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30/06/2016

La tromperie par les mots dans l'art contemporain

L’art contemporain  est un art de conteurs (mais le terme est trop soft !). Il n’est séduisant que par les mots qui l’entourent, le couvrant d’un miel d’autant plus attrayant qu’il est incompréhensible. Prenons quelques exemples, tirés du livre Art Now, 81 Artistes au commencement du 21ème siècle, Taschen 2005.pictoème,poème,dessin,peinture,interrogation

Notons d’abord que le nombrilisme est général. Tout tourne autour de l’Artiste (oui, avec un grand A). Un exemple : la présentation de Tracey Emin, artiste anglaise, à qui l’on a donné le prix Turner en 1999 pour My Bed, c’est-à-dire « un lit défait, malodorant suite à une semaine d’alitement, y compris tous les objets utilisés pendant la maladie – livres, bouteilles, mégots, préservatifs, mouchoirs (…) Emin dépeint des prises de position  sur sa propre personne : ses relations, sa vie, son corps et ses sentiments  sont mis à nu de manière si ouverte et si choquante que le public n’en ressent souvent  que gêne, honte, rage ou tristesse. » De plus, ces explications s’accompagnent de mots sans signification réelle tels ceux de la fin de l’article sur cette « artiste » : « Elle croît cependant à une dimension puissante dans l’art, qui vomit tout arbitraire profane. »

Autre mot de la fin, celui qui concerne Damien Hirst (voir  la page du 10/03/2012 sur ce blog) : « L’existentialisme de Hirst s’adresse à tout le monde, s’exprimant avec un humour d’écolier et un sens de l’absurde surréaliste ».

Enfin le maître-mot reste celui qui concerne Jeff Koons : « Koons est toujours resté un grand moraliste dont le but déclaré a été de démocratiser l’art  par l’intelligibilité universelle et la popularité de ses objets ».

Quels magnifiques leurres qui, comme le miroir aux alouettes, attirent le gogo par le verbiage qui ne signifie rien. Mais les mots ont toujours eu du pouvoir sur les faibles !

29/06/2016

L’offrande musicale, à quatre mains, par l’ensemble Multipiano

https://www.youtube.com/watch?v=q1LMxc7WZaM


 

Ricercare à six voix : Harmonie et contrepoint, dans une étonnante concordance qui paraît d’une simplicité trompeuse.

L’introduction des voix est particulièrement admirable de plénitude et de fermeté, telle une armée avançant sur la glace, sachant qu’elle peut à tout instant s’effondrer au fond de l’eau. Plus elle avance, plus elle prend de l’assurance, dévoilant sa puissance progressivement, avec douceur, mais inexorablement. 

Peu à peu, elle s’engage dans une course, toujours en ordre, qui s'accélère, jusqu’à la conclusion qui tombe posément, laissant une impression heureuse qui contraint à réécouter le morceau.

28/06/2016

Haïku (en contre saison)

 

Nuit sans lune

Elle va, sur la neige, vierge

Devant l’infini

 

©  Loup Francart

 

27/06/2016

Le nombre manquant (27)

Un vieil homme prit la parole. Il semblait fatigué, mais restait très organisé dans sa tête, l’œil brillant et malicieux.

– Je souhaite tout d’abord rappeler que l’infini ne peut exister que parce que le fini s’est manifesté et existe. Celui-ci est notre réalité et est dénombrable. Ce qui est plus surprenant, c’est que l’homme ait inventé le zéro avant la notion d’infini. Je rappelle que tous les systèmes de numération commencent au un : une existence est au moins une et constitue une unité. Les autres nombres sont composés d’unités. D’ailleurs, pour les Grecs, le un n’était pas un nombre, mais ce par quoi le nombre est. Euclide énonce qu’un nombre est la multitude composée d’unités. C’est pour cette raison que le zéro n’est apparu que beaucoup plus tard. Le nombre étant fait d’unités, on ne pouvait concevoir le calcul qu’à partir de l’existant et non de l’inexistant. Le zéro n’a d’abord été qu’un signe permettant une notation de chiffres élevés ; puis il est devenu un chiffre, puis, enfin, un nombre, le nombre nul qui est le résultat de la soustraction d’un entier d’avec lui-même.

– Avant de poursuivre l’histoire des nombres, je souhaiterai intervenir, dit un petit homme presque chauve avec de petites lunettes rondes, faisant penser au visage de Gandhi, mais vêtu d’un complet du dernier chic. Notre président a parlé de l’infinitude et non de l’infini, c’est-à-dire de qualitatif plutôt que de quantitatif. Il me semble que nous sommes là, avec les systèmes de numération, exclusivement dans le quantitatif.

– Mais mon cher, êtes-vous capable de savoir quand vous passez de l’un à l’autre et comment ? Y a-t-il un langage spécifique à la qualité qui s’oppose à la quantité ?

C’était une femme dans la cinquantaine qui avait parlé, un peu agacée par cette intervention qui n’apportait rien de constructif. Elle semblait convaincue qu’il était nécessaire d’aborder le problème du rien pour comprendre celui du tout et au-delà.

Claire, au cours de cette diversion, se dit que tout ce qui était évoqué ici ressemblait quelque peu à ce que leur groupe avait lui-même examiné. S’agissait-il d’un groupe qui pourrait constituer soit un atout, soit une concurrence, soit même, éventuellement, un adversaire ? Le petit homme chauve reprit la parole :

– Je reconnais qu’il y a là matière à ne pas trop s’étendre. Cependant, le zéro est également un chiffre qui fait passer du positif au négatif. Et l’on peut, pourquoi pas, imaginer un infini positif se résumant au toujours plus grand, à un infini négatif, toujours plus petit. On pourrait alors penser que cela conduit au zéro. Eh bien, non !

Le vieil homme qui avait résumé l’histoire de l’unité et de la multiplicité, ajouta :

– c’est bien ce que je voulais souligner. Le zéro n’est pas un simple signe de nullité ou d’inexistence. Il a une magie propre qui permet d’aller au-delà de la simple numération et de passer aux fractions et à l’algèbre. Quant à l’infini, Aristote explique que l’infini n’est lié qu’à la quantité, qu'il doit être défini, s’il existe, et qu’enfin il ne peut être appréhendé comme une totalité, donc il lui est impossible d’exister en acte. Il n’existe qu’en puissance.

– Oui, l’infini pourrait se définir comme un lieu qui s’éloigne dès que l’on s’en approche. Il ne peut exister comme une chose bien définie. S’il était en acte, comme c’est également un nombre, il serait à la fois pair et impair, divisible et indivisible.

– Ce raisonnement semble vrai, mais Richard Dedekind et Georg Cantor, deux mathématiciens allemands, ont démontré l’existence d’un infini en acte. Ne me demandez pas comment, j’en serai incapable. Mais ce qui est sûr, c’est que personne ne conteste cette découverte. Cantor alla jusqu’à même prétendre qu’il existe une infinité d’infinis et il invente les nombres transfinis disant par-là que la numéricité est une condition nécessaire de l’infinité.

Claire buvait ces paroles. Elle se sentait en étroite liaison avec cet homme qui expliquait de manière simple ces concepts déconcertants. Lorsqu’il termina, elle faillit applaudir, mais, grâce au ciel, elle se rappela pourquoi elle était là et reprit son travail de secrétaire, une secrétaire particulièrement attentive à ce qui se disait. Elle commença à se demander ce qu’elle devait faire, parler au maître de leurs propres recherches ou ne rien dire quitte à laisser s’échapper une coopération possible. Elle décida finalement de m’en parler.

La soirée se poursuivit dans la même facture, questions et réponses se succédèrent. On parla de la numération de position et de l’emploi du zéro, de la numération binaire, du 60, nombre très divisible. On parla peu cependant de l’infini que l’on opposa au zéro. Le sujet de la réunion tel que l’avait annoncé le professeur ne fut que très, très partiellement traité. Comme l’avait dit l’homme qui ressemblait à Gandhi, on s’intéressa plus au quantitatif qu’au qualitatif. Visiblement, le groupe réuni ici n’était pas plus avancé que le nôtre sur ce sujet. Au retour, le maître s’endormit dans la voiture, laissant Claire à ses interrogations.

Elle me fit part le lendemain ce cette soirée et me demanda ce que nous devions ou pouvions faire : nous dévoiler ou ne rien dire et attendre ? Nous savions ce que le professeur faisait, mais nous ne savions pas pourquoi. Lui, par contre, ne savait pas que nous savions. Au cours de la réunion, il n’avait pas parlé de notre existence. Il semblait ignorer tout rapport entre ce que nous avions mis dans notre base de données et la présence de Claire auprès de lui. Devions-nous en discuter avec nos deux collègues à Paris ? Probablement. Mais qu’avions-nous à dire sur les intentions du professeur ? Claire  transcrit ses notes dans un rapport de plusieurs pages qu’elle remit le lendemain au professeur. Celui-ci la remercia sommairement, semblant y attacher peu d’importance. Il lui demanda d’en faire des photocopies et donna les adresses de chaque participant pour qu’elle leur envoie. Il semblait lui faire entièrement confiance. Ces adresses furent envoyées à nos deux comparses restés à Paris en leur demandant de se renseigner sur leurs propriétaires.

26/06/2016

Le nombre manquant (26)

Ils durent s’organiser. Ils décidèrent qu’une surveillance était maintenant plus utile à la villa qu’à la bibliothèque du Vatican. Claire se présenta à une annonce recrutant une secrétaire. Elle fut embauchée et eut la chance de se retrouver dans l’équipe du professeur Mariani qui n’était autre que le vieillard entrevu à Paris, puis à Rome. Que faisait-il ? Il fallait le découvrir derrière ses occupations courantes et connues. Apparemment, il était en charge des pensionnaires et de l’étude des religions. On peut légitimement se demander ce que l’étude des religions avait à faire avec la villa Médicis, mais c’était ainsi et cela ne gênait personne. Très vite, Claire fut vite au fait des activités du professeur Mariani : matinée consacrée à l’administration de pensionnaires, après-midi plus vague, voire très vague, passée en promenades, visites, réflexions, enseignement. Huit jours plus tard, rien ne transparaissait d’autres types d’activités. Claire se lassait de jouer la secrétaire de direction, gérant les horaires et les rendez-vous. Je me promenais dans Rome sans toutefois pouvoir en apprécier véritablement le charme, étant préoccupé par ce qui nous avait amené là. Je suis même retourné à la bibliothèque du Vatican pour trouver de nouveaux indices ou compléments à notre recherche.

Un soir Claire ne rentra pas à son heure habituelle. Je me dis qu’elle avait dû faire quelque course et qu’elle allait surgir d’un moment à l’autre. Mais les heures passèrent, huit heures, dix heures, minuit, toujours rien. Je m’inquiétais, puis finis par m’endormir dans un fauteuil. A trois heures, elle arriva et me réveilla, excité. Elle avait enfin percé le secret du professeur Mariani. Il avait bien une double vie, enfin, presque. En fin d’après-midi, au moment de partir, Mariani demanda à Claire si elle pouvait rester, car il avait une mission à lui confier : pouvait-elle l’accompagner à une réunion où il lui faudrait prendre des notes et en faire un condensé à lui remettre le lendemain. Notre amie n’eut aucune peine à acquiescer à cette demande. Le professeur semblait satisfait de sa bonne volonté et ils partirent en voiture vers le quartier de Trastevere. Malheureusement, Claire ne connaissait pas suffisamment Rome pour pouvoir retrouver la maison devant laquelle ils s’arrêtèrent. Ils descendirent quelques marches et sonnèrent à une porte cochère. Une jeune fille vint leur ouvrir et, sans un mot, ils la suivirent, traversant un jardin assez sobre, puis pénétrèrent dans une maison. Ils descendirent un escalier assez raide et se retrouvèrent dans une sorte de loggia donnant sur le Tibre. Une dizaine de personnes étaient là, semblant les attendre. Chacune d’entre elles saluèrent le professeur en l’appelant maître. Celui-ci expliqua la présence de Claire, ce qui parut tranquilliser certains. Ils s’installèrent autour d’une table, Claire assise à la gauche du maître. Elle sortit son ordinateur et annonça qu’elle était prête à transcrire ce qui se dirait.

– Mesdames, Messieurs, commença le professeur Mariani, vous connaissez les règles de notre confrérie : ne parler qu’exclusivement du sujet que nous traitons. Aujourd’hui nous allons parler d’un fait singulier : l’infinitude de la création. Avant de vous céder la parole, je souhaite simplement expliciter ce titre de façon à éviter toute incompréhension. Vous savez comme moi que l’infinitude est la qualité de ce qui est infini. Elle se rapporte au qualitatif plutôt qu’au quantitatif. La création serait donc infinie et non un phénomène fini comme on l'a longtemps cru. Cependant, en allant plus loin, parle-t-on d’infini spatial, d’infini temporel ou d’infini conceptuel, voire même d’infini spirituel. Cela mérite une discussion que je vous prie de commencer.

– Merci, monsieur le Président, dit un des messieurs assis à la table. Cette introduction n’est pas négligeable et nous nous efforcerons de rester cadrés dans le sujet que vous nous avez aimablement décrit. J’ai bien noté la différenciation que vous faites des différentes compréhensions que l’on peut avoir de l’infini. On peut s’interroger sur l’infini spatial. Est-il semblable à l’infini temporel. L’un peut-il exister sans l’autre ? Probablement pas d’après Einstein, le cadre espace-temps étant indissociable. Mais j’accepte volontiers les différences entre les infinis matériel (Einstein entendait également la matière dans son continuum), conceptuel et l’infini spirituel.

Claire observait cet homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants, un beau port de tête et un costume savamment repassé, apparemment riche, mais sympathique. Elle observa également les autres comparses autour de la table. Chacun semblait avoir des qualités et des manques différents. Une seule jeune femme se tenait légèrement sur sa droite, l’œil vif, la chevelure coiffée un peu à la garçonne, mais néanmoins sage. Elle sembla vouloir dire quelque chose, mais se retint.

25/06/2016

Concerto for 3 Pianos K.242 (Mozart), par l'ensemble MultiPiano

https://www.youtube.com/watch?v=eZBTVismQBk


La musique, une fois encore, enchante nos oreilles. Ne rien en dire, écouter !

Une remarque cependant :

Un orchestre, petit certes, d’un côté, trois pianistes de l’autre, un chef qui ne s’intéresse qu’à son orchestre. Les uns et les autres éparpillés dans l’espace sonore, chacun cherchant à faire entendre sa mélodie, celle des cordes caressées contre celle des cordes frappées.

Et pourtant, on arrive à une unité réelle, à laquelle il manque juste un peu d’âme.

 

 

24/06/2016

Sur les boulevards en 1928

https://www.youtube.com/embed/blw8zJt-Sc0

Étonnant ce retour en arrière où, finalement, beaucoup de choses sont déjà semblables à ce que nous connaissons : l'agitation de Paris, l'élégance des cafés, les parisiennes très à l'aise qui ne semblent pas avoir besoin d'une libération. Bref un Paris que nous connaissons et que nous regardons avec malgré tout un peu de nostalgie (mais nous n'étions pas nés), car il a cependant évolué.

Deux choses, et deux seulement, se remarquent tout de suite : Les chevaux et les chapeaux. C'était un autre temps !

 

23/06/2016

Le poète

Le poète n’a pas peur de la mort
Il est plus vivant que les vivants
Il est entré en osmose avec le monde
Celui des faits, des idées, des espoirs
Il compile ses impressions à sa façon :
Une petite boule entre deux doigts
Qui contient tout son être et plus
Elle brille de mille feux sans brûler
Elle réchauffe les cœurs purs
Elle ouvre à l’autre lieu, celui
De l’inconnaissance et de la joie

Le poète décrit un présent éternel
Propre à chacun selon son étonnement
Il y contemple la splendeur de son éternité
L’expression de sa personne réelle et vivante
Ce présent est son seul trésor
Car chaque être est unique pour l’éternité

Ainsi, chaque poète a sa vision poétique
Aucun n’entre en poésie, il est dedans !
La poésie, c’est le monde vu de l’intérieur
Derrière la peau de la sensibilité
Aux poils hérissés par les aléas de la vie


Le poète crée de l’être, donc de la vie
Il poétise le monde en se poétisant lui-même
Il crée le monde naturellement et quotidiennement
Et cette création lui permet d’être
Unique et conscient de sa valeur d’homme
Comme l’ivrogne au bord du chemin
Le sol vire à 90 degrés. Quel tournis !


Alors les mots sortent seuls du chapeau
Et montent fermes dans l’espace céleste
Et là, rien ne peut plus l’atteindre
Si ce n’est le vide cosmique de la poésie

©  Loup Francart

22/06/2016

Ave maria, par le groupe Dei Amoris Cantores

https://www.youtube.com/watch?v=x_5lddGFYwE


 

Découverte d’un blog de chant religieux qui nous sort des chants éternellement ennuyeux et peu spirituels que nous entendons un peu partout en France.

Voici son adresse : http://blog.deiamoriscantores.com

Dans la forme classique du chœur a capella, à quatre voix, la mélodie est accompagnée par une harmonie héritée du XIX° siècle et en-deçà.

Bravo à cet ensemble de jeunes. Ils ont retrouvé l’esprit de la musique religieuse et ils tentent de la transmettre à ceux qui ont soif d’authenticité.

21/06/2016

Le nombre manquant (25)

Le lendemain, j’étais dans l’avion pour Rome à côté de Claire et nous nous demandions ce que nous allions découvrir. C’était assez exaltant, mais également un peu angoissant. Nous trouvâmes un petit hôtel pas trop loin du Vatican, passâmes une bonne nuit et nous présentâmes dès neuf heures à la bibliothèque. Nous nous inscrivîmes auprès de la secrétaire en précisant, dans la rubrique objet d’étude, des recherches concernant les mathématiques et la cosmologie. Elle nous décrivit l’organisation de la bibliothèque et l’emploi de la base de données, nous remercia de nos inscriptions et nous laissa seuls. Faisant semblant de chercher un livre spécifique, nous nous trouvâmes bientôt devant l’ordinateur, sans toutefois lui prodiguer un intérêt excessif. Nous nous installâmes à une table voisine, pourvu de livres que nous faisions semblant d’étudier et qui suscitait de notre part de nombreuses notes écrites. La journée passa. Deux ou trois habitués vinrent se servir de l’ordinateur, mais juste quelques secondes, pour chercher une référence. La bibliothèque ferma sans que nous ayons vu le vieil homme. Durant la nuit, comme j’avais du mal à dormir, je pensais à tous ces événements et remarquai tout à coup que les interventions du pirate suivaient la mise en base de données de nouveaux documents. Mais oui, c’était bien cela ! Tant qu’on ne change pas nos données, il ne se passe rien, ce qui est compréhensible. Et les corrections n’ont bien sûr lieu que sur les nouvelles données. J’en parlai au petit déjeuner avec Claire qui acquiesça. Elle me dit que justement elle avait un texte à enregistrer. Elle l’envoya aussitôt et nous partîmes pour la bibliothèque. Je commençai la première permanence, Claire devait me rejoindre trois heures plus tard. Dix minutes avant son arrivée le vieil homme apparut. Il semblait fatigué, mais la tête toujours rayonnante. On voyait que le cerveau fonctionnait sans difficulté et qu’il savait ce qu’il faisait. Claire arriva à ce moment-là. Discrètement, je lui fis un signe des yeux qu’elle comprit immédiatement. Elle s’installa à la table en face moi et l’observa sans mot dire. Il sortit de sa poche de veste un papier et commença à taper ce qui semblait un code, car il allait sans cesse du texte au clavier, vérifiant la justesse de sa frappe. Il appuya sur entrée (enfin nous l’avons supposé !) et attendit quelques secondes avant de taper un court texte. Il prit soin de fermer patiemment  les portes de la base de données, puis remis l’ordinateur dans sa configuration d’attente. Nous avions convenu avec Claire de ne pas l’interpeler, mais de le suivre de façon à connaître son environnement. Nous profitâmes de notre présence simultanée pour nous distribuer les rôles de la filature. Claire le suivit jusqu’au moment où il se retourna. Je pris alors le relais laissant Claire disparaître dans la foule. Nous passâmes devant le château saint Ange, puis traversâmes le Tibre pour nous diriger vers la villa Médicis. Là, en jetant un dernier coup d’œil dehors, il entra. Claire me rejoint discrètement.

– Comment se fait-il qu’il entre dans l’académie de France ? me demande-t-elle.

– Il va falloir le découvrir, lui répondis-je.

20/06/2016

Le nombre manquant (24)

– Ça y est ! On va bientôt savoir qui c’est ! J’avais tendu un piège en intégrant vos derniers documents sur notre base de données. Eh bien, il a changé un nouveau mot. Zéro est bien toujours modifié et dénommé Orez, mais vous aviez évoqué l’antizéro. Il n’est pas appelé anti-orez.

– Dis-moi tout de suite comment il l’appelle.

– Eh bien, il ne l’appelle pas. Il le remplace par un zéro barré avec une barre horizontale au milieu, signe que l’ordinateur peut reproduire en tapant le zéro, puis en le barrant. Pour l’instant ce signe, ou peut-être pourrait-on dire ce chiffre, n’a pas de nom.

– et tu me dis que nous allons savoir de qui il s’agit ?

– Oui, bien sûr. Il y a une caméra installé dans la bibliothèque qui filme ceux qui utilisent l’ordinateur. Il suffit que Claire appelle son cousin et nous aurons le film, donc la tête et même plus de celui qui s’en est servi. Demande à Claire quand elle pourrait avoir la bande.

– D’ici une demi-journée maximum, répondit Claire. Il va nous être envoyé par Internet et nous pourrons la visualiser sans difficulté.

– Alors, c’est parti !

Ce ne fut que le lendemain matin que Claire reçut la bande. Elle eut le courage d’attendre que tous soient là pour ouvrir le paquet. Ce n’était qu’une petite clé USB qu’elle introduisit dans son ordinateur. Tous étaient les yeux rivés sur l’écran, sans mot dire, presque haletants. On voyait clairement l’ordinateur, la caméra était placé au trois-quarts avant et permettait de bien visualiser toute personne l’utilisant. On vit un petit vieillard s’avancer, s’installer tant bien que mal en face de l’ordinateur, et taper. Dès qu’il commença, ce fut magique. On le voyait réfléchir et taper, taper, taper, c’est-à-dire dicter ces ordres à la machine avec une célérité époustouflante. Il savait ce qu’il faisait et il le faisait bien. Mais ce n’était qu’un petit vieillard aux poils blancs, noueux, les sourcils broussailleux, une moustache fourni, les lunettes sur le nez. L’œil vif cependant, éclairé d’une lueur subtile, comme enfiévré. Un contraste saisissant entre le personnage et la personne. Quand il eut fini, il ramassa ses papiers, jeta un dernier coup d’œil à ses instructions, les envoya d’un clic, puis ferma l’ordinateur, redevenant le personnage falot qu’il semblait être. Rien ne l’avait distrait et il repartait maintenant le nez au vent, comme un vieillard inculte et dépassé.

– Mais qui donc est ce bonhomme ? s’exclama Mathias.

– Oui, c’est un drôle de personnage, constata Vincent.

– Malheureusement, cela ne nous apprend pas grand-chose, ajoutais-je. Qui est-il ? Pourquoi vient-il sur cet ordinateur ? Que cherche-t-il ? Aucune réponse à ces questions.

Enfin Claire réagit :

– Comment ? Vous avez exactement ce que vous avez demandé, l’image de celui qui modifie notre base de données et cela ne vous suffit pas. Vous ne pouvez tout avoir d’un coup. Votre patience est limitée. Prenons le temps, d’abord de réfléchir, puis d’agir.

– Réfléchir, oui, mais à quoi ? Qu’un vieillard anonyme se serve de cet ordinateur ne nous apprend rien, malheureusement.

– Vous voulez sans doute disposer d’une fiche de police qui vous dise son origine, ce qu’il fait, pourquoi il ne fait, quelles conséquences cela va avoir, etc. Il faut nous mettre en piste et tenter de récupérer ces informations à partir de ce que nous connaissons. Ce qui signifie dans un premier temps que l’un d’entre nous, ou deux, aille voir sur place et suive cet homme.

19/06/2016

L'espace

Il commence par un point, mais s’étale bien vite
Comme une tache d’huile sur le carrelage du destin
Il est plat comme une crêpe, et pourtant
Il a de la profondeur à l’image d’une serrure
Dans laquelle la clé des voyages s’épanouit
Mais comme il est long de marcher sur son ère
Fatigue… Cors aux pieds… Ne plus y penser…

Mais il y a d’autres espaces, plus souples
Tel le cyberespace, une invention du diable
On ne sait jamais où il est ni où il va
Noyé dans les enroulements des espaces de Calabi-Yau
Il surgit à l’improviste et disparaît aussi vite
Personne ne croît à son existence, et pourtant,
Il ne cesse de vous enlacer et de vous charmer

L’espace conceptuel est une construction de l’esprit
Qui s’écroule à chaque nouvelle découverte
Et repart dans un nouveau cycle chaotique
Nombreux sont ceux qui y pénètrent
Et tentent des jeux d’esprit et de pouvoir
Avant de sombrer dans l’anonymat

La noosphère est un espace qui se construit
Avec l’avancée du temps dans l’espace physique
Bien qu’il n’ait rien de solide et ne contient
Que les étincelles fulgurantes des plus grands
Elle entoure d’une aura discrète, mais réelle
La planète des créateurs et travailleurs
C’est un musée où l’on peut glaner
Et ressortir avec une idée de génie

Seul l’espace spirituel s’ouvre à l’entreprenant
Qui, un jour, a ouvert son troisième œil
Et qui regarde, étonné, cet espace vide
Au goût de miel et d’éternité


Cet espace dont l’accès est lié au temps
Est le seul qui n'y est plus sensible

©  Loup Francart

18/06/2016

L'amour conjugal

L’amour conjugal est un rêve délicatement entretenu qui toujours ramène à la première rencontre et au premier baiser. C'est cet instant ineffable pour celui ou celle tenant dans ses bras celui ou celle qui est sa vie, qui devient la seule image à laquelle tout se rattache.

Alors, toujours, l’amant ou l’amante contemple le monde avec les yeux de l’amour et sublime la réalité. Ils ont atteint l’ultime vérité du mariage et la vie les comblera quoi qu'il arrive.

Cet amour est au-delà de l'entente amicale, il est en deçà de l'amour passion, il est la vaste plaine où l'on marche sans jamais se lasser, contemplant l'horizon et n'en voyant jamais le bout. Et cette marche enchante à tel point qu'elle devient danse, la danse de l'entente éternelle.

17/06/2016

Malade

Oui, toujours...

Quelle délivrance : rien à faire

la liberté... gratuite

 

16/06/2016

Malade

Malade,

Et pas seulement de la tête...

Départ vers le néant !

J'espère revenir demain.

 

15/06/2016

Le nombre manquant (23)

Au retour de Claire, nous reprîmes nos travaux de recherche et de réflexion là où nous les avions laissés.

 – On peut se poser une autre question, m’annonça-elle. Le zéro signifie rien. Dans le monde matériel, rien signifie absence de matière. Or, et c’est l’’expérience qui nous le prouve, dans le monde matériel, il y a toujours de la matière. Seul le monde de la pensée est immatériel et donc n’en contient pas. On peut donc en conclure que le zéro n’est qu’une illusion de la pensée. Cela me rappelle les dessins inventés par l’artiste suédois Oscar Reutersvärd qui a découvert en 1934 l’impossible construction à trois chevrons et qui a ensuite multiplié cette forme d’illusion en augmentant ou en diminuant le nombre de chevrons.

– Oui, je crois que la Suède lui a consacré de nombreux timbres qui reprenaient cette découverte.

–  C’est vrai. Mais, cette amusante illusion fut redécouverte de manière mathématique par Roger Penrose qui en publie le dessin dans le British Journal of Psychology en 19581. Dénommée Triangle de Penrose, il ne peut exister que sous la forme d’un dessin en deux dimensions. Il représente un objet solide, fait de trois poutres carrées s’entrecroisant. Il a étendu l’idée à d’autres polygones, le carré, le pentagone, l’hexagone, mais l’effet d’optique n’est pas aussi frappant. Un autre peintre, ou plutôt un graveur, Maurits Cornelis Escher, a ensuite, de manière très original, exploité ces découvertes.

–  J’ai vu une exposition de ses œuvres, remarquais-je. C’était extraordinaire. Je me souviens d’une gravure de 1961 dénommé La cascade où l’eau coule et remonte la pente pour à nouveau retomber de manière si vraisemblable qu’il faut y regarder à deux fois pour comprendre qu’il ne s’agit que d’une illusion.

–  Eh bien, ne peut-on pas penser que le zéro est également une illusion de la pensée qui n’a rien à voir avec le monde matériel ? Il n’existe pas et n’est que la frontière entre la matière et l’antimatière. Le zéro n’existe que dans la pensée et est certes un bel objet conceptuel, mais l’avez-vous vu dans la nature ?

–  C’est vrai, mais n’oublie pas qu’il est également le point qui permet de passer des nombres positifs aux nombres négatifs et que tout cela est parfaitement logique et démontré.

–  Oui, c’est vrai, mais ce passage est-il illusion ou réalité ? Cela me rappelle le paradoxe d'Achille et de la tortue, formulé par Zénon d'Élée. Achille ne peut rattraper la quelle que soit sa vitesse, car, chaque fois qu'Achille passe par le point où se trouvait la tortue, celle-ci, pendant ce temps, progresse.

–  Et cependant il la double…

–  Oui. Nos sens nous trompent et faussent notre raisonnement. Voilà à quoi sert la pensée : à rétablir la vérité. Le monde matériel n’est compréhensible que grâce au monde de la pensée.

–  Alors peut-on dire, lui demandais-je, que Dieu ne serait qu’une illusion créée non plus par une vision d’un agencement matériel particulier, mais, inversement, par une illusion conceptuelle qui ne peut exister.

–  On pourrait le croire et c’est la tendance de nombreux savants qui ne croient que ce qu’ils constatent matériellement. C’est le fameux mot de Staline : « Le pape ! Combien de divisions ? » Enfin, presque !

–  Pas tout à fait, mais peu importe. Alors que faites-vous des situations miraculeuses et interventions divines constatées de par le monde, quel que soit les lieux et les opinions ?

–  Personne n’a jamais pu prouver que celle-ci étaient vraies. Disons qu’elles sont pour l’instant inexplicables. Mais viendra un jour où l’on saura les expliquer de manière logique et scientifique. C’est tout au moins ce que croient beaucoup de septiques rationnels. Il faut cependant creuser plus avant dans ces domaines qui semblent malgré tout prometteurs parce que n’ayant jamais été exploités de manière sérieuse en raison d’un a priori scientifique qui doit maintenant être dépassé.

–  Oui, cela me rappelle les expériences de Near Death Expérience dénombrées par quelques scientifiques, suite aux travaux de Raymond Moody et d’Elisabeth Kübler-Ross, tous deux américains et thanatologues. Elles commencent à être prises au sérieux, alors que les risées fusaient dès que quelqu’un osait évoquer une quelconque possibilité de réalité sur ce que racontaient bon nombre de patients.

Mais nous fûmes interrompus par mon téléphone portable. C’était Vincent.

14/06/2016

Le temps

De sa naissance à sa fin, il prend la ligne droite
Rien ne le fera revenir en arrière, même pas Dieu
Pourtant, est-il plus élastique que la volonté
Il s’étire dans les nuits en un fil ténu
Il s’enroule en boule dans le nœud de la gorge
Quand l’angoisse monte dans le cœur
Il ne connaît qu’un seul but : devant toi !
Que tu marches serein ou que tu cours, échevelé
Que tu regardes à tes pieds ou à l’horizon
Tu ne vois qu’un point blanc ou noir
Selon le jour, ton humeur et ton âge
Il t’ouvre les portes du succès, modeste
Ou il clôt des tentatives malheureuses
Dans les jeunes années, le fil est monotone
Il se dévide avec lenteur, sans motivation
Hormis les sensations et les émotions
Progressivement il éprouve des sentiments
Et fait monter en toi des larmes amères
Jusqu’à ce qu’il conceptualise tes aventures
Et les transforme en leçons apprises
Pour certains événements, il fabrique des nœuds
Qui enflent comme une hernie de chambre à air
Elles explosent parfois et le fil semble perdu
Le noir total ! Mais tu tiens le fil, toujours
Et te hisses pour remonter la pente
Oui, il est fait de monts et de vallées
De paysages arides ou de marais putrides
Tu cours, tu voles, tu patauges
Mais l’étincelle est toujours là,
Et avance devant toi, sans t’éclairer cependant
Ce n’est qu’un trou vide de tout
Une absence de ta personne, et, peu à peu
Tu prends place dans le paysage
Et joue sans relâche ton rôle avec fermeté
Tu regardes derrière toi sa trace
Et ne vois qu’un personnage falot
Qui, souvent, ne sait ce qu’il fait
Et il passe, il passe le temps dévoreur
Jusqu’au jour où tu disparais du paysage
Pour toi le fil est coupé, mais repris par un autre
Il poursuit sa route inlassablement
Jusqu’à la fin des temps…

©  Loup Francart

13/06/2016

Multicentric

Les mondes imaginaires se développent sans difficulté. Ils essaiment et s'encouragent, sans qu'il soit possible de les enfermer dans un espace fini :

1-16-06-12 Multicentric.jpg

12/06/2016

Noosphère

Coupe les circuits de ton infosphère
Coupe les turbulences de la mondialité
Et ouvre-toi à la noosphère céleste

Étends tes ailes et couvre de ton ombre
Les faits et méfaits de tes contemporains
Et commence par ceux que tu as commis

Il est temps d’envisager un autre temps
Il est temps de construire d’autres espaces
Il est temps de voir au-delà des corps

Vois les idées qui volent sans retenue
Vois les envies de qui les fait tomber
Vois l’amertume de qui ne les voit pas

Plus loin encore, dans l’immensité
Où seule l'âme pénètre sans dommage
Brillent les lueurs de la créativité

Là se trouve la Jérusalem céleste
L’irradiante agitation des neurones
La paix bousculée des créateurs

Alors tu partiras sans peine
Sans un regret sur ton destin
Et bondiras dans l’immortalité

©  Loup Francart

11/06/2016

Le nombre manquant (22)

– Oui, c’est certain, nous dit-il à notre arrivée. C’est un ordinateur du Vatican, tu sais, ceux qui sont mis à disposition du public à la bibliothèque. Nous ne nous étions pas trompés, les religions sont bien les plus intéressées par ce genre de recherche. C’est leur fonds de commerce et il peut remettre en cause leur existence propre. Si quelqu’un découvrait qu’il n’y a pas de Dieu et qu’il pouvait le prouver, toutes les églises s’effondreraient. Cela pourrait engendrer de véritables guerres civiles, car il y aurait évidemment toute une catégorie de personnes qui ne pourraient l’admettre.

– Il est sûr que cela ne serait pas de tout repos. Le raisonnement humain peut-il, lui-même sujet à l’erreur, constituer une preuve véritable ? Mais ne rentrons pas dans ces considérations et revenons à notre préoccupation : qui ?

– J’avoue que ceci est encore inconnu. Qui se sert de cet ordinateur et l’a détourné de son objet, la recherche de documents dans une bibliothèque contenant des milliers, voire des millions de livres écrits dans de nombreuses langues ? Cela nous ne le savons pas. Pour l’instant, le Vatican n’a pas été mis au courant. Seul mon ami policier et nous-mêmes savons ce qu’il en est. Il m’a fait ses recommandations. Il ne faut surtout pas que cela s’ébruite, surtout chez les officiels. Aussitôt tout ceci serait qualifié de Très Secret-défense et le relais serait pris par les spécialistes sans que nous puissions poursuivre nos investigations. On pourrait finir par une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican, voire l’Italie.

– Alors, comment faire pour savoir qui se sert de cet ordinateur ?

– J’avoue que pour l’instant je ne vois. Peut-être auriez-vous des idées ?

– Oui, c’est possible, énonça Claire. J’ai quelqu’un de ma famille, un de mes neveux qui est un jeune prêtre et actuellement affecté au Vatican. Il pourrait peut-être faire quelque chose. Je ne sais pas, peut-être installer une caméra devant l’ordinateur, ce qui nous permettrait d’identifier le pirate. L’ennui est que cela met quelqu’un d’autre dans la confidence.

– Oui, mais a-t-on le choix ?

– Je ne sais pas.

Ne trouvant pas d’autres pistes, notre groupe fit confiance à Claire qui fut chargée de contacter son parent. Elle dut se rendre elle-même à Rome, ne pouvant évoquer cette affaire par téléphone. Ce fut fait, une caméra fut installée, coincée entre deux piles de livres, face à l’ordinateur. L’attente commença. On ne savait si au cours des derniers jours le pirate avait pénétré dans notre base de données. Alors on attendait, mais aucun changement sur nos documents ne fut signaler par l’un ou l’autre d’entre nous.

10/06/2016

Bella e perduta, un film de Pietro Marcello

Il est intéressant de lire les critiques sur ce film. Elles sont extrêmement variées. Qui croire ? S’agit-il d’un chef d’œuvre ineffable (un voyage poétique dans l’Italie champêtre), d’un navet confus (image pessimiste de l’Italie d’aujourd’hui), d’une fable politique (de nos jours, la politique est partout au cinéma et les politiques rêvent de jouer, de façon interposée, à l’acteur),cinéma,beauté,italie,camora,buffle d’un mythe moralisateur (le démuni fait triompher la beauté et l’amour).

Écoutons ce qu’en dit Nicolas Didier sur Télérama : « Chez Pietro Marcello (La Bocca del ­lupo, en 2009), la fiction n'est qu'un prétexte. Sa fable écolo, mâtinée de commedia dell'arte, fait le portrait d'un (véritable) berger, surnommé « l'ange de Carditello » pour avoir pris soin d'un palais abandonné, transformé en décharge par la Camorra. Un bâtiment qui symbolise à la fois le passé, glorieux, et le présent, vulgaire. Note d'espoir dans ce film franchement pessimiste sur l'Italie contemporaine : en 2014, le palais a été racheté par le gouvernement... »

Certes, c’est effectivement un peu confus, c’est une dénonciation masquée de l’inertie des politiques, c’est une lutte inégale contre le gâchis incroyable de lieux magnifiques, mais c’est beau et la beauté sauvera le monde. Ne cherchez pas dans ce film ce qu’il veut dire. Laissez-vous aller, vivez-le avec vos sens, la vue d’abord, mais aussi l’ouïe et même, suggérée, l’odorat ; vivez-le avec vos impressions, vos émotions et vos rêves.

Non, l’histoire ne se raconte pas. Il faut la laisser se dérouler devant les yeux, sans intellect, sans théorie, sans idéologie. C’est une fable poétique qui s’impose sans compréhension, parce qu’elle vous sort de vous-même et vous fait entrer dans un monde tellement imaginaire qu’il ressemble à la réalité.

09/06/2016

Une maison insignifiante

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Curieux par nature, comme tous les humains finalement, je passe la tête, tentant de distinguer quelque chose dans l’obscurité. Oui, elle est habitée par une femme. On sent son odeur doucereuse. Ne pas se laisser prendre, rester sur ses gardes ! Je cherche l’interrupteur à droite, à l'opposé de l’ouverture de la porte. Je le trouve à gauche. Quelle idée ! Lumière : faible, veloutée, caressant les objets plutôt que les éclairant. Un fauteuil Voltaire, un piano droit, un tapis effilé, quelques photos aux murs, dont une femme encore jeune, blonde, au sourire incertain, qui vous regarde étrangement. Elle semble presque vivante et vous fait un signe de la main : « Viens », semble-t-elle dire. Non, elle ne bouge pas. Ce n’est qu’une photo. Mais je ne la quitte pas des yeux. Elle reste muette. Une porte au fond de la pièce est entrebâillée et un escalier, sur la gauche, permet de monter à l’étage. Je l’emprunte. Un palier avec trois portes. J’ouvre la première. Elle donne sur une chambre aux volets fermés. Le soleil laisse quelques raies sur le sol recouvert de moquette grise et des grains de poussière dansent dans ses rayons. Rien d’intéressant, me dis-je en refermant la porte. La seconde s’ouvre sans bruit, comme entretenue de quelques gouttes d’huile passées sur ses gonds. Une chambre de femme. Je distingue un jupon du début du siècle, une robe au teint passée, une paire de chaussures hautes. Apparemment, il s’agit d’une jeune femme. La même probablement que celle vue sur la photo.

A ce moment, j’entends du bruit sur le palier. Je la vois passer, droite, fière, le regard perdu. Vite ! Je me cache derrière le paravent. Elle revient sur ses pas et pénètre dans la pièce. Elle ouvre un placard, en sort une robe jaune, assez longue, avec des volants en guise de manches. Retirant sa robe de chambre, elle l’enfile, se regarde dans la glace, avance de deux pas, recule de trois, puis avance, à tel point qu’elle disparaît derrière le miroir. Plus rien. Personne. A-t-elle vraiment existé ? Ne reste que cette odeur persistante, déjà perçue en bas en entrant dans la maison. Non, même avant, dans le jardin. Le silence est revenu, lourd, angoissant. J’étouffe. Que fais-tu ici, me dis-je. J’ai peur tout à coup et je presse le pas pour descendre les escaliers et me diriger vers la porte de sortie. Au moment où je tourne la poignée, un bruit bizarre retentit, semblant venir du premier étage : une sorte de plainte inhumaine, qui se prolonge inutilement, au-delà du souffle habituel d’un humain. Elle dure, dure à tel point que je sors épouvanté et referme au plus vite la porte. Dehors, toujours le silence. Pas un chant d’oiseau, pas un grattement, pas un chuintement. Je cours jusqu’au portail et me retrouve dans la rue, mes oreilles débouchées. Quel rêve, me dis-je. Non pourtant, ce n’est pas un rêve, j’ai bien vu cette femme changer de robe et disparaître dans la glace de l’armoire. Qu’est-elle devenue ?

Je n’ose plus retourner dans la maison et je pars vers le centre en m’efforçant de ne plus y songer. Mais chaque fois que je repasse devant le portail, je ne peux m’empêcher de revivre ces moments et d’en éprouver une angoisse indescriptible. Ne vous inquiétez pas, j’ai retrouvé mon âge réel. Seul mon sourire garde un regret imperceptible. Je n’arrive plus à sourire comme auparavant.

08/06/2016

Une maison insignifiante

Hier, j’étais à un vernissage. Peu de gens, des œuvres assez disparates, car il y avait quatre exposants qui ne semblaient pas avoir grand-chose en commun. Tout à coup, un tableau, une maison, insignifiante, mais qui attirait mon regard. J’eus envie d’écrire son histoire, ou une histoire qui s’y rapporte.

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Il passa devant l’entrée, un simple portail constitué de deux piliers de pierre brute. Il eut l’impression que la maison le suivait des yeux. Il se retourna, mais rien. Elle se tenait immobile, insignifiante, effacée. Il poursuivit donc son chemin.

Le lendemain, elle est toujours là, à la même place, guillerette cette fois. Le soleil luit haut dans le ciel et les hirondelles ont repris leurs rondes échevelées. Tiens, les deux piliers sont plus avenants aujourd’hui, remarque-t-il. Il s’arrête, intrigué. Ce chemin de gravier sale qui mène à la maison lui tend les bras : « Viens ! » lui dit-il. La maison semble inoccupée. Les rideaux des fenêtres ne bougent pas, les portes restent fermées, l’arbre est toujours pelé. Non seulement pas un signe de vie, mais une impression d’abandon augmentée par la peinture de la façade, une peinture violette, non, disons mauve pâle, un peu sale. Le jardin est également laissé à lui-même ; les herbes envahissent tous les recoins. Tiens, mais c’est vrai. Il n’y a pas un animal. Je franchis l’espace entre les piliers et avance d’un pas. Un silence étouffant, roide, au goût de farine. Mes pas soulèvent une petite poussière fine qui retombe lentement, au ralenti. Un silence oppressant qui résonne dans les oreilles et endort les autres sens, y compris la vue. Une sorte de voile grisâtre s’est abattue sur mes yeux. Je rentre dans un autre siècle. Je vieillis très vite. Le compteur tourne à toute vitesse les années en remontant vers ma jeunesse. Mais je vieillis malgré tout. Une impression désagréable. Ah, il ralentit, puis s’arrête : cent douze ans. Je ne sens plus mes os. Ils sont tellement friables. Ma peau est devenue jaune et gaufrée. Ma tête est restée la même. Ni mieux, ni moins bien. J’ai toujours eu quelques difficultés à l’équilibrer pour m’en servir. Tantôt elle penche du côté du cœur et me fait accéder au royaume des larmes, tantôt elle penche du côté de l’intellect et déborde de concepts. Ils deviennent si encombrants que je dois les entasser à la cave, dans le ventre mou des idées perdues. 

J’avance à petits pas, respirant une odeur de papier vieilli recouvert d’une fine pellicule de poussière rose, féminine. Non, elle sent le musc, odeur masculine s’il en est. Mais s’y ajoute un mélange de rose, de mûre et d’angélique qui détonne dans ce jardin désuet. Au moment où j’arrive à la porte au linteau arrondi, celle-ci s’ouvre en grinçant. Personne n’en sort. Elle bée devant moi, comme une invitation muette, et je ne vois rien d’autre qu’une ombre épaisse et collante.


La suite et fin : demain !

07/06/2016

Haïku

Un haïku doit contenir un kigo (mot de saison), c'est-à-dire une référence à la nature ou un mot clé concernant une saison. Ici, la rose des vents remplace la saison.

 

Il ouvre un œil

Il court dans la rose des vents

Et part,  éperdu

Trois mondes en un.JPG

 

06/06/2016

Hymne chérubinique, Bortniansky

https://www.youtube.com/watch?v=wLzJrQyzSJc


Une fois de plus la musique liturgique orthodoxe enchante les sens, l’intellect et le cœur de sa pureté. Elle fait dissoudre les impuretés de l’âme, conduit aux frontières du monde divin et noue fait presque prendre la tangente.

05/06/2016

Le nombre manquant (21)

Le lendemain, je retrouvais Claire à la bibliothèque. Elle avait passé une mauvaise nuit, rêvant d’insectes envahissant son lit pendant son sommeil. Cela venait probablement de nos réflexions sur les intrusions dans notre réseau. Je fis une plaisanterie du genre : « Nous avons besoin d’intrusion pour nous secouer et nous réveiller ! », mais je n’eus pas l’impression que cela l’aidait beaucoup.  J’avais moi-même mal dormi cette nuit, l’esprit préoccupé par ce que nous avions travaillé hier et la conclusion de Claire : « Mais alors l’antimatière du zéro, c’est Dieu ! » Cette exclamation m’avait semblé toute droite sortie de l’intuition et d’une découverte inopinée et j’avais admiré Claire de sa capacité de déduction intuitive. En réfléchissant, j’en vins à prendre conscience d’une faille dans ce raisonnement. Tout d’abord Dieu est distinct de toute matière.

– Dis-moi, j’ai réfléchi à ce que nous avons échangé hier et, en particulier, à ta sentence intuitive dans laquelle tu disais que Dieu serait l’antimatière du zéro. Finalement cela me semble erroné.

– C’est bien possible. Je ne prétendais pas avoir dit quelque chose d’extraordinaire. C’était une sorte de boutade. Mais explique-moi pourquoi ?

– Tout simplement parce que Dieu n’est pas matériel. Qu’est-il ? Personne ne le sait, mais ce que l’on sait, c’est qu’il est autre que le monde matériel. On ne peut le qualifier d’antimatière, car celle-ci est bien, malgré tout, de la matière.  En effet, d’après Paul Dirac, le savant qui a découvert l’antimatière, pour chaque particule, il existe une antiparticule correspondante, qui est tout à fait semblable sauf qu’elle a une charge opposée. On peut aller jusqu’à envisager des galaxies et des univers  constitués uniquement d’antimatière[1].

– Mais ce ne sont que des suppositions mathématiques qui ne sont confirmées que dans le monde quantique.

– Il y a une deuxième objection qui me semble également importante. Le zéro n’est que l’appellation du rien, il ne peut donc pas disposer d’antimatière n’étant pas par définition constitué de matière.

– Je te concède cette deuxième objection. Mais on pourrait justement dire que le zéro, qui n’est qu’une invention humaine, n’existe que parce qu’il a été conçu dans le monde matériel et pour le comprendre. Donc, il doit comporter une antiparticule spécifique, attribut indispensable à toute création.

– Tu as réponse à tout, Claire. Je confirme ton intuition, même si j’en ai douté quelque peu !

La boutade de Claire nous avait fait avancer. Certes, d’un tout petit pas. Ce n’est que par ces petits pas, très petits, que nous arriverons à notre fin. Claire avait l’avantage de ne pas s’attarder sur ses erreurs, mais de relancer sa machine à penser grâce à ce jeu bien humain de l’échec relanceur du succès. Peu de gens sont pourvus de cette qualité qui fait que la compréhension de la somme des échecs peut amener le succès d’un projet si celui-ci est bien conduit.

Mon téléphone portable se mit à sonner. C’était Vincent, très excité, qui nous dit savoir quel était la machine pratiquant les intrusions. Il n’en dit pas plus.

– Nous arrivons, lui dis-je, stimulé par cette incroyable nouvelle.

 

(1) Voir le site du CERN sur l’antimatière (http://home.cern/fr/topics/antimatter).

04/06/2016

Renouveau

L’eau emplit les caniveaux
Puis, très vite, déborde ce niveau
S’enfile dans les caveaux
Enjambe les barreaux
Se transforme en bourreau

L’eau envahit les boqueteaux
S’enroule autour des roseaux
Grimpe aux jambes des puceaux
Jette un regard aux jouvenceaux
Et pépie sans cesse tel un moineau

L’enfant assis dans son vaisseau
Va de village en hameau
A l’imitation des chemineaux
Et rassemble son troupeau
Portant haut et fier son drapeau

L’eau est partout, dans ce tombeau
Le froid congèle même les bigorneaux
Y nagent encore quelques barbeaux
Et les cris effarouchés des damoiseaux
Proclame le jour du renouveau

©  Loup Francart

03/06/2016

Harmonie

L'harmonie nait d'un accord entre les notes pour la musique et entre les couleurs pour un tableau, indépendamment de la mélodie ou du dessin, même s'il s'agit d'un pavage constitué de deux formes :

 

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02/06/2016

Maxime

 

Tous nous avons soif de nouvelles connaissances,

comme si les anciennes ne nous suffisaient plus.

N’est-ce pas en permanence vouloir reproduire ce que nous avons déjà vécu :

la soif de l’inconnu et l’illusion d’un changement ?

 

 ©  Loup Francart

01/06/2016

Le nombre manquant (20)

J’avoue que cette réflexion me fit froid dans le dos, même si sa formulation était malhabile. Cela paraissait tellement irréel et, par ailleurs, tellement logique que j’en restai sidéré.

– Allons donc déjeuner, me fit-elle, toujours aussi pragmatique. Au cours du repas, elle me parla de tout et n’importe quoi, en femme intéressée par mille détails de la vie, qui me faisait douter que c’était la même qui avait formulé les réflexions de la matinée.

Au moment où nous allions nous remettre au travail, je reçus un coup de fil de Vincent :

– Il y a du nouveau. Il s’est manifesté et j’ai réussi à le piéger. On va pouvoir savoir qui il est ou, tout au moins, connaître l’ordinateur à partir duquel il opère.

– Comment as-tu fait ?

– Je t’expliquerai. Viens avec Claire, nous pourrons en discuter !

Mathias et Vincent était déjà là, discutant énergiquement. Vincent nous expliqua sommairement ce qu’il avait mis en place et comment il avait pu découvrir l’adresse IP du hacker. Claire et moi n’y avons rien compris, d’autant plus que les expressions employées par Vincent consistent en sigles ou acronymes en anglais dont la signification nous échappait. Nous avons simplement retenu qu’il avait mis en place un système de détection d’intrusion de type hôte (HIDS) et un système de prévention d’intrusion (IPS). Il connaît maintenant l’identité de l’intrus et il ne lui reste plus qu’à rechercher qui est la personne derrière l’ordinateur. Une grande victoire en somme, n’est-ce pas ?

Vincent était très fier de son exploit. Mais en réalité, il ne nous apprenait pas grand-chose. Il ne pouvait que poursuivre ses recherches pour en savoir plus, avant que nous ayons une idée claire du ou des intrus. Il précisa cependant qu’il ne s’agissait pas du piège dont nous avions parlé la veille, qui était un piège d’ordre stratégique visant à réellement connaître nos intrus, mais simplement un piège technique permettant d’identifier quel est l’ordinateur qui nous attaquait. Ce n’était qu’un premier pas, mais important.

– Si je comprends bien, nous pouvons éventuellement nous protéger de ces intrusions, nous savons d’où elles viennent, mais ne savons pas qui est derrière tout cela, résuma Claire, toujours pragmatique.

– C’est à peu près cela, répondit Vincent. Mais, c’est déjà beaucoup, fit-il remarquer. De plus, je vais tâcher de me procurer le nom du propriétaire de l’ordinateur espion. J’ai des connaissances dans la police numérique à qui j’ai rendu des services il y a peu. Nous devrions pouvoir disposer de ce nom.

– Une bonne nouvelle, enfin !

Là-dessus, nous nous quittâmes et chacun rentra chez lui. Lydie m’attendait, impatiente. Cette histoire avec mes compagnons l’irritait sans qu’elle ose le dire ouvertement. Elle me répéta que nous avions des comportements de gamins ou d’étudiants attardés et que cela pourrait mal finir. Se doutait-elle de ce qui allait se passer ?