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27/07/2016

La mue (8)

Réveil ce matin avant le lever du jour. Cela va devenir une habitude. Joséphine est dans le lit et dort. Elle est belle ainsi, dégagée de tout souci. Je suis couvert de plumes, mes jambes sont devenues des pattes, je n’ai plus que trois doigts de pied et une sorte d’ergot. Je n’ai plus de bras. Ils sont remplacés par des ailes. Je les déplie. Ça va. Pas trop d’envergure, juste ce qu’il faut pour voler plusieurs centaines de mètres, rien de plus. Je vais dans la salle de bain. Heureusement, la porte était entrouverte, autrement je n’aurai pu l’ouvrir. Je me regarde dans la glace. Dieu, quel oiseau ! J’ai un beau bec ma foi. La fenêtre est ouverte. J’avance mon long cou pour contrôler si personne ne me regarde, je monte sur le rebord et, malgré une certaine appréhension, me lance. Oui, aussitôt mes ailes se meuvent et tracent dans l’air un sillon. Je vole. Quelle étrange sensation. Cela fait un peu mal au cœur. Le manque d’habitude, je pense. Je me perche sur une branche d’arbre. Ne pas perdre de vue la fenêtre d’où je viens. Oui, elle est là-bas, à cent mètres environ, au sixième étage. Tiens, Joséphine regarde par la fenêtre de la chambre, elle a dû me chercher dans l’appartement et, voyant la fenêtre ouverte, elle a peut-être compris ce qui se passe. Je vais aller la voir. J’espère qu’elle me reconnaîtra.

Je m’envole, déjà très à l’aise. Comme c’est pratique de se déplacer dans les airs. Tout est simple, peu d’obstacles, pas de rencontres inopportunes, on va en ligne droite, on se laisse planer dès qu’on a pris un peu de vitesse. Et encore, je ne suis que débutant. Je passe une première fois devant Joséphine toujours à la fenêtre. Je fais un petit looping pour lui signaler ma présence. Oui, elle m’a repéré. Elle me regarde, intriguée. Elle ne semble pas me reconnaître. Je me mets à sa place. Imaginez-vous vous imaginant un oiseau qui s’imagine être un homme. Il y a de quoi perdre son latin et même le grec appris par la suite. Allez, Joséphine, je te pardonne. C’est bien normal de ne pas m’avoir reconnu. Il faut pourtant que je me signale. Alors, je viens me poser sur son épaule, le plus doucement possible. Je fourre mon bec dans ses cheveux et émets un petit piaillement, le plus doux possible. Mais je ne contrôle pas encore ma voix, ni même mon vocabulaire. Je ne sais si elle va comprendre. Elle sourit cependant. Me regarde, me prend avec douceur, me caresse la tête et me demande de sa petite voix :

– C’est bien toi ?

26/07/2016

Les deux réalités de l'homme

L’homme se trouve citoyen de deux mondes : celui de la réalité existentielle, bornée par le temps et l’espace, accessible à la raison et à ses pouvoirs, et celui de la réalité essentielle, qui est au-delà du temps et de l’espace, accessible seulement à notre conscience intérieure et inaccessible à nos pouvoirs. La destinée de l’homme est de devenir celui qui peut témoigner de la Réalité transcendantale au sein même de l’existence.

Karlfried Graf Dürckheim ; La vie Spirituelle, N°592, 1972, p.734.

 

Une telle distinction semble de nos jours purement spéculative et surannée. L’existence semble à tous bien réelle et sans besoin d’autres qualifications pour définir l’homme. C’est  sans doute là que se trouve les problèmes de l’humanité depuis le XXe siècle et la désespérance de l’homme. Pourtant cette préoccupation permanente de l’homme  de se connaître pleinement ne date pas d’hier. Déjà Aristote écrivait : « Qu’est-ce que l’être ? Ce qui revient à s‘interroger sur la substance. » (Métaphysique, Z, 1, 1028 b 5) et, suivant les interrogations de Platon, sa recherche porte sur l’essence et non sur l’existence, car l’existence doit métaphysiquement être pensée par rapport à l’essence qui la rend intelligible. Pour Aristote, l’essence est l’être possible et l’existence l’être réel, ce qui revient à dire que l’existence d’un être est fonction de son essence.

L’essence d’un être, c’est ce qu’il est vraiment, ce qui fait qu’il est ce qu’il est. Malheureusement, peu d’hommes s’interrogent sur leur être propre. Seules les intéressent les événements de la vie et non la vie elle-même. C’est d’ailleurs pour cela qu’à partir du XIXe siècle, les philosophes disent que l’existence précède l’essence. Ai-je un centre qui se trouve au-delà de l’espace et du temps ? Puis-je y accéder ou, au moins, en avoir le pressentiment ? C’est toute la différence entre une religion pourvue d’une vision dogmatique et un constat d’expérience spirituelle qui est le seul vrai événement qui transforme la vie. Maître Suzuki  explique : « Le savoir occidental regarde vers le dehors, la sagesse orientale vers le dedans. Mais si l’on regarde en dedans comme on regarde en dehors, on fait du dedans un dehors. » A condition cependant, que ce regard ne soit pas un regard rationnel, sinon l’on se contente du savoir des psychologues qui ne voir dans le dedans qu’un dehors à analyser.

Alors revenons à ce que nous dit Karlfried Graf Dürckheim. L’homme ne peut agir sur son essence, son problème est simplement de la découvrir.  C’est l’idée de la conversion (con-vertere), du retournement, de la renaissance intérieure. Elle survient après une expérience spirituelle telle celle que vécut Ionesco : « J’avais dix-sept ans, je me promenais un jour dans une ville de province, au mois de juin, le matin. Tout à coup, le monde m’a paru transfiguré, de telle façon que j’étais pris d’une joie débordante et que je me disais : maintenant, quoi qu’il arrive je sais. Et je me souviendrai toujours de ce moment-là. Ainsi, je ne serai plus jamais entièrement désespéré. » C’est ce que Dürckheim appelle l’expérience de l’Être : « Nous nous sentons alors soudain dans une ambiance étrange. Nous sommes entièrement présents, totalement là, et, malgré tout, nullement orientés vers quoi que ce soit de précis. Nous nous sentons d’une façon toute particulière, comme sans aspérités, lisses et harmonieux à l’intérieur de nous-mêmes et tout à la fois ouverts. Grâce à cette ouverture, une plénitude profonde émerge. Nous sommes à la fois absents et présents, débordant de vie. Nous sommes unis à tout, mais détachés de tout. Nous nous sentons incroyablement guidés et pourtant libres et affranchis de toute obligation ; pauvre dans le monde mais comblés de richesse et de puissance intérieure. » (Dürckheim, Pratique de la voie intérieure, Paris, 1968, p.31).

Alors, faisons silence en nous-mêmes et ouvrons-nous à ce vide qui remplit tout.

25/07/2016

La mue (7)

Je me réjouis de cette promesse qui me semble vitale. Je saurai à quoi me raccrocher, où trouver un soutien indispensable pour endurer ces épreuves, comment supporter la mue qui s’avérait plus compliquée à affronter. Joséphine est émue, deux larmes coulent sur ses joues. Je m’approche pour les embrasser et lui montrer ma reconnaissance, mais elle a un tel mouvement de recul que je n’ose plus bouger. Je fais semblant de n’avoir rien remarqué et continue de me pencher comme pour me gratter la jambe. Oui, elle me craint ! Elle a peur de moi maintenant que la mue a commencé.

– Dis-moi, penses-tu que je peux toujours aller travailler dans l’état où je me trouve ? lui demandai-je.

–  Je me le demandais aussi. Franchement, je ne crois pas. Il faut aller te déclarer, il n’y a pas d’autre solution.

Je m’habille, enfile un vieux pardessus, en relève le col, me passe un foulard autour du cou et pars à la mairie pour effectuer ma déclaration.  C’est très simple. On vous raye de l’état civil, un point c’est tout. En tant qu’animal, vous n’avez aucune protection sociale et encore moins droit à une aide sécuritaire. Il faut vous être préparé à votre nouvelle vie sans même savoir ce qu’elle sera. Cette préparation est forcément très générale, du style « Être toujours plus agressif que votre agresseur » ou encore « faire front, ne jamais fuir ». Malheureusement, de tels adages ont des limites que leurs adeptes comprennent un peu trop tard. Bref, je ressors de la mairie sans identité et même si j’ai encore plus ou moins l’air d’un être humain, je n’en ai plus la qualification sociale. Arrivé à l’appartement, de dépit, je me couche et quand Joséphine arrive, je ne me lève même pas. Elle doit m’amener mon repas qu’elle laisse par terre au pied du lit. Ce sont encore des graines de quinoa. Curieux ! Comment peut-elle savoir que cela me plairait à nouveau ? Je me lève et, irrésistiblement, me met à genoux, me penche sur l’assiette et commence à becqueter les grains un à un. J’en éparpille par mal à côté. Mais peu importe, je me sens à l’aise pour une fois. On dirait que j’ai fait cela toute ma vie. Comme je suis repu, je me couche en boule sur la moquette et m’endors sereinement sans plus penser à Joséphine.

22/07/2016

La mue (7)

Cette fois-ci, ça y est. Je suis réveillé beaucoup plus tôt que d’habitude. Le soleil n’est pas encore levé. Mais rien n’aurait pu m’obliger à rester dans le lit. Une envie irrépressible de sortir hors de l’appartement. Je me lève et m’enferme dans la salle de bain. Oui, ça y est. J’ai bien un fin duvet sur l’ensemble du corps. Pire même, mes bras ont rapetissé et mes mains semblent rognées, les doigts surtout. Je ne peux plus attraper quelque chose et suis terriblement maladroit. Joséphine dort toujours. Elle n’a pas conscience du bouleversement que je ressens. Je l’appelle en moi : Joséphine, Joséphine, câline-moi… Je me recouche, ne sachant que faire.

Une heure plus tard, elle se réveille. Je suis tourné de l’autre côté. Je n’ose lui faire face. Elle m’appelle :

– Rémi, tu es réveillé.

Je ne réponds pas. Elle recommence :

– Rémi, c’est l’heure, tu vas être en retard.

Alors je me tourne vers elle, les yeux fermés. J’entends une sorte de hoquet, suivi d’un soupir, puis :

– Mon pauvre, cela empire.

Alors, je lui pose la question  que j’avais depuis hier sur les lèvres :

– Tu… Tu crois que je vais devenir un oiseau ?

– C’est possible. Ne sois pas triste, mon chéri. Mieux vaut devenir oiseau plutôt qu’animal marin ou terrestre. Tu disposeras d’une grande liberté.

– Mais je te perdrai et je ne veux pas te perdre. Je veux que tu restes près de moi.

D’un élan sincère, je tente de la prendre entre mes bras. Mais je sens une telle résistance de sa part que j’abandonne. Physiquement, elle ne me voit déjà plus comme un être humain, même si, psychiquement, elle comprend mes difficultés et est prête à m’aider. Je lui dis d’une voix plaintive :

– Promets-moi de ne pas m’abandonner, quoi qu’il arrive !

Elle ne répond pas tout de suite. Elle ne me regarde pas en face. Ses yeux louvoient et une légère rougeur colore son visage. Elle finit par dire :

– Mais de quoi parles-tu ? Tu sais bien que je prendrai soin de toi.

– Oui, je sais que tu me prendras en pitié. Mais je veux autre chose que ta pitié, je veux ton amour. C’est ce qui me permet de vivre et de faire face à ce grave problème.

Elle me regarde dans les yeux et me dit, d’une voix résolue :

– Je te promets de ne pas t’abandonner et de tout faire pour t’aider dans toutes les circonstances possibles. Tu resteras près de moi quoiqu’il arrive.

20/07/2016

La mue (6)

La sonnerie du réveil… J’ai beaucoup de mal à émerger… Enfin, j’ouvre un œil. Très vite, je comprends que quelque chose a changé. Non, pas à l’extérieur, mais en moi. J’ai comme un éclair de lucidité. Je me lève d’un bond. Ma peau a pris une couleur sale, elle est pleine de boursouflures, comme de petits volcans qui n’osent pas exploser. J’en ai partout. Je me précipite dans la salle de bain. Oui, j’en ai également sur le visage. La mue a commencé et il n’y a rien à faire. Que vais-je devenir ? J’appelle Joséphine qui dort plus que de coutume depuis qu’elle est rentrée. Je vais jusqu’au lit et la secoue énergiquement :

– Regarde, cela commence. Mon Dieu, ce que je suis laid.

Elle met quelque temps à se réveiller, me regarde sans rien dire, n’ose se jeter à mon cou et me dit simplement :

– Oui, j’en ai bien l’impression. Mais tu es mignon comme cela. On dirait un petit perdreau qui prend son duvet. Non, peut-être un reptile qui se revêt sa carapace.

Quelle idée de dire de telles choses. Je trouve cela sec et ça manque de chaleur humaine. Elle pourrait au moins me serrer dans ses bras pour compatir tendrement à mon malheur. Mais, il est probable qu’elle n’éprouve plus aucune attirance envers mon corps et probablement moi-même en entier, corps et âme et toutes les subtilités que chaque homme ou femme détient au fond de soi. Sans cesse, on nous dit que l’habit ne fait pas le moine. C’est vrai, mais le corps est-il un habit ? J’étais un moine et je ne sais ce que je vais devenir.

Je dois partir au travail malgré tout. J’utilise la trousse de maquillage de Joséphine pour paraître normal. Oui, là au moins, l’habit sert à jouer le moine. Même mes collègues au bureau ne remarquent rien. Mais j’ai un mal de crâne terrible toute la journée. Je retrouve ma compagne pour le diner. Elle a préparé une salade de quinoa. Je ne dis rien, mais cela me reste en travers de la gorge tant que je n’y ai pas goûté. J’ai toujours eu en horreur ces graines de blé ou d’autres céréales que l’on veut vous faire manger. Ah, mais… Elle est délicieuse. Quelles merveilleuses petites graines ! Je finis par ne manger que cela. Joséphine a beau me proposer une tranche de rôti qui semble appétissante. Je refuse en prétextant que je n’ai plus faim. Je n’aurai pu l’avaler. Nous nous couchons tôt, chacun dans ses pensées et nous tenons aux deux extrémités du lit.

18/07/2016

Le roman ou la vie

Il est quatre heures. La première partie de la nuit est finie. La fenêtre ouverte m’envoie les premières lueurs du jour, ténues, mais réelles. Je descends l’escalier, prépare la cafetière, y verse l’eau, mets un filtre que je saupoudre de farine de café. Je finis un roman, Après l’équateur, de Baptiste Fillon. Je ne sais qu’en penser. Il y a une qualité de l’écriture et des descriptions rudes, en bourrasques. On discerne l’évolution du style lorsqu’on avance dans les pages. Première partie : la mer, le long cours, la vie de l’équipage. Deuxième partie, comme un prélude : quelques jours chez sa maîtresse, au Brésil avec laquelle il a eu un enfant. Il ne sait s’il veut rester auprès d’elle ou rejoindre sa famille officielle. Troisième partie : le retour au foyer, où la colère du marin vis-à-vis de l’inutilité de cette vie bourgeoise éclate. Je ferme le livre.

Un sentiment de vide, d’inexistence, de tromperie permanente quel que soit le lieu, le moment, les interlocuteurs et les circonstances. C’est à l’image de l’actualité. Aucune certitude, aucune raison d’être, la vie au jour le jour, sans aspiration, sans guide, sans espoir. Depuis quelques mois, j’ai ce sentiment devant les livres que j’ouvre. Ils ne m’enrichissent pas, ne me font pas rêver, ne me permettent plus de sortir de moi-même et d’errer dans le monde avec un but précis. Oui, le livre est fini. Je n’ai rien appris sur la vie, c’est toujours le même rabâchage d’existences ratées en relents d’aventure qui sentent l’amertume et la capitulation. Et la fin est à l’image du fil des pages. Il part pour son dernier embarquement. Il rejoint sa deuxième femme, la non-régulière. Mais en est-on sûr et qu’y trouvera-t-il ?

Je n’écris cela qu’après coup. Je n’ai pas immédiatement ces réflexions toutes empaquetées. Je suis assis dans la cuisine et je regarde les étagères emplies de bocaux et poteries. Mes yeux s’éclaircissent, l’éclat des verres s’accentue, mon cerveau se vide, une énorme bulle d’air m’emplit le cœur, elle monte vers la surface du moi et explose. La cuisine s’illumine, se nettoie de ses scories et je suis là, vierge de toutes sensations, éveillé et dégrisé du quotidien. Je regarde chaque bocal, chaque objet avec un œil nouveau, propre et aiguisé. Assis, ici et maintenant, je vis hors du remue-ménage quotidien des sensations, émotions, sentiments et réflexions. Oui, cela, on ne trouve pas dans un livre !

16/07/2016

La mue (5)

Quelques jours plus tard, je suis étendu sur mon lit. Joséphine est partie passer quelques jours chez une amie qui avait besoin d’elle. J’ai une démangeaison sur tout le corps, comme une poussée sous la peau. La même impression que la première montée d’herbe au début du printemps. On ne voit rien venir, mais l’air est chargé d’odeurs délicates de surgeons frais. Pourtant, je n’ai pas, je crois, d’odeur spécifique sur mon corps. C’est juste une sensation bizarre, une espèce d’exaltation  de la peau légèrement plus colorée que d’habitude. Et si c’était cela le début de la mue ? Je me redresse brusquement. Mons cœur bat à tout rompre. Oui, c’est possible. Je me lève et mets en route mon ordinateur. Il y a de nombreux chats consacrés à la mue, avec des récits parfois épouvantables. On trouve cependant des conseils intéressants pour se préparer à un changement fonctionnel et sans danger. Malheureusement, je ne trouve rien sur les démangeaisons. C’est trop vague comme impression pour accéder à des conseils précis. Je me lève donc et pars travailler comme chaque matin. J’échange un petit coup de fil avec Joséphine qui est auprès de son amie et lui parle de manière détachée de mes démangeaisons. Toujours pratique, elle me conseille d’acheter une crème calmante en pharmacie. Elle a l’art de ramener à leur juste proportion les incidents qui émaillent la vie.

Le lendemain, je m’éveille plus tôt que d’habitude. Je décide d’aller courir au bois, n’ayant pas la douceur de Joséphine pour me laisser errer dans mon lit. C’est vrai, les hommes qui font de grandes choses se lèvent tôt. Mais surtout, ils ne connaissent que peu ces moments divins des petits matins  lorsqu’une femme se tient près de vous et vous serre dans ses bras. Je me débarrasse du pyjama et veux enfiler mon short de sport. Mais il ne glisse pas sur la peau des jambes comme d’habitude. Non, ce ne sont pas mes poils. Normalement, ils ne gênent en rien cette remontée vers l’aine du tissu en tenant l’élastique tendu entre mes deux mains aux doigts largement ouverts. C’est une sorte d’opposition douce, mais réelle. Ça y est ! J’y suis arrivé. Bizarre ! Je regarde mes jambes, elles paraissent normales. Ah, tiens ! Là, entre mes cuisses, des petits points noirs. Je les touche. Effectivement, ils raclent un peu. Même impression  que lorsqu’on s’essuie les pieds sur le paillasson avant de sonner chez un ami. Ma barbe pousserait-elle à cet endroit du corps généralement peu enclin à de telles manifestations ? Je me rends dans la salle de bain, prends mon rasoir et rase l’endroit suspect de façon à retrouver la peau douce que j’ai normalement en ce lieu. Cela va mieux. Je pars en petites foulées et me noie dans la foule des Parisiens qui se précipitent au travail. Quelle chance j’ai de disposer de mes heures comme je l’entends. Certes, je travaille parfois très tard ou très tôt, mais au rythme que j’ai choisi, ce qui me donne une impression de liberté que vous n’avez pas, vous, l’ensemble des mortels adultes.

15/07/2016

La mue (4)

J’en suis là de mes réflexions, lorsque Joséphine, réveillée, débarque dans la cuisine. C’est ma nouvelle petite amie. Elle est vive, a un cœur d’or et des boucles blondes qui font chavirer les cœurs. C’est vrai, parfois, elle prend trop de place et donne son avis sur tout. Mais je ne suis pas obligé de la suivre sur tous les points qu’elle propose.

– Tu m’as l’air d’avoir passé une mauvaise nuit. C’est encore ton attestation qui te tracasse ? De toute façon, on est obligé d’y passer. Alors cela ne sert à rien de faire la mauvaise tête.

Évidemment, cela lui est facile. Elle a dix ans de moins que moi et a donc une autre vision, plus détachée. Je n’ai pas envie de parler de cela. Elle va tenter de me raisonner alors que je ne désire que me laisser aller et oublier. Je l’embrasse dans le cou, je lui susurre quelques mots câlins, la serre dans mes bras et sens au travers du tissu de sa robe de chambre ses seins qui frémissent. Oui, c’est vrai, elle sait adoucir mes jours, engendrer en moi l’oubli de mon personnage et même me donner une autre vision de ma vie, très différente de celle que j’ai lorsque je me regarde devant une glace. Je lui sers un café, la laisse boire tranquillement, échange quelques plaisanteries, puis l’entraîne vers la chambre pour passer encore quelques moments ensemble. Elle se laisse dénuder, l’œil brillant, un sourire aux lèvres, ce sourire qui m’a séduit un jour d’hiver dans la devanture d’un magasin. Je me suis retourné, je l’ai vu et l’ai contemplé jusqu’à ce qu’elle me remarque et arrondisse le coin de ses lèvres. Nous avons parlé, nous nous sommes aventuré dans un café, avons pris deux grands crèmes et devisé jusqu’au déjeuner. Le soir même, elle s’installait chez moi, avec ses valises. Je ne l’ai pas regretté, même encore maintenant. Elle est distrayante et revient chaque soir pleine de joyeuses anecdotes à raconter.

Mais ma vie privée ne vous intéresse sans doute pas. Pardonnez-moi. C’est probablement le stress de l’attestation reçue dernièrement. Ce soir nous irons danser, cela nous fera du bien, à moi surtout. Joséphine s’est rendormie. Elle a une faculté sans égale à dormir à tout moment, en particulier après l’amour. Et ce n’est pas cinq minutes. Plutôt une heure. Je m’habille et pars travailler. Il le faut bien, sinon mon patron va devoir me signaler à la police des mœurs, celle qui est en charge des muants. Sitôt sorti de l’appartement, je suis agressé par les images et les mots qui ne cessent de parler de cet événement qui m’attend, je ne sais quand.

14/07/2016

La mue (3)

L’un d’eux fut transformé en vers des sables, chaud en été, froid en hiver, le nez dans les grains, piétiné par les baigneurs, claqué sur la peau des femmes prenant leur bain de soleil. Un autre se retrouva cheval dans un puits de charbon, aveugle, ne pouvant respirer, devant tirer d’immenses bennes de charbon sur rails, se tordant les pieds entre les traverses et toussant comme un malheureux en raison de la poussière de la houille. Lorsqu’il remonta à la surface, il était méconnaissable et il s’est suicidé en se précipitant dans le puits d’où on venait de l’extraire. Enfin, le troisième se mua en ortie. Une grande tige pleine de poils urticants, des feuilles aux bords agressifs, coupée toutes les deux ou trois semaines et condamnée à repousser sans cesse pour se faire à nouveau couper, voire arracher.

Oui, c’est vrai, j’avais oublié de vous le dire. Dans certains cas, on peut être transformé en plantes, généralement vénéneuses. Ce sont certes des cas extrêmes, mais ils existent. Enfin, une fois seulement, un homme fut transformé en pierre. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais il avait dû commettre de nombreuses fautes pour en arriver là. On n’a d’ailleurs jamais pu le retrouver dans la carrière où il avait été affecté, si bien qu’il n’a jamais pu avoir une autre mutation programmée.

Je vous avertis, lecteurs. N’en arrivez pas à de telles extrémités. Laissez-vous faire, il ne sert à rien de lutter. Mieux vaut coopérer et attendre le jour où une nouvelle mutation aura lieu. Certains ont même fini politiques après quelques années de mutation imposée. Les politiques sont des hommes et des femmes privilégiés. Ils ne reçoivent leur attestation qu’à l’âge canonique de soixante-dix ans, et ils peuvent choisir en quoi ils veulent muer. La plupart ne demandent que des changements insignifiants et avantageux, par exemple disposer d’une jambe supplémentaire pour mieux courir après les votes et se reposer dans les meetings. Quelques années plus tard, vous les retrouvez toujours en place, rajeunis, pas ou peu affectés par le fait d’avoir dû muer.

13/07/2016

La mue (2)

Mais ce n’est pas tout. Tout au long de la journée, j’ai droit à des rappels de ma condition de futur muant. Est-ce fait exprès, je ne sais pas, mais toujours est-il que cela me rappeler sans cesse l’urgence d’une bonne transformation. Tiens, tout à l’heure, juste après être sorti pour acheter ma baguette de la journée, j’ai été hélé par M Bougrenat, le marchand de chaussures qui me dit d’une voix doucereuse :

– Savez-vous ce qui est arrivé à M Rodogine hier ?

– Non, lui répondis-je.

– Eh ben, il a été transformé en bœuf à tout faire. Depuis, je m’attends à le voir passer chaque jour devant la porte et à devoir le saluer comme si de rien n’était alors qu’il transporte les légumes de tous les gens de la rue.

Vous me direz : « Mais pourquoi parle-t-on de muer plutôt que de dire qu’il y a une véritable métamorphose ? » Tout simplement par pudeur. La grande majorité des gens ne souhaitent pas en parler, ni même entendre en parler. Alors plutôt que de dire qu’ils subissent une véritable renaissance, ils parlent de mue, ce qui n’est le cas que de quelques personnes parmi des milliers. L’exemple précédent vous donne une idée approximative des commentaires des gens. Ils ne font pas cela par bravade, mais plutôt par souci de vérité, fausse évidemment. Et puis l’habitude en est venue, en particulier de la part des plus jeunes. Eux ne risquent rien. Ce n’est que vers l’âge de quarante ans que le risque augmente terriblement d’être appelé. Et on ne peut pas refuser. J’ai connu des gens qui avaient fui  très loin, hors de France. Et bien la police n’a pas mis huit jours pour les retrouver. Et si vous aviez vu ce qu’ils sont devenus après avoir été pris, vous n’auriez surtout pas tenté de fuir comme ils l’ont fait.

12/07/2016

La mue (1)

Pardonnez-moi, je commence un autre récit. Il s'impose à mon esprit à tel point qu'il m'empêche de penser à autre chose. Alors il faut que je l'écrive et que je vous le livre, sinon je perds mon temps à chercher ce dont je vais vous faire part. Rassurez-vous ce n'est qu'une nouvelle et elle ne sera pas éternelle. Quant au nombre manquant, l'infini peut attendre, il sera toujours là ainsi que le zéro.

 

J’ai commencé à m’inquiéter le jour où la mairie m’a envoyé une attestation m’indiquant que la saison de la mue était arrivée pour moi. Seule l’administration a le pouvoir de choisir la date de la mue de chaque personne. Elle ne donne jamais le jour exact, mais la saison à laquelle celle-ci se produit. Il appartient ensuite à chacun d’être prêt le moment venu. Pourtant, à la réception de cette attestation, je n’en sais pas plus et il est évident que cela m’inquiète. Que va-t-il se passer ? Comment les premiers symptômes apparaissent-ils ?  J’ai toujours été un enfant fragile, quelque peu malingre, craignant le sport, un enfant qui se blesse facilement et met longtemps à s’en remettre. Comment voulez-vous que je ne sois pas inquiet ? Je me souviens de la fois où mes parents m’avaient laissé seul dans la cour de récréation avec les autres garçons. J’avais bien essayé de me cacher derrière le bosquet d’arbres près des toilettes, mais j’avais été repéré par un garçon entreprenant qui avait appelé les autres et tous s’étaient d’abord moqués de moi, m’avaient bousculé et battu. J’ai bien essayé de me protéger des coups de poing, mais ils m’ont alors assailli de coups de pied qui m’ont vraiment fait mal. Depuis mes parents m’amenaient chaque jour jusqu’à la maîtresse qui me rendait le soir à ceux-ci. Et, prochainement, m’attend une longue épreuve, d’autant plus inquiétante que personne ne sait ce qu’il va advenir au moment de sa mue. C’est très variable. Certains ont une mue très bénigne, il peut leur pousser un bras supplémentaire, un autre nez ou encore une queue. Ce n’est qu’une toute petite mue. D’autres se muent carrément en un animal quelconque, pas seulement terrestre, mais également sous-marin ou aérien. Rares cependant sont ceux qui se muent en animal souterrain. Je les plains ceux-là en raison des difficultés à respirer et de l’obscurité permanente qu’ils côtoient pendant toute la durée de leur nouvelle vie.
Ce matin, au lieu de me lever dès le réveil, je me laisse aller. À quoi bon faire des efforts si c’est pour finir en ver de terre ou en poisson ? Je m’imagine en toutes sortes d’animaux, mais j’ai beaucoup de mal à suivre les différentes étapes de la mue. Les poils ou les plumes poussent-ils en premier ? Comment vais-je devenir ovipare ou m’engendrer moi-même comme les petites cellules du corps humain ? Ces questions vous paraissent idiotes, mais je vous assure que lorsque le moment approche, elles créent des tensions invraisemblables, à la fois corporelles et psychiques, que vous êtes de plus incapables de dissocier. Alors, je laisse aller mon esprit et le tourne vers des choses plus agréables : les vacances de l’an dernier dans le midi de la France, sur cette petite plage abritée par les pins. Mais aussitôt ma pensée se tourne vers les poux de plage, les araignées et je m’imagine poilu et nu, faisant face aux pieds énormes des enfants du voisin. Je change de sujet de délibération. Je suis pianiste et je joue dans un orchestre. Le basson crache énergiquement dans son instrument et je me vois petit microbe projeté au loin par l’air compressé, devenu sourd au passage dans les tuyaux. Bref, toujours je me vois plus petit que je ne suis, incapable de faire quoi que ce soit pour mon avenir, subissant sans résistance le broyage de ma vie passée. Qu’en sera-t-il le jour où la mue commencera ? J’ai beau me dire que si je m’en fais cela va encore plus mal se passer, rien n’y fait.  Ah ! Je me rendors… Un étrange animal vient se coller contre moi. Il ne sent pas bon et ses pattes velues commencent à m’enserrer. Je m’écarte, mais il revient près de moi. Que faire ? Au moment où je crois qu’il va m’embrasser ou me manger, je me réveille. Dieu soit loué ! Je l’ai échappé belle !

09/07/2016

Le plaisir et le bonheur

On confond trop souvent plaisir et bonheur. C’est une confusion profonde, au-delà d’un malentendu entre les mots. Sous prétexte de rechercher le bonheur, on recherche les petits plaisirs. C’est tellement plus facile. On se trouve du bien-être à la chaîne qui, mis bout à bout, donne l’illusion du bonheur.

Le plaisir est passager. Il ne dure pas. Certes, il provoque des décharges d’adrénaline qui enchante l’instant. Mais très vite, comme l’enfant devant un jouet nouveau, il ne comble plus l’esprit de celui qui l’éprouve. Vous aurez alors besoin d’une nouvelle quête, d’un nouveau sujet de plaisir pour vous satisfaire, qui, lui-même, deviendra caduc le jour où vous l’obtiendrez. Observons que le plaisir est lié au monde extérieur. Il n’est que la réaction positive recherchée face aux circonstances que vous vous efforcez de faire naître favorablement.

A l’inverse, le bonheur est durable, car il n’est pas lié aux circonstances extérieures, mais à votre état d’esprit. Peu importe les circonstances de la vie. Seule compte la façon dont je les vis de l’intérieur. Alors, qu’est-ce qui fait la différence, in fine ? Soit je perçois la succession de grains que je côtoie dans l’écoulement du temps, soit je m’efforce de percevoir ce qui les relie à moi-même et aux autres. La qualité de la relation a plus d’importance que la relation elle-même. C’est cette qualité, recherchée et développée, qui ravie et fait éprouver le bonheur.

N’accumulons pas les grains offerts par la vie, mais cultivons la façon dont on les perçoit et les intègre dans notre vie intérieure.

18/02/2015

La bande dessinée

Une bande dessinée, c’est un morceau de rêve dans un monde à part. Ses héros sont de pacotille, mais quel bonheur de pouvoir un moment s’évader de la vie quotidienne. Vous partez en images à la rencontre de l’imagination débordante de l’auteur. Vous la connaissez par cœur et c’est justement pour cette raison que vous aimez vous y plonger. C’est un retour à l’enfance, le plaisir de se retrouver en culotte courte, vautré sur le lit, la bande dessinée enfouie entre les cuisses, les genoux dressés. Vous ne sucez plus votre pouce, mais c’est tout juste.

Aujourd’hui vous partez en Syldavie, ce pays charmant, d’une Europe révolue aux traditions slaves. C’est le Moyen-Age, le siècle de Louis XIV, le romantisme du XIXème siècle et l’ère communiste tout à la fois. Vous vous rêvez en prince, avec un uniforme étincelant, jouant les espions, transgressant les frontières, entouré de belles femmes. Vous vivez une autre vie, enfoui dans votre lit, au chaud, en rupture avec la société et les mondanités. C’est une cure de jouvence, un clin d’œil à votre jeunesse, un retour à la famille oubliée dans les péripéties de l’existence. Vous vous revoyez dans la chambre de votre enfance, rêvant à un avenir dont vous ne voyez pas l’issue, de même qu’aujourd’hui vous ne savez pas non plus ce que vous réserve le lendemain.

Vous ne parlez pas de destin. Celui-ci est trop figé. Il vous met dans une boite qui vous conduit inéluctablement au néant. Vous ne savez vers quoi vous allez, mais l’Autre à déjà tout décidé. Mieux même, les voyantes (elles sont bien sûr féminines), qui font preuve de beaucoup de perspicacité, vous diront cet avenir implacable dont vous ne pourrez plus vous débarrasser. Votre route est-elle tracée d’avance ? Non, surement pas. Vous croyez à la liberté personnelle. Vous croyez à un avenir inconnu, même maintenant, alors que vous atteignez un âge qui ne laisse que peu d’espoir de changement de destinée. Certes, vous pourriez encore la modifier, mais cette destinée que vous avez construite et que les autres ont également façonnée, vous appartient. Elle a laissé ses racines dans votre vie présente. Votre liberté n’est pas totale, elle doit respecter la liberté des autres et surtout leur affection. Car vous avez planté votre tente dans un paysage de bonheur et d’amour que vous portez en vous grâce à eux, ceux qui vous ont construit parce que vous les avez reconnus, fait naître ou adopter par amitié. Et votre destin n’est pas ce que la société retient de vous, mais ces instants de vérité où vous choisissez votre véritable liberté : la construction d’une vie personnelle qui se mêle à celle de vos proches et fait de vous un être à part.

Retour à la bande dessinée. Vous repartez en voyage, dans ces pays imaginaires si proches de la réalité, où les bons sont les bons et les méchants les méchants. Ah, là aussi l’existence s’est figée en un imaginaire de rêve, si peu proche de la réalité. Rien d’inconnu malgré tout. C’est le contexte bon enfant d’Hergé qui déteint sur vous. Vous ne savez plus où vous êtes. C’est votre plus grande liberté, une évasion sans fin que vous offrent gratuitement les plis voluptueux de votre encéphale.

Dieu, où donc vous a conduit cette bande dessinée. Vous endossez mille destins en rêve et vous n’en vivez qu’un. Mais combien est précieuse cette vie déroulée pas après pas dans l’ignorance totale d’un avenir inconnu. Celui-ci devient vôtre progressivement, il vous colle à la peau et vous ne pouvez vous en débarrasser. Alors adoptez-le !

08/02/2015

Acédie

L’homme n’en pouvait plus. Il avait marché toute la journée et le soir tombé. Il s’assit sur la pierre et prétendit n’en point bouger. Elle tenta vainement de l’entraîner à sa suite, sans succès.

Il lui confia son mal : le noir de la nuit correspondait en lui à un noir de l’entendement. Il ne savait ni où il était, ni quel jour il était. Plus rien ne lui permettait de se rattacher à l’espace et au temps. Il attendait la fin de cette acédie avec patience, pensant dans le vide de son encéphale jusqu'au lever du jour.

Errer sans fin dans les plis de son cerveau, parmi les vagues délirantes et blanchâtres, s’enrouler sans tomber entre les neurones, n’est pas une promenade de santé. Il poursuivait en rêve son voyage de la journée, mais sans ressentir la fatigue liée à la pesanteur. Il était dans un état de grâce dans lequel tout devient charme. Le sourire aux lèvres, la pipe à la bouche, il allait sans fatigue, sans prendre garde aux voleurs d’idées à un carrefour de rues. Plus rien dans la caboche et un corps frêle et harassé qui n’offre aucun refuge aux âmes qui errent sans savoir où elles vont. Il poursuivit longtemps ce double de la vie jusqu’au moment où il se sut évadé.

Flash ! Que fait-il dans cette galère ? Il se retourna, ne vit rien que le vide, fit à nouveau demi-tour et ne vit toujours que le vide. C’est sur cette tête d’épingle qu’il persista dans son existence, loin du monde et des hommes, enlacé des circonvolutions du temps et de l’espace.

Bienheureux cet homme qui sut ne pas se poser de question devant l’absurdité de la destinée.

26/01/2015

Errance

Vous arrive-t-il d’être en mal d’être ?
Vous  êtes réveillé par une absurdité
Un rêve mal placé sous le crâne
Qui vous harcelle et vous étouffe
Vous suffoquez sans pouvoir respirer
Les bulles du souvenir de la nuit
Remontent en vous inexorablement
Vous revivez les moments pénibles
Où votre amour propre fut en jeu
Et vous palpez les pierres noires
Qui hantent vos profondeurs
Et vous entraînent au désespoir
Vous rampez avec courage et ténacité
Pour respirer parfois ce ravissement
De l’air ténu du chant des anges
Qui vous permet de tenir malgré tout
Malgré les coupures ininterrompues
Des mots, des sentiments et du désir
Fragile, vous êtes, comme l’araignée
Qui se rattache viscéralement à son fil
Vous ouvrez les bras, en chute libre
Tentant de planer dans la fange
De votre inhibition et affolement
Où donc avez-vous la tête et le cœur ?
Plus rien ne vous soutient
Ni le passé, encore moins le présent
Seul l’avenir peut vous faire signe
Et vous entraîner vers une amélioration
De vos relations avec vous-même

Enfin !

La crise s’en est allée
Oublié cet orage en vous
Parti ce furoncle maudit
Qui entraîne votre moi
Vers l’enfer de l’existence

Une étreinte, une caresse
Un signe de l’invisible
A dénoué votre être
Et vous baignez
Dans ce réel
Où rien
N’est
moi

Est-ce Toi. Qui ?

© Loup Francart

18/01/2015

Frontière

Il y a de nombreuses frontières
Ces fils de soie qui démarquent l’existence
Entre deux êtres, entre deux pensées

Mais la première frontière
Est celle qui vous coupe en deux
Celle du dehors et du dedans

Elle est ténue comme une bulle de savon
Vous soufflez dessus, elle disparaît
Où est-elle ? Noyée dans l’espace
Disparue du temps, sans consistance

Suis-je celui que tu vois
Ou celui qui me ressent ?
Suis-je cette maladive tendresse
Qui court sous des dehors chatoyant
Ou encore cet oblong animal
Dont toutes les cellules se touchent ?

Quand l’extérieur devient l’intérieur
Et inversement, en un court instant
Où tout chavire dans la tête et le cœur
Alors l’immortalité vous prend
Et vous berce de ses attraits

Tu es et tu n’es pas
La frontière s’en est allée
L’omelette est faite
Le jaune et le blanc se sont mariés
Et cela crée un immense lac
Où le regard se perd en louchant

Oui, j’ai ma consistance entière
Frappez à la porte de l’être
Il vous dévoilera ses secrets
Le gong de ses battements de cœur
L’odeur délicieuse de ses rêves
La sortie de route de ses pensées
Le grattement de ses insuffisances
Le chatouillement de ses humeurs

Le dehors vous importune-t-il ?
Tournez-vous vers le dedans
Plongez dans votre piscine personnelle
Faites glisser l’archet sur la souffrance
Pour en tire des sons de miséricorde
Puis,

dans la solitude de votre être
Contemplez ce ruissellement sauvage
Qui coule dans vos veines
Et vous enivre d’un alcool pétillant

Je n’ai plus de frontière. Je suis
Unique et mal foutu, être vivant
Et bien vivant, devant une vie d’extase
Où le soleil tourne sur lui-même

Le jour où il s’arrête ne viendra jamais
Je serai mort avant
Envolé dans la chaleur de l’absence
Du moi devenu toi ou nous

Quelle misère… Plus de frontière !

© Loup Francart