09/11/2017
Course
Accélération…
Mes jambes vont-elles encore me porter ?
Les poumons me brûlent !
Encore, encore un effort, un peu, beaucoup
C’est la dernière côte, il faut accélérer
Malgré l’extinction du souffle
L’évanouissement des sensations
Je ne suis plus qu’un serpent qui court
Dans l’air respiré en saccade…
Allez, les autres ne tiendront pas ton rythme…
Voilà, j’entends les râles de mes voisins,
Ils ralentissent, asphyxiés, à bout
Surmonte ta fin, pousse encore
Malgré le trou dans ta poitrine
Malgré le crissement de tes genoux
Malgré la sueur coulant entre les sourcils
Oui, tu es seul en haut de cette côte
Ils sont derrière, ne peuvent plus te suivre
Ne t’arrête pas malgré l’envie
Tire ton souffle au-delà de toi-même
Agite le soufflet, laisse-le chanter
Plus que trois cent mètres…
Tu les entends revenir sur toi
Il faut tenir,
Exalter ce corps qui peine
Devancer l’être qui s’épuise
L’imaginer courant devant toi
Libre d’une volonté implacable
Survolant sa faiblesse joyeusement
Ils reviennent…
Ils reviennent à ta hauteur
Des forges… Ils n’en peuvent plus
Moi non plus d’ailleurs…
Mais encore un dernier effort
Malgré l’absence d’air
Qui ne parvient plus aux jambes
Malgré le vide qui se creuse en toi
Malgré la mollesse qui s’empare de tes pas
Allez, poursuis, encore
Plus que cinquante mètres
Tu ne sais comment cela va finir
Mais tu veux la victoire
Tu la veux, tu la veux !
Les soufflets s’éloignent
Ils capitulent…
D’un râle tu franchis la ligne
Tu pars titubant, inconscient
Tu ne peux t’arrêter
Tu t’écroule à terre
Tu n’es plus qu’un tuyau en feu
Un pot d’échappement exsangue
Tu t’enfonces dans l’eau salée
D’une transpiration violente
Tu ne sais où tu es
Ni même qui tu es
Plus que ce souffle
Criant sa douleur
Et sa satisfaction
Tu as tenu jusqu’au bout
Quelle belle victoire...
Tu la réalises… Tu la vis…
Plus rien n’existe que cette envolée
Qui t’as propulsé en tête
Dans l’ivresse d’un infini
Où seul le souffle existe
Hors de toute pensée
Et dans cet instant sublime
Tu entrevois les perles de rosée
Autour de la bouche de ton poursuivant
Son extinction et son admiration
Oui, tu as gagné
Dieu, que ce fut dur et exaltant
Tu as couru derrière ton être
Et tu l’as rattrapé
Fondu en un seul
Au dernier moment !
© Loup Francart
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06/11/2017
La chamade, de Françoise Sagan
C’est bien une étude du bonheur que fait Françoise Sagan, une étude dans les conditions idéales, puisque aucun des personnages n’est préoccupé par la vie matérielle. Riches, insouciants, ils ne semblent s’intéresser qu’aux sentiments et ce n’est que lorsque les exigences matérielles s’imposeront que le bonheur se troublera.
C’est dans une atmosphère qu’on peut comparer à celle des salons du XVIIIème siècle, que Lucile, maîtresse de Charles, connaît pour la première fois un amour véritable. Insouciante, libre, elle s’éprend d’Antoine, amant d’une belle courtisane. Le bonheur les prend, avec les angoisses de l’attente, le délire des nuits, la fatigue des matins, la douceur des jours. Un bonheur de six mois sans interruption. Mais Lucile un jour attend un enfant et ce sera Charles qui les aidera à s’en séparer. L’habitude, la monotonie des jours, la pauvreté les lassent peu à peu et Lucile, pour retrouver sa vie de liberté, d’ivresse et de bien-être, quitte Antoine qui ne pouvait lui offrir que son cœur et son corps. Elle reprend alors sa vie avec Charles.
Le livre contient quelques bons mots :
… Un de ces journaux qui se disent de gauche afin de mal payer leurs collaborateurs et dont l’audace s’arrête là…
… A Paris, il ne faut jamais s’excuser de rien ; on ne peut faire n’importe quoi que si on le fait gaiement…
… Les gens ont de plus en plus peur. Ils ont peur de vieillir, ils ont peur de perdre ce qu’ils ont, ils ont peur de ne pas obtenir ce qu’ils veulent, ils ont peur de s’ennuyer, ils ont peur d’ennuyer, ils vivent dans un état de panique et d’avidité perpétuelles…
… Rien n’est plus affreux que le rire pour la jalousie…
07:50 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, nouvelle vague | Imprimer
04/11/2017
L'homme sans ombre (32)
Cette explication a fortement perturbé Mathis. Rentré chez lui après avoir raccompagné Noémie, il sent qu’il a besoin de mettre de l’ordre dans les perturbations mentales qui l’assaillent. Qui au monastère cherche à le faire déchoir, pourquoi, comment ? Il a beau tenter de faire le vide en lui, les images de la journée et les questionnements qu’ils avaient évoqués ne cessent de le défier. Il a l’impression de revenir au temps de son apprentissage de la méditation. Pourtant que de paliers a-t-il franchis depuis ! Faire le vide par l’extinction progressive des réactions qu’ont produites en lui les paroles échangées. Il sent bien qu’il est trop concerné par les événements. Il lui faut prendre de la hauteur, voir les choses d’un autre point de vue, dépersonnaliser sa réflexion, accepter la vérité de ce qui se passe et faire abstraction de lui-même. Au bout d’une demi-heure, il sent l’effacement des pensées de son ego, le vide s’installe progressivement, la barrière entre le monde et lui-même s’efface, il entre en harmonie avec l’événement et le contemple sans identification. Soudain, il voit. Il voit ses réactions, son implication égoïste alors qu’il aborde les dernières étapes de la méditation, les grains mentaux qui l’empêchent d’être détaché. Il poursuit sa concentration, visualisant le corps du bouddha jusqu’à une consonance avec celui-ci. Alors, épuisé, il se couche. Il ne peut mettre immédiatement son projet à exécution, il est trop impliqué. Il décide de prendre une semaine de retraite et d’envoyer un autre à sa place au monastère indien. Ce sera Patrick, même s’il n’a pas la culture lui permettant d’échanger avec les moines restés là-bas.
Le lendemain, après avoir accompli ses engagements envers sa communauté, il va chercher Noémie pour se réunir à nouveau chez Patrick et Lauranne. Il lui explique en chemin ses incertitudes, ses interrogations et la nécessité de faire une retraite d’une semaine sans voir personne, y compris elle, sa fiancée. Noémie saisit cette nécessité et, malgré l’inquiétude qu’ont fait naître les événements, accepte. Ils abordent leurs amis avec calme et détermination. Maintenant, Noémie est elle-même impliquée dans le processus.
Très vite, ils tombent d’accord. Mathis va mettre au courant, grâce à Internet, les membres de la secte bouddhiste[1] restés en Inde, avertira de la venue de Patrick, puis fera sa retraite. Patrick préparera son voyage en Inde pour bien montrer la volonté du « rimpoché Mathis ». Noémie organisera les préparatifs du mariage. Lauranne restera en veille, car elle peut être contactée à tout instant par les opposants.
Le lendemain matin, Mathis dit au revoir à Noémie et part à une adresse inconnue, non sans avoir expliqué à Patrick qu’il attende son feu vert pour partir en Inde. D’ici là, pas de bruits, pas de vagues.
[1] Le terme secte pour la religion bouddhiste n’a pas la notion péjorative qu’elle a en France.
07:17 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
02/11/2017
Larmes de crocodile
Il vit mille vies
Et pourtant, il n’en a qu’une
Il habite à l’autre bout du monde
Mais il n’est jamais sorti de chez lui
Il est ermite
Et pourtant élastique
Même le temps ne peut rien contre lui
Aussi à l’aise au casino qu’à l’église
Il est tout ce qui n’est pas lui
Il n’est rien de tout ce qui est lui
Il a trouvé la paix un jour de marché
Lorsqu’il a vu les femmes volages
Et les évolutions des hommes
Dans des orbites resserrées
Jusqu’à ne plus former qu’un bloc
Qui prend la fuite sitôt créé
Il reste seul, imaginaire
Au pays des couples ensorceleurs
Où deux font un et un rien du tout
Il n’a qu’un avantage
S’immiscer en trois dans l’un
Et contempler les éclats du deux
Certes, les mathématiques tremblent
Devant cet être chevauchant
L’irrationnel et le merveilleux
Et n’en tirant qu’une larme
L’œil du crocodile s’ouvre
Et la voix profère :
« Que la larme rejoigne les eaux
De l’anonymat et de la luxure ! »
© Loup Francart
07:32 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
31/10/2017
L'homme sans ombre (31)
– Si nous revenions à nos soucis présents, dit Noémie un peu gênée. Devant cette menace déclarée, que comptes-tu faire ?
– Tout d’abord, et cela te semble évident, ne pas renoncer à notre mariage. Peut-être revoir la façon dont il va se dérouler, un point c’est tout. Mais cela ne résout pas notre problème et les dissidents du monastère peuvent s’en prendre à chacun d’entre nous. Et, croyez-moi, ils le feront s’ils en ont la possibilité. Alors il ne faut pas leur en laisser l’occasion.
– Oui, mais comment ?
– On pourrait, dans un premier temps, se marier dans l’intimité, sans l’annoncer officiellement. Mais cela risque fort de transparaître à un moment ou un autre. Et puis, ce n’est pas dans la tradition bouddhiste de faire les choses en cachette. Je pourrais également renoncer à ma vocation et redevenir un simple adepte civil. Mais ce serait également trahir mon idéal. Je compte donc marcher sur les pas de mes deux illustres prédécesseurs et exercer en toute transparence mon aide à ceux qui attendent de moi quelque chose.
– Cela nous l’avions compris. Mais alors que vas-tu faire de nous, et même de toi, devant la menace.
– Il est possible de fuir et de nous cacher dans une autre partie du monde. Mais c’est également renoncer. En réfléchissant, le seul moyen de concilier les deux aspirations est de se cacher au sein même des adeptes de notre tradition bouddhiste. Nous rejoignions le monastère en Inde où je suis reconnu comme tulkou et je reprendrai ma fonction de Rimpoché. Ainsi les adeptes actuels du monastère parisien seront délaissés et rejetés par l’ensemble des écoles tibétaines.
– N’est-ce pas un peu hasardeux ? interrogea Lauranne qui avait bien vu les interrogations de son amie. Et de plus, il me semble qu’il faudrait demander à Noémie ce qu’elle en pense. Est-elle prête à épouser un lama tibétain, même si celui-ci a des origines européennes ?
Tout cela était trop nouveau pour la jeune fiancé, trop exotique, trop inattendu. Elle regardait Mathis avec un air implorant et ses yeux voilés de larmes traduisaient à la fois sa panique et son amour. Mathis se tourna vers elle, la regarda droit dans les yeux, sentit cette interpellation, sourit et, lui passant la main derrière le cou, l’attira à lui avec tendresse.
– Noémie, tu vas décider à ma place. Tu sais mon amour pour toi. Tu sais maintenant ce à quoi je suis prêt à renoncer et je ne crois pas que je le regretterai. Je te laisse réfléchir jusqu’à demain. Nous nous retrouverons ici, avec Patrick et nous prendrons notre décision tous ensemble, car si nous disons oui, nous aurons besoin de nos amis pour faire face.
– Oui, tu as raison, répondit Noémie les yeux mouillés et les lèvres tremblantes. Elle ne put rien ajouter, trop émue.
– Au fait Lauranne, quand dois-tu donner ta réponse au monastère ?
– Je ne sais pas. Rien ne m’a été dit là-dessus.
– On peut estimer qu’ils vont te laisser quelques jours, observer tes déplacements et apprécier les évolutions de situation. Disons quatre jours maximum. Il nous faudra bien deux jours pour mettre au point notre projet, puis commencer à passer à son exécution. Alors demain soir au plus tard, nous devons savoir ce que nous voulons faire.
Là-dessus, Lauranne les laissa partir, serrés l’un contre l’autre comme deux oiseaux tombés du nid. Elle attendit Patrick qui rentra du travail vers 19 heures 30 et lui raconta les événements de la journée. Après un repas frugal, ils s’étendirent sur leur lit, se serrèrent l’un contre l’autre et s’endormirent épuisés.
07:19 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
28/10/2017
Délire doux
Retour aux prémices de l’horloge
Là où rien ne frotte ni ne pèle
Ça gratte la tête jusqu’à la sortie
Et ça crie plus fort que toi-même
D’où vient ce froid plaisir
Qui obscurcit la douceur de l’avenir
Une boule dans la gorge, pesante
T’empêche de délirer sans raison
Mais est-ce si logique que cela
Je ne sais d’où tu viens ni où tu vas
Mais je pars avec toi, t’accompagnant
Dans ce délire de mots et de cris
Jusqu’à ne plus dire tout haut
Ce que je pense tout bas
Seul reste l’air pur et envoûtant
Des matins d’automne, pesant
Sur le ventre écarlate des enfants
Jusqu’à les faire rire de peu
Et même parfois de rien
Réjouis, ils attendent de toi-même
Ce que tu as toujours su faire
Ce personnage insolite et burlesque
Qui pleure le soir dans le noir
Et fait rire le jour sans vergogne
Nous sommes bien au creux de la nuit
Là où l’ombre devient l’unique objet
D’une attention soutenue et molle
Évanescent, tu divagues sous les pierres
Et cries de trop de divergences
Les mots sortent en chapelets,
Parfois hésitants, toujours bêlants
Tu ne peux les retenir
Même en fermant les doigts
Sur leurs plaintes et regrets
Non, rien ne vient
Que l’obscur dédain des mites
Qui transpercent les vêtements
Et rient de te voir dénudé
Alors tu cours au-devant des autres
Quémandant un mot aimable
Pour t’enorgueillir de si peu :
Va et ne dis rien
Car le peu que tu dis
N’a que l’apparence de la déraison
Mais qu’importe cet espoir
De divaguer sans fin ni soif
Seul compte le silence des agneaux
Un soir d’automne dans le frais
Et la chaleur d’un regard
Elle est là, belle au pied de l’escalier
Attendant ta venue, souriante
Et te regarde amoureusement
Te tendant les mains
Ouvrant les doigts, la poitrine en avant
Plus rien ne t’intéresse que ce silence
Sans fin qui t’angoisse et te glace
Tu gèles sur place, ouvre ton stylo
Avant de mourir dans le froid
Et note tes derniers souhaits
Même s’ils ne valent plus la peine
D’être vécus ni même évoqués
© Loup Francart
07:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
27/10/2017
L'homme sans ombre (30)
– Nous comprenons maintenant ce qui nous a tant intrigués dans ta manière d’être et ce qui m’a séduite. Mais pourquoi ne jamais m’en avoir parlé ?
– Tout simplement parce que lorsque, après avoir satisfait à l’ensemble des épreuves, je fus nommé responsable du monastère, j’eus alors une crise psychologique, due probablement à l’excès de méditation au cours de la dernière année. J’ai eu une vision qui m’a conduite en France avec une partie de mes fidèles et j’ai fondé six mois plus tard le monastère que tu connais maintenant, Lauranne. L’autre partie des moines est restée en Inde, près du Tibet. Ce fut une période difficile, tendue, orageuse, qui m’apporta beaucoup de soucis et peu de bienfaits bien que je sentais en moi l’irrésistible nécessité de ce voyage. Puis je connus Noémie. Ce fut le coup de foudre. Je sentais que je pouvais réaliser la fusion entre le monde oriental et le monde occidental grâce à ce mariage. Non, ce n’était pas le fruit d’une réflexion intellectuelle, mais quelque chose de plus profond, de plus ancré en moi, comme une résurgence d’un ailleurs qui s’imposait à moi.
– Mais c’est complètement contraire à la tradition bouddhiste ! s’exclame Noémie. Les moines doivent s’abstenir de toute relation sexuelle.
– Oui, c’est vrai. Néanmoins je ne suis pas le premier à prétendre et à mettre en pratique ce statut inusité dans le bouddhisme. Ainsi Son Éminence le Sakyong Mipham Rinpoché a étudié avec les plus grands maîtres tels que Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché, maître de Sa Sainteté Le Dalaï-Lama, et avec Sa Sainteté Penor Rinpoché, l’actuel détenteur de la lignée Kagyü. Il est cependant devenu un véritable Occidental. Il est poète, artiste, cavalier, marathonien, tireur à l’arc. Il s’est marié à Tseyang Palmo, fille de Namkha Drimed Rabjam Rinpoche, détenteur de la lignée Ripa. Avant lui, Chögyam Trungpa Rinpoché est l’un des premiers Lamas à avoir introduit le Bouddhisme tibétain en Occident. En 1959, il fuit le Tibet vers le nord de l’Inde, en traversant l’Himalaya accompagné de 300 personnes. Comme le Dalaï-Lama et de nombreux maîtres tibétains en exil, il continue à enseigner et transmettre la sagesse du dharma. Dans les années 70, après avoir quitté sa robe de moine, il se marie à une jeune Anglaise. Il devient en Occident l’un des maîtres et artistes bouddhistes les plus reconnus, notamment pour avoir compris et réuni avec succès et authenticité la sagesse des cultures orientales et occidentales.
– si je comprends bien, dit Lauranne, on pourrait distinguer d’une part les relations sexuelles et d’autre part le mariage !
– Cela, je ne sais, rétorqua Mathis. C’est possible. Mais je doute cependant que cette distinction tienne au cours de la première année du mariage. Quoi qu’on dise, le mariage et l’amour humain en général ont pour aiguillon des relations physiques qui ne peuvent être purement platoniques. Je pense que tout être normalement constitué y pense et le rêve avec son ou sa fiancé(e). N’est-ce pas Noémie ?
– Je ne dirai pas le contraire ou alors tu ne me croirais pas.
– D’ailleurs, les rimpoché qui se sont mariés eurent des enfants dont certains d’ailleurs ont pris leur succession comme ce fut le cas pour Chögyam Trungpa Rinpoché, même si ces pratiques semblaient non conformes à la tradition de nombreux Tibétains.
07:16 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
25/10/2017
Clinique
L’odeur lisse et sans parfum
Des cliniques d’un jour ou d’une nuit
Vous entrez dans la chambre, éteint
Pour sortir vert comme un fruit
© Loup Francart
07:00 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
23/10/2017
L'homme sans ombre (29)
Lauranne ne sait que faire. Elle mesure sa responsabilité. Elle ne peut trahir son amie en demandant à Mathis de rompre avec elle. Elle ne peut, non plus, demander à Noémie de ne plus voir Mathis. Elle peut encore moins ne rien dire et attendre une catastrophe provoquée par les Tibétains. Elle pourrait éventuellement aller voir la police et porter plainte, mais elle doute que la police soit capable d’empêcher toutes les représailles possibles. Non, aucune de ces solutions n’est viable. Au fond ne serait-il pas préférable d’en parler directement à Noémie et Mathis et de réfléchir ensemble à ce qu’ils pourraient faire. Oui, c’est sans doute une solution. Peut-être pas la meilleure, mais sûrement une des moins mauvaises. Pleine de cette résolution, elle rentre chez elle, téléphone à Noémie, puis à Mathis et leur fixe rendez-vous chez elle, le soir même.
Elle est certes très gênée de raconter ce qui lui est arrivé. Cela révèle une surveillance autour de Mathis qui n’a pas lieu d’être et elle ne peut parler de la complicité de Noémie à cette curiosité. Mais ne rien dire lui paraît suicidaire. Mieux vaut être déchue que risquer l’anéantissement. Mathis sera très certainement furieux et elle l’aura mérité. Mais, sans tenir compte de ses problèmes personnels, elle doit considérer l’ensemble de la situation. Comment échapper à cette condamnation de Noémie et à sa rupture avec Mathis. Mais tout d’abord pourquoi rupture ? N’est-il pas possible d’être à la fois maître et marié ? Il faut qu’elle en parle avec Mathis. Le problème est d’aborder la vie de Mathis que Noémie ne connaît vraisemblablement pas.
En présence de Mathis et Noémie, Lauranne expliqua les menaces de l’Asiatique et son souhait ou, plutôt, sa volonté de séparer Mathis de sa fiancée. Elle ne raconta pas ce qu’il lui avait révélé sur son passé, mais Mathis devina vite ce qu’elle avait pu entendre et comprendre. Elle finit par lui demander ce qu’il voulait devenir et ce qu’il comptait faire vis-à-vis des Tibétains. Noémie était quelque peu anéantie, mais elle fit comme si de rien n’était et laissa Mathis s’exprimer sans dire un mot. Alors il parla :
– Ma vie te fut révélée de manière très leste par des personnes qui recherchent la poursuite d’un statut qu’ils ont acquis avec patience, ténacité et ardeur. Ils t’ont parlé selon leur cœur, sans tenir compte de ce que tu pourrais toi-même ressentir et de la difficulté dans laquelle ils te mettaient. Ce ne sont pas de mauvais bougres, mais des gens qui sentent qu’ils vont perdre quelqu’un de cher, qui leur est utile, un maître qui les soutient dans leurs efforts vers la vérité. Oui, Noémie, ce que l’homme que tu appelles l’Asiatique a révélé est vrai. Je ne peux dire le contraire. Et pour vous prouver ma bonne foi, je vais vous dévoiler mon histoire quelque peu insolite. Mes parents étaient en Inde du Nord pour affaire. Ma mère fréquentait plus ou moins un monastère bouddhiste. Lorsque je suis né, elle pressentit que je serai attiré par le bouddhisme. Effectivement à l’âge de deux ans, je fus reconnu comme tulkou, c’est-à-dire réincarnation du Lama du monastère Palthang. Je reçus l’éducation renforcée des futurs rimpochés : levée 6 heures, méditation personnelle, puis en groupe, études de textes, puis grammaire, littérature tibétaine, jusque vers 7 heures du soir, et, à nouveau, méditation. À 22 heures, je m’endormais épuisé. Cependant, pas une fois je n’ai regretté mon choix. Je progressais sans difficulté dans la concentration et la méditation. Je ne voyais plus mes parents et devins un véritable Tibétain. À l’âge de 13 ans, déjà très avancé dans les techniques spirituelles, on me donna des professeurs particuliers qui m’enseignèrent l’art du vide par la pratique d’une méditation intensive. C’est ainsi que j’acquis les prémices de la lévitation, puis une pratique réservée à de rares initiés.
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21/10/2017
Devenir
Un rêve me poursuit
Comme un orage le long d’une vallée
Il revient à tout moment
Sans jamais me séduire
Ce n’est pas qu’il ne le cherche pas
Il emprunte les voies délaissées
Me tend la main derrière le mur
Il ne barre pas la route du bonheur
Il ne crie pas pour me faire peur
Il m’enveloppe de brume
Et je marche dans la poudreuse
Levant haut les genoux
Sous son toit, j’enrage
Qu’attend-il de moi ?
Un sourire complaisant
Une plaisanterie fine
Ou le silence des agneaux
Il est là, derrière moi
Me poussant à la faute
M’ouvrant le placard de la complaisance
Enfermant mon esprit
Aspirant mon âme
Dans sa bouteille vide
Pour me conserver vivant
Mais peu, un semblant de vivant
Qui devient le fantôme de l’être que je fus
Et de celui en devenir
Mi-mort, mi-vivant
Ne laissant que quelques pas
Dans la neige qui fond
Et dont les dernières gouttes
Réclament plus d’efforts
Et moins de vérité
C’est vrai, je deviens…
Quoi ?
Je ne sais…
© Loup Francart
07:43 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
19/10/2017
L'homme sans ombre (28)
Arrivé en France avec une dizaine de moines, il s’installa à Paris et un an après, avec l’aide de quelques émules fortunés, put fonder ce lieu qui nous est maintenant cher. Dans le même temps, il développait des capacités hors du commun dans le domaine spirituel, pouvant s’abstraire de son environnement en un clin d’œil, méditant pendant des heures et même, lévitant parfois dans le dojo aux vues et sus de tous.
– C’est donc pour vous un saint, non, un éveillé pour qui vous avez le plus grand respect, alors que pour moi, ce n’est qu’ami charmant, sympathique, respectable certes, parfois intimidant.
– Un jour, il revint d’une promenade dans Paris transformé. Il n’était plus exactement le même. Il devint rêveur, distrait, préférant les conférences en dehors du monastère aux leçons qu’il conduisait auparavant. Tous se demandaient ce qui lui arrivait. Ce n’est qu’un mois plus tard qu’on découvrit qu’il était amoureux. Depuis, il néglige ses fonctions, se laisse aller et les adeptes du monastère s’inquiètent. L’aura qu’il possédait a disparu. Il continue d’exercer ses devoirs, mais sans entrain ni enthousiasme. C’est pourquoi nous voulons que vous le contraigniez à se séparer de cette jeune fille afin qu’il redevienne le grand Rimpoché que nous connaissons.
– Et vous vous imaginez qu’il va abandonner sa fiancée uniquement parce que je lui demanderais. C’est impossible.
– Nous vous laissons le choix des moyens que vous pourrez utiliser pour le convaincre. Ce que nous voulons c’est qu’il arrête de voir sa prétendue fiancée, quel que soit le moyen employé.
– Et si j’échoue ?
– Nous aurons les moyens de les contraindre par la force, lui ou elle.
– C’est-à-dire ?
– je ne vous dévoilerai pas toutes nos possibilités. Ce serait trop simple.
– J’avoue vraiment que je doute que je puisse faire quelque chose pour vous. Je veux bien essayer, mais sans aucune garantie de succès.
– Nous suivrons vos efforts et aviserons le moment venu. Au revoir, Madame, et n’oubliez pas que nous savons ce que vous faites.
L’homme s’inclina, fit demi-tour et sortit sans rien ajouter. Lauranne regarda une dernière fois par la fenêtre. L’Asiatique vint la chercher et la reconduisit à la porte par laquelle elle était entrée.
– Et ne vous avisez plus de passer par là, lui recommanda-t-il avant de refermer.
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17/10/2017
Créativité
L’ombre plane dans la nuit
Elle se meut avec patience et conviction
Elle éclaire par intermittence
Une route sans indicateurs
Elle peut parfois précéder l’être
Mais le plus souvent elle folâtre
Pour éviter de donner de la voix
Tu ne ressens que sa nostalgie
Ce pincement excitant de clairvoyance
Qui donne compréhension et légèreté
Comme l’ouverture d’une bonde
Qui vide le lac du quotidien
Et le remplace par le vide
Qui prend les pas et te conduit
Vers une noyade transcendante
Tu sors d’une routine hospitalière
Par petites touches affriolantes
Tu pénètres hors de ton existence
En équilibre sur la pointe du raisonnement
Sur le plongeoir de la créativité
Et tu te lances dans le néant
Sans connaître ton avenir
Tu te laisses guider dans la lumière
Tu te revêts de chaleur bienfaisante
Et tu nages à contre-courant
De ceux qui ne se fient
Qu’à ce qu’on leur a appris
Tel le sanglier dans sa bauge
Sors de ton humide savoir
Et marche vers l’inconnu
Lumière jamais déçue
Qui éclaire ta tendresse
Et t’offre le meilleur de toi-même
Dans le papier de soie
Qui cache la lueur de l’être
Qui souffle en toi la liberté
Et une transcendance bienheureuse
L’ombre alors te rejoint et t’enveloppe
Enfin tu respires l’éther de la créativité
Tes poumons se dilatent et s’embrasent
Tu montes, libéré de toi-même
Et contemples le paysage dénudé
Il n’y a rien, c’est à toi de trouver
De puiser dans le limon fertile
Pour le rendre productif
Cela demande effort et persévérance
C’est la rançon du pouvoir
Transformer l’éther en matière
Qu’elle devienne poésie, dessin, peinture
Ou essai, invention, voire vision
Ou même imagination pure
Ou encore insomnie et turbulence
Ne laisse pas s’éteindre ta fièvre
Entretiens-la, fais la gonfler
Qu’elle obscurcisse ton horizon
Et t’emporte loin du connu
Ne t’occupe pas du succès
Tu crées pour toi-même
Les autres mettront du temps
A reconnaître ta créativité
Peu importe, ta vie vaut ce sacrifice
Tu t’endormiras dans l’éther
Et tu rejoindras tous ceux
Qui apportent à l’autre
La lumière de l’inconnu
Et l’intuition du tout
© Loup Francart
07:28 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
15/10/2017
L'homme sans ombre (27)
– peu importe, si c’est pour nous le moyen de sauver notre monastère. Je vais vous raconter l’histoire de Dhondup. Ses parents sont bien européens, français même. Il n’a aucun sang tibétain. Ses parents étaient en poste en Inde proche de la frontière tibétaine lorsqu’un groupe de Tibétains passèrent dans la ville pour rechercher une réincarnation du Rimpoché d’un grand monastère. Passant dans les rues en portant un manteau du défunt, le jeune européen s’adressa à celui qui avait revêtu le vêtement et lui expliqua qu’il ne lui appartenait pas. Intrigué, un des Tibétains sortit de sa poche un étui à lunettes et fit mine de les chausser. Le jeune garçon les aperçut, reconnut l’étui et les lunettes. Il s’en empara, mit les lunettes et déclara qu’il voyait beaucoup mieux ainsi. Il put lire une enseigne dans la rue à une distance telle qu’une vue normale ne peut apercevoir de caractères. Enfin, l’un d’eux sortit des photos de sa poche. Elle représentait des monastères tibétains, dont celui du Rimpoché. Dès que sa photo lui fut montrée, l’enfant montra la fenêtre où vivait le Rimpoché.
– C’est possible votre histoire ? interrogea Lauranne qui ignorait la doctrine de la réincarnation.
– C’est plus que possible. C’est ainsi que se passent les successions à la tête des grands monastères. L’enfant qui identifie des objets ayant appartenu à l’ancien Rimpoché est reconnu comme son successeur et éduqué au monastère dès son plus jeune âge. Il n’était jamais arrivé qu’un étranger au pays soit identifié. Les Tibétains convoquèrent le conseil du monastère qui finit par annoncer que l’enfant était bien la réincarnation du Rimpoché. Une délégation fut envoyée auprès des parents du garçon. Ils contestèrent d’abord ce qui leur fut expliqué, mais ils finirent par céder devant les insistances de l’enfant qui faisait preuve de connaissances certaines de la culture tibétaine sans en avoir jamais entendu parler. Arrivé au monastère, il eut les honneurs du père Abbé et commença son apprentissage avec un vieux lama qui ne le quittait pas d’une semelle. Il fit des progrès étonnants. Il apprit sans difficulté le Tibétain, enregistra les rituels propres au monastère, entreprit facilement les exercices de concentration, puis se plongea dans la méditation. C’était maintenant un jeune homme particulièrement doué qui semblait avoir oublié totalement sa vie antérieure européenne. Mais un jour, alors qu’il venait d’être nommé lama Rimpoché, il déclara qu’il devait se rendre en France et y fonder un nouveau monastère. Les moines furent choqués d’entendre cette décision, mais ne firent rien pour la contrer.
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14/10/2017
Manque
Tout est là !
Mais que te manque-t-il ?
Le sang bat dans tes veines
La conceptualisation prolifère
Le mollet reste fier
Le cœur pleure à tout va
Tu t’émeus de rien
Tu ris de tout
Tu souris de peu
Tu exploses d’émotion
Sans savoir pourquoi
Ainsi va le monde
A fleur de peau
A rebrousse-poil
Dans la chair de poule...
Quels bruits pour si peu !
Silence, on tourne !
Grise-toi d’images
De cris, de faits divers
Mais oui,
Ce qui te manque
C’est toi !
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11/10/2017
L'homme sans ombre (26)
Après un très long moment, un Asiatique entre et lui ordonne de le suivre. Elle n’a guère envie de lui obéir, mais cela devrait lui permettre de savoir où elle se trouve et ce qu’on attend d’elle. De plus, elle a une envie pressante d’aller aux toilettes et, sitôt sortie, elle lui demande où ils se trouvent. Il l’accompagne et reste devant sa porte jusqu’à ce qu’elle ressorte. Elle se sent mieux, ragaillardie et prête à combattre, au moins verbalement. Mais elle se souvient qu’elle ne doit pas parler de Mathis. Elle est introduite dans une pièce emplie de meubles asiatiques anciens, une sorte de bureau dans lequel vraisemblablement travaillait, il n’y a pas encore longtemps, un homme. L’Asiatique lui dit d’attendre que quelqu’un vienne et la laisse là. Elle regarde par la fenêtre qui donne sur une cour, une sorte de cloître où circulent des gens vêtus à l’orientale.
Elle entend la porte s’ouvrir et voit entrer un petit homme, fragile, maigre sans plus, l’air espiègle, qui marche avec grâce sans aucune exagération. Il s’arrête devant elle et s’incline en joignant les mains.
– Bonjour Mademoiselle. Je suis Gudak Bhatang, en charge du monastère. Nous n’avons pas l’habitude d’être dérangés comme vous l’avez pratiqué. D’habitude, les personnes désireuses de nous connaître en font la demande au portier et reviennent le lendemain. Puis-je néanmoins savoir quelle est la raison de votre venue dans notre modeste monastère ?
– Pardonnez cette irruption qui est insolite, je le conçois. Voilà la raison de ma venue. J’ai un ami qui est passionné par la culture tibétaine et le bouddhisme. Il médite chaque jour et vient fréquemment ici. Alors, par curiosité, je cherche à comprendre son intérêt pour ce monastère. Je crois que vous avez de nombreux adeptes européens et je suis curieuse de savoir ce qu’ils trouvent de nouveau ici plutôt que dans nos églises.
– Une réponse serait sans doute la bienvenue pour vous. Mais il me semble impossible de répondre à une telle question en peu de temps. Il ne s’agit pas de satisfaire une curiosité peut-être légitime, mais de s’immerger dans la méditation. Pour vous, la religion est l’adhésion à une croyance et une doctrine. Elle est intellectuelle ou, au moins, émotionnelle. Pour nous, la religion est avant tout un fait d’expérience et une pratique de vie. Si vous désirez en apprendre plus, il faut vous inscrire auprès du portier dans les stages de débutants où l’on pratique d’abord la concentration, puis la méditation et enfin des techniques plus élaborées réservées aux initiés. Mais trêve de plaisanterie, vous savez comme je le sais que vous n’êtes pas venue pour cela. Et cette irruption n’avait d’autres buts que de connaître la disposition des lieux et les dirigeants du monastère, ce que je suis. Vous connaissez Mathis Préau…
– Comment le savez-vous ?
– Nous sommes bien renseignés et je peux vous montrer une photo où vous êtes avec lui et sa fiancée. Vous avez probablement observé certains faits étranges qui environnent Mathis, puisque c’est ainsi que vous l’appeler. Nous, nous l’appelons Dhondup, c’est-à-dire l’accomplissement. Pour nous, il est rimpoché, accompli, et nous ne voulons pas le perdre. Alors, je vous mets un marché en main. Soit vous nous aidez à le maintenir à nos côtés en écartant de ses fréquentations sa fiancée, soit nous serons contraints d’employer d’autres méthodes plus dures vis-à-vis de lui et vous ne le reverrez plus.
– Mais vous n’avez pas le droit de faire cela. Je croyais que le bouddhisme est une religion de paix. C’est illégal et pas moral !
07:14 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
07/10/2017
L'homme sans ombre (25)
– Dieu que c’est noir ! s’exclame-t-elle à voix basse.
Elle doit porter ses mains devant ses yeux pour distinguer la lueur de son bracelet. Elle avance timidement vers un faible rayon de lumière qui semble loin. Elle progresse lentement, tâtant du pied l’espace devant elle pour ne pas heurter un meuble et être dévoilée. Arrivée à hauteur de la raie de lumière, elle tend sa main et sent une poignée de porte. "Que faire ? " s’interroge-t-elle. "N’hésitons pas. Allons-y ! " Elle tourne la poignée et, n’entendant rien, entrouvre la porte et passe la tête. Elle aperçoit une quinzaine de personnes, des hommes pour la plupart, le nez face aux murs, immobiles. Un homme se tient debout, les observant et portant un bâton de bois plat à l’une des extrémités[1]. Il marche justement vers un adepte, lui touche l’épaule, puis, après le salut du méditant, lui porte un coup sur la nuque. Lauranne s’en étonne tellement qu’elle émet une interjection de surprise et de protestation, ce qui fait se retourner l’homme. Celui-ci aussitôt se précipite vers elle, lui prend les poignées et appelle à l’aide. Trois adeptes se lèvent, l’encerclent et l’entraînent vers une porte opposée. Elle passe un corridor, traverse une autre pièce qu’elle n’a pas le temps de voir et se retrouve dans une sorte de cagibi avant d’avoir pu reprendre ses esprits. La porte est fermée à clé, une faible lueur est projetée par une applique au mur, la pièce est vide, pas un siège, pas un meuble. Aucun bruit ne vient de l’extérieur, les murs sont de couleur crème, comme le plafond et même le sol. Un espace sans caractéristiques, fermé aux hommes et ouvert sur le vide.
Lauranne reprend peu à peu ses esprits. Tout s’est passé trop vite. Elle n’a rien compris et tente maintenant de se remémorer l’événement. Elle a certes déjà entendu parler des dojos bouddhistes zen. Elle pensait qu’il s’agissait de pièce où l’on pratique les arts martiaux avec des règles précises d’utilisation de l’espace et de placement des élèves selon leur ancienneté. Elle avait même entendu parler du kyôsaku. Mais elle ne se doutait pas que son emploi est rigoureux et pouvait même être douloureux. Sous des apparences pédagogiques, la pratique bouddhiste pourrait être assez brutale. Mais peut-être s’agit-il d’une spécificité d’une secte qui sous des apparences contrôlées endoctrine ses pratiquants ?
Bientôt Lauranne se lasse de réfléchir et commence à s’impatienter. Rien. Pas un bruit, pas un mouvement ne viennent troubler la sérénité du lieu. S’agit-il réellement de sérénité ou plutôt d’une prison, ce qui crée une violence insupportable ? Elle n’ose appeler, ne sachant pas les réactions que pourraient avoir ses geôliers. Elle marche en rond, pour s’occuper et réfléchir calmement. Depuis combien de temps est-elle là ? Elle ne sait plus. Tiens, oui, on m’a enlevé ma montre ! Elle ne sait quand. Mais c’est bien sûr volontairement. Elle ne s’en est pas aperçue. Décidément, ces gens sont organisés. Ce n’est probablement pas la première fois qu’ils utilisent de tels procédés.
[1] Il s’agit du « kyôsaku » (de « kyô » = attention, et « saku » = bâton) qui sert à la correction du zazen et avec lequel le maître donne, à l’occasion, un ou deux coups sur les muscles de la nuque, à droite et à gauche du cou. Ce n’est pas un châtiment ou une humiliation, mais un encouragement ou une libération.
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04/10/2017
Le poids
D’un geste grandiloquent, en un tour de passe-passe
Il engouffra le monde et même l’univers
Dans ce sac de plastique bariolé et froissé
Dont la pauvreté se charge au sortir d’un supermarché
Et il partit, le nez au vent, dans l’ombre
La poussière et le bruit, avec pour seul bagage
Le contenu de son cerveau, c’est-à-dire rien
Il pesait lourd ce sac de rien
Mais il contenait tout, ses espoirs et ses craintes
Le film d’une vie et le cri d’un oiseau
Et pendant qu’il marchait, il se remémorait
Les heures où le ciel s’ouvrait et laissait percevoir
La goutte de rosée, le pépiement du moineau
Les pleurs d’un enfant au seuil de la vie
La plainte du vieillard qui au moment de partir
Appelle les muses et chante l’éclaircie
Partir le monde dans son sac, plein de trésors
À piocher aux moments opportuns
Sans l’ombre d’un remord, ni même d’un recul
Puisant dans le grand livre de la vie
Où tout bascule du rêve à la réalité
Dans le fracas des événements et de la fureur
Des humains en mal d’exister et de jouir
Et lui, petitement, récolte imperturbable
Dans son cabas de pauvre les trous noirs
D’un renouveau étiqueté et plein de charme
La destinée d’un humain a bon dos
Pour être portée à bout de bras
Puis abandonnée au fond de la mémoire
Dans ce mélange de bien et de mal
Gélatine pesant moins lourd qu’un courant d’air
Mais comme il avance sur le chemin
Le sac devient ballon d’air chaud et tendre
Il monte sans cesser de vivre
Et l’homme s’accroche à ses poignées
Bientôt tiré vers le ciel il se déplie
Dans l’azur ensoleillé et silencieux
Pour contempler ce rien qui emplit tout
Et devient le tout contenu dans son sac
Alors, d’un coup de dents, il crève l’artifice
Et se retrouve seul dans les bras
D’un Dieu inconnu, si semblable à lui-même
Et pourtant si différent de ce qu’il fut !
06:46 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
03/10/2017
L'homme sans ombre (24)
Le lendemain, Lauranne invite Noémie à déjeuner. Après avoir raconté son entrevue avec Mathis, elle lui demande ce qu’elle doit faire : arrêter ses recherches ou continuer. Noémie hésite : elle risque de perdre Mathis si elles insistent. Mais elle a besoin de savoir et se dit que sa vie sera gâchée si elle n’arrive pas à éclaircir ce point noir. Alors elle donne le feu vert à Lauranne.
Celle-ci décide, avant de parler avec Mathis, de refaire un tour du côté du temple. Elle a besoin d’en savoir un peu plus sur ceux qui le fréquentent et ceux qui le dirigent, dont probablement Mathis. Est-ce une religion, une secte, une association secrète ? Poser directement la question à Mathis lui semble un peu maladroit si elle n’en sait pas plus. Alors, elle décide d’adopter un déguisement et de tenter de pénétrer dans le temple. Elle passe sa soirée à se teindre les cheveux, achète une paire de lunettes, va chez Tati et rassemble un chemisier mauve, une jupe blanche et une paire de baskets passe-partout. Elle modifie sa coiffure et se met des boucles d’oreille un peu voyante. Ainsi revêtue, elle a du mal à se reconnaître. Mais elle prend soin de tester malgré tout sa tenue. Elle descend l’escalier de l’immeuble et va sonner chez la concierge. Celle-ci entrouvre sa porte :
– Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle avec son accent normand de fille de la campagne.
Elle ne me reconnaît pas, pense Lauranne. Alors elle lui demande Monsieur Le franc qui, bien sûr, n’existe pas.
– Non, y a pas de Monsieur Le Franc ici, vous vous trompez.
Lauranne alors repart en direction de la porte d’entrée pendant que la concierge ferme sa porte, puis elle remonte sans faire de bruit les marches pourvues d’une moquette rouge et moelleuse. "Ça marche", pense-t-elle.
Le lendemain, elle se prépare, se maquille avec soin comme elle l’avait fait la veille, prend son cabas qui lui sert à faire son marché, le remplit de vieux papier (c’est moins lourd qu’un objet) et marche jusqu’à la station de métro. En une demi-heure, elle atteint sa destination et se noie dans la foule bigarrée du XIIIe arrondissement. Elle reconnaît les petites rues tordues et la place où se trouve l’entrée du temple ou ce qu’elle croît être un temple. La porte-cochère est fermée. Elle s’approche en faisant mine de poursuivre sa route et aperçoit le gardien dans sa petite pièce qui regarde au-dehors. Elle détourne les yeux et poursuit sa route, l’air de rien. "Que faire", se dit-elle. "Oui, je peux essayer par-derrière, il y a peut-être une porte d’accès dans l’immeuble". Elle contourne le bloc d’immeubles et tombe sur une petite impasse déserte avec quelques portes donnant vers le temple. Elle ne sait laquelle choisir. Elle en essaie une première qui donne sur les portes d’appartement où les noms des locataires sont indiqués. Rien qui ne manifeste l’existence d’un lieu public ou même privé dans lequel les gens ont l’habitude de se rendre. Elle ressort et choisit la suivante. Elle est plus large, engageante, surtout au niveau du premier étage. Rien n’indique que c’est l’entrée d’autre chose qu’un appartement. Mais elle sent que c’est très probablement là. Alors elle attend. Pas très longtemps. Quelqu’un ouvre la porte de l’intérieur, parle à une personne invisible et sort en vitesse, sans même le voir. Avant que la porte ne se referme, Lauranne glisse son pied dans l’ouverture et empêche la porte de se refermer. "Allons-y !", pense-t-elle, tout en ressentant une certaine appréhension.
02:00 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
29/09/2017
L'homme sans ombre (23)
– Mais pourquoi ?
– Je viens de te dire que je ne peux en parler.
– Ce serait trop simple. Tu nous dévoiles une partie de ta personnalité jusque-là inconnue, et tu nous dis que tu ne peux en parler. Alors, il ne fallait rien faire, cela aurait été si simple.
– C’est vrai, mais c’était indépendant de ma volonté.
– ah, je n’y comprends rien de rien. Pourquoi ?
– Tu vois, tu m’obliges à en parler alors que je t’ai dit que je ne pouvais pas. Restons-en là. Ce sera mieux pour tout le monde.
– Ce n’est plus possible. Tu ne peux cacher cela à Noémie. Tu as montré tes pouvoirs et ne pas lui en parler revient l’écarter d’une partie de ta vie, ce qui n’est pas digne d’un fiancé. Tu le sais, n’est-ce ?
– Oui, c’est vrai. Mais je ne peux t’en dire plus.
– Mais pourquoi ? insista-t-elle une dernière fois.
– Tout simplement parce que je perdrai ces pouvoirs. Et j’y tiens. Il m’a fallu des années pour les acquérir, un travail de tous les jours, une volonté toujours affirmée, une conscience ouverte et vierge. J’ai renoncé à beaucoup, mais cette victoire remportée sur moi-même ne peut être détruite pour simplement satisfaire ton désir de connaître mon passé, même si tu prétends que c’est pour le bien de Noémie et de notre mariage. Et puis, ne crois-tu pas que c’est d’abord à Noémie que je devrais en parler plutôt qu’à son amie.
– Oui, je le reconnais. Je n’insiste plus et te rends ta liberté. À bientôt, car nous restons amis, n’est-ce pas ?
– Certainement, car je sais le bien que tu fais à Noémie. A bientôt Lauranne.
Elle sortit de la boutique, agacée et compréhensive. Elle avait malgré tout appris beaucoup sur Mathis, plus qu’il ne faisait semblant de croire. Il avait reconnu que ce qu’elles avaient observé était vrai. Était-ce un état permanent ou simplement passager ? Rien ne l’avait trahi là-dessus. Elle savait que cet état était long et difficile à acquérir, qu’il avait nécessité des jours d’apprentissage et que pour cette raison il ne veut pas le perdre. C’est pourquoi il ne peut rien dire de ce qui l’a amené là. Sans doute a-t-il promis à ses maîtres de ne jamais dévoiler ce qu’il maîtrisait maintenant. Mais pourquoi le fait d’en parler pourrait-il supprimer automatiquement tous les pouvoirs acquis ?
Arrivée chez elle, elle réfléchit sur la suite de son entreprise. Devait-elle arrêter ses investigations ou au contraire les poursuivre, au risque de créer une brouille entre Noémie et Mathis, ce qu’elle ne voulait aucunement. Elle n’avait pas de réponse à cette question. Mais elle devait en parler avec Noémie, très vite.
07:30 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
25/09/2017
L'homme sans ombre (22)
Mathis lui parle d’abord de Noémie et lui fait part de son bonheur d’avoir trouvé une jeune fille aussi délicate et intelligente. Il lui dit aimer sa spontanéité et son rire frais. Lauranne lui raconte une ou deux situations professionnelles dans lesquelles elle avait été particulièrement efficace.
– Oui, c’est vrai, j’ai particulièrement de la chance, lui répond Mathis.
– C’est étonnant de te voir à la fois un fiancé passionné et un adepte d’un temple qui se livre à des exercices compliqués qui semblent proches du yoga, constate Lauranne. Comment en es-tu venue à accepter ces deux lignes de vie qui sont totalement différentes l’une de l’autre ?
Mathis fut surpris par cette attaque à laquelle il ne s’attendait pas. Il ouvrit grand ses yeux, la regarda comme s’il ne la connaissait pas et lui demanda :
– Mais, j’ai l’impression que tu me surveilles, n’est-ce pas ? Est-ce possible ?
– Oui, c’est vrai. Nous avons décidé Noémie et moi d’en savoir un peu plus sur toi. Ce n’est pas pour t’espionner, mais pour aller au-delà des apparences.
– Mais pourquoi ?
– Tout simplement parce que derrière ta gentillesse et ton amour pour Noémie, nous avons découvert un autre personnage en toi. Il est intéressant, mais si différent ! Et, de plus, insoupçonnable.
– Mais de quoi me parles-tu ?
– Il y a un mois environ, nous sommes allés nous promener ensemble à la campagne. C’était le soir, au soleil couchant. Tu devisais avec Patrick pendant que je parlais avec Noémie. Et toutes les deux, nous avons vu quelque chose d’insolite : tu n’avais pas d’ombre alors que les nôtres étaient très nettement dessinées sur le sol, et tu flottais puisque l’on voyait un centimètre entre tes pieds et le sol. Nous n’en avons pas cru nos yeux. Mais il a bien fallu nous y faire. Depuis, je te l’avoue, je ne te vois plus pareil et Noémie également. Nous avons cherché d’où cela pouvait provenir. Mais nous n’avons trouvé aucune réponse satisfaisante. Noémie étant amoureuse de toi, il lui est difficile de t’épier. Alors je m’en charge.
– Que te dire ? Tout d’abord que vous n’avez pas rêvé. C’est vrai, mais je ne peux rien dire. Je suis lié à un serment et il ne m’est pas possible d’expliquer quoi que ce soit.
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23/09/2017
Il n’y a rien qu’une maison
Apparemment, il n’y a rien qu’une maison
Une maison charmante au pied d’une colline,
Une porte blanche qu’il suffit de pousser
Et quelques fleurs autour de la maison
Mais si le passant s’attarde davantage,
Au fil des heures, la maison l’ensorcelle
Il croit d’abord que ce sont les dorures des livres
Ou la calme chaleur des abat-jours
Puis il découvre une fée. Elle n’a pas de baguette,
Elle n’a pas de chapeau, mais elle porte la lumière.
Elle règne sur la maison, silencieuse et sereine
Et sa gaité réchauffe le passant.
Si celui-ci doit repartir à l’appel du chemin
Il laisse dans la maison une part de ses pensées
Et sur une table un petit mot
Qui ne suffira pas à dire sa reconnaissance
© Loup Francart
07:17 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
21/09/2017
L'homme sans ombre (21)
– Tant pis, se dit Lauranne, après réflexion. Il faut que j’en parle directement à Mathis. Cela ne peut plus durer. Noémie me cache quelque chose, Patrick ne suit pas cette affaire et Mathis ne dit rien. Je ne vois pas comment je pourrais en savoir plus si je ne l’implique pas. Mon problème est de le faire de manière suffisamment discrète pour qu’il ne se sente pas épié. Car alors, il se fermerait comme une huître. Il me semble que le meilleur moyen est de le surprendre lorsqu’il se trouve au temple. Il ne pourra nier et même trouver une excuse.
Elle patiente trois jours avant qu’il reprenne le chemin du temple. Elle a dû le suivre un peu partout et s’est arrangée pour trouver un déguisement adéquat. Un jour, elle se retrouva presque en face de lui. Il avait fait brusquement demi-tour. Heureusement, au même moment, une ambulance passa, toutes sirènes hurlantes, ce qui divertit Mathis et l’empêcha de voir Lauranne. Elle se pencha sur une devanture et il passa sans l’apercevoir. Aujourd’hui, cela lui semble être le jour propice. Il est sorti à la même heure que la première fois, a pris le métro ouvertement et a changé de ligne à Châtelet. Il est descendu place d’Italie. Elle le suit, ne sachant comment l’aborder. Elle entend soudain des bruits de sifflet et une course poursuite qui monte vers elle de la rue. Tous se retournent. Trois policiers courent après un jeune asiatique qui passe devant eux avec célérité. Elle reprend ses esprits, repart vers le temple et se trouve nez à nez avec Mathis. Celui-ci l’a également vu et ils ne peuvent s’ignorer.
– Lauranne, mais que fais-tu là ? s’exclame Mathis.
– Mais et toi ? lui répond-elle pour ne pas avouer qu’elle le suit.
– Eh bien, je me promène. Je suis toujours un peu attiré par ce quartier que je commence à bien connaître. Il a son charme. Sa population est variée et recèle des cultures tellement différentes. Mais si nous allions prendre un thé quelque part. Nous pourrons parler un peu avant de reprendre chacun notre route.
– Pourquoi pas, répond Lauranne qui trouve là l’occasion rêvée pour parler avec lui de ses activités.
Il la conduit vers une petite boutique aux épais rideaux et ils s’installèrent dans un coin. Le propriétaire vient prendre la commande. Ils se détendent, comme s’ils étaient heureux de se retrouver là, mais chacun se demande ce qu’ils vont pouvoir se dire.
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18/09/2017
âme
Je n’ai que mon âme à te donner
Elle n’est qu’un filet d’eau
Qui coule goutte à goutte
Suintant un amour discret
Certains jours elle se veut libre
Et refuse tout jaillissement
Asséchée, elle dénie ta présence
Et erre dans un indescriptible désert
Fait de désirs et de rêves
Non assouvis et enchanteurs
Qui disparaît dans la confrontation
Avec la vie dure et trompeuse
Il lui faut la tendresse de l’agneau
L’odeur du foin montant des prés
Les cris aigus des hirondelles
Lorsque le ciel s’assombrit
Pour ouvrir à nouveau sa blessure
Et aspirer au bonheur de donner
Alors, émerveillée de fraîcheur
Elle s’envole librement
Et vient un instant se réchauffer
Au creux de ton épaule
Écouter l’histoire de celui
Qui est toi au-delà de ce moi
Dans la plénitude du soi
© Loup Francart
07:11 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
17/09/2017
L'homme sans ombre (20)
Au cours du trajet de retour chez elle, elle s’interroge : « Dois-je en parler à Noémie ? Que va-t-elle en penser ? Qu’est-ce que ce temple et les gens qui le fréquentent ? Ils avaient l’air quelque peu drogués ou, tout au moins, pas dans un état normal. Mathis me semble singulièrement différent de ce que je pensais. On aurait dit un prêtre en train d’officier. Il faut que je poursuive mes recherches. J’essayerai de retourner au temple cet après-midi, s’il n’y est pas. »
Ce n’est en réalité que le lendemain qu’elle peut retourner dans le quartier asiatique. Elle a d’abord du mal à retrouver la rue et le porche où s’était engouffré Mathis. Il n'y a personne sur place. Elle se risque à pénétrer en poussant la lourde porte qui grince un peu. Une odeur d’encens, assez différente de celle des églises catholiques, une obscurité tranchée de couleurs vives et un immense gong, cinq à six mètres devant elle, accroché à un support en bois sculpté. Elle s’avance vers le milieu de la salle encombrée de couffins bien alignés. Le silence est total, impressionnant, anormal au cœur d’une ville.
– Que faites-vous ici, Mademoiselle ?
Lauranne se retourne. Un petit homme, ridé, le crâne rasé, vêtu d’une longue robe safran composée d’un sarong et d’une étoffe principale couvrant le haut du corps, la regarde avec curiosité. Elle rougit ne sachant que dire.
– Je me promenais lorsque j’ai vu la porte qui semblait s’ouvrir pour me laisser pénétrer. Alors, j’ai suivi mon impulsion et me suis retrouvé là.
– Savez-vous où vous vous trouvez ? lui demande-t-il.
– Pas exactement.
– Sachez que vous êtes dans une propriété privée. Ce temple n’est accessible qu’aux bikkhu[1].
– Pardon ?
– C’est-à-dire aux moines vivant dans un monastère. Apparemment, vous n’êtes pas homme et encore moins moine. Alors vous ne pouvez circuler ici.
Lauranne sort sous le regard du vieil homme, regard malgré tout bienveillant. Elle lui sourit en fermant la porte et se retrouve dans la rue, étonnée et dépaysée. De nombreuses questions lui taraudent l’esprit. Que fait Mathis dans ce monastère bouddhiste ? Il avait une attitude et une position de chef lorsqu’elle l’avait vu apparaître au balcon. A-t-il une fonction particulière ? Noémie ne semble pas au courant. Pourquoi ne nous en a-t-il jamais parlé ? Elle rentre chez elle perplexe, n’arrivant à décider si elle peut ou non en parler à Noémie.
[1] Moine tibétain.
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14/09/2017
Symphonie sylvestre
Mille bras tendus vers le ciel
Non pour implorer sa clémence
Mais pour célébrer l’infini
Quoi de plus majestueux que l’arbre
Entremêlant ses branches à ceux des autres
Leur disputant la lumière et l’ouverture
Avec sagesse et mesure, sans arrogance
Certes, il y a des vainqueurs et des vaincus
Certains s’étiolent avant d’atteindre l’épanouissement
D’autres buttent sur plus gros qu’eux-mêmes
Et se glissent avec souplesse entre deux grands
Qui ne peuvent se partager le ciel et l’honneur
De devenir le roi de ce morceau de terre
J’entends les sons de l’orgue et de ses jeux
Puissants à la pédale et tendres au bout des rejets
Le grincement subtil du bois contre les troncs
Le cri de l’oiseau qui se perche hors de vue
Un vent discret fait régner l’harmonie
Assis, je contemple la forêt et me sens transporté
Au sein de cette symphonie sans désir de retour
© Loup Francart
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13/09/2017
L'homme sans ombre (19)
Le lendemain, elle s’habille de manière parfaitement anonyme, avec un chapeau misérable qui cache ses magnifiques cheveux, une paire de lunettes aux verres ronds, larges et légèrement teintés et une canne qui lui permet de compenser le caillou qu’elle s’est mis dans une de ses chaussures. Dès huit heures, elle attend au bas de l’immeuble de Mathis qui en sort à neuf heures moins le quart et se dirige vers la station de métro. Elle ne connaît pas les habitudes du jeune homme et se dit que s’il va vers son entreprise, elle pourra rentrer chez elle et ne revenir qu’à la sortie des bureaux.
– Le voilà qui sort, constate-t-elle à 8h25. Il se dirige vers le métro. Suivons-le !
Effectivement, Mathis prend le métro. Lauranne fait le maximum pour ne pas se faire repérer. Il descend à la station Châtelet et prend une autre ligne. Comme il s’agit d’un nouveau métro sans compartiments dans lequel on peut circuler de la tête à la queue, elle n’a pas de mal à le surveiller en restant suffisamment loin de lui pour qu’il ne la repère pas.
– Tiens, il sort place d’Italie. Sortons !
Il se dirige vers le quartier asiatique, s’introduit dans les petites rues et entre sous un porche. Elle entend une sorte de gong, un son profond qui résonne dans le corps, puis une longue récitation monotone, rythmée, faite de voix profondes. Elle n’ose s’introduire dans ce qui semble être un temple, au moins en raison des sons émis à l’intérieur, et elle attend sans savoir quoi faire. Une heure s’écoule, elle attend toujours. Une heure et cinq minutes, le gong résonne à nouveau, plusieurs coups portés puissamment, une nouvelle récitation et le piétinement des pas sur un tapis de coco. La porte s’ouvre et une longue procession en sort, faite d’hommes et de femmes en robe jaune, le regard extasié, marchant lentement, avec attention. Pas un ne tourne la tête, concentré sur lui-même, sans vision du monde extérieur. Lauranne se cache derrière un pilier, puis suit cette étrange procession. Soudain, elle se rend compte que certains marchent comme sur un coussin d’air, sans contact avec le sol.
– Est-ce possible ? se demanda-t-elle.
Puis l’un d’eux se projette à trois mètres, sans effort, sans même avoir l’air de se rendre compte de ce qu’il fait. Les participants semblent être sous l’effet d’une drogue, déconnectés de la réalité en raison d’une intense concentration.
– Quelle extraordinaire procession ! remarque-t-elle.
Elle cherche Mathis dans les rangs, mais ne le voit pas. Peut-être est-il resté à l’intérieur ? Elle se demande un moment si elle va tenter d’entrer dans le temple. Elle y renonce en constatant la présence de deux hommes imposants qui manifestement gardent le passage.
– Où donc est passé Mathis ? se demande-t-elle. Elle l’aperçoit soudain sur le balcon du temple, contemplant la procession, immobile, comme figé dans une attitude orante, semblant diffuser son aura sur les pénitents. Derrière lui, trois hommes, également immobiles, dans la même posture, le regardant faire. Le temps semble figé. On entend uniquement une sorte de plainte musicale, irréelle, assez belle, produite par un Rgya gling[1] dont on ne voit pas l’artiste. Lauranne elle-même semble pétrifiée et n’arrive plus à penser. Enfin, sur un coup de gong plus fort que les autres, elle se détache du spectacle et s’esquive, étrangement mal à l’aise. Son cœur bat à tout rompre. Elle reprend lentement ses esprits et s’éloigne pour s’engouffrer dans la station de métro la plus proche.
[1] Sorte de hautbois au corps en bois prolongé par un pavillon en cuivre et utilisé dans les monastères tibétains.
07:28 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
09/09/2017
L'homme sans ombre (18)
Là-dessus, l’heure de fermeture sonne et Lauranne doit sortir de la bibliothèque encore enfiévrée de ce qu’elle vient de découvrir. Elle sent un mystère chez Mathis, mais comment l’amener à le dévoiler en toute transparence ? De plus, il lui semble maintenant que Noémie lui cache quelque chose. Elle veut savoir ce que Mathis a révélé à Noémie. Elle sait que ni Mathis ni Noémie ne lui diront quelque chose et il lui faut donc trouver un stratagème pour qu’ils soient contraints de se dévoiler. Mais quoi ?
Que le lecteur n’aille pas s’imaginer que Lauranne est une personne rusée, têtue et manipulatrice. Il n’en est rien. Elle a simplement un grand besoin de connaissance et de vérité qui peut l’entraîner plus loin qu’elle ne le désire. Voyant que son amie se ferme devant ses questions, elle comprend qu’il se passe quelque chose et veut savoir ce qu’il en est, tout simplement. Elle s’inquiète pour celle-ci et souhaite plus l’aider qu’obtenir une vérité qu’elle ne veut pas dire. Mais cette intention louable va peu à peu dégénérer par dépit de non-réponse et curiosité. Il est en effet agaçant de ne pas savoir ce qu’il en est d’un secret auquel on n’a pas accès. Alors elle va mettre toute son intelligence à percer ce secret.
Mais tout d’abord, y a-t-il réellement un secret ? Noémie lui a dit qu’il n’avait rien à dire. Cela peut être vrai. Cela signifierait que Mathis subit un pouvoir étrange qu’il ignore lui-même. Est-ce possible ? Elle se souvient des écrits sur les mystiques qui sont eux-mêmes surpris par ce qui leur arrive lorsqu’on le leur révèle. Mais très vite, ils prennent en charge cette contrainte de la vérité et l’acceptent comme la volonté de Dieu. Ils s’efforcent de cacher le phénomène aux autres de façon à paraître les plus normaux possible. Cependant, Mathis non seulement lévite, mais de plus est transparent, c’est-à-dire n’arrête pas les rayons du soleil et n’a donc pas d’ombre. Cela fait tout de même beaucoup ! Oui, il est très probable qu’il y a un secret, quelque chose que Mathis ne veut pas révéler, ni, probablement, Noémie.
Alors, supposons qu’il y ait un secret. Pour qui ? Que concerne-t-il ? Pourquoi en faire quelque chose qui ne peut être révélé ? C’est bien ce qu’elle doit découvrir, par quelque moyen que ce soit. Elle ne trouvera rien de plus sur les sites Internet ou les bibliothèques. Chercher sur les réseaux sociaux ? Ce ne sont guère des sujets d’intérêt pour la majorité des internautes. Inutile ! Ma foi, la seule possibilité est de suivre Mathis sans qu’il s’en rende compte.
07:20 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer
07/09/2017
Eau
Tu es eau, pure, à soixante pour cent
Tu n’es cependant pas transparent
Ton œil, mouillé, ne voit pas la larme
Et ainsi l’eau, qui huile son charme
Pourtant tu aimes le soleil asséchant
Qui t’enlace tendrement dans le couchant
Et le feu que l’eau vainc facilement
Ou qui l’épuise subtilement
L’eau t’entraîne vers les rivages
Où tu contemples l’horizon sauvage
Frontière du liquide et du rêve
Là, tu erres en mal d’existence
Ne sachant où choisir ton inconstance
Là, la solitude t’épouse sur la grève
07:54 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
03/09/2017
Le planétarium, de Nathalie Sarraute
Le planétarium, c’est cette immense grotte de la conscience où les mots des autres viennent raisonner avec une force incroyable, ébranlant la juste répartition des astres, l’équilibre méticuleusement échafaudé des orbites qui oblige à bien des concessions, à beaucoup de revirements. En avançant dans ces pages pleines d’ombres contradictoires, on découvre que c’est dans la nature même du planétarium d’être aussi fluctuant, aussi soumis à n’importe quel événement, à un mot, à un geste, un regard qui bouleverse entièrement l’équilibre qui venait à peine d’être rétabli.
Nathalie Sarraute, dans cette histoire qui n’en est pas une, dans cet épisode de la vie d’un jeune couple mi- bourgeois, mi- intellectuel et de ceux qui l’entourent (des parents snobs, une tante maniaque, un écrivain qui n’est qu’une femme comme les autres, mais dont la notoriété leur fait peur) n’a pas cherché à décrire directement un certain milieu, une certaine manière de vivre, mais plutôt la manière d’être intime de chaque personnage et, en particulier, sa manière d’être en face d’un autre. Elle traite de cet affrontement perpétuel dans la rencontre de deux êtres, des pensées brèves provoquées par cette rencontre et de leur camouflage en paroles, adoucies, amadouées, domptées, convenables et raisonnables.
L’analyse et excellente, mais l’homme ne serait-il qu’un spéculateur perpétuel dans ces rapports avec autrui ? Pas une ombre de spontanéité, et c’est pourtant elle seule qui fait le plaisir des rapports humains.
07:04 Publié dans 41. Impressions littéraires | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roman, littérature, société, psychologie | Imprimer
01/09/2017
L'homme sans ombre (16)
– Mais as-tu trouvé quelque chose ?
– Oui, et non. Ma connaissance s’est largement approfondie. J’ai pratiqué la méditation, différents yogas, le tout dans une fièvre sans pareil, en permanente recherche. Cependant, je n’ai pas trouvé grand-chose concernant la lévitation. J’ai dû m’en rapporter à l’expérimentation, donc aux tentatives, erreurs, découragement. Elle a porté sur le physique avec la décontraction, la respiration, les postures ; le physiologique avec le jeune, la relaxation et la concentration sur une partie du corps ; mais aussi sur la psychologique et principalement la méditation.
– Et alors ?
– Tout ceci m’a fait considérablement progresser. Tu admirais mon impassibilité. Elle n’était pas naturelle chez moi et fut acquise grâce au yoga. Mais je n’ai pas avancé en ce qui concerne la lévitation. En fait, celle-ci n’a pas grand-chose à voir avec le yoga. C’est une autre discipline et, peut-être même, n’est-ce pas une discipline. C’est un don qui est donné et il convient de n’en tirer aucune gloire, ni même d’en parler. Sinon, s’efface sa pratique. De même, il convient de ne pas le théoriser, les effets sont les mêmes. L’innocence, le non-cumul d’expérience et la non-conscience en sont les éléments les plus solides. C’est pourquoi je ne peux t’en dire plus, et j’ai déjà trop parlé et divulgué.
– Je t’avoue que j’en reste ébahie. Même si j’avais soupçonné une formidable force de caractère en toi, je n’aurais jamais pensé à tout ce dont tu viens de dire.
– Eh bien, cessons d’en parler, ce sera beaucoup mieux pour nous deux. Peux-tu me promettre de ne plus en parler ?
– Ce sera dur, même au-dessus de mes forces. Je veux bien te promettre d’essayer, mais ne peux te jurer d’y arriver.
– C’est déjà pas mal, lui dit Mathis en la prenant par la taille et en l’attirant à lui pour déposer un baiser dans son cou.
– Alors, que t’a-t-il dit ? questionne Lauranne dès qu’elles se revoient.
– Rien. Il n’avait rien à dire. Il ne savait même pas de quoi je voulais parler.
– Mais ce n’est pas possible ! Tu lui as présenté la chose carrément ?
– Oui, bien sûr ! Sans toutefois lui dire ce que l’on avait vu, à savoir qu’il se détachait l’autre jour du sol sans que l’on puisse expliquer pourquoi.
– Veux-tu que je lui en parle moi-même.
– Non, surtout pas ! C’est une affaire que je dois régler toute seule.
Noémie ne sait comment expliquer à son amie qu’elle a juré de ne pas en parler. Ce serait comme déjà dévoiler quelque chose et elle ne le veut pas. Elle avait hésité, Lauranne est sa meilleure amie. Elles s’entendent bien, se disent à peu près tout, mais son serment la lie au silence. Lauranne sent bien que ce n’est pas l’entière vérité. Mais elle n’ose rien dire, rien objecter. Elle a peur de perdre son amie. Elles se regardent les yeux dans les yeux ; Lauranne voit le désarroi dans ceux de Noémie, Noémie voit la gêne dans ceux Lauranne. Mais aucun des deux ne réagit. Elles sentent d’instinct qu’elles ne doivent pas dépasser cette ligne rouge. Mieux vaut accepter le doute que d’oser une rupture. Alors elles font comme si de rien n’était et se disent au revoir en s’embrassant comme d’habitude. Pourtant quelque chose s’est cassée entre les deux amies.
07:07 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, littérature, surnaturel, envers | Imprimer