz éthiopien » ; l’invité à qui il confie, en regardant certains convives faire le petit train « C’est le plus beau train d’Italie. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il ne va nulle part. » ; l’homme qui a pris chaque jour de sa vie une photo de lui-même et en a fait un mausolée ; le cardinal dont la méditation est plus portée vers la cuisine que vers la spiritualité.

Il parcourt Rome, traversant des images magnifiques filmées de main de maître par Paolo Sorrentino : des fontaines, des jardins, des couvents, des palais, des chapelles, des ruines dans lesquelles on fait disparaître les girafes. Et ces paysages dans lesquels il marche, philosophe (presque), médite, sont rythmés par de la musique classique et des tubes contemporains. Oui, la cité de Rome est belle et il semble y chercher un sens. Progressivement, le film passe du sordide ou, au moins, de la luxure, à la recherche d’une certaine spiritualité… Oh, très faible et parfois grotesque. Mais l’on sent le vieil homme sous le mondain, l’interpelé sous la vanité des paroles. La scène de la sainte est fabuleuse, même si cette dernière est caricaturale.

Il faut aller voir ce film. Son réalisateur, Paolo Sorrentino, atteint le génie de Fellini. Il y a des concordances entre les deux : Rome d’abord, bien sûr ; la société romaine et sa dépravation noble. Mais au contraire de Fellini, c’est avec tendresse que Paolo Sorrentino dépeint le personnage de Jep. Celui-ci devient finalement serein, s’interrogeant toujours, encore passionné par la vie. D’ailleurs, ne dit-il pas à la fin du film : « Il nous reste encore de belles choses à faire. L’avenir est merveilleux. »

Un regret. Le dédain du festival de Cannes pour le grand cinéma et ses choix pour des films à thème propagandiste au goût politique du jour. Ce film, c’est du vrai cinéma, une œuvre d’art, un chef d’œuvre ! Juste un reproche, sa longueur. Mais qui aime ne comptabilise pas son temps.

25/05/2013

L'écume des jours, film de Michel Gondry

Boris Vian comme si on y était. Tous les gadgets y passent : le piano cocktail d’abord, la souris, la danse "biglemoi" et bien d’autres encore. On s’amuse de13-05-25 L'écume des jours.jpg retrouver l’esprit inventif et farfelu de Boris Vian. On aime sa tendresse sauvage, son romantisme délicat.

Les critiques n’ont pas aimé : trop d’effets spéciaux. Et pourtant, c’est bien cette première partie du film que j’ai appréciée plutôt que la seconde au contraire des critiques. Certes, la poésie passe après la trouvaille inédite, mais le sérieux de la seconde partie rend le temps long (le film dure deux heures cinq). L’appartement se dégrade, se couvre de toiles d’araignée, le cœur n’y est plus. Le nénuphar n’en finit plus d’envahir le poumon de Chloé.

Malgré le mauvais avis des critiques, le film est à voir pour ceux qui ont lu le roman. Cela leur rappellera les rêveries et les fumées d’un livre d’avant-garde à une époque révolue.

11/04/2013

Les voisins de dieu, film de Meni Yaesh

C’est un film ambigu : que veut le réalisateur ? Dépeindre les petites frappes d’une banlieue de Tel Aviv qui font la loi dans leur quartier à coup de battes de base-ball, ou montrer le passage de la violence à la vie et de la jeunesse à l’âge adulte, par la naissance du sentiment amoureux. 13-04-10 Les voisins de Dieu.jpg

Il nous plonge dans une communauté religieuse qui entretient des rapports troubles avec la religion. Fondés sur des slogans bibliques, la haine des autres la conduit à des comportements aussi barbares que ceux des islamistes radicaux. Dans le cœur de l’un des plus extrémistes surgit la flamme de l’amour qui va modifier son attitude : Miri, jeune fille moderne, conquiert le cœur d’Avi. La haine et la fausse virilité sont balayées par des sentiments qui dépassent le héros. Va-t-il poursuivre dans ses résolutions de pourfendeur de Yahvé ou être contraint de changer sa vision des choses ?

On ne sait si c’est un bon film : des scènes dignes de nos banlieues, des personnages haut en couleurs et en lâcheté jusqu’au moment où Avi, pour ne pas se parjurer, tire à côté de l’arabe qu’il tient dans sa ligne de mire. La vie l’emporte sur la fausse morale, l’amour sur le ressentiment.

Les machos ont perdu une brebis. La bête est devenue homme. Mais le sujet fait-il un bon film ?

21/03/2013

Blancanieves ou Blanche Neige, film de Pablo Berger (2012)

En noir et blanc, sans dialogue, Blancanieves est un petit chef d’œuvre.

http://www.youtube.com/watch?v=I-METoks7wk


Carmencita, l’héroïne de ce conte, naît le jour de la mort de sa mère et l’accident de son père, torero célèbre, qui reste invalide. L'infirmière de ce dernier le dorlote, se marie avec lui et l’enferme dans son hacienda. Recueillie pas sa grand-mère, Carmenlita rêve de son père qu’elle ne connaît pas. Le jour de sa première communion, sa grand-mère meurt après avoir dansé avec elle dans un très bel épisode, celui de la danse des mains à la manière andalouse. Encarna, sa belle-mère, l’accueille dans le palais de son père. La petite fille devient la servante et est entourée d’interdictions. Elle fait néanmoins connaissance de son père, passe de bons moments avec lui avant qu’il ne soit tué par Encarna. Celle-ci veut ensuite la faire disparaître. Laissée pour morte par le chauffeur, elle est recueillie par une troupe de nains qui jouent des corridas au rabais dans les villages. Elle finira torero, comme son père.

Ce n’est pas le fait de  revisiter le conte de Blanche Neige qui fait de ce film un véritable « joyau du 7ème art espagnol » selon l’expression de la journaliste Sandrine Morel. Son intérêt tient à de nombreux détails qui rendent le film charmant, mélodramatique et authentiquement espagnol. Le récit est exubérant, plein de détails délirants ou amusants : le coq de Carmencita qui l’accompagne comme un chat et finit dans la casserole de sa belle-mère qui veut la forcer à le manger ; le tourbillon qui commence dans une danse et se poursuit sans interruption dans un autre plan ; la robe blanche de première communiante, trempée dans une bassine de teinture noire le soir même. Les images des spectateurs des corridas sont mélodramatiques tant pour le simulacre des nains après leur rencontre avec Carmencita, que pendant la dernière et seule véritable corrida. La musique d'Alfonso de Villalonga, les chants, les danses, y compris des nains, sont l’écho de l’âme andalouse et du caractère sévère, tragique, mais attirant de ce bout de l’Europe.

Allez le voir, cela en vaut la peine. Vous rirez, vous pleurerez, vous ne serez jamais indifférents. C’est bien un chef d’œuvre !

12/01/2013

Main dans la main, un film de Valérie Donzelli

Quelle bizarrerie ! On ne sait si on aime, un peu ; s’il nous laisse indifférent, beaucoup ; ou si l’on déteste, passionnément.

13-01-10 Main dans la main.jpg

Tiré du synopsis : Quand Hélène Marchal et Joachim Fox se rencontrent, ils ont chacun des vies bien différentes. Hélène dirige la prestigieuse école de danse de l’Opéra Garnier, Joachim, lui, est employé d’un miroitier de province. Mais une force étrange les unit. Au point que, sans qu’ils puissent comprendre ni comment, ni pourquoi, ils ne peuvent plus se séparer.

 

C’est tellement gros que cela finit par passer, mais avec difficulté. Disons qu’il s’agit d’un sketch qui dure, dure, sans doute un peu trop. On finit par être lassé. Il y a des situations drôles, d’autres sans intérêt, certaines trop lutte des classes, quelques-unes tendres, mais peu.

Alors, qu’en penser ? Chacun se fera son opinion. Quant à moi, je ne retournerai certainement pas le voir ! Savoir si j’ai bien fait d’y aller, c’est un autre problème. Allez… On passe malgré tout un bon moment.

29/11/2012

Au-delà des collines, film de Cristian Mungiu

Une Roumanie pauvre, retardée autant mentalement que physiquement, un monastère fait de quelques baraques et d’une église non finie, que l’on découvre, au début du film, au-delà de la colline que franchissent deux jeunes filles, amies de cœur. L’une semble avoir trouvé Dieu au sein de sa communauté, l’autre, seule, vient chercher son amie, car elle ne supporte pas sa solitude.

Les critiques retiennent du film de nombreuses explications historiques, sociales, religieuses, soit l’opposition d’une passion mystique à un amour12-11-23 Au delà des collines.jpg profane, les dysfonctionnements de l’hôpital et d’une église arriérée, la révolte contre l’autorité masculine du prêtre. Au-delà de ces collines d’explications, c’est la tentative obstinée d’Alina, la jeune fille venue d’Allemagne pour faire sortir du monastère son amie Voichita, qui est le vrai sujet du film. Elle emploie tous les moyens, les souvenirs, la camaraderie, l’affection de cœur ; elle fait semblant d’être croyante, de vouloir entrer elle-même au couvent ; elle use de colère, de blasphèmes jusqu’à semer le trouble dans l’ensemble de la communauté. Certes, cette communauté est pauvre d’esprit, elle obéit au prêtre qui est lui-même perdu devant tant d’échappatoires, et, peu à peu, elle tombe dans la certitude qu’Alina est possédée, d’autant plus que le médecin de l’hôpital renonce à la soigner, estimant qu’elle n’a besoin que de repos.

Le film est bien monté. Ce passage d’une histoire de cœur à une histoire de superstition se fait progressivement, sans heurt, de manière naturelle. On se laisse surprendre par la fin, bien qu’on s’interroge tout au long du film sur le devenir d’Alina et de Voichita : cette dernière cèdera-t-elle devant les supplications de son amie, se sépareront-elles, partant chacune de leur côté. Cela finit par la mort d’Alina, même si l’on peut se demander de quoi elle meurt exactement. Sont-ce les mauvais traitements de la communauté, qui ne sont cependant pas aussi terribles que les critiques semblent le dire ? Est-elle réellement hystérique et malade ? On ne sait.

L’atmosphère est à la fois belle et oppressante : de très belles images de ce monastère dans le froid de l’hiver, des personnages simples, voire simplistes, une description glacée parce que sans sentiments exprimés, une histoire entre deux femmes qui ne se comprennent plus, sans réellement savoir pourquoi. C’est long parfois, on a envie de partir, mais l’on reste, on ne sait pourquoi.

22/11/2012

Augustine, film d’Alice Winocour

Voici ce qu’en dit le synopsis : Paris, hiver 1885. À l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, le professeur Charcot étudie une maladie mystérieuse : l'hystérie. Augustine, 19 ans, devient son cobaye favori, la vedette de ses démonstrations d'hypnose. D'objet d'étude, elle deviendra peu à peu objet de désir.

Peut-on dire que l’objet du film est moins l’objet de l’étude,12-11-20 Augustine.jpg Augustine, que l’objet du désir du Professeur Charcot ? Je pense que le regard de nos médias se tourne plus vers l’anecdote que sur la matière même du film. Car c’est bien d’elle dont le film parle en premier lieu, même si bien sûr sa relation avec Jean-Martin Charcot est au cœur de ses préoccupations, mais plus en tant que médecin qui pouvait la guérir qu’en qu’objet de son désir à elle (le fameux transfert peut-être ?) qui devint progressivement objet du désir de Jean-Martin.

Ce qui marque en premier lieu dans le film, ce sont les relations des médecins et de leurs patients. Le Moyen-âge… Ils sont tutoyés, rudoyés, sans aucun sentiment de compassion. La médecine a évolué depuis, et en bien !

Ce qui gêne, c’est l’absence de certaines explications : pourquoi les médecins qui regardent faire et jugent Charcot applaudissent-ils à la fin des deux présentations ? Pourquoi ne comprennent-ils pas qu’elle joue son rôle de malade lors de la seconde et que seul Jean-Martin comprend ? Pourquoi les médecins, dont Charcot, lui enfoncent-ils quelque chose dans le ventre ? Bref, ces manques de compréhension, qui sont peut-être dus à moi seul, laisse un léger malaise.

C’est néanmoins un bon film, qui retrace les difficultés de l’époque, comme par exemple, la dépendance des médecins au jugement de leurs pairs. La figure de J-M Charcot est bien interprétée par Vincent Lindon qui est presque muet et fermé tout le long du film, sauf lorsqu’il explique « le cas » à ses confrères. Quant à Soko, l’interprète d’Augustine, elle est également énigmatique, car rien ne transparaît de ses sentiments. Mais c’est vraisemblablement voulu par la réalisatrice, Alice Winocour, qui retrace l’impression de Stephan Zweig sur l’hôpital :

« J’ai été fascinée par cet hôpital qui, en fait, était une sorte de cité des femmes. Les médecins y observaient leurs patientes jour et nuit. Ils effectuaient des présentations publiques des malades et le tout-Paris s’y pressait. Pas seulement les médecins, mais aussi les membres de la bonne société. Ces séances mêlaient le médical et un voyeurisme érotique qui ne s’avouait pas. La question de la représentation de la femme dans l’imaginaire des sociétés m’intéresse depuis toujours et la Salpêtrière en offre un concentré violent. »

Elle définit ainsi son film : « Il raconte en quelque sorte l’histoire d’une femme qui découvre qu’elle a une tête et celle d’un homme qui découvre qu’il a un corps. Comme le dit Lacan, l’hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner. »

 

03/10/2012

Téodora pécheresse, film d’Anca Hirte

 Ce n’est pas une fiction, ni même une histoire. On entre par hasard12-10-03Téodora pécheresse.jpg dans la salle, s’attendant à un conflit, même non-dit. Là, rien. C’est un documentaire ? Non plus. Le documentaire tente de motiver le spectateur pour ce qu’il voit. Ici, c’est la vie de chaque jour dans le monastère de Varatec, en Roumanie. Mieux, ce sont les derniers instants de Téodora qui va prononcer ses vœux et se donner au Christ, pour la vie. Une seule chose la soucie, garder son prénom. Une seule chose symbolise ce passage, pour Anca Hirte : les cheveux de téodora qui seront coupés.

Elle n’est pas très belle. Son visage est ordinaire. Mais deux fossettes lui donnent un charme certain lorsqu’elle sourit. Elle ne parle pas, n’explique rien. Elle est humble et sereine, sans hésitation. Elle se livre à la caméra sans y prendre garde. Elle est ailleurs, en elle-même, sans concession avec l’extérieur. La caméra l’explore, sans curiosité ni voyeurisme. Elle met en scène des détails, en gros plan : les lèvres de Téodora, priant ou immobile, ses cils dans la pénombre, sa nuque dénudée et ses cheveux abondants, coiffés par sa marraine du couvent. On la voit accomplir les rituels de la préparation aux vœux perpétuels. On ne sait pas ce qu’elle pense, comment elle réagit. Elle dit simplement qu’elle est heureuse, joyeuse, emplie de la présence du Bien Aimé. Ses seules paroles sont celles échangées avec ses compagnes : d’abord sa marraine avec laquelle elle passe de longs moments, en réalité très banals, comme deux collégiennes préparant un examen ; les autres sœurs de la communauté, à travers leurs chants ou lorsqu’on assiste à une récréation dans la neige où elle s’amuse comme toutes les jeunes filles de son âge ; la mère supérieure qui finit par la rassurer sur le fait qu’elle gardera son prénom.

On vit la cérémonie de l’extérieur, en spectateur passif. On n’imagine ni ses certitudes de foi, ni ses peurs, ni ses doutes si elle en a. Chaque geste est un geste quotidien. Mais le déroulement de ces gestes sur une heure et demie de film leur donne un poids, une signification qui dépasse toute explication. Elle se donne, sans question ni réponse, dans la banalité d’une éternité qu’elle vit déjà.

Est-ce un beau film ? On ne sait. On s’ennuie parfois, mais on reste en attente de quelque chose qui ne vient pas. Lorsqu’on sort de la salle, on a le sentiment d’avoir assisté à quelque chose d’insolite, de décalé par rapport à ce qu’on appelle un film. C’est ce qui en fait sa beauté.

 

21/02/2012

Hanezu, film de Naomi Kawase

 

Bande annonce :

http://www.youtube.com/watch?v=9-SC3QuVUm0

 

Extraits :

http://www.youtube.com/watch?v=ylHbpEVcQGw   

http://www.youtube.com/watch?v=LfdbYc0uRwA

 

 

Dans la vallée d’Asuka, berceau de la civilisation japonaise, on met à jour les ruines defilm japonais,société,nature,contemplation,moeurs l’ancienne capitale. Ses habitants pensaient que les trois montagnes environnantes, Unebi, Miminashi et Kagu, étaient habitées par les dieux. Un poème japonais du VIIème siècle conte l’affrontement de deux de celles-ci pour l’amour d’une autre. « C’est ainsi depuis le temps des Dieux, les hommes se disputent leur femme. » Et cette histoire se répète : une femme d’aujourd’hui y aime deux hommes, sans pouvoir choisir, jusqu’au suicide de l’un des deux. Takumi, la femme, vit une vie paisible avec son mari Tetsuya. On partage cette vie faite de gestes lents et simples, naturels pourrait-on dire. Mais elle poursuit dans le même temps une liaison avec Kayoko, un sculpteur, amoureux de la nature. Elle est enceinte, ce qui bouleverse sa vie, leurs vies à tous.

Très belle image du début, la montée du soleil sur l’un des monts et la voix-off énonçant le poème. Une description de la vie quotidienne de ce couple japonais, la descente en bicyclette vers son amant et le délire des corps, façon japonaise. Le tout enrobé d’une nature visionnée par la caméra enchanteresse de Naomi Kawase : rizières et plans d’eau, nid d’hirondelles et archéologie, gouttes de rosée et feuillage des arbres.

 

C’est un cinéma contemplatif et intimiste, si intimiste qu’on se demande ce que l’on vient y faire. Le temps s’étire comme les filaments d’un chewin gum. C’est la même impression de celle de Kundera dans La plaisanterie, dont nous avons parlé le 6 février : mais ici le temps est perçu de manière cyclique, il est un éternel recommencement dans la chronique des Dieux et des hommes. Et sans doute parce qu’il est toujours la même histoire, il laisse une impression d’asthénie par son indolence, sa lenteur et l’impassibilité des personnages. L’orage passé, le cycle reprend. Qu’a-t-on appris ? Rien, l’inanité d’un monde éternel que l’on peut contempler dans les ruines de l’ancienne capitale.

On s’y ennuie, mais avec élégance et esthétisme !

 

 

07/02/2012

The artist, film de Michel Hazanavicius, avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo, John Godman, James Cromwell

 

Bande annonce :

http://www.dailymotion.com/video/xioush_the-artist-bande-annonce-hd-avec-jean-dujardin-berenice-bejo_shortfilms

http://www.dailymotion.com/video/xob6ey_bande-annonce-2-du-film-the-artist_shortfilms#from=playrelon-2

Extraits :

http://www.dailymotion.com/video/xll6a2_the-artist-extrait-1_shortfilms#rel-page-2

http://www.dailymotion.com/video/xll6dv_the-artist-extrait-2_shortfilms#rel-page-9

http://www.dailymotion.com/video/xll6g9_the-artist-extrait-3_shortfilms#rel-page-2

Le bêtisier :

http://www.dailymotion.com/video/xo335g_the-artist-betisier_shortfilms#

 

 

Il fallait le faire : un film muet racontant une histoire de midinette avec tout le tragico-comique de l’époque. Fort de ce principe, j’avais décidé de ne pas le voir. Et pourtant, quel film magnifique !

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Comment faire un film muet, décrivant les années 1920, sans sombrer dans un ridicule plagiat d’anciens films tels que Une étoile est née ou Les lumières de la ville ou encore Les Temps modernes ?

En effet, ce film reprend en partie le scénario d’Une étoile est née, qui raconte l’histoire de John Gilbert et de Greta Garbo. Changement de destinée ! L’arrivée du cinéma parlant crée une véritable révolution dans l’art du cinéma, les anciennes vedettes sont éclipsées, de nouvelles arrivent, c’est la loi de l’éternelle évolution du monde avec ses laissés-pour-compte.

 

 

Quelques recettes : Tout d’abord Jean Dujardin, excellent, naturel, rieur, espiègle, léger dans ses pas de danse, accompagné de son chien, merveilleux de naturel. Cela n’a cependant pas dû être facile de faire tenir à ce dernier un véritable rôle plein de facéties et de connivences. Tintin et Milou, revisités !Rêverie Daisy.jpg

 Puis Bérénice Bejo, jeune ingénue férue de cinéma dont une des meilleures scènes est celle de sa rêverie devant le costume de Dujardin, enfilant son bras dans la manche et feignant de se laisser séduire par le bras de son idole.

John Godman, le producteur, très américain, sympathique, humain et plein de bon sens.

Enfin, James Cromwell, le chauffeur du héros du film, remarquable et discret.

De plus, une musique composée par Ludovic Bource qui reprend la manière des musiques du film muet, musique symphonique grandiloquente, mais toujours discrète, qui accompagne les acteurs sans qu’on en prenne véritablement conscience. Elle remplace la beauté des images couleurs que l’on fait maintenant et dont on ne perçoit pas les efforts de prises de vue qu’il a fallu entreprendre.

 

 Tout cela, mélangé, mixé, arrangé, en une histoire mélo en diable, sans grande originalité, faisant un petit chef d’œuvre, plein d’inattendus, de faits désopilants et tendres à la fois. On comprend que les Américains aient apprécié le film. La scène finale des claquettes y contribue largement, toute dans l’atmosphère des années 20.

 

 

30/01/2012

Muriel ou le temps d’un retour, film d’Alain Resnais (1963)

 

Les deux titres du film, Muriel ou le temps d’un retour, sont les deux thèmes principaux du film : Muriel, un personnage qui n’existe pas et qui traduit l’incompréhension des êtres dans leurs rapports entre eux ; le temps à qui chaque être donne une signification personnelle.

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L’histoire d’abord : « Hélène Aughain souhaite changer son existence normée en revoyant celui qui fut le grand amour de son adolescence. Séparés par la guerre, Hélène et Alphonse se retrouvent à Boulogne. Ce dernier est un faible qui aime plaire, ayant exercé tous les métiers, il accepte cette rencontre sans enthousiasme. Alphonse arrive avec sa maîtresse Françoise qu’il présente comme sa nièce. Hélène a pour amant de Smoke, un chef d’entreprise. Elle vit également avec Bernard, son beau-fils, qui, traumatisé par la guerre d’Algérie, s’enferme dans le souvenir pathétique de Muriel. Celui-ci retrouve un semblant de bonheur aux côtés de son amie Marie-Do. » (Muriel, par Gilles Visy, Université de Limoges).

 

Alain Resnais traite le temps sur trois plans, et, en premier, le temps perceptible dans sa réalité psychologique, ce temps infini, insupportable à chacun et pour tant si court quand, dans un silence parfait, Bernard croque des chips dont le bruit rempli l’espace temporel. En second, le temps émotionnel, cette perception accrue de chaque objet par l’attente et l’angoisse d’Hélène, qui montre mieux que l’expression d’un visage qui peut rester serein, l’émotion de l’attente. En troisième, le temps réel qui, insaisissable, n’en existe pas moins et rythme les événements dans sa cadence incontrôlable : le soir de l’arrivée des visiteurs, Hélène et Alphonse parlent de leur amour et vont peut-être arriver à démêler leurs sentiments. Mais inexorablement, le temps se resserre sur leur conversation quand on voit Roland prendre l’ascenseur, monter, puis sonner à la porte, empêchant ainsi de clore l’explication. De même dans ce dialogue dans un café des habitants de Boulogne qui n’arrivent plus à situer l’emplacement exact de leur ancienne maison sur le nouveau tracé des rues.

 

La construction du film, d’une rigueur et d’une adresse incomparable, est celle du temps réel qui s’écroule, mais son originalité est de nous le montrer dans l’espace, en plusieurs endroits à la fois, et avec des accélérations ou des ralentissements de l’image en fonction de l’émotion des personnages. Elle est comparable à un faisceau convergent de plusieurs lignes en un point qui sera le centre du film et de l’action et qui divergent ensuite. Pendant la première partie du film, en dehors des personnages principaux, les autres sont évoqués brièvement et l’image parait incompréhensible alors qu’elle montre la situation dans l’espace de chacun d’eux à mesure que le temps s’écoule. C’est ainsi qu’apparaît Ernest adossé à la porte d’un café, Claudie qui remonte vers le casino avec Hélène après le coup de fil de celle-ci, puis qu’Alphonse interroge dans son salon de coiffure à nouveau Ernest interrogeant le patron d’un café à son comptoir. De même Alain Resnais, dans cette première partie, situe l’espace dans lequel évoluent les personnages par une précipitation d’images au moment où Hélène ramène ses invités chez elle, images qui paraissent incompréhensibles et qui ont toutes un rapport avec l’histoire : la gare, la voie ferrée vers Paris, le HLM qui risque de s’écrouler et don parlera Roland, l’entrée de l’atelier de Bernard. Le faisceau du drame se resserre alors quand tous les personnages apparaissent et cet instant est indiqué par l’image de la serveuse du café à qui une dame demande où se trouve le centre et qui répond : « Ben, vous y êtes ! », mais déjà certaines images font pressentir l’ouverture du faisceau comme par exemple l’apparition d’une voiture distribuant des tracts sur lesquels est écrit « l’avenir est à nous ». Lorsque tous les personnages sont rassemblés dans le même temps en un même lieu (l’appartement d’Hélène), le magnétophone déclenche le drame introduit par les révélations d’Ernest. Après le drame, celui de Bernard qui tue Robert, les personnages vont s’écarter à nouveau dans le temps et dans l’espace : fuite d’Alphonse vers la Belgique, départ de Bernard, départ de Claudie, et, les dernières images, avec l’arrivée d’un personnage dont on avait beaucoup entendu parler, mais jamais vu, Simone, la femme d’Alphonse, referme le cercle du thème sur l’appartement vide.

 

L’autre thème, incéré parfaitement dans le premier et rehaussé justement par le défilement des images qui donne au spectateur le même sentiment d’incompréhension que celui des personnages dans leurs rapports entre eux (cette incompréhension va peut-être s’effacer au centre du film comme l’annonce l’images d’un couple à la gare qui s’interroge : « Crois-tu qu’on arrivera à les convaincre ? ») est celui de la solitude de la conscience humaine. Chacun des personnages ne vit  que pour soi et en fonction de son souvenir et ce souvenir qui n’est en fait qu’un mensonge pour les autres, devient une réalité intérieure à chacun : Muriel est devenue pour Bernard une sorte de mythe à l’existence duquel croît Hélène puisqu’elle demande à Bernard de ses nouvelles, et Bernard répond : « Elle est malade en ce moment », puis, « Non, elle n’est pas malade », mettant ainsi en valeur sa propre contradiction et ce mythe de Muriel se cristallise dans les yeux qu’il a sans doute dû regarder avec attention pendant qu’elle était torturée (deux fois dans le film, on le voit dire à Marie-Do : « ne ferme pas les yeux », et Robert, dans  sa conversation, lui parle aussi de Muriel). Alphonse est un grand enfant et s’est inventé une histoire passée, ses quinze ans d’Algérie, alors qu’il a vécu à Paris. Il brode sur cette existence un amour emprunté à Ernest, jusqu’à dire à Hélène qu’il lui avait écris, ce qui fut fait en réalité par Ernest. Les dialogues eux-mêmes font partager cette incompréhension : « Pourquoi me regardez-vous ainsi », dit Alphonse à Hélène. Et, plus loin : « Je vous en veux, Hélène. Pourquoi tous ces souvenirs »… « Déjà une heure ». Cette incompréhension est symbolisée par l’image du vieux fou sur la falaise : « Trouvez-moi un mari… un mari pour ma chèvre ». Mais c’est une incompréhension de l’instant qui s’élargit avec l’éloignement du temps et de l’espace, ce qu’a compris Bernard quand il quitte Hélène en lui disant : « On s’aimera mieux séparés ». Le temps d’un retour est bien le retour au passé des personnages, mais le passé va se matérialiser dans le présent en un défoulement des sentiments : l’amour d’Hélène, Muriel pour Bernard, le déjà de la chanson d’Ernest.

 

 

16/01/2012

Orphée, film de Jean Cocteau (1950), avec Jean Marais (Orphée), François Périer (Heurtebise), Maria Casarès (La princesse), Marie Déa (Eurydice)

 

Orphée 1 :

http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=F3T4nEuHnlM

La suite, jusqu'à Orphée 10, sera indiquée sur la page d'ouverture.

 

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Lorsque les sirènes chantèrent, pour attirer les marins
Orphée se mit à chanter en donnant la cadence aux rameurs
Et les belles en furent pour leur frais, perdues à jamais,
Sans homme, ni humain, ni même une âme.

Orphée se maria avec la belle Eurydice qu’il aimait.
Elle fut piquée par un serpent et mourut.
Alors Orphée, muni de sa lyre à neuf cordes,
Descendit aux enfers pour la délivrer.
Hadès, ému de tant d’amour éperdu,
Lui accorda à nouveau la possession d’Eurydice
Mais avec l’interdiction de la regarder.
Ce qui devait arriver arriva.
Orphée se retourna pour voir Eurydice,
N’embrassa qu’un courant d’air et la perdit définitivement.
Alors, désespéré, il se livra aux Bacchantes
Et sa tête de poète repose sur la terre des arts.
Elle chante parfois dans l’orage
Et inspire les poètes et les musiciens.

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Jean Cocteau, nouvel Orphée, reprit le mythe,
Transformé en histoire d’amour avec la mort.
Celle-ci, sous les traits d’une princesse,
Attire Orphée dans l’autre monde
Par des messages radio semblables à ceux de la Résistance.
Elle fait tuer Eurydice par ses motards,
Véritables soldats de la mort, muets et obéissants.
Orphée passe les gants de caoutchouc,
Secouru par Heurtebise, le chauffeur de la dame,
Et pénètre par le miroir dans l’autre monde,
Car les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va.
La princesse avoue qu’elle aime Orphée
Et celui-ci ne peut s’empêcher de l’aimer à son tour.
Orphée est autorisé à repartir avec Eurydice ;
Bien sûr il la regarde et la perd à nouveau.
Il retourne alors au royaume des morts.
Mais la mort va se sacrifier pour rendre Orphée à son monde.
Orphée et Eurydice poursuivent leur vie sur terre.
Ô mort, où est ta victoire ?
L’amour est plus fort que la vie, et, bien sûr, que la mort !

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Plongé dans la poésie du film, on ne perçoit pas que sa fin est également celle de la poésie. La réalité transformée en passage d’un monde à l’autre, par l’intermédiaire d’objets les plus courants : les gants de caoutchouc, les miroirs, la radio, les motards, etc. Au-delà, le monde de l’absolu arbitraire sous les dehors d’une logique implacable faisant fi de l’amour et de la mort. Le retour au vrai monde des humains est la perte d’un amour poétique contre un amour plus pauvre, mais vivant, à la mesure de l’homme.

La poésie et le rêve se sacrifient pour que vive le réel. Bravo au poète éternel qu'est Jean Cocteau !

 

 

 

24/12/2011

Stalker, film d’Andrei Tarkovski (1979)

 

 

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1ère partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk38ve_stalker-partie-1-...
 
2ème  partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk3aj3_stalker-partie-2-...

3ème partie :
http://www.dailymotion.com/video/xk3che_stalker-partie-3-...


Lente, très lente entrée dans une chambre où dorment une femme, un enfant et un homme. Passe un train. L’homme se lève. La chambre est grise, sale, la pièce d’à côté également. La femme, qui s’est levée peu après lui, lui fait une scène : Pourquoi repars-tu dans la zone ?

L’homme y part avec un professeur, chercheur scientifique, et un écrivain. La zone est un lieu où une météorite serait tombée. Elle est désormais interdite d’accès, gardée par des miliciens. Mais elle est devenue un lieu mythique, un lieu où tous les vœux se réalisent. Ce serait un cadeau ou un message au genre humain. Au cœur de la zone, la chambre. On ne l’atteint pas par la ligne droite, car elles n’ont pas cours. De même, on ne retourne jamais par le même chemin.

Les alentours de la zone, ce sont d’abord des ateliers, des trains qui passent, des policiers qui11-12-23 Stalker 2.jpg veillent. Tout est en ruine, sale, boueux, hors d’usage. Ils troquent leur jeep pour une draisine et poursuivent leur chemin sur une voie ferrée. Les bruits et les images sont quasiment les seuls éléments du film. De noir et blanc, celui-ci passe en couleur lorsqu’ils franchissent une première frontière, invisible. C’est le matin. Quel silence…

Puis commence une deuxième étape, à pied. Ils s’engagent dans une plaine où des combats eurent lieu, avec des carcasses de chars qui rouillent dans une herbe haute. Le stalker fait des détours, mais l’écrivain veut prendre au plus court. Alors le passeur explique : La zone est un savant système de pièges qui sont mortels. Les endroits que l’on croyait sûrs deviennent impraticables. Voilà ce qu’est la zone. Elle est ce que notre état psychique en fait. Elle ne laisse passer que ceux qui n’espèrent plus rien. Et la caméra montre un trou d’eau qui fait dire au stalker : Qu’ils se fient à ce qu’ils voient et qu’ils s’amusent à découvrir leurs passions. Elles n’ont rien à voir avec l’énergie de l’âme, ce n’est que le produit de son frottement contre le monde matériel. L’essentiel, c’est qu’ils en viennent enfin à croire en eux-mêmes et deviennent impuissants comme des enfants, car la faiblesse est grande et la force n’est rien…

Ils abordent un moulin dans lequel l’eau bruisse à pleine force, augmentant encore la tension. Il faut franchir un tunnel détrempé par les eaux. Mais le professeur se perd et ils ne vont le retrouver qu’à la sortie du tunnel. Au cours d’une longue pause, le professeur et l’écrivain discutent de la science, du désintéressement de l’art et du sens de la vie. Ces propos sont pessimistes, mais pour le stalker, tout a un sens, un sens et une cause.

Enfin, ils arrivent à une longue conduite dans laquelle ils s’engagent, l’écrivain en tête. Longue, très lente marche vers la porte finale. Sont-ils ou non dans la chambre. On ne le sait. Ce sont de longs échanges : Le principal, y croire ! Alors, on y va. Qui commence ? Le professeur sort à ce moment de son sac un objet, l’appareil à sonder les âmes, l’animomètre. En réalité, une simple bombe, car ce lieu n’apportera jamais le bonheur à personne. Il vaut mieux le détruire. Et ils se battent, le passeur voulant à tout prix récupérer la bombe. Vous ne voyez pas qu’il veut tuer votre espérance ? Alors le stalker explique que par sa fonction il ne peut pénétrer dans la chambre. Il proclame qu’il n’a rien fait d’utile dans ce monde et est incapable de rien faire. Mais :
– Dans la zone est mon bonheur, ma liberté, ma dignité ! Laissez-moi ce qui m’appartient ! Je guide des malheureux qui souffrent, qui n’ont plus rien à espérer ! Moi, je peux les soulager.
– L’idiot du village, voilà ce que tu es ! Tu n’as pas la moindre idée de ce qui se passe ici en réalité. Ne s’accomplira ici que ce qui correspond à ta nature profonde. Un aspect de ton moi dont tu n’as aucune idée, mais qui est en toi et te gouverne toute ta vie durant.

Le professeur démonte alors sa bombe. Il refuse de comprendre. Et la paix s’installe dans cette pièce en ruine, envahie par une pluie d’orage. Quelle belle image que ces trois hommes assis dos à dos, dans cette ruine, en paix pour la première fois.

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Retour au début du film. Cette fois sa femme entre dans le bistrot : de retour ? Le passeur est fatigué, tellement fatigué. Ceux qu’il passe ne croient à rien. Ils n’ont pas la foi. Et sa femme se met à parler aux spectateurs du film. – Vous avez déjà compris que c’est une âme innocente. Un passeur est un condamné. Et pourtant, j’étais sûr qu’avec lui je serais bien. Lui, il est venu me trouver et il m’a dit : « Viens avec moi ». J’y suis allé et ne l’ai jamais regretté.

 

Réalisé par Andreï Tarkovski, sorti en 1979, « Stalker », mot anglais désignant un chasseur à l’approche, un rodeur, est un film hors du commun, à l’image de ces vues glauques de bâtiments industriels en ruine, de pièces délabrées, de campagnes dégradées par l’homme moderne, de visages sales, presque morbides. Et malgré tout cela, malgré l’homme ignorant et provoquant, il en ressort une sorte d’optimisme, même de métaphysique heureuse qui tend vers une perfection spirituelle inatteignable. Si l’être humain est en rupture avec son environnement, le stalker, lui, s’efforce de réconcilier le monde et l’homme à travers ce voyage initiatique qu’il offre à ses clients. Au delà du rationalisme du professeur et du scepticisme de l’écrivain, le passeur devient un guide spirituel qui veut reconstruire un monde meilleur.

 

09/12/2011

La source des femmes

 

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Film réalisé par Radu Mihaileanu, avec Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna
http://www.youtube.com/watch?v=fj_vYku6AmE

 

Cela se passe de nos jours dans un petit village, quelque part entre l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. La tradition depuis la nuit des temps : les femmes vont chercher de l’eau pour le village, loin en dehors. L’eau sert à la maison, c’est à la femme d’aller la chercher. Ce n’est pas le travail des hommes. Ils étaient là pour les protéger, mais le village n’a plus besoin de protection. Pourquoi ne le font-ils pas ? Alors les femmes décident de faire la grève… de l’amour. C’est le seul pouvoir qu’elles ont sur les hommes. Plus de câlins, plus d’amour tant que les hommes n’apportent pas l’eau au village ! Et cette histoire est vraie. Elle s’est déroulée en Turquie en 2001 et le gouvernement a dû régler le problème qui dégénérait.

Les femmes, ce sont : Leila, mariée au seul homme qui comprend ce combat, Sami, l’instituteur. Elle est étrangère au village et elle déclenche la guerre contre les hommes. Loubna, la jeune sœur de Sami, en quête d’amour, appelée également Esméralda en référence à sa passion pour un film mexicain qui lui fait dire sans cesse « Te quiero ! ». Rachida qui s’oppose à la grève, car elle a soif de son mari. Enfin, Vieux fusil, la femme âgée qui entraîne les autres et les font persister dans cette grève entamée. Mais s’oppose à elles, Fatima, la belle-mère de Leila, dure et traditionnelle.

Les hommes, ce sont : Sami, déjà cité, qui accepte le choix de sa femme, mais ne peut non plus accepter la mésentente entre hommes et femmes. Hussein, père de Sami, qui médite sur sa terrasse et cherche à mettre un terme à ce conflit. Mais aussi l’ancien amour de Leila qui s’est laissé marier à une autre sans même lui dire.

Et ces femmes et ces hommes s’affrontent au travers d’un récit qui fait parfois un peu cliché : des danses orientales où, par le chant, les femmes et les hommes évoquent leur point de vue ; le hammam où les femmes sont libres et s’expriment sur l’amour et le sexe ; la suffisance des hommes qui s’arrangent bien de traditions ancestrales transformées par certains en islamisme plus ou moins intégriste ; le marché à la ville, somme de toutes les rencontres importantes. Les situations, surtout au début du film, paraissent outrés, grandiloquentes, voire fausses. Mais lentement, on entre dans le film, avec ses longueurs et ses instants humains, émouvants. Il est rarement drôle. On sourit à certaines situations, mais on ne retrouve pas l’humour du film libanais « Et maintenant, on va où ? » (voir le 4 octobre 2011). C’est un instant sérieux, deux heures entre les machos et les défenseuses du sexe faible, avec, comme dans le film libanais, l’imâm, le sage, non doublé d’un curé.

Ecoute ta femme, chantent-elles aux hommes. 

Elles finiront par avoir l’eau, par retrouver leurs hommes comme il fallait s’en douter. Le chant final résume le thème. La source des femmes, c’est : la source où elles vont puiser l’eau qui est vie ; c’est l’enfantement, renouveau permanent de l’humanité ; c’est l’amour qui coule de leur féminité. La femme est l’énergie qui fait avancer le temps, dit un des chants du film.

 

 

14/11/2011

A travers le miroir, d’Ingmar Bergman

 

Extraits du film :

http://www.dailymotion.com/video/x2qmrk_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmg7_a-travers-le-miro...

http://www.dailymotion.com/video/x2qmlw_a-travers-le-miro...

 

Pourquoi à travers le miroir, se demande-t-on d’abord. Ingmar Bergman aborde ici le problème le plus humain qui soit, celui des rapports entre l’homme et ses semblables.

Le miroir, c’est la réalité quotidienne de l’homme, l’enveloppe extérieure ducinéma,psychologie,spiritualité monde intérieur, dont il montre les différentes apparences sous les traits de ces quatre personnages qui semblent vivre en bonne entente, mais ne se comprennent pas. Chacun possède sa propre vision du monde : plus ou moins proche de la réalité, mais exaltée par la sensibilité de l’enfance, pour l’adolescent qu’est Nino ; très loin, à la limite de la folie, pour Karin. Martin, son mari, est sans doute le plus près de la réalité, mais il ne la voit que par son amour pour Karin. Le père de Karin, écrivain, ne semble vivre que par son œuvre où ce qu’il décrit est à la fois lui et un autre que lui (Est-ce vrai ? Lui demande Martin. Je ne sais pas, répond-il).

Chacun de ces êtres se balancent au bord du vide et du désespoir, ou, pour Nino, en font la connaissance (c’est comme si la réalité avait éclaté lorsque j’étais avec Karin, explique Nino, qui est alors devenu adulte). Ils s’enferment dans leur cercle qui se brise à la réalité, mais inlassablement ils en rebâtissent un autre. Ainsi se déroule le film, dans cette atmosphère de tension psychologique propre à Bergman qui fait une description clinique de chaque personnage, les regardant vivre d’un œil objectif et trouver eux-mêmes la solution.

Car Bergman propose la solution, elle s’impose après la crise de Karin qui n’a rien trouvé dans sa folie. Ce que cherche l’homme inlassablement dans sa solitude, c’est Dieu qui semble seul pouvoir le sortir de ce vide dans lequel il s’enfonce. Il y a deux moyens  pour le trouver: soit se replier de plus en plus sur soi-même, sur sa recherche, comme le fait Karin qui finalement tombe dans la folie, ne trouvant qu’un dieu-araignée qui tente de la posséder avant de la délaisser (peut-être est-ce là l’image d’un faux ascétisme qui ne mène qu’à la stérilité) ; soit, et c’est la solution proposée par Bergman, la seule possible, remplir le vide de l’âme par l’amour (« alors le vide devient richesse et le désespoir quitte l’âme »), ce que découvre l’écrivain dans la compagnie des trois autres. Cet amour va alors pour la première fois lui permettre de briser le miroir et de communiquer réellement avec son fils pour lui expliquer sa découverte :

_ Il y a un moyen de sortir du vide.

_ Dieu ? Mais… la preuve ?

_ La preuve, c’est l’amour. Dieu apporte l’amour. Dieu est sans doute l’amour lui-même.

 

 

22/10/2011

Cinéma, un art qui reste à exploiter

 

Le cinéma, à quelques rares exceptions, reste un art en enfance. Qu’est-il ? Un livre en images, presqu’une bande dessinée avec des personnages vivants. Il raconte une histoire, le plus souvent dans l’ordre chronologique, il reproduit en images ce qu’un bon roman explicite, souvent mieux. Et pourtant, le cinéma est le seul art qui puisse nous faire percevoir, dans sa netteté et sa vérité, une situation dans toutes ses dimensions physiques et psychologiques.

En effet, par le son, on peut rendre, comme le ferait la poésie et la littérature, le mécanisme d’une pensée. Ce mécanisme peut être direct, par la parole prononcée ; il peut être indirect, par un commentaire des impressions données par l’image, ce qu’on appelle une voix off, et l’on peut aussi user d’autres artifices que la parole ; musique, bruits, silence. Mais l’image permet également de donner la vision même de cette pensée. Mieux, l’image permet de rendre à la fois la vision physique que l’œil transmet au cerveau et la vision intérieure de la pensée, c’est-à-dire les souvenirs ou la création d’images exprimant une vision autre, personnelle, qui s’impose en ce moment à vous-même. Elle permet de sauter de la perception visuelle, nette, véridique et comme agrandie, à la vision imaginaire et flou de la pensée.

Ainsi, lorsque vous vous promenez dans une rue de votre ville, que vous connaissez bien, vous voyez, entendez ce qui s’y passe, vous répondez même aux personnes qui vous interrogent. Mais dans le même temps, vous laissez défiler dans votre mémoire des faits passés se rapportant à ce que vous y avez vécu à un moment ou un autre, vous revoyez à la place du marchand de meubles le réparateur de tapis qui occupait la boutique auparavant, vous vous souvenez d’un incident survenu à une personne dans la rue et vous entendez son cri désespéré qui fit se retourner les passants. Et vous pouvez même imaginer une autre fin de ce souvenir, que vous inventez en marchant aujourd’hui au milieu de cette rue. Tout cela dans toutes ses perceptions : la vue, l’ouïe, l'odorat, et même le toucher et le goût, comme la madeleine de Proust.

On pourrait même aller plus loin dans la vérité que la pensée elle-même, car elle ne se fait qu’une idée confuse de l’objet qu’elle digère. Le cinéma, loin de digérer cet objet, permettrait d’en séparer chaque élément, chaque organe, chaque morceau de matière pour aller plus profondément dans sa découverte.

Il nous faudrait un Proust cinéaste. Mais il y en a, chacun à sa manière : Bergman, Alain Resnais, Buñuel et bien d’autres. En quoi sont-ils différents des cinéastes habituels ?

 

 

10/10/2011

La fée, film franco-belge de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy

 

Présentation :
http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=lZqLRdphj3I
http://www.youtube.com/watch?v=3V6jk9t5T94 


Le résumé du film donné par MK2 :
Dom est veilleur de nuit dans un petit hôtel du Havre. Un soir, une femme arrive à l’accueil, sans valise, pieds nus. Elle s’appelle Fiona. Elle dit à Dom qu’elle est une fée et lui accorde trois souhaits. Le lendemain, deux vœux sont réalisés et Fiona a disparu. Mais Dom est tombé amoureux de la Fée Fiona et veut la retrouver.

 

Les premières images font rire, effet de la répétition. L’arrivée de la fée qui n’en a pas l’air est également comique puisqu’elle prend l’ascenseur en panne qui marche à nouveau. Drôle aussi l’évacuation de la gorge du veilleur de nuit du bouchon de la bouteille ketchup et la danse massage de son dos qui l’endort jusqu’au lendemain. Puis les gags s’enchaînent, drôles, frais, inattendus. Ils tiennent du Laurel et Hardy, des Marx Brothers et surtout, tout au long, de Jacques Tati.

Mais au bout de trois quart d’heure on commence à se lasser de ces gags qui laissent un goût de juxtaposition sans maîtrise de l’ensemble. Le gag des policiers laisse de marbre, la soirée dans le bistrot entre les rugbywomen s’intéressant à la chanson romantique est assez réussie, les pensionnaires de l’hôpital psychiatrique jouant au poker avec leurs gélules font sourire, les clandestins africains sont attristants. Trop, c’est trop.

Film dont on ne sait que penser, au bout du compte, car il nous a fait rire, puis il nous a fatigué. Burlesque poétique, nous dit Jean-Luc Douin dans le Monde, mais cette manière de mendier le rire qui condamne le spectateur à s’esclaffer, comme le note Bernard Achour du Nouvel Observateur, laisse une lourde impression d’inachevé. La poésie fait alors place aux longues ficelles destinées à séduire le spectateur. Dommage.

 

04/10/2011

Et maintenant, on va où ? film de Nadine Labaki

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Bande annonce :

http://www.youtube.com/watch?v=OqHm82eTUTw

Extrait 1 :

http://www.youtube.com/watch?v=bQbb63yba1s&feature=relmfu

Extrait 2 :

http://www.youtube.com/watch?v=8qZyk5Kb5v8&feature=relmfu

 

 

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Le film débute sur la marche des femmes dans un paysage quasi désertique, toutes en noir, les unes portant des croix autour du cou, les autres avec un voile sur la tête. Elles avancent vers leur destin de femmes qui les conduit au cimetière, où elles se séparent, chacune vers leurs morts, à gauche, les chrétiens et, à droite, les musulmans. Dommage cependant que la réalisatrice ait cru bon de leur faire faire quelques pas de danse mortuaire, leur marche silencieuse était suffisamment simple, donc belle et impressionnante.

Le village est isolé. Seul un étroit chemin ouvert entre les champs de mines et passant au dessus d’un précipice permet le ravitaillement qui se fait avec une moto munie d’une remorque construite avec une vieille baignoire. Dans ce village, musulmans et chrétiens se côtoient chaque jour, à chaque heure. Ils ont les mêmes magasins, démunis, le même café, celui de Madame Amal, jeune veuve chrétienne qui regarde avec attention un peintre musulman qui en refait la salle. 

Mais si les femmes s’entendent à peu près parce qu’elles souffrent de ces affrontements11-10-04 Et maintenant2.jpg permanents, les hommes se cherchent querelle pour des bricoles et en viennent aux mains, déclarant qu’ils sont prêts à déterrer leurs fusils. Alors, avec l’aide du curé et de l’imam, elles décident d’en finir avec cette hostilité ambiante. Elles inventent des stratagèmes pour détourner les hommes du sentier de la guerre : les hommes ne peuvent écouter les nouvelles à la télévision collective parce qu’elles parlent sans arrêt ; la femme du maire prétend que la vierge lui parle ; des jeunes femmes d’une troupe de danseuses post-soviétiques tombent en panne dans leur village isolé et vont distraire les hommes.

La mort d’un des deux garçons qui approvisionnent le village contraint celles-ci à aller plus loin. Elles organisent, avec l’aide du curé et de l’imam, une réunion obligatoire de tous les hommes et leur font manger des pâtisseries dans lesquelles elles ont mis un peu de drogue. Pendant ce temps, elles déterrent les armes pour les cacher ailleurs. Mieux, le lendemain, les femmes chrétiennes sont devenues musulmanes et inversement. Les hommes ne savent plus quoi faire. Ils ne peuvent faire la guerre à leurs propres femmes ou filles. Le village se rassemble alors pour enterrer le dernier mort. Les hommes portent le cercueil, suivis par le même cortège de femmes (et d’hommes malgré tout) qu’au début du film. Mais arrivés dans l’allée centrale du cimetière, les porteurs se retournent, puis demandent aux femmes : « Et maintenant, on va où ? »

L’histoire en soi est déjà désopilante. Mais on appréciera surtout les éclats de vie quotidienne, savoureux, pleins d’humour, qui affirme le caractère méditerranéen du village et, en même temps, les oppositions tenaces entre les deux religions. L’ambiance passe progressivement de la drôlerie au drame, entre musique et pleurs, entre hommes machos, mais enfants, et femmes stratèges, mais attentionnées. Quel merveilleux film, qui réussit sous des aspects humoristiques à nous faire entrer dans le drame permanent d’un Liban partagé qui va on ne sait où.

 

17/09/2011

Blow-Up, film de Michelangelo Antonioni (1966)

 

Blow-Up est un film anglo-italo-américain de Michelangelo Antonioni, sorti en 1966 et inspiré de la nouvelle Las babas del diablo (Les fils de la Vierge) de Julio Cortázar. Il obtint la Palme d'or au festival de Cannes en 1967.

 

Bande annonce du film :

http://www.youtube.com/watch?v=2Xz1utzILj4&feature=re...

 

Episode du film :

http://www.youtube.com/watch?v=r9u78vNOvvQ&feature=re...  

 

 

Blow-up1.jpg"À Londres, Thomas, un photographe de mode, se rend dans un parc où un couple qui s'embrasse attire son attention. Il prend des clichés, mais la jeune femme, Jane, exige les négatifs, allant jusqu'à s'offrir à lui pour les obtenir. Thomas lui donne une autre pellicule et il développe les photos du parc. En agrandissant celles-ci, il découvre un crime, ce qu'il vérifie dès la nuit suivante, en décoBlow-up2.jpguvrant la présence du cadavre dans le parc. Désemparé, il cherche conseil auprès de ses amis, en vain. Pendant ce temps, les bobines ont été volées dans son atelier. De retour au parc, il s'aperçoit que le corps a disparu. Tout près de là, une troupe de clowns mime une partie de tennis, se renvoyant une balle invisible."

Mais au-delà de ce bref résumé, tiré de l'encyclopédie Hachette, l’apothéose du film se trouve dans cette partie de tennis où chacun suit l’effort des joueurs, la trajectoire de la balle, le choc de celle-ci Blow-up3.jpgcontre le grillage et que le photographe prend d’abord pour un jeu, mais qui, à partir du moment où il s’associe au jeu involontairement en ramassant la balle imaginaire, devient une réalité, jusqu’à lui faire percevoir le choc de la balle contre les raquettes. Ainsi la réalité et l’imaginaire se rejoignent à la fin du film comme ce fut le cas au commencement quand la femme lui demande les négatifs. Le cercle est fermé.  

Le film reprend le vieux thème énoncé par Platon sur la réalité du monde extérieur, celui de la réversibilité des choses de Cocteau : derrière chaque objet perçu se cache une existence insoupçonnée. Percevoir, c’est toujours interpréter par l’intelligence une sensation (ce que fait que le photographe dans sa recherche sur les photos) et chacun recrée à chaque instant le monde, car la vision n’est qu’un agrégat de raisonnement et comme il y a illusion des sens, il peut y avoir des illusions psychologiques (le choc des balles contre les raquettes). Cette balle qui, bien que n’existant pas, existe virtuellement comme le cadavre, ces photos qui, bien qu’ayant existé, semblent n’avoir jamais existé, où est au fond la vérité : dans qu’on voit ou dans ce qu’on devine derrière ce que l’on voit ?

 Certes, le film ne date pas d’hier, mais d’avant-hier, avec ses images provocantes et pseudo-modernes. Mais ces quelques défauts qui viennent avec le temps n’effacent pas la beauté du film, mieux même, ils la font ressortir.

 

 

26/08/2011

Une femme douce, film de Robert Bresson

 

Voir :

 

http://www.youtube.com/watch?v=68350YcASZo

 

http://www.youtube.com/watch?v=TlQMeqr6zrA&feature=related

 

http://www.youtube.com/watch?v=tRP1Ud_wVTk&feature=related

 

http://comediennes.org/video/dominique-sanda-une-femme-douce-robert-bresson

 

L’histoire est simple : un homme achète une jeune étudiante et en fait sa femme. Mais ils n’ont rien à se dire. Il croit qu’elle le trompe, elle pense à le tuer. Ils en viennent à faire chambre à part. Elle s’envole par la fenêtre et se tue.

 

Une-femme-douce-robert-bresson 1.jpg

 

 

Inspiré du récit de Dostoïevski, transposé à notre époque, le film recèle la même atmosphère oppressante et froide. Ce malaise, fait de dégout et de gène, donne parfois envie  de sortir de la salle. Rien ne vient distraire le réalisme du récit : images du regard quotidien, sans poésie, sans artifices sentimentaux, le film en devient même un peu sec, trop journalistique et ne pénètre pas l’âme des personnages, si ce n’est par les faits racontés par le prêteur à gages.

 

 

Une-femme-douce-robert-bresson 2.jpg

  

Est-il possible d’aimer ainsi sans aucune manifestation extérieure, même envers l’être aimé ? Pas un signe, pas une parole, pas un geste (si ce n’est ceux de l’amour charnel), seule une attention matérielle sur les objets qui l’entourent.

L’amour ne s’achète pas, même avec les meilleures intentions.

 

 

30/07/2011

L’année dernière à Marienbad, film d’Alain Resnais

 

L’année dernière à Marienbad 1 :

http://www.dailymotion.com/video/xa92dg_l-annee-derniere-a-marienbad-1_music

L’année dernière à Marienbad 2 :

http://www.dailymotion.com/video/xa93fl_l-annee-derniere-a-marienbad-2_music

L’année dernière à Marienbad 3 :

http://www.dailymotion.com/video/xa95yk_l-annee-derniere-a-marienbad-3_music

L’année dernière à Marienbad 4 :

http://www.dailymotion.com/video/xa96hp_l-annee-derniere-a-marienbad-4_music

L’année dernière à Marienbad 5 :

http://www.dailymotion.com/video/xa96uq_l-annee-derniere-a-marienbad-5-fin_music

 

D’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, empli de couloirs, de galeries, surchargés de décors de stucs, de miroirs, de glaces noires, débouchant sur des salons déserts, surchargés, aux tapis lourds, épais, silencieux. Les personnages sont figés, rêveurs, les yeux fixes, ne regardant rien, indifférents. Et pourtant, ils réagissent à la fin du spectacle qu’ils regardaient : applaudissements, brouhaha des voix ; mais très vite tout se fige à nouveau, comme des pauses silencieuses, accompagnées d’un morceau d’orgue. Et bientôt, l’hôtel semble s’endormir lentement dans des conversations à deux, homme et femme. Mais la vie continue dans les salons auparavant silencieux, toujours en conversations saisies au vol, sans continuité.

 

Après l’introduction au jeu de Nim où toujours perd celui qui ne connaît pas l’astuce, on fait connaissance des personnages principaux du film : une jeune femme, Delphine Serig, belle, à la voix enjôleuse, mais légèrement agaçante ; un homme, Giorgio Albertazzi, de la même taille, séduisant, qui s’efforce de lui rappeler ce qui s’est passé l’année dernière à Marienbad et qui lui fait la cour ; un autre homme, Sacha Pitoëff, plus grand, également séduisant, dont on découvrira qu’il est le mari de la première et qui gagne toujours au jeu de Nim. La femme erre dans les décors, monte des escaliers, s’esquive, reprend le contact, mêlant deux moments et deux lieux, l’hôtel du présent  et celui de Marienbad, voire d’autres. Tous ces fantômes se déplacent dans le décor, tantôt conversant à voix basse, tantôt silencieux, tels des spectres glaciaux, mais malgré tout attachants et même, parfois, vivants.

_ Que voulez-vous donc, vous savez bien que c’est impossible… Laissez-moi, je vous en supplie, dit-elle à celui qui lui fait la cour et dont on ne connaîtra pas le nom. Il l’accompagne cependant au concert, malgré l’intervention de l’autre personnage. Ils s’y tiennent comme deux étrangers. Puis retour à l’hôtel, dans les salons silencieux, et jeu d’attitudes entre la femme et l’homme, avec la remémoration de ce qui a peut-être existé auparavant, en un autre lieu, un autre temps, l’année dernière à Marienbad. Mais elle garde toujours une certaine distance :

_ Approchez-vous, plus près, lui dit-il.

_ Laissez-moi.

_ Et pourtant vous êtes là, à portée de ma main.

_ Pourquoi moi ?

_ Vous m’attendiez.

_ Non.

_ Il s’agit de votre vie, la vôtre. Debout devant moi, attendant peut-être, immobile, les bras le long du corps, vos lèvres un peu disjointes, vous avez peur !

_ Tout cela est faux, je ne connais pas cette chambre, il n’y a pas de glace au dessus de la cheminée. Je ne sais de quelle chose vous parlez. Je n’ai jamais été avec vous dans cette chambre. Vous inventez, je suis sûre que vous inventez.

_ Je vous ai regardé, je vous aimais, vous étiez vivante.

Et elle s’enfuit, une fois de plus.

 

Retour au dialogue entre elle et lui :

_ Vous m’avez demandé de vous laisser une année entière, pour me mettre à l’épreuve. Je viens maintenant vous chercher.

_ Non, non, c’est impossible.

Vision de l’année dernière à Marienbad : Seule dans sa chambre. Il explique ce qu’elle fait, mais elle-même fait autre chose, elle tourne autour de la chambre, doucement, frôlant les murs et les miroirs, alors qu’il lui dit :

_ Et vous êtes retournée vers le lit. Ecoutez-moi ! Pourquoi vouloir toujours vous échapper.

Les souvenirs se mélangent, il tente de se remémorer, mais il est incertain, il ne se souvient plus lui-même.

 

Ils se cherchent, ne se trouvent pas. Elle ne sait ce qu’elle veut. Elle craint son mari. L’histoire a commencé il ya un an, dans une architecture en trompe l’œil, entre un miroir et des colonnes, dans une chambre toujours ouverte.

Elle doit le retrouver à minuit. Il vient. Elle était là, assise sur une chaise, au pied de l’escalier, belle. Elle se lève, il la suit, dans l’hôtel de colonnes et d’escaliers. Ils sortent dans le parc, où ils se perdent dans la nuit tranquille, elle, seule avec lui.

 

 

Consacré Lion d’or en 1961 au festival de Venise, c’est le second film d’Alain Resnais, réalisé à partir du scénario d’Alain Robbe-Grillet. Ils recherchaient tous deux une nouvelle expression cinématographique, sortant des habitudes, comme le nouveau roman s’efforçait de renouveler le roman traditionnel. Le temps tient un grand rôle dans le film. Ce sont de perpétuels changements de temps et de lieux tout au long du film qui font qu’au bout de quelques minutes, on ne sait plus où l’on est et à quel moment. Le début du film est conçu pour envoûter le spectateur : travellings et panoramas donnent la dimension physique de l’espace. Les commentaires du narrateur qui répète pratiquement toujours la même chose d’une voix monocorde, ainsi que la musique d’orgue, qui accompagne ces descriptions, sont là pour tromper la perception de la durée. Il ne s’agit pas d’une histoire que l’on raconte d’une façon linéaire, mais d’une rêverie de l’imaginaire qui relie entre eux différents temps et différents lieux. La femme n’y croit pas et refuse les prétendus souvenirs de l’homme. Et pourtant elle se laisse prendre au jeu, au point, à la fin du film, de céder à la demande de son admirateur.

Et pourtant, on finit par douter comme la jeune femme de la réalité de ce que raconte l’homme, de ce qui s’est passé l’année dernière à Marienbad. On peut penser qu’Alain Resnais joue avec le spectateur. Il veut le contraindre à fabriquer sa propre compréhension du film, sans rien imposer. Il bâtit le décor, les personnages, certains faits et c’est au spectateur de les relier ensemble, de les animer pour faire dire au film ce qu’il veut entendre et comprendre.

 

 

12/07/2011

L’île nue, film de Kaneto Shindo (1960)

 

Voir la présentation du film :

http://www.dailymotion.com/video/x7fvo9_l-ile-nue-kaneto-... 

 

 

Voir des extraits du film

L’île nue 1 :

http://www.dailymotion.com/video/x9e067_l-ile-nue-1_music

L’île nue 2 :

http://www.dailymotion.com/video/x9e8py_l-ile-nue-2_music

L’île nue 3 :

http://www.dailymotion.com/video/x9e9pe_l-ile-nue-3_music

L’île nue 4 :

http://www.dailymotion.com/video/x9ej0z_l-ile-nue-4_music

L’île nue 5 :

http://www.dailymotion.com/video/x9ek3h_l-ile-nue-5-fin_m...

 

Synopsis (From Wikipedia) :

Au Japon, sur une minuscule île de l'archipel de Setonaikai, un couple vit avec ses deux jeunes enfants. La terre est aride et l'île ne possède pas de ressource en eau douce. Pour cultiver cette terre ingrate et survivre, le couple est donc obligé de faire de continuels voyages en barque entre la terre ferme et l'île : ramener l'eau précieuse et en arroser avec attention et parcimonie chacun des plants cultivés. Ces gestes, renouvelés sans cesse, rythment le quotidien. Les jours passent, puis les saisons. Un jour, alors que les parents sont partis chercher l'eau, un des enfants tombe malade, sans raison. Il meurt rapidement sans que personne n'ait pu faire quoi que ce soit pour le sauver. Ses camarades de classe arrivent en bateau pour lui rendre un dernier hommage, puis repartent. Malgré un bref moment de révolte de la mère contre cette vie, le rituel reprend.

 

L'île nue 1.jpg

 

Un film majestueux :

Histoire simple, banale, pourrait-on dire. Mais quelle beauté dévoile ce film qui, pourtant, répète inlassablement les mêmes images, les mêmes gestes et la même mélodie, sans qu'une seule parole soit prononcée. C’est un véritable poème qui donne une nouvelle version du mythe de Sisyphe, dénudée comme l’île, presque froide dans son réalisme, mais si prenante dans la contemplation d’une nature aride et de la famille qui vit là, rudement, d’un travail incessant sur une terre ingrate. Il met en lumière, sans jamais le dire, l’impuissance de l’homme face à la nature, la souffrance humaine, le temps et finalement la mort.

 

L'île nue 2.jpg

 

"L'Île nue", sortie en 1960, est l'une des œuvres les plus remarquables du réalisateur japonais Kaneto Shindo. La musique lancinante de Hikaru Hayashi, de part sa modalité occidentale, peut choquer au début, mais très vite elle prend le spectateur qui l’associe ensuite aux successions d’images sobres, mais combien belles. Musique et images permettent de donner au film une ambiance que des paroles et des explications n’auraient pu expliciter.

Un  film à voir, à revoir, comme on relie un roman de Marcel Proust, pour le savourer, même si l’on en connaît toutes les péripéties. 

 

 

 

01/07/2011

La Voie Lactée de Luis Buñuel (1969)

 

avec Paul Frankeur, Laurent Terzieff, Alain Cuny, Michel Piccoli, Delphine Seyrig, Jean Piat, Jean-Claude Carrière, Michel Piccoli Edith Scob, Bernard Verley, Francois Maistre, Claude Cerval, Muni, Claudio Brook, Georges Marchal.

 

Trailer du film :

http://www.dailymotion.com/video/xdwpie_la-voie-lactee-trailer-bunuel-1969_shortfilms

 

La voie lactée 1 :

http://www.dailymotion.com/video/xdwph3_laurent-terzieff-...

La voie lactée 2 :

http://www.dailymotion.com/video/xdwpeq_laurent-terzieff-...

La voie lactée 3 :

http://www.dailymotion.com/video/xdwpce_laurent-terzieff-...

 

 

Deux vagabonds, Pierre et Jean, se rendent à Saint jacques de Compostelle, pensant se faire de l’argent. Le long du chemin, ils rencontrent une série de personnages qui incarnent chacun une hérésie de l’église catholique. La voie lactée est l’ancienne appellation du chemin de Saint-Jacques, un chemin plein de mystère, de doute et de tentation, car elle indiquait aux pèlerins de toute l'Europe la direction de l'Espagne. Le récit est à la fois mystique et surréaliste, faisant coexister différentes époques dans une même scène. Les deux marcheurs rencontrent ainsi un curé qui sort d'un asile psychiatrique et qui parle du mystère de l'eucharistie avec un gendarme, un maître d'hôtel qui donne des leçons de théologie à ses serveurs, un jésuite et un janséniste qui se battent en duel avec en arrière-plan les deux compères, un saucisson dans une main, le litre de rouge dans l'autre, un prêtre amateur de jambon, une prostituée qui veut un enfant des vagabonds...

 

La religion est au centre du débat du film, mais l’on ne sait pas s’il est en faveur ou contre celle-ci. Il semble qu’il s’agit plutôt d’un débat sur le fanatisme qui montre que les hérétiques restent toujours attachés à leur vérité, quitte à mourir pour elle.

Dieu est mort, et sa mort fait peur à l’homme. Peut-être est le véritable thème du film où le blasphème se mêle à la quête de l’absolu, reflétant l’état d’esprit actuel. Le monde moderne ne veut plus croire en Dieu, mais il a besoin de mysticisme et de sacré. Ce mysticisme, il le cherche dans la farce du sacrilège, mais aussi dans la connaissance de soi par l’autodiscipline et la contemplation. Buñuel montre comment l’idée de Dieu a perdu de sa transcendance surnaturelle et épouse peu à peu les besoins et les aspirations immédiates. Dieu est plus humain et moins divin et l’homme s’essaye maladroitement à la divinité.

Dieu, peut-être est-ce cet enfant au bord de la route qui fait monter les deux vagabonds dans une somptueuse voiture et qui porte les stigmates du Christ ?

 

 

10/06/2011

La ballade de l’impossible, Un film de Anh Hung Tran, d’après le roman de Haruki Murakami

 

Présentation du film :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19203568&cfilm=147468.html

Sur le livre de Murakami :

http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2011/05/04/629-la-ballade-de-l-impossible-d-haruki-murakami

Le Monde cinéma :

http://www.lemonde.fr/cinema/article/2011/05/03/la-ballade-de-l-impossible-pas-de-deux-sur-fond-de-musique-triste_1515931_3476.html

 

Un décor des années 60 assez subtil : rideaux géométriques orange, couloirs jaunes aux plinthes peintes en brun, pantalons en tissu écossais pour les garçons et socquettes pour les filles. Mais une campagne grandiose, faite de côtes rocheuses, de forêts luxuriantes et de collines escarpées et enneigées, c’est-à-dire un décor d’éternité qui tranche avec les décors d’intérieur. Un monde estudiantin dans un foyer de garçons dont les chambres exhalent "une odeur écœurante aigre, faite de sueur, de crasse et d'ordre", avec ses locataires si variés : un maniaque de la propreté, adepte de la gymnastique matinale, un futur diplomate rationnel et égoïste, qui fait découvrir  au héros du film le plaisir des femmes, des lectures, des disques et surtout des rencontres amicales et amoureuses. Mais c’est aussi un garçon qui a sa propre philosophie. A la supposition de Watanabe sur le fait qu’il n’ait pas d’idéal, il répond : « Bien sur que non. Dans la vie, on n’a pas besoin de ce genre de choses. Il faut un modèle de conduite et non un idéal ».cinéma, film,

Le jeu de la caméra est assez remarquable : cadrage ordinaire pour les faits sans intérêt tels que déplacements dans les couloirs ou dans la ville en proie à l’agitation estudiantine de ces années. Mais ce sont surtout les visages qui intéressent Anh Hung Tran. Plus l’intensité émotionnelle est grande, plus ils sont pris de près et même de très près, parfois avec des contre-jours, d’autres fois sans, parfois très éclairés, d’autres fois en noir et blanc. Et le jeu de ces visages renforce, sans qu’il y ait besoin d’explication, l’instantané dramatique qui peut traduire la peine, l’amour, l’incompréhension.

L’histoire elle-même est celle d’étudiants des années 60 à l’université de Tokyo, et plus particulièrement celle de Watanabe, un garçon de dix-neuf ans qui expérimente la vie amoureuse. Son meilleur ami, Kizuki s’est suicidé et il rencontre Naoko, sa petite amie. Ils se retrouvent chaque dimanche et le jour de l’anniversaire de Naoko, ils vont au bout de leur quête amoureuse. A la question de Watanabe lui demandant si elle avait fait l’amour avec Kizuki, elle se ferme et se met à pleurer. Elle part et disparaît pour de longs mois. Peu de temps après, Watanabe fait la connaissance de Midori, une belle jeune fille. Lorsque Watanabe reçoit une lettre de Naoko, ses sentiments pour elle se réveillent et il va la voir dans une maison de repos où elle se trouve en compagnie d’une autre femme, un peu plus âgée et mariée. Ils passent ensemble des moments étonnants, fait de tendresse et d’incompréhension, de promenades dans la campagne et d’intimité dans la petite maison qu’elles occupent. Mais la blessure de Naoko est trop grande et, finalement, elle se suicide, comme Kizuki. C’est le drame pour Watanabe qui part en solitaire en bord de mer et pleure cet amour perdu. Revenu à Tokyo, il rencontre à nouveau Midori et cette fois c’est une rencontre partagée. Ils partent vivre dans une autre ville.

 

cinéma, film,

 

 

Les opinions vis-à-vis du film sont très partagées. On l’aime ou ne l’aime pas. Il est vrai qu’il est lent, certains diront long (plus de 2 heures), avec peu d’actions et ces actions sont noyées sous des émotions toujours en sous-entendues. On a l’impression d’être le spectateur impartial de ce qui se passe sans être invité à pénétrer à l’intérieur des personnages. Et pourtant, cette réserve très japonaise du tournage donne un sentiment d’intimité encore plus fort que l’on ne ressent qu’à la fin du film. L’avant-fin, juste après la mort de Naoko, est sans doute assez, voire trop dramatique, trop grandiloquente. Mais elle fait partie du film.

 

Le réalisateur explique que son film traite des amours de l’adolescence qui marquent chacun à vie : "Soudain, par surprise, on s’aperçoit trop tard qu’on n’a pas suffisamment vécu, suffisamment aimé, suffisamment souffert par amour. Trop tard. On n’aura vécu qu’une infime partie des aspirations de la jeunesse, cette époque des grandes affirmations, des certitudes proclamées les larmes aux yeux. Le temps du saut dans l’inconnu qu’est le sentiment amoureux est passé. Passées également, les grandes frayeurs éprouvées dans l’amour. Et une poignante mélancolie vous saisit, une mélancolie de l’existence telle que même un sentiment amoureux renouvelé ne pourrait qu’en accentuer l’intensité. Voilà ce qu’il y a de saisissant dans La ballade de l'impossible."

Derrière les événements du film, l’on peut distinguer trois grands types d’attitude. Celle de Nagasawa (le diplomate) et de Midori qui affrontent la vie avec conviction en se fixant une ligne de conduite, celle de ceux qui ne résistent pas à la vie et meurent d’incompréhension (Kizuki, Naoko et l’ex petite ami de Nagasawa). Enfin celle des indécis, dont Watanabe, pour qui les événements sont formateurs, mais qui flottent, ne savent que faire, que ressentir et qui échangent avec les autres de manière troublante, désaxé. Le film rend bien compte de cette atmosphère particulière.

"Nous savons tous que nous sommes "tordus" (...) La plupart des gens vivent sans être conscients de leur propre torsion. Mais c'est justement cette torsion qui est la condition préalable nécessaire pour vivre dans notre petit univers. Nous l'arborons comme un Indien les plumes qui signent son appartenance à la tribu."

 

  

29/05/2011

L’œil invisible, de Diego Lerman

 

« Fidèle à un cinéma argentin plus que jamais travaillé par l’asphyxie et l’enfermement, le quatrième film de Diego Lerman dissèque les pulsions d’une jeune surveillante de lycée paralysée entre feux libertaires et tentations autoritaristes, à l’aube de la guerre des Malouines. » (Laura Tuillier)

 

Bande annonce :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19209727&cfilm=180615.html

 

Buenos Aires, mars 1982, la dictature militaire est encore au pouvoir et modèle la société dans un contexte antisubversive. María Teresa est surveillante au Lycée National de Buenos Aires, qui forme les futures classes dirigeantes du pays. Elle a 23 ans, elle est timide, donc sèche et brusque avec les élèves, et se porte volontaire pour les espionner. Avec la protection de M. Biasutto, le surveillant en chef, qui décèle tout de suite en elle l’employée zélée, elle devient l’œil invisible des élèves, surveillant leurs conversations et leurs allers et venues jusque dans les toilettes des garçons où elle croit ou prétend que ceux-ci fument alors que c’est expressément interdit.

Contrairement à ce que disent beaucoup de commentateurs, le film ne tourne pas autour d’une critique de l’éducation que donne la dictature, ni sur la façon d’exploiter les faibles qui se laissent impressionner par les dirigeants. En réalité, c’est un film qui, au delà du cadre étroit dicté par les autorités, raconte l’irruption de l’amour sensuel dans la vie de cette jeune femme ou plutôt jeune fille, qui vient en contradiction avec les règles qui lui ont été inculqués. Plus ou moins amoureuse d’un garçon du lycée, elle rêve d’un amour sans pouvoir le rendre réel, et, dans le même temps, épie le comportement des garçons dans les toilettes du lycée. Comprenant progressivement l’attitude de Marita, Carlos ou M. Biasutto, le surveillant général, tente dans un premier temps de la conquérir. Puis, l’ayant surprise dans les toilettes des garçons, il décide de la violer, pensant qu’elle ne dira rien, tellement elle devrait être honteuse de s’être laissé surprendre. Ce qu’il fait dans les mêmes toilettes des garçons, quelques jours plus tard. Ecrasée de honte autant que de douleur, elle sort de son sac un coupe papier et le blesse ou le tue. Elle sort alors du lycée, seule, la tête haute, dans les bruits de la contestation du régime au dehors du lycée, sans que l’on sache ce qu’elle devient et quelles seront les conséquences de cet acte : le surveillant général a-t-il été tué, Marita a-t-elle été identifiée en tant qu’assassin ?

La beauté du film tient sans doute à cette ambigüité du thème entre la critique d’un système collectif et totalitaire et la sensualité individuelle d’une jeune femme qui est encore vierge au moment du viol. Le premier thème qui est celui des apparences de la vie, cache le second, mais, semble-t-il, c’est bien le second qui prime sur le premier pour le réalisateur. En effet, la mise en images est faite presqu’exclusivement sur Marita que l’on voit s’interroger, marcher dans les couloirs du lycée, être surveillante jusqu’au bout des ongles, puis quelques secondes plus tard, se laisser aller à un onirisme sensuel qui la conduira vers le dénouement. Son visage et son corps sont au centre du film, mais de façon voilée.

 

 

06/05/2011

Simon du désert, de luis Buñuel, 1964

 

Voir le film : 

http://video.google.com/videoplay?docid=8742143483092286611#

 

 

Simon, comme Saint Siméon, vit sur une colonne depuis six ans, six semaines et six jours. Il prie Dieu jour et nuit et encourage ses concitoyens à vivre une vie chrétienne. Ce jour-là lui est offerte une autre colonne, plus haute, dont la plateforme est protégée par un parapet de cordes.

 

simon2.jpg

 

Il repousse tout ce qui le rattache à la société : sa mère qui s’installe dans une cabane au pied de la colonne, l’ordination que les prêtres souhaitent lui donner. Mais il rend ses mains à un paysan voleur à qui on les avait coupé.

Il est l’objet d’attaque du diable sous la forme d’une femme à la cruche, puis d’une joueuse de cerceau qui lui montre son sein et l’embrasse avec sa langue pointue pour le transpercer de coups d’épingle.

Il ne se nourrit que de salade et d’eau. Mais un des prêtres, Trifon, cache dans la besace de Simon du pain, du fromage et du vin et l’accuse se manger mieux que quiconque. Simon prie alors et Trifon se roule par terre en convulsion jusqu’à ce que sa victime l’exorcise. Alors Simon décide de vivre en équilibre sur un pied pour faire pénitence.

Huit ans, huit mois et huit jours. C’est maintenant un Jésus féminin, avec une fausse barbe et portant un agneau qui vient le tenter. Puis un cercueil, qui se déplace seul sur le sable et qui enferme une jeune femme, parvient au pied de sa colonne et Simon descend et part en avion à New York. On le retrouve dans une boite de nuit, vêtu d’un pull over, la barbe fraiche, fumant pensivement la pipe, regardant des couples qui dansent une « chair radioactive » (titre de la danse). Il cherche à repartir, mais le diable lui dit : « Il n’y a rien d’autre, tu dois rester ici ».

 

Simon 1.jpg

 

Film singulier, déroutant et difficile à saisir dans sa réalité. Simon est un authentique styliste qui cherche le salut par la pénitence et la prière. Mais il est entier et n’accepte pas la vie quotidienne. Seul le miraculeux le fait vivre. Il refuse tout au nom de la transcendance. Ainsi il refuse de bénir la chèvre du nain qui doit mettre bas. Il fait exclure du monastère Mathias, jeune frère coquet qui ne porte pas la barbe. Et, à la fin du film, qui est bref (45mn), il se retrouve dans la ville où le bien et le mal se confondent. « Il n’y a rien d’autre ». Est-ce à dire que la transcendance n’existe pas ou qu’elle n’est pas accessible, y compris à ceux qui croient en être digne ?

Il semble que, pour Buñuel, l’immanence soit la seule spiritualité, représentée par le nain et sa chèvre, l’ascèse n’étant qu’une fuite devant le monde que l’on refuse.